LE PROCHAIN LIVRE BLANC SUR LA DÉFENSE ET LA SÉCURITÉ NATIONALE DOIT ÊTRE L'OCCASION DE DÉFINIR LES AMBITIONS ET LES MOYENS NÉCÉSSAIRES POUR TIRER BÉNÉFICE DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE SUR L'ENSEMBLE DES OCÉANS
I. LE LIVRE BLANC DOIT DÉFINIR LES MOYENS PERMETTANT À LA FRANCE DE PRÉSERVER LA CAPACITÉ D'INTERVENTION ET DE SÉCURISATION DE SES INTÉRÊTS SUR L'ENSEMBLE DES MERS DU GLOBE.
Conformément aux engagements pris par le Président de la République de réduire le déficit public d'ici 2015 à 3% du PIB et par le Premier ministre de stabiliser en valeur les dépenses publiques, le budget de la défense devra adapter sa programmation à la diminution de ses ressources.
Cet exercice de reprogrammation devra, en outre, intégrer le décalage croissant entre la trajectoire tracée par la précédente loi de programmation et l'évolution du budget de la défense ces trois dernières années. Le récent audit de la Cour des comptes estime cet écart, selon l'hypothèse la plus probable, à une dizaine de milliards d'euros .
C'est donc dans un contexte particulièrement contraint que la prochaine loi de programmation militaire devra déterminer les priorités de notre politique de défense.
Ces priorités devront découler du constat et de l'analyse élaborés par le prochain livre blanc.
On ne peut, en effet, réduire le prochain débat sur la loi de programmation milita ire à un simple débat comptable. La rareté des financements publics doit conduire plus que jamais à cerner au plus près les priorités qu'imposent les évolutions structurelles du contexte international, car les choix qui seront faits engagent le pays sur le long terme et seront, pour certains, difficilement réversibles.
Les considérations qui précèdent conduisent à préconiser une pleine intégration des enjeux maritimes dans cette analyse tant du point de vue économique que stratégique.
A. DONNER LEUR JUSTE PLACE AUX ENJEUX MARITIMES
1. Faire de la stratégie maritime un des piliers de la stratégie de défense et de sécurité
Alors que les pays émergents déploient des stratégies maritimes ambitieuses et des moyens militaires navals de plus en plus conséquents, la France a une carte à jouer dans ce déplacement des enjeux stratégiques et économiques de la terre vers la mer.
Elle dispose d'une réelle identité maritime acquise au cours des siècles. Elle possède des capacités importantes, une flotte commerciale, une flotte de pêche, une flotte de guerre, un savoir-faire et une maîtrise technologique en matière de construction, d'exploration et d'exploitation de premier plan, dans un contexte mondial marqué par la maritimisation des économies et les revendications qui en découlent.
La France est plus que jamais dépendante de la mer pour ses approvisionnements quotidiens dont la régularité est une condition du fonctionnement normal du pays et de sa prospérité.
La fluidité des échanges maritimes internationaux et, par conséquent, le respect de la liberté de circulation en mer est devenu un élément essentiel de notre sécurité.
L'épuisement des ressources terrestres la rendra plus dépendante des ressources des sous-sols marins de son domaine maritime. La mer contient, en effet, les réserves d'hydrocarbures, de ressources minérales et d'énergie renouvelables vitales à l'économie de demain.
Ce basculement de la terre vers la mer entraîne des conséquences stratégiques majeures.
La tension sur les ressources fossiles essentielles, comme le pétrole ou les métaux précieux, s'est déplacée de la terre vers la mer, faisant plus que jamais de la maîtrise des mers un élément essentiel du contexte stratégique
Une grande partie des richesses nationales et des biens nécessaires au fonctionnement normal du pays se trouve en mer. Cette richesse attise les convoitises et doit donc pouvoir être protégée quand les circonstances l'exigent.
Comme le disait, avec quelques décennies d'anticipation, le général de Gaulle en 1969 à Brest : « L'activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l'exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des Etats chercheront à la dominer pour en contrôler les ressources... ». Nous y sommes.
