D. RENDRE CRÉDIBLES L'EXÉCUTION DES PEINES EN MILIEU OUVERT
Plusieurs évolutions seraient de nature à améliorer l'efficacité des mesures probatoires et en retour à inciter les juridictions à préférer ces mesures à l'incarcération.
1. Renforcer le contenu de la probation
Un renforcement des moyens des SPIP permettrait naturellement d'intensifier le suivi des bénéficiaires de la mesure. La loi de finances pour 2018 en cours d'exécution prévoit la création de 150 postes, ce qui constitue une première avancée. Des créations de postes supplémentaires pourraient intervenir dans le cadre du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice mais l'étude d'impact du projet de loi, très lacunaire sur ce point, ne permet pas de connaître le nombre de créations de postes envisagé. En outre, la réforme prévoit que les SPIP réinvestissent le champ des évaluations présentencielles, aujourd'hui largement réalisées par des associations habilitées. Ces créations de postes ne sont donc pas envisagées exclusivement comme un moyen d'améliorer le suivi post-sentenciel.
Outre la question des moyens, une amélioration du suivi suppose aussi de s'interroger sur l'évolution des pratiques. Sans se transformer en travailleurs sociaux, car la fonction de contrôle reste une part importante de leur travail, les CPIP pourraient jouer un rôle d'accompagnement social plus actif afin d'aider les condamnés à résoudre les problèmes qu'ils rencontrent.
Les condamnés sont souvent des personnes désocialisées, sans formation, avec des problèmes d'addiction ou de comportement, et chez qui la motivation peut faire défaut, de sorte qu'il est assez illusoire d'imaginer qu'ils puissent se réinsérer par eux-mêmes, simplement en accédant aux dispositifs de droit commun. Le CPIP peut jouer un rôle de conseil, d'orientation, de motivation, de soutien, avec par exemple des visites à domicile, indispensables pour mener le travail d'insertion. Le travail devrait être réalisé avec le condamné mais aussi avec son entourage familial, l'environnement du condamné exerçant une influence importante sur la sortie de la délinquance.
La lutte contre l'illettrisme et la formation professionnelle, la prise en charge sanitaire, tant les addictions et les troubles psychiques sont répandus, devraient ainsi constituer des priorités de l'action des SPIP.
Vos rapporteurs ont été sensibles à plusieurs propositions de magistrats visant à permettre aux juges correctionnels et même aux juges de l'application des peines de définir le rythme de convocation à des rendez-vous avec les CPIP dans le cadre des mesures probatoires en milieu ouvert.
Proposition n° 18 : Permettre aux juridictions de définir le contenu des peines probatoires. |
2. Renforcer la formation des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation
Un autre axe d'amélioration de la probation réside dans la formation des CPIP. Leur métier s'exerce au croisement de différents champs de connaissances : droit, psychologie sociale et clinique, et travail social. Surtout recrutés parmi les diplômés en droit et les travailleurs sociaux, les CPIP gagneraient sans doute à compléter leurs compétences grâce à une formation initiale et continue adaptée. Des formations en criminologie peuvent fournir l'approche pluridisciplinaire recherchée.
La pratique française en matière de probation s'enrichirait en outre de l'apport des expériences étrangères, notamment anglo-saxonnes, qui reposent beaucoup plus sur l'application de méthodes cognitivo-comportementales destinées à faire changer le comportement du condamné. Le contenu de la probation dépend de l'évaluation préalable du risque de réitération. Il comporte des entretiens motivationnels et des actions collectives en fonction des besoins du condamné.
Selon le professeur Herzog-Evans, la mise en oeuvre de ces programmes en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou au Canada permet de faire reculer la récidive de 20 % à 30 %, voire 50 % pour les programmes les plus performants. Leur succès est subordonné à l'intervention de professionnels bien formés et leur coût est supérieur à celui de notre SME.
Sans transposer immédiatement ces méthodes au contexte français, la formation des CPIP pourrait au moins s'attacher, dans un premier temps, à améliorer leur qualification en ce qui concerne l'évaluation du profil des condamnés et la conduite des entretiens, qui peuvent être efficaces à condition de mettre en oeuvre une méthodologie éprouvée.
3. S'appuyer sur le secteur associatif et la société civile
Les magistrats rencontrés par vos rapporteurs ont insisté sur l'importance du secteur associatif dans le ressort de chaque juridiction .
L'ensemble des magistrats rencontrés louent les associations socio-judiciaires, en charge du suivi présentenciel, des activités de placement à l'extérieur dans le cadre d'un aménagement de peine, ou d'un suivi de sursis avec mise à l'épreuve, pour leur réactivité et leur capacité d'adaptation. Surtout, la réalisation de référentiels ou de protocoles d'action, appuyés sur une méthodologie scientifique, permet de mettre en place un suivi standardisé donc d'évaluer l'impact des mesures mises en place sur le parcours des justiciables.
