EXAMEN PAR LA COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 1 er février 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean Bizet et Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :
M. Claude Haut . - Je partage la très grande majorité des propositions que vous nous avez présentées. Vous comprendrez néanmoins que je m'abstienne, au nom du groupe La République en Marche : le paragraphe 25 s'éloigne nettement de la position exprimée par le Président de la République sur les listes transnationales pour les élections au Parlement européen.
M. Simon Sutour . - Habituellement, nous reprenons dans les propositions de résolution européenne les positions exprimées majoritairement par notre commission. La rédaction de l'alinéa 25, qui reprend les termes de la résolution de mars 2016 de nos collègues Fabienne Keller et Jean-Yves Leconte sur la proposition de réforme de la loi électorale de l'Union européenne que le Parlement européen avait formulée, ne déroge pas à cette règle. Le Brexit, qui libère au Parlement européen les sièges des députés britanniques, nous permet d'avoir une appréciation concrète de cette question. Le Président de la République s'est effectivement prononcé en faveur de l'instauration de listes électorales transnationales. Nous partageons a contrario la position de nos collègues : un Parlement européen à 751 députés est déjà colossal. Dans la perspective de l'intégration de nouveaux États - je pense notamment à la Serbie et au Monténégro -, il nous semble préférable de répartir les sièges britanniques entre les pays membres.
M. Jean Bizet, président . - Notre proposition est cohérente avec les précédents travaux de notre commission sur ce sujet.
M. Claude Haut . - Et ma position s'accorde avec celle de mon parti.
M. Simon Sutour . - Il me semble pourtant avoir souvenir qu'en mars 2016, notre commission, dont vous étiez déjà membre, était unanime en la matière.
M. Claude Haut . - Les avis peuvent évoluer.
M. René Danesi . - J'apporte mon soutien à cette proposition de résolution, qui reflète parfaitement l'esprit de nos récents travaux. Permettez-moi néanmoins d'exprimer quelques remarques. L'alinéa 21 évite fort raisonnablement de citer le terme de « relocalisations », véritable « chiffon rouge » pour certains États d'Europe centrale, qui n'ont pas au sujet des migrations la mauvaise conscience des anciennes puissances coloniales. Leur imposer des relocalisations aurait porté un risque de fracture de l'Union européenne.
L'alinéa 22 relatif aux négociations commerciales affirme l'objectif d'une plus grande transparence. Comment ne pas s'en réjouir lorsqu'on se souvient de l'opacité des discussions avec les États-Unis sur le Transatlantic Free Trade Area (Tafta), projet heureusement abandonné depuis ? J'approuve également les termes de la proposition de résolution, qui, enfin, définit l'Europe comme une puissance commerciale centrée sur la défense de ses intérêts. Après avoir tant souffert des conséquences économiques de la désindustrialisation et d'une politique européenne semblant privilégier les intérêts de certaines multinationales, cette évolution vers, en somme et sans provocation, un principe « Europa first » représente un soulagement.
Je m'interroge, à l'alinéa 28, sur le choix du terme « élargissement ». Le système, reconnaissons-le, ne fonctionne pas en l'état avec vingt-huit pays. L'unanimité est paralysante et le restera tant que le principe d'une Europe à deux ou trois vitesses, sur le modèle de cercles concentriques, ne sera pas approuvé. À défaut, il est vain d'envisager un nouvel élargissement. Personne, d'ailleurs, n'imagine plus une entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Quant aux pays balkaniques, pourquoi ne pas leur offrir ce que le chancelier Kohl avait jadis proposé à la Turquie : des accords économiques et commerciaux favorables à leur développement et à leur stabilité politique ? Cette solution me semble préférable à une intégration, qui donnerait à ces pays un droit de veto au sein de l'Union européenne. Certains de ces États présentent, en effet, d'inquiétantes difficultés : à titre d'illustration, les Albanais constituent la première minorité étrangère à comparaître devant des juridictions françaises, triste record qui explique le récent déplacement de Gérard Collomb à Tirana. Je ne crois nullement qu'une intégration permette à ces pays de résoudre leurs difficultés.
M. Pierre Ouzoulias . - J'ai pour ma part la conviction, généreuse voire utopique, qu'il faut, pour faire émerger une citoyenneté européenne, refonder l'Union européenne autour de valeurs partagées fondées sur les droits de l'Homme et, évidemment, ceux de la femme. Au nom de mon groupe, je m'abstiendrai sur la présente proposition de résolution.
Mme Colette Mélot . - Dans l'intérêt du développement économique et de la stabilité politique des Balkans, nous ne pouvons traiter différemment les pays de la région. Je considère à cet égard que de simples accords de développement avec la Serbie et le Monténégro, comme le propose notre collègue René Danesi, alors que la Croatie, par exemple, a pu entrer dans l'Union, seraient absolument insuffisants. Ces États ne comprendraient pas une telle mise à l'écart ! Leur intégration constituerait également un signal d'espoir pour la Bosnie, comme pour l'Albanie, et les inciterait à poursuivre leurs efforts.
