EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet , rapporteur . - Nous vous présentons aujourd'hui le résultat de nos travaux effectués dans le cadre de la mission d'information sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en oeuvre.
Le sujet est vaste. Si la prison symbolise pour une grande majorité des citoyens la sanction de référence, elle n'est qu'une possibilité parmi un éventail de peines qui n'a cessé de se diversifier afin de mieux individualiser la peine et de prévenir la récidive : le travail d'intérêt général, les jours-amende, les stages, la sanction-réparation, la contrainte pénale, etc .
Au 1 er janvier 2018, plus de 160 000 personnes étaient suivies en milieu ouvert, pour 70 000 personnes détenues.
La place centrale accordée à l'emprisonnement apparaît paradoxale au regard de la réalité de la mise en oeuvre de cette peine et de son efficacité. Aujourd'hui, la saturation de la chaine pénale et carcérale conduit à aménager de nombreuses peines d'emprisonnement ferme et donc à ne pas les exécuter sous la forme prononcée par les juridictions ; cette déconnexion croissante, et illisible, entre le prononcé et l'exécution des peines d'emprisonnement avait déjà été dénoncée l'année dernière par notre commission dans le rapport d'information sur le redressement de la justice « Cinq ans pour sauver la justice ! ».
Les conditions actuelles d'exécution des peines d'emprisonnement - un nouveau record a d'ailleurs été franchi le 1 er aout - compromettent indéniablement les chances de réinsertion des personnes condamnées.
Nos travaux s'inscrivent dans la lignée de nombreux rapports : le rapport « Pour une refonte du droit des peines » de la commission présidée par M. Bruno Cotte de décembre 2015, le rapport au Parlement sur l'encellulement individuel « En finir avec la surpopulation carcérale » de l'ancien garde des sceaux M. Jean-Jacques Urvoas de septembre 2016, ou encore le rapport de la commission du livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire présidée par notre ancien collègue Jean-René Lecerf remis le 4 avril 2017 au garde des sceaux.
Vous le savez, le Gouvernement a lancé en octobre 2017 cinq chantiers de la justice, dont le cinquième et dernier, confié à M. Bruno Cotte et à Me Julia Minkowski, avait pour objectif de renforcer le sens et l'efficacité des peines. Les conclusions de ce rapport, remis le 15 janvier 2018 à la garde des sceaux, ont inspiré les grands axes du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, déposé sur le bureau du Sénat le 20 avril 2018, que nous examinerons en octobre.
Les conclusions de notre mission d'information, fondées essentiellement sur des rencontres de terrain avec les magistrats, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, les surveillants, les greffiers, les associations - nous sommes allés à Lyon, Nantes, Valence mais aussi à Stuttgart - auront naturellement vocation à éclairer nos débats lors de l'examen de ce projet de loi.
Je vous présenterai le constaté effectué par notre mission d'information avant que M. Bigot vous présente nos propositions.
En premier lieu, nous déplorons que le prononcé des peines soit devenu illisible.
Première remarque : les peines ne sont qu'une des modalités de la réponse pénale. La grande majorité des « réponses » qui viennent « sanctionner » un comportement ne sont plus prononcées par les juridictions, en raison de l'encombrement du système et de l'augmentation de la population pénale : la quasi majorité des délits sont sanctionnés par une mesure alternative aux poursuites ou une composition pénale, procédures dirigées par le parquet permettant bien souvent le même résultat : une amende, l'exécution d'un stage, d'un travail non rémunéré (autre nom du travail d'intérêt général dans le cadre d'une mesure alternatives aux poursuites), de plusieurs obligations ou interdictions ...
Deuxième remarque : la nomenclature des peines est si complexe que les magistrats ne savent plus quelles sont les peines alternatives, complémentaires, cumulables entre elles... Certaines peines complémentaires sont encourues de plein droit, d'autres en cas de concours de conditions, d'autres encore doivent être nécessairement prononcées sauf motivation spéciale. C'est insupportable pour les magistrats et en termes d'efficacité des décisions rendues.
Troisième remarque : le système de prononcé et d'aménagement des peines est tellement illisible qu'il est dépourvu de portée pédagogique. Les condamnés interrogés sur leurs antécédents judiciaires ne mentionnent que les peines d'emprisonnement exécutées en détention. Toutes les autres peines, notamment les peines d'emprisonnement ayant fait l'objet d'un aménagement, les peines de sursis ou encore les peines de travail d'intérêt général, ne sont pas ressenties comme des condamnations ni même comme des antécédents.
