(Mardi 13 Novembre 2012)
Audition de M. Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer, accompagné de Mme Marie-Pierre Campo
M. Serge Larcher, président
Nous voilà à nouveau réunis pour trois jours de travaux en séance plénière de notre délégation. La rencontre riche et passionnante organisée hier avec l'Institut national de l'audiovisuel sur le thème des mémoires audiovisuelles des outre-mer donnera lieu à des actes assortis d'un DVD, comme nous l'avions fait pour la rencontre du 9 mai dernier.
Nous renouons maintenant avec le thème des zones économiques exclusives et de leurs ressources. Les auditions prévues se concentrent sur les sujets miniers et les énergies marines, c'est-à-dire les perspectives d'avenir.
Jeudi matin, nous auditionnerons deux ministres du gouvernement polynésien par visioconférence, par souci d'économie, tant pour le budget du Sénat que pour celui de la Polynésie française.
Je souhaite la bienvenue au délégué général à l'outre-mer, Vincent Bouvier, que nous avons récemment entendu sur les perspectives européennes des régions ultrapériphériques et je le remercie de sa disponibilité.
Notre délégation a désigné trois co-rapporteurs sur les ZEE : Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau, qui a succédé à Jean-Marie Bockel 173 ( * ) , et Richard Tuheiava.
M. Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer
Merci de m'auditionner sur ce sujet stratégique pour nos outre-mer. Ceux-ci représentent 97 % de notre zone économique exclusive, et c'est grâce à eux que la France dispose du deuxième domaine maritime mondial. Face à la concurrence mondiale, nous devons inventorier, protéger et exploiter nos ressources.
Quelles sont les orientations majeures de notre politique maritime ? Notre stratégie nationale pour la mer et le littoral se décline par bassin, dont quatre bassins ultramarins : les Antilles, la Guyane, l'Océan Indien et Saint-Pierre-et-Miquelon.
À la suite du Grenelle de la mer, le Comité interministériel de la mer du 8 décembre 2009 a mis en exergue la nécessité de développer la politique marine des outre-mer, et adopté un Livre bleu, qui doit aussi être décliné par région.
Cette orientation a été confirmée par la réunion du 11 juin 2011, lors de laquelle a été décidée la réforme portuaire. Bien entendu, la politique nationale doit être coordonnée au niveau européen : en octobre dernier, les ministres de la mer des États membres ont adopté à Limassol une déclaration commune qui insiste sur l'innovation et le développement économique.
Enfin, lors de la campagne présidentielle, M. Hollande a défini les trois axes de notre politique maritime : gérer et protéger notre important littoral, exploiter durablement nos ressources marines, renforcer la gouvernance de la mer et du littoral. En tout état de cause, la mer est l'un des grands enjeux du XXI e siècle.
La délégation ayant déjà travaillé sur la pêche et l'aquaculture, je me limiterai aux ressources énergétiques.
D'abord, les hydrocarbures. Ils sont présents aux îles Éparses, à Saint-Pierre-et-Miquelon et, surtout, en Guyane, à 150 km au large de Cayenne. Le pétrole sera peut-être à la Guyane ce que le nickel fut à la Nouvelle-Calédonie... Cette découverte nous impose à la fois un devoir de gestion et de protection. Pour la Guyane, un arrêté du 22 décembre 2011 a prolongé de cinq ans un permis de recherche accordé à Shell, ou plus exactement à un consortium qui réunit entre autres Shell et Total. Six autres demandes sont en cours d'instruction. Deux arrêtés de janvier 2011 et de mars 2012 ont accordé des autorisations de travaux. Celles-ci ont été attaquées par des associations. C'est pour examiner les conséquences de l'exploration qu'un comité de suivi et de concertation avec les partenaires a été créé. L'État a également confié à Mme Duthilleul, ingénieur général des mines et présidente de l'ERAP, une mission d'accompagnement pour faire bénéficier la Guyane des retombées du pétrole et concilier impératif économique et devoir de protection de l'environnement ; elle a rendu un rapport d'étape en janvier 2012. La commission de suivi et de concertation se réunit régulièrement ; quatre groupes de travail ont été créés : sécurité et environnement, recherche, formation et retombées.
Deuxième ressource : les énergies marines renouvelables. L'objectif fixé par le Grenelle est très ambitieux : l'autonomie énergétique en 2030, 50 % en 2020. Nous en sommes loin. Énergie houlomotrice, climatisation par les eaux en profondeur, biomasse marine, éoliennes offshore , le panel est large. Sont développés en outre-mer de nombreux projets innovants : énergie thermique marine en Guyane et à la Martinique, climatisation par les profondeurs marines à La Réunion : c'est le projet SAC, Seawater Air Conditioning . Cela dit, restent des obstacles à surmonter, comme les freins technologiques - pour adapter, par exemple, l'éolien marin aux cyclones -, les tarifs de rachat et la prise en charge du risque industriel. Pour l'heure, de très grands groupes privés et parapublics s'intéressent à ces projets ; c'est dire leur intérêt.
Troisième ressource, les biotechnologies marines. Ainsi, les algues ont des débouchés sanitaires - la station marine de Roscoff exploite les oeufs des étoiles de mer pour fabriquer des médicaments anti-tumoraux - énergétiques, cosmétiques, alimentaires... Nous en sommes encore au stade de l'expérimentation.
Quatrièmement, les ressources minérales profondes : nodules polymétalliques, terres rares et encroûtements sulfureux difficiles à exploiter mais intéressants. Au large de Clipperton et de Wallis-et-Futuna, les ressources en nodules polymétalliques sont importantes. La concurrence est rude : les Chinois qui détiennent 35 % de la ressource en terres rares, l'exploitent à 95 %. Raison de plus pour développer cette activité.
J'en viens au contexte juridique. Il convient de le stabiliser rapidement, notamment sur la répartition des compétences en matière minière, entre État et collectivités. Le 5 septembre, la ministre de l'écologie a présenté les grandes lignes de la réforme du code minier. Un projet de loi est attendu pour début 2013. Ce texte a plusieurs objectifs : mise en conformité du code minier avec la Charte de l'environnement, notamment son article 7, révision des procédures, prise en compte des enjeux environnementaux, refonte du droit des installations classées, réforme de la fiscalité minière, adaptation aux spécificités ultra-marines, responsabilité sociale des entreprises.
Un groupe de travail informel, présidé par un conseiller d'État, M. Tuot, et auquel participe la délégation, travaille à un avant-projet de texte avec Mme Duthilleul. Parallèlement, le gouvernement a lancé un travail de codification de la partie réglementaire du code minier. Enfin, la répartition des compétences entre l'État et les collectivités est à l'étude. En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, le transfert est déjà achevé. Cela pose question en Polynésie : comment définir les ressources stratégiques qui relèvent de l'État ? Les terres rares en font-elles partie ? A priori , oui, mais la question n'est pas encore tranchée.
Je termine sur les moyens. Nous avons des ressources considérables outre-mer, pour l'innovation technologique et le développement économique de la France et de chacun des territoires d'outre-mer. L'outre-mer est une chance pour la France, mais la mer est aussi une chance pour l'outre-mer ! Nous avons aussi un devoir de protection, sans quoi tout cela restera un voeu pieux. Si nous voulons protéger le deuxième domaine maritime mondial de la pêche illégale et du pillage, nous devons avoir des forces de souveraineté suffisantes : par exemple, un nombre suffisant de bateaux de la Marine nationale. Le sujet est d'actualité à l'heure où l'on révise le Livre blanc de la défense. Dans les difficiles arbitrages à venir, il faudra insister sur la priorité de l'outre-mer.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur
Merci pour cet excellent exposé. Au fil des auditions se dégage une tendance : tout le monde se félicite de ce que la France, grâce à l'outre-mer, détient le deuxième domaine maritime mondial. Mais quid de l'enracinement de cette politique ? Les collectivités guyanaises n'ont pas été informées des permis de recherche délivrés sur les hydrocarbures, sinon par la presse. Une concertation préalable est nécessaire ; la LODEOM la prévoit d'ailleurs pour les permis d'exploitation mais l'on attend encore ses décrets d'application. Sans concertation, il est impossible de mettre en place les filières, d'accompagner cette industrie.
Aujourd'hui, le port d'attache de la plate-forme guyanaise est Paramaribo, au Surinam, et non Cayenne. À quand un tournant dans la gouvernance et dans l'enracinement des projets ?
Dernier point, où en est la coopération avec les pays limitrophes, celle de la Guyane avec le Brésil et le Surinam ou celle de La Réunion avec Madagascar ?
M. Serge Larcher, président
À l'évidence, l'outre-mer présente de grandes potentialités pour la France, mais concrètement, quels sont les projets en matière de terres rares, de biotechnologies marines ? Avons-nous une stratégie pour mettre en valeur ces ressources ?
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur
L'outre-mer est-il intégré dans la réflexion sur la révision du Livre Blanc ?
M. Michel Vergoz
Parlons clair : les ultramarins que nous sommes avons le sentiment, voire la certitude que nos intérêts sont insuffisamment pris en compte. À votre avis, comment faire pour ne pas être perpétuellement à la remorque ? Nous essayons de parler d'une seule voix sur la pêche...
