III. LE MOMENT À NE PAS MANQUER : UNE ACTION IMMÉDIATE EST NÉCESSAIRE POUR SAISIR L'OPPORTUNITÉ QUI S'OFFRE À LA FRANCE
A. DU FRÉMISSEMENT À LA CONFIRMATION : LA DEMANDE DE FRANCE
1. L'amélioration certaine et progressive de l'image de la France
a) L'impact de l'arrêt des essais nucléaires
(1) Les années de crise
La France est certes une puissance riveraine du Pacifique, mais au cours des décennies passées, elle n'a pas toujours bénéficié d'une image favorable. Elle s'est vue reprocher son passé colonial, son utilisation de l'arme nucléaire et la réalisation des essais dans le Pacifique. Le sentiment anti-français dans le Pacifique sud a été une réalité. Une citation attribuée au Premier ministre néozélandais alors en poste résumait bien l'état de la relation franco néo-zélandaise : « Il est parfaitement incongru de parler français dans le Pacifique sud » ! L'épisode du Rainbow Warrior , en 1985, avait renforcé les préventions de la Nouvelle-Zélande, déjà très fortement engagée dans la lutte pour la dénucléarisation du Pacifique sud, contre la France.
Les relations politiques franco-australiennes ont également connu, au cours des années 1990 et 2000, des fortunes diverses qui se sont souvent traduites par des perturbations passagères, liées notamment à l'évolution de la situation en Nouvelle-Calédonie, aux critiques australiennes à l'égard de la politique agricole commune ou aux négociations entreprises dans le cadre du GATT (où l'Australie défendait les intérêts des pays du « groupe de Cairns » 77 ( * ) ).
Mais les essais nucléaires français dans le Pacifique sud ont, sans conteste, constitué, pendant une trentaine d'années, la principale hypothèque pesant sur les relations franco-australiennes, comme sur les relations franco-néo-zélandaises. La crise des années 1995-1996, aujourd'hui close, fut à la fois la dernière et la plus rude. Les réactions hostiles à cette ultime série d'essais nucléaires 78 ( * ) ont, par leur dureté de ton sans précédent, sérieusement affecté les relations politiques entre la France et ses voisins de l'Océanie.
(2) L'apaisement des tensions
L'arrêt définitif des essais français a été accompagné de la signature par Paris des protocoles au traité de Rarotonga relatifs à l'instauration d'une zone exempte d'armes nucléaires dans le Pacifique sud, puis de la signature du CTBT (traité d'interdiction complète des essais) et du démantèlement de nos sites de Mururoa et Fangataufa. Le nouveau gouvernement australien -dirigé par M. John Howard à la tête d'une coalition libérale-nationale constituée en mars 1996- a alors pris l'initiative de la normalisation des relations franco-australiennes.
En 1998, différents événements ont permis d'améliorer les relations bilatérales entre la France et l'Australie :
- l'annonce par notre collègue sénateur Jean-Pierre Masseret, alors secrétaire d'État auprès du ministre de la Défense chargé des Anciens combattants, lors de sa visite en avril 1998, de l'attribution de la Légion d'Honneur à tous les anciens combattants survivants de la Première Guerre Mondiale a été chaleureusement accueillie dans l'opinion publique australienne, très attachée à ses « poilus », appelés « diggers »,
- un accord supprimant les visas de court séjour entre les deux pays a été signé le 14 juillet 1998,
- enfin, la signature des accords de Nouméa, outre leur effet intrinsèque, a répondu aux attentes des pays de l'Océanie. Un entretien, en marge de la signature des accords en mai 1998, entre le Premier ministre français et le Président de la Chambre des représentants qui représentait le Premier ministre australien, a marqué une relance du dialogue politique bilatéral.
En 1999, la participation de la France à l'opération Interfet au Timor-Est (cf. supra) a été appréciée et saluée, notamment par l'Australie qui avait sollicité notre aide, en tant que puissance riveraine du Pacifique.
Enfin, la France s'est engagée en faveur du désarmement nucléaire. Elle a été le premier État, avec le Royaume-Uni, à avoir signé et ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Elle a également été le premier État à décider de la fermeture et du démantèlement de ses installations de production de matières fissibles à des fins explosives. Enfin, elle a démantelé de manière transparente son site d'essais nucléaires situé dans le Pacifique.
b) L'impact de la COP 21
La France a présidé la 21 e conférence des parties (COP 21) à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques du 30 novembre au 11 décembre 2015.