Quatrième remarque : si le droit définit de grands principes d'individualisation des peines, la pratique est tout autre. La part croissante des comparutions immédiates, l'absence d'enquête présentencielle de personnalité, l'absence d'évaluation de la faisabilité matérielle de certaines peines ne permettent pas véritablement aux juridictions de prononcer une peine adaptée.
Nous avons ressenti, de la part des juges correctionnels, une forme de renoncement à prononcer la peine adaptée et une certaine indifférence à l'égard de la peine qui sera exécutée : ils considèrent que le travail sur la peine relève du juge de l'application des peines, et non du tribunal correctionnel.
Deuxième point central de notre constat : l'exécution des peines est de plus en plus déconnectée du prononcé des peines.
Les magistrats rencontrés regrettent les délais de mise à exécution des peines. Ils identifient plusieurs causes à la longueur de la procédure de mise à exécution.
En premier lieu, ils regrettent le manque de moyens de la justice, et notamment le nombre très insuffisant des personnels de greffe dans les services d'exécution des peines, des magistrats du parquet, des juges de l'application des peines et des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.
En deuxième lieu, la complexité du droit de l'exécution des peines est une cause d'inefficacité de la procédure. Outre un important travail de vérification des pièces d'exécution, les modalités retenues pour la mise à exécution d'une peine d'emprisonnement dépendent de différents paramètres : le fait que le condamné soit détenu ou non, si cette détention résulte de la même affaire, si la personne est sans domicile fixe ou connu, etc .
Enfin, l'obligation d'examen des peines d'une durée inférieure ou égale à deux ans - ou à un an en état de récidive légale - en vue d'un aménagement des peines, procédure définie à l'article 723-15 du code de procédure pénale, a accru le temps nécessaire à l'exécution d'une peine.
En l'absence de mandat de dépôt décerné à l'audience, la peine d'un condamné comparaissant libre ne pourra pas être exécutée avant plusieurs mois. Outre le temps nécessaire à l'évaluation de la personne par les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), les magistrats témoignent de la difficulté à mobiliser les personnes condamnées : plusieurs convocations sont ainsi nécessaires, ce qui retarde la mise à exécution d'une peine, même sous une autre forme.
Nombre de magistrats pointent l'hypocrisie du système pénal qui repose essentiellement sur la peine d'emprisonnement alors même que l'institution pénitentiaire n'est pas en capacité d'y répondre. Au 1 er juillet 2018, sur 70 710 détenus, 21 007 étaient des prévenus en attente de leur jugement et 49 703 étaient des condamnés exécutant leurs peines.
Ce sont 42 373 personnes, soit près de 60 % des détenus, qui sont actuellement incarcérées dans des structures suroccupées.
Cette suroccupation carcérale s'explique principalement par l'augmentation du nombre des prévenus alors que le nombre de détenus condamnés s'est stabilisé depuis 2013.
Cette surpopulation induit des conditions indignes de détention, accroît les actes violents et exacerbe la concurrence entre personnes détenues pour accéder à l'emploi, aux formations, aux activités, aux parloirs et aux unités de vie familiale.
En 2016, seulement 19 000 détenus étaient inscrits à une offre de formation professionnelle, contre 28 000 en 2013. Au premier semestre 2017, seulement 19 000 détenus avaient travaillé, soit 28 % des détenus, contre 29 % en 2015.
Lorsque les conditions de détention sont telles que des jeunes primo-délinquants ou des délinquants incarcérés pour la première fois peuvent côtoyer des multirécidivistes ou des détenus radicalisés, l'objectif de réinsertion semble compromis.
Au cours de visites dans plusieurs établissements pénitentiaires, nous avons constaté l'engagement des surveillants pénitentiaires à gérer au mieux des quartiers suroccupés et leur frustration de ne plus avoir le temps et les moyens de se consacrer à leur mission de réinsertion et à la prise en charge des courtes peines : la prise en charge des détenus dans les établissements pénitentiaires apparaît aujourd'hui très lacunaire.
Dans de nombreux établissements, aucun parcours d'exécution des peines ne peut être proposé. Les formations professionnelles fonctionnant par cycles non continus, les détenus arrivant après le début d'un cycle ou ayant une peine d'emprisonnement inférieure à six mois ne peuvent que rarement en bénéficier. De même, les activités et le travail sont réservés en priorité aux personnes incarcérées pour des durées supérieures à six mois.
