ANNEXE 1 - APERÇUS SUR LES CIRCUITS DE RÉPARATION DE L'IMMÉDIAT APRÈS-GUERRE82 ( * )
Réparations obtenues par voie amiable
Dans l'ensemble du territoire libéré, des restitutions ont lieu, dès les derniers mois de 1944, soit à l'amiable, soit par voie judiciaire, les spoliés saisissant les tribunaux civil ou de commerce pour demander l'application de l'ordonnance du 9 août 1944. Mais les restitutions sont beaucoup plus nombreuses là où un service officiel s'emploie à les susciter (services régionaux actifs : les commissaires de la République prennent des arrêtés qui déclarent nulles les ventes et liquidations effectuées en application des mesures discriminatoires et prescrivent des mesures conservatoires), et l'action de celui-ci bénéficie, dans les premiers mois de la Libération, de circonstances particulièrement favorables. Le déblocage des comptes est rendu possible dès le 30 août 1944 ; les ordonnances du 7 octobre 1944 libèrent l'or et les valeurs mobilières étrangères qui avaient été bloquées pour tous les possédants. Quand le bien n'a pas été aliéné et que le propriétaire est présent, il semble avoir été restitué sans trop de difficulté. Il a aussi été possible de disposer très vite du solde des comptes. Le bilan précis de ces restitutions amiables est impossible à établir, car les Archives nationales, et les Archives départementales sont très peu documentées sur cette période, et les archives judiciaires difficilement accessibles.
Le rapport du professeur Terroine du 29 décembre 1944 montre que les spoliés présents pour revendiquer leurs biens peuvent seuls obtenir une restitution définitive ; leurs ayants droit peuvent être nommés mandataires, mais le dossier reste en suspens. Quand la vente a eu lieu, la restitution est à peine engagée. Plusieurs raisons la retardent : l'opposition des acquéreurs, plus forte que celles des administrateurs provisoires ; la nécessité d'un acte juridique, dont la loi n'a pas encore défini la forme et les modalités, pour abolir la vente effective ; la plus grande complexité enfin des comptes à dresser entre acquéreurs, administrateurs et spoliés, les acquéreurs refusant de restituer le bien sans recevoir en retour le montant de leur achat, qui se trouve parfois encore dans les caisses des notaires. En revanche, quand l'immeuble ou l'entreprise n'avaient pas été vendus et faisaient toujours l'objet d'une administration provisoire, la restitution est pratiquement achevée dans la région Rhône-Alpes, avant même la fin de l'année 1944. On peut penser qu'il en est de même, dans une large mesure, dans les régions méridionales ou les résistants restent influents et où des services oeuvrent dans la Seine, où la spoliation s'était réalisée précocement, vigoureusement, et sur une large échelle.
Le cas des pianos : ils constituent, à l'exception des objets rapportés d'Allemagne par les soins de la Commission de récupération artistique (CRA), le seul ensemble important d'objets de valeur. Une liste des personnes ayant retrouvé leur piano figure dans les archives du Service des Restitutions. Dans son bilan du 14 janvier 1948, le chef du Service des restitutions insiste sur le travail accompli en matière de pianos. Il fait état de 8 000 pianos signalés comme disparus par leurs propriétaires et de 2 221 récupérés dans le seul département de la Seine, 1 356 ont été rendus, 134 prêtés, 443 remis aux Domaines, 288 sont encore dans les dépôts.
Réparations obtenues par voie judiciaire
Annulation des actes de spoliations : ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle ; ordonnance du 9 août 1944 ; ordonnance du 16 octobre 1944 relative à la restitution par l'administration des domaines de certains biens mis sous séquestre, qui restitue aux spoliés les biens, actions et parts bénéficiaires qui sont pour Paris sous séquestre des Domaines ; du 14 novembre 1944 portant application de l'ordonnance du 12-11-1943 sur la nullité des actes de spoliations accomplis par l'ennemi et sous son contrôle qui s'attache au cas des biens sous administration provisoire, repoussant à plus tard celui des biens consommés.
30 janvier 1945 : création du Service des restitutions des biens des victimes des lois et mesures de spoliations, dirigé par le professeur Terroine ; avec 6 délégations régionales qui fonctionneront jusqu'en 1947. Elles contribuent fortement aux restitutions amiables. La « circulaire Terroine » est adressée aux spoliés pour leur demander s'ils ont recouvré leurs biens à l'amiable ou s'ils ont entrepris une procédure. Une autre circulaire est envoyée aux administrateurs provisoires, pour vérifier s'ils ont bien rendus leur compte aux spoliés, conformément à l'ordonnance du 14 novembre 1944. Les réponses à ces circulaires sont aujourd'hui encore classées aux Archives nationales en deux groupes, R et NR, revendiqués et non revendiqués. Le plus souvent la seule trace disponible d'une restitution amiable est la réponse à l'une ou l'autre des circulaires Terroine. Dans certains cas, elle émane de la victime elle-même, ou d'un de ses proches, sa femme ou ses enfants. Dans d'autres cas, on la trouve dans le dossier de l'administrateur provisoire, sommé de rendre ses comptes.
Le décret du 2 février 1945 crée le Service temporaire de contrôle des administrateurs provisoires et liquidateurs de biens israélites, chargé de vérifier la gestion, les comptes et les rémunérations des administrateurs provisoires, et d'examiner les plaintes formulées contre eux par les spoliés ou par le service des restitutions. Au total, plus de 6 000 plaintes ont été déposées ; presque toutes ont été instruites avant le 1 er août 1949, date de prescription.
L'ordonnance du 21 avril 1945 donne compétence au président du tribunal statuant en la forme des référés sur le fond pour constater la nullité ou prononcer l'annulation des actes de spoliation. Sa décision était immédiatement exécutoire, l'appel possible selon une procédure d'urgence dans un délai de 15 jours n'était pas suspensif. Plus de dix mille procédures seront ouvertes pour la Seine entre 1946 et 1950 devant le tribunal civil ou celui de commerce.
La loi du 16 juin 1948 prévoit le remboursement à la charge de l'État des prélèvements exercés sur les produits des spoliations ainsi que les frais d'expertise ou les honoraires d'administrateurs provisoires ; séquestres des branches provinciales du Commissariat général aux questions juives (CGQJ).
* 82 D'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial