COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
EN RÉUNION PLÉNIÈRE
Audition de M. Augustin de Romanet,
Président-directeur
général du groupe Aéroports de Paris
(Jeudi 6 juin
2019)
M. Vincent Capo-Canellas , président . - Avec M. Augustin de Romanet, président-directeur général d'Aéroports de Paris, nous inaugurons notre cycle d'auditions en réunion plénière, ouvertes à la presse et retransmises en vidéo sur le site internet du Sénat.
Le 22 mai dernier, M. de Romanet a été entendu par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui a voté sa reconduction dans ses fonctions à la tête d'ADP. Je tiens à le féliciter et à le remercier de venir aujourd'hui devant notre mission d'information : un certain nombre de lignes d'aménagement du territoire, qui font l'objet de nos travaux, convergent vers les aéroports de la capitale. C'est essentiellement à ce titre que nous souhaitons connaître la stratégie d'ADP. Josiane Costes, sénatrice du Cantal, est rapporteure de cette mission d'information, constituée sur l'initiative du groupe du RDSE.
Mme Josiane Costes , rapporteure . - Depuis le début de nos travaux, nous soulignons le rôle essentiel des transports aériens pour le désenclavement des territoires, notamment ceux qui sont très mal desservis par la route et par le rail. La continuité des lignes aériennes d'aménagement du territoire est un enjeu majeur pour le développement économique et touristique de nos régions.
Dans ce cadre, le coût du service, sa qualité, sa régularité, sa continuité et sa sûreté posent de nombreuses questions.
S'agissant plus particulièrement des aéroports de Paris, un problème général me préoccupe tout particulièrement - je suis moi-même utilisatrice très régulière de plusieurs liaisons vers l'Auvergne : c'est l'accueil des vols régionaux et de leurs passagers, ainsi que la qualité de service.
Tous ces points ne relèvent pas nécessairement d'ADP ; voilà pourquoi les réponses de son président-directeur général nous seront utiles pour identifier le rôle et les responsabilités des différentes parties prenantes, qu'il s'agisse des aéroports, des compagnies aériennes ou de l'administration chargée de l'aviation civile.
M. Augustin de Romanet, président-directeur général d'Aéroports de Paris . - La Corse et les territoires ultramarins mis à part, les lignes aériennes sous obligation de service public (OSP) représentent 0,3 % du trafic d'ADP. Néanmoins, elles constituent un chaînon important de la qualité de service, et nous leur consacrons actuellement un groupe de travail spécifique, de concert avec Air France.
Nous le savons, la qualité de ces lignes d'aménagement du territoire est perçue comme dégradée. La difficulté, c'est de mettre 100 % d'avions au contact, quand bien même ils ne transportent que dix personnes et sont en concurrence avec d'autres liaisons aux heures de pointe. Il faut à la fois conserver un niveau d'investissement soutenable pour les compagnies aériennes et garantir la bonne gestion des postes avions.
Des progrès très substantiels ont été accomplis - je pense notamment à la ligne d'Aurillac, dont le taux de contact a été porté de 3 % en 2017 à 23 % en 2018. Mais ils sont encore insuffisants.
En 2018, ADP a totalisé 105 millions de passagers - 72 millions à Charles-de-Gaulle et 33 millions à Orly -, 700 000 mouvements d'avions et 2,25 millions de tonnes de fret. Nous dénombrons 164 compagnies aériennes clientes - 152 à Charles-de-Gaulle et 34 à Orly. Charles-de-Gaulle dessert 331 villes, réparties dans 117 pays ; Orly dessert 149 villes, réparties dans 50 pays.
Notre offre et celle des aéroports régionaux ne sont pas concurrentes, mais complémentaires. Certains prétendent qu'ADP est maître des horaires et exerce une influence malthusienne sur les liaisons avec la province. C'est faux, car cette compétence relève d'un organisme indépendant, et les ouvertures de lignes sont guidées par l'existence d'un marché rentable. Ainsi, le gouvernement français a obtenu le droit de trafic avec la Chine pour les villes de province ; mais, dans les faits, aucune compagnie n'a encore ouvert de telles lignes sur les nouveaux créneaux attribués.
Non seulement ADP n'a pas de rôle à jouer en la matière, mais nous ne sommes absolument pas défavorables au développement de telles lignes en province.
À Paris-Orly, où sont accueillies les lignes d'aménagement du territoire, nous nous efforçons de développer des infrastructures polyvalentes, à même d'accueillir tous les porteurs, petits, moyens ou gros. Dans les faits, il s'agit notamment d'adapter les passerelles.
Au total, les huit lignes OSP, gérées par quatre compagnies aériennes, représentent 362 000 passagers par an, soit environ 1 000 par jour, sur les 300 000 passagers quotidiens qu'accueille ADP.
En moyenne, le taux de contact de ces avions n'est que de 38 %, mais nous nous efforçons de l'améliorer en reconfigurant sans cesse les postes avions. Ainsi, les marquages au sol sont adaptés pour permettre à tous les types d'avion de se repérer ; les passerelles et les pré-passerelles font l'objet de divers aménagements techniques.
En 2018, 48 postes avions ont été reconfigurés ; en augmentant le nombre de postes avions Schengen, l'ouverture du terminal 3 d'Orly permettra encore d'améliorer le taux de contact, dès 2019. Pour la ligne d'Aurillac, le taux de contact a d'ores et déjà été porté de 31 % à 48 % depuis l'ouverture du bâtiment de jonction ; et, d'ici à 2020, cinq nouveaux postes avions seront reconfigurés. En outre, un suivi de l'équité des taux de contact des différentes lignes OSP a été mis en oeuvre : il faut éviter que certaines lignes ne soient systématiquement défavorisées.
À cet égard, la saisonnalité du trafic est un critère majeur : elle implique des pics de taux de contact.
M. Jean-Luc Fichet . - Pourriez-vous définir plus précisément cette dernière notion ?
M. Augustin de Romanet. - Tout à fait. En sortant d'un avion dit « au contact », les passagers gagnent directement le terminal en empruntant une passerelle. À l'inverse, en sortant d'un avion dit « au large », les passagers doivent monter dans un autobus qui les conduit au terminal.
Or le taux de contact est bien plus élevé en été qu'en hiver, saison où les avions des businessmen monopolisent le contact.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - De mémoire, le taux de contact figure dans les objectifs des contrats de régulation économique (CRE) conclus avec l'État. Il convient de savoir dans quelle mesure les engagements pris à ce titre sont respectés pour les liaisons OSP et, plus largement, pour les vols Paris-province.
M. Augustin de Romanet. - Votre mission d'information permettra précisément de mieux connaître les enjeux des lignes OSP, sur lesquelles les exploitants d'aéroports et les compagnies aériennes ne se concentrent pas spontanément, étant donné le volume de trafic qu'elles représentent.
Outre les reconfigurations de postes avions, nous avons, en septembre 2018, créé avec Air France un groupe de travail qui a déjà porté des fruits.
Le dialogue avec les exploitants a toute son importance. En effet, pour ces lignes, le taux de contact est étroitement lié aux horaires d'arrivée des avions. Pour la ligne de Rodez, le parti a été pris de ne pas faire arriver les avions aux heures de pointe : ainsi, le taux de contact a atteint 96 % en 2018. En revanche, les lignes gérées par Air France Hop - par exemple Paris-Brive-la-Gaillarde - entrent en concurrence avec Paris-Bordeaux et Paris-Nice ; dès lors, l'on doit donner la priorité aux liaisons qui comptent le plus grand nombre de passagers. C'est précisément parce que Air France Hop gère un grand nombre de lignes d'aménagement du territoire que nous avons créé ce groupe de travail.
Cela étant, en augmentant le nombre de postes au contact, l'ouverture du terminal 3 va réduire la pression qui s'exerce. De plus, le CRE n° 4, qui est aujourd'hui sur le métier, va permettre de construire, au large de l'ancien Orly ouest, un terminal qui sera relié par un souterrain à Orly 1 et Orly 2. Ainsi, les passagers seront au contact : des véhicules autonomes passant sous la piste les conduiront jusqu'au terminal. Ce sera une très forte amélioration.
Aujourd'hui, le taux de contact est de 78 % pour Lourdes, 21 % pour Brive-la-Gaillarde et pour Castres. Pour Agen, il a été porté de 3 % en 2017 à 16 % en 2018. Certes, le taux de contact est de 0 % pour Limoges et Le Puy-en-Velay ; mais ces deux liaisons ne totalisent respectivement que 7 000 et 6 500 passagers par an, ce qui représente une moyenne de 8 et de 7,7 passagers par vol et tous les avions de taille modeste ne sont pas adaptés aux passerelles. Il faudra notamment s'assurer qu'ils puissent être accueillis au nouveau terminal « Québec ».
L'objectif d'ADP est de prendre en compte au maximum la qualité de service sur les liaisons d'aménagement du territoire : ces 300 000 passagers annuels ne sont en aucun cas une quantité négligeable. De plus, ces lignes ont un rôle essentiel pour la prospérité des territoires. Je pense par exemple à l'entreprise Matière, à Aurillac.
Mme Josiane Costes , rapporteure . - Absolument.
M. Augustin de Romanet. - On pourrait certes juger ces liaisons polluantes. Mais, quand on dresse le bilan carbone d'une installation, il faut examiner le coût énergétique des infrastructures : étant donné les émissions de CO 2 provoquées par le béton, la construction d'une ligne TGV entre Paris et Toulouse serait sans doute plus énergivore que le maintien d'une liaison aérienne. Les Suédois prétendent qu'il ne faut plus prendre l'avion : c'est un peu comme si les habitants de la Défense affirmaient qu'il ne faut plus construire de bâtiments en ciment...
M. Vincent Capo-Canellas , président . - Pouvez-vous nous apporter quelques précisions quant au terminal « Québec » et au souterrain prévus à Orly ?
M. Augustin de Romanet. - Le projet de terminal « Québec » est détaillé dans le document de consultation qui a été publié au début du mois d'avril dernier. Il s'agit de construire, au large du terminal 2, une jetée qui dénombrera une douzaine de postes avions au contact et qui sera reliée au terminal principal par un souterrain. Ainsi, les passagers n'auront plus cette impression désagréable que leur autobus, lorsqu'il attend tel ou tel avion, n'en finit pas de démarrer. Ils gagneront un temps précieux, grâce à une noria de véhicules automobiles - ce seront, je l'espère, des véhicules autonomes.
Mme Josiane Costes , rapporteure . - Le taux de contact s'est effectivement amélioré pour la liaison d'Aurillac. Mais les passagers débarquent à Orly dans de mauvaises conditions. L'ascenseur étant très souvent en panne, ils doivent emprunter un escalier métallique extrêmement raide et très glissant par temps de pluie. C'est un véritable problème, notamment pour les personnes âgées.
Le terminal 4 de Roissy Charles-de-Gaulle aura-t-il un impact pour l'accueil des lignes régionales, en particulier les lignes d'aménagement du territoire ? De plus, ce projet modifiera-t-il la répartition des débarquements et des dessertes entre Orly et Charles-de-Gaulle ?
Lors des assises du transport aérien, vous affirmiez avoir instauré la gratuité pour les postes au large. Vous ajoutiez vouloir prendre en compte les contraintes induites par ce mode de stationnement. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions supplémentaires ?
Ces lignes d'aménagement du territoire sont indispensables à la survie économique des zones enclavées. Le niveau des redevances aéroportuaires est-il plus élevé pour ces lignes ? Une évolution est-elle prévue au titre du prochain CRE ? Les collectivités territoriales, aidées parfois par les chambres de commerce, participent très largement au financement de ces lignes. L'outre-mer est également concerné et les collectivités dont il s'agit ne sont pas très riches.
M. Augustin de Romanet. - Le terminal 4 de Roissy n'aura aucune incidence sur les lignes OSP, qui, à l'heure actuelle, sont toutes dirigées vers Orly. Si d'aventure elles devaient être accueillies à Roissy, ce serait dans de mauvaises conditions économiques, car le temps de roulage est beaucoup plus long à Roissy qu'à Orly.
À ce jour, le terminal 4 est destiné à accueillir de nouvelles lignes en provenance de Chine. À très long terme, une autre solution pourrait être envisageable pour les lignes régionales : l'aéroport du Bourget. Mais ces considérations relèvent de la futurologie.
M. Vincent Capo-Canellas , président . - Un certain nombre de vols en provenance des capitales régionales ou départementales alimentent le hub de Roissy. Or vous dites que les lignes OSP arrivent toutes à Orly ; cette répartition pourrait-elle évoluer pour améliorer les correspondances vers l'étranger ? Au-delà des lignes d'aménagement du territoire stricto sensu , en accroissant la capacité de Roissy, l'on ne peut qu'améliorer la desserte des territoires : je pense par exemple à la ligne de Clermont-Ferrand.
