INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Lors de sa réunion du 9 décembre 2014, la Délégation sénatoriale à l'outre-mer a inscrit à son programme de travail la question foncière dans les outre-mer comme sujet d'étude triennal devant se décliner en trois volets successifs. Le premier volet a présenté une radiographie de la gestion des domaines public et privé de l'État outre-mer et avancé des propositions de dynamisation de cette gestion au service du développement des territoires. Le deuxième volet, figurant sous le présent rapport d'information, est centré sur la sécurisation du titre de propriété et des usages de la terre.

Les droits fonciers, encore parfois pris en tenaille entre systèmes juridiques traditionnels et droit commun, ont en effet été particulièrement exposés aux secousses et sédimentations de passés mouvementés. L'exploration juridique proposée par le présent rapport met ainsi en relief, une fois encore, la grande diversité des outre-mer, reflet de leurs parcours historiques respectifs, de leurs fortes identités culturelles et de leurs évolutions institutionnelles différenciées.

Par-delà ces différences et la grande variété des modèles juridiques, le lien à la terre a partout une haute charge symbolique et affective car il constitue le pivot de l'organisation économique et sociale. Or, le foncier, particulièrement rare et précieux dans les outre-mer, ne peut toujours remplir son office de levier de développement car des imbroglios juridiques se sont parfois noués qui stérilisent sa mise en valeur. Il s'agit donc aujourd'hui d'identifier les principaux points de blocage à résorber.

La question de l'indivision, phénomène particulièrement répandu et cristallisé dans les outre-mer, constitue un de ces points de blocage. Apparemment technique, cette question touche en réalité au coeur du problème politique général auquel vos rapporteurs ont consacré leurs réflexions. Des territoires et des populations se trouvent écartelés et obligés de naviguer entre deux modes de sécurisation de leurs droits fonciers, l'un oral, concret, collectif et garanti par le consensus local, l'autre écrit, abstrait, individuel et garanti par l'État . Cette dualité ne manque pas de créer des tensions dans la société, car les deux logiques concurrentes peuvent être privilégiées par des groupes distincts en fonction de leurs convictions ou de leurs intérêts. Elles peuvent aussi alimenter un conflit entre générations dès lors que les aspirations des plus jeunes, jointes à une plus grande familiarité tant avec la langue française qu'avec un mode de vie métropolitain, jouent les normes du code civil contre les règles et les solidarités traditionnelles pour s'en émanciper.

En droit, hormis les espaces, au sens propre comme au figuré, reconnus à la coutume, le code civil règne en maître, qu'il s'impose comme expression du droit commun dans les départements, ou qu'il ait été conservé, moyennant parfois des évolutions, dans les collectivités dotées de l'autonomie. Mais en réalité, il est lui-même menacé par son impuissance à appréhender et à résoudre une multitude de cas concrets. L'indivision, endémique et insoluble, en est une illustration saisissante.

Cela ne plaide nullement pour l'abandon du régime civiliste, car celui-ci est très intimement lié à la structure politique et sociale de notre République. Sa sophistication, sa robustesse, sa capacité d'évolution et son expansion mondiale sont autant d'atouts pour les territoires ultramarins. Le maintien du cadre civiliste et l'optimisation de son efficacité, de son aptitude à apprivoiser les particularités ultramarines, nécessitent des aménagements susceptibles d'emporter l'adhésion des populations. Or, le principe d'égalité devant la loi n'empêche pas de prévoir des adaptations du droit civil pour prendre en compte certaines pratiques sociales locales qui ont cours dans les outre-mer, tant que les droits fondamentaux des personnes sont respectés et pour peu que ces dérogations contribuent à l'objectif d'intérêt général de sécurisation de la propriété foncière privée. Le formalisme, lourd et onéreux, qui fonde la sécurité du cadre civiliste individualiste a jusque-là souvent achoppé sur la culture du consensus et de la reconnaissance collective des sociétés traditionnelles. Il s'agit de définir les adaptations nécessaires à son acclimatation. En outre, dans certains cas, le chemin vers le droit commun doit emprunter des détours audacieux pour effectivement atteindre son objectif.

Le présent rapport s'emploie ainsi, sur le fondements d'informations collectées au cours de plus de 120 auditions et de deux déplacements, à Mayotte puis dans les trois collectivités du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, à dresser un panorama de la situation de chaque territoire et à tracer le cadre de solutions pragmatiques pour sortir de certaines impasses bridant le développement et menaçant même parfois la paix sociale.

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