III. UN DEGRÉ DE COLLÉGIALITÉ DÉTERMINANT DANS LA CAPACITÉ DES UNIVERSITÉS À FAIRE PRÉVALOIR L'INTÉRÊT GÉNÉRAL DE L'ÉTABLISSEMENT

A. LE LENT APPRENTISSAGE DE LA GOUVERNANCE OPÉRATIONNELLE

1. Des conseils élus centraux qui ont eu du mal à s'imposer dans leurs rôles respectifs
a) La multiplication d'instances formelles et informelles destinées à organiser la concertation en amont du processus décisionnel

L'architecture institutionnelle de la loi Savary de 1984 a globalement été conservée par la loi LRU qui a, cependant, clairement défini le rôle des différents conseils élus. Le conseil scientifique (CS) et le conseil des études et de la vie universitaire (CEVU) ont ainsi été cantonnés à un rôle purement consultatif : leur pouvoir de proposition d'orientations en direction du conseil d'administration de l'université a été remplacé par une simple faculté d'émettre des voeux. Ce cadre a été conçu pour faire du conseil d'administration le seul organe délibératif chargé d'élaborer la stratégie à poursuivre en déterminant la politique de l'établissement. Ce positionnement qui concentre de fait les pouvoirs entre les mains du conseil d'administration et du président limite les rôles respectifs du CS et du CEVU, rend leurs travaux moins intéressants et donc les fragilise.

Le pouvoir décisionnel du président et du conseil d'administration perd en pertinence dès que ce dernier doit cumuler analyse, consultation et association des parties prenantes, et décision . De l'avis de l'ensemble des personnalités auditionnées par vos rapporteurs, il n'est pas possible au conseil d'administration, compte tenu de sa composition et du rythme de ses réunions, de traiter en profondeur tous les sujets de mise en oeuvre des missions de l'université.

Une période d'apprentissage et de « rodage » dans le fonctionnement du conseil d'administration s'est avérée nécessaire, afin de prévenir autant que faire se peut les réunions fleuves qui finissent par décourager les bonnes volontés. Les séances du conseil d'administration donnent lieu, en règle générale, à des travaux préparatoires des services centraux de l'université en coopération avec l'équipe du président de l'université, en particulier les services financiers et comptables et les services des ressources humaines en vue de la planification du pilotage budgétaire et financier.

Les représentants des organisations syndicales et des associations étudiantes regrettent leur insuffisante participation à ces travaux préparatoires en amont des réunions du conseil d'administration, qui, de fait, est de plus en plus perçu comme une simple chambre d'enregistrement des décisions élaborées préalablement par les équipes du président. Les principes de collégialité et de démocratie de la gouvernance ont été perçus comme affaiblis.

L'ensemble des membres du conseil d'administration ne sont pas toujours en mesure de cerner les enjeux stratégiques qu'emportent les votes majeurs prévus à l'ordre du jour de ses réunions. Les séances tombent alors trop souvent dans l'écueil d'une technique administrative qui ne devrait pas avoir sa place au sein d'un organe délibératif. Pour un certain nombre de représentants des organisations syndicales, des associations étudiantes et des représentants de composantes, les CS et CEVU s'imposent comme les lieux légitimes de préparation en amont des choix stratégiques du conseil d'administration et même comme les lieux d'émergence des décisions à prendre.

Fonctionnellement, la pratique a montré que, dans la majorité des cas, les conseils élus s'appuient sur des commissions ad hoc en fonction des analyses à conduire en amont de la prise de décision politique. Ils produisent des éléments d'aide à la décision sous forme d'état des lieux, d'hypothèses d'allocation de ressources (toute décision politique étant pour une de ses facettes une décision d'allocation de ressources entre des structures ou des projets), de choix optimal selon le conseil, et un rendu des points de vue et débats de manière à pouvoir témoigner devant le CA des problématiques envisagées et de la légitimité de la proposition de décision.

La loi LRU ne l'ayant pas prévu, l'organisation de ces commissions ou comités ad hoc échappe en général à des règles formalisées dans les statuts de l'université. Il revient alors au président de l'université, en conseil d'administration et à ses vice-présidents, d'organiser le rapport par le président du conseil consultatif - CEVU ou CS -, de ces éléments de manière, non à supprimer tout débat en conseil d'administration, mais à le concentrer sur la délibération éclairée, ou sur une vérification de la cohérence entre les décisions proposées et la mise en oeuvre du projet d'établissement, toujours à actualiser dans un contexte de développement et de partenariats en évolution recherchée et dans un contexte de ressources contraintes.

