TRAVAUX DE LA COMMISSION
Audition de M. Yves Barou, président de l'Association nationale
pour
la formation professionnelle des adultes (AFPA)
(mercredi 10 octobre
2012)
Mme Annie David, présidente . - Après la démission de votre prédécesseur, Jean-Luc Vergne, les difficultés auxquelles est confrontée l'AFPA ont occupé le devant de la scène : difficultés financières mais aussi de fonctionnement, problèmes liés aux appels d'offre et à la restructuration de l'association. C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre. Peut-être pourriez-vous nous présenter votre parcours et votre projet pour l'AFPA avant que nous ne vous posions des questions.
M. Yves Barou, président de l'AFPA . - Je suis avant tout un homme d'entreprise. J'ai consacré ma vie à l'emploi, y compris dans les cabinets ministériels où je suis passé. J'ai beaucoup travaillé aux Etats-Unis, en France et en Afrique, dans mes fonctions successives, qui ont touché au marketing, à la communication et aux ressources humaines à Rhône-Poulenc-Rorer, devenu Sanofi, puis à Thomson-CSF, devenu Thalès, où j'ai fini directeur adjoint. Depuis que je suis en retraite, j'ai créé un think-tank européen de DRH, convaincu qu'il fallait être plus présents à Bruxelles et nouer des relations plus étroites avec nos homologues allemands. Je suis également conseiller social du fonds stratégique d'investissement (FSI), où il s'agit d'apporter, sur les dossiers d'investissement, un regard sur l'emploi, le social, les ressources humaines, l'environnement ou le management.
Lorsqu'en juin, on m'a demandé d'assurer la présidence de l'AFPA, j'ai vite compris que la crise était grave, et ce d'autant plus que cet organisme est partie intégrante du modèle social français. C'est un outil dont on a plus que jamais besoin. Quel paradoxe, en ces temps tourmentés, alors que les besoins des demandeurs d'emplois sont criants, de voir des formations qui manquent d'inscrits ! C'est que la crise est systémique.
Lorsque j'ai accepté la présidence, je n'étais pas sûr de pouvoir payer, deux jours plus tard, les salaires. Il a fallu une action énergique sur la trésorerie et bien des négociations pour gagner six mois de survie : notre répit court jusqu'au 8 janvier. Le temps de bâtir un plan de refondation, que je présenterai le 15 novembre, avec ma nouvelle équipe de direction.
J'estime que la gouvernance de l'AFPA est moderne. Alors que le monde de l'entreprise débat de la nécessité d'associer shareholders et stakeholders, l'AFPA a su le faire depuis longtemps : toutes les parties prenantes sont membres de son conseil d'administration. L'association a longtemps souffert, en revanche, d'un conflit entre son directeur général et son président, qui a suscité opacité et aveuglement collectif. Dès ma prise de fonction, j'ai remercié le directeur général et cinq autres cadres dirigeants, parce qu'il fallait une équipe soudée. Il faudra trois mois pour reconstruire une direction, car il n'est pas facile de trouver un directeur général à l'AFPA. Cette fonction, dans un organisme qui emploie près de 1 000 personnes et dont le chiffre d'affaires approche du milliard d'euros, requiert, outre un tropisme social, des qualités financières et de managériales. Nous serons prêts le 15 novembre. Je viens également de renommer les directeurs de centres régionaux. Il faut une équipe nouvelle pour un projet nouveau.
Les causes de la faillite de l'AFPA ont été largement incomprises. On a stigmatisé sa lourdeur de mammouth, qui ne lui aurait pas permis de réagir, parlé de personnels trop cher payés... Il est vrai que bien des choses fonctionnent mal. La crise de trésorerie m'a ainsi donné l'occasion de découvrir que si nous avions tant d'impayés, c'est que le service de facturation avait plusieurs mois de retard. Dysfonctionnement facile à corriger : en quinze jours, 60 millions sont rentrés. Surtout, le management n'a pas été à la hauteur, alors que la base, notamment les formateurs, est excellente. Bonne nouvelle, en somme : il est plus facile de renouveler quelques dirigeants que des centaines de formateurs.
Au vrai, toutes ces imperfections ne sont pas la cause de la crise, même s'il est vrai qu'elles auraient pu y conduire, mais à plus longue échéance. Dans un contexte de crise économique et financière, ce sont bien plutôt trois phénomènes conjoints qui l'ont provoquée. Le transfert de nos 900 psychologues d'accueil et d'orientation, tout d'abord, à Pôle emploi. Résultat ? On n'a fait que compliquer les choses pour les demandeurs d'emploi, qui doivent accomplir un véritable parcours du combattant, semé de guichets et de conditions kafkaïennes, pour parvenir jusqu'à nous : seuls 5 % de nos stagiaires nous arrivent par Pôle emploi !
Autre difficulté, les barrières qui se sont élevées entre les régions. Les dossiers se sont multipliés auprès de notre médiatrice. Cette situation donnera lieu, un jour ou l'autre, à un recours devant le Conseil constitutionnel, car le principe d'égalité d'accès à la formation s'en trouve bafoué.
Troisième écueil, enfin, le passage brutal au régime de la concurrence. La formation n'est pas une marchandise comme une autre. Ce ne sont pas des heures de formation qu'achète le donneur d'ordres, mais bien un retour à l'emploi. De ce point de vue, nos résultats sont très satisfaisants : deux tiers d'emplois durables à six mois, soit le même taux que les écoles de commerce. Qui plus est, l'acheteur n'est plus l'Etat, mais la région, ce qui a requis un apprentissage collectif. Il a fallu trouver des modes d'achat intelligents, car les conséquences en sont considérables, tout comme dans l'industrie, où les formes de partenariat avec la sous-traitance peuvent être déterminantes. Nous sommes passés trop vite d'un système de subvention à un régime d'appels d'offres alors que le marché de la formation a besoin de régularité, d'un partenariat à long terme : tout est donc à réinventer avec les conseils régionaux.
Le passage à la concurrence exige de surcroit une capacité d'investissement, et un fonds de roulement. Aurait-on imaginé soumettre France Telecom aux lois du marché sans fonds propres ? C'est pourtant ce que l'on a fait avec l'AFPA. Et je ne parle pas là de la forme juridique de l'organisme, sur laquelle on a beaucoup glosé : vaut-il mieux un établissement public industriel et commercial (EPIC), une société anonyme ou une association ? Pour moi, cette dernière forme est la plus moderne. Toujours est-il que l'endettement à court terme, dans une structure sans fonds propres, était inévitable : dans ces conditions, le moindre grain de sable, la moindre baisse de chiffre d'affaire, 20 % dans notre cas, et c'est la catastrophe assurée.
J'en viens à notre plan de refondation, qui est presque finalisé. Notre déficit a été de 50 millions en 2011, il devrait se situer entre 75 et 80 millions en 2012. A quoi s'ajoutent les difficultés liées à l'immobilier, puisque l'Etat n'a pas fait les travaux nécessaires qu'il aurait dû conduire en bon propriétaire.