Nombre de personnels pénitentiaires déplorent le paradoxe suivant : les prévenus ou les condamnés à des courtes peines d'une durée inférieure à deux mois connaissent des conditions d'incarcération particulièrement difficiles et, par comparaison, ils bénéficient d'une prise en charge nettement inférieure à celle qui est offerte aux condamnés à des longues peines. Alors que la prise en charge, notamment éducative, devrait être particulièrement renforcée pour les courtes peines, ce sont ces détenus qui bénéficient le moins d'un accompagnement tendant à leur réinsertion.
Outre les courtes peines, les surveillants comme les magistrats déplorent le nombre important de détenus présentant des troubles psychologiques en détention, estimé entre 25 et 40 % de la population carcérale. Au sein de la maison d'arrêt de Lyon-Corbas, plus de 40 % des détenus sont traités en raison de troubles psychologiques.
Dans le même temps, nous avons constaté que, pour des raisons de moyens, l'administration pénitentiaire encourage au placement sous surveillance électronique - dont le coût est de 11 euros par jour -, au détriment des places de semi-liberté ou de « placement à l'extérieur ».
Alors même que ce dispositif est unanimement décrié, le nombre de personnes soumises à une surveillance électronique a augmenté de plus de 6 % entre le 1 er août 2017 et le 1 er août 2018. Dans la même période, le nombre de condamnés en semi-liberté et le nombre de condamnés bénéficiant d'un placement à l'extérieur et hébergés, mesures contraignantes qui permettent un réel suivi et un accompagnement, ont respectivement diminué de 6,4 % et de 25 %.
Enfin, concernant les peines en milieu ouvert, il existe un consensus de plus en plus grand sur leur utilité dans la prévention de la récidive, mais les juridictions n'osent pas véritablement les prononcer. En effet, comment s'assurer qu'une peine de travail d'intérêt général sera effectivement exécutée rapidement en l'absence de places disponibles ? Comment s'assurer qu'un sursis avec mise à l'épreuve n'est pas une coquille vide ?
Enfin, dernier élément de notre diagnostic, nous faisons le constat que l'évaluation de l'efficacité des peines est inexistante. Il existe une défaillance systémique de l'administration pénitentiaire, et plus largement du ministère de la justice en la matière. Il n'existe aucune étude de cohortes suivant les condamnés pendant plusieurs années pendant et après l'exécution d'une peine. Aucune évaluation post-sentencielle n'est réalisée de l'ensemble des détenus. Contrairement à de nombreux pays, la France n'évalue pas l'efficacité de son système.
Cela s'explique aussi par une carence de l'outil statistique au ministère de la justice déjà dénoncée dans le rapport sur le redressement de la justice. Les nouvelles applications informatiques ne produisent que des statistiques imparfaites.
Ce chantier nous semble devoir constituer une priorité. Comment proposer une nouvelle politique publique en matière de prononcé des peines sans savoir lesquelles sont efficaces ?
M. Jacques Bigot , rapporteur. - Notre diagnostic, sévère, s'inscrit dans le droit fil de celui qui a été fait par la mission d'information sur le redressement de la justice. Les vingt-cinq propositions que nous formulons ne seront sans doute pas toutes mises en oeuvre, mais elles permettent de donner une vision globale et pourront inspirer nos débats sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice que nous examinerons en octobre.
J'ai eu plaisir à travailler sur ce rapport avec François-Noël Buffet. Malgré un calendrier chargé, nous avons privilégié les déplacements sur le terrain.
La première série de propositions vise à remettre les juridictions au coeur du prononcé des peines. Nous avons identifié un problème de confusion dans les rôles du parquet, du juge correctionnel et du juge de l'application des peines. Il convient de distinguer le temps de la sanction et le temps de l'exécution, qui est aussi celui de la réinsertion.
Nous formulons ainsi huit propositions visant à remettre les juridictions de jugement au coeur du prononcé des peines. Cela suppose une bonne information des juridictions : la présidente du tribunal de grande instance de Valence a découvert à l'occasion de notre entretien avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation qu'une personne avait été condamnée à trois ou quatre reprises à des travaux d'intérêt général non encore effectués. Je rappelle que le juge de l'application des peines ne peut proposer un aménagement de la peine qu'une fois que les voies de recours ont expiré et que le greffe du parquet dispose des informations concernant la situation matérielle et personne de l'intéressé.
Pour prononcer des peines adaptées, le juge correctionnel doit disposer en amont de rapports présentenciels de personnalité. Or les services d'insertion et de probation sont dans l'incapacité de les fournir.