(1) Les attentes des pays riverains de la France dans le Pacifique
L'objectif des Iles des Pacifiques Sud était d'obtenir un accord limitant le réchauffement climatique à une augmentation de 1,5 degré Celsius. Réunis depuis 1990 au sein de l'AOSIS ( Alliance Of Small Islands States ), ces micro-États tentent de sensibiliser la communauté internationale à l'enjeu vital que constitue réchauffement climatique, phénomène menaçant l'existence même de ces iles. Leur alliance regroupe les 44 pays les plus exposés aux effets du changement climatique et émettant le moins de gaz à effet de serre, soit 0,00001 % des émissions globales.
Le changement climatique se manifeste concrètement dans ces territoires : multiplication des pluies diluviennes, violence des ouragans, avancée de la mer, pollution affectant la faune, la flore et les ressources d'eau potable. En raison de la hausse du niveau des eaux, conséquence de la fonte des glaciers, les Tuvalu, les Kiribati, les Iles Marshall et le territoire Tokelau risquent de disparaitre sous les flots.
Conscients de leur faible poids dans cette bataille face aux pays supposés opposés à un accord qu'incarnaient pour l'AOSIS les géants américain et chinois, les États insulaires, qui représentent 12 voix à l'ONU et 7,8 % des voix de l'AG ONU, ont été extrêmement volontaristes au cours de la Cop 21 et leurs contributions ont été jugées très utiles. La Chine et les États-Unis émettent respectivement 21 % et 20 % des gaz à effet de serre 79 ( * ) . La ratification de l'accord de Paris par ces deux pays a été vue comme une possible avancée de la lutte contre le réchauffement climatique.
Pour sa part, l'Australie est directement concernée par le réchauffement climatique qui cause le blanchissement de la barrière de corail. Elle est le 13 e émetteur mondial de gaz à effet de serre. Elle prévoit de réduire d'ici 2030 de 26 à 28 % ses émissions par rapport aux niveaux enregistrés en 2005. Il était reproché à l'Australie de ne pas réaliser là un effort suffisant dans la mesure où la réduction prévue ne constitue qu'une baisse de 6,6 % par rapport au niveau d'émission de gaz à effet de serre enregistré en 1990. Cette évolution s'inscrit dans le cadre du modèle économique australien : l'exportation de matières extractives telles que le gaz ou le charbon vers les marchés asiatiques en plein essor, modèle de croissance économique polluant. Sur le même intervalle 1990-2030, les émissions russes devraient diminuer de 25 % et celles de l'Union européenne de 40 %.
(2) L'Accord de Paris
L'Accord de Paris a été approuvé par l'ensemble des 195 délégations le 12 décembre 2015. Il s'agit du premier accord universel sur le climat.
Cet accord, salué comme un succès de la diplomatie française, se veut différencié, juste, durable, dynamique, équilibré et juridiquement contraignant. Il prévoit notamment de contenir le réchauffement climatique « bien en dessous de 2 °C » par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C. Ce dernier objectif a été ajouté à l'initiative de l'AOSIS qui a salué l'appui de la France.
L'Accord a été ouvert à la signature en avril 2016. À cette occasion, 175 pays l'ont signé et 15 l'ont ratifié. Les trois premières nations qui l'ont ratifié furent les îles Fidji, Palos et Marshall.
L'Accord de Paris devait être ratifié par au moins 55 États, couvrant 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre pour entrer en vigueur. Le premier seuil a été franchi le 21 septembre 2016 et le second le 5 octobre 2016. L'Accord est entré en vigueur le 4 novembre 2016, soit 30 jours après que les deux conditions aient été réunies et moins d'un an après son adoption à Paris. Les commentateurs s'accordent à y voir un record pour un traité international de cette importance.
À l'issue de la COP 22 qui s'est tenue à Marrakech du 7 au 18 novembre 2016, 111 États, et l'UE, ont ratifié l'Accord de Paris. Collectivement, ces pays représentent plus des trois quarts des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
2. La France : une puissance stabilisatrice de la zone
a) L'aide au développement
(1) Les enjeux du développement du Pacifique sud
Consciente des attentes à son égard et des responsabilités qui sont les siennes, la France entend répondre aux enjeux de développement du Pacifique sud qui sont les suivants :
• l'évolution politique et institutionnelle
des collectivités françaises du Pacifique,
• la stabilité régionale du Pacifique
sud ;
• l'accès aux ressources et leur utilisation
dans un espace unique dont les ressources immenses qu'elles soient
halieutiques, de matières primaires ou de biodiversité suscitent
un intérêt renouvelé dans une région où les
besoins alimentaires ou énergétiques des populations sont en
croissance.