Il s'agit de résorber progressivement le déficit, ce qui, comme toute réforme structurelle, exigera trois années d'effort. N'oublions pas qu'un organisme comme le nôtre ne doit pas seulement être à l'équilibre, mais en excédent pour pouvoir investir. Nous ferons aussi des propositions concernant le système de formation. Nos positions rejoignent pour beaucoup celles de l'Association des régions de France (ARF), avec laquelle nous avons longuement travaillé.
Je vous livre ici deux chiffres, qui méritent examen. Notre activité a reculé de 20 % depuis le passage à la concurrence, mais pour les formations industrielles, nous avons perdu 56 % en deux ans ! Autant dire que notre appareil de formation oeuvre à la désindustrialisation ! La réindustrialisation, l'emploi, voilà mon combat. Or, le principal atout de la France, en matière de compétitivité, ce sont les ressources humaines. L'AFPA, à cet égard, joue un rôle essentiel : 3,5 millions de salariés, soit un salarié sur huit, a un métier grâce à elle. C'est dire combien son rôle est essentiel, en particulier dans l'industrie, qui a été la première frappée par la crise. Deuxième chiffre frappant : le nombre de stagiaires qui se forment dans une région différente de celle où ils résident a baissé de 40 %. Ce manque de mobilité géographique est préoccupant.
C'est d'une révolution culturelle dont a besoin l'AFPA : tel est mon deuxième objectif. L'association s'est structurée autour des titres et diplômes du ministère du travail. C'est ainsi que se sont créés, avec les branches professionnelles, 280 cursus, correspondant chacun à un diplôme. Ces cursus sont généralement d'une durée de six mois. Pour des demandeurs d'emploi qui partent de zéro, ils sont parfaitement adaptés. Mais le monde a changé. Beaucoup nous arrivent désormais avec des qualifications partielles, si bien que les deux premiers mois de formation ne leur sont pas utiles : ils ne veulent pas les suivre, pas plus que les financeurs ne veulent les payer. Se fait ainsi jour la nécessité d'individualiser les parcours, de passer à des formations modulaires qui répondent mieux, tout à la fois, à la demande sociale, à celle des entreprises et à celle des financeurs. Nous avons donc à relever un défi : industrialiser l'individualisation des cursus de formation. Et nous sommes en mesure de le faire, puisque nous pouvons compter sur notre propre bureau d'étude.
Notre deuxième chantier consiste à renouer le dialogue avec les régions, après plusieurs années au cours desquelles les relations ont été trop distendues. Il faudra également se rapprocher du marché des entreprises. Les demandeurs d'emploi occupent aujourd'hui l'essentiel de notre activité, ce qui n'était pas le cas par le passé. Il faut rééquilibrer, parce qu'il existe un vrai besoin : lorsqu'un plan social se prépare, lorsque l'emploi est menacé, il faut agir. Nous devons répondre à la commande publique, mais également aux besoins des salariés des entreprises. Nous nous sommes porté candidats pour être l'opérateur de formation de deux des plus grands plans sociaux que va connaître la France.
M. Guy Fischer . - Vous en dites trop ou pas assez.
M. Yves Barou . - Je ne peux en dire plus, mais je veux que l'AFPA fasse référence en ce domaine. Lorsqu'un plan social arrive devant le comité central d'entreprise, il ne reste, hélas, plus grand-chose à négocier. Sauf pour la formation, et en cette matière, les comités d'entreprise préfèrent souvent avoir affaire à l'AFPA. C'est pour nous un atout considérable, non seulement dans le cadre des plans sociaux, mais aussi dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) car les évolutions technologiques induisent, dans les entreprises, des besoins de requalification. Je ne songe pas aux cadres, car il n'est pas question ici de sortir de notre créneau, mais bien aux ouvriers et aux techniciens.
Notre quatrième objectif, enfin, porte sur la réduction des coûts. Nous souffrons de bien des lourdeurs, engageons trop de dépenses de consultants...
M. Guy Fischer . - Considérez-vous, comme d'autres, que le personnel est trop payé ?
M. Yves Barou . - Les salaires sont honnêtes, mais ils n'atteignent guère, chez nous, que 50 % de ceux qui sont versés dans l'industrie. Je n'en ai pas moins décidé d'un gel des salaires sur deux ans, mais c'est bien plutôt par manque d'argent.
Des économies sont possibles, surtout sur notre train de vie. Sans aller trop loin cependant. N'allons pas nous clochardiser en supprimant le nettoyage des locaux, comme on me l'a suggéré, quand on a déjà mis fin au gardiennage de nuit, dans des centres d'hébergement qui sont loin d'être des ilots de paix, et où vols et violence sévissent comme ailleurs. Mon idée est plutôt de faire maigrir les fonctions centrales, au siège.
Etre plus compétitif, c'est aussi pouvoir proposer des formations plus légères. Aujourd'hui, les nôtres sont 10 % plus chères, même s'il est vrai qu'elles sont aussi 10 % plus longues.
J'en viens au chapitre des relations sociales. C'est mon métier. Je veux bien faire les choses. En l'espace d'une semaine, nous sommes passés de la guerre ouverte à l'apaisement. C'est affaire d'écoute, de respect. Nous pourrons ainsi réduire les effectifs sans drames sociaux, sans plan social, sans conflit. D'une part, nous envisageons de ne pas renouveler tous nos CDD, d'autre part, la pyramide des âges est telle que nous attendons un millier de départs en retraite sur trois ans, qui ne seront pas tous remplacés. L'AFPA, en tout état de cause, ne peut pas se payer le luxe d'une crise sociale de six mois, qui lui coûterait 50 millions. Nous sommes contraints à la vertu : miser sur le dialogue social, la transparence, la rapidité, pour que tout commence au 1 er janvier.
Autre sujet important, le maillage territorial. Nos 216 centres sont tout à la fois une force et une faiblesse. Une faiblesse, car ils ont été conçus, à l'origine, comme des structures complètes, et par conséquent assez lourdes. Nous entendons diviser par deux le nombre de ces centres, pour les remplacer par des antennes de formation, partout où existent des besoins. Nous entendons renouer avec une certaine flexibilité que nous avons connue à nos débuts. Je sais bien que cela supposera des discussions avec les élus, qui sont chacun attachés à leur centre, mais il faut souligner que nous ne réduisons pas le volume des formations : il ne s'agit que d'économies de gestion.
Voilà qui m'amène à la question de l'immobilier et de l'hébergement. L'Etat, propriétaire de nos locaux, consacrait autrefois 60 millions par an aux travaux d'entretien. Mais ces sommes se sont peu à peu réduites, au point que le patrimoine immobilier se dégrade. Une loi avait prévu le transfert, à titre gratuit, de ces biens immobiliers à l'AFPA, mais elle a été déclarée contraire à la Constitution. Si certaines régions souhaiteraient que ces biens leur soient transférés, ce qui ne serait pas illégitime dans la mesure où les régions jouent un rôle central dans la cartographie de l'offre de formations, d'autres s'y opposent. D'où ma proposition, pragmatique, et qui nous apporterait de la souplesse, de conclure des baux emphytéotiques, ce qui permettrait à l'AFPA de nouer des partenariats. Nos plateaux techniques coûtent cher, pourquoi ne pas les partager quand ils sont sous utilisés ?
