B. LE BILAN DE LA RÉPARATION DES SPOLIATIONS FINANCIÈRES APRÈS LA CIVS

Dans le domaine des spoliations financières, l'action de la CIVS a permis de réduire la dette de réparation qui subsistait de la période juste postérieure à l'Occupation.

Cette contribution positive, qui a porté principalement sur les avoirs bancaires, n'empêche pas de mettre en évidence certaines des questions posées par les indemnisations que la commission a pu recommander pour réparer les préjudices à dimension financière.

1. La CIVS a contribué à la réparation des préjudices causés par les spoliations financières en accueillant les demandes dans un contexte marqué par la consécration de règles particulières d'indemnisation des confiscations des avoirs bancaires

L'action de réparation réalisée par la CIVS dans le domaine des spoliations financières est marquée par la conclusion d'une convention internationale liant la France aux États-Unis d'Amérique dans le champ particulier des spoliations bancaires.

Cette convention, qui concerne les établissements bancaires, institue un cadre pour les indemnisations, dont les traits, originaux par bien des aspects, exercent une forte influence sur le circuit de la réparation des spoliations bancaires passant par la CIVS et sur ses résultats.

a) Les dossiers bancaires, un poids significatif dans le nombre des demandes sans correspondance à due proportion dans le poids des indemnités

Les spoliations bancaires comptent pour une proportion élevée des affaires portées devant la commission qui ne trouve pas son prolongement dans le poids relatif des indemnités versées à ce titre dans le total de l'activité d'indemnisation de la CIVS.

Depuis le début de ses travaux en 2000 jusqu'au 31 décembre 2015, la Commission a enregistré 9 769 demandes au titre des spoliations bancaires (9 863 dossiers à fin 2016).

Le bilan à 2015 englobe les 9 060 dossiers déposés depuis le début des travaux de la commission correspondant à des demandes spécifiques en matière de réparation au titre des spoliations bancaires et 709 dossiers supplémentaires examinés à partir des enquêtes conduites dans le cadre d'autres demandes (apparemment principalement dans le cadre de dossiers d' indemnisation pour aryanisation économique), nombre porté à 733 à fin 2016.

La proportion de ces demandes dans le total des affaires traitées par la CIVS est d'un peu plus d'un tiers, certains dossiers ayant fait l'objet de plusieurs recommandations (au total, 12 536 61 ( * ) recommandations auraient concerné des avoirs bancaires).

Le poids de ces dossiers s'est renforcé lors de ces dernières années. Dans les 272 nouvelles demandes présentées en 2015, 114, soit 42 % du total, concernent des spoliations bancaires, catégorie de demandes en forte augmentation par rapport à 2014 (+ 15 %).

Le montant des indemnités accordées (52,7 millions d'euros, dont seulement 9,8 millions d'euros à la charge du budget de l'État 62 ( * ) ) est loin d'atteindre le même poids dans l'ensemble des indemnisations recommandées par la CIVS.

Il n'est que de 10,4 % 63 ( * ) .

Cette discordance peut refléter le bilan des spoliations bancaires et des indemnisations mises en oeuvre avant la création de la CIVS, mais il tient aussi, en partie, aux modalités particulières de réparation des spoliations bancaires, qui, du fait d'un recours élevé à des indemnisations forfaitaires, induisent quasi-mécaniquement une divergence entre le nombre relatif des demandes de réparation et leur importance financière.

b) L'accord de Washington, une influence déterminante sur le circuit de réparation des spoliations bancaires et sur ses résultats

Les modalités de la réparation des spoliations commises sur les avoirs bancaires sont régies par l'accord de Washington conclu entre la France et les États-Unis d'Amérique le 18 janvier 2001, soit quelques mois après l'institution de la CIVS.

Cet accord a été négocié dans le contexte de renouveau de l'attention portée aux spoliations antisémites qui s'est renforcée dans le courant des années 90 aux États-Unis. Au cours de cette période (voir supra ), un flux d'actions judiciaires de groupe destinées à obtenir réparation des préjudices dues aux spoliations antisémites a été enregistré contre des banques européennes outre-Atlantique.