M. Augustin de Romanet. - Tout à fait : nous réfléchissons aux moyens de favoriser les correspondances, grâce au terminal 4. Ainsi, une réaffectation des compagnies sera menée à bien entre les différents terminaux de Roissy, mais essentiellement pour les vols internationaux.
Pour un avion Agen-Paris d'une masse moyenne au décollage de 19 tonnes et qui stationne moins de cinquante minutes - les tarifs sont plus élevés quand l'on reste longtemps au contact -, si la compagnie est au large, elle ne paye rien ; si elle est au contact, elle paye environ 77 euros. Au-delà de cinquante minutes, le coût est de 21 euros au large et de 93 euros au contact. Mais cette différence n'est pas très significative, car les charges d'autobus viennent compenser l'économie dégagée.
En tout état de cause, dans le climat actuel, la plupart des parties prenantes demandent l'augmentation du prix du billet d'avion. Des pressions s'exercent pour que la taxe sur le kérosène soit revue à la hausse. Si un mouvement mondial impose cette évolution, et si les fonds ainsi dégagés permettent de financer la recherche relative aux biofuels ou aux avions électriques, ce ne sera pas forcément une mauvaise nouvelle.
D'ailleurs, les avions électriques feront probablement leurs premières armes sur les lignes régionales. Je pense notamment à un projet présenté par Safran : il s'agit d'un avion doté de quatre moteurs électriques et de deux moteurs turbopropulseurs, qui disposerait d'un rayon d'action de 500 à 600 kilomètres et pourrait transporter dix personnes. Cette technologie serait idéale pour le transport régional. Dans vingt ans, ces liaisons pourraient ainsi devenir beaucoup plus écologiques.
Mme Josiane Costes , rapporteure . - Dans nos territoires isolés, on ne peut se permettre d'augmenter le prix des billets d'avions de manière exponentielle. Vous tracez des perspectives enthousiasmantes, mais elles ne sont pas pour demain.
M. Joël Guerriau . - Autour de cette table, nous sommes tous des usagers réguliers des transports aériens, et nous sommes sensibles au confort des passagers.
Disposez-vous d'un contrôle qualité, par exemple d'outils de benchmark , pour juger la qualité du service aéroportuaire ? Quelles sont les procédures prévues pour assurer cette évaluation ? Retard des vols, absence de passerelle, problèmes pour obtenir ses bagages ou pour disposer d'un taxi : les difficultés sont fréquentes et régulières. Il est indispensable d'améliorer la fluidité, afin que les passagers disposent d'une plus grande prévisibilité au sujet de leurs horaires. D'ailleurs, si les compagnies aériennes nous interrogent quant à la qualité de leurs services, les aéroports ne nous posent pas la moindre question à ce sujet.
M. Claude Raynal . - Je ne vous interrogerai pas sur le changement de statut d'ADP, qui ne relève pas de notre mission. Vous avez été haut fonctionnaire et président de la Caisse des dépôts et consignations. Votre présentation nous a montré que vous étiez très attaché à l'aménagement du territoire. Vous faites en sorte de continuer à investir dans les lignes d'aménagement du territoire en dépit d'une rentabilité quasi nulle. Je ne vous demanderai pas s'il en sera de même après un éventuel changement de statut. Malgré tout, comment la puissance publique pourrait-elle se prémunir au cas où ADP changerait de position à l'égard de ces lignes ? Faut-il prévoir des obligations contractuelles entre l'État et la nouvelle entité privée ?
Toulouse est très bien desservie par les compagnies aériennes et ADP grâce à la navette qui assure la liaison avec Orly. C'est peut-être pour cela que je suis d'autant plus attentif aux dégradations de service. La navette part toujours d'Orly-Ouest ; au retour, en revanche, si elle y revient parfois, ce qui est très agréable car en quelques minutes on est dans le taxi, de plus en plus souvent elle atterrit au nouveau terminal, auquel cas il faut dix bonnes minutes pour rejoindre les transports. Certes on reste au contact, mais le temps perdu est considérable. Est-ce temporaire, à cause du lancement d'une nouvelle plateforme, ou bien s'agit-il d'un changement de politique durable ?
M. Jean-Luc Fichet . - Je suis élu du Finistère et je souscris aux propos de M. Raynal. J'utilise la ligne Paris-Brest une à deux fois par semaine. Je trouve que tous les personnels de l'aéroport d'Orly sont excellents. Mais voici longtemps que les prix ne sont plus acceptables, même pour les sénateurs, de l'ordre de 500 euros ! Cela signifie que seuls des hommes d'affaires ou des personnes en déplacement professionnel prennent l'avion, et non des particuliers. J'ai subi récemment, ce qui malheureusement arrive encore trop souvent, un retard important, de plus de deux heures. On est alors prévenu par SMS au dernier moment, alors que l'on est déjà dans l'aéroport. Ces retards nous empêchent de pouvoir prévoir notre emploi du temps de manière rigoureuse. À chaque fois, on nous donne des explications mais l'explication donnée par le personnel au sol ne correspond pas toujours à l'explication donnée par les pilotes... Comment améliorer la communication et l'information des passagers ? Quand on arrive de Brest on doit traverser plusieurs halls, le hall à bagages, des couloirs incroyables, etc . Des améliorations sont certainement possibles. Quel est le taux d'avions au contact dans la liaison avec Brest ?
Enfin, comment faire face à l'augmentation continue du trafic aérien ? L'aéroport de Notre-Dame des landes a été abandonné. Le trafic est en hausse de 25 à 30 % à Brest, à l'aéroport Rennes Saint-Jacques, à Lorient. À l'inverse la ligne Paris-Quimper est menacée. Comment les petites lignes seront-elles préservées après la privatisation ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Je tiens à préciser en tant que questeur que les sénateurs ne bénéficient pour leurs trajets aériens d'aucun privilège ; ils voyagent dans le cadre des conditions commerciales négociées entre le Sénat et Air France.
M. Pierre Cuypers . - Ma première question concerne la consommation d'espace des aéroports d'Ile-de-France, de Roissy, d'Orly et du Bourget. Quels sont vos besoins en termes d'espace ? J'aimerais aussi connaître la surface globale de ces aéroports : quelle est la surface utile ? la surface commerciale ? Ma deuxième question concerne l'énergie. Il est évident que l'on peut voler plus propre grâce aux carburants produits à partir de biomasse. Quel est votre calendrier à cet égard ? Quels sont vos contacts avec la filière à ce sujet ?
Enfin, l'aéroport de fret de Paris-Vatry a été conçu pour traiter 150 000 tonnes de fret ; or, en 2014, l'aéroport n'en traitait que 6 000. Où en sommes-nous en 2019 ? Pourquoi cet aéroport, qui est bien conçu, ne se développe-t-il pas davantage, ce qui aurait le mérite de désengorger nos aéroports franciliens ?
M. Augustin de Romanet . - Monsieur Guerriau, la qualité de service est une notion capitale pour nous. Cette expression n'est apparue qu'en 2010 chez ADP : jusque-là, on considérait que le client était la compagnie aérienne. Je me souviendrai toujours du comité exécutif de l'entreprise en 2015, lorsque j'ai fait admettre aux équipes que notre client était le passager et non uniquement la compagnie. Cela a entraîné une profonde mutation intellectuelle et mentale. Il reste toujours des progrès à faire. Quand je suis arrivé, ADP refusait de figurer dans le classement Skytrax car celui-ci était géré et établi par des anglo-saxons... Cela a changé et nous avons rejoint le classement. La première année Roissy-Charles-de-Gaulle a été classé 95 e . Et puis ensuite, nous avons été 37 e ; cette année nous sommes 30 e sur les 500 plus grands aéroports du monde, et 9 e sur les 30 plus grands. La situation est donc perfectible pour la qualité de service, mais il y a eu beaucoup d'améliorations depuis quelques années. Nous dépensons plusieurs centaines de milliers d'euros par an pour des enquêtes de qualité. Nous adhérons au programme de l'organisation mondiale des aéroports (ACI) qui a défini un indicateur « Airport Service Quality » (ASQ) et nous suivons trimestre par trimestre son évolution : notre note est actuellement de 3,80 sur 5 et nous visons la note de 4. Nous avons une direction clients qui s'occupe de la qualité de service. Nous devons aussi améliorer les accès aux aéroports qui ont été mal conçus et renforcer la pédagogie. En effet, comme l'ont dit MM. Raynal et Fichet, la maîtrise du temps est cruciale. À cet égard il faut penser le parcours passager dans son ensemble, en incluant les transports en commun. C'est pour cela que je milite pour le CDG Express qui permet de diviser par deux le temps de trajet entre Paris et l'aéroport : 20 minutes, quatre fois par heure, entre la gare de l'Est et l'aéroport Charles de Gaulle. Pourtant le dossier traîne depuis 2012 et rencontre beaucoup d'oppositions.
N'hésitez pas à nous faire remonter vos observations. Lorsque M. Fichet évoquait les problèmes qu'il a rencontrés à Orly, je pensais à la remarque d'une étudiante sur Twitter qui déplore que les Orlybus ne partent que d'Orly 4. Les passagers arrivant à Orly 1 doivent ainsi marcher pendant 12 ou 15 minutes pour rejoindre Orly 4. Ce n'est pas satisfaisant.
Monsieur Raynal, merci pour vos propos sur notre sensibilité aux territoires. Comment se prémunir en cas de privatisation de l'entreprise ? Les prérogatives de la puissance publique vont demeurer les mêmes et seront même légèrement accrues. Lorsque le groupe ADP fixe ses tarifs chaque année, il les soumet préalablement à l'agrément de l'État dans le cadre d'un contrat de régulation économique. Si l'État observe une dégradation des services, il peut contraindre ADP à réaliser des investissements dans le cadre de ce contrat. Je vous rassure, la capacité de l'État à veiller à la qualité de service demeurera intacte.
Les affectations de terminaux sont largement au choix d'Air France. Mais je ne me défausserai pas. L'accès des taxis au terminal 3 dans les premières semaines a été une catastrophe parce que les centrales de réservation des grandes compagnies continuaient à aller chercher leur client au terminal 4, forçant les passagers à marcher le long d'un parcours qui n'est pas encore bien aménagé. J'ai insisté pour renforcer le continuum, les aménagements seront inaugurés en septembre.
Merci Monsieur Fichet, au nom des équipes, pour vos
propos. La question principale est celle de la maîtrise du temps. Mais
dans un aéroport lorsqu'il y a un problème, personne ne veut
être responsable et chacun
- aéroport, compagnies,
sous-traitants - cherche à se repasser le mistigri. Nous
considérons que c'était notre responsabilité de faire en
sorte que toute la chaîne fonctionne bien. Nous devons donc parfois
intervenir auprès des sous-traitants des bagages ou des sous-traitants
des autobus. L'été dernier, j'ai voulu prendre un vol
Paris-Clermont-Ferrand qui devait partir à 8 heures du
matin : l'équipage n'était pas là mais jusqu'au
dernier moment on nous a fait croire qu'il allait arriver. Ce n'est pas
satisfaisant. J'insiste pour que nos équipes disent la
vérité aux usagers. Pour bien faire, on a tendance à ne
pas dire la vérité, car les clients souhaitent être
rassurés. Mais si on sait qu'un vol sera annulé ou en retard,
mieux vaut informer aussitôt les clients pour qu'ils puissent prendre
leurs dispositions. Mais changer les réflexes pour passer à une
culture de la vérité prend du temps.
La gestion de la hausse du trafic est un vaste sujet. Les infrastructures seront vite saturées. Nous passons notre temps à courir après cette hausse pour nous adapter. C'est ce qui explique les travaux permanents. Tous les 2 ans le nombre de passagers accueillis par ADP augmente de 7 millions, ce qui représente le nombre annuel de passagers accueillis par l'aéroport de Nantes. C'est un vrai défi opérationnel pour ADP ; le contrat de régulation économique pour la période 2021-2025 prévoit des investissements de 6 milliards d'euros, deux fois plus que dans la période précédente. Le développement des aéroports de province est une bonne nouvelle. Le développement des avions monocouloirs, capables de réaliser des liaisons transatlantiques, peut être une bonne nouvelle pour les territoires car, dès lors que le nombre de passagers potentiels sera suffisant, il sera possible de réaliser plus de liaisons internationales depuis les aéroports régionaux sans passer par Paris. La décongestion des grands aéroports parisiens passera par un travail en réseau avec les petits aéroports et le développement de connexions directes.
Monsieur Cuypers, la superficie de l'aéroport Charles-de-Gaulle est de 3 257 hectares, celle d'Orly de 1 540 hectares. Nous avons environ 400 hectares en réserve foncière qui nous permettraient de construire 1,5 million de mètres carrés de bureaux, soit un doublement de la superficie existante. La superficie commerciale s'élève à 58 000 mètres carrés, l'équivalent d'un grand magasin comme le Printemps, et l'objectif est de passer à 80 000.