Nous proposons également de développer la présence d'un juge de l'application des peines au sein des compositions collégiales des juridictions correctionnelles pour inciter au prononcé de l'aménagement de peine à l'audience.
Par ailleurs, nous avons constaté que la plupart des magistrats qui prononcent les peines ne visitent jamais la maison d'arrêt ou le centre de détention du ressort.
Les applicatifs numériques sont également défaillants. Nous avons ainsi constaté que les aménagements de peine ne figurent pas dans le casier judiciaire.
La deuxième série de propositions vise à simplifier l'architecture des peines. Il convient ainsi d'assouplir la distinction entre les différentes catégories de peines. Nous sommes convaincus de la nécessité de créer une peine autonome de probation visant à se substituer à la contrainte pénale, peu mise en oeuvre sur le terrain. Nous proposons enfin de fusionner les peines de stage, dont l'absence d'unification des régimes complique la tâche des magistrats.
La troisième série de propositions vise à favoriser une vision pragmatique de l'exécution des peines. Dans cette perspective, nous préconisons de faire des collectivités territoriales des partenaires de l'exécution des peines. Il s'agit d'une proposition innovante, mais qui nous semble de nature à permettre notamment le développement du travail d'intérêt général. De même, il faudra organiser régulièrement de vrais échanges entre les magistrats du parquet, les juges correctionnels et les juges de l'application de peines sur les stratégies à mettre en oeuvre.
La quatrième série de propositions vise à rendre crédible l'exécution des peines en milieu ouvert. Leur exécution doit être rapide et elle doit faire l'objet d'un suivi, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il me semble donc nécessaire d'y associer les collectivités territoriales - qui devront également être associées à la conception des lieux de détention pour que les lieux de préparation à la sortie et les centres de semi-liberté soient implantés là où il y a du travail.
La cinquième série de propositions vise enfin à adapter les prises en charge en milieu carcéral. Il convient d'accompagner l'ensemble des sorties de détention afin d'éviter les récidives. Actuellement, cela semble quasiment inimaginable pour les courtes peines. Enfin, l'investissement dans l'immobilier pénitentiaire doit nous permettre de nous doter d'établissements adaptés aux différents besoins.
Telles sont nos vingt-cinq propositions, que nous aurons de nouveau l'occasion d'examiner lorsque nous aborderons le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Cela dit, en toile de fond demeure la question principale, celle des moyens ; en effet, sans moyens adaptés, nous pouvons toujours rêver d'une stratégie pénitentiaire et pénale idéale...
M. Philippe Bas , président . - Je félicite les deux rapporteurs pour leur travail passionnant, de fond et sans a priori . C'est toute l'efficience du système pénitentiaire qui est en cause, et cela commence dès le prononcé de la peine, qui, si elle est courte, n'est pas exécutée tant que le juge de l'application des peines ne s'est pas prononcé, le cas échéant dans un sens différent du tribunal correctionnel. C'est effrayant, mais nous ne sommes pas aujourd'hui en mesure de protéger la société et d'assurer aux détenus un avenir à leur libération.
Un système carcéral dans lequel seule une minorité de détenus a accès à une formation ou à un travail, où il n'y a pas suffisamment de peines alternatives à l'enfermement et dont le parc immobilier est inadapté, voire vétuste, justifierait un effort de long terme allant bien au-delà du projet de loi quinquennale annoncé ; du reste, la garde des sceaux en est, je le sais, tout à fait consciente.
Mme Brigitte Lherbier . - Merci de cette présentation passionnante.
Ce qui me préoccupe, c'est la situation des femmes. Elles sont souvent soumises au même régime sécuritaire que les hommes, alors qu'elles sont beaucoup moins nombreuses. A fortiori lorsqu'il y a un enfant, est-il vraiment nécessaire de les soumettre au même régime de sécurité ? On pourrait imaginer quelque chose de plus humain, de plus adapté à cette population. Qu'en pensez-vous ?
M. Pierre-Yves Collombat . - J'ai apprécié la lucidité et l'esprit de ce diagnostic.
Néanmoins, quelles que soient nos propositions, ce travail ne mènera à rien puisqu'il ne reste pas un sou ; à quoi bon, dès lors, produire un énième rapport ? Cela dit, il est vrai que l'on pourrait faire, à moindres frais, un peu de ménage pour rendre plus lisibles l'exécution des peines et le dispositif en général.