Destiné à trouver une issue aux problèmes alors soulevés, l'accord 64 ( * ) exerce une influence déterminante sur la mise en oeuvre de la réparation des spoliations des avoirs bancaires par la CIVS et sur ses résultats.

L'Accord de Washington

L'Accord de Washington (décret du 21 mars 2001) régit le dispositif d'indemnisation des spoliations bancaires par la CIVS.

Deux fonds distincts ont été constitués par les établissements financiers pour répondre aux indemnisations susceptibles d'être recommandées.

Le premier, appelé « le dépôt » Fonds A doté d'un montant de 50 000 000 dollars , a pour objet d'indemniser les victimes dont les avoirs ont été identifiés.

Le second, « le Fonds » Fonds B , doté d'un montant de 22 500 000 dollars , pourvoit à une indemnisation forfaitaire à partir de la signature d'une déclaration sur l'honneur (affidavit) pour des saisines antérieures au 2 février 2005 par les victimes ou leurs ayants droit.

Le budget de l'État est sollicité lorsque la spoliation bancaire est intervenue dans le cadre de l'aryanisation ou de la mise sous séquestre des biens.

L'accord a été interprété et modifié successivement par quatre échanges de lettres diplomatiques qui ont abouti à l'augmentation des forfaits d'indemnisation .

Chaque modification a été suivie, pour la Commission, d'une révision de l'ensemble des dossiers bancaires afin de respecter le principe d'équité entre les requérants. Ces révisions ont contribué à maintenir le plan de charge de la commission à un niveau élevé.

Depuis 2006, date du dernier échange de lettres diplomatiques, les indemnisations susceptibles d'être allouées sont les suivantes :

- pour une requête antérieure au 2 février 2005, au titre d'une spoliation supposée , l'indemnité totale allouée est de 3 000 dollars ;

- pour les avoirs attestés, il est rappelé que les indemnités allouées le sont pour chaque compte identifié :

* au titre d'une spoliation subie pour un compte personnel ou professionnel dont le solde identifié, réactualisé, est inférieur à 3 000 dollars, la réparation totale est de 4 000 dollars ;

* s'agissant d'un compte personnel ou professionnel dont le solde identifié, réactualisé, est supérieur à 3 000 dollars mais inférieur à 10 000 dollars, la réparation totale se monte à 10 000 dollars ;

* pour un compte personnel ou professionnel dont le solde identifié, réactualisé, est supérieur à 10 000 dollars, l'indemnité allouée correspond au montant réactualisé en euros ;

* un forfait supplémentaire et unique de 15 000 dollars a été mis en place pour les personnes répondant à la qualité de victime directe selon les stipulations de l'Accord.

En application de l'accord de Washington, deux fonds ont été constitués auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) par les établissements bancaires français.

Si leur gestion suit quelques particularités, leurs dépenses sont toujours conditionnées à une recommandation de la CIVS.

Données relatives aux fonds A et B constituésen application de l'accord de Washington

Le « Fonds A » , qui intervient lorsque les avoirs réclamés ont été identifiés, est encadré par une convention séquestre signée le 26 février 2001 entre l'Association Française des Établissements de Crédit et des Entreprises d'Investissement (AFECEI) et la CDC. Elle stipule que l'AFECEI décide de constituer comme séquestre la CD, dont la mission consiste en la garde, la conservation, la bonne exécution des prélèvements sur le dépôt (exécution des ordres de paiement) ainsi que la tenue du compte spoliation et l'information régulière de l'ordonnateur des paiements et l'AFECEI. Par avenant en date du 23 juillet 2001 signé entre l'AFECEI, la CDC et le Fonds Social Juif Unifié (FSJU), il a été spécifié que l'ordonnateur des paiements serait le FSJU, une fois la recommandation de la CIVS acquise. Le solde du compte doit respecter un plancher de 5 millions de dollars. Afin de respecter cet engagement, un appel de fonds de 2 776 880 euros a été effectué par l'AFECEI auprès de 9 banques au deuxième trimestre 2017.