À titre d'exemple, l'université d'Angers a organisé son processus de concertation préalablement à la prise de décision politique en conseil d'administration autour de trois instances : un comité restreint (réunissant le président, les trois vice-présidents statutaires et le directeur général des services), un comité de direction (réunissant le président, l'ensemble des vice-présidents et le directeur général des services) et un conseil de gouvernance (réunissant le président, les vice-présidents, les directeurs de composante, l'agent comptable, un représentant BIATSS et le directeur général des services).

Ces instances sont accueillies d'autant plus favorablement par la communauté universitaire qu'elles ont été constituées en toute transparence ou ont même fait l'objet d'une inscription dans les statuts de l'université. Bien qu'il semble naturel qu'ils soient constitués à l'initiative du président, il n'est pas surprenant que les comités d'orientation stratégique ad hoc , si utiles qu'ils soient sur le fond, suscitent la méfiance lorsque leur réunion et leur composition ne font l'objet d'aucune mesure de publicité et de transparence.

b) Des conseils d'administration parfois insuffisamment stratégiques

On constate, aujourd'hui, que les conseils d'administration des universités se trouvent encombrés, dans leur ordre du jour, par des problématiques de gestion courante et ne peuvent se concentrer utilement sur leur mission stratégique principale. Certains sujets mériteraient sans doute d'être traités en amont par les conseils les plus experts en la matière (CS pour les problématiques de recherche, CEVU s'agissant des formations et de la vie étudiante), avant de faire l'objet d'une validation (au moins budgétaire) par le conseil d'administration.

Vos rapporteurs rappellent, à ce titre, que l'autonomie ne doit pas être confondue avec l'autogestion. Or, on observe, en raison sans doute de la politisation croissante des élections internes , de plus en plus de situations dans lesquelles les élus au conseil d'administration entendent fixer les objectifs et en assurer eux-mêmes la réalisation 36 ( * ) . Dans ces conditions, les intérêts catégoriels ont tendance à prévaloir sur l'intérêt général de l'université , en particulier lorsque des sujets de gestion courante sont abordés, aux dépens de la mission de direction stratégique du conseil d'administration.

Certaines universités ont fait le choix, en pratique, d'accorder aux conseils consultatifs un rôle plus significatif que ne l'avait laissé entendre la loi LRU. L'approfondissement en amont par ces conseils de dossiers thématiques a facilité l'émergence de positions de consensus et a permis au conseil d'administration de se concentrer sur sa mission stratégique, en générant des débats moins techniques, plus transversaux, dont les contours sont généralement mieux maîtrisés par les administrateurs représentant la communauté universitaire et les partenaires extérieurs (collectivités territoriales, représentants socio-économiques...). La capacité des CS et CEVU à présenter des décisions consensuelles sur des questions plus thématiques sur lesquelles ils exercent une certaine autorité morale, plaide pour la reconnaissance d'un pouvoir délibératif limité à des sujets sectoriels.

À l'occasion de leurs déplacements en université, vos rapporteurs ont pu constater que les représentants de chaque conseil ont insisté sur la nécessité, en cas de renforcement des prérogatives des CS et CEVU, de ne pas déposséder le conseil d'administration de son rôle de pilotage stratégique .

Le rapport final des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche préconise un renforcement des prérogatives du CS et du CEVU, en leur attribuant un pouvoir décisionnel sur tout ce qui relève de la mise en oeuvre des politiques scientifique et pédagogique, respectivement, à l'intérieur d'un cadre stratégique et budgétaire fixé par le conseil d'administration. Est également recommandé l'instauration d'un dialogue formalisé entre le conseil d'administration et ces instances et une procédure paritaire pour traiter les désaccords éventuels. Ces préconisations relèvent d'une observation objective des pratiques pointues initiées par des équipes dirigeantes au-delà du cadre de la loi LRU.

2. La représentativité des membres des conseils : un élément fondamental pour la légitimité de la gouvernance

Le resserrement du nombre de membres du conseil d'administration et les modifications du poids relatif des différents collèges opérés par la loi LRU, au travers de l'article L. 712-3 du code de l'éducation, ont eu un impact non négligeable sur la représentativité de cette instance et, par conséquent, sur le degré d'acceptation de ses décisions par la communauté de l'établissement.

a) Des règles électorales complexes à l'origine de situations de blocage

Les organisations syndicales ont dénoncé les effets délétères de la sectorisation sur la constitution des listes pour l'élection des représentants des enseignants-chercheurs au conseil d'administration. Depuis la loi LRU, le principe de la sectorisation veut que « chaque liste assure la représentation des grands secteurs de formation enseignés dans l'université concernée, à savoir les disciplines juridiques, économiques et de gestion, les lettres et sciences humaines et sociales, les sciences et technologies et les disciplines de santé ». Toutefois, les modalités de répartition des électeurs dans les différents collèges électoraux ont pu rendre délicate la structuration des listes.