En outre, n'y a-t-il pas, dans les propositions n os 1 à 5 et n° 11, qui visent à séparer l'exécution de la peine de son aménagement, une contradiction interne ? Comment procéder à une telle séparation ? L'aménagement de la peine fait partie de son exécution ; c'est parce que l'on juge que cet aménagement améliorera le comportement du détenu qu'on le propose.
Enfin, deux propositions novatrices me paraissent intéressantes. Premièrement, vous proposez d'intégrer les collectivités territoriales dans le dispositif ; j'en ai fait localement l'expérience, les collectivités peuvent apporter un complément utile à l'exécution des peines, tout en en retirant un bénéfice. Deuxièmement, vous suggérez un mode d'organisation qui existe au Canada, où les détenus sont incarcérés non selon la longueur de leur peine mais selon leur dangerosité et leur capacité de réinsertion. C'est très positif.
M. André Reichardt . - Je félicite nos deux rapporteurs pour ce travail intéressant et exhaustif. Bien des propositions sont pertinentes, mais, à mon sens, celles qui devraient retenir le plus notre attention sont celles qui concernent l'architecture des peines, de toute nature. Il faut redéfinir la hiérarchie des peines, on l'a souvent dit. Peut-être d'ailleurs qu'un groupe de travail pourrait approfondir cette question ; il s'agirait d'un travail de longue haleine permettant de rendre les peines cohérentes entre elles, ce qui, on le sait, n'est plus le cas.
Par ailleurs, la proposition n° 13, sur l'implication des collectivités territoriales dans l'exécution de peines, mériterait d'être affinée. On connaît les difficultés de certaines collectivités territoriales, notamment les communes, qui sont déjà surchargées. Il faudrait donc préciser le contenu de cette proposition.
M. Pierre-Yves Collombat . - Il faut que ce soit volontaire !
M. André Reichardt . - De même, soyons prudents avec l'encouragement de travaux d'intérêt général sous la forme de chantiers collectifs, figurant à la proposition n° 20. Un travail d'intérêt général doit être accepté par son « bénéficiaire », et les chantiers collectifs ne doivent pas se traduire, pour la collectivité, par une obligation de faire.
Par ailleurs, j'appelle aussi à la prudence sur la proposition n° 22, qui vise à déléguer au directeur des services pénitentiaires des prérogatives actuellement dévolues aux magistrats - renouvellement des permissions de sortie ou encore habilitation des structures offrant des travaux d'intérêt général. Si je peux éventuellement être d'accord avec ces deux premiers exemples, ce sont les points de suspension qui m'inquiètent ; il faut des précisions.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Nous sommes à un moment grave, puisque la barre des 70 000 détenus vient d'être franchie pour la première fois, alors que nous ne disposons que de 60 000 places de prison. La garde des sceaux vient de présenter son plan pour les prisons, qui comporte des évolutions intéressantes, et dont l'état d'esprit rejoint vos préconisations. D'ailleurs, quoique bipartisan, votre rapport reflète une vision partagée, ce qui est peu commun ! Longtemps, sur ce sujet, certains ne juraient que par la construction de prisons quand d'autres en dénonçaient l'inutilité - pour caricaturer. Vos propositions, de plus, frappent par leur pragmatisme et leur humanisme soucieux d'efficacité. Et elles ne coûtent pas toutes très cher ! Aussi mériteraient-elles d'être mises en oeuvre.
J'ignore quelle sera la traduction du plan pour les prisons - même si la ministre a annoncé une hausse de 25 % du budget de l'administration pénitentiaire en cinq ans, et qu'un projet de loi sur la justice a été déposé sur le bureau du Sénat - mais il serait intéressant que vous communiquiez de concert sur vos propositions, car cela montrerait qu'en la matière les clivages partisans sont gages d'inefficacité, et que celles-ci soient insérées dans le projet de loi sur la justice et dans la discussion budgétaire - où je pense que la garde des sceaux leur fera bon accueil.
Certaines mesures de son plan pour les prisons vont au-delà de vos recommandations ; je pense par exemple à la diversification des établissements, et en particulier à l'instauration d'établissements spécifiques pour les détenus dont la sortie est proche. Elle aborde aussi, assez discrètement quoique de manière osée, la question de la régulation pénitentiaire, c'est-à-dire la modulation des dates d'entrée et de sortie en fonction des places disponibles. Et elle prévoit la fin des sorties sèches, qui fait d'ailleurs consensus. Nous aurons, certes, des critiques à formuler sur le projet de loi sur la justice. En particulier, l'augmentation du budget doit-elle bénéficier uniquement à l'administration pénitentiaire ?