Le « Fonds B » est encadré par une convention signée le 16 février 2001 entre l'AFECEI, la CDC et le FSJU. Elle stipule que les banques constituent un fonds de 22 500 000 dollars afin de permettre l'indemnisation forfaitaire des victimes de la Shoah ou leurs ayants droits qui ne bénéficieraient pas de recommandations de la part de la CIVS mais qui pourraient démontrer qu'eux-mêmes ou leurs familles avaient pu détenir des comptes bancaires en France pendant l'occupation.

Le fonds, géré par le FSJU, verse une indemnité forfaitaire sur recommandation de la CIVS.

Le conseil supervisant le fonds est composé de deux membres nommés par le Gouvernement des États-Unis, deux membres nommés par le gouvernement Français et un membre nommé par les avocats des victimes de la Shoah.

Source : Caisse des dépôts et consignations en réponse à une question du rapporteur spécial

Les deux fonds diffèrent encore par leur date de forclusion, la procédure permettant d'accéder aux indemnisations du « Fonds B » étant atteinte de forclusion depuis le 2 février 2005, échéance à laquelle l'ouverture de droits sur simple déclaration sur l'honneur ( affidavit ) n'est plus accessible 65 ( * ) .

2. Le bilan des indemnisations pour préjudices financiers, difficile à interpréter, laisse un passif à combler qui suggère que la réparation d'autres spoliations est justiciable d'une même appréciation

Le bilan des réparations correspondant à des spoliations bancaires fait ressortir l'efficacité des dispositifs mis en place à la suite de l'accord de Washington, en particulier du mécanisme d'indemnisation sur affidavit .

Le stock de demandes à résorber suggère une réduction des engagements latents que les disponibilités des fonds de réparation semblent en mesure de couvrir.

Mais, le niveau de la dette de réparation bancaire ne saurait être apprécié à partir des seules demandes en stock. Outre que des engagements restent à solder au titre des affaires en stock et des parts réservées, les incertitudes entourant la dette rémanente doivent être considérées.

Elles suggèrent qu'il est prudent d'écarter la présomption de l'épuisement de la dette de réparation pour spoliations bancaires, qui, au demeurant, font l'objet de nouvelles demandes chaque année.

Dans ces conditions, il est légitime d'appliquer ce principe de prudence à d'autres préjudices à forte dimension économique et patrimoniale n'ayant pas fait l'objet d'un encadrement aussi systématique de leur réparation pour lesquels il est encore plus difficile d'apprécier le bilan de l'action de la CIVS.

a) Les spoliations bancaires ne sont pas encore pleinement réparées

La considération du stock de demandes restant à traiter pas la CIVS pourrait conduire à imaginer que, dans le champ des confiscations des avoirs bancaires, qui ne recouvre pas, loin s'en faut, la totalité du périmètre des préjudices causés par les spoliations à dimension économique, la dette de réparation rémanente serait désormais négligeable.

Or, une telle conclusion serait hâtive même pour les seules confiscations bancaires.

(1) La réparation des confiscations bancaires par la CIVS a été marquée par la prédominance des recommandations formulées dans le cadre de la procédure d'affidavit, même si le poids financiers des indemnisations « réelles » a été supérieur

Le contenu de l'accord de Washington conduit à distinguer deux principales branches d'indemnisation selon que les avoirs réclamés sont identifiés ou non 66 ( * ) .

À cette distinction, à laquelle il faut ajouter la prise en compte d'une éventuelle responsabilité de l'État au regard de son rôle particulièrement marqué dans certaines spoliations, correspondent deux grandes catégories de procédures et de quantum d'indemnisation, sur déclaration sur l'honneur et forfaitaire, pour les avoirs non identifiés, sur constats et selon un barème combinant, dans certains cas, le forfait et, dans d'autres (lorsque le seuil de 10 000 dollars est dépassé), l'indemnisation au réel.

Le système d'indemnisation rend particulièrement cruciale l'identification des avoirs allégués.

Les preuves peuvent être d'origine variée mais, concrètement, ce processus repose essentiellement sur des bases de données gérées par la CIVS, référence dont l'exhaustivité recèle des enjeux décisifs pour le mécanisme d'indemnisation.

Largement héritées des travaux accomplis par la mission Mattéoli, ces bases de données recensent les informations relatives aux comptes bloqués sous l'Occupation et font état de 86 000 comptes pour 60 000 titulaires.

Ces données correspondent à celles réunies par la mission Mattéoli, du moins dans certaines de ses approches. Plus précisément, elles font écho au recensement opéré par la mission dans la version incluant les comptes professionnels mais, selon toute apparence, hors coffres-forts et hors comptes inscrits chez certains teneurs de comptes (notaires, agents de change, Caisse des dépôts et consignations).

Ainsi, la base de référence présente quelques incertitudes. Par ailleurs, il est notable que la constance des termes de référence de la spoliation bancaire suggère que les travaux conduits sur ce point n'ont guère permis de progresser dans la connaissance du phénomène alors même que la mission Mattéoli avait pu alerter sur l'incomplétude du travail alors réalisé 67 ( * ) .

Observation n° 34 : malgré les préconisations de la mission Mattéoli qui remontent à la fin des années 1990, les bases de données à partir desquelles les réparations des spoliations bancaires sont accordées n'ont pas connu d'évolutions sensibles, suggérant l'absence de progrès accomplis dans la connaissance de la dette de spoliation.

Dans ce cadre général, l'examen des indemnisations accordées conduit à mettre en évidence la prédominance des indemnisations accordées sans identification des avoirs et, par-là, des indemnisations forfaitaires reposant sur des affidavits .

De fait, la sollicitation des deux fonds s'est révélée inégale, les différentes statistiques disponibles faisant ressortir la part numériquement prépondérante des prélèvements effectués sur le Fonds B, dont la vocation « forfaitaire » est nettement plus accusée que pour le Fonds A.

Le nombre de virements effectués de 2001 au 31 décembre 2017 sur le compte correspondant au « Fonds A » a été de 9 989 (29,1 % du total) contre 24 318 (70,9 % du total) pour le « Fonds B », pour un total de 34 307 virements.

Sur la base d'un examen par compte et par affidavit, plutôt que par dossier, un dossier pouvant révéler plusieurs types de préjudices indemnisables 68 ( * ) , il ressort que 11 486 comptes ou affidavits ont été indemnisés depuis le début des travaux de la Commission (données à fin 2017), dans les conditions suivantes.

Décompte des indemnisations pour préjudices bancaires

- 4 921 comptes et/ou affidavits ont trait strictement au Fonds B ;

- 4 247 comptes relèvent des Fonds A+B ;

- 162 comptes compris entre 3 000 dollars et 10 000 dollars concernent le Fonds A+A ;

- 107 comptes supérieurs à 10 000 dollars relèvent exclusivement du Fonds A exclusif ;

- 1 607 comptes ont été indemnisés sur le budget de l'État et le Fonds B ;

- 263 comptes compris entre 3 000 dollars et 10 000 dollars ont sollicité le budget de l'État et le Fonds A ;

- 179 comptes supérieurs à 10 000 dollars ont impacté le seul budget de l'État.

Au total, les indemnisations correspondant aux 11 486 comptes ou affidavits effectivement traités ont mobilisé les différents fonds dans les conditions suivantes:

- 10 775 comptes ont été concernés par le Fonds B exclusif et/ou au titre des compléments d'indemnisation soit 93,8 % de l'ensemble des comptes ;

- 4 779 comptes ont trait au Fonds A exclusif et/ou au titre des compléments d'indemnisation soit 41,6 % de l'ensemble des comptes ;

- 2 049 comptes ont intéressé le budget de l'État soit 17,8 % de l'ensemble des comptes 69 ( * ) .

Source : rapport sur l'exécution de l'accord de Washington

On le constate, l'accord de Washington en ouvrant une procédure d'indemnisation à caractère largement automatique s'est révélé constituer un facteur très puissant de l'indemnisation des spoliations bancaires accomplie sous l'égide de la CIVS.