Les missions des services pénitentiaires d'insertion et de probation En application de l'article 13 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire , les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) sont chargés : - de la préparation et de l'exécution des décisions prononcées par les autorités judiciaires relatives à l'insertion et à la probation ; - de la mise en oeuvre des politiques publiques relatives à l'insertion et à la prévention de la récidive ; - du suivi et du contrôle des personnes condamnées : ils vérifient les obligations mises à la charge des condamnés faisant l'objet de mesures en milieu ouvert (art. D. 575 du code de procédure pénale) ; - de la préparation de la sortie des personnes détenues, en particulier des aménagements de peine. En application de l'article D. 460 du code de procédure pénale, les SPIP assurent les « liaisons avec les divers services sociaux, éducatifs, médico-sociaux » ; - de l'évaluation régulière de la situation matérielle, familiale et sociale des personnes condamnées afin de définir le contenu et les modalités de leur prise en charge. |
Lors de la visite à Stuttgart et à Offenburg de vos rapporteurs, M. Elmar Steinbacher, secrétaire général du ministère de la justice et de l'Europe du Land de Bade-Wurtemberg a insisté sur la professionnalisation du service de réinsertion et de probation du Land ( Bewährungs und Gerichtshilfe Baden-Württemberg - BGBW ) et l'uniformisation des outils d'intervention développés pendant la période de dix années de délégation de cette institution au secteur privé (2007-2017) : il existe désormais un instrument unique de diagnostic ; par ailleurs, l'institution dispose de 80 spécialistes dans différents domaines (addictologie, crimes sexuels, troubles psychologiques, extrémisme politique, etc .). Désormais redevenue une institution de gestion publique, la majeure partie de ses employés sont des travailleurs sociaux : 350 pour 464 collaborateurs (dont 120 seulement sont fonctionnaires).
Un instrument, en cours de validation scientifique par le Dr Joachim Obergfell-Fuchs, directeur du pôle de criminologie du Land Bade-Wurtemberg et de l'école de l'administration pénitentiaire, propose également de déterminer sur la base de règles algorithmiques un score déterminant le niveau d'intensité nécessaire dans le suivi avec le probationnaire, et notamment le nombre de rencontres et le nombre d'heures nécessaires.
Cette institution en charge de la réinsertion repose par ailleurs sur de très nombreux bénévoles : plus de 550 personnes, ayant directement en charge le suivi probatoire de condamnés.
Cette expérience étrangère invite vos rapporteurs à s'interroger sur la capacité de l'administration pénitentiaire française à intégrer davantage la société civile, singulièrement les associations socio-judiciaires dans le suivi des condamnés, notamment pour les missions de préparation de la sortie de détention et d'accompagnement social des condamnés après leur peine.
Proposition n° 19 : Renforcer les synergies entre les services pénitentiaires d'insertion et de probation et le secteur associatif. |
4. Augmenter le recours aux peines de travail d'intérêt général
La peine de travail d'intérêt général est une peine consensuelle : sanction perçue comme permettant la réinsertion des condamnés, elle permet également au condamné d'apporter sa contribution à la société.
Elle reste insuffisamment prononcée et exécutée 51 ( * ) . Comme l'a également constaté le rapport de M. Bruno Cotte et de Me Julia Minkowski, les juridictions se plaignent du manque de structures capables d'accueillir les personnes condamnées. Les SPIP de Valence comme ceux de Lyon ont regretté le faible nombre de collectivités publiques acceptant de mettre à disposition le personnel nécessaire pour encadrer les condamnés.
Vos rapporteurs recommandent d'adopter une nouvelle approche du travail d'intérêt général et d'insister sur sa dimension répressive. La peine de travail d'intérêt général est avant tout une sanction et n'a pas pour objectif premier de donner une expérience professionnelle au condamné.
Par cohérence avec cette approche qui distingue le temps de la sanction du temps de la réinsertion, vos rapporteurs recommandent de faciliter l'exécution des peines de travail d'intérêt général sous la forme de chantiers collectifs, moins coûteux à organiser. Cela pourrait prendre la forme de chantiers de nettoyage de graffiti par exemple ou encore des chantiers de débroussaillage pour prévenir les risques d'incendie.
Proposition n° 20 : Encourager l'exécution des peines de travail d'intérêt général sous la forme de chantiers collectifs. |
* 51 Voir le rapport « Les leviers permettant de dynamiser le travail d'intérêt général », de MM. Didier Paris et David Layani, remis à M. le Premier ministre, Édouard Philippe, en mars 2018.