B. LA MER ABRITE ÉGALEMENT UN GISEMENT DE RESSOURCES MINÉRALES ET BIOLOGIQUES.
Les grandes évolutions industrielles sont fondées sur la disponibilité d'énergie et de minerais : le fer au 19 e siècle, l'aluminium et le cuivre au 20 e siècle, le silicium et les métaux de haute technologie depuis 20 ans.
Alors qu'aujourd'hui, des tensions croissantes apparaissent entre la disponibilité des minerais et les besoins mondiaux, les fonds sous-marins constituent un potentiel de ressources minérales considérable.
Les explorations scientifiques menées dans les grands fonds depuis une trentaine d'années ont permis d'identifier plusieurs processus géologiques et géochimiques conduisant à la concentration des métaux dans des nodules polymétalliques, des encroûtements cobaltifères et des sulfures hydrothermaux et à la genèse de ressources énergétiques potentielles originales tels que l'hydrates de méthane et l'hydrogène.
Ces découvertes ouvrent de nouvelles frontières pour la recherche et l'identification de ressources minérales et énergétiques dans les océans. De plus, ces ressources potentielles sont liées à des processus actifs sous-marins, qui n'ont pas d'équivalent en domaine aérien sur la croûte continentale.
Compositions des nodules, encroûtements et sulfures hydrothermaux
Source : Ifremer
Or ces nodules polymétalliques, amas sulfurés et hydrates de gaz naturel intéressent les industries minières du monde entier. Ils abritent notamment des « terres rares », ces dix-sept métaux essentiels aux technologies de pointe dont notre commission a déjà eu l'occasion de souligner le caractère stratégique 5 ( * ) .
Ces métaux rares, ou stratégiques ont de multiples usages dans les technologies de pointe, qu'il s'agisse des télécommunications, de l'armement, ou des énergies renouvelables .
Ainsi les aimants de précision, tout comme les éoliennes, requièrent l'utilisation de néodyme. Le galium entre dans la fabrication des billets de banque, pour en prévenir la falsification, comme dans celle des lasers utilisés par les avions de chasse de dernière génération. Le germanium est indispensable à la réalisation de systèmes de visée nocturne. L''indium et les terres rares entrent dans la fabrication des écrans plats LCD, le gallium dans les LED blanches, le germanium dans les transistors ou portables, le gallium, l'indium, le sélénium, le germanium dans les cellules solaires photovoltaïques, le lithium et le cobalt dans les batteries.
Le territoire français est dépourvu de ressources métalliques, hormis l'or de Guyane et le nickel de Nouvelle-Calédonie. Cette situation expose notre économie à une forte vulnérabilité aux aléas des marchés, tant pour les prix que pour les quantités.
Cette vulnérabilité est d'autant plus marquée que l'essor économique des pays émergents conduit à une croissance inégalée de la demande pour quasiment tous les métaux.
Les perspectives d'exploitation de ces terres rares expliquent les investissements considérables effectués ces dernières années dans le domaine de l'exploration des abysses aussi bien par la Chine, le Japon, la Russie ou la France.
Comme l'a souligné Elie Jarmache, chargé de mission « droit de la mer » auprès du secrétariat général de la mer, chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU « Au-delà des demandes d'extension des plateaux continentaux qui sont en cours, les demandes d'exploitation des grands fonds situés sur les arêtes dorsales des océans seront des enjeux stratégiques majeurs ».
Cette course à l'exploitation des ressources minières des fonds marins a conduit de nombreux pays à déposer auprès de l'autorité internationale des fonds marins (AIFM) des demandes de permis d'exploitation pour des sites situés à 1 700 mètres de profondeur dont la Chine, suivie par la Russie et la France.
Devant l'évolution rapide de la demande en matières premières minérales et l'intérêt croissant de l'industrie, l'autorité internationale des fonds marins (AIFM) a voté en 2010 un texte légiférant sur l'exploration des sulfures dans les eaux internationales.
La Chine a immédiatement déposé une demande de permis pour rechercher des minéralisations hydrothermales dans l'océan Indien. La Russie soutient un important programme d'exploration et d'inventaire des ressources minérales hydrothermales le long de la dorsale atlantique où elle vient de déposer une demande de permis auprès de l'autorité internationale des fonds marins (AIFM). Le Japon, les États-Unis et l'Allemagne prennent en compte les métaux dans leurs priorités à moyen terme.
Arêtes dorsales des océans et ressources minérales
Source : Ifremer
Or l'exploitation des grands fonds marins, hier considérée comme une perspective lointaine, est aujourd'hui entrée dans une phase d'exploitation commerciale.
A titre d'exemple la société canadienne Nautilus Inc a obtenu les droits d'exploration pour une surface totalisant quelque six cent mille kilomètres carrés, dans le Pacifique Sud-ouest (Papouasie-Nouvelle-Guinée, îles Salomon, Fidji, Vanuatu et Tonga).