L'aéroport de Vatry a été conçu à une époque où le transport en camion n'était pas contesté pour ses émissions de gaz à effet de serre. Pour le fret, l'essentiel est que la marchandise, une fois arrivée à l'aéroport, puisse rejoindre très vite sa zone de consommation. À Orly, l'essentiel des 300 000 tonnes de fret annuelles est destiné à Rungis.
Sur les biocarburants, Alexandre Juniac, président-directeur général de l'Association internationale du transport aérien, remarquait qu'aucun nouveau mode d'énergie ne s'était développé sans un investissement initial subventionné par les pouvoirs publics : ce fut le cas des panneaux solaires ou de l'énergie éolienne. L'utilisation de la biomasse, pour produire du biofuel, constitue sans doute une nouvelle frontière pour le transport aérien mais cela exigera beaucoup de recherches. Si une taxe sur le kérosène devait être instaurée, il faudrait qu'elle puisse contribuer à financer des recherches sur ce thème.
M. Éric Gold . - Le monde économique est l'un des principaux utilisateurs du transport aérien. Certaines lignes fonctionnent grâce à la présence de grandes entreprises sur le territoire. Celle-ci dépend aussi d'un service de qualité. Vous avez évoqué le mistigri dans les aéroports sur la responsabilité. Quelle est la part de responsabilité d'ADP dans certains dysfonctionnements ? Les compagnies aériennes ont souvent tendance à se défausser sur ADP.
M. Augustin de Romanet . - Je me considère comme personnellement responsable du bon fonctionnement du système. Si l'on constate que les bagages n'arrivent pas à l'heure par la faute des sous-traitants, il est possible de prendre des mesures permettant de suivre la performance des sous-traitants par le biais d'indicateurs, de tableaux, etc . On donnera aux compagnies aériennes des instruments pour mesurer le temps de parcours du bagage afin qu'elles se sentent concernées. S'il le faut, on menacera de réaliser un classement des plus mauvaises compagnies. Par ce biais nous pouvons stimuler tous les acteurs, ce qui est crucial car les sous-traitants ne sont pas des salariés d'ADP. De l'extérieur, ADP sera tenu pour responsable, nous faisons donc tout pour stimuler la performance de tous et garantir le bon fonctionnement de la chaîne. Vous aurez toujours le droit de sonner à ma porte si quelque chose ne va pas. Cependant, nous ne maîtrisons pas tout. Ainsi la réglementation européenne nous interdit d'être sous-traitants en escale, comme c'était le cas il y a 15 ans. Parfois nous ne pouvons intervenir : par exemple, lorsqu'une passerelle n'est pas là, le pilote incrimine souvent ADP. Or ADP ne fait que fournir le matériel. Nous sommes responsables si la passerelle est défectueuse, ce qui est très rare, mais la compagnie est responsable si le sous-traitant est en retard. Globalement, l'honnêteté oblige à dire que la collaboration avec les compagnies s'améliore.
Mme Victoire Jasmin . - Je veux d'abord évoquer les menaces qui pèsent sur certains vols intérieurs. Leur disparition aurait des conséquences pour le développement économique et social des territoires. Élue de Guadeloupe, je viens assez souvent de Pointe-à-Pitre. Vous l'avez évoqué concernant le futur terminal « Québec », aujourd'hui parfois il n'y a pas de passerelle et nous sommes contraints de marcher longtemps, de monter et descendre des escaliers et de prendre des bus pour arriver jusqu'aux bagages, ce qui est fatigant après 8 heures de vol... Enfin, je veux aussi attirer votre attention sur le coût pour les outre-mer des redevances aéroportuaires.
M. Henri Leroy . - On privatise certaines plateformes aéroportuaires, mais en même temps on les empêche d'évoluer. Je parlerai de l'aéroport de Nice-Côte d'Azur, qui possède aussi l'aéroport de Cannes-Mandelieu. J'ai siégé pendant de nombreuses années au conseil d'administration de la société, aussi bien avant sa privatisation, lorsqu'elle était encore société d'économie mixte, que depuis sa privatisation. Je constate que l'on nous empêche de créer des lignes directes avec des destinations qui pourraient être rentables et que l'on institue une forme de monopole au profit d'ADP puisqu'on oblige les passagers à passer par ADP pour rejoindre la Côte d'Azur. Or la Côte d'Azur compte de nombreuses résidences secondaires appartenant à des personnes venant d'Europe du Nord, d'Asie ou d'ailleurs. Une évolution est-elle envisageable pour ne plus empêcher les gens de rejoindre la Côte d'Azur directement en ouvrant des lignes qui seraient certainement rentables ?
M. Jordi Ginesta . - Ma question porte sur la « clairance », une libéralité que prennent les aiguilleurs du ciel. Je sais que c'est la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) qui est compétente en la matière, non ADP. Mais cette pratique qui consiste à s'absenter pendant le temps de travail, au motif qu'il resterait suffisamment d'aiguilleurs du ciel à ce moment-là, peut avoir des conséquences pour le trafic. Si les aiguilleurs ne reviennent pas à l'heure prévue, le trafic ne peut pas être géré et l'on fait attendre les avions en vol, tout en expliquant aux passagers que c'est à cause du surcroît de trafic... Les avions continuent de tourner, ce qui a des conséquences financières pour ADP, perturbe les approches au sol, entraîne une surconsommation de carburant par les avions, etc . Que peut faire ADP auprès de la direction de l'aviation civile ? Cette dernière n'a pas répondu à mes questions.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - La direction générale de l'aviation civile sera entendue prochainement.
M. Augustin de Romanet . - Madame Jasmin, les taux de contact pour la Guadeloupe sont tout de même meilleurs que pour beaucoup de compagnies. Avec l'ouverture de la jetée Est et du terminal 3, la qualité s'est améliorée.
Mme Victoire Jasmin . - L'attente des bagages est beaucoup plus longue.
M. Augustin de Romanet . - Je regarderai ce qui se passe en provenance de la Guadeloupe, en particulier pour le vol 793 de lundi matin, et vous répondrai. Le système a peut-être eu des défaillances.
Nous nous efforçons de limiter au maximum les redevances aéroportuaires. Plus nos redevances sont basses, plus nous pouvons accueillir de compagnies.
Monsieur Leroy, lorsque l'aéroport de Lyon a été proposé à la privatisation, j'ai officiellement affiché le fait que le groupe ADP ne se porterait pas candidat parce qu'il estimait qu'il y avait un risque de conflit d'intérêts à développer à la fois le trafic à Lyon et à Paris. Je vous défie de trouver la moindre initiative du groupe ADP pour interdire la desserte de Nice. L'idée même que l'un de mes collaborateurs puisse vouloir, dans un intérêt particulier, nuire à l'intérêt général, c'est-à-dire à la bonne connectivité du territoire, me paraît assez modérément gratifiante pour notre sens de l'éthique !
Je vois bien qu'à Nice, très fréquemment, l'image du groupe ADP est présentée dans des conditions que je juge regrettables. Je l'ai d'ailleurs écrit à ceux qui expliquent que notre aéroport est indigne du pays ou encore que notre qualité de service est tragique.
Je remercie votre mission d'information de me donner l'occasion d'affirmer que je crois à la connectivité et que je crois que plus l'aéroport de Nice se développera, plus il aura de lignes directes avec la Chine, le Japon et les États-Unis, plus nous serons contents.
Monsieur Ginesta, je poserai votre question au directeur général de l'aviation civile la prochaine fois que je déjeunerai avec lui. Je n'ai pas la réponse.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Je souscris aux propos de MM. Guerriau et Fichet. Certes, le contact a progressé sur les lignes d'aménagement du territoire et Aurillac en a bénéficié. Mais le trajet pour sortir de l'aéroport est bien plus long à pied ; il faut passer par des escaliers puisqu'il n'y a pas d'ascenseur : le débarquement est problématique.
Nous avons aussi souffert d'erreurs sur les tableaux d'affichage. Certains avions partaient d'un autre hall que celui qui était indiqué et des passagers ont râté leur avion en conséquence.
À Orly, le stationnement anarchique des taxis pose problème. C'est la jungle. On est interpellé par les chauffeurs. Je sais bien qu'Orly est en travaux en ce moment, mais nos concitoyens paient très cher leurs billets d'avion pour venir jusqu'à Paris et nous voudrions que les conditions d'accueil s'améliorent.
M. Augustin de Romanet . - Vous regrettez qu'il n'y ait pas d'ascenseur ou qu'il ne fonctionne pas ?
Mme Josiane Costes, rapporteure . - À ma connaissance il existe un ascenseur qui n'a jamais fonctionné.
M. Augustin de Romanet . - Nous essaierons de mettre en place un ascenseur et si nous y parvenons, nous irons l'inaugurer ensemble.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Avec plaisir !
M. Augustin de Romanet . - Nous nous bagarrons contre le racolage des chauffeurs. Nous avons placardé des affiches et fait de la publicité. Il y a eu beaucoup d'améliorations.
Les travaux de la gare du Grand Paris rendent l'accès des taxis aux terminaux très compliqué mais nous y travaillons.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Merci. Nous aurons l'occasion, avec les membres de la mission d'information, d'emprunter certaines des lignes évoquées et de tester les installations d'Orly.
Table
ronde avec les compagnies aériennes
opérant des lignes
d'aménagement des territoires
(Mardi 18 juin 2019)
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Mes chers collègues, après la constitution de notre mission d'information le 14 mai dernier, nous poursuivons cette semaine nos travaux en réunion plénière par une table ronde avec les compagnies aériennes opérant des lignes d'aménagement des territoires en métropole et outre-mer. Je remercie de leur présence les dirigeants des compagnies qui ont répondu à notre invitation : M. Alain Battisti, président de Chalair, M. Guillaume Collinot, directeur général de Twin Jet, M. Philippe Dandrieux, président du Directoire d'Air Corsica et M. Dominique Dufour, secrétaire général de Air Austral qui assure notamment des liaisons vers la Réunion et Mayotte.
Par égard pour nos collègues sénateurs de la Guadeloupe, membres de notre mission d'information, Mme Victoire Jasmin et M. Dominique Théophile, nous avions également sollicité les dirigeants des compagnies Air Caraïbes ainsi que Air Antilles. Ceux-ci n'ayant pas pu se rendre disponibles aujourd'hui, nous pourvoirons ultérieurement à leur audition.
Je vous rappelle que le Sénat a constitué cette mission d'information à l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Notre collègue Josiane Costes, sénatrice du Cantal, en est la rapporteure. Comme plusieurs de nos collègues, elle connait bien les problématiques soulevées par ces liaisons intérieures, au-delà de la ligne Aurillac-Paris.
L'objectif principal de notre mission est de s'intéresser avant tout aux territoires enclavés, imparfaitement desservis par le rail ou la route, qui ont besoin de dessertes et d'infrastructures aériennes pour assurer leur développement ou, tout simplement, la continuité territoriale. À cet égard, je précise qu'une délégation de notre mission d'information se rendra successivement à Quimper, Aurillac et Rodez pour rencontrer les acteurs locaux, expertiser plusieurs types de lignes d'aménagement du territoire et évaluer l'impact de ces liaisons sur le développement économique.
Pour compléter ce tableau, je précise que nous auditionnerons prochainement M. Pierre-Olivier Bandet, directeur général adjoint d'Air France HOP pour répondre également à nos questions sur les dessertes que la compagnie assure au titre des lignes sous obligation de service public. Nous aurons sans doute des questions sur la stratégie d'Air France en matière de desserte de nos territoires.
Aussi, je me réjouis que des professionnels du transport aérien régional puissent aujourd'hui nous présenter leurs activités et nous exprimer les problématiques qu'ils rencontrent dans la desserte des territoires, qu'il s'agisse de lignes commerciales et plus particulièrement de lignes sous obligation de service public (OSP).
Je cède toute de suite la parole à Josiane Costes, après quoi je propose que nos hôtes nous présentent leurs activités avant de passer aux questions plus précises de notre rapporteure puis de nos collègues.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Comme vient de le rappeler notre collègue et président Vincent Capo-Canellas, plus nous progressons dans nos auditions, plus nous observons que la continuité des lignes aériennes d'aménagement du territoire est un enjeu vital pour le développement économique et touristique des régions laissées à l'écart du TGV et des autoroutes. À l'heure de l'internet et de la mondialisation, il faut savoir que certains territoires restent à 7 heures de train de Paris, avec plusieurs changements !
Qu'il s'agisse d'Aurillac, mais aussi du Puy-en-Velay, de Rodez ou de Quimper, où je me rendrai avec plusieurs de nos collègues, la vitalité même du tissu économique et social dépend d'une liaison fiable avec Paris et les capitales régionales. La viabilité des entreprises et de nombreux emplois est en jeu.
Alors je n'ignore pas le débat ambiant sur l'environnement, défavorable au transport aérien, c'est le moins que l'on puisse dire. Il faut bien évidemment en tenir compte mais le sujet qui anime notre mission d'information est autre puisqu'il s'agit de la continuité territoriale avec des régions qui, pour la plupart, n'ont pas d'autres moyens rapides de communication que l'avion.