La France mène ainsi dans le Pacifique une politique globale qui rassemble en un tout cohérent les actions menées en direction des communautés françaises du Pacifique, celle en direction des États tiers ou en faveur des organisations régionales.
(2) Une contribution financière conséquente au développement de cette zone
Cette politique se traduit par un effort financier particulier : aux transferts financiers majeurs en faveur des collectivités françaises de l'ordre de 2,5 milliards d'euros par an s'ajoutent les contributions de la France aux organisations régionales précitées notamment la communauté du Pacifique ou le PROE. Contribuent à cet effort l'agence française de développement ainsi que la part française du fonds européen de développement dédié au Pacifique qui s'élève à près de 20 % de l'enveloppe globale de 500 millions d'euros sur cinq ans.
Dans le domaine de l'aide au développement, la coopération franco-australienne a pris la forme de projets communs tels que la construction d'une maison des étudiants du Vanuatu à Nouméa, la construction de l'aéroport de Santo au Vanuatu par exemple, et d'une concertation régulière entre les deux pays.
L'Australie apprécie d'autant plus cette assistance française aux économies insulaires de la région que la volonté française contraste avec le désintérêt croissant des autres bailleurs de fonds potentiels depuis la fin de la guerre froide : la Grande-Bretagne a quitté la Commission du Pacifique sud en 1995. La France reste ainsi la dernière puissance européenne impliquée dans la zone. Enfin, les États-Unis ont, de leur côté, considérablement diminué leur aide.
b) Les interventions de la France dans cette zone
(1) Au titre des accords FRANZ
Depuis 1992, l'accord FRANZ, acronyme composé des noms des pays signataires : la France, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, existe. Il s'agit d'un accord à vocation opérationnelle aux procédures volontairement peu formelles. Ses signataires s'engagent à échanger leurs informations afin d'assurer le meilleur usage de leurs ressources pour les opérations de secours à la suite de cyclones et autres désastres naturels dans la région.
Longtemps mis en sommeil en raison du refroidissement des relations franco-néo-zélandaises et franco-australiennes à la suite de la reprise des essais nucléaires français de 1995, cet accord a été réactivé depuis la fin des années 90.
Un échange d'informations régulier est prévu dans le domaine météorologique, pour avertir de la formation et de l'arrivée des cyclones. Les différents partenaires impliqués par cet accord se réunissent régulièrement, notamment au niveau des techniciens, pour passer en revue les besoins en matériels et raffermir leur coopération bilatérale afin de répondre au mieux aux besoins exprimés par les pays de la zone Pacifique. En plus des rencontres périodiques entre les partenaires, des exercices conjoints sont réalisés régulièrement.
Le ministère des affaires étrangères et du développement international verse annuellement une subvention du Fonds Pacifique, en général à hauteur de 30 000 euros pour reconstituer tous les ans les stocks d'urgence de matériels permettant de venir en aide aux victimes de catastrophes naturelles.
La coordination dans le cadre de l'accord FRANZ de l'aide d'urgence aux pays du Pacifique insulaire a démontré son efficacité à l'occasion des catastrophes ayant frappé la Papouasie Nouvelle-Guinée en 1998, le Vanuatu début 1999, les îles Salomon en 2007.
En avril 2007, dans le cadre de l'accord FRANZ, le Haut-Commissariat en Nouvelle-Calédonie a organisé deux missions aériennes d'aide d'urgence pour venir en aide aux victimes d'un tsunami aux îles Salomon. À cette occasion, une concertation a été menée avec les autorités australienne et néo-zélandaise et les missions effectuées en liaison avec l'Ambassadeur de France en Papouasie - Nouvelle-Guinée, compétent pour les îles Salomon, ont pu être réalisées grâce au soutien des forces armées en Nouvelle-Calédonie. L'intervention des FANC a permis d'acheminer dans les zones sinistrées deux tonnes et demi de matériels et de vivres, dont un dispositif de traitement de l'eau, une tonne de riz, des bâches, couvertures et vêtements. Une seconde mission d'aide humanitaire a été dépêchée sur place afin d'acheminer une équipe médicale comprenant à la fois des militaires et des infirmiers civils.
De même, les interventions coordonnées au titre de l'accord FRANZ au Vanuatu en 2015 et aux Fidji en 2016 ont été essentielles pour secourir les populations et aider à réparer les graves dégâts matériels.