Cette nouvelle géopolitique des océans présente des opportunités, mais également des menaces avec le développement de la criminalité en mer et des trafics illicites, l'augmentation des acteurs en mer et du niveau de violence, mais surtout avec les risques de conflits liés à la volonté croissante des Etats de s'approprier des zones maritimes convoitées et de maîtriser les routes d'approvisionnement stratégiques.
Alors que les pays émergents sont en train de constituer des marines puissantes, les enjeux maritimes doivent donc être au centre des réflexions stratégiques du Livre blanc.
2. Valoriser les opportunités que représente la maritimisation des enjeux économiques et stratégiques pour la France
Avec 10,2 millions de km² bordant toutes les grandes puissances du monde, la France est riche du deuxième territoire maritime mondial, soit quatre fois plus grand que la mer Méditerranée, et vingt fois plus que le territoire hexagonal.
Elle devrait, en outre, pouvoir bénéficier d'une extension importante de son domaine maritime dans le cadre du processus d'extension des plateaux continentaux prévu par la convention de Montego Bay.
Si toutes les zones d'extension sollicitées lui étaient accordées par la Commission des limites du plateau continental (CLPC), il en résulterait un accroissement de plus de 1 million de km 2 , portant la superficie de ces zones à près de 13 millions de km 2 , ce qui en ferait le premier domaine sous-marin du monde.
D'un point de vue stratégique, ces territoires constituent des points d'appui opérationnels sur les trois océans de la planète, dans les deux hémisphères et jusqu'au pôle sud, sur le continent Antarctique.
La situation géographique de ces territoires permet à la France de disposer de bases de soutien logistique pour ses forces armées et de pouvoir rayonner, à partir de là, sur l'ensemble des océans, à des milliers de kilomètres de la métropole.
Avec un porte-avions et son groupe aérien embarqué, quatre bâtiments amphibies dont trois BPC, 18 frégates dont six de surveillance, 18 patrouilleurs, une force de guerre des mines, des sous-marins nucléaires d'attaque ou lanceur d'engins et une aéronautique navale complète, la Marine française porte haut la voix de la France, défend ses intérêts et son influence grâce à une grande maîtrise de ses outils et un niveau opérationnel très élevé.
Cette capacité militaire navale est une des clefs de la puissance et de l'influence de la France sur la scène internationale , comme l'a montré son rôle dans l'opération Harmattan en Libye en 2011.
Les moyens navals que possède la France sont également des instruments irremplaçables dans le domaine de la connaissance et de l'anticipation dans un monde qui se caractérise par l`incertitude et la surprise .
Leur aptitude à être déployés pendant de longs mois dans les zones d'intérêt et leurs capacités intrinsèques de recueil, de traitement des informations et de leur transmission vers la terre sont déterminantes pour l'acquisition de renseignements stratégiques ou tactiques selon le niveau de la crise.
D'un point de vue économique, alors que les ressources de l'hexagone en hydrocarbures et en minéraux sont très limitées, cet immense domaine maritime contient dans les sous-sols des ressources fossiles importantes, à l'image des hydrocarbures en Guyane dont la production est attendue en 2019 ou des terres rares en cours d'exploration à Wallis-et-Futuna
La France doit, dans la compétition internationale, valoriser ce potentiel en ressources naturelles et prendre sa place dans la course actuelle pour repérer et sécuriser des gisements potentiels de minéraux qui peuvent, compte tenu de la pénurie annoncée, s'avérer stratégiques dans quelques décennies.
La concurrence internationale et la convoitise croissante que suscitent de telles ressources nous imposent donc une présence accrue dans ces territoires.
En dehors des ressources naturelles, le vaste domaine maritime français permet de valoriser l'énergie directe de la mer avec des hydroliennes ou de l'énergie thermique des mers ou encore de produire de l'électricité utilisant la mer comme support avec les éoliennes offshore posées ou flottantes.