Un contre-amiral est désormais, je crois, secrétaire général adjoint de la mer. Enfin, on agit ! On reconnaît l'importance de la mer.
M. Vincent Bouvier
Je conviens que la prise de conscience du fait maritime est récente. En 2008, on avait d'abord oublié l'outre-mer dans le Livre Blanc de la défense ! Concernant les hydrocarbures, il y a une volonté de concertation, de régler la question de la répartition des compétences. L'outre-mer a aussi besoin de ports adaptés aux besoins de développement. Mais les territoires devront se mettre d'accord : il n'y aura pas de grands ports partout.
La coopération ? Oui, il faut la renforcer avec les pays voisins, l'Europe et les grandes organisations non gouvernementales internationales de protection de l'environnement. Un exemple, nous coopérons avec la Dominique sur un projet d'exploitation géothermique.
La stratégie ? L'État, via ses grands instituts, soutient la démarche des grandes entreprises. Néanmoins, certains domaines comme les biotechnologies sont au stade de l'expérimentation ; d'où parfois une impression de tâtonnement.
Le Livre Blanc de la défense? Pour participer à un groupe de travail sur sa révision, je mesure qu'il y a une volonté, pour le dire brutalement, de ne pas oublier l'outre-mer contrairement à ce qu'il s'était passé la fois précédente.
Monsieur Vergoz, je l'ai dit, la prise de conscience de l'importance de la mer est récente. L'État a un rôle essentiel à jouer, mais les collectivités doivent aussi prendre leurs responsabilités.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
La France paraît absente de la compétition internationale. Quand elle cherche à combler son retard, elle commet souvent des erreurs : voyez la Polynésie française. Avons-nous donc une stratégie ? Où en est le projet Extraplac ? Des Japonais ont trouvé les terres rares chez nous... D'où ma proposition de loi tendant à rendre la Polynésie française compétente en matière de ressources stratégiques, à l'exclusion des minerais nucléaires.
Dans le cadre du groupe informel sur le code minier, pourquoi mettre l'outre-mer à la fin ? L'administration doit changer d'approche.
M. Vincent Bouvier
La France est-elle en retard ? En tout cas, nous voulons une vraie stratégie de développement maritime. Quant au projet Extraplac, il est toujours d'actualité : nous discutons avec les Canadiens.
La répartition des compétences est une question centrale, qui concerne aussi la Polynésie française. Le sens du mot « stratégique » reste à définir.
M. Serge Larcher, président
En ce qui concerne les terres rares, des permis ont-ils été accordés ?
Mme Marie-Pierre Campo
La Jamaïque a accordé un permis d'exploitation à L'IFREMER sur la dorsale océanique. Cela aura des implications indirectes sur l'outre-mer.
M. Serge Larcher, président
Les Japonais ont opéré des prélèvements au large des Marquises sans autorisation. Nous retrouvons la problématique du Livre Blanc : comment protéger nos ressources ?
M. Vincent Bouvier
Vous connaissez certainement les difficultés budgétaires. Il faudra faire des choix. Les projets industriels et énergétiques constituent de vraies vitrines technologiques, des premières mondiales parfois. En matière de recherche, la France est très bien placée.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Un rapport de Jacques Blanc en 2011 mettait en exergue la vulnérabilité du marché européen en ce qui concerne l'approvisionnement en ressources minérales destinées aux technologies de pointe. Une volonté de diversification des provenances existe-t-elle ?
M. Vincent Bouvier
Nous sommes certes dépendants, mais nous n'avons pas de difficultés d'approvisionnement à ce jour.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Le rapport parlait d'une perspective de vulnérabilité.
M. Vincent Bouvier
Certes, mais dans un contexte de raréfaction des ressources.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur
Pour les enjeux marins, l'État a-t-il une stratégie de financement des projets ? La politique fiscale d'aide au photovoltaïque a été erratique ...
M. Vincent Bouvier
Il faut des solutions acceptables, notamment sur les tarifs de rachat. L'ADEME a des moyens, certes insuffisants. Nous voulons aussi recourir aux fonds européens. Rien n'est pire que l'hésitation : le ministre de l'outre-mer a rappelé son souci de stabiliser le droit, et notamment les règles fiscales.
M. Serge Larcher, président
Merci de vos éclaircissements. Nous n'en sommes qu'au début du chemin. Tirons mieux parti des richesses de l'outre-mer !
* 173 Comme il en a été décidé lors de la réunion de la délégation du mardi 30 octobre 2012.