(2) Au titre des coopérations de défense
La France a établi des relations solides avec de nombreux États de la région et a conclu des partenariats stratégiques comprenant un volet relatif aux questions internationales de défense et de sécurité, avec le Japon en 1995, la Chine en 1997, l'Inde en 1998, l'Indonésie en 2011, l'Australie en 2012, Singapour en 2012 et le Vietnam en 2013.
Les cartes suivantes rappellent pour la zone indopacifique les engagements internationaux auxquels la France est partie et sa contribution à la coopération de défense.
Source : La France et la sécurité en Asie-Pacifique, DGRIS, Ministère de la Défense, 2016
Source : La France et la sécurité en Asie-Pacifique, DGRIS, Ministère de la Défense, 2016
La France est aujourd'hui perçue comme un facteur de stabilité. Depuis que la fin des essais nucléaires et les accords de Matignon puis de Nouméa ont rendu la France « fréquentable » pour les États du Pacifique ; l'Australie apprécie le voisinage de cet acteur global « like-minded » 80 ( * ) , vecteur de renforcement des liens avec l'Union européenne. Le contexte bilatéral, de surcroît n'a jamais été meilleur, dans la dynamique de l'accord de coopération de défense 2009, puis du partenariat stratégique 2012, de la visite du Président de la république fin 2014, des commémorations de la première guerre mondiale, ou encore du quatrième sommet France Océanie fin 2015 auquel participait un ministre australien.
Le dialogue régional franco-australien ne se limite pas au Pacifique, il est aussi très développé :
- dans l'océan Indien où il se traduit par une fructueuse coopération en matière de lutte contre la pêche illicite, et un vrai dialogue au sein des instances régionales de coopération des pays riverains,
- et sur l'Antarctique où l'on peut constater une intense coopération scientifique logistique.
Les principales actions de coopération opérationnelle dans le Pacifique sud s'appuient beaucoup sur le triangle France, Australie, Nouvelle-Zélande, dont le volet le plus symbolique et l'accord FRANZ précité. La coopération de défense s'appuie sur le même triangle renforcé par les États-Unis à travers l'accord QUAD, les escales, et une série d'exercices de défense régionaux dont « Croix du Sud », organisé tous les deux ans par les FANC.
Enfin, la France est un partenaire innovant, fiable et responsable en matière de coopération d'armement selon le document du ministère de la défense « La France et la Sécurité en Asie-Pacifique » 81 ( * ) . Celui-ci précise que la France deuxième puissance économique mondiale « dispose d'un outil militaire complet et indépendant, comme l'illustrent ses capacités de conception et de fabrication autonome des outils de cette dissuasion nucléaire, de satellites, d'avions de combat, deux sous-marins, de navires, de chars et véhicules de combat, de missiles de toutes catégories et de l'ensemble des équipements contribuant au C4ISR 82 ( * ) . Cette capacité (...) s'appuie sur un outil industriel solide et innovant, sur un budget de défense importante et sur des défenses intérieures de recherche-développement civil et militaire qui classe la France au sixième rang mondial et au deuxième en Europe. ».
Exportateur d'armement, la France contribue au renforcement des capacités d'autodéfense des pays de la zone indo-pacifique.
3. La signature du « contrat du siècle » va consolider un partenariat pour le demi-siècle à venir
a) Le fort lien mémoriel entre la France et l'Australie
(1) La Grande guerre : creuset de l'identité australienne
En 2014, ont débuté les commémorations de la Première guerre mondiale.
Pour l'Australie, ces commémorations revêtent une dimension toute particulière. Dans l'imaginaire collectif australien, l'Australie en tant que nation est née le 25 avril 1915 sur les plages de Gallipoli lors du débarquement de l'ANZAC ( Australian and New Zealand Army Corps ) dans les Dardanelles. Ce ne sont pas tant les 60 000 ans de présence aborigène ou le début de la colonisation par les Britanniques en 1788 ou bien même la fédération des États en 1901 qui font figure d'acte de fondation nationale mais bel et bien le combat auprès des troupes du Roi George V, lors de l'invasion d'un pays lointain - l'Empire Ottoman - allié de l'Allemagne lors de la Grande Guerre 83 ( * ) . L'Australie entrait dans le concert des nations là où les nations étaient supposées naître : sur le champ de bataille.
Les Australiens ont envoyé 10 % de leur population, soit 400 000 hommes volontaires, combattre pendant la Première Guerre mondiale : 153 500 ont été blessés et 60 000 sont morts, soit 1,5 % de la population de ce pays-continent, une proportion très proche des pertes britanniques.