Même chose pour l'hébergement, fondamental puisqu'il garantit la non-discrimination dans l'accès à la formation. Quand il n'y a pas de transports en commun et que l'on n'a ni permis de conduire, ni voiture, l'hébergement est primordial. Or, notre taux d'occupation est de seulement 60 % : une chaîne hôtelière n'y survivrait pas. L'idée est donc de nouer des partenariats avec des professionnels de l'hébergement, les offices d'HLM par exemple, pour accueillir d'autres publics, afin de parvenir à un meilleur taux d'occupation. Mais cela suppose des investissements, car nos locaux ne sont plus aux normes. Si nous les engageons pour les plateaux techniques, nous ne pouvons le faire pour l'hébergement. Voilà qui éviterait un gâchis que dénoncent tous les rapports consacrés à l'AFPA.
Il faudra aussi revenir sur certains points en matière d'organisation. Il y a trois ans, les fonctions de directeur de centre ont été supprimées, ce qui pose de gros problèmes lorsqu'un incident se produit.
Changement de management, dialogue social, retour à l'équilibre financier, tels sont mes objectifs. Nous devons impérativement revoir notre structure de financement, qui repose sur des emprunts à court terme, ce qui nous place dans une situation de grande vulnérabilité. La faillite de Dexia, qui faisait partie du pool bancaire de l'AFPA, a aggravé nos difficultés. Nous avons saisi le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) et le pool bancaire a accepté de maintenir ses prêts de court terme.
Reste que rien ne se fera sans fonds propres. Et ils peuvent fort bien être apportés dans le cadre associatif : nul besoin de se constituer en société anonyme, sauf à vouloir privatiser l'AFPA, ni d'adopter le statut d'EPIC, qui marquerait un pas vers l'étatisation et compliquerait les rapports avec nos partenaires. L'AFPA pourrait émettre des titres associatifs que l'Etat nous achèterait via la Caisse des dépôts et consignations, la Banque publique d'investissement (BPI) ou le fonds stratégique d'investissement (FSI). Le chiffre de 200 millions d'euros, cité dans la presse, est sans doute légèrement inférieur à celui que nous annoncerons la semaine prochaine.
Mme Annie David, présidente . - Merci pour ce large tour d'horizon.
M. Claude Jeannerot . - Merci pour cet exposé clair de votre diagnostic et des perspectives ouvertes par votre plan de refondation. J'espère que nous vous reverrons, peut-être quand vous aurez désigné votre directeur général, pour approfondir certains points. Je partage votre analyse sur la gouvernance de l'AFPA, moderne et quadripartite, mais je trouve frappant que les régions, globalement, n'aient pas été davantage impliquées dans son fonctionnement. Le cadre juridique européen, tel qu'il a été interprété par les pouvoirs publics, a conduit à une certaine banalisation de l'AFPA qui pourrait lui être fatale.
L'AFPA a au moins trois avantages compétitifs qu'il faut mettre en valeur : sa valeur ajoutée sur les plans technique et pédagogique, qui en fait aujourd'hui l'un des grands organismes de formation ; la qualité de son ingénierie, de dimension nationale, qui lui permet de faire les mutualisations nécessaires aux formations industrielles ; son système de valeurs, enfin.
Je vois deux enjeux. L'utilisation que les régions veulent faire de l'AFPA, d'abord. Aujourd'hui, certaines régions annoncent leur volonté de créer un service public régional de formation. De quoi s'agit-il ? Quelles seront les conséquences pour l'AFPA ? Comment concilier l'achat par voie d'appels d'offres avec une délégation de service public qui, elle, permettrait d'inscrire l'activité de l'AFPA dans la durée ? La sécurisation dont on parle pour les parcours professionnels est nécessaire aussi dans les systèmes de formation. Et il y a l'enjeu majeur de la préservation du caractère national de l'ingénierie et des formations de l'AFPA, dans ses relations avec les régions. D'ailleurs, c'est aussi l'intérêt de l'AFPA que son offre de formation soit accessible sur l'ensemble du territoire.
Je pense enfin qu'il est opportun de développer le rôle de l'AFPA, qui autrefois était un acteur privilégié dans la mise en oeuvre des projets financés par le fonds national de l'emploi (FNE), en ce qui concerne les actions de formation liées aux plans sociaux, comme composante du service public de l'emploi.
M. Guy Fischer . - L'AFPA a balisé toute ma vie d'élu, notamment à Vénissieux, car je me suis beaucoup impliqué dans les problèmes de formation. Conseiller général des Minguettes, où j'ai été instituteur, pendant vingt-six ans, j'ai été confronté aux difficultés de toute une partie de la population, d'origine maghrébine, pour accéder à l'emploi. J'ai donc créé un centre qui proposait une formation industrielle à destination des publics les plus en difficulté. Votre curriculum vitae est prestigieux, mais je souhaite que l'humain soit au coeur de vos objectifs, afin d'éviter que la fracture ne s'accentue entre ceux qui ont accès à l'éducation, la formation et donc l'emploi, et les autres. Sur l'immobilier d'hébergement, je comprends mieux vos objectifs, mais si pour optimiser vos moyens vous procédez à des regroupements, il est important que cela soit compris par les élus.
Mme Annie David, présidente . - M. Fischer parle de mettre de l'humain dans votre réforme : j'ai cru comprendre que c'était le cas ! Je souhaite aussi insister sur la mission première de service public que nous souhaitons maintenir à l'AFPA. Vous ne nous avez pas parlé de votre filiale « AfpaTransition » : ne pourrait-elle pas vous aider à vous positionner sur le marché de l'offre de formation ? Quant à la mise en concurrence, pensez-vous que l'AFPA devrait y échapper puisque la formation professionnelle qu'elle propose est un service d'intérêt économique général (SIEG) au sens du droit européen ? La baisse de 56 % de la formation industrielle que vous nous avez signalée est-elle due à un report de la demande des entreprises vers des offres concurrentes ? J'ai cru comprendre que l'AFPA avait été écartée du marché des contrats de transition professionnelle (CTP), n'y aurait-il pas matière à l'y réintroduire afin d'éviter les drames des plans sociaux ?
M. Yves Barou . - Le combat pour que l'AFPA vive est un combat pour l'humain : dans la conjoncture économique que nous connaissons, il faut des mécanismes non d'assistanat, mais d'accompagnement de celles et ceux qui veulent rebondir. L'AFPA est un merveilleux outil pour cela : s'il n'existait pas, c'est maintenant qu'il faudrait l'inventer. Or, paradoxalement, c'est maintenant qu'il est en crise. L'hébergement, la restauration, le vivre-ensemble concourent à notre projet éducatif. A cet égard, le départ des psychologues du travail vers Pôle emploi a été une source de désorganisation grave.