Aussi, en tant qu'opérateurs de lignes intérieures, vous êtes en première ligne pour nous éclairer sur les caractéristiques de vos activités, des spécificités de ces lignes d'aménagement du territoire. Votre éclairage nous sera précieux pour relayer des recommandations et de nombreuses questions se posent : combien de liaisons opérez-vous au total sur le territoire national et combien d'entre-elles le sont sous obligation de service public ? Combien de villes sont desservies et combien de passagers sont transportés ? Le système des lignes d'aménagement du territoire sous obligation de service public vous semble-t-il suffisamment adapté quant à la viabilité du modèle économique, au coût du service, sa qualité, sa régularité, sa continuité, voire sa sécurité ? S'agissant plus particulièrement de l'arrivée dans les aéroports de Paris, considérez-vous que l'accueil des vols régionaux et de leurs passagers est satisfaisant ?
M. Alain Battisti, président de Chalair. - Chalair est une compagnie aérienne française que je dirige depuis une quinzaine d'années. Elle est née en 1986. À l'origine, elle se concentrait sur l'aviation d'affaires. Il y a une douzaine d'années, elle a diversifié son activité avec des vols sur les lignes régionales au moyen d'avions de 19 sièges, de type Beechcraft 1900. Depuis peu, nous utilisons des avions ATR de 48 à 70 sièges. Nous disposons de 14 avions, et selon les prévisions, nous transporterons 300 000 passagers l'année prochaine - nous en transportons 200 000 cette année. Notre croissance est forte. Elle est liée à une réorganisation du transport aérien régional, par le jeu des acteurs : HOP s'est progressivement retiré d'un certain nombre de lignes. En outre, le marché évolue. Les passagers ont changé, notamment par rapport au prix. Toutes ces raisons bousculent le marché régional français. Dans ce marché, les lignes d'aménagement du territoire ont la spécificité de bénéficier souvent d'un accompagnement financier.
Chalair opère une douzaine de lignes en France, dont 3 sous obligation de service public. Nous opérons sur ces dernières depuis peu. Ces lignes n'existeraient pas, bien que nous soyons une compagnie à bas coût, sans un accompagnement financier des régions et des départements. Nous opérons depuis le mois de janvier la ligne Agen-Orly, ainsi que Limoges-Lyon. Depuis mars, nous faisons Limoges-Orly. Ces lignes sont jugées essentielles par les territoires : elles représentent un vecteur économique indispensable, si on veut maintenir un tissu économique privé ou public. En outre, elle constitue un vecteur d'attrait touristique. Les touristes ne viennent pas seulement d'Angleterre, mais aussi de France. Ils peuvent venir directement au départ de Paris, ainsi qu'à travers les hubs parisiens ou de Lyon.
Nous sommes peu nombreux sur le territoire métropolitain à opérer des lignes d'aménagement du territoire, et même des lignes régionales. En effet, la pression est très forte sur les prix. On a un développement très important de lignes opérées par des opérateurs étrangers sur le territoire, comme Easyjet, Ryanair, Volotea. Ce développement du « low cost » se nourrit d'une attractivité forte des billets. Les avions assez gros permettent des prix très satisfaisants pour les gens se déplaçant pour des motifs personnels et payant eux-mêmes leurs billets. Cela crée une pression sur les tarifs. Aujourd'hui il est compliqué de vendre au véritable prix de revient un billet pour un avion plus petit. Ce billet coûte en effet beaucoup plus cher à l'exploitation, ramené au prix par siège. Aussi, pour les lignes d'aménagement du territoire, avec un avion de type ATR, entre 2 et 4 millions d'euros de subvention annuelle sont nécessaires pour que l'exploitation de la ligne soit viable. Cela dépend bien sûr du programme de vol et de la fréquence. Cette situation peut sembler souvent déraisonnable au regard des finances publiques. Mais ces subventions sont nécessaires. Le retrait de HOP d'un certain nombre de lignes témoigne qu'il n'y a pas d'effet d'aubaine et de rentabilité à exploiter ces lignes.
M. Guillaume Collinot, directeur général de Twin Jet. - Nous sommes les parents pauvres parmi mes confrères. Nous n'avons que 12 avions : des Beechcrafts 1900 D de 19 sièges. Ces avions ont été mis au point pour faire des vols d'une heure à 2 heures maximum avec 15 à 19 passagers à bord. C'est dans ces conditions qu'ils sont le plus efficaces. Nous opérons 16 destinations, dont 4 à l'international. Une seule destination est subventionnée sous forme OSP. C'est la ligne entre le Puy-en-Velay et Paris. Auparavant, nous opérions aussi la ligne de Périgueux. Malheureusement, la difficulté pour Périgueux de trouver des fonds a mis fin à cette ligne. La situation devient difficile pour les acteurs économiques de ce territoire. Ils doivent soit se rendre à Limoges, soit à Bordeaux pour prendre le TGV. Je tiens d'ailleurs à signaler que si le trajet vers Bordeaux paraît simple sur une carte, il se complique dans la réalité : il faut prendre la rocade, avec les dangers de la route que cela implique.
Là où des gros appareils peuvent jouer avec le « yield management » - faire varier le prix du billet - en fonction du nombre de sièges restants, avec un avion de 19 sièges, on ne peut pas proposer des billets à 40 euros. Nos billets sont au minimum à 120 ou 150 euros. Ces tarifs ne sont pas éhontés, mais correspondent au minimum que l'on peut facturer un billet, en prenant en compte la subvention pour OSP, pour atteindre notre point d'équilibre.
Parmi les compagnies aériennes françaises, aucune n'est une « chasseuse de subventions ». Une seule de nos destinations est subventionnée. Il n'est pas dans notre modus operandi d'attendre qu'une OSP se libère, pour pouvoir s'y engouffrer et voler aux frais du contribuable. J'irai même plus loin. Je pense que certaines lignes de désenclavement sont « des lignes trop luxueuses » lorsqu'elles sont opérées par des ATR 42. Le coût en valeur absolu d'un ATR 42 est logiquement plus cher qu'un plus petit avion. Rapporté en nombre de passagers effectifs, le Beechcraft 1900 coûte moins cher.
Vous avez indiqué l'importance de la ponctualité. L'absence de ponctualité et de régularité était reprochée à HOP sur la ligne d'Agen. Ils ont été accusés de « sabotage » de la ligne. Je pense que cette expression est un peu forte. Il y a peut-être des difficultés pour maintenir un avion et être réactif. En tant que petite compagnie, notre lot quotidien est d'être plus réactif que les grosses compagnies pour pouvoir survivre dans ce monde concurrentiel.
Vous avez évoqué l'accueil réservé aux lignes régionales par le groupe ADP. Il est certain que l'on a mal vécu en 2016 et 2017 les changements de politique tarifaire d'ADP, où par le biais d'un lissage de la taxe passager on faisait croire aux compagnies que cela leur coûtait moins cher. Mais les petits avions ont moins de passagers. Dès lors, la taxe passager, même si elle baisse, ne vient pas contrebalancer la redevance d'atterrissage. Cela a eu pour effet de multiplier par 6 le prix global de l'atterrissage à Paris. Cela peut se comprendre, car d'un point de vue économique pur, nous allons prendre le même « slot » - le même espace temps -, et même parfois plus car nos avions vont moins vite que les gros avions. Mais la taxe passager qui va revenir à ADP sera de 12 passagers dans notre cas, et de 380 passagers pour un gros avion. Dès lors, il faut savoir ce que l'on veut : ADP a-t-il une pure approche économique, ou bien doit-il jouer un rôle en matière de désenclavement ? Dans ce cas, il faut permettre aux petits porteurs d'opérer dans de bonnes conditions.
Il faut également laisser la possibilité aux plus petits porteurs de répondre aux OSP. Cela n'est pas toujours le cas. On a vu récemment que les OSP de Limoges et d'autres villes demandaient un nombre minimal de 29 passagers. Forcément, les avions de 19 places ne peuvent pas répondre. Je ne vois pas bien le risque pris par les collectivités de ne pas laisser la possibilité aux petits transporteurs de répondre.
M. Philippe Dandrieux, président du directoire d'Air Corsica. - Air Corsica est la compagnie aérienne de l'aménagement du territoire. Elle repose sur le principe de continuité territoriale, inscrit dans la loi de finances de 1976 pour le transport maritime et 1986 pour le transport aérien.
Cette compagnie a 12 avions : 6 ATR 72 et 6 Airbus A320, desservant les 4 aéroports corses, à destination de Nice, Marseille, et Paris-Orly. Cela représente une douzaine de lignes. Il y a également des lignes saisonnières vers l'Angleterre, la Belgique, Nantes et Toulouse.
Le service public représente 85 % de notre activité et du chiffre d'affaires. Nous sommes d'ailleurs une société d'économie mixte, composée d'un capital social avec la collectivité de Corse et Air France. Nous faisons au total 1,8 million de passagers, dont 1,6 million de service public. La desserte insulaire est particulière en matière de service public. En effet, à part le bateau, il n'y a pas d'autres moyens. En outre, le trajet en bateau est de 8 à 15 heures. D'ailleurs, en Corse, on dit souvent que le meilleur médecin est Air Corsica. En raison de la taille de la région, il n'y a pas de CHU sur l'île. Tout le monde va se faire soigner à Marseille, en prenant le vol du matin et en rentrant le soir.
La délégation de service public aujourd'hui s'inscrit dans une doctrine communautaire écrite avec une vision libérale. C'est le défaut de départ. On vous parle de coût de revient. Le petit avion en économie aérienne est toujours plus cher que le gros, ramené au siège. À un moment donné, il faut savoir payer le prix que cela représente. Il ne s'agit pas d'une surmarge du transporteur. Les coûts de production, en tant que tels sont chers. On peut toujours faire une course à l'échalote pour faire des économies, mais il faut être conscient que ce marché est ouvert aux quatre vents. Les compensations se font au forfait maximum. S'il y a des problèmes pendant le vol, si les prix du pétrole augmentent, nous devons faire jouer des clauses d'imprévision. Généralement, les collectivités, en raison des budgets annuels, sont obligées de procéder au rattrapage sur plusieurs années. Il y a donc toujours un décalage important.
La durée des délégations de service public dans l'aérien est limitée à 5 ans. Or, un avion ne se finance pas sur 5 ans. Cela se loue parfois sur cette période. Généralement, la location commence à 7 ans et se fait le plus souvent sur 12 ans. Si on achète un avion, il faut en amortir le coût. On trouve encore des postures idéologiques par rapport à la réalité économique que représente ce secteur. Nous sommes également confrontés à une certaine concurrence déloyale, notamment en termes de masse salariale. Les écarts peuvent être considérables, en coût et en conditions de travail.
Il existe des OSP avec exclusivité, sans exclusivité, avec compensation publique, sans compensation publique. Faire vivre une ligne avec un faible trafic demande de l'argent. Si demain on veut la développer et influencer le tissu économique, il faut y mettre les moyens. Une certaine durée est nécessaire. Si la ligne connaît des difficultés tous les deux ans et demi en raison de restructuration, le schéma s'effondre.
Enfin, le changement de grille tarifaire par le groupe ADP sur les dernières années a transféré sur les conseils départementaux et les régions l'amélioration des résultats financiers de ce groupe. Les petits avions payent proportionnellement plus chers que les gros. Pour nos A320, avec le même nombre d'activités, par un changement de la grille tarifaire d'ADP, nous avons eu une augmentation de 800 000 euros de nos charges. Et il s'agit là du seul prix du parking.
La Corse fait beaucoup d'efforts pour la tarification, avec l'existence d'un tarif pour les insulaires. Un aller-retour sur Marseille, quels que soient le jour, l'heure, avec un billet remboursable, est de 150 euros. Une diminution est d'ailleurs prévue. Plus de la moitié de ce prix est due à des taxes. Que l'on vienne en 747 ou en Beechcraft, la valeur de la taxe est la même. Il y a une divergence de pensée entre les aéroports et les compagnies aériennes. Un aéroport calcule ses recettes comme le montant de la taxe multiplié par le nombre de passagers quel que soit le prix du billet, tandis que les compagnies aériennes regardent le prix du billet. De nombreux aéroports expliquent qu'ils connaissent une augmentation du trafic. Pour eux, il s'agit d'une réussite. En réalité, il faut regarder les types de passagers transportés : s'agit-il d'une clientèle d'affaires, de tourisme ?
M. Dominique Dufour, secrétaire général d'Air Austral. - Air Austral est une compagnie basée à la Réunion. Elle existe depuis un peu plus de 40 ans. Cette société emploie un millier de salariés, tous basés à la Réunion. Elle a une dizaine de dessertes, essentiellement dans l'océan Indien. Nous desservons, depuis la Réunion, les îles limitrophes : Mayotte, cinq points à Madagascar, l'île Maurice, les Seychelles, les Comores, mais aussi un certain nombre de destinations en Afrique Australe, Madras en Inde et Bangkok.