En définissant quatre grands secteurs de formation et en imposant aux listes de candidats dans les collèges A (professeurs des universités et assimilés) et B (maîtres de conférence et assimilés) la représentation de tous les secteurs de formation enseignés dans l'université (dans le collège des étudiants, au moins deux des grands secteurs doivent être représentés sur les listes de candidats), le législateur a voulu éviter le risque d'un monopole disciplinaire au sein du conseil d'administration . Ce faisant, ce dispositif, très contraignant pour la constitution des listes de candidats dans les collèges A et B n'a pas permis, dans certaines situations, la réunion d'enseignants autour d'un projet.

Ainsi, dans certains établissements, des listes de candidats n'ont pas réussi à se constituer de manière conforme aux dispositions de la loi, faute, par exemple, de candidat issu du secteur représentant les disciplines de santé. Ceci a pu conduire à organiser une élection avec une seule liste recevable dans un collège donné, ce qui porte évidemment atteinte au pluralisme. D'une manière générale, il est arrivé que le faible nombre de professeurs des universités relevant d'un grand secteur de formation, pourtant bien présent dans l'université, pose de sérieuses difficultés dans la constitution des listes. Citons l'exemple de l'université d'Artois : compte tenu de la présence de seulement six professeurs, il n'a pas été techniquement possible de déposer trois listes distinctes aux trois conseils.

Cette impossibilité numérique se rencontre surtout au niveau des filières d'économie, de gestion et de santé. Le Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP) estime à environ un quart du total des universités le nombre d'établissements ayant rencontré des problèmes d'effectifs dans la constitution de leurs listes. La question s'est même posée de savoir si, faute de représentants dans certains secteurs, il était possible d'autoriser la constitution de listes incomplètes.

Au demeurant, un élu du conseil d'administration doit, à ce titre, défendre un projet pour l'intérêt de l'établissement . Il n'a pas vocation à représenter les intérêts particuliers de sa discipline ou de son grand secteur de formation. S'est ainsi posée la question de l'opportunité et de la faisabilité juridique de la réunion dans un seul collège des représentants des corps d'enseignants-chercheurs, qui contribuerait à faciliter la constitution d'une équipe de direction cohérente ou la réunion de personnalités autour d'un projet commun. Rappelons qu'une telle réunion autour d'un projet est rendue possible par le cinquième alinéa de l'article L.719-1 du code de l'éducation dans le respect des collèges distincts. Sa mise en oeuvre est toutefois suspendue à une évolution de la jurisprudence du conseil constitutionnel sur le principe d'indépendance des professeurs d'université 37 ( * ) , à l'occasion de l'exercice du contrôle de constitutionnalité d'une prochaine disposition législative.

En outre, dans nombre d'établissements, il est apparu que la prime majoritaire , prévue par les dispositions de l'article L. 719-1 du code de l'éducation, attribuée dans chacun des collèges de personnels enseignants-chercheurs et enseignants au conseil d'administration à la liste arrivée en tête aux élections aurait pu être à l'origine de situations de blocage lorsque des listes « concurrentes » recueillaient une majorité de suffrages dans le collège correspondant. L'élection du président s'est trouvée ainsi neutralisée et ce sont les voix des représentants des personnels BIATSS (personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques) et des étudiants qui ont permis au final au candidat élu de recueillir la majorité absolue, parfois à l'issue d'une distribution négociée, « marchandée » aux yeux de certains, de postes clé.

Par ailleurs, la liste arrivée en tête dans un collège participe également à la répartition des sièges restants à la représentation proportionnelle au plus fort reste , ce qui renforce encore sa représentation au conseil d'administration au détriment des autres listes. Il est parfois arrivé que cette liste n'avait en réalité que quelques voix d'avance sur les autres listes, voire une seule, situation qui a été à l'origine de nombreux recours et qui a évidemment conduit à un blocage du dialogue et à des antagonismes persistants au sein des conseils .

b) Un mode de désignation du président et des personnalités extérieures mis en doute

Le mode de désignation actuel du président de l'université, issu des membres du conseil d'administration ayant la qualité d'enseignant-chercheur, avait pour objectif, dans l'esprit de la loi du 10 août 2007, d'assurer la mise en place d'une véritable équipe de direction et de renforcer sa légitimité au sein du conseil d'administration. Dans le schéma existant, les personnalités extérieures ne participent pas à l'élection du président, ce droit étant réservé aux seuls membres élus du conseil d'administration, sans condition de nationalité.

