B. LA PRÉVENTION, MISSION NATURELLE DES FÉDÉRATIONS

1. Une responsabilité inscrite parmi les obligations des fédérations

L'article L. 230-1 du code du sport prévoit que « le ministre chargé des sports, en liaison avec les autres ministres et organismes intéressés, engage et coordonne les actions de prévention, de surveillance médicale, de recherche et d'éducation mises en oeuvre avec le concours, notamment, des fédérations sportives agréées dans les conditions définies à l'article L. 131-8, pour assurer la protection de la santé des sportifs et lutter contre le dopage ». Ainsi, les fédérations sportives, pilier du mouvement sportif, sont considérées comme les premiers auxiliaires de l'État dans sa politique de prévention du dopage , ce que confirme l'article L. 231-5 (voir encadré ci-après).

Article L. 231-5 du code du sport

« Les fédérations sportives veillent à la santé de leurs licenciés et prennent à cet effet les dispositions nécessaires, notamment en ce qui concerne les programmes d'entraînement et le calendrier des compétitions et manifestations sportives qu'elles organisent ou qu'elles autorisent.

« Elles développent auprès des licenciés et de leur encadrement une information de prévention contre l'utilisation des substances et procédés dopants avec l'appui des antennes médicales de prévention du dopage.

« Les programmes de formation destinés aux cadres professionnels et bénévoles qui interviennent dans les fédérations sportives, les clubs, les établissements d'activités physiques et sportives et les écoles de sport comprennent des actions de prévention contre l'utilisation des substances et procédés dopants ».

Comme l'a rappelé Marie-George Buffet devant votre commission d'enquête « le ministère dispose de tous les instruments nécessaires. Quand j'ai vu que je ne pouvais plus intervenir de manière douce face, à l'époque, à la fédération d'haltérophilie, je leur ai enlevé l'agrément . C'est une arme atomique ! Il a fallu que la fédération se reconstruise club par club... » 198 ( * ) .

Sans aller jusqu'au retrait de l'agrément, le ministère dispose d'un outil financier important à travers les conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens , éléments structurants du dialogue entre l'État et les fédérations. Ces conventions fixent et financent les actions mises en oeuvre par ces dernières en matière de prévention et de protection de la santé. Comme il a été mentionné précédemment, le ministère dispose d'une enveloppe d'environ 6 millions d'euros pour financer le volet médical des conventions d'objectifs . Ce volet préventif s'organise autour de deux principales orientations :

- la mise en oeuvre de projets spécifiques en matière de prévention du dopage ou de promotion de la santé, conformément à l'article L. 231-5 du code du sport ;

- la surveillance médicale réglementaire (SMR) , prévue par l'article L. 231-6 du code du sport.

2. Un rôle essentiel de promotion de la santé par le sport

La mission de prévention contre le dopage des fédérations se déduit naturellement de leur mission première de promotion de leur discipline et de promotion de la santé par l'exercice de leur sport . Pour conserver leur réputation et leur attractivité, notamment auprès du grand public, il est essentiel pour les fédérations que leur sport soit assimilé à la protection de la santé, message incompatible avec le dopage.

Malgré ce rôle « naturel » en matière de prévention, on constate une implication inégale des fédérations . Certaines fédérations, ne s'estimant pas touchées par le phénomène du dopage, sont peu enclines à la mise en oeuvre de ce type de projets. Ainsi, David Douillet, ancien ministre des sports, a regretté devant votre commission que « d'aucuns se disent, parfois à juste titre, que le problème ne se pose pas ou guère dans leur fédération . Ils en concluent qu'il est inutile de dépenser de l'argent à cela et préfèrent aider les clubs » 199 ( * ) .

Certaines actions méritent cependant d'être soulignées, comme la campagne « Athlé-santé » de la fédération française d'athlétisme consistant, comme l'a exposé Bernard Amsalem devant votre commission, à « diversifier la pratique de l'athlétisme en l'utilisant pour faire de la prévention auprès des personnes peu sportives ou pour accompagner des personnes malades » 200 ( * ) .