C'est l'AFPA qui a inventé les CTP et on les lui a soudainement retirés. Nous allons faire une offre dans le nouveau cadre des contrats de sécurisation professionnelle. Il y a un besoin d'AFPA pour les politiques publiques : nous faisons des propositions pour les emplois d'avenir, pour les contrats de génération, pour lutter contre l'illettrisme... Nous ne prétendons pas être les seuls, mais nous offrons des formations structurantes et de qualité.
« AFPA Transition » n'est pas une filière, mais un département de l'AFPA, qui s'est positionné sur deux métiers : l'accompagnement avant la formation, comme par exemple les cellules de reclassement dans les plans sociaux, et les études préalables en gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, pour des entreprises ou des territoires. Nous travaillons actuellement pour une entreprise implantée sur trois sites, tous trois en difficulté : c'est elle qui finance une étude recherchant quels sont, sur ces trois sites, les besoins d'emploi. Nous pensons qu'il vaut mieux s'y prendre ainsi, trois ans à l'avance, pour identifier les besoins locaux et mettre en place un dispositif de formation qualifiante qui leur corresponde, plutôt que dissimuler les difficultés et annoncer un plan social au dernier moment. Sur ces deux métiers, l'AFPA n'est pas un acteur de premier plan : sans doute faudrait-il développer davantage de partenariats.
Lorsque j'étais directeur-adjoint du cabinet de la ministre de l'emploi et de la solidarité, le service public de l'emploi, dans l'esprit de tous, c'était l'ANPE et l'AFPA. Dix ans plus tard, personne ne sait plus vraiment ce qu'il en est. Il faut distinguer le pilote et l'opérateur. Ce ne sont pas les mêmes responsabilités. L'AFPA ne demande pas à piloter le service public de l'emploi, mais demande à ce qu'il y ait un pilote. Or le pilote, dans l'esprit qui a présidé à la décentralisation, c'est, pour l'essentiel, la région. C'est à elle de faire une cartographie de l'emploi. Mais comme la décentralisation ne s'est pas accompagnée d'un transfert organisé de compétences, les règles du jeu n'ont pas été clairement posées et chacun a fait comme il pouvait.
Il serait malsain de vouloir que l'AFPA ait un statut privilégié parmi les opérateurs. Il est normal qu'il y ait une forme de concurrence pour obtenir des financements publics, c'est une garantie d'efficacité. La procédure de l'appel d'offre doit être bien utilisée. Dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), par exemple, le poids du facteur prix pour déterminer qui remporte un appel d'offres est de seulement 10 %. Il ne sert à rien d'acheter un peu moins cher un service qui se révèlera inefficace. Le premier critère doit être la qualité. L'AFPA est un opérateur associatif sans but lucratif ; c'est donc un acteur social dont le positionnement est nécessairement différent de celui d'un organisme cherchant à produire des dividendes pour ses actionnaires.
La concurrence n'est pas mauvaise, pourvu qu'elle ne soit pas sauvage. Il n'y a guère, d'ailleurs, de moyen juridique d'y échapper, et je ne sais pas si ce serait très sain. Mais il y faut une régulation, ce que la notion de SIEG et la commande publique, si elle est intelligente, peuvent apporter. Les appels d'offres permettent beaucoup plus de souplesse que ce que l'on croit. Si l'on ne regarde que le prix, on ne peut saisir la spécificité de l'offre de l'AFPA, qui propose aussi un hébergement, un accompagnement, une éducation. Il y a peut-être quelques secteurs de notre activité, peut-être 10 %, qu'il faudrait protéger de la concurrence, mais pour l'essentiel il doit y avoir partenariat entre le pilote et les opérateurs, c'est-à-dire l'AFPA entre autres.
Mme Annie David, présidente . - Merci. Les perspectives ouvertes par ce premier tour d'horizon sont positives...
M. Yves Barou . - Mais notre problème de fonds propres réclame une solution urgente. Sans cela, entre le 7 et le 10 janvier prochains, l'AFPA devra arrêter de fonctionner, et renverra chez eux 100 000 demandeurs d'emploi. L'association est clairement sous la tutelle des banques, qui la maintiennent en respiration artificielle. Nous n'avons pas besoin de subventions, qui prolongeraient cette situation pénible, mais de fonds propres, pour prendre un vrai départ. Je le dis avec conviction et avec passion : c'est maintenant qu'il faut agir, car le coût du démantèlement de l'AFPA serait bien supérieur à 200 millions d'euros.
Présentation de l'enquête de la Cour des comptes
(mardi 21
janvier 2014)
Mme Annie David, présidente . - L'enquête réalisée par la Cour des comptes sur l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) résulte d'une saisine conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des finances. L'enquête a été confiée à la 5 ème chambre de la Cour des comptes et va nous être présentée par sa présidente, Mme Anne Froment-Meurice, qui est accompagnée par MM. Pascal Duchadeuil, Michel Davy de Virville et Mme Sylvie Esparre, conseillers-maîtres à la Cour des comptes. Sont également présents M. Hervé Estampes, directeur général de l'AFPA et M. Christophe Strassel, chef du service du financement et de la modernisation de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.
Il y a un peu plus d'un an et demi, l'annonce de graves difficultés financières et la démission du président de l'AFPA ont révélé une situation préoccupante - que nous dénoncions depuis plusieurs années. Le 10 octobre 2012, le nouveau président de l'AFPA, Yves Barou, avait présenté à notre commission un premier diagnostic et esquissé les axes d'un plan de refondation destiné, avec le soutien de l'Etat, à replacer l'association sur une trajectoire viable et à préserver ses compétences et son savoir-faire en matière de formation professionnelle.
Nous avons souhaité que la Cour des comptes nous éclaire sur les raisons qui ont conduit à cette situation. L'AFPA a pu être déstabilisée par la réforme qui lui a été imposée en 2009 et dans laquelle elle s'est engagée sans y être préparée. A cela, s'ajoutent des mesures de gestion peu opportunes.
Cette enquête vient à point nommé, alors que commence prochainement l'examen du projet de loi sur la formation professionnelle, qui devrait comporter une disposition relative aux emprises immobilières utilisées par l'AFPA.
Mme Anne Froment-Meurice, présidente de la 5 ème chambre de la Cour des comptes. - Cette enquête a été menée au premier semestre 2013, à la demande conjointe des présidents de la commission des Affaires sociales et de la commission des Finances. Elle est intervenue dans une période de grands bouleversements pour l'association : la détérioration de sa situation financière a entraîné la démission de son président et de son directeur général. Leurs successeurs ont été nommés en juin 2012 et en janvier 2013. Les équipes ont été profondément renouvelées aux niveaux régional et national. Le président a proposé un plan de refondation à mener entre 2013 et 2017, pour transformer le modèle pédagogique de l'association, développer l'offre et redresser la situation financière.
Le champ d'investigation de la Cour a été défini en concertation avec les deux commissions du Sénat. Il couvre quatre axes d'analyse : l'organisation et la gouvernance de l'association, la formation des demandeurs d'emploi - l'enquête se concentrant alors sur les régions Champagne-Ardenne, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes - la gestion et la situation financières et, enfin, l'immobilier.