La destination phare est la desserte de la métropole, avec plus de 13 vols hebdomadaires entre la Réunion et Paris-Charles de Gaulle. C'est la seule ligne à être sous OSP - sans compensation financière. Nous avons une obligation de régularité de trafic, de prendre en compte un certain nombre de publics, comme les accompagnants de personnes décédées, ainsi que d'assurer un service permanent d'évacuation sanitaire et de trafic postal. Nous faisons 8 allers-retours entre Mayotte et la Réunion. Nous avons ouvert une ligne directe en 2016 entre Mayotte et Paris, qui fait de temps en temps escale à Nairobi. 7 mois dans l'année, le vol est direct.
Notre principale contrainte est notre localisation en outre-mer. Nous travaillons sur des micro-marchés, avec un potentiel de développement contraint. Ce marché se caractérise également par une grosse saisonnalité. À la Réunion et à Mayotte, le trafic est plein pendant 5 mois et correspond aux vacances scolaires. Le reste du temps, les avions ne sont pas forcément pleins. Ils peuvent l'être, à condition de faire des tarifs extrêmement bas.
Le fait d'être basé à la Réunion induit des surcoûts en raison de la nécessité de disposer de stocks plus importants et d`équipes renforcées. Nous devons avoir une équipe technique pour s'occuper de notre flotte de 70 personnes. Si nous étions basés à Charles de Gaulle, nous sous-traiterions la totalité de l'opération. L'effectif serait moindre. Notre flotte est très disparate. Nous avons 10 avions : des ATR, des boeings 737, des 787 Dreamliners et des 777, qui sont de gros porteurs de 440 places entre la Réunion-Paris et la Réunion-Marseille.
Les charges salariales sont élevées. Si notre compagnie était basée à l'ile Maurice, nous aurions 30 % de coûts salariaux en moins.
Nous sommes également confrontés à la concurrence. La ligne Paris-La Réunion est une des rares lignes millionnaires en France, c'est-à-dire à plus d'un million de passagers. Il y en a 6 en France. Sur cette ligne, il y a 5 opérateurs. Nous sommes également en concurrence dans la zone de l'océan Indien avec des compagnies à bas coût comme Air Mauritius, Air Madagascar.
L'ADN de notre compagnie est d'avoir une mission de service public. On y trouve aussi intérêt car en contrepartie, lorsqu'il y a des mouvements sociaux sur les aéroports de métropole, le service vers l'outre-mer est préservé.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Quelles pourraient être, selon vous, les améliorations à apporter à ce système de formulation des OSP, en termes de résultats ? Faut-il renforcer les pénalités en cas de non-respect ? Vous avez cité le cas d'Agen. Je peux évoquer le cas d'Aurillac en 2018. Cela a été un enfer, avec des atterrissages à Toulouse, des annulations à répétition. Nous avions l'impression que les pénalités n'étaient pas efficaces. Que pensez-vous du recours à l'intéressement ?
Quels conseils donneriez-vous aux collectivités territoriales qui souhaiteraient développer une connectivité directe entre leurs territoires souvent enclavés et Paris ? Souvent, ces territoires ne sont pas riches.
M. Guillaume Collinot. - Les pénalités sont incluses dans les contrats que nous signons avec la DGAC. Si HOP était insensible aux pénalités qui lui étaient infligées, nous qui sommes plus petits y sommes plus que sensibles. Il ne faut pas être dans une logique punitive. Le but des compagnies aériennes est de faire leur travail. Cela n'amuse personne de dérouter un avion vers Toulouse. Ces deux dernières années ont été difficiles en ressource de personnels navigants. HOP a peut-être également été impacté, ne lui permettant pas d'assurer certains vols.
En ce qui concerne l'intéressement, il faut savoir que la rémunération de la compagnie se fait par le financement de la collectivité, et par la fréquentation. Si nous avons plus de passagers, on peut espérer ne pas avoir besoin de faire fonctionner le complément de financement par la collectivité. Malheureusement, cela n'arrive jamais. Cela revient à dire que ces lignes ne peuvent pas être à l'équilibre. Toutes les compagnies ont un point d'équilibre qui est fonction du nombre de passagers transportés. Certes, certaines villes, comme Brive et Lyon, auraient besoin d'être desservies entre elles, car leurs bassins économiques communiquent. Mais nous sommes transporteurs, nous ne sommes pas « risqueurs » aériens. C'est à l'État de supporter ce risque. La collectivité doit donc faire remonter à l'État son besoin de liaisons, et pas forcément depuis Paris. Nous sommes dans un historique français de construction en toile d'araignée depuis Paris. Mais les liaisons transversales existent. Certes, il y a moins de passagers, mais ces lignes sont génératrices de revenus pour les régions. Ces dernières sont donc les mieux placées pour les défendre auprès de l'échelon central.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Si vous deviez suggérer aux pouvoirs publics d'améliorer le système des OSP, vers quoi pourrait-on aller ? Comment vous aider à rendre ce marché plus mature et plus facilement exploitable pour vous ?
M. Guillaume Collinot. - Notre coût de production sur les OSP est aussi élevé que sur les autres destinations. On pourrait penser à une incitation économique lorsque l'on vole sur OSP, avec un plan fiscal allégé sur les salariés. On pourrait également imaginer étendre une partie de cet allégement sur les autres routes, si la régularité est bonne ou si un objectif de passagers est atteint.
Nous ne pouvons pas non plus rentrer dans une logique où nous serions dans une situation d'attentisme par rapport à l'État pour pouvoir gagner de l'argent. Savoir que l'analyse faite par la collectivité est juste en termes d'estimation du nombre de passagers est important. Pour la ligne Limoges-Paris, nous faisions entre 5 000 et 7 000 passagers par an. D'ailleurs, j'effectuais cette ligne sans OSP. Il faut se demander ce qui est pertinent ou pas de mettre en place. Nous ne sommes pas là pour créer des routes à tout prix, mais pour répondre à des besoins économiques. De manière imagée, a-t-on besoin que la communauté finance le billet d'avion d'un jeune de Limoges se rendant à Paris pour aller voir sa grand-mère ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous avez indiqué avoir interrompu vos liaisons vers Limoges.
M. Guillaume Collinot. - Nous ne l'avons pas interrompu, mais une OSP a été mise en place imposant l'utilisation d'avions avec 28 sièges. Avec nos avions de 19 places, nous ne pouvions pas y répondre.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Il y avait une attente de la puissance publique d'avoir une plus grande capacité de transport par avion, avec des effets collatéraux pour vous.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Pour prendre l'exemple de Limoges, c'est faisable en train en 3h15-3h30. Il y a d'autres moyens de voyager que l'avion. Mais je prends le cas de territoires très enclavés, comme le Cantal, Castres, Agen, Rodez. Nous n'avons pas d'autres moyens de rejoindre la capitale que l'avion. La position des collectivités territoriales et de l'État n'est pas la même.
M. Guillaume Collinot. - Je vous rejoins sur ce point. Autant pour des villes comme Aurillac, il y a un besoin historique de transport, autant pour Le-Puy-en-Velay, le besoin n'est pas suffisamment important pour opérer cette ligne avec un ATR 72. Cela n'a aucun sens économique. De même, M. Brice Hortefeux, vice-président du Conseil régional, a voulu créer une liaison entre Lyon et Clermont-Ferrand il y a quelques mois. Elle ne sert à rien. Si Air France y a mis fin, c'est qu'elle n'était pas utilisée. Les passagers ne sont pas au rendez-vous.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Il y a aussi la liberté des collectivités locales de vouloir développer des lignes. Je comprends aussi que si des collectivités souhaitent voir le nombre de sièges proposés augmentés, cela peut avoir des effets collatéraux pour des lignes sur lesquelles opèrent de plus petits avions.
M. Guillaume Collinot. - Nous opérons sur la ligne Le-Puy-en-Velay-Paris. Nous avons mis en place une navette terrestre entre Mende et Le-Puy-en-Velay, afin de pouvoir acheminer les gens qui sont à Mende vers l'aéroport. Ils sont libérés des contraintes de parking. Cela nous permet de renforcer la liaison entre Paris et Le-Puy-en-Velay, et pour la collectivité, cela coûte moins cher de mettre en place ce minibus.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Les collectivités locales sont aussi dans leur rôle pour essayer de définir le besoin de ceux qui veulent être transportés.
M. Alain Battisti. - J'exploite des avions de 19, 48 et 79 sièges. Nous avons emporté face à Twin Jet la liaison Limoges-Orly. Nous avons plus que doubler le nombre de passagers, et nous allons bientôt le quadrupler, témoignant de l'existence d'un besoin. En revanche, je rejoins ce que dit mon collègue, le marché dépend de nos clients. Si on s'adresse seulement au monde économique, il y a une acceptabilité du prix du billet aux alentours de 200 euros l'aller-retour. Si on souhaite un avion accessible à tous, financé par la collectivité, le prix du billet doit être plus bas, aux alentours d'une centaine d'euros. Il faut savoir que la moitié de ce prix de billet est de la taxation.
Les collectivités décident de l'ambition pour leurs territoires. Ce n'est pas à la compagnie d'imposer ce qu'elle veut, en fonction des outils dont elle dispose.
L'attente environnementale est de plus en plus forte. Le débat récent sur la volonté de taxer le kérosène le démontre. Il faut améliorer l'acceptabilité de l'avion. On pourrait imaginer, dans le cadre des OSP, d'avoir un intéressement sur les avions éco-responsables, qui consomment le moins. Est-il raisonnable de faire voler un avion à réaction de 50 sièges, plutôt qu'un avion à turbine, afin de gagner 6 minutes sur un vol au départ du centre de la France ? On peut imaginer une évolution dans les critères des OSP, favorisant les turbopropulseurs propres. L'acceptabilité par le passager d'un avion un peu plus lent peut être acquise si on lui en explique les raisons. Sur un Rodez-Orly, un avion à hélices de type ATR de dernière génération génère 40 % d'émission de CO 2 en moins.
Il y a eu une défaillance d'une entreprise du secteur, pour des raisons objectives. Ce n'est pas une raison pour changer la loi et les règles relatives aux pénalités pour les nouveaux prétendants aux OSP. Ces pénalités seront au final incluses dans le prix et dans la demande de subvention. On risque de se retrouver avec des OSP pour lesquels il n'y aura aucune compagnie intéressée. Dans certains cas, nous ne sommes pas très loin de cette situation. Ainsi, à Agen, nous étions les seuls à candidater.
J'appelle à la cohérence dans les décisions. Certains élus se sont plaints, à juste titre, de la défaillance d'opérateurs. Il y a eu jusqu'à 25 % d'annulations sur certaines liaisons. Néanmoins, ce même opérateur a été reconduit au moment du renouvellement des OSP. Cela était le cas à Castres ou à Aurillac. Sa reconduction s'est faite avec un budget en hausse d'un million d'euros.
Si on veut rendre les OSP plus attirantes, il faut prendre en compte des phénomènes nouveaux. Je pense à la volonté de créer une troisième rotation. Habituellement, il y a un aller-retour dans la journée, avec un vol le matin vers 8 heures et un retour le soir. Cette organisation représente un socle sur lequel il ne faut pas revenir. En revanche, en ajoutant une troisième rotation, on peut créer une opportunité pour la compagnie de mieux utiliser ses employés et ses machines, et donc de réduire un petit peu le prix unitaire du siège. Toutefois, il faut être certain que le marché réagisse. Dans une ville de 25 000 habitants, avec une agglomération contenant 40 000 habitants, je ne suis pas certain qu'une troisième rotation, cinq jours par semaine soit nécessaire. De la même façon, les vols du samedi matin ou du dimanche soir peuvent pour certaines destinations être discutables. Il faut avoir une analyse fine de la situation, au cas par cas : tout d'abord parce que ce sont les élus qui décident. En outre, cela peut correspondre à des objectifs touristiques qui ne sont pas forcément perçus par la compagnie. Un petit peu de souplesse avec la possibilité de présenter plusieurs scenarii pourrait être une évolution intéressante des OSP.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous suggérez que l'opérateur qui répond à une OSP puisse proposer des variantes, avec une troisième rotation, ou faire évoluer la desserte le week-end par exemple ?
M. Alain Battisti. - Je vais vous donner un exemple sur les semaines du mois de mai. L'obligation de service public oblige à voler le lundi matin, jour ouvré. Mais le mardi est férié. Nous connaissons la pratique des « ponts » et des « viaducs » de mai en France : au final, les avions volaient à vide le lundi. Cela coûte très cher, car nous l'incluons dans nos calculs pour définir nos recettes et nos dépenses. De même, certains vols du dimanche soir peuvent être intéressants en été ou en période touristique. En revanche, il faudrait pouvoir les supprimer l'hiver. Dans l'OSP, 3 ou 4 programmes différents pourraient être proposés et les opérateurs décident d'y répondre avec une proposition budgétaire, ou encore on pourrait laisser la liberté à l'opérateur dans une certaine volumétrie de sièges offerts - en indiquant par exemple l'obligation d'offrir 60 000 sièges dans l'année - de les répartir selon les attentes supposées. Toutefois, et je le répète, il appartient aux collectivités de décider, car elles connaissent mieux les besoins que les opérateurs.