Les fédérations peuvent s'appuyer, dans leur mission de sensibilisation et de prévention, sur les outils fournis par le comité national olympique . Alain Calmat a ainsi indiqué à votre commission que « la commission médicale du CNOSF participe à des actions de prévention et de formation. Des outils régulièrement mis à jour, comme la mallette « le sport pour la santé », sont à la disposition de toutes les structures sportives et territoriales. Chaque année, le CNOSF organise un colloque national rassemblant l'ensemble des acteurs concernés par la lutte contre le dopage » 201 ( * ) . De plus, le CNOSF a mis en place un système d' e-learning sur la lutte contre le dopage, à destination des sportifs et de leur entourage, notamment médical.

3. La surveillance médicale réglementaire, une prévention contre le dopage qui ne dit pas son nom

Introduit par la loi Buffet précitée de 1999, la surveillance médicale réglementaire (ou « suivi longitudinal ») est régie par l'article L. 231-6 du code du sport et s'impose à toutes les fédérations agréées pour le suivi de leurs sportifs de haut niveau et des sportifs « Espoirs » .

Un arrêté des ministres chargés de la santé et des sports définit la nature et la périodicité des examens médicaux, qui sont communs à toutes les disciplines sportives 202 ( * ) .

En pratique, la SMR comprend principalement, une ou plusieurs fois par an, des examens biométriques, un électrocardiogramme, une prise de tension artérielle, un test d'effort, ainsi que des analyses urinaires et un bilan biologique . Sont également prévus des entretiens nutritionnels et, dans certains cas, un rendez-vous avec un psychologue .

La SMR est assurée par un médecin coordonnateur , agréé par la fédération, sous la responsabilité du médecin fédéral. Généralement, les plateaux techniques utilisés sont harmonisés au sein de la fédération afin d'assurer la comparabilité des examens réalisés.

D'après les informations transmises à votre commission d'enquête, en 2012, environ 77 % des sportifs de haut niveau avaient rempli en intégralité leurs obligations de suivi . Cette proportion s'établit à 82 % pour les sportifs inscrits sur les listes « Espoirs » .

À titre d'exemple, la SMR représente, pour la fédération française de rugby, un coût annuel total d'environ 782 500 euros pour 1 020 joueurs, 206 joueurs Espoirs et 339 joueurs en formation. Le coût moyen annuel par joueur s'établit à environ 500 euros 203 ( * ) .

L'objectif premier et affiché de la SMR est la protection de la santé du sportif : la surveillance médicale s'apparente en ce sens à une version renforcée de la visite médicale du droit du travail.

Pourtant, la SMR est également un outil de prévention du dopage - voire, à certains égards, déjà de contrôle antidopage . Du reste, son transfert depuis le code de la santé publique où elle était précédemment inscrite (ancien article L. 3621-2) vers le titre III « Santé des sportifs et lutte contre le dopage » du code du sport, à la faveur de l'ordonnance du 12 mars 2007, témoigne déjà de la reconnaissance du rôle de la SMR en matière de prévention contre le dopage.

Ce rôle de prévention contre le dopage se traduit notamment par la possibilité, donnée par l'article L. 231-3 du code du sport au médecin coordonnateur du suivi, d'établir un certificat de contre-indication à la participation aux compétitions sportives au vu des résultats de cette surveillance médicale .

Les auditions réalisées par votre commission ont confirmé la réalité de cette pratique, à la frontière entre prévention et contrôle. Ainsi Armand Mégret, médecin fédéral de la fédération française de cyclisme, a souligné devant votre commission que « les contre-indications médicales sont à effet immédiat. Parce qu'une cortisolémie basse représente un risque sanitaire, que la prise de corticoïde ait été licite ou non, c'est un no-start pour le coureur » 204 ( * ) . D'après les informations recueillies par votre rapporteur, en 2012, dans le seul cyclisme, environ 200 anomalies ont été détectées, qui ont donné lieu à environ quatre-vingt contre-indications.

Les directeurs techniques nationaux, pas plus que les présidents de fédération, ne sont associés à cette décision, qui procède uniquement du médecin fédéral. En revanche, ils en sont informés pour en tirer les conséquences quant à la définition de la sélection nationale.