Les premiers nodules polymétalliques qui devraient être produits par Nautilus Inc au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée devraient être achetés par une société chinoise Tongling Nonferrous Metals Group Co, qui vient de signer un contrat pour acquérir 1,1 million de tonnes par an pendant une période initiale de trois ans. La qualité des matières exploitée concerne notamment une teneur en cuivre, en or et en argent à une profondeur extrême de mille six cent mètres. 200
Nautilus a ainsi annoncé son intention d'y trouver des gisements d'or et de cuivre « de haute qualité » et pour une quantité estimée par la société à « 2,2 millions de tonnes de minerai, y compris une ressource de 870.000 tonnes à des taux de 6,8 pour cent en cuivre et 4,8 pour cent en or ».
Source : Nautilius
Cette société a aussi scellé, fin juillet 2011, un accord pour prospecter des eaux sur une superficie de 75.000 kilomètres carrés, situées plus à l'Est dans l'Océan Pacifique, dans la zone connue sous le nom de Clarion-Clipperton, entre les côtes mexicaines, Hawaii et la Polynésie. Pour cette zone orientale du Pacifique, la société canadienne a formé une filiale, Tonga Offshore Mining Ltd qui a signé un accord sur 15 ans avec l'Autorité Internationale des Fonds Marins. Les nodules situés dans les fonds de Clipperton sont réputés être riches en cuivre, en nickel, en manganèse et en cobalt, à des profondeurs de l'ordre de 4.500 à 6.000 mètres.
Dispositif d'extraction des nodules polymétalliques
Source : Nautilius
L'enjeu économique lié à l'exploitation de ces ressources minérales sous-marines est étroitement lié au calendrier de la raréfaction de ces métaux dans les exploitations en surface.
Comme le pétrole, les ressources minérales sont « non renouvelables ». Leur formation est plus lente que le rythme de consommation.
Selon le dernier rapport de l'Ifremer sur les ressources minérales sous-marines « Les ressources actuelles ne permettent pas à l'ensemble des habitants de la planète de revendiquer une utilisation de métaux équivalente à la moyenne de la consommation actuelle des pays riches. Les besoins de pays à fort taux de croissance, tels que la Chine et l'Inde, ne pourront pas être satisfaits par leur seule production intérieure. »
Les réserves connues pour de nombreux métaux seraient épuisées entre dix et cinquante ans, si l'on se base sur le rythme de consommation en cours.
L'accroissement prévisible de la demande, lié aux évolutions de la population mondiale et du niveau de vie des pays en développement, réduit ainsi considérablement la durée estimée pour les réserves de métaux.
Le problème devient aigu pour certains métaux si l'on se projette à trente ans comme l'illustre le tableau suivant qui classe les métaux en fonction des risques de pénurie d'approvisionnement et de l'importance économique.
Source : Ifremer
Une telle situation présente des risques importants de pénurie en cas de tension sur les marchés.
Au cours des cinq dernières années, les cours de plusieurs métaux ont ainsi augmenté de plus de 300 %. Après une chute de courte durée lors de la crise de 2008, les cours montent de nouveau continûment, ouvrant la voie à l'exploitation des grands fonds.
Exemple d'évolution des cours du cuivre au cours du XXe siècle
Source : Ifremer
Dans ce contexte de pénurie annoncée, les grands fonds le long des arrêtes dorsales des océans semblent contenir des réserves stratégiques.
Le Japon vient de publier les résultats d'une étude nationale évaluant les réserves de terres rares au fond du Pacifique à plus de 90 milliards de tonnes, alors même que les réserves terrestres prouvées sont évaluées aujourd'hui à seulement 110 millions de tonnes, pour une production annuelle de l'ordre de 150 000 tonnes en 2010.
En outre, au-delà des minerais, les mers regorgent enfin de ressources génétiques dont l'exploitation est au coeur des biotechnologies et pourrait avoir des répercussions considérables dans le domaine médical et cosmétique.
L'exploitation des richesses sous-marines n'en est qu'à ses prémices mais entraîne déjà des mouvements géopolitiques d'importance.
Comme le soulignait le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 « La croissance économique des nouvelles puissances va de pair avec celle de la consommation d'énergie, ainsi qu'un besoin accru en ressources naturelles et en matières premières stratégiques ». Il en résultera deux types de désordre : « les atteintes à la biosphère, dont le réchauffement climatique » et « la tension accrue sur les approvisionnements ».
C'est pourquoi le Livre blanc de 2008 constate que cette « surexploitation des ressources naturelles est susceptible de relancer à l'échelle mondiale des tensions, inconnues jusqu'à présent à ce degré, pour satisfaire les besoins en énergie, en eau, en nourriture et en matières premières ».
Ce que le Livre blanc de 2008 avait moins anticipé, c'est à quel point ces tensions sur les ressources se sont déplacées de la terre vers la mer, faisant plus que jamais de la maîtrise des mers un élément essentiel du contexte stratégique.
* 5 La sécurité des approvisionnements stratégiques de la France, Rapport d'information de M. Jacques BLANC, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, n° 349 (2010-2011) - 10 mars 2011