M. Philippe Dandrieux. - Nous sommes soumis au droit communautaire relatif au SIEG et au principe du juste prix. On peut comprendre ce principe dans la mesure où il s'agit de deniers publics. Toutefois, il serait bon que les rémunérations pour les opérateurs puissent être supérieures. Le rendement est limité à 3 % dans le cadre des SIEG.
Il existe des pénalités pour service non fait. Dans les anciens dossiers de la DGAC pré-Union européenne, une marge d'aléas de 3 % était autorisée. Mais il faut également avoir une gestion intelligente entre l'opérateur et la collectivité. Effectuer un vol un jour de pont parce que l'OSP l'exige, alors même qu'il n'y a pas de demande, n'a aucun sens.
Le petit avion est plus cher que le gros avion. Pour que les entreprises vous proposent un bon suivi, cela peut coûter plus cher, en raison de notre présence sur des bases multiples. Nous devons disposer de pièces sur toutes ces bases, afin que nos avions puissent voler. Il faut prendre en compte le coût de la ponctualité et la régularité. Il faut aussi payer la main d'oeuvre qualifiée, avec des horaires à forte amplitude. Ces niveaux d'exigence doivent être pris en compte. Se focaliser uniquement sur un prix bas permettra peut-être à la collectivité de verser une subvention plus faible, mais l'avion ne sera pas à l'heure : il ne sera pas capable de faire face aux aléas.
M. Dominique Dufour. - Madame la rapporteure a évoqué les pénalités. Nous sommes sous OSP sans compensation. Nous préférons nettement la notion d'incitation, plutôt que la notion de pénalité. Nous opérons à quasiment 10 000 kilomètres de la France métropolitaine. À partir du moment où l'on a le moindre problème, son traitement prend des proportions importantes. Il faut parfois 24 heures pour réparer un avion, ce qui n'arriverait pas sur les grands aéroports métropolitains.
M. Jean-Claude Luche
. - L'échange
que nous avons aujourd'hui est très instructif et très
intéressant pour nous qui sommes de province et nous sentons
abandonnés. Je découvre des compagnies que je ne connaissais pas.
Quelles sont vos ambitions ? J'ai été président d'un
syndicat mixte d'un aéroport. Lorsque nous lançons des appels
d'offre, vous ne répondez pas. Soit nos appels d'offre n'ont pas
d'intérêt pour vous en termes financiers
- nous ne sommes
pas dupes, il y a une obligation de résultats -, soit ces questions
ne sont pas dans votre philosophie, et je peux comprendre que vous soyez moins
intéressé par l'aéroport de Rodez que par d'autres
aéroports.
Sans vous demandez votre position sur la privatisation d'Aéroports de Paris, que pensez-vous des services de ces aéroports ? J'arrive parfois sur Paris, je tourne pendant 20 minutes, j'attends le bus une demi-heure. Quelquefois, on perd autant de temps dans l'aéroport que sur le trajet.
Pour rechercher un équilibre financier que vous êtes en droit d'attendre dans l'exploitation de vos entreprises, vous paraît-il judicieux de créer une structure à l'image de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) pour l'électricité, qui permettrait d'avoir un véritable aménagement du territoire ? Vous savez que sur une ligne intérieure, vous n'allez pas gagner d'argent, mais, en revanche, vous allez pouvoir être bénéficiaire sur une autre ligne. Ce juste prix permettrait d'avoir un aménagement du territoire. Nous savons que sur une ligne Rodez-Paris, la contribution est relativement chère. Les collectivités participent, l'État également - car cette ligne est classée aménagement du territoire -, mais à faible niveau. Une structure nationale pourrait-elle rationnaliser le rapport entre les différents types de lignes ? Demain, vous pouvez développer cette France très rurale qui se sent abandonnée. Nous ne travaillons plus avec HOP, car nous ne sommes pas satisfaits du service. Il y a une place à prendre dans les réseaux internes.
Une OSP va être lancée : répondez-y s'il vous plaît !
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Je souhaite vous interroger sur les taxes aéroportuaires. Existe-t-il des exemples à l'étranger où des méthodes de calcul de taxe plus justes et concourant mieux à l'aménagement du territoire sont utilisées ? ADP devient un produit intéressant à vendre en raison de l'afflux de taxes. Que pouvez-vous suggérer comme critère de tarification ? J'ai toujours pensé qu'ADP avait une mission de service public, notamment en matière d'aménagement du territoire de notre pays.
La défiscalisation pour l'acquisition des avions en outre-mer existe-elle toujours ? Avez-vous des suggestions sur ce point ?
M. Jordi Ginesta . - Je souhaite revenir sur l'impact des décisions d'ADP sur les coûts fixes des compagnies. Que pensent les chefs d'entreprise que vous êtes d'une éventuelle privatisation d'ADP ?
M. Éric Gold . - Quelle est la répartition des charges dans le prix du billet, en fonction du modèle de l'avion, les charges de personnel et les différentes taxes ? J'ai cru comprendre que les taxes représentaient la moitié du prix du billet. Par ailleurs, pouvez-vous revenir sur les recettes : le billet, les subventions publiques qui peuvent vous être apportées selon les destinations ? Je souhaiterai disposer de plus d'éléments sur ces deux points en fonction des matériels utilisés et des destinations.
M. Alain Battisti. - Aujourd'hui, sur un vol métropolitain, les taxes et redevances représentent 50 % du billet. Air France a publié des éléments sur un Paris-Nice. Il y a 10 ans, nous étions sur 70 % de recettes et 30 % de coût. L'inflation est terrible, liée à des causes objectives : la sûreté par exemple. La menace terroriste doit être gérée. On peut discuter de la gouvernance de la sûreté aéroportuaire. Pour la totalité des aéroports, cela représente un milliard d'euros par an. Or, ce budget n'est pas piloté. Il dépend de plusieurs ministères, puis de l'appréciation de chaque préfet. Il y a ainsi un très grand nombre de règles en vigueur. La façon de fouiller, de traiter un passager, n'est pas la même à Limoges, à Toulouse ou à Nantes. Ce budget va augmenter de 250 millions d'euros par an afin d'amortir le coût des nouveaux matériels. Cela va entraîner une augmentation du prix du billet.
Pour les OSP, la répartition entre la recette et le coût est assez variable. Certaines OSP peuvent ne pas être subventionnées. Mais dans certains cas, la subvention représente la moitié du coût du billet. Cela peut représenter 90 à 100 euros par passager. Lorsqu'on atteint ces pourcentages, si un autre vecteur de désenclavement existe, les territoires arrêtent de subventionner la ligne aérienne. Par exemple, la ville de Lannion a arrêté de subventionner la ligne Lannion-Paris, avec le développement de la LGV, permettant une desserte de Paris acceptable via Guingamp pour le train, ou via Brest.
Je m'exprime ici en tant que président de la fédération nationale de l'aviation marchande : il n'y a pas d'opposition idéologique des entreprises du secteur à la privatisation d'ADP. Nous pensons même qu'ADP privatisé dans les mains d'un professionnel sera mieux géré qu'aujourd'hui. En revanche, il faut s'interroger sur la mission d'ADP. Il a une mission nationale : plus de 100 millions de passagers arrivent en France via ces deux aéroports. Ne font-ils pas partie de l'attractivité de la France ? L'État est régulateur à travers un contrat de régulation économique, actuellement en négociation. Il est un peu schizophrène, car il cherche à maximiser la valeur d'ADP dans la perspective de la privatisation. Mais en même temps, il cherche à avoir une maîtrise des trajectoires des redevances et coûts afin de rester attractif. On observe d`ailleurs en Europe une trajectoire inverse à la nôtre : dans la plupart des grandes plateformes aéroportuaires, le coût global du traitement du passager tend à diminuer. C'est également le cas au Royaume-Uni, où les aéroports sont réputés chers. En France, alors que le coût aéroportuaire était un peu plus bas que la moyenne européenne - et ADP se plaisait à le rappeler -, ADP est désormais dans le peloton de tête. C'est contraire aux intérêts du pays. Si nous n'avons pas de position idéologique sur la privatisation d'ADP, nous estimons qu'il faut un État régulateur puissant. Il faut une autorité dotée de pouvoirs d'audit et de sanctions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Il y a quelques années, ADP a développé une formule à partir d'un avion type - l'A320 - et un remplissage moyen - 86 %. Tout ce qui est en dessous de cette moyenne voit ses coûts augmenter et ce qui est au-dessus voit ses coûts baisser. ADP a ainsi expliqué à Air France que la compagnie allait être perdante pour HOP, mais elle fera des économies sur les grands avions. Dans le cas d'un ATR 42, cela a conduit à doubler le prix du parking. Pour un Beechcraft, le prix a été presque multiplié par 6. Les avions moins remplis - c'est-à-dire ceux qui jouent le jeu de l'aménagement du territoire - sont pénalisés. In fine , cette augmentation des coûts est portée par la subvention publique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Le but n'était-il pas d'avoir des avions plus remplis, afin de réduire le nombre de vols ?
M. Alain Battisti. - Certaines raisons sont vertueuses. Le nombre de mouvements à Roissy et Orly est limité. Il y a donc un intérêt à avoir des avions plus gros et plus remplis. Cette modification de la structure tarifaire a été très pénalisante et s'est faite au détriment des territoires.
Le but de ma compagnie est de « grossir » et d'être au service des territoires. Nous basons nos personnels au plus près des avions.
En ce qui concerne les services d'ADP, il y a des phénomènes conjoncturels. Vous évoquiez les avions qui devaient attendre pendant 30 minutes. De nombreux travaux sont en cours à Orly en ce moment. Ils obligent à une régulation et sont dommageables. La régulation crée des retards, et les petits avions - ceux de moins de 180 sièges - sont pénalisés au profit des avions plus gros. En effet, ces avions, qui peuvent venir de la Réunion par exemple, peuvent se retrouver avec des réserves faibles de kérozène. On préfère ainsi retarder nos petits avions territoriaux que ceux qui viennent de plus loin. Les travaux vont se poursuivre. Nous avons d'ailleurs une obligation d'abattement de notre programme à 80 % du programme nominal pour les mois à venir en raison de ceux-ci.
Vous évoquiez la création d'une structure. À une époque, il y avait Air Inter, qui était une entreprise privée à vocation de service public affirmée. Nous avons été confrontés à des dérégulations majeures aux États-Unis et en Europe, qui ont conduit au schéma que nous connaissons, avec le développement des low cost. Je ne suis pas certain que la bonne solution soit de recréer une structure nationale pour l'aménagement du territoire.
La péréquation entre les lignes a été faite jusqu'à présent par le groupe Air France. Il y avait de véritables péréquations entre les lignes. Le repositionnement sur des avions de 200 sièges pour HOP fait que cette péréquation ne se fera plus sur des avions plus petits.
M. Guillaume Collinot. - Lorsque l'on répond à une OSP, il nous est ouvert la possibilité de ne pas utiliser la totalité de la subvention et d'en affecter une partie sur d'autres lignes. L'approche de HOP en matière de péréquation m'interroge. Selon les journaux, HOP a perdu 200 millions l'année dernière. Si je perdais un million d'euros, mon patron serait mécontent de mes services. Cela dépend donc de ce que l'on est capable de faire financièrement parlant.
Par rapport aux services d'ADP, le bus est pour nous la double peine : non seulement les passagers attendent en raison des travaux, mais en plus, nous devons payer le transport en navette. En effet, la liaison en bus n'est pas opérée par ADP, mais est sous-traité. De même, les assistants aéroportuaires privés ne dépendent pas d'ADP. En quoi ADP nous aide-t-il ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Nous avons auditionné M. Augustin de Romanet il y a quelques jours. Il nous a indiqué que le droit européen ne permettait pas forcément à l'aéroport de réaliser cette prestation. Nous avons également relevé qu'il faudrait regarder parmi les avions étant « au contact » à l'atterrissage le nombre d'avions venant des territoires et des petites villes.
M. Guillaume Collinot. - Les transports en bus sont autorisés par ADP, mais ils ne sont pas opérés par ce dernier. Ils dépendent et sont opérés par les compagnies aériennes qui les utilisent.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - M. de Romanet nous a indiqué qu'Aéroports de Paris n'était pas indifférent à la qualité de chaîne globale de transport pour un passager.
En matière de sûreté, des raisons réglementaires expliquent les différences de mesures applicables, en fonction de la taille des aéroports.
M. Philippe Dandrieux. - La péréquation est une bonne idée, mais il faut la mettre en miroir avec le droit européen. Je ne suis pas sûr que cela soit possible.