Aussi bien les rapports successifs du comité de suivi de la loi LRU que le rapport final des Assises ont préconisé l'élection du président par la totalité des membres du conseil d'administration, y compris les personnalités extérieures, voire par la réunion de l'ensemble des trois conseils élus. Le principe de la participation des personnalités extérieures à l'élection du président figure dans le prochain projet de loi sur l'enseignement supérieur, malgré les réticences de la CPU.

En effet, les présidents d'université restent attachés à leurs prérogatives dans la sélection des personnalités extérieures qui, hormis en ce qui concerne les représentants des collectivités territoriales, fait l'objet d'une validation par le conseil d'administration, en dernier ressort. Ils considèrent que ce mode de désignation assure une sélection de personnalités prêtes à s'investir dans la vie de l'établissement, autour d'un projet porté par le chef d'établissement. À l'appui de son argumentation, la CPU fait référence à une enquête menée sur un échantillon d'établissements en 2012 qui montre que la présence physique des personnalités extérieures aux réunions du conseil d'administration est de l'ordre de 40 % en moyenne, mais de 27 % seulement pour les représentants désignés par les collectivités territoriales. La CPU en conclut que le taux de participation des personnalités extérieures est beaucoup plus fort lorsque ces personnes sont choisies par le président et son conseil d'administration.

Cette enquête ne renseigne toutefois pas sur les appréciations des absentéistes, qui expriment par ailleurs une vraie lassitude à participer à des conseils d'administration trop longs, confus, traversés de rivalités, où ils seraient observés comme élément de majorité.

Certaines organisations étudiantes sont, pour leur part, également réticentes à l'idée d'une participation des personnalités extérieures à l'élection du président, en craignant un amoindrissement du poids relatif de leurs membres élus . D'autres associations étudiantes rappellent que le mode actuel de désignation du président a pu conduire à la constitution de coalitions majoritaires étriquées impliquant, dans certains cas, des « marchandages » entre listes catégorielles. Le risque d'ingérence des présidents d'université sur les campagnes électorales des organisations étudiantes a été dénoncé à plusieurs reprises.

Vos rapporteurs ont le sentiment que l'assiduité des personnalités extérieures tient moins à leur mode de désignation qu'au contenu de l'ordre du jour et à la durée envisagée des délibérations du conseil. Lorsque des débats stratégiques ont été clairement identifiés, sur la base de documents préparatoires pertinents, les personnalités extérieures sont certainement plus disposées à participer à des réunions pour lesquelles elles se sentent concernées et auront plaisir à partager leurs expériences et leurs points de vue.

La participation des personnalités extérieures à l'élection du président suppose la révision de leur mode de désignation. Sur ce sujet, les propositions ont été foison, et il reviendra au législateur, en dernier ressort, de se prononcer sur le mode de désignation le plus pertinent. En tout état de cause, il importe de distinguer les personnalités extérieures représentant une institution (collectivité territoriale, organisme de recherche, alliance scientifique...) de celles qui pourraient être nommées ou proposées, en raison de leurs compétences personnelles et de leur engagement en matière d'enseignement supérieur, de recherche ou d'innovation.

c) La parité, grande oubliée de la mise en oeuvre de la loi LRU

Avant le renouvellement des conseils d'administration d'université au printemps 2012, seulement onze femmes assuraient les fonctions de présidente d'université, sur quelques 80 universités. Cette faible féminisation a encore significativement reculé à la suite des élections d'avril 2012.

Les présidents d'université se recrutent essentiellement parmi les professeurs. Or, les femmes ne constituent que 20 % des professeurs, contre 41,5 % des maîtres de conférences .

Dans une motion adoptée le 23 juin 2011, la CPU avait interpelé le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la nécessité pour « les universités [de] se dot [er] de conseils proches de la parité », avec « des listes comprenant des femmes et des hommes en position alternée pour les élections aux trois conseils centraux ». Elle avait ainsi enjoint au ministère de s'inspirer utilement des orientations de la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, en modifiant le décret électoral. Rien n'a été fait en ce sens.

Même si la loi LRU ne comportait pas de dispositions expresses en faveur de la féminisation des instances dirigeantes des universités et du respect de la parité, c'est un oubli coupable au regard de la révision constitutionnelle de 1999 et des réformes législatives intervenues depuis lors en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Par ailleurs, c'est un manquement grave à la mission d'exemplarité que doivent assumer les établissements d'enseignement supérieur vis-à-vis des générations montantes, révélant une capacité dangereuse de reproduction des schémas dominants, au détriment de la progression sociale et culturelle.


* 36 FEILDEL, Jean-Hyppolyte, « Universités : premier bilan de l'autonomie », in Société civile , n° 123, avril 2012.

* 37 Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984.

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