Bernard Amsalem, président de la fédération française d'athlétisme, a ainsi donné l'exemple d'un marathonien « suspendu par la fédération française non pour raison de dopage, mais dans le cadre du suivi médical : le médecin de la fédération, qui a observé des irrégularités sur les paramètres et sans me préciser exactement ce qu'il en était - en l'occurrence, nous avons des suspicions de dopage -, nous a demandé de le suspendre, ce que nous avons fait » 205 ( * ) .

Cela conduit d'ailleurs Bernard Amsalem à s'interroger « de façon générale sur le suivi médical réglementaire. Le code du sport indique qu'il s'agit d'un suivi de la santé des athlètes. Or, nous l'utilisons comme un moyen de prévention du dopage, pour traquer les tricheurs , la recherche de pathologies étant secondaire. Il y a donc une certaine hypocrisie dans ce système et il conviendrait de clarifier les choses » 206 ( * ) .

À défaut d'hypocrisie, il y a, à tout le moins, une certaine ambiguïté dans ce suivi médical qui conduit à ce que des médecins fédéraux, responsables de la SMR, considèrent, à l'instar d'Armand Mégret 207 ( * ) , que leur action ne s'inscrit pas dans la lutte antidopage, quand bien même les décisions qu'ils prennent conduisent à des interdictions de concourir ( no-starts ).

En conséquence, votre rapporteur estime qu'il convient d'intégrer clairement la SMR parmi les outils de prévention du dopage , tout en lui conservant sa fonction de protection de la santé des sportifs. Il faut rompre l'étanchéité, mise en exergue par certains pour ne pas s'impliquer davantage dans la lutte contre le dopage, entre protection de la santé et lutte contre le dopage. Outre une redéfinition des objectifs de la SMR, il conviendrait de permettre l'exploitation de ses résultats dans le cadre du profilage biologique .

Proposition n° 20 Rattacher clairement la SMR à la prévention du dopage, en transmettant les résultats
au département des contrôles de l'AFLD et en permettant à ces résultats d'alimenter
le passeport biologique

4. Un contrôle insuffisant des calendriers des compétitions

Plusieurs personnes auditionnées par votre commission ont souligné que l'intensité des calendriers sportifs pouvait être un facteur de dopage 208 ( * ) . En particulier, dans les sports collectifs, la combinaison des matchs de ligue nationale, de ligue européenne ou internationale, de championnat national, ainsi que les matchs internationaux pour les sportifs de la sélection nationale, conduit à un rythme de compétition très soutenu.

À cela, s'ajoute l'augmentation du temps de jeu effectif dans beaucoup de sports professionnels. C'est notamment le cas au rugby, comme l'a souligné Bernard Laporte : « aujourd'hui, un match de haut niveau, c'est 40 minutes de jeu effectif, contre 20 à 23 minutes à mon époque » 209 ( * ) . Cette évolution, liée à la médiatisation croissante du sport, résulte à la fois d'un changement des pratiques et, parfois, d'une modification des règles du jeu : ainsi la fédération internationale de tennis a-t-elle, en 2012, imposé de nouvelles règles limitant les temps de pause entre les points, de manière à accélérer le rythme des épreuves.

Il s'agit là d'un contexte global qui peut, dans certains cas, être propice à l'apparition du dopage, afin de mieux récupérer entre les matchs ou d'en supporter l'intensité.

En conséquence, une politique active de prévention du dopage devrait également comprendre un contrôle sur les calendriers sportifs . Comme le souligne Patrice Clerc, « on dispose des clés d'un sport si l'on maîtrise le calendrier et les participants » 210 ( * ) . Marc Sanson propose ainsi d'« établir un plafond de pratiques pour les sportifs professionnels , afin d'éviter le dopage ou rendre possible la pratique sportive sans assistance médicamenteuse » 211 ( * ) .

La possibilité d'établir un tel plafond est certes entravée par le fait qu'aucune instance nationale n'a la main sur l'ensemble du calendrier auquel sont soumis les sportifs internationaux. Cependant, les compétitions autorisées par la fédération française et organisées par la ligue représentant l'essentiel de ce calendrier, votre rapporteur estime que la fédération et la ligue devraient jouer un rôle plus important en matière de contrôle du calendrier.