M. Jacques Bigot , rapporteur . - Merci pour vos commentaires constructifs. Sur les prisons pour femmes : nous sommes favorables à l'adaptation, même s'il faut garder à l'esprit que certaines femmes sont condamnées pour des faits d'une très grande violence. L'aménagement de la peine, monsieur Collombat, relève de la compétence de celui qui prononce la sanction. Le juge de l'application des peines statue, lui, sur les demandes de libération conditionnelle ou de mise en semi-liberté. Mais cette répartition des rôles s'est perdue depuis 2009, et les juges de l'application des peines ont assez largement le sentiment que leurs collègues de correctionnelle se déchargent sur eux. Il faut promouvoir la discussion entre juges et l'élaboration de stratégies partagées. Les peines criminelles sont lourdes mais exécutées dans des maisons centrales. Ces dernières ne sont pas pleines, d'ailleurs, et on y a le temps de préparer la sortie. C'est pour les détentions courtes, correctionnelles, que le travail n'est pas bien effectué. Quant à la proposition n° 13, elle ne vise pas à confier aux collectivités territoriales la charge des TIG. Mais à Strasbourg, par exemple, il y en a environ 300 par an. Il vaut donc la peine d'élaborer une stratégie spécifique pour leur emploi. Les détenus non criminels sont souvent des personnes de la région ; c'est donc les habitants de la région qui subiront l'éventuelle récidive - et ils s'en plaindront à leur élu local. D'où l'importance de mobiliser les élus locaux, même si ce n'est pas dans l'esprit français. En Allemagne, les Länder , qui ont la compétence sur l'administration pénitentiaire, ont même obtenu des prérogatives législatives. Même le choix des lieux de détention doit impliquer les élus locaux. Le Sénat est bien placer pour recommander de les prendre en compte !
M. François-Noël Buffet , rapporteur . - Si nos concitoyens pensent que l'emprisonnement est la seule solution, c'est parce qu'ils pensent que les peines prononcées sont correctement exécutées. Or nous savons que ce n'est pas vrai - ce qui décrédibilise le système. La conséquence est que les procédures existantes sont dévoyées de leur objet. C'est notamment le cas des comparutions immédiates, surchargées, ce qui allonge indéfiniment les délais de jugement pour les procédures normales : du coup, les parquets ne convoquent plus à des audiences devenues trop lointaines... C'est inacceptable.
L'encellulement individuel n'est pas respecté, et la surcharge carcérale rend la vie difficile non seulement aux détenus, sur lesquels tous ne s'apitoient pas nécessairement, mais aussi aux surveillants, qui sont régulièrement agressés. Il y a dans nos prisons un climat de tension permanente que nous n'avons pas retrouvé en Allemagne. Il faut donc revenir à un système correct, où les peines sont exécutées normalement. Puis, une amende, une retenue sur salaire, un TIG, ce sont des sanctions pénales !
Enfin, certains bâtiments - même récents - sont très mal conçus. Certaines astuces simples, vues en Allemagne, amélioreraient la situation. Nous débattrons de la ventilation des crédits lors du vote du projet de loi sur la justice : il va de soi que la mise en oeuvre de nos propositions réclamera des moyens. Un bon système fait qu'à la sortie cela se passe bien et pour celui qui a purgé sa peine et pour la société.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
M. Alain Richard . - Nous le disons à chaque fois, le vote auquel nous procédons porte sur la publication ; il n'emporte en rien l'accord des uns et des autres sur les divers éléments du rapport. Cela est connu, mais tous les acteurs finissent par l'appeler un « rapport du Sénat ». Il vaudrait mieux que nous prenions le temps, individuellement ou pour le compte de chaque groupe, de faire des observations, afin d'éviter toute ambiguïté.
Nos rapports font souvent preuve d'une richesse luxuriante en termes de propositions mais celles-ci ne sont pas toujours tout à fait suffisantes en termes de faisabilité...
Nous partageons beaucoup de propositions du rapport. Mais dire « il suffit de rajouter des crédits » est un raccourci imprudent.
M. Philippe Bas , président . - Un rapport adopté ne l'est pas forcément à l'unanimité. Nous examinerons bientôt le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; il est donc important de publier ce rapport. Libre à chacun de dire s'il a des réserves.
M. Jacques Bigot , rapporteur . - Je suis d'accord.
M. Philippe Bas , président . - Merci.