Chacun des interlocuteurs que nous avons rencontrés en Australie nous a parlé de son grand-père, de son grand-oncle, d'un membre de sa famille reposant en terre française. C'est dire si cette question essentielle a pu jouer un rôle dans les choix stratégiques de l'Australie ! Elle touche aux fondements mêmes de la nation australienne, qui s'est reconnue telle au coeur de ce conflit mondial si éloigné de ses côtes, dans la douleur de la perte de ses enfants 84 ( * ) .
(2) Des commémorations exceptionnelles en France
Le gouvernement australien a annoncé qu'un budget de 83,5 millions de dollars australiens, soit près de 65 millions d'euros serait consacré aux commémorations du centenaire de la Première guerre mondiale. Un des plus importants est le Government's Anzac Centenary Local Grants Program accordant un budget de près de 80 000 euros à chacune des 150 circonscriptions électorales du pays pour développer des projets commémoratifs au niveau local. À cela s'ajoutent les sommes importantes engagées par le gouvernement australien dans la Somme et en Picardie :
- un budget de dix millions de dollars a été dédié en 2010 à l'établissement du « circuit du souvenir australien » sur les lieux d'engagement des soldats australiens sur le Vieux continent,
- plusieurs millions ont été consacrés à la réfection du musée de Monsieur Letaille à Bullecourt et au financement du musée de Fromelles, qui a ouvert ses portes en 2014.
Enfin, un projet vise à implanter une école bilingue à Pozières. Après la Grande Guerre, l'État de Victoria s'était mobilisé pour reconstruire l'école de Villers-Bretonneux, où 23 000 soldats australiens périrent entre le 23 juillet et le 5 septembre 1916. Cent ans plus tard, les écoliers de l'État de Nouvelle-Galles du Sud ont organisé une collecte, le mercredi 11 novembre 2015 avec pour objectif la reconstruction de l'école dans l'ancienne mairie de Pozières 85 ( * ) .
Il ne pouvait être question de ne pas s'associer aux commémorations de l'ANZAC Day. Le Président du groupe de travail de notre commission sur l'Australie a assisté aux cérémonies de commémoration de l'ANZAC Day à Villers-Bretonneux le 25 avril dernier, à l'aube dans la plaine de la Somme. Outre le Gouverneur Général du Commonwealth d'Australie, Sir Peter Cosgrove 86 ( * ) , quelque 6 000 Australiens avaient fait le déplacement pour assister à cette cérémonie digne, émouvante et porteuse d'un enjeu de transmission aux générations futures. En témoigne la très longue procession des familles et descendants de diggers venus déposer des couronnes de coquelicots, symboles du souvenir, à l'issue des cérémonies.
La bravoure de ces soldats, mais plus encore leur camaraderie, ont forgé l'idéal australien, aujourd'hui transmis avec ferveur aux enfants de cette nation. Tous les enfants australiens de ce pays, qui est bien plus grand que le continent européen, se rendront au moins une fois au cours de leur scolarité au mémorial de la guerre à Canberra. Notre délégation, après avoir visité le musée du mémorial, a participé à la cérémonie quotidienne du souvenir qui s'y déroule et a déposé une gerbe au nom du Sénat en hommage aux soldats australiens morts pour nos valeurs et notre liberté.
Sur des bases aussi solides et toujours vivantes, notre relation avec l'Australie ne peut que prospérer et servir de point d'appui précieux dans un contexte mondial troublé, où les menaces se multiplient. La France et l'Australie se retrouvent autour de valeurs essentielles, forgées sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale.
C'est dans ce contexte historique fort que le gouverneur général a annoncé, le 26 avril 2016 lors de sa visite en France, que DCNS était retenue pour fournir les sous-marins à l'Australie.
b) Une position de non favori à l'origine
(1) La constitution d'un pilotage public-privé très en amont du projet
À son arrivée au pouvoir en 2013, le Premier ministre Tony Abbott demande aux Japonais de fournir les sous-marins conventionnels à même de remplacer les six Collins vieillissants qui constituent la flotte sous-marine australienne. À ce moment-là, personne à Paris ne croyait à la chance de la France dans une éventuelle compétition, à l'exception notable des dirigeants de DCNS et du ministre de la défense français Jean-Yves Le Drian. Première force d'entraînement de ce dossier, il se rend en novembre 2014 à Albany où sont organisées les cérémonies de commémoration du centenaire du départ des militaires australiens vers l'Europe. Comment imaginer meilleur départ que le lien mémoriel ?