Aujourd'hui, aux termes de l'article L. 231-5 du code du sport, « les fédérations sportives veillent à la santé de leurs licenciés et prennent à cet effet les dispositions nécessaires, notamment en ce qui concerne les programmes d'entraînement et le calendrier des compétitions et manifestations sportives qu'elles organisent ou qu'elles autorisent ». Cette disposition devrait être renforcée de deux manières.

Tout d'abord, le calendrier des manifestations, comprenant également la durée des périodes de repos, devrait être transmis au ministère des sports et validé par ce dernier au regard des risques pour la santé des sportifs . Il serait ainsi possible d'imposer une période plus longue de préparation physique avant le début de la compétition. C'est le sens des propos tenus par Felipe Contepomi, joueur professionnel de rugby, devant votre commission : « le calendrier est long, mais si à tout le moins la préparation était adaptée, on pourrait faire en sorte que les joueurs puissent s'y adapter. Le problème en France est, pour les internationaux, que la saison finit à la fin du mois de juin et reprend à la mi-août. Provale demande quatre semaines de congés successives et les quinze jours qui restent ne peuvent pas suffire à disposer d'une préparation adaptée pour jouer dix mois. À la rigueur, on peut tenir deux ou trois saisons à ce rythme, mais en aucun cas on peut s'améliorer physiquement dans ces conditions ! » 212 ( * ) .

Par ailleurs, il convient d' impliquer davantage les acteurs du sport professionnel , en particulier les ligues et les clubs, dans la prévention du dopage. De ce point de vue, la section 2 du chapitre 1 er du titre III du code du sport devrait être intitulée « Rôle des fédérations sportives et des ligues professionnelles », d'autant plus que les ligues professionnelles établissent le calendrier de leurs compétitions.

Définir réglementairement une durée maximale de pratique compétitive par sportif semble difficilement praticable : elle devrait être différente selon les sports, mais aussi selon les catégories de sportifs et les sportifs eux-mêmes. En conséquence, votre rapporteur estime qu'il conviendrait plutôt d'insérer dans le code du sport un article de principe , à charge pour le juge d'en apprécier l'application au cas par cas dans le cadre d'une requête.

Un tel article prévoirait que les clubs employeurs veillent à ce que le temps de jeu du sportif soit compatible avec la protection de sa santé . Outre son rôle de responsabilisation du milieu professionnel, cet article aurait ainsi pour objet d'offrir aux sportifs professionnels ou à leur syndicat, mais aussi, le cas échéant, au ministère des sports, une possibilité de contester les rythmes ainsi imposés . Les ligues seraient ainsi incitées à prévoir, dans leurs règlements, un nombre maximum de rencontres jouées par les sportifs participant à leurs compétitions .

Proposition n° 21 Instaurer une procédure de validation des calendriers sportifs par le ministère
sur la base des risques pesant sur la santé des sportifs

Proposition n° 22 Insérer un nouvel article dans le code du sport prévoyant un « droit au repos » pour les joueurs, que pourraient faire valoir devant le juge les sportifs, leurs syndicats ou les autorités publiques


* 198 Audition du 20 mars 2013.

* 199 Audition du 14 mars 2013.

* 200 Audition du 18 avril 2013.

* 201 Audition du 3 avril 2013.

* 202 Arrêté du 11 février 2004 fixant la nature et la périodicité des examens médicaux prévus aux articles L. 3621-2 et R. 3621-3 du code de la santé publique, modifié par l'arrêté du 28 février 2008 relatif aux dispositions réglementaires du code du sport.

* 203 Documents transmis par la fédération française de rugby.

* 204 Audition du 28 mars 2013.

* 205 Audition du 18 avril 2013.

* 206 Idem.

* 207 Voir l'audition du 28 mars 2013.

* 208 Voir par exemple l'audition de Stéphane Mandard, journaliste au Monde , le 3 avril 2013 : « On veut des matchs de haute qualité tous les trois jours : pour éviter que les sportifs ne se dopent, il faudrait prévoir une réforme des rythmes et des calendriers ».

* 209 Audition du 10 avril 2013.

* 210 Audition du 17 avril 2013.

* 211 Audition du 20 mars 2013.

* 212 Audition du 18 avril 2013.

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