Le pourcentage des taxes représente la moitié du prix du billet, auquel s'ajoutent d'autres taxes : la taxe de balisage par exemple qui se retrouve dans les comptes de la compagnie, ou encore la TVA. On peut concevoir que quelqu'un payant un billet en business class peut payer 100 euros de taxe supplémentaires, mais cela n'est pas cohérent pour des billets subventionnés. Le montant perçu est fixe quel que soit le point de décollage de l'avion en France. Pour moi, une partie du service public devrait être exonérée de ces taxes.
La sûreté est une affaire régalienne. Or, aujourd'hui, nous devons être le fournisseur de la ressource, demander aux chambres de commerce de nous fournir du personnel, alors qu'il s'agit d'une affaire de policiers. Si vous ramenez le prix de la sûreté en France au remplissage d'un A320 à 85 %, c'est équivalent voire plus cher que le coût de l'enregistrement des bagages et de l'accueil du passager en escale.
Pour la privatisation d'ADP, je n'ai pas de position particulière. Toutefois, l'on constate que l'on veut rendre la mariée belle pour la vendre. On a demandé des rendements de banquiers à un établissement public. Il est de 8 %, alors même que ne sont pas incluses les boutiques ! Cherchez l'erreur. On risque d'avoir un transfert des charges à la première occasion sur les autres, c'est-à-dire in fine sur les régions.
M. Dominique Dufour. - Les taxes aéroportuaires doivent être un outil de désenclavement. On devrait pouvoir agir sur celles-ci afin de faire baisser les prix des billets d'avion des territoires enclavés. Une façon de baisser les coûts est de transférer à l'État les tâches relevant de sa compétence. Nous avons évoqué la sûreté. Je vous donnerai un autre exemple : en matière de lutte contre l'immigration clandestine, une compagnie transportant une personne non munie de papiers en règle doit payer une amende de 10 000 euros. Nos personnels sont donc des auxiliaires de l'État non rémunérés et sont chargés de vérifier si une personne se présentant à l'enregistrement a bien des papiers en règle. Tous ces points grèvent le coût d'exploitation d'une compagnie.
Nous bénéficions de défiscalisation sur les appareils au titre de l'investissement industriel basé outre-mer. Mais cela ne concerne que des appareils exploités sur des lignes qui ne touchent pas l'Union européenne. On ne peut pas, au titre du désenclavement, acheter un avion neuf, le mettre sur la ligne Mayotte-Paris et bénéficier d'une exonération fiscale, car le trajet relie deux territoires de l'Union européenne.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Nous avons entendu vos remarques sur la politique tarifaire, ainsi que sur les coûts de sûreté.
M. Michel Canevet . - Je rejoins la problématique de mon collègue sur le transport par navette sur le tarmac de l'aéroport. Avez-vous identifié d'autres contraintes techniques ?
Pour le Finistère, je suis inquiet pour l'OSP en cours, car je n'ai pas cru déceler dans votre propos la capacité ou l'envie d'opérer la ligne Quimper-Paris qui réalisait en 2013 105 000 passagers, et 78 000 passagers. HOP a annulé 150 vols l'année dernière. Cela explique la chute de la fréquentation. Il est nécessaire que d'autres prestataires se fassent connaître face à HOP qui a annoncé être à nouveau candidat.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Je souhaite revenir sur la performance globale de la chaîne logistique : on attend beaucoup dans les aéroports.
Estimez-vous qu'il existe, au niveau local, une instance de dialogue, permettant de réunir tous les acteurs, qu'ils soient partenaires ou prestataires ? Nous avons souvent tendance à vous considérer comme des prestataires, et ainsi à ne pas assez partager les stratégies.
Que pensez-vous du contrôle aérien ? Nous avons en France un problème avec le logiciel Foreflight. L'État s'est désengagé du contrôle aérien, en laissant aux plateformes aéroportuaires le soin de gérer elles-mêmes ce service.
Enfin, je souhaite évoquer Cherbourg. Cette ville a perdu une OSP sous prétexte qu'il y a une liaison ferroviaire permettant de rejoindre Paris en 3 heures. Or, cela n'est pas vrai. La liaison ferroviaire est catastrophique. Comment faire pour ces territoires qui sont à la limite d'un temps de desserte ferroviaire raisonnable ? Pourrait-on imaginer des « sauts de puce » pour venir chercher une clientèle ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Notre rapporteure a auditionné ce matin les syndicats des contrôleurs aériens. La notion de désengagement de l'État est à pondérer. Elle ne s'applique qu'aux petites plateformes.
Mme Sonia de la Provôté . - Vous avez une connaissance du territoire et des besoins. L'offre crée également la demande. La création d'une ligne peut entraîner une demande pas forcément décelable aux premiers abords. Travaillez-vous avec la SNCF, pour que l'intermodalité soit la plus efficiente possible ? Avez-vous une carte idéale des dessertes aériennes des territoires, indiquant où il serait nécessaire de mettre en place vos services, car la desserte ferroviaire n'est pas une solution acceptable ou possible ? Ces informations nous seraient utiles dans le cadre du débat remettant en cause l'intérêt de l'avion et insistant sur son aspect polluant.
Ma deuxième question porte sur la saturation de l'espace aérien. Beaucoup d'avions sont retardés ou annulés pour cette raison. L'augmentation du trafic de 2 % par an n'est pas prise en compte par le système français, et il semblerait que dans les arbitrages qui sont faits, vous ne faisiez pas partie des priorités. Avez-vous le sentiment que la situation s'aggrave ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Pour le trafic, les chiffres sont mêmes plus élevés. Nous étions, de mémoire, à une croissance de 7 % l'année dernière.
M. Sébastien Meurant . - Vous semblez, pour certains d'entre vous, être prisonniers d'ADP. Les coûts augmentent pour représenter désormais la moitié du billet. Avez-vous étudié la possibilité d'utiliser d'autres aéroports et aérodromes en périphérie de Paris, comme celui de Beauvais, Pontoise ou Lognes, afin de payer moins de taxes, et avoir un meilleur service pour les passagers - par exemple en perdant moins de temps lors du contrôle aérien ?
M. Guillaume Collinot. - Pourquoi atterrissons-nous à Orly et pas ailleurs ? Tout d'abord, parce que cet aéroport nous est imposé. Ensuite, les aéroports sont soumis à des contraintes en raison des riverains. Tous ne peuvent pas accueillir nos avions. Enfin, il est nécessaire d'avoir une infrastructure logistique afin de permettre aux passagers de rejoindre leur destination finale.
Pour Cherbourg, un opérateur privé ne va pas y
aller seul. Cette ligne a été financée. En raison de la
baisse de charges d'Areva, il y a eu une diminution du nombre de passagers.
L'équilibre économique de cette ligne
- un double
aller/retour sur Orly - n'est plus au rendez-vous. Je me suis
personnellement rendu à Cherbourg afin de rencontrer le maire et les
entrepreneurs. Il n'y a pas que Paris. On pourrait imaginer une destination en
étoile, avec un jour un aller-retour vers Paris, le lendemain un
aller-retour vers Lyon, le surlendemain vers Limoges...
En tant qu'opérateur, nous savons qu'il y a une évolution réglementaire imposée du contrôle aérien. Celle-ci tend à fluidifier le contrôle aérien par la mise en place d'un système embarqué. Cela permet des échanges plus fluides avec le sol. Chacun a un avis sur les systèmes dont se dote la DGAC pour gérer le ciel français. Vous avez évoqué le désengagement supposé de l'État par rapport aux aéroports régionaux. Je pense que vous faites référence au démantèlement des ILS sur les aéroports régionaux. Ce n'est pas forcément un mal. Une première analyse montre que le maintien en service sur une petite plateforme d'un ILS représente un coût important. Il est remplacé par un système équivalent mais autonome : l'approche GNSS. Nos avions disposent désormais de GPS beaucoup plus performants qu'auparavant. Charge à la région et aux services techniques de la navigation aérienne de mettre en place une procédure GNSS, c'est-à-dire un atterrissage autonome par le guidage. Il n'y a donc plus la fameuse ligne autonome indiquant à l'avion par où il doit passer pour se poser. Cela a coûté cher aux compagnies, car il a fallu investir dans cette nouvelle technologie. Lorsque Orly interdit aux avions non équipés de GNSS de se poser, cela a un coût qui n'a pas forcément été répercuté en temps et en heure dans les OSP.
M. Dominique Dufour. - Nous opérons avec des gros porteurs de 360 à 440 places. Nous ne pouvons pas opérer sur de petites plateformes aéroportuaires. Nous opérons ainsi vers Charles de Gaulle ou Marseille.
Vous avez parlé d'instances de dialogue. Air Austral est une société privée dont le principal actionnaire est une société d'économie mixte (SEM) composée de collectivités locales. Nous avons au sein de cette SEM un comité stratégique regroupant les principaux actionnaires. Il discute avec le management de la compagnie une fois par an des orientations stratégiques. Cela nous permet de nous confronter à la volonté des élus de désenclaver le territoire, et de faire valoir nos propres contraintes et ambitions en tant qu'entreprise privée.
Vous avez évoqué le lien avec le train. Nous travaillons beaucoup avec la SNCF. Nous sommes le premier client de TGV Air. Nous le considérons comme une voie de correspondance comme une autre. Beaucoup de nos clients partent de Mayotte ou de la Réunion vers la métropole. Nous les débarquons à Charles-de-Gaulle où se trouve une gare SNCF. Nous arrivons à nous entendre et faire en sorte qu'une personne arrivant à Charles-de-Gaulle puisse ensuite prendre le train pour se rendre ailleurs.
M. Philippe Dandrieux. - Pour ceux qui veulent développer le tourisme, le transporteur aérien seul, surtout avec des avions de 19 sièges, ne pourra pas développer cette activité, s'il n'est pas accompagné par la région ou le département. Ce n'est pas parce que l'on va faire des vols, même sur Rome, que le remplissage sera immédiat. Il faut du temps, de l'argent et une connaissance de la destination.
M. Alain Battisti. - Nous avons peu de relations avec le train. Je prendrai un seul exemple : nous n'avons pas de statistiques sur le nombre de passagers utilisant le train entre Paris et Lyon, ou Paris et Marseille. Nous sommes incapables de dessiner une carte idéale de la desserte aéronautique. Globalement, il y a une augmentation du trafic, en nombre de passagers transportés. En revanche, le nombre de mouvements d'avions est plutôt en baisse de l'ordre de 2 % chaque année. Les avions sont plus gros et mieux remplis. On assiste déjà à une croissance du transport aérien avec un nombre d'avions et une émission de pollution qui tendent à se réduire. Air France, sur les dix dernières années, a connu une croissance de 40 % de passagers, mais n'a pas émis un gramme de plus de CO 2 . Les marchands d'apocalypse habitant dans le centre de Paris et incapables de distinguer le patou des brebis en Corse sont en train de parler d'une apocalypse qui n'existe pas. Le transport aérien est plutôt vertueux, car le coût du carburant est notre premier poste de dépenses. Cela passe par une réduction de la consommation, et donc par des investissements importants, des progrès techniques et des matériaux certifiés - avec des moteurs plus efficients, des matériaux plus légers.
Nous sommes un mode de transport polluant. Mais tous les autres modes de transport le sont également. Dans le transport ferroviaire, on n'analyse jamais le coût carbone de la construction d'une voie. Par exemple on avait imaginé le bilan carbone de la LGV entre Paris et Bordeaux sur 16 ou 19 sillons. Aujourd'hui entre 12 et 13 sillons sont exploités. Cela augmente l'empreinte de la construction de 50 %. Les coûts d'amortissement en termes de CO 2 pour une ligne de train se calculent sur 20 ans. Il faut également prendre en compte le coût de la rame, de l'entretien. En outre, 50 % de l'énergie est perdu lorsque l'on achemine l'électricité sur une grande distance.
Le contrôle aérien est coûteux mais efficace. On assiste à un retrait des contrôleurs au profit de contrôles AFIS pris en charge par les territoires et les chambres de commerce. La sécurité n'en est pas réduite, mais le coût est transféré.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Êtes-vous optimistes vis-à-vis des biocarburants utilisables en aviation ? Y-a-t-il un travail approfondi sur ce point ?
M. Alain Battisti. - Le biocarburant est au point. Les moteurs sont certifiés. Les essais ont été faits, à la charge des compagnies aériennes. Air France notamment a dépensé plusieurs millions d'euros sur ce sujet. Elle a fait voler des A320 sur la ligne Toulouse-Paris pendant plusieurs années. Elle fait venir le carburant depuis le Brésil par bateau. On peut utiliser le bio-fioul demain matin. Mais il n'existe pas en France de filière de production de bio-carburant. J'avais interpellé il y a 4 ans Manuel Valls et Ségolène Royal à ce sujet au salon du Bourget. Ils m'avaient indiqué la mise en place dans l'année d'une filière. Elle n'existe toujours pas aujourd'hui. Les industriels sont prêts, les compagnies sont prêtes.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Je sais qu'il y a des réflexions en France afin de produire ces biocarburants dans le sud de la France. Je vous remercie pour vos interventions. La mission continuera ses auditions demain.