Observation n° 35 : l'accord de Washington a été un moteur très fort de l'indemnisation des spoliations bancaires accomplie sous l'égide de la CIVS, qui, en nombre de demandes satisfaites, a très majoritairement répondu à des déclarations sur l'honneur.

(2) Il demeure des requêtes pendantes devant la CIVS

Au 30 novembre 2017, sur la base d'un document de la CIVS, le stock de dossiers bancaires de la Commission est constitué par 387 comptes bancaires.

Décompte du stock des dossiers bancaires au 30 novembre 2017

Les dossiers en stock à fin novembre 2017 se répartissent comme suit :

- 10 comptes débiteurs professionnels pour un prélèvement maximal de 30 000 dollars 70 ( * ) ;

- 135 comptes personnels pour un prélèvement maximal de 558 818 dollars ;

- 87 comptes gérés sous administration pour un prélèvement maximal de 478 500 dollars ;

- 29 comptes personnels dont les soldes sont compris entre 3 000 et 10 000 dollars pour un prélèvement maximal de 290 000 dollars ;

- 58 comptes personnels dont les soldes sont supérieurs à 10 000 dollars pour un prélèvement minimal de 580 000 dollars ;

- 19 comptes gérés sous administration dont les soldes sont compris entre 3 000 et 10 000 dollars pour un prélèvement maximal de 190 000 dollars ;

- 49 comptes gérés sous administration dont les soldes sont supérieurs à 10 000 dollars pour un prélèvement minimal de 490 000 dollars.

À ces perspectives s'ajoute celle de l'attribution de 60 000 dollars pour quatre dossiers de victimes directes.

Le total de la dette envisageable pour les deux fonds est chiffré à 2 170 000 dollars (hors dépassement des limites minimales évoquées plus haut), dont 888 000 dollars imputables au « Fonds B » et 1 282 000 dollars au « Fonds A » .

Le budget de l'État pourrait, quant à lui, être redevable de 691 000 dollars.

Source : Rapport semestriel relatif à l'exécution de l'accord de Washington

Les engagements restant à couvrir évalués sur les bases indiquées s'élèvent ainsi à 2 861 000 euros (hors parts réservées).

Les disponibilités des fonds paraissent suffire pour honorer les engagements qu'ils sont appelés à couvrir, compte tenu des consommations passées exposées.

Au 30 novembre 2017, il a été payé sur le compte séquestre - Fonds A - 18 325 036,83 dollars auxquels doivent s'ajouter 4 313 268,47 dollars au titre des indemnisations relevant du Fonds B, soit une consommation totale de 22 638 305,30 dollars.

Pour information, selon la CDC, le solde du compte séquestre - Fonds A - s'élève au 30 novembre 2017 à 5 773 298,45 dollars.

Néanmoins, c'est sans compter avec une dette rémanente aux contours incertains et qui réserve l'éventualité de nouvelles requêtes.

(3) Différentes données relatives aux indemnisations accordées par la CIVS suggèrent un écart entre l'ampleur des spoliations et les indemnités prononcées par la commission

Il est impossible, en l'état, de déduire des demandes en stock auprès de la CIVS la dette d'indemnisation des confiscations bancaires qui reste à honorer dans ce domaine particulier de la spoliation.

On en propose quelques éléments d'appréciation relatifs à la question spécifique des comptes recouvrés à la suite de leur déblocage.

Ils conduisent à écarter la présomption qu'une pleine réparation serait intervenue.

Sur ce point, l'augmentation des demandes de réparation présentées à ce titre constatée ces dernières années (voir ci-dessus), illustre l'imprévisibilité des demandes de réparation. Il s'agit d'un premier indice factuel auquel il convient d'ajouter plusieurs éléments, reposant sur la confrontation entre les évaluations de la dette nette de réparation et les indemnisations accordées par la CIVS.

