N° 318
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 janvier 2014 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la coopération entre professionnels de santé ,
Par Mme Catherine GÉNISSON et M. Alain MILON,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, MM. Marc Laménie, Jean-Noël Cardoux, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Natacha Bouchart, MarieThérèse Bruguière, Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin . |
LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
L' amélioration de la qualité des soins et l' enrichissement des fonctions des professionnels de santé sont des objectifs premiers et concordants pour notre système de santé et une aspiration forte des professionnels du secteur. L'un des ressorts pour atteindre ces objectifs est l'évolution des formes de prises en charges de malades au travers d'une nouvelle répartition des rôles entre professionnels de santé.
C'est l'objet de l' article 51 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite loi HPST) qui a créé un cadre permettant la mise en place de coopérations entre les professionnels de santé sous le contrôle des agences régionales de santé (ARS) et après examen de la Haute Autorité de santé (HAS). Cet article, inscrit dans le code de la santé publique sous la forme d'un nouveau titre regroupant les articles L. 4011-1 à L. 4011-3, est susceptible de favoriser la plus grande qualité des soins et un enrichissement des perspectives de carrière offertes aux professions de santé. Il se présente néanmoins comme une dérogation au cadre réglementaire existant et suscite à ce titre de nombreuses interrogations, voire des réticences. En effet l'article L. 4011-1 précise que les coopérations ont pour objet de permettre à titre dérogatoire aux professionnels de santé « d'opérer entre eux des transferts d'activités ou d'actes de soins ou de réorganiser leurs modes d'intervention auprès du patient ». Avant de mesurer son impact, la notion de coopération doit donc être précisément définie.
• Le système actuel d'encadrement
de l'exercice professionnel
L'encadrement légal et réglementaire des professions de santé a d'abord pour but la protection des patients. Un professionnel de santé ne peut accomplir que les actes pour lesquels sa qualification est établie . Cette qualification est sanctionnée par un diplôme reconnu par l'Etat et, dès lors, inscrit dans le code de la santé publique. Le diplôme d'Etat est le fondement du monopole d'exercice de l'activité de soins. Tout exercice sans diplôme est illégal et passible de poursuites pénales.
• Ainsi, depuis la loi du 19 ventôse an XI
(10 mars 1803), la médecine ne peut être pratiquée que par
les titulaires d'un doctorat délivré par une école puis
(depuis 1808) une faculté de médecine. En imposant l'obtention
d'un grade universitaire pour l'exercice de la médecine et de la
chirurgie sur l'ensemble du territoire national, la loi définit la
médecine comme un corpus de connaissances théoriques qu'il
convient d'acquérir. La médecine est donc la science
appliquée par les médecins. La loi du 30 novembre 1892 a
consacré le principe de l'accès des malades aux praticiens les
mieux formés en mettant fin à la possibilité pour les
« officiers de santé » de pratiquer la médecine dans le
cadre départemental après une formation théorique
réduite et des stages pratiques.
L'obtention du diplôme de médecine protège le médecin contre toute condamnation au titre de l'exercice illégal. La chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet affirmé, par un arrêt rendu le 8 mars 2011, qu'il « résulte de l'article L. 4161-1 du code de la santé publique [relatif à l'exercice illégal de la médecine] qu'une personne qui remplit les conditions d'exercice de la médecine exigées par ce texte ne commet pas le délit d'exercice illégal de la médecine lorsqu'elle sort des limites de sa spécialité ou de sa compétence . »
Si le fait pour un médecin d'exercer en dehors de sa spécialité ou de sa compétence n'est pas susceptible de sanction pénale en tant que tel, il est néanmoins passible de sanctions déontologiques prononcées par le Conseil de l'Ordre et d'une condamnation civile.
Depuis 1803, l'Ordre des médecins est investi d'une prérogative de puissance publique puisqu'il exerce un contrôle sur la réalité des diplômes et sur l'usage des titres par les médecins. Ses décisions relèvent en dernier recours du Conseil d'Etat.
Les décisions du Conseil de l'Ordre se fondent sur les dispositions du code de déontologie médicale édicté sous forme de décret en Conseil d'Etat en application de l'article L. 4127-1 du code de la santé publique.
L'article 70 du code de déontologie médicale, article R.4127-70 du code de la santé publique, affirme le principe de l' omnivalence du diplôme de médecin. Il dispose que : « Tout médecin est, en principe, habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose . »
L'Ordre des médecins fait de cette disposition le commentaire suivant : « Il appartient au médecin de décider, souvent seul, en conscience, du rôle qu'il peut jouer. La formation nouvelle de certains confrères généralistes, formés dans les services appropriés, confrontés régulièrement avec la médecine de catastrophe leur donne incontestablement toute aptitude à intervenir dans ce cadre et y exercer une large autonomie de décision .
