II. UNE PERFORMANCE CONTRASTÉE EN MATIÈRE D'OFFRE DE SOINS
• Selon les éléments fournis par la
Cour des comptes lors des auditions menées par vos rapporteurs
,
l'équilibre du système de soins serait globalement
resté figé, dans les Dom, à la situation hexagonale des
années 1970, avec un hôpital qui demeure l'armature centrale du
système de soins. Cet équilibre se caractérise en outre
par une insuffisante coordination avec les libéraux, une permanence des
soins ambulatoires (PDSA) qui fonctionne mal avec une surcharge très
importante des urgences, des hôpitaux surfréquentés
malgré un effort d'investissement certain.
Ainsi, si des travaux de modernisation sont régulièrement conduits dans les établissements hospitaliers ultramarins, ils ne permettent pas d'extirper la racine du problème, qui se trouverait dans la permanence d'un hôpital-pivot surchargé, tandis que l'offre libérale peine à se développer (notamment en Guyane et à Mayotte).
Cette situation est d'autant plus dommageable que l'hôpital constitue une bien fragile clé de voûte du système. Difficultés de recrutement de médecins hospitaliers (en dépit de la présence de 3 CHU dans les Dom, situés aux Antilles et à La Réunion), turn-over très important des équipes, nombre important de remplaçants (et coûts associés) sont quelques-uns des problèmes soulevés par les interlocuteurs de votre délégation, et qui aboutissent à une discontinuité globale du travail des équipes.
• Le déplacement effectué par vos
rapporteurs a cependant permis de
nuancer ce constat
,
notamment s'agissant du système de soins réunionnais. Si
l'hôpital, et notamment le CHU, occupe en effet une place importante dans
la prise en charge des patients, il existe cependant une offre libérale
structurée et désireuse de prendre part à
l'amélioration globale de l'organisation des soins. Dans les deux
départements se pose, en tout état de cause,
le
problème de la présence et de la répartition
médicale, notamment s'agissant des spécialistes
.
• Il importe enfin de souligner, de manière
liminaire,
que les dépenses de santé par habitant dans
l'Océan Indien restent inférieures à la moyenne
française
, avec 2 575 euros par habitant, contre
près de 3 000 euros en France entière. Cette moyenne masque
cependant
une inégalité forte entre La Réunion et
Mayotte
- qui s'est certes résorbée au cours des
dernières années : si la Cour des comptes soulignait que les
dépenses de santé par habitant à Mayotte étaient 17
fois inférieures à celles de La Réunion en 1989,
l'écart reste cependant aujourd'hui du simple au triple
(moins de 1 000 euros à Mayotte
24
(
*
)
, contre 2 800 euros
à La Réunion).
Au total, les dépenses de santé pour l'Océan Indien en 2014 s'élevaient à 2,7 milliards d'euros, soit 1,4 % des dépenses nationales, en progression de 3,5 % par rapport à 2013.
A. LA QUALITÉ RECONNUE DE L'OFFRE DE SOINS RÉUNIONNAISE NE PARVIENT CEPENDANT PAS À COUVRIR L'ENSEMBLE DES BESOINS DE LA POPULATION
L'ensemble des acteurs entendus par vos rapporteurs partagent le constat d'une bonne performance de La Réunion non seulement par rapport aux autres outre-mer, mais aussi par rapport à la moyenne nationale. Votre délégation a pu relever que face à des contraintes importantes, des solutions originales, reposant sur la coopération entre les acteurs, et notamment entre le public et le privé, ont pu être développées avec succès.
1. En dépit des contraintes territoriales, une qualité de soins satisfaisante
a) Des difficultés d'organisation des soins résultant des caractéristiques territoriales de La Réunion
(1) L'offre de ville réunionnaise : une pénurie de médecins spécialistes, une densité satisfaisante de professionnels paramédicaux
Selon les informations transmises par l'agence de santé, le territoire réunionnais compte environ 5 900 professionnels libéraux, dont 2 200 professionnels médicaux (parmi lesquels 1 320 médecins, généralistes ou spécialistes, et 124 sages-femmes), et 3 700 paramédicaux ou psychologues.
Nombre de professionnels de santé
libéraux à La Réunion,
hors remplaçants,
au 1
er
janvier 2015
Professionnels de santé |
Exercice libéral |
Tous modes d'exercice |
Densité (pour 100 000 hbts) |
Médecins généralistes |
1 181 |
831 |
98 |
Médecins spécialistes |
1 162 |
489 |
58 |
Total médecins |
2 343 |
1 320 |
156 |
Chirurgiens-dentistes |
434 |
427 |
51 |
Infirmiers |
6 844 |
1 721 |
204 |
Masseurs-kinésithérapeutes |
1 460 |
1 302 |
154 |
Orthophonistes |
437 |
406 |
48 |
Orthoptistes |
51 |
40 |
5 |
Pédicures-podologues |
60 |
60 |
7 |
Ergothérapeutes |
108 |
6 |
1 |
Psychomotriciens |
101 |
6 |
1 |
Pharmaciens |
700 |
359 |
42 |
Source : Données transmises par l'agence de santé Océan Indien
• La faible densité globale des
médecins réunionnais (270 médecins pour 100 000 habitants,
contre 319 dans l'hexagone) recouvre une forte disparité entre
généralistes et spécialistes. Si
la densité
des médecins généralistes installés à La
Réunion est supérieure à celle observée dans
l'hexagone
(avec 98 médecins généralistes pour
100 000 habitants contre 94 en métropole), le territoire fait face
à une
pénurie importante de médecins
spécialistes
(on compte ainsi 58 médecins
spécialistes pour 100 000 habitants à La Réunion,
contre 88 en France hexagonale). Ces observations sont par ailleurs à
rapprocher du constat d'un
vieillissement de la population
médicale réunionnaise
, et d'un développement du
recours aux médecins remplaçants - qui apparaît cependant
difficile à quantifier d'un point de vue statistique.
Vos rapporteurs relèvent que cette question de la pénurie de spécialistes est un problème commun à l'ensemble des outre-mer , alors même que ces territoires, du fait des spécificités de l'état de santé des populations concernées, pourraient cependant constituer des lieux particulièrement attractifs pour la formation des jeunes médecins.
• Si l'on ne constate
pas de manques
particuliers sur le territoire réunionnais s'agissant des professions
paramédicales, leur répartition peut cependant poser
problème
. Ainsi, alors que l'on compte, en densité, deux
fois plus d'orthoptistes à La Réunion qu'en métropole,
85 % d'entre eux exercent dans le secteur libéral, ce qui
entraîne un manque important en milieux hospitalier et
médico-social. On constate par ailleurs un manque de professionnels dans
le Nord-Est ainsi que dans les cirques de l'île, notamment s'agissant des
masseurs-kinésithérapeutes et des orthophonistes.
Compte tenu de ces spécificités -pénurie de médecins spécialistes, professionnels paramédicaux en nombre suffisant-, le territoire réunionnais pourrait constituer un terreau idéal pour l'expérimentation des protocoles de coopération prévus par l'article 51 de la loi dite HPST 25 ( * ) -d'autant que les représentants des médecins libéraux, entendus par votre délégation, ont regretté de ne pas être davantage impliqués dans les actions d'amélioration de l'offre de soins. Le recours aux paramédicaux serait particulièrement intéressant en matière de prévention.
Pour autant, selon les informations transmises par la Haute Autorité de santé (HAS), un très faible nombre de protocoles de coopération est actuellement mis en oeuvre à La Réunion, ainsi que dans les outre-mer dans leur ensemble . Au total, seules trois demandes de mise en oeuvre de protocoles de ce type ont été transmises à la HAS pour l'ensemble des territoires ultramarins, dont l'un se trouvait hors du champ de l'expérimentation, un autre a reçu un avis défavorable, et le dernier enfin n'a pas été mis en oeuvre en dépit d'un avis favorable.
En revanche, deux protocoles mis en oeuvre à l'échelle nationale font l'objet d'une déclinaison opérationnelle à La Réunion . Le protocole ASALEE, qui permet la réalisation de certains actes médicaux par des professionnels infirmiers, a ainsi été autorisé sur le territoire réunionnais par un arrêté du 14 décembre 2012. Le protocole de coopération entre ophtalmologiste et orthoptiste, qui permet le transfert par le premier de la prescription des actes pratiqués par le second, est quant à lui en application depuis le 1 er février 2013.
Préconisation n° 4 : Assurer la mise en place rapide de protocoles de coopération entre professionnels de santé à La Réunion, dans le cadre prévu par l'article 51 de la loi HPST. |
(2) Dans les établissements de santé, une prise en charge comparable, voire supérieure aux standards hexagonaux
Au 1 er janvier 2015, La Réunion comptait 24 établissements de santé, dont 4 publics et 20 privés. Au total, 36 structures hospitalières sont réparties sur l'île, dont 7 maternités, employant 12 600 personnes dont 1 700 personnels médicaux.
Répartition des établissements sanitaires à La Réunion au 1 er janvier 2016
Source : Agence de santé pour l'Océan Indien
•
Depuis 2012, La Réunion est
dotée d'un CHU réparti sur deux sites
(Nord et Sud).
Cette création récente, née de la fusion de deux
établissements, a été opérée en deux
étapes : un décret du 1
er
janvier 2012 a
fusionné le centre hospitalier Félix Guyon de Saint-Denis avec le
centre hospitalier Sud Réunion, situé à Saint-Pierre,
avant la signature de la convention hospitalo-universitaire du 29
février 2012. Une direction commune de l'établissement est en
outre assurée avec le centre hospitalier Est-Réunion Saint
Benoît, dans le but d'organiser la couverture hospitalière du
territoire de manière optimale. La dimension universitaire du projet
permet de prendre en compte les spécificités de santé
à La Réunion, qu'il s'agisse de la présence de maladies
infectieuses et tropicales, de la forte prévalence du diabète ou
encore des enjeux liés à la périnatalité.
Selon les informations transmises par l'agence de santé, la création du CHU a permis une forte amélioration de l'autonomie sanitaire de La Réunion , une nette baisse du nombre des évacuations sanitaires vers la métropole ayant été corrélativement constatée. Elle a également permis d'améliorer la densité médicale sur l'île : selon le CHU, l'établissement ne compte que 5 % de postes vacants, contre 15 % en moyenne nationale.
• Du point de vue de la qualité des soins
dispensés, les hôpitaux de La Réunion font figure
d'
exception parmi les établissements hospitaliers ultramarins.
Selon les éléments transmis à votre
délégation par la HAS,
les performances
hospitalières sont, du point de vue de la
certification
26
(
*
)
,
globalement moins bonnes en outre-mer que
celles des établissements hexagonaux
: 59 % des
établissements ultramarins n'ont pas atteint les attendus de
l'évaluation, ce qui représente 10 points de plus que la moyenne
nationale.
Les problèmes relevés dans les établissements de santé ultramarins par la Haute Autorité sont de plusieurs ordres. Ont tout d'abord été soulignées les fortes difficultés relatives aux infrastructures, avec des locaux souvent vétustes, et aux équipements, notamment informatiques. Dans certains établissements, les équipes ne disposent pas même d'un ordinateur par service, ce qui rend par ailleurs impossible la mise en place d'un circuit du médicament répondant à toutes les exigences de sécurité. Des problèmes relatifs aux droits des patients ont également été relevés, s'agissant notamment des chambres comprenant plus de deux lits. Ont enfin été soulignées des difficultés organisationnelles et managériales pouvant mettre en cause la continuité des soins et le bon déroulement du parcours des patients. Ces difficultés rendent en outre difficile le développement dans les outre-mer d'une télémédecine de qualité, qui nécessite un management très structuré.
Cette situation concerne cependant surtout la Guyane et les Antilles, où seulement un tiers des établissements satisfont aux critères de la certification. La Réunion affiche quant à elle une meilleure performance que la moyenne des établissements métropolitains . Au total, 15 établissements de santé réunionnais ont été certifiés (avec ou sans recommandations), parmi lesquels le CHU.
Le même profil de performance a été conservé avec la mise en oeuvre de la V2014 de la certification -qui a introduit un nouveau référentiel d'évaluation, davantage médicalisé et s'inscrivant dans une logique de parcours avec la méthodologie du « patient traceur » : La Réunion a conservé une performance comparable, voire supérieure à la moyenne métropolitaine.
La HAS a souligné devant vos rapporteurs que La Réunion bénéficie du soutien d'une structure générale d'appui régionale dans l'Océan Indien, constituée sous la forme d'une association dénommée Orison , tandis que les Antilles doivent s'appuyer sur une structure localisée à Bordeaux. Selon les statuts de l'association, celle-ci a pour objet « le développement, la promotion et l'accompagnement d'une dynamique d'amélioration de la qualité des soins et de la sécurité des personnes soignées (patients, résidents, usagers des soins), dans les champs de la santé et de l'autonomie, sur le territoire La Réunion et Mayotte ».
• En dépit de ces bons résultats
globaux, les établissements de santé de La Réunion doivent
faire face à des
difficultés de plusieurs
ordres
, soulevées par les différents interlocuteurs
rencontrés par votre délégation.
Les taux d'équipement réunionnais, mesurés en lits et places pour les courts séjours hospitaliers, les soins de suite et de réadaptation (SSR) et les soins de psychiatrie, apparaissent tout d'abord inférieurs à la moyenne hexagonale - à l'exception notable des courts séjours hospitaliers en gynécologie-obstétrique.
Les équipements hospitaliers de La Réunion au 1 er janvier 2015
Lits |
Places |
Total |
Taux d'équipement 27 ( * ) |
|||
La Réunion |
Hexagone |
|||||
MCO |
Médecine (y compris HAD) |
1 240 |
344 |
1 584 |
1,9 |
2,3 |
Chirurgie |
549 |
138 |
687 |
0,8 |
1,4 |
|
Gynéco-obstétrique (y compris HAD) |
333 |
21 |
354 |
1 |
0,8 |
|
Total |
2 122 |
503 |
2 625 |
/ |
/ |
|
SSR |
Soins de suite et de réadaptation |
628 |
277 |
905 |
1,1 |
1,8 |
Psy |
Psychiatrie infanto-juvénile |
22 |
159 |
181 |
0,8 |
0,9 |
Psychiatrie générale |
372 |
233 |
605 |
1 |
1,5 |
|
Total |
394 |
392 |
786 |
/ |
/ |
|
Total général |
3 144 |
1 162 |
4 316 |
Source : Agence de santé pour l'Océan Indien
Pour autant, l'agence de santé Océan Indien a souligné devant votre délégation que les capacités des établissements hospitaliers réunionnais ne sont pas toujours saturées . Certains des services du CHU affichent même un taux d'occupation assez bas, notamment au Nord -on relève ainsi un taux d'occupation de 50 % seulement en diabétologie-, et l'agence estime que les capacités de certains services pourraient même être réduites sans risque pour la population.
Lors de ses échanges sur le terrain, votre délégation a pu percevoir une certaine crispation sur ce point entre les personnels de l'agence de santé et les équipes hospitalières, notamment autour de la question de la prise en charge des patients mahorais. Si les soignants estiment que les évacuations sanitaires en provenance des Mayotte font peser une charge très lourde sur certains services, l'agence souligne que la prise en charge des patients mahorais permet d'apporter des ressources supplémentaires au CHU dans le cadre de la tarification à l'activité). Il semble au total que le principal problème de ce point de vue soit celui du pôle mère-enfant.
Il apparaît ensuite que la fusion entre les deux pôles Nord et Sud du CHU n'est pas encore complètement réalisée . Les deux sites ne disposent pas de moyens identiques dans toutes les spécialités, ce qui est susceptible, selon l'agence de santé, d'entraîner des pertes de chance pour les patients. Ainsi, le site situé à Saint-Pierre ne dispose que de 2,5 ETP de radiologie interventionnelle ; d'une manière plus générale, de la pénurie de professionnels en imagerie résulte une impossibilité de réaliser certains examens courants - le même problème étant du reste rencontré au niveau national.
Les représentants de l' hospitalisation privée ont par ailleurs souligné devant votre délégation les difficultés spécifiques à leur secteur dans les territoires ultramarins, où les employés des établissements publics bénéficient de majorations de traitement. L 'effort salarial à consentir par les établissements privés pour se rapprocher de ce standard est cependant de plus en plus important, compte tenu de l'évolution des tarifs hospitaliers.
Vos rapporteurs soulignent enfin l'ampleur du plan d'investissement mis en oeuvre par le CHU pour les prochaines années, à hauteur de 400 millions d'euros, et financé à 82 % par l'emprunt.
(3) Un retard important pour l'offre médico-sociale
Si, par opposition à Mayotte, l'offre médico-sociale existe à La Réunion, couvrant près de 6 000 personnes âgées ou handicapées et mobilisant près de 3 700 personnels, elle est encore très jeune et apparaît quantitativement insuffisante . Avec la Guyane et Mayotte, La Réunion apparaît comme le territoire de la République le plus en difficulté sur ce point.
Du point de vue du taux d'équipement, l'offre médico-sociale réunionnaise accuse en effet un net retard par rapport à la métropole . Bien que toujours en développement, elle se situe aujourd'hui au niveau de l'offre hexagonale de la fin des années 1990 . S'agissant des adultes handicapés, le taux d'équipement est ainsi de 4,6 %o contre 9,3 %o dans l'hexagone. Selon les données transmises par l'agence de santé pour les établissements placés sous sa compétence, 1 000 places manquent en établissements et services d'aide par le travail (Esat), ce déficit atteignant un taux de 100 %. C'est cependant pour les personnes âgées que le décalage est le plus flagrant, avec un taux d'équipement réunionnais de 46,8 %o pour les personnes âgées de 75 ans et plus, soit moins de la moitié du taux métropolitain (108,9 %o).
Répartition des établissements
médico-sociaux
pour personnes âgées au 1
er
janvier 2016
Source : Agence de santé pour l'Océan Indien
Selon les informations transmises par l'agence de santé, les orientations retenues sur le territoire réunionnais pour pallier ce sous-équipement consistent principalement dans la préférence pour le maintien en milieu ordinaire plutôt que pour le recours aux institutions, ainsi que dans la création de places de services. Ce choix est aujourd'hui rendu possible par le maintien de solidarités intergénérationnelles encore fortes à La Réunion, qui apparaissent cependant en diminution.
(4) Les soins psychiatriques à la peine
En dépit de l'engagement et de l'enthousiasme des équipes rencontrées par votre délégation à l'établissement public de santé mentale de La Réunion (EPSMR), lors d'une table ronde organisée sur ce sujet, la situation de l'offre de soins réunionnaise en matière psychiatrique apparaît particulièrement problématique. Elle se traduit par un très faible taux de recours en psychiatrie ( près de 30 % inférieur à celui constaté en métropole) , pour une offre principalement hospitalière et très insuffisante - étant précisé que la psychiatrie est une spécialité encore très jeune sur l'île, où elle n'existe que depuis une soixantaine d'années.
•
Trois séries de
difficultés
se cumulent en effet.
En premier lieu, les secteurs définis pour la psychiatrie publique apparaissent surdimensionnés , couvrant une population plus de deux fois plus importante qu'en métropole . Les « macro-secteurs » réunionnais couvrent ainsi 116 000 adultes (contre 62 000 en moyenne métropolitaine), et 48 000 enfants (contre 40 000 dans l'hexagone). Ces disparités importantes s'expliqueraient par l'absence de normes contraignantes pour la définition de l'offre de soins psychiatriques, dont résulte l'existence de standards différents sur le territoire.
En deuxième lieu, l'offre publique est largement inférieure aux besoins , avec un taux d'équipement en hospitalisation complète inférieur de moitié à la moyenne hexagonale - alors même que celle-ci est déjà insuffisante. Dans le sud de l'île, le ratio entre l'offre locale et l'offre hexagonale atteint même un rapport de un à six, et le taux d'occupation en hospitalisation à temps plein au CHU Sud est de 100 %. Au total, sept ans d'attente peuvent être nécessaires pour accéder à un foyer d'accueil médicalisé (FAM), et jusqu'à douze ans pour obtenir une place en foyer d'accueil occupationnel (FAO).
Face à cela, l'offre privée est très limitée , avec seulement 20 psychiatres libéraux installés sur le territoire réunionnais, et ne suffit pas à répondre aux insuffisances de prise en charge dans le secteur public. En tout état de cause, l'accès aux spécialistes libéraux peut poser problème pour une population globalement plus démunie qu'en métropole.
Enfin, l'EPSMR, qui constitue le principal acteur de la psychiatrie sur le territoire réunionnais, fait face à des difficultés financières qui ne pourront pas se résorber au cours des prochaines années. Cette situation résulte notamment des baisses tarifaires opérées au cours des dernières années (de l'ordre de 5 %), et concomitantes à l'augmentation des charges.
• Cette situation pose
divers
problèmes, à la fois en matière d'égalité
dans l'accès aux soins
, notamment au sud de l'île, et
en termes de qualité des prises en charge
, avec une
difficulté à assurer le suivi des patients. À titre
d'exemple, il a ainsi été indiqué à votre
délégation que la saturation des capacités
hospitalières ne laisse pas d'autre solution aux équipes
médicales que celle des externements arbitraires ; le virage
ambulatoire est ici pris par contrainte, et non dans l'intérêt des
patients !
Les difficultés relatives aux moyens et la diminution des marges de manoeuvre des établissements entravent par ailleurs la mise en oeuvre de projets nouveaux. Il serait en outre impossible dans ces conditions d'implanter la psychiatrie à Mayotte.
Les équipes médicales du CHU nous ont enfin fait part de leur difficulté à engager la démarche qui devrait être celle d'un établissement de pointe , en raison des insuffisances de l'offre de base. Il est ainsi très difficile de dégager suffisamment de disponibilité médicale pour l'investissement qui serait nécessaire dans la recherche, l'innovation et l'enseignement. L'absence de moyens, qui vient s'ajouter à celle qui existe dans le médico-social, rend également particulièrement difficile l'engagement d'une démarche de filière avec l'ensemble des acteurs.
• Votre délégation souligne enfin que,
alors que La Réunion constitue, avec la Guyane, le territoire
français le moins bien doté en soins psychiatriques, le volet
santé mentale a été retiré de la déclinaison
ultramarine de la stratégie nationale de santé, telle que
présentée dans sa version finale en mai dernier.
b) Une coopération entre les acteurs saluée par les interlocuteurs rencontrés
De la géographie de l'île de La Réunion, qui se caractérise à la fois par son éloignement avec la métropole et par sa proximité avec Mayotte résulte une triple nécessité de coopération - entre les acteurs présents sur le territoire, avec la métropole, et avec les acteurs de santé mahorais .
• Plusieurs observations faites par votre
délégation ont permis d'illustrer la nécessité de
mieux structurer les coopérations entre la métropole et le
système de soins réunionnais.
En premier lieu, selon les informations transmises à votre délégation par l'agence de santé, on compterait chaque année environ un millier d'évacuations sanitaires (Evasan) en provenance de La Réunion vers la métropole. Ces évacuations, particulièrement coûteuses, concernent principalement le traitement des tumeurs (30 %) et des malformations congénitales et anomalies chromosomiques (15 %). 78 % de ces transferts sont dus à des traitements, et 10 % à des suivis de greffe.
S'agissant des difficultés de fonctionnement des services d'imagerie du CHU, vos rapporteurs ont relevé que l'une des solutions actuellement mises en oeuvre, à côté de la coopération entre le public et le privé, réside dans la collaboration avec une société de téléradiologie située en métropole, à Lyon. Sur ce sujet comme sur d'autres, il paraît aussi indispensable qu'intéressant de faire des outre-mer des régions pilotes en matière de développement de la télémédecine .
Préconisation n° 5 : Faire de La Réunion une région expérimentale en matière de développement de la télémédecine, en permettant aux acteurs de mettre en oeuvre des solutions innovantes de cotation et de financement des actes associés. |
• Deux déplacements effectués
respectivement au sein du groupe Clinifutur et de la clinique Oméga ont
permis de mettre en évidence le
travail en coopération et
en bonne harmonie entre les secteurs public et privé sur le territoire
réunionnais
- qui résulte notamment d'une volonté
clairement exprimée par les acteurs de travailler ensemble. Le premier
constitue un établissement privé dont le financement est
d'origine familiale, et ne résulte pas d'un fonctionnement de type
capitalistique. Le second est un établissement de soins de suite et de
réadaptation (SSR) ayant mis en place une prise en charge innovante pour
les suites d'une chirurgie bariatrique, qui permet de soulager la
médecine de ville tout en augmentant l'efficacité du traitement
pour les patients.
• Vos rapporteurs ont par ailleurs pu rencontrer avec
grand intérêt l'équipe chargée de la mise en place
d'une
plateforme innovante pour l'amélioration de la prise en
charge coordonnée des maladies chroniques
.
Cette plateforme est issue de l'appel à projets national « Territoires de soins numériques », doté de 80 millions d'euros répartis entre cinq régions sélectionnées, dont 19 millions pour La Réunion. Constituée sous la forme d'un groupement de coopération sanitaire (GCS), elle fédère plusieurs des acteurs majeurs de la santé de l'île : les établissements hospitaliers publics et privés et les médecins libéraux, dans le cadre d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) passé avec l'agence de santé pour les deux territoires de La Réunion et de Mayotte.
Outre cet aspect de coopération entre les acteurs, ce programme, dit Océan Indien Innovation santé (OIIS), présente ceci d'intéressant qu'il expérimente de nouveaux modes de prise en charge des maladies chroniques 28 ( * ) , passant par un système d'information en ligne . Celui-ci permet à la fois d'apporter de l'information au grand public, aux patients ainsi qu'à l'entourage, de mieux coordonner les parcours de santé, et de faciliter les conditions d'exercice des acteurs de santé. Centrée sur l'outillage numérique des parcours de santé , l'initiative vise ainsi à répondre aux enjeux portés par la transition épidémiologique, qui résident dans l'amélioration de la prévention, de l'autonomie des patients et de la gestion des situations complexes.
Plusieurs services sont ainsi proposés par cette plateforme en ligne, qui comprend différents niveaux, avec un accès libre et un accès sécurisé selon la nature des informations en cause. On y trouve en premier lieu un portail internet dédié, comportant un niveau de consultation libre et un accès sécurisé aux données médicales personnelles (dossier de coordination, informations relatives à la télésurveillance et à la téléexpertise, carnet de vaccination, résultats de laboratoire, dossier médical partagé -DMP). Ces données médicales constituent une base plus synthétique qu'un DMP, et comportant des données plus contextualisées qu'un simple ensemble d'information brutes. Il comprend ensuite un volet de coordination des soins visant à alléger le travail administratif des professionnels, avec une possibilité de mettre en place un référent joignable par le patient via un numéro vert. Le dispositif comporte également un volet recherche et épidémiologie. Enfin, une « boîte à outils », incluant par exemple l'activation de notifications ou un accès à des comptes rendus, pourrait à terme être intégrée à l'application mobile de la plateforme OIIS.
• Au total,
l'organisation de l'offre de
soins sur le territoire réunionnais apparaît globalement plus
satisfaisante que dans les autres outre-mer, en dépit de la persistance
de marges de progrès importantes
. Celles-ci résident
notamment dans le développement des politiques de prévention, le
renforcement des moyens de la santé maternelle et infantile, et
notamment des services de PMI, ainsi que la mise à niveau de l'offre
médico-sociale face au défi du vieillissement rapide de la
population.
Selon les rapporteurs de la Cour des comptes, le principal problème qui se pose aux Dom en matière sanitaire résulterait d'ailleurs moins d'un manque d'investissement que de la course-poursuite qui se trouve engagée entre la montée des nouveaux problèmes sanitaires et la mise à niveau du système de soins . Face à cette situation, la Cour des comptes indique avoir observé sur le terrain une forme de résignation des professionnels de santé qui, face au cumul de difficultés, se trouvent dans une situation d'attente.
* 24 Ainsi que l'a souligné notre collègue Thani Mohamed Soilihi devant notre délégation, l'estimation mahoraise tient compte de la population officiellement recensée, et non de la population effectivement présente sur place. Il est donc permis de penser que le chiffre véritable est encore inférieur à cette estimation.
* 25 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
* 26 Les éléments retranscrits dans ce paragraphe font référence à la V2010 de la certification. Il est à noter que la certification des hôpitaux a pour but d'évaluer la démarche d'amélioration de la qualité des soins mise en oeuvre par les établissements, et non les pratiques médicales des équipes qui y exercent.
* 27 Le taux d'équipement est exprimé, selon les cas, pour 1 000 habitants, pour 1 000 femmes âgées de 15 ans ou plus (gynécologie-obstétrique), pour 1 000 enfants âgés de 0 à 16 ans (psychiatrie infanto-juvénile) ou pour 1000 personnes âgées de plus de 16 ans (psychiatrie générale).
* 28 Quatre pathologies sont couvertes par le programme : le diabète, l'insuffisance rénale chronique, l'insuffisance cardiaque chronique et les suites d'AVC.