M. Simon Sutour . - Les règles relatives à l'élargissement de l'Union européenne dans les Balkans, géographiquement au coeur de l'Europe, sont parfaitement établies pour les années à venir. D'abord, le président Juncker a indiqué qu'au cours des cinq années de son mandat à la tête de la Commission européenne, il n'y aurait aucune nouvelle adhésion. Ensuite, la position européenne s'agissant de l'intégration des pays des Balkans occidentaux repose sur des considérations historiques liées à la guerre civile qui a déchiré ses États : l'Union considère que leur adhésion sera favorable à leur stabilité politique, raison pour laquelle elle a accueilli d'abord la Slovénie, puis la Croatie, avant d'accepter la candidature du Monténégro et de la Serbie. Ces derniers réalisent des efforts considérables dans la perspective de leur intégration, qui a vocation à se réaliser ; l'Europe en a pris l'engagement. Enfin, et ce dernier point constitue une réponse à M. Danesi, s'il est exact que le système de décision européen patine quelque peu, cette difficulté est la conséquence, non pas du nombre de pays membres, mais de la règle extrêmement bloquante de l'unanimité. Un plus grand nombre de sujets doit pouvoir relever de la majorité qualifiée.
M. Jean Bizet, président . - Les pays balkaniques sont certes modestes par la taille, mais leur situation géopolitique les rend importants pour l'Union européenne. À l'instar de notre collègue René Danesi, je salue la politique initiée par le président Juncker en vue de donner à l'Europe une dimension économique ambitieuse. À l'heure où les États-Unis se replient sur leurs frontières, l'occasion est belle de pouvoir imposer au niveau mondial des normes européennes plutôt qu'américaines et de renforcer ainsi ce que l'on pourrait appeler notre « magistère moral ». Je note donc que deux groupes de notre commission s'abstiennent sur la présente proposition de résolution européenne.
M. André Gattolin . - Comme s'en est fait l'écho mon collègue Claude Haut, le groupe La République en Marche ne partage pas la position des rapporteurs sur l'alinéa 25. Je suis moi-même depuis fort longtemps favorable à l'instauration de listes électorales transnationales, avec une circonscription par État membre. Elles auraient l'avantage d'une meilleure cohérence de la politique européenne en évitant la nationalisation des votes au Parlement, où les groupes politiques sont en réalité partagés par des clivages nationaux. Ainsi, Joseph Daul, président du parti populaire européen (PPE) qualifie-t-il Viktor Orban, premier ministre hongrois, d'« enfant terrible », alors qu'ils appartiennent à la même famille politique. L'argument de la proximité avec les électeurs, utilisé par les détracteurs des listes transnationales, me semble illusoire : depuis que la France a été morcelée en huit circonscriptions en 2003, la participation aux élections européennes n'a jamais été si faible. Il doit revenir aux partis d'inscrire sur les listes des personnalités disposant d'une expertise sur l'Europe et investies sur leur territoire. En 1976, l'Acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel prévoyait une circonscription nationale unique. Nous avons hélas dérogé à ce principe sous la pression de la Grande-Bretagne, qui estimait qu'il allait à l'encontre de ses règles constitutionnelles. Au final, le système est illisible pour qui n'en est pas spécialiste et, conséquence de ce manque de visibilité, les médias s'y intéressent peu. J'espère qu'à tout le moins le service public français consentira cette fois à diffuser le prochain débat entre les spitzenkandidaten à la présidence de la Commission européenne. Ne reproduisons pas le silence honteux de 2014 !
M. Simon Sutour . - Comme je l'indiquais précédemment à Claude Haut, notre commission, comme à son habitude, a repris sur la question des listes transnationales la position qu'elle avait adoptée sur proposition de Fabienne Keller et de Jean-Yves Leconte.
M. André Gattolin . - Je m'étais déjà, à l'époque, abstenu.
M. Simon Sutour . - J'ai pourtant souvenir que nous avions été unanimes. Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que la légitimé de nos députés européens ressort de leur ancrage local, trop souvent insuffisant d'ailleurs. Je vous citerai, à titre d'illustration, une anecdote : lors d'une récente réunion à la représentation française auprès de l'Union européenne, un vice-président du Parlement européen, député français, ignorait qui j'étais. Or, il était élu dans ma circonscription... Cessons d'inscrire sur les listes européennes ceux qui n'ont pu se faire élire ailleurs ! Cette habitude des partis nuit grandement à la représentativité du Parlement européen pour nos concitoyens.
M. André Gattolin . - Au Sénat comme à l'Assemblée nationale, grâce à une communication transparente et au travail d'associations comme Regards citoyens, l'implication des parlementaires est connue du public. Exception faite du VoteWatch , circonscrit aux votes, l'activité des eurodéputés n'est en revanche pas disponible, ce qui peut la rendre douteuse.
M. Jean Bizet, président . - Au-delà du débat relatif au périmètre souhaitable des circonscriptions électorales, l'enjeu, pour les partis, doit être de favoriser l'élection d'experts de l'Europe, sur le modèle des eurodéputés allemands. Cessons de recycler au Parlement européen des battus de la scène nationale !