Le code de déontologie montre bien où se situent réellement les inévitables limites de la règle de l'omnivalence du diplôme. Ce ne sont pas toujours celles du découpage administratif de la profession médicale, mais plutôt celles de la réelle expérience du praticien, en tenant compte aussi des circonstances particulières du moment. En cas de doute, le médecin doit penser qu'il aura à se justifier s'il y a litige ou contestation . »
La chambre civile de la Cour de Cassation considère en effet qu'« il est fait déontologiquement obligation à tout praticien de s'abstenir, sauf circonstances exceptionnelles, d'entreprendre ou de poursuivre des soins, ou de formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose (...) ».
La responsabilité civile d'un médecin pourra donc être mise en cause en raison d'un acte effectué dans le cadre de la médecine mais en dehors de ses compétences.
• Le champ de compétence des
autres professions médicales
reconnues par la loi de
1803,
chirurgiens-dentistes et sages-femmes
, est limité
par rapport à celui des médecins. Leur domaine est par nature
borné et ne peut s'étendre à l'ensemble de la
médecine. Il existe néanmoins une distinction qui résulte
de la formulation des obligations déontologiques relatives aux
différentes professions.
S'agissant des dentistes , l'article R. 4127-204 du code de la santé publique précise que : « Sauf circonstances exceptionnelles, [le chirurgien-dentiste] ne doit pas effectuer des actes, donner des soins ou formuler des prescriptions dans les domaines qui dépassent sa compétence professionnelle ou les possibilités matérielles dont il dispose . » Néanmoins l'article suivant, R.4127-205, fait obligation au professionnel de sortir de son domaine de compétence dans un cas déterminé, l'extrême urgence. L'article dispose que : « Hors le seul cas de force majeure, tout chirurgien-dentiste doit porter secours d'extrême urgence à un patient en danger immédiat si d'autres soins ne peuvent lui être assurés . » Il peut donc être obligatoire pour un chirurgien-dentiste de pratiquer des actes qui relèveraient normalement d'un médecin.
Pour l'exercice des sages-femmes , les obligations sont formulées de manière moins précise. L'article R.4127 -313 du code de la santé publique dispose que : « Dans l'exercice de sa profession, la sage-femme ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, effectuer des actes ou donner des soins, ni formuler des prescriptions dans les domaines qui débordent sa compétence professionnelle ou dépassent ses possibilités . » L'appréciation de ces circonstances exceptionnelles, apparemment plus larges que le secours d'extrême urgence à un patient en danger immédiat puisqu'elles permettent la délivrance de prescriptions, relève de la sage-femme sous le contrôle de l'ordre compétent et du juge.
Il résulte des dispositions déontologiques applicables aux professions médicales hors médecins qu'elles ont, en certaines circonstances, la possibilité voire l'obligation, d'intervenir hors de leur strict domaine de compétence pour accomplir des actes incombant aux médecins.
• Tel n'est pas le cas pour les
professions paramédicales
qui sont
déontologiquement et réglementairement tenues de n'accomplir que
les actes inscrits sur une liste préétablie,
généralement un décret simple dit de compétence. Le
cas de prise en charge en situation d'urgence est prévu dans le cadre de
cette compétence d'attribution. S'agissant des
infirmiers
, l'article R.4311-14 du code de la santé
publique dispose : «
En l'absence d'un médecin, l'infirmier ou
l'infirmière est habilité, après avoir reconnu une
situation comme relevant de l'urgence ou de la détresse psychologique,
à mettre en oeuvre des protocoles de soins d'urgence,
préalablement écrits, datés et signés par le
médecin responsable. Dans ce cas, l'infirmier ou l'infirmière
accomplit les actes conservatoires nécessaires jusqu'à
l'intervention d'un médecin. Ces actes doivent obligatoirement faire
l'objet de sa part d'un compte rendu écrit, daté, signé,
remis au médecin et annexé au dossier du patient.
En cas d'urgence et en dehors de la mise en oeuvre du protocole, l'infirmier ou l'infirmière décide des gestes à pratiquer en attendant que puisse intervenir un médecin. Il prend toutes mesures en son pouvoir afin de diriger la personne vers la structure de soins la plus appropriée à son état. »
Le principe de l'encadrement médical des actes est, d'un point de vue réglementaire, la différence essentielle entre professions médicales et paramédicales.
La détermination de périmètres d'exercice différents reposant sur l'importance de la formation initiale afin de garantir la qualité des soins apparaît à certains égards trop rigide au regard des nécessités de la prise en charge des patients, voire décalée par rapport à la réalité des pratiques . Concrètement, le développement des professions paramédicales, au premier rang desquelles les infirmiers et infirmières, a accompagné l'évolution des pratiques médicales et poussé à réexaminer la question de la répartition des compétences entre professionnels de santé.