Ces énergies marines renouvelables constituent des marchés d'avenir dans lesquels la France dispose non seulement d'acteurs industriels majeurs, mais d'un territoire maritime propice à l'expérimentation et à l'utilisation de ces nouvelles technologies.
La maritimisation des économies est enfin une chance pour la France parce que son secteur économique maritime compte 11 fleurons et leaders maritimes mondiaux. Ce secteur représente en France autant que l'automobile et deux fois le secteur aéronautique.
Aussi les entreprises françaises figurent-elles parmi les premières entreprises mondiales dans le secteur maritime de la construction navale, mais aussi dans l'industrie off-shore, la recherche scientifique, l'armement et l'assurance ou encore la plaisance.
La France a, enfin, conservé une maîtrise nationale des technologies et des capacités de concevoir, fabriquer et soutenir les équipements nécessaires aux marines de guerre.
Soutenue par les programmes d'armement de la Marine, l'industrie navale française connaît d'importants succès à l'exportation et profite de la montée en puissance des marines des Etats émergents, même si la position majoritaire de ces industries sur les marchés exports est aujourd'hui fortement concurrencée par les entreprises asiatiques et russes.
3. Réévaluer la place des territoires ultramarins dans la définition de nos intérêts nationaux.
Les départements et territoires d'outre-mer confèrent à la France un positionnement stratégique singulier. Sa présence sur les océans d'importance majeure pour le plus grand nombre de pays la place au coeur d'organisations régionales influentes qui la confortent dans son ambition de puissance mondiale.
Les territoires d'outre-mer la rapprochent d'un arc des crises qui s'étend désormais de l'océan Atlantique à la Péninsule coréenne.
De plus, ces DOM/COM dotent notre pays des richesses minérales et halieutiques dont il aura besoin pour survivre durablement à la compétition internationale.
Il convient donc de réévaluer l'importance de ces territoires pour la communauté nationale et d'y consacrer les moyens nécessaires pour une maîtrise permanente des approches maritimes, matérialiser la souveraineté française, participer à la protection et à la sauvegarde des personnes et des biens, à la sécurité et à la sûreté maritimes, à la protection de l'environnement marin et des ressources maritimes.
Ces missions ressortissent à l'action de l'État en mer (AEM) et nécessitent le déploiement des moyens de présence en haute mer adaptés à de telles tâches.
La France n'a consacré, pour l'instant, que des moyens limités pour assurer la permanence de moyens dissuasifs dans ses territoires d'outre-mer. Les retards pris dans le renouvellement de la flotte et notamment des patrouilleurs sont en partie imputables à la sous-estimation des enjeux liés aux territoires d'outre-mer dans le précédent livre blanc. Il convient aujourd'hui d'en prendre la juste mesure.
Ces moyens et notamment les patrouilleurs ont un coût limité à la portée du budget de la Défense. Il paraît de ce point de vue nécessaire de réévaluer l'urgence des programmes d'équipement destinés à ces territoires et de cesser de repousser des investissements nécessaires.
Pour prévenir les prétentions de certains Etats sur les espaces maritimes français, il faut également y déployer à intervalle régulier des bâtiments de guerre et faire patrouiller des aéronefs militaires. Car seule une présence ostensible avec des frégates ou des avions de patrouille maritime est de nature à dissuader, contenir et anticiper des crises potentielles.
En effet, l'éloignement des territoires d'outre-mer de la métropole peut rendre plus difficile une projection rapide de renforts, tant humains que matériels, et accroître les difficultés de gestion de la crise.
Protéger les approches maritimes des territoires d'outre-mer et acquérir une connaissance exhaustive d'un si grand espace représentent une contrainte forte en raison de l'étendue des aires considérées, de leurs dispersions et de la diversité des besoins, mais un coût limité par rapport aux gains dont la communauté nationale pourrait à l'avenir bénéficier grâce à la présence de ces territoires ultra-marins.
Au-delà de la problématique stratégique et économique de ces espaces maritimes, l'avenir dépendra de la capacité à rééquilibrer les relations entre l'outre-mer et la métropole et à créer une communauté d'intérêt.