Depuis 2009, l'association a perdu son statut d'opérateur de l'Etat, pour se positionner parmi d'autres intervenants sur le marché de la formation professionnelle, dont elle représente 5 % du chiffre d'affaires total. En dépit de ces évolutions, les statuts et la gouvernance de l'association restent marqués par une présence forte de l'Etat. Il est temps que celui-ci clarifie sa stratégie vis-à-vis de l'AFPA. Désormais soumise au droit de la concurrence, l'association doit adapter son offre de formation à ses nouveaux clients et aux exigences des conseils régionaux. Or, cette adaptation tarde à se réaliser. Le plan d'entreprise 2004-2009, dans un climat social difficile, n'a pas atteint ses objectifs de réduction des effectifs. Le plan stratégique pour la période 2010-2014 reposait sur des choix de gestion et d'organisation inadaptés et il a dû être interrompu en 2012. L'AFPA a tardé à intégrer le rôle de la région dans la formation professionnelle et son organisation territoriale n'a pas évolué. Entre 2007 et 2012, l'AFPA a perdu 24 % de ses stagiaires et plus du tiers de ses stagiaires demandeurs d'emploi, qui constituaient son public prioritaire. Le plan de refondation de 2012 est une dernière chance donnée à l'AFPA. Il renforce l'ingénierie aux niveaux national et régional, il abandonne les structures interrégionales et les campus pour revenir à une organisation régionale renforcée afin de mieux répondre à la demande des collectivités et de Pôle Emploi.
Traditionnellement, l'AFPA est l'opérateur de référence pour la formation des demandeurs d'emploi : plus de la moitié d'entre eux sont à nouveau dans l'emploi six mois après l'obtention d'un titre professionnel. Cependant, sa place sur le marché de la formation des demandeurs d'emploi n'est pas à la hauteur de ses possibilités, puisqu'elle n'obtient que 22 % des financements consacrés à la formation professionnelle. C'est la conséquence d'une adaptation tardive à la commande régionale et d'une absence systématique d'analyse du marché. Le déroulement de la formation fait également l'objet de critiques des usagers, qui dénoncent des matériels pédagogiques non disponibles, une absence fréquente des formateurs - le principe « une formation, un formateur » fragilise l'organisation.
La situation financière de l'AFPA résulte d'une conjugaison de difficultés d'adaptation et d'erreurs stratégiques. L'association a enregistré une perte de 92 millions d'euros en 2012, soit 10 % de son chiffre d'affaires. Une aide de l'Etat lui a été versée sous forme d'obligations associatives d'un montant de 110 millions d'euros, en juin 2013. Aujourd'hui, la situation économique et financière de l'association reste fragile. Le plan de refondation repose sur des hypothèses très ambitieuses. Les prévisions de résultats établies le 30 octobre 2013 montraient que les objectifs fixés pour 2013 ne seraient probablement pas atteints : une perte de 38 millions d'euros est à envisager. La Cour envisage des voies d'amélioration interne et juge que des progrès demeurent possibles en complément du soutien des pouvoirs publics et des banques, en poursuivant les efforts entrepris : réduction des effectifs du siège, révision des rémunérations et des avantages attribués, renforcement de la mobilité, en particulier des formateurs qui représentent moins de la moitié des effectifs, progrès dans la facturation et la gestion des stocks.
Les implantations immobilières de l'AFPA relèvent du patrimoine de l'Etat, mis à disposition de très longue date, dans le cadre de baux avantageux qui n'ont pas été révisés, et ce parc n'est ni suffisamment entretenu ni même convenablement répertorié. Le transfert de ces biens immobiliers à l'association, décidé par la loi d'août 2009, s'est heurté à la censure du Conseil constitutionnel, qui a considéré qu'il s'agissait de biens publics protégés, même si l'intégralité de ce patrimoine est constatée à l'actif du bilan de l'association. Les avis convergent sur la solution des baux emphytéotiques administratifs, mais leurs modalités de mise en oeuvre restent floues et font encore l'objet de désaccords entre l'AFPA et France Domaine. Ces incertitudes ont des conséquences défavorables sur la gestion, car les baux sont prévus comme garantie bancaire dans le plan de refondation et dans le partenariat avec Adoma. La rationalisation reste inachevée concernant le maillage sur les territoires mais aussi les centres de formation d'Ile-de-France et le siège.
La Cour formule douze recommandations. Elle appelle l'Etat à clarifier sa stratégie vis-à-vis de l'AFPA, en mettant fin à une situation ambiguë, l'Etat intervenant dans la gestion d'une association devenue un organisme de formation banalisé, soumis aux règles de la concurrence. Elle recommande à l'AFPA d'adapter son organisation de stages aujourd'hui fragilisée, et de systématiser ses analyses des marchés national et régional. Enfin, elle insiste sur la poursuite du processus de négociation sur le maillage territorial, sans que la contrainte d'aménagement du territoire prévale sur la rationalisation indispensable du patrimoine immobilier de l'AFPA.
M. Hervé Estampes, directeur général de l'AFPA. - A ce stade, nous n'avons pas de réserves à formuler car nous avons été entendus par la Cour et avons pu lui communiquer nos observations. J'ai été nommé directeur général il y a un an. Nos priorités à court terme ont été de garantir le financement du plan de refondation, assuré en grande partie par l'Etat depuis janvier, mais aussi par des banques privées. Il s'agissait aussi d'apaiser un climat social délabré, en renouant le dialogue et en remobilisant l'entreprise. Il fallait également rénover l'offre pédagogique de l'association, datée, calée sur un répertoire des métiers obsolète, et manquant de souplesse. Enfin, il convenait de réorganiser l'AFPA en entreprise, car ayant toujours vécu sous subventions, l'association débutait dans des pratiques telles que la facturation, le recouvrement de créances, les techniques du marketing, etc.
Pour 2013, le budget prévisionnel s'établissait à 784 millions d'euros. Nous ne devrions réaliser que 755 millions environ. Cependant, ce manque à gagner de 30 millions d'euros tient à des retards dans les appels d'offre et à l'arrêt de certains projets. Nous n'avons paradoxalement pas besoin de financements complémentaires, car le plan de refondation prévoyait un volume d'investissements important, que nous avons réduit. La trésorerie est donc restée excédentaire pendant toute l'année grâce aux dotations et à une gestion prudente.
L'année écoulée a été celle d'une restructuration très forte qui a conduit à réduire les effectifs en supprimant 360 équivalents temps plein. Cette réduction s'est faite avec un haut niveau de dialogue social. En témoignent les élections syndicales de décembre, où le taux de participation a été de 85 % : les deux syndicats qui avaient signé le plan de refondation sont sortis renforcés de cette consultation.