Table
ronde sur l'économie du transport aérien avec MM. Yves Crozet,
professeur émérite (IEP Lyon) et
Paul Chiambaretto,
professeur à la Montpellier Business
School
et chercheur associé à
Polytechnique,
spécialistes du transport
aérien
(Mercredi 19 juin 2019)
M. Vincent Capo-Canellas, président . - En guise d'introduction, je vous rappelle que cette mission d'information a été constituée à l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Notre collègue Josiane Costes, sénatrice du Cantal, en est la rapporteure depuis le 14 mai dernier. En termes de calendrier, nos travaux se dérouleront jusqu'à la fin de la session extraordinaire de juillet et nous aurons à restituer nos conclusions en septembre prochain.
Cette réunion constitue la troisième réunion plénière de la mission d'information. Nous avons eu l'occasion de voler avec les compagnies aériennes régionales hier, et d'atterrir avec l'audition du Président d'Aéroport de Paris il y a deux semaines. Aujourd'hui, nous consacrons notre séance à l'économie du transport aérien en invitant deux professeurs d'économie, spécialistes des sujets de mobilité, de territoires et de politiques publiques. Cela nous donnera l'occasion d'aborder les questions plus spécifiques des modèles de politiques publiques et de desserte des territoires.
Je remercie donc de leur présence M. Yves Crozet, professeur émérite à Sciences Po Lyon et à l'Université de Lyon II. Vous êtes également maire de la commune de Saint-Germain-La-Montagne dans la Loire, ce qui vous rend éminemment sympathique aux élus locaux que nous sommes.
M. Yves Crozet, professeur émérite . - 250 habitants, c'est vous dire !
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous avez notamment publié des ouvrages sur la mobilité et les politiques publiques, notamment en 2003 un livre intitulé Réseaux, services et territoires - horizon 2020 , nous y sommes, aux éditions de l'Aube.
Nous accueillons également M. Paul Chiambaretto, professeur de marketing et stratégie à la Montpellier Business School, et professeur associé à Polytechnique. Nous avons eu l'occasion de nous rencontrer au cours des Assises de l'aérien de l'année dernière. Vous publiez régulièrement dans la presse des articles spécialisés sur l'économie du transport aérien et tout récemment, le 16 juin dernier dans le journal Le Monde, une tribune intitulée Voyager en avion, c'est aujourd'hui prendre le risque d'être labellisé comme « pollueur » . Le transport aérien ne peut toutefois, nous en conviendrons tous, se limiter à ce risque : il s'agit également de découvrir le monde et de faire usage de notre liberté.
Le sujet environnemental est toutefois au coeur de nos préoccupations. Avec Mme Costes, nous attachons beaucoup d'importance à la portée environnementale du sujet sur lequel nous travaillons et qui porte plus précisément sur des territoires par ailleurs mal desservis par d'autres moyens que l'aérien. Certains territoires n'ont en effet pas d'autres solutions, puisque la route et le rail n'arrivent pas jusqu'à eux.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise sur le site internet du Sénat et consultable en vidéo à la demande.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Messieurs les professeurs, je vous remercie également de votre présence pour nous apporter un éclairage plus particulier sur le modèle économique des lignes d'aménagement du territoire, la détermination du coût que représente ces liaisons aériennes que je juge indispensables au tissu économique et social de certains territoires très enclavés.
Le programme de travail que j'ai lancé nous permet d'entendre l'administration de l'aviation civile, des transporteurs aériens, des exploitants d'aéroports et, lors de nos prochains déplacements à Quimper, Aurillac et Rodez, les collectivités locales et les entrepreneurs de ces territoires.
Toute cette chaîne du transport aérien régional a un impact économique très fort sur la vitalité des régions qui restent à l'écart du train à grande vitesse (TGV) et des autoroutes.
Je n'oublie pas l'impact sur le climat de l'ensemble des activités de transports qu'il s'agisse de l'avion, mais aussi et surtout de la voiture, du camion et du train. La question du transport aérien régional doit être remise dans son contexte global, comme un outil de désenclavement des habitants de développement économique, pas comme un chiffon rouge coupable de tous les maux écologiques.
Nous voyons fleurir toutes sortes d'initiatives qui au final conduiraient une partie non négligeable de nos territoires et de la population à vivre à l'écart de la capitale et des métropoles. Pour citer la ville que je connais bien, Aurillac, il faut plus de 7 heures de train avec 2 changements pour rejoindre Paris. Il faut dans tous les cas plus de 5 heures pour relier en TGV Bordeaux à Lyon en passant par Paris ! Dans nos travaux, il nous faut tenir compte des caractéristiques géographiques propres à notre pays pour soutenir les transports aériens lorsqu'ils sont utiles, voire indispensables, pour l'aménagement des territoires, y compris ultramarins, et compatibles avec le développement durable.
Votre expertise, avec le recul dont vous disposez sur ces questions, nous sera très utile dans la poursuite de nos travaux.
Vous avez reçu préalablement à cette audition un questionnaire portant sur les sujets que j'ai évoqués. Vous pourrez ainsi nous apporter vos premières réponses dans vos interventions, avant de répondre à des questions plus précises.
M. Yves Crozet . - Cette thématique s'inscrit dans des débats actuels, visant à interdire le transport aérien en direction des territoires accessibles en moins de 2 heures 30 par un autre mode de transport. Il s'agit pour moi de gesticulations politiciennes. Le choix de ce seuil interroge. Cette agitation n'a pas vraiment de sens.
Globalement, le trafic aérien domestique en France diminue. Il diminue en termes, d'abord, de nombre de passagers relatifs : il y avait, en 2017, 15 milliards de passagers par kilomètre, soit 1,5 % des passagers motorisés par kilomètre en France. En termes de mouvements d'avions, ensuite. Selon les chiffres de la commission nationale des transports, nous étions à 12 080 mouvements d'avions par jour, et nous en sommes désormais à 850. Le transport aérien domestique se contracte donc. Prenons l'exemple de l'aéroport de Lyon : entre 2007 et 2017, le nombre de passagers a augmenté de 30 %, tandis que le nombre de vols diminuait de 12 %. Cela s'explique par un meilleur remplissage des avions.
La consommation de kérosène des avions en France est relativement stable depuis 2000, alors que le trafic a augmenté de 60 %. Les moteurs des avions consomment beaucoup moins, et les avions sont beaucoup mieux remplis. Le transport aérien est un système qui est aujourd'hui extraordinairement performant : il permet de voyager pour environ 5 centimes par voyageur par kilomètre lorsque nous sommes sur des axes lourds. C'est deux fois moins que ce que l'on paye habituellement pour un TGV et pratiquement cinq fois moins que ce que coûte un déplacement en voiture.
C'est ce succès même du transport aérien qui pose problème. La baisse des coûts est tellement importante que le transport aérien vient se substituer à d'autres modes de transports. Au départ de Lyon, il est par exemple beaucoup moins cher aujourd'hui de faire un week-end à Rome qu'un week-end à Paris. Le succès du transport aérien est essentiellement dû aux compagnies low cost, qui se concentrent sur les grandes plateformes. Nous assistons donc à un phénomène de polarisation, de massification du trafic aérien.
Il existe un éclatement du monde du transport aérien en plusieurs catégories. Celle des compagnies historiques, d'abord, celle du low cost, ensuite, et celle de tous les vols qui ne peuvent pas être rentables, enfin. Dans cette dernière catégorie, l'absence de rentabilité s'explique par le fait que ces lignes opèrent sur des zones de faible densité, à faible potentiel d'utilisateurs du transport aérien, car il y a peu d'entreprises. Ces lignes ne peuvent donc exister que par le subventionnement public.
Cela pose question : il faut certes maintenir un certain nombre de lignes qui sont indispensables, mais faut-il multiplier les aéroports ? La grosse difficulté dans ce domaine est celle des petits aéroports de province. En France, environ 45 aéroports représentent seulement 0,5 % du trafic du transport aérien. Personne n'ose faire de ménage dans ces plateformes aéroportuaires locales car cela pose des problèmes dans l'équilibre politique local. C'est sans doute ce qui a conduit la Ministre Élisabeth Borne lors des Assises du transport aérien à multiplier par quatre les dotations pour le transport aérien local.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Merci pour ce propos vigoureux. Il existe certes la question du nombre d'aéroports, mais également celle du maintien d'une desserte là où, faute de transport aérien, les territoires seraient enclavés, ce qui peut avoir des conséquences importantes sur l'économie de ces territoires.
M. Paul Chiambaretto, professeur . - Le point qui me semble important est la relation de corrélation - peut-être peut-on même parler de causalité - entre le transport aérien et le développement économique des territoires. La corrélation entre le développement économique d'une région et le développement du transport aérien sur cette même région est avérée. La question aujourd'hui est celle de l'existence d'une causalité et de son sens. Le transport aérien génère-t-il la croissance économique dans cette région ou la croissance économique va-t-elle attirer le transport aérien ? De nombreux travaux se sont posé la question et il apparaît que dans la grande majorité des cas, le transport aérien génère de la croissance économique par l'installation de nouvelles entreprises et le développement démographique de la région. Tout dépend cependant des villes. Dans les villes centrales, c'est plutôt la croissance économique qui attire le transport aérien. En revanche, dans les villes plus petites, le transport aérien génère de l'activité économique. C'est dans ce contexte là que se pose la question de l'aménagement du territoire par le transport aérien.
Les modalités de ce transport aérien et d'aménagement du territoire sont nombreuses et diffèrent d'un pays à l'autre. Nous y reviendrons sans doute. La question de la substituabilité modale est tout aussi importante.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Comment envisageriez-vous le soutien aux lignes d'aménagement du territoire ? Un soutien aux passagers, comme en Espagne, ou un soutien direct aux aéroports pour les rendre plus compétitifs, comme au Canada, vous semblerait-il pertinent ? Que peut-on faire pour faire évoluer le modèle français ? À Aurillac, les collectivités sont pauvres et mettent beaucoup d'argent dans le soutien à cette ligne aérienne. Il n'est pas possible de faire plus ! Comment pourrait-on soutenir les lignes d'aménagement du territoire de façon plus efficace ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous évoquiez le mouvement de massification vers les grands aéroports et le fait qu'il n'y a pas de demande suffisante dans les zones de plus faible densité. Vous nous disiez également que la question du nombre d'aéroports pouvait se poser. C'est un raisonnement économique qui est robuste. Toutefois, comment faire exister un marché qui sera, par définition, très régulé, et permettra à terme de créer la demande ? Prenons un exemple qui a été évoqué à l'occasion d'une autre réunion plénière de notre mission d'information : un avion de 19 places a été remplacé par un avion d'environ 50 places, qui a finalement été rempli. Il s'agit d'un exemple d'une offre qui crée la demande. N'est-ce pas le rôle de la puissance publique d'assurer l'aménagement du territoire ?
D'autre part, sur le nombre d'aéroports : comment pouvons-nous prévoir la demande de demain ? Les drones, ou les taxis volants par exemple, ne permettront-ils pas de redonner une vie à certains aéroports ? Nous avons l'avantage d'avoir des infrastructures qui existent.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Que pensez-vous également de l'association de petits aéroports avec des aéroports plus gros au sein d'une même région ? Une prise en main par la région du maillage aéroportuaire sur son territoire vous paraît-elle être une solution viable ?
M. Paul Chiambaretto . - En ce qui concerne les différentes modalités de gestion des lignes d'aménagement du territoire, des travaux ont été réalisés par une équipe espagnole en 2018. Elle a fait une synthèse de l'ensemble des systèmes de gestion des lignes d'aménagement du territoire à travers le monde. Il existe cinq façons différentes de gérer ces lignes d'aménagement du territoire, qui ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients.
La première méthode est une politique fondée sur les routes. C'est ce que l'on retrouve dans le système des obligations de service public (OSP) de manière assez classique. L'objectif est de desservir des destinations par des lignes qui ne seraient pas forcément rentables. Le critère de non-viabilité est parfois lié à l'appréciation du régulateur et peut être différent d'un pays à l'autre. Les avantages de ce système sont, d'une part, son périmètre d'action, qui recouvre un périmètre géographique relativement clair, et, d'autre part, le fait de fixer de manière contractuelle la qualité, le prix, ou les fréquences. L'inconvénient de ce système est que l'on observe, du fait de l'absence de concurrence, une dégradation de la qualité de service tout au long du contrat, avec un pic d'amélioration sur les derniers mois, juste avant le renouvellement du contrat. Se pose également la question de la légitimité du maintien de ces OSP en cas d'alternative modale.
La deuxième approche, que l'on retrouve en Inde, est une politique fondée sur le réseau. