ALLOCUTION D'OUVERTURE DE M. STÉPHANE LE FOLL,
MINISTRE DE L'AGRICULTURE, DE L'AGROALIMENTAIRE ET DE LA FORÊT
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - J'excuse le Président sénateur et je salue en même temps le premier vice-président. J'ai accepté de participer à ce débat car j'estime que cet Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques est un lieu important, sur de nombreux sujets qui touchent à la science et aux technologies. Les sujets qui concernent les sciences du vivant débouchent très rapidement sur des grandes questions qui dépassent les seuls choix scientifiques mais touchent aussi aux questions éthiques.
Le débat sur les OGM en particulier n'est pas nouveau mais continue de poser des questions. Il se situe à la jonction de la science et de ses conséquences sur le vivant. Il s'agit pour moi d'un sujet majeur. Je pense qu'au-delà des choix scientifiques eux-mêmes, il est nécessaire d'organiser des débats démocratiques sur ces questions. L'arbitrage n'est en effet pas aisé. Sur la question des OGM, l'arbitrage est loin d'être fait, entre ceux qui sont profondément opposés aux organismes génétiquement modifiés et ceux qui peuvent considérer, sur la base d'études scientifiques dont vous allez discuter cet après-midi, que les doutes sont trop nombreux. Sur cette question, le débat démocratique n'est donc ni finalisé ni tout à fait mûr, ce qui ouvre le champ à des débats et à des confrontations souvent difficiles.
Voilà le cadre général. J'ai souhaité ouvrir cette réunion pour encourager les lieux de débat sur ces grandes questions scientifiques et technologiques. L'Office parlementaire doit être un tel lieu d'échanges, non seulement sur les questions scientifiques, mais également sur les questions éthiques qui sont sous-jacentes. Je le dis, les sciences du vivant sont au coeur et à la croisée des chemins. Il en résulte pour le ministre de l'agriculture, fonction que j'occupe actuellement, la nécessité d'aborder ces différents sujets avec une certaine rigueur. C'est ce qui m'a conduit, après la publication de l'étude sur le NK 603, à prendre la position que vous connaissez.
Lors du Conseil des ministres, j'ai eu le temps de lire l'article dans l'hebdomadaire qui publiait un article sur cette étude, j'ai pu en analyser la portée et en tirer une conclusion rapide. Je précise que je ne connaissais pas l'existence de cette étude à la différence d'autres responsables politiques, dont Corinne Lepage. J'ai donc pris une position qui correspondait à mes convictions profondes.
Après avoir lu cette publication, j'ai adopté dans la foulée du Conseil des ministres une position assez simple. D'abord, j'ai souhaité obtenir la validation de cette étude scientifique par l'agence concernée en France, l'ANSES. Cependant, quels que soient les résultats de cette validation, il n'en demeure pas moins que l'étude soulève des questions déjà anciennes. J'en arrive à la position qui avait été la mienne au Parlement européen il y a deux ou trois ans et qui avait été l'objet d'un débat à la fois en commission de l'agriculture, en commission de l'environnement et au Parlement à une large majorité. À l'époque, nous avions cherché à déterminer comment nous pourrions aboutir à une évolution des règles permettant aux États de décider ou non d'avoir recours aux cultures OGM, sachant qu'aujourd'hui, il n'existe pas véritablement de règle de droit en la matière, si ce n'est le recours à la clause de sauvegarde . Les États utilisant des clauses de sauvegarde sont plus nombreux que ceux qui utilisent les « sans-OGM ». Corinne Lepage et moi-même avions cherché à l'époque à travailler sur le fond de la question et à obtenir un certain nombre d'évolutions en faveur de l'instauration de règles de droit plus positives que celles qui existent aujourd'hui, dans le cadre du débat sur la directive européenne.
En particulier, nous nous étions interrogés sur les critères sur lesquels pourrait se fonder le choix de recourir ou non à la culture des OGM. Nous avions évoqué plusieurs critères, tels que celui des alternatives techniques et économiques disponibles. Je n'oublie jamais, et cela fera d'ailleurs l'objet d'un grand débat le 18 décembre, qu'il faut sortir de l'opposition entre économie et écologie, qui est réductrice et infructueuse. La dimension économique doit être un élément de la dimension écologique.
D'ailleurs, en agriculture, la question de l'écologie comprise comme la question de l'autonomie, qui est celle de la diminution des coûts et des recours aux consommations intermédiaires, doit être un élément économique du positionnement que nous devons avoir sur la question écologique liée à l'agriculture. C'est la raison pour laquelle je veux que la France soit un leader de l'agro-écologie aux échelles européenne et internationale. Notre potentiel de recherche et la compétence de nos agriculteurs nous permettent de nourrir une telle ambition.
Nous avions ainsi travaillé un certain nombre de règles de droit qui permettraient de faire évoluer le droit européen afin de mieux préciser les critères qui doivent permettre à des États de procéder à des choix stratégiques sur ces questions d'OGM.
Nous avions également évoqué à l'époque les règles d'autorisation des OGM au niveau européen. Le débat se situe en effet à l'échelle européenne. La preuve en est que, s'il est possible d'interdire la semence NK 603 en France, nous importons du maïs transgénique autorisé par l'Europe . Par conséquent, si nous ne sommes pas capables de porter le débat à l'échelle européenne, nous ne parviendrons pas à résoudre les questions qui nous sont posées. Nous devons avoir ce débat sur les règles d'autorisation. Je recherche d'ailleurs des accords de principe sur la marche à suivre avec nos partenaires européens, à ce sujet, notamment avec notre voisin allemand pour avancer dans ce domaine, à la fois sur les règles de droit et sur les règles techniques d'autorisation et, en particulier sur les fameux protocoles. Nous avions bien mesuré que, de toute façon, nous devions évoluer sur ces questions de 90 jours et au-delà de 90 jours, problématique qui a été posée par l'étude Séralini ensuite. Au demeurant, des études ont été faites au-delà de 90 jours, celle de Séralini comme d'autres. Nous voyons donc que nous devons caler nos éléments de protocole.
Au-delà de la question posée sur le maïs transgénique NK 603 et les études qui ont été réalisées sur cette semence, tout ce débat est ouvert. C'est ce que j'avais dit à la sortie du Conseil des ministres. Premièrement, nous devions saisir l'ANSES pour vérification et, deuxièmement, il y avait de toute façon des choses à changer. C'est dans cet esprit, à la fois rationnel et ouvert aux évolutions nécessaires, que le ministre de l'Agriculture français a pris la position que vous connaissez. Voilà ce que je voulais dire cet après-midi en ouvrant cette réunion de l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : il me paraît très important qu'il y ait des débats.
Vous aurez une discussion plus technique sur les questions posées par l'étude et sur les questions scientifiques dans une première table ronde, puis une deuxième table ronde essayera d'élargir le débat.
Je terminerai par une question plus large. Je pense que les organismes génétiquement modifiés qui sont mis aujourd'hui à disposition des agriculteurs ne constituent pas la bonne solution. Les agriculteurs ont accès à du matériel génétique résistant à certains herbicides ou à des évolutions génétiques résistant à certaines maladies grâce à l'introduction de pesticides. À l'aune de la révolution agro-écologique du développement durable actuellement en préparation, il ne s'agit pas, à mes yeux, de la bonne voie.
L'idée selon laquelle les OGM permettront de résoudre les grands problèmes posés par les volumes de production et le recours à un certain nombre d'intrants ou de consommations intermédiaires n'est pas la vraie solution. Elle concentre en effet les pratiques culturales sur ce qui a été fait des années durant : la sélection de quelques variétés pour les rendre les plus productives et résistantes à certains herbicides. Là n'est pas le sujet, nous devrons ouvrir d'autres perspectives, nous devrons revenir beaucoup plus à des processus agronomiques complexes et performants. Je ne souhaite pas avoir des champs de maïs à perte de vue traités avec un herbicide qui détruit la faune et la flore environnantes. Il ne s'agit pas d'un progrès. C'est la raison pour laquelle, dans le débat que nous avions eu à l'époque au Parlement européen, le choix des alternatives pour avoir au bout du compte des résultats en termes de diminution de consommations intermédiaires, de protection de l'environnement et de développement de la production était posé. J'invite tous ceux qui veulent avoir les preuves de ce que je dis à assister le 18 décembre à la conférence nationale que nous organisons autour des techniques sur les conservations des sols et autres pratiques culturales innovantes, performantes à la fois au plan économique, écologique et sanitaire . Ces techniques assurent aux agriculteurs des rendements extrêmement élevés dans des conditions de production qui leur permettent d'économiser les consommations intermédiaires.
De la recherche de l'autonomie et de la durabilité doit résulter une démarche économique. Cette relation s'exprime aussi bien sur les céréales que sur le lait par exemple. Nous sommes en capacité d'effectuer des rotations plus grandes, d'utiliser la photosynthèse plus longuement et d'alterner des productions alimentaires et non alimentaires. Ainsi, le débat sur les OGM dépasse son strict cadre en soulevant une question globale sur les modèles de développement et sur les modèles agronomiques . En nous enfermant dans le débat sur les OGM stricto sensu, nous refuserions d'ouvrir d'autres perspectives. Je ne m'enfermerai donc pas dans ce débat, et je m'efforcerai d'être le plus rationnel possible et de prendre les décisions les plus efficaces possibles. La durabilité de l'agriculture dépasse le choix de l'utilisation ou de la non-utilisation d'OGM. Elle dépend des nouveaux modèles que nous serons capables de mettre en oeuvre. Or ces modèles existent.
Le débat que vous mènerez cet après-midi est à la fois tout à fait spécifique et nécessaire. Je choisis toutefois d'ouvrir un débat plus large. Je répète par ailleurs que ma position au sujet des OGM ne change pas : nous devons nous montrer objectifs, procéder à des analyses méthodologiques et scientifiques et ouvrir un débat plus large à leur sujet. Ce débat doit porter sur la mise en oeuvre des protocoles d'autorisation ainsi que sur les études qui doivent être réalisées pour tenir compte des durées sur lesquelles les résultats s'appuient .
Voilà les questions posées. Elles sont ouvertes, elles sont à débattre. Pour le ministre de l'Agriculture, les OGM constituent un sujet important et je vais faire en sorte que nous traitions ce sujet au niveau européen assez rapidement. Toutefois, la question de la durabilité et de l'agro-écologie ne se résume pas aux OGM. Au contraire, moins nous consacrerons de temps à ce sujets , de manière isolées plus nous ouvrirons de nouvelles perspectives. Or il m'incombe de favoriser ces nouvelles perspectives, dont je sais le potentiel écologique, économique et sanitaire.
Nous devons, en outre, au lieu de segmenter les problèmes, adopter une démarche de système. Nous l'avons trop fait au niveau européen : plutôt que d'appréhender globalement les problèmes, nous rédigions des directives spécifiques sur l'eau, les sols, l'herbe et l'azote. Nous en arrivons ainsi à des absurdités : il est préférable de garder les vaches dans des stabulations tout en mettant des prairies permanentes, sachant que si les vaches sont dans des stabulations, elles ne seront plus dans les prairies !
Ainsi, l'enjeu réside dans la dimension systémique de notre approche. Je voulais le dire en introduction. Je ne doute pas que les participants extrêmement compétents qui sont ici présents sauront clarifier toutes les questions qui sont posées. Vous pouvez en tous les cas compter sur le ministre de l'Agriculture pour ouvrir les perspectives que je viens d'indiquer.
Merci et bon travail.