Le budget 2014 a été élaboré alors que nous n'avions pas de certitudes quant au plan « formations prioritaires pour l'emploi », qui est finalement un « plan 100 000 ». Notre budget a été audité par le cabinet Mazard, qui a validé l'ensemble des hypothèses. Le budget prévoit le retour à un excédent brut d'exploitation (légèrement) positif, alors qu'il est négatif de 35 millions d'euros en 2013. Mazard a noté une inflexion au mois de juillet. C'est que nous sommes à présent en ordre de bataille ! Après une année de restructuration, 2014 devrait marquer un progressif retour aux fondamentaux et à l'équilibre financier. Nous allons déployer une nouvelle offre pédagogique, plus modulaire. En découpant les formations, en raisonnant sur les champs de métiers, nous pourrons dégager des formations communes à plusieurs métiers. Ainsi, les effectifs seront mieux gérés et on gagnera en souplesse. Cette nouvelle offre sera présentée le 18 mars 2014.
Il serait utile de développer une formation à rayonnement national. En effet, certaines formations demandent un lourd investissement : je songe aux domaines des énergies renouvelables ou de la fibre optique. Tel gros centre de formation aux métiers du BTP, dans la région Limousin, a un rayonnement qui excède les limites régionales. Or, ces formations souffrent d'une insuffisance des commandes régionales. Il faudrait sensibiliser le législateur pour que ces offres soient identifiées et mieux financées au niveau national, sans pour autant mettre en cause la régionalisation. Une combinaison vertueuse est possible entre ces deux niveaux. J'ai ainsi inauguré tout récemment à Cherbourg notre premier centre national spécialisé dans les métiers du secteur des énergies marines renouvelables.
La situation concurrentielle de l'AFPA n'est pas favorable. Sur le marché des demandeurs d'emploi demeure un seul acheteur, les régions, qui partagent leurs commandes entre 58 000 organismes de formation. Nous le reconnaissons, dans la course aux formations low cost, l'AFPA ne peut que perdre. Pour convaincre, il nous faut par conséquent segmenter le marché en distinguant ce qui relève de la simple formation et ce qui est un processus de retour à l'emploi, où entrent en ligne de compte la qualification, l'accompagnement, l'hébergement des stagiaires. Les stagiaires de l'AFPA demandeurs d'emploi ont 68 % de chances de trouver un emploi, contre 54 % dans les autres organismes. Le prix cassé n'a pas lieu d'être dans le monde de la formation. L'AFPA est dans une démarche qualitative, même si certains conseils régionaux refusent de payer ce qui est autour de la formation, la restauration ou l'hébergement. C'est un défi pour l'AFPA.
Les baux emphytéotiques administratifs (BEA) ont deux finalités. Ils servent de garanties pour mobiliser du crédit à moyen terme. Ils assurent aussi une autonomie de gestion, qui ouvre la voie à de possibles partenariats, donc une meilleure mutualisation des moyens, ainsi que des économies sur l'argent public et la possibilité pour l'AFPA de rénover ses 134 sites d'hébergement. Cependant, la problématique des BEA reste complexe. A ce jour, nous en avons signé deux. Nous ne sommes pas capables de financer seuls des travaux coûteux, par exemple pour aménager des accès handicapés. Aujourd'hui, un BEA est réellement en place, sur l'autre, le directeur départemental demande des modifications. La Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) devrait nous aider à trouver des processus plus simples. La solution pourrait être dans le déclassement des biens dans le domaine privé, qui serait plus efficient pour prévoir les investissements.
M. Christophe Strassel, chef du service du financement et de la modernisation, Délégation générale à l'emploi et la formation professionnelle (DGEFP) . - La procédure contradictoire a été riche et ouverte. La DGEFP est en accord avec la Cour des comptes pour ce qui est du diagnostic, des pistes et des orientations de son rapport.
L'AFPA a été pendant longtemps un opérateur historique de l'Etat, depuis sa création en 1949. La position de l'Etat a varié. Quoi qu'il en soit, il a déstabilisé cette institution et doit aujourd'hui préciser ce qu'il attend d'elle dans le cadre de sa politique de l'emploi. La régionalisation de la formation professionnelle a mis en difficulté l'AFPA, contrainte de se tourner vers de nouveaux commanditaires. Les subventions d'Etat ont laissé place aux marchés publics, impliquant la transformation des procédures et des offres. Le mouvement est en cours. C'est une évolution positive.
L'AFPA a perdu certaines compétences : son action en matière d'orientation des demandeurs d'emploi s'est trouvée limitée par le rattachement de ses psychologues à Pôle Emploi. L'AFPA a également subi la diminution des commandes pour la formation des travailleurs handicapés. Enfin, il a fallu s'habituer à une nouvelle logique, celle du marché public, qui repose non sur une stratégie unique dans l'ensemble du territoire, mais sur des modalités propres à chaque région.
L'AFPA possède une compétence en matière de titres professionnels, 3,5 millions de salariés en 2011 sont passés par l'AFPA, mais également une expertise reconnue en matière de formation individuelle, un savoir-faire dans la formation des populations les plus éloignées de l'emploi, et un maillage territorial dense et diversifié : les demandeurs d'emploi accèdent ainsi sans difficulté à la formation. La politique du titre justifie les subventions que l'Etat verse à l'AFPA en tant que composante du service public de l'emploi. L'AFPA enregistre 80 % de réussite sur l'ensemble de ses stagiaires. La formation des demandeurs d'emploi est un autre atout de l'AFPA. L'association bénéficiera de 20 % environ, sans doute, de l'opération menée pour la formation prioritaire de 100 000 demandeurs d'emploi. L'AFPA reste un acteur essentiel, sur lequel l'Etat peut compter.
Pour soutenir le plan de refondation l'Etat accordera une participation en fonds propres de 200 millions d'euros de 2013 à 2015 ; 120 millions d'euros ont déjà été versés. Un suivi particulier est assuré par les différentes administrations de l'Etat, la DGEFP, le Comité interministériel de restructuration industrielle, la direction du budget. L'Etat s'implique également dans le volet immobilier, en soutenant la démarche des BEA : douze doivent être signés cette année, la Délégation à l'emploi se faisant intermédiaire entre France Domaine et l'AFPA.
Mme Annie David, présidente . - Je vais tout d'abord donner la parole à Claude Jeannerot, rapporteur de la commission des affaires sociales sur le budget du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, puis à François Patriat, rapporteur spécial de la commission des finances sur cette même mission.
M. Claude Jeannerot . - Le plan de refondation de l'AFPA a été rendu nécessaire par une perte financière de 90 millions d'euros, soit 10 % du chiffre d'affaires. Pour l'heure, il manque 30 millions d'euros au chiffre d'affaires attendu en 2013. Une perspective rassurante s'ouvre, celle d'un excédent d'exploitation de 1 à 2 millions d'euros en 2014. Comment parviendra-t-on à cet objectif ? Comment faire pour atteindre le chiffre d'affaires envisagé ? Le déficit des 30 millions d'euros s'explique-t-il par des difficultés dans le recrutement des stagiaires ou parce que l'AFPA n'a pas obtenu les commandes attendues ?
L'exemple de la région Limousin est éloquent. Certes, il est souhaitable de développer des formations à caractère national, mais comment faire quand les acheteurs sont les régions ? La région Bourgogne achètera-t-elle une formation BTP en Limousin ? La formation est d'intérêt national, mais comment lui donner concrètement cette dimension ?
La question du patrimoine est d'actualité puisqu'un projet de loi sera présenté demain au Conseil des ministres rendant possible le transfert aux régions du patrimoine immobilier de l'Etat mis à disposition de l'AFPA. Comment concilier cette démarche avec celles visant à conclure des BEA ? Ne risque-t-on pas de créer une AFPA à deux vitesses ou même de démanteler l'association ? Son patrimoine fait son unité.
Enfin, qu'entendez-vous par « composante du service public de l'emploi », alors que la présidente de la 5 ème chambre a parlé d'un organisme de formation banalisé ? Certes, il existe une politique du titre. Est-ce suffisant pour parler d'une « composante du service public de l'emploi » ?
M. François Patriat . - Je suis surpris qu'on soit surpris. Le constat d'aujourd'hui n'a rien d'étonnant. L'AFPA n'est pas un organisme de formation ordinaire : considérez ses implantations, son patrimoine, mais aussi la qualité de ses formations... L'Etat fait preuve d'un certain cynisme, il a laissé l'AFPA se débrouiller seule, mais aujourd'hui il reconnaît ses qualités. Elle s'est remise en question, a recentré ses sites, elle a fait de gros efforts et nous sommes prêts à l'aider. La qualité a un prix, les régions le savent et reconnaissent l'offre de l'AFPA comme la mieux-disante quant à la qualité des prestations.
Comme président de région, j'estime que l'AFPA a raison de se remettre en cause et je suis prêt à l'aider, mais je ne puis accepter le transfert des charges, notamment du patrimoine, d'autant que l'Etat nous demande de faire des économies de fonctionnement, ce qui inclut les travaux sur les lycées ou les centres de formation. Les baux emphytéotiques administratifs pourraient être une solution.
L'AFPA doit se concentrer sur ses missions d'intérêt national, et les régions, tenir compte de la qualité des formations dispensées. Pour ma part, je n'accepterai pas la disparition de l'AFPA, outil excellent dont nous avons besoin. Pouvez-vous nous dire quel est le niveau de dialogue que l'AFPA entretient avec les régions ?
M. Hervé Estampes . - Les 30 millions d'euros de déficit sont dus pour un tiers aux retards dans les appels d'offre : 10 millions d'euros financés par l'Etat, via les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), pour financer des missions de mutation économique. La subvention de 2012 a été supprimée et l'on est passé en 2013 aux appels d'offre. Ces appels n'ont pas été faits immédiatement, certains l'ont été en novembre seulement. Nous avons eu un taux de réussite important mais toute la production a été faite sur deux mois, il y a eu un « trou de système ».
En 2013, le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) a changé les règles de cofinancement avec les organismes paritaires collecteurs agréés : du jour au lendemain, ces derniers ont arrêté de financer les préparations opérationnelles à l'emploi (POE). Ces règles de cofinancement ont été rétablies en fin d'année, mais nous avons connu un deuxième « trou de système » de 15 millions d'euros durant huit mois. Enfin, Pôle Emploi a réduit sa demande de formation de 5 millions d'euros. Avec les entreprises, nous avions un objectif ambitieux, mais il manque 10 à 12 millions d'euros. A l'inverse, nous disposons d'un excédent de 15 millions sur un budget global de 400 millions avec les conseils régionaux. Le président Yves Barou et moi-même avons établi un dialogue de qualité avec les régions et celles-ci se félicitent de la nouvelle gouvernance de l'AFPA. En cours d'année, nous avons obtenu des lots complémentaires.
Nos relations avec les régions nous mettent dans une position quelque peu schizophrénique : notre maillage territorial est un atout, tout demandeur d'emploi est à une heure au plus d'un centre de formation et les régions apprécient cette contribution à l'aménagement de leur espace. Le ministère des finances, lui, nous demande de réduire le nombre de nos centres pour réduire les coûts. Et toute fermeture se traduit par une perte de chiffre d'affaires. L'équilibre est difficile à trouver !
Certaines régions veulent un centre de formation national. Elles doivent comprendre que cela entraîne des devoirs. La région Limousin, ainsi, est gros prescripteur pour les stages au centre national d'Egletons. Mais allégeons aussi le fardeau des régions qui subissent de fortes contraintes financières. Le financement de l'offre nationale passe par des cofinancements et le FPSPP doit y prendre part.
L'AFPA ne demande pas que son patrimoine soit transféré aux régions. En outre, il faudra réhabiliter ces bâtiments, pour appliquer les prescriptions du Grenelle de l'environnement. Certaines régions sont intéressées par nos équipements car elles envisagent d'en mutualiser certains ; d'autres, disposant déjà de bâtiments vides, ne tiennent pas à s'en charger.
Nous voulons une AFPA capable de présenter une offre nationale, qui réponde à de véritables besoins, comme c'est le cas avec le programme des 34 filières d'avenir. Ainsi, Cherbourg est ravi que l'AFPA y ait installé son centre national pour les énergies marines renouvelables : la région est prête à investir dans ce domaine, car elle anticipe les retombées ; dans ces conditions, que les bâtiments appartiennent à la ville, à la communauté d'agglomération ou à la région est secondaire. J'ajoute que lorsque nous signons des contrats avec La Poste ou avec Carrefour pour former telle ou telle catégorie de personnel, la formation dispensée est la même dans toutes les régions. C'est un atout considérable.
M. Christophe Strassel . - L'appartenance de l'AFPA au service public de l'emploi est inscrite à l'article L. 5311-2 du code du travail. Il y a là une réalité juridique, justifiée par les compétences de l'AFPA pour la politique du titre, la certification et l'ingénierie du titre professionnel.
L'AFPA mène des missions d'intérêt national tout en assurant un maillage territorial très fin. Dans l'annexe financière du FPSPP pour 2014, une dizaine de millions est consacrée au financement de formations à caractère national : l'AFPA répondra aux appels d'offre. Enfin, l'association est l'un des rares acteurs à proposer des hébergements. L'Etat n'est pas cynique : il a consenti 200 millions d'investissements sur trois ans, s'engageant aux côtés de l'AFPA, démontrant sa confiance dans la capacité de l'association à mener à bien son plan de refondation.
Enfin, il n'y aura pas de solution unique sur la question immobilière. Dans certains cas, des baux emphytéotiques administratifs seront conclus, dans d'autres, il y aura transfert du patrimoine immobilier vers les régions. Ce processus prendra du temps et se fera en fonction des besoins locaux.
Mme Christiane Demontès . - Je remercie Mme la présidente de la 5 ème chambre de la Cour des comptes pour ce rapport. Elle rappelle que près d'un millier de psychologues du travail ont été transférés à Pôle Emploi, et estime que cela a pénalisé l'AFPA. Pourquoi ces psychologues n'orientent-ils plus les demandeurs d'emplois vers des stages AFPA ? Quels sont les rapports des centres de formation avec les prescripteurs en contact avec les demandeurs d'emplois ? L'AFPA ne saisit sans doute pas toutes les opportunités en ce domaine.