Pourtant, à ce moment-là, les Japonais semblent si bien placés, forts du soutien supposé des États-Unis et plus particulièrement des militaires américains, qu'aucun espoir ne paraît permis à aucun autre concurrent. Dès son retour en France, le ministre décide pourtant d'organiser le pilotage du projet en réunissant tous les quinze jours les industriels concernés, DCNS et Thalès, la Direction générale de l'armement (DGA), les experts du ministère et des représentants de la marine ainsi que l'ambassadeur de France en Australie.
En février 2015, le Premier ministre australien, partisan de la solution japonaise, ouvre finalement l'offre aux candidats allemands et français : TKMS et DCNS. Puis, en septembre 2015, le nouveau Premier ministre Malcolm Turnbull met en place toutes les conditions d'une compétition transparente et équitable, laissant deux mois aux candidats pour remettre leur offre. Le Japon répond en tant qu'État en appui d'un consortium formé par Mitsubishi Heavy Industries et Kawasaki Shipbuilding Corporation . Les propositions européennes sont quant à elles portées par les industriels, TKMS s'appuyant sur la qualité allemande, DCNS jouant la discrétion et l'écoute à l'image du slogan choisi : « le sous-marin le plus avancé que vous ne verrez jamais ».
Des raisons objectives plaçaient l'offre française en bonne position dans la compétition pour emporter le marché des sous-marins. C'est pourtant en « outsider » que la France s'est présentée. La qualité technologique de l'offre allemande et la grande proximité stratégique entre le Japon et les États-Unis, alliés traditionnels de l'Australie, semblaient laisser peu de chance à l'offre française. Cette position d'outsider était aussi le fruit d'une décision mûrement réfléchie.
(2) La stratégie d'outsider
Très rapidement est définie une stratégie portée au plus haut niveau politique, avec la première visite d'un Président de la République français en Australie en novembre 2014. François Hollande était accompagné des Présidents des gouvernements de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et d'élus de Wallis et Futuna, dans une perspective bien comprise de l'importance des territoires français du Pacifique dans notre relation à l'Australie.
À l'occasion de la visite du Président de la République, « Team France Australie » a été officiellement créée. C'est une équipe qui rassemble l'ensemble des partenaires de l'action économique de la France en Australie. Sous l'égide de l'ambassade et animée par le Service économique, Team France comprend Business France, la Chambre de commerce et d'industrie franco-australienne (FACCI), la section Australie des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), Atout France, le consulat général de France ainsi que le service de coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France.
À cela s'ajoute une analyse minutieuse du marché et des attentes du pouvoir adjudicateur réalisée par l'ambassade. L'image de la France en Australie a fait l'objet d'une étude précise : traditionnelle, associée au produits de luxe, bien loin des créneaux porteurs des marchés australiens, à quelques exceptions de niche près. Quant aux attentes de l'Australie, l'ambassadeur les a précisées devant notre commission lors de son audition en soulignant les liens de mémoire qui nous unissent à l'Australie. Les valeurs cardinales de ce pays sont l'esprit d'équipe, la fiabilité, la persévérance et la discrétion, il est décidé qu'elles caractériseront également l'offre française.
Un travail efficace sur les représentations de l'image de la France a été réalisé avec le programme « Creative France », lancé par le ministre des affaires étrangères, en valorisant la créativité comme chaînon manquant entre la tradition et l'innovation. Cette image a également bénéficié de plusieurs effets positifs bien mis en valeur : les bons résultats de la COP 21, la résilience de la société française face aux attentats qui l'ont durement touchée, l'excellence des entreprises françaises déjà installées en Australie et qui ont apporté leur soutien à l'offre française, notamment Thalès et Safran, dont nous avons visité les sites à Sydney lors de notre déplacement en septembre 2016. Cette mobilisation a permis de démontrer aux autorités australiennes que l'offre française pouvait s'appuyer sur un tissu industriel et économique solide, franco-australien et australien.
Les contacts ont ensuite été entretenus et orchestrés dans le cadre de la stratégie globale menée par « l'équipe France » ou « Team France » : à la visite du Président ont succédé les multiples visites des responsables de DCNS, le déplacement d'une délégation du MEDEF, avec la création d'une délégation ad hoc qui s'est rendue sur place en mars 2016. L'armée française a également participé à des rencontres à tous les niveaux, y compris le plus haut : le chef d'état-major de la marine, l'amiral Bernard Rogel, a multiplié les rencontres avec ses homologues et les déplacements. Les navires français ont navigué dans les eaux australiennes, le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Tonnerre, et la Frégate type La Fayette (FLF) Guépratte ont accosté en mai 2016 dans différents ports australiens, suscitant un véritable engouement.
S'est ainsi noué un dialogue stratégique de haut niveau, unissant les efforts des acteurs publics et privés, qui a confirmé que l'offre industrielle française de grande qualité serait la base d'une relation stratégique riche, et exclusive par certains aspects, entre la France et l'Australie, visant à renforcer la souveraineté à laquelle l'Australie aspire légitimement. Toutes les auditions du groupe de travail avec les ministres de l'Australie ou de ses États fédérés ont souligné la durée de cette relation de cinquante ans - on parle volontiers là-bas de mariage -, ouverte par la signature de l'achat des sous-marins français, basé sur un transfert de technologies liées à la souveraineté et à l'autonomie.
c) Un marché en cours de signature
(1) L'annonce de la signature du contrat en avril 2016
L'Australie a mis en place un processus d'évaluation compétitive, pour la première fois dans le cadre du programme sous-marin, qui a vocation à être reconduit pour les programmes d'armement majeur. Ce processus a garanti un partage équitable et transparent des informations entre les compétiteurs et un suivi de toutes les étapes par un panel d'experts indépendants. La qualité de ce processus d'évaluation compétitive a été soulignée par tous les acteurs français que nous avons rencontrés.
Elle a donc permis à l'Australie de retenir la proposition qui doit lui assurer la supériorité régionale qu'elle entend conserver dans le domaine des sous-marins, en lui assurant l'autonomie stratégique qu'elle recherchait.
Le 26 avril 2016, le constructeur naval militaire français a été retenu pour la construction de 12 sous-marins, soit un doublement de la flotte sous-marine australienne. La fourniture de cet équipement est la preuve de l'importance pour la France du partenariat stratégique renforcé avec l'Australie. Le transfert vers nos alliés australiens de technologies touchant la souveraineté rend ce partenariat unique, exclusif et pérenne. Tous les interlocuteurs australiens et français que nous avons rencontrés dans le cadre de ce rapport ont souligné que la France et l'Australie s'engageaient là dans une relation de long terme, la fourniture des 12 sous-marins comprenant la conception, les transferts de technologies, la production, le système de combat et la maintenance devant s'étaler sur au moins 25 ans.
(2) L'état des négociations fin 2016
Notre groupe de travail a apporté la contribution de la diplomatie parlementaire à cette équipe France, en présentant auprès de tous nos interlocuteurs et notamment des deux ministres en charge des questions de défense, Marise Payne, Ministre de la Défense et Christopher Pyne, Ministre de l'industrie de défense, le soutien des parlementaires de toutes les sensibilités politiques de notre commission à ce partenariat stratégique franco-australien de longue haleine.
Nous avons pu rappeler l'engagement du gouvernement et le consensus sur les questions de défense qui permet de garantir la continuité du soutien étatique dans la constitution d'une industrie navale souveraine australienne. De nombreux défis qui s'inscrivent dans le temps long devront être relevés, et la France sera aux côtés de l'Australie pour les affronter. L'Australie bénéficiera dans ce domaine des avancées découlant de la permanence en mer et de la mobilisation opérationnelle des sous-marins français.
Le premier contrat opérationnel dans le cadre du programme SEA 1000 de nouveaux sous-marins de la Royal Australian Navy , « Design and Mobilisation Contract » a été signé le 30 septembre 2016 entre le gouvernement australien et DCNS. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a ainsi salué cette annonce : « Ceci constitue une première étape-clé dans la mise en oeuvre du choix par l'Australie d'un partenariat de long terme avec la France dans le domaine stratégique des sous-marins. La France, et particulièrement le ministère de la Défense, restera pleinement mobilisée pour accompagner le bon déroulement de ce programme dans les meilleures conditions ».
Ce contrat permet la mise en oeuvre des activités de structuration du programme et de coordination avec l'intégrateur américain du système de combat, Lockheed Martin, et les partenaires australiens. Le contrat est le signal de lancement des travaux de conception vers un design préliminaire des sous-marins. Il permet d'étudier plus avant leur industrialisation à Adelaïde. Les premières opérations de développement des sous-marins pour la Marine australienne vont pouvoir débuter, mobilisant 4 000 employés de Cherbourg, Nantes et Lorient pendant plusieurs années.
Il s'agit donc d'une première étape dans un processus long et complexe - ce qui est normal pour un projet d'une telle envergure - qui doit comprendre par la suite, au fil de l'avancée des travaux et négociations, la notification d'autres contrats aboutissant au design définitif puis à la commande du premier bâtiment. Celle-ci ne devrait, en toute logique, pas intervenir avant 2018, aucun calendrier n'étant toutefois précisé.
Enfin, le 8 décembre 2016, la France et l'Australie ont signé un accord de partage d'informations classifiées en vue de renforcer les dispositifs existants. Il vient en soutien direct du futur programme de sous-marin tout en permettant une plus grande coopération sur un certain nombre de sujets relatifs à la sécurité nationale. Cet accord crée des mécanismes et des protections permettant un partage d'informations classifiées entre la France et l'Australie, avec notamment :
• des équivalences de niveau de classification
et des dispositifs de gestion de l'information,
• une reconnaissance mutuelle des personnels
habilités et des habilitations de sécurité pour les
sites,
• un mécanisme de distribution des
responsabilités entre les parties dès lors qu'un sous-traitant
intervient dans des projets comprenant des informations classifiées.
Cet accord intergouvernemental représente une étape importante dans le développement du partenariat stratégique entre la France et l'Australie. Il permet de répondre à la nécessité de se doter d'un environnement réglementaire parfaitement adapté au programme « Shortfin Barracuda », alors que l'été 2016 a été le théâtre d'une opération visant à nuire à DCNS en orchestrant la médiatisation de fuites d'information, finalement de peu d'importance, sur le projet Scorpène 87 ( * ) .
* 77 Le groupe de Cairns est une organisation internationale créée en août 1986 à Cairns en Australie pour libéraliser le marché agricole mondial. Il comprend donc des pays exportateurs de biens agricoles hors États-Unis et Union européenne. Il est composé de 19 pays : Australie, Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Colombie, Costa Rica, Bolivie, Canada, Chili, Indonésie, Malaisie, Guatemala, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Paraguay, Pérou, Philippines, Thaïlande, Uruguay.
* 78 Annoncée en juin 1995 et terminée en janvier 1996.
* 79 La Chine s'est engagée à porter la part des énergies non fossiles dans sa consommation d'énergie primaire à environ 20% d'ici à 2030. Les États-Unis se sont engagés à réduire de 26 à 28 % leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici 2025 (par rapport à 2005) et à exclure le recours aux crédits-carbone internationaux. Le gouvernement chinois s'est engagé pour une croissance plus verte. L'élection de Donald Trump et l'installation d'une administration climato-sceptique inquiètent. Le risque d'une dénonciation de l'accord est réel.
* 80 Aux vues similaires.
* 81 Mis à jour en 2016.
* 82 C4ISR est un sigle utilisé pour représenter un ensemble de fonctions militaires définies par C4 (Computerized Command, Control, Communications en 2007, anciennement Command, Control, Communications, Computers), I (Intelligence -renseignement militaire-) et S (Surveillance), R (Reconnaissance).
* 83 Source : http://centenaire.org, site officiel de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale.
* 84 L'Anzac n'a jamais été aussi important après les années 1930 que depuis le milieu des années 1990 pour proposer une certaine (re)définition de l'identité nationale, notamment défendue par le Premier ministre John Howard, libéral, réélu à trois reprises entre 1996 et 2007, au point que le gouvernement travailliste en place de 2007 à 2013 n'est pas parvenu à proposer une autre lecture de l'identité australienne dite « The Big Picture » qui tendait à intégrer au récit national les « nouveaux Australiens » des années 1970, les Grecs, les Italiens mais aussi les hommes et femmes venus de nombreux pays d'Asie, et les Aborigènes. En 2016, la campagne des élections législatives a été marquée par la semaine de la réconciliation entre les premières nations et le peuplement exogène. Le jour du Pardon (Sorry Day, instauré en 1998), le 26 mai, a été dominé par le débat portant sur la reconnaissance des Aborigènes.
* 85 Ce projet d'école franco-australienne à Pozières est porté par M. John Mac Coll, fondateur du lycée franco-australien de Sydney inauguré en 1989, qui forme des élèves bilingues de la petite section maternelle à la terminale.
* 86 Il s'agissait de la première visite d'État en France du Gouverneur Général du Commonwealth d'Australie.
* 87 L'excellente relation tissée entre l'industriel et le gouvernement australien, a permis de lever toute inquiétude dans ce domaine. Une enquête est en cours pour déterminer les auteurs du vol des données non classifiées qui ont été un temps diffusées par certains médias australiens, avant que la justice australienne ne demande la restitution des documents à DCNS.