Les indemnisations accordées par la CIVS au titre des spoliations bancaires se sont élevées à environ 10 % des préjudices estimés à ce titre (52,7 millions d'euros pour une estimation de la spoliation des avoirs bancaires, qui, selon le chiffrage publié par la CIVS aurait atteint 520 millions d'euros).

Cela ne signifie évidemment pas que la CIVS a failli dans sa mission puisqu'elle a largement fait droit aux revendications qui lui ont été présentées. Malgré un taux de rejet des demandes de réparation bancaire relativement important (un peu plus de 2 100 rejets ont été prononcés), la CIVS a accueilli la plupart des demandes et elle a attribué des indemnisations à plus de 18 000 personnes.

Cependant, il apparaît d'emblée que le nombre des bénéficiaires des indemnisations accordées par la commission a ainsi été très inférieur à celui des personnes ayant subi des confiscations bancaires tel qu'il a pu être estimé par la mission Mattéoli (63 256).

Mais, cette situation peut s'expliquer par les mesures prises après la guerre pour restaurer les victimes dans leurs droits.

Néanmoins, une fois déduits les déposants susceptibles d'avoir réactivé leurs comptes, d'après les indices réunis par la mission Mattéoli, le nombre des titulaires de droits non réactivés semble pouvoir faire l'objet d'une estimation minimale autour de 40 000. Le nombre des bénéficiaires des recommandations de la CIVS représenterait ainsi un peu moins de la moitié de cette population. Mais, à nouveau, ces données ne peuvent être considérées comme pleinement conclusives.

En effet, le nombre des bénéficiaires des recommandations de la commission se trouve démultiplié par la coexistence pour un même déposant de plusieurs personnes indemnisées si bien que le taux des personnes touchées par les confiscations et indemnisées par la CIVS est très certainement inférieur au taux apparent mentionné ci-dessus.

Si le nombre des personnes indemnisées par la CIVS va plutôt dans le sens d'une sous-indemnisation, d'autres données vont dans le même sens.

Il en va ainsi des données correspondant aux estimations de la valeur des comptes non réactivés.

Selon le rapport de la mission Mattéoli, un minimum de 29 % des avoirs bloqués en 1941 (3,8 milliards de francs) aurait été inscrit sur des comptes sans indice de réactivation. Les comptes ne présentant pas d'indice de réactivation ont été estimés à 1,3 milliard de francs de 1941 soit 351 millions d'euros de 2000. Le montant des indemnisations accordées par la CIVS au titre des spoliations bancaires ressort comme assez éloigné de ce chiffrage.

Si l'on a pu indiquer que le besoin de réconciliation des estimations globales de la spoliation rémanente restait à satisfaire, les spoliations bancaires en fournissent une illustration.

(4) La CIVS a dû recourir à la procédure de réservation des parts qui atteint un niveau non négligeable dans le champ des indemnisations bancaires

Selon les statistiques du Fonds Social Juif Unifié (FSJU), service ordonnateur des paiements, au 30 juin 2017, le nombre de bénéficiaires ayant perçu une indemnité est de 18 408.

Toutefois, par sa recommandation d'indemnisation, la Commission peut être amenée à réserver une quote-part de la somme à allouer au profit d'un ou plusieurs ayants droit absents de la procédure, et ce jusqu'à ce que ces derniers sollicitent le versement de ce montant à la CIVS.

Le nombre de bénéficiaires concernés par cette formalité de réserve et ayant vocation à recevoir une indemnité au titre de la réparation des confiscations bancaires s'élève à 983.

Le montant à prélever sur les Fonds bancaires à ce titre est de 1,9 million de dollars (autant en euros, sur la base de la parité conventionnelle adoptée).

b) La contribution de la CIVS à la réparation des autres spoliations à caractère financier est difficile à estimer

Il existe des champs où la réparation des spoliations antisémites demeure très difficile à apprécier.

C'est le cas de l'aryanisation des entreprises dans la mesure où la dette de réparation laissée par la période immédiatement postérieure à la Libération reste à ce jour incertaine, les déconsignations ayant pu intervenir au-delà, jusqu'à la période de création de la CIVS, n'ayant pas fait l'objet d'une présentation systématique et, de toute façon, ne pouvant être considérées comme représentatives des préjudices à indemniser 71 ( * ) . Il convient d'ajouter que certaines restitutions dans leurs droits offertes aux victimes par le déblocage de comptes bancaires ont pu contribuer à réparer les préjudices de l'aryanisation, mais sans qu'il soit vraiment possible de préciser le quantum de ces réparations.

Quant aux données publiées par la CIVS, elles suggèrent, malgré la relative importance des indemnités accordées à ce titre (164,7 millions d'euros à fin 2015), que le nombre des dossiers d'indemnisation traités par elle dans ce cadre a été très inférieur à celui des aryanisations.

Le montant des indemnisations accordées dans le domaine des assurances offre un deuxième facteur d'interrogation. Avec 241 000 euros, on est assez loin des estimations conservatrices du rapport du comité de surveillance des assurances.

Quant aux spoliations immobilières, qui ont pu prendre des formes très diversifiées, les seules informations disponibles font valoir la faiblesse des revendications, qui, pour pouvoir traduire un retour à la normale satisfaisant après la Libération, ne suffit pas à convaincre totalement tant manque encore à ce jour un bilan vraiment systématique.


* 61 Cette statistique paraît évolutive au vu d'autres données issues de la même source qui font état de 11 486 recommandations (voir infra). L'écart paraît pouvoir être attribué à des choix de convention, selon qu'on inclut ou non les décisions défavorables.

* 62 Voir ci-dessous.

* 63 Votre rapporteur spécial relève une différence dans les estimations produites sur ce point. Dans les réponses à son questionnaire, les confiscations bancaires sont présentées comme comptant pour 17,93 % des « préjudices réclamés » et 17,99 % des préjudices indemnisés. Le premier ratio n'a guère de signification compte tenu des particularités des réparations dans ce domaine qui induisent une part importante de demandes forfaitaires. Quant au second, il n'est pas cohérent avec les données publiées par la CIVS dans ses rapports d'activité, qu'on a choisi de privilégier.

* 64 Il n'est pas superflu de relever que l'accord a fait l'objet de quatre échanges de lettres diplomatiques, témoignages de l'extrême attention portée à une mise en oeuvre conforme aux intentions des parties.

* 65 Il peut encore exister des demandes à traiter dans le cadre de cette procédure. Les capitaux du « fonds B »et les produits rattachés ont été totalement consommés au mois d'octobre 2008, de sorte que les indemnisations relevant de la procédure correspondante ont été prises sur les disponibilités du « Fonds A ».

* 66 En réalité, dans le cadre de l'examen concret des demandes, une casuistique se dégage qui peut présenter des configurations multiples selon les situations rencontrées.

* 67 Celle-ci tenait notamment à l'exclusion de zones géographiques touchées par des spoliations, mais aussi à des difficultés d'estimation de la valeur financière des préjudices liés aux spoliations irréductibles aux identifications reposant sur les recensements des avoirs en comptes.

* 68 Ainsi, les demandes présentées à la CIVS peuvent conduire à solliciter l'un plutôt que l'autres fonds, mais également diverses caisses, en fonction de leur objet.

* 69 Il convient d'ajouter aux données précédentes la prise en compte du forfait de 15 000 dollars alloué aux victimes directes répondant aux critères de l'Accord de Washington pour 395 victimes directes (montant global de 5 925 000 dollars), 106 personnes ayant vu leur dossier écarté, soit parce qu'elles ne répondaient pas à la qualité de victime directe survivante de la Shoah telle que définie par l'échange de lettres, soit parce que leurs comptes avaient été considérés comme réactivés après-guerre et n'avaient donc pas été indemnisés , 3 personnes supplémentaires ayant vu leur dossier « classé définitivement » faute de réponses après plusieurs relances.

* 70 On pose l'hypothèse d'une parité de 1 dollar pour 1 euro.

* 71 Les conditions de cessions des actifs ont pu être lésionnaires.

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