Ma deuxième question a déjà été abordée par M. Jeannerot : la petite région du Limousin ne peut pas assumer seule le grand centre de formation aux métiers du BTP d'Egletons. Sur les centres de formation à vocation nationale, l'Etat ne pourrait-il reprendre la main ? Les divers organismes forment des demandeurs d'emploi mais aussi des salariés. L'AFPA démarche-t-elle les entreprises et les branches professionnelles ?
J'ai été vice-présidente de la région Rhône-Alpes au moment de la régionalisation de l'AFPA. Comme le dit le rapport de la Cour des comptes, l'AFPA n'a pas négocié au mieux la régionalisation, elle y est entrée à reculons ! L'offre de formation au niveau régional doit s'inscrire dans la complémentarité plutôt que dans la concurrence. L'AFPA n'a pas encore trouvé sa place dans ce positionnement territorial.
M. Hervé Estampes . - Effectivement, l'AFPA a longtemps pensé qu'il pourrait y avoir un retour en arrière et elle n'a pas abordé les problématiques de manière efficace. En Rhône-Alpes, où elle compte 12 centres et 34 implantations, elle a été laminée dans les appels d'offre. Nous serons meilleurs dans l'avenir !
Mme Christiane Demontès . - J'en ai été désolée...
M. Hervé Estampes . - Nous n'avons pas pris en compte les besoins. Nous avons présenté une offre en catalogue alors que les règles du jeu avaient changé. Ce n'est pas la régionalisation qui nous a fait mal, soit dit en passant, mais la mise en concurrence.
La distinction entre demandeurs d'emplois et actifs est artificielle puisque la même personne peut être l'un et l'autre alternativement. L'AFPA réalise un chiffre d'affaires de 180 millions d'euros avec les entreprises, sur un total de 800 millions. Dans le futur, cette part augmentera. Dans l'immédiat après-guerre, l'AFPA travaillait pour les entreprises. Ce n'est qu'au début des années 1980 qu'elle s'est intéressée aux chômeurs.
Le départ des 900 psychologues vers Pôle Emploi a également pénalisé l'AFPA, car auparavant, ils aiguillaient naturellement les gens vers nos stages. Aujourd'hui, les conseillers de Pôle Emploi ne disposent pas de l'intégralité de la programmation des stages de l'AFPA, ni des autres organismes formateurs. L'affectation des stagiaires est donc très complexe. En Rhône-Alpes, la région dispose du « pilotage régional de l'offre de formation et suivi des prescriptions » (Prosper) tandis que Pôle Emploi utilise le logiciel Cerise. Or, comme ces logiciels ne sont pas interconnectés, les prescripteurs ne savent pas que certains stages sont disponibles dans une autre région.
Les formations nationales devront être identifiées et leur nombre limité. Elles pourraient bénéficier des crédits du programme 412 de la loi de finances, qui concerne le programme des investissements d'avenir. Pour 2014, ce fonds est doté de 150 millions d'euros.
M. Christophe Strassel . - L'Etat doit financer les formations à caractère national, mais son rôle est également d'inciter les différents acteurs à coordonner leurs financements. L'annexe financière du FPSPP prévoit des financements pour les formations à caractère national. En revanche, le plan 100 000 de Pôle Emploi ne repose pas sur des financements directs de l'Etat.
M. Claude Jeannerot . - Certains au sein de l'AFPA, notamment dans les organisations syndicales, caressent l'idée qu'il serait possible de s'affranchir des règles de la concurrence grâce au fameux service d'intérêt économique général (SIEG). Le projet de loi que nous allons examiner prévoit un SIEG pour les personnes en difficultés particulières d'insertion. Quelle serait la place de l'AFPA ?
M. Hervé Estampes . - Le SIEG fonctionne dans six régions : il fédère des opérateurs autour d'un service public régional. En revanche, ce dispositif est d'une extrême complexité et il est bien difficile de calculer la « juste compensation ». Dans ces six régions, nous avons six procédures différentes : je finis par me demander si cette bonne idée ne va pas être tuée dans l'oeuf. Nous aimerions qu'une méthodologie précise et simple soit établie, pour dire qui fait quoi et à quel niveau.
Quant aux procédures de financement, j'ai découvert que la plus belle chose est de gagner un marché public, la pire, de le perdre, mais ce que nous préférons, c'est travailler.
M. Jean Desessard . - Vous avez parlé de « trou de système ». Cela signifie-t-il que vous avez conservé l'ensemble de votre personnel pendant que vous attendiez une commande publique qui ne venait pas ? Qui est responsable des conséquences financières : vous ou celui qui retarde son appel d'offres ?
M. Hervé Estampes . - Les autres organismes de formation professionnelle emploient 10 % de leur personnel en CDI et 90 % en CDD. A l'AFPA, le rapport est inverse. Nous estimons indispensable de disposer de formateurs qualifiés et formés. Lorsque ceux-ci ne sont pas occupés, nous essayons d'atténuer le coût de leur maintien par la mobilité interne. En 2012, on nous a annoncé des appels d'offre, sans cesse imminents, sans cesse repoussés. Difficile de se projeter dans l'avenir dans ces conditions... Nous avons subi la situation.
M. Jean Desessard . - Votre politique de qualité risque de vous coûter cher. Surtout si un tel « trou de système » se reproduit... Comment éviter ces ornières et comment être compétitif ?
Mme Gisèle Printz . - Comment se fait-il que Pôle Emploi renvoie des jeunes en leur disant qu'aucune formation n'est envisageable, quand les stages de l'AFPA assurent ensuite un emploi à 80 % des stagiaires ?
M. Hervé Estampes . - Nous avons 90 % de réussite aux titres professionnels. Le taux d'emploi durable, surtout, est bien supérieur chez nous à ce qu'il est dans les autres organismes de formation : 68 % contre 54 %, ce sont des chiffres de la Cour des comptes.
Les agents de Pôle Emploi doivent connaître des offres innombrables, c'est un problème. Je me souviens d'un reportage sur France 2 Picardie qui montrait un jeune tout prêt à se former, un conseiller de Pôle Emploi qui ne savait où l'envoyer, et les salles de cours à moitié vides dans le centre de formation AFPA le plus proche.
Il n'y a pas de « trou de système » avec les régions, la mécanique des appels d'offre est bien huilée et il n'y a pas de rupture entre les contrats, qui s'enchaînent. En revanche, il y a eu un « trou de système » avec la Direccte en 2013, du fait du changement de procédure. Désormais, le problème est réglé. Il n'a rien de structurel.
Mme Annie David, présidente . - Je vous remercie pour votre présentation et pour la qualité de vos réponses. Je souhaite longue vie à l'AFPA au sein du service public de l'emploi. L'enquête de la Cour des comptes, assortie de nos débats d'aujourd'hui, sera publiée sous la forme d'un rapport d'information déposé par Claude Jeannerot.
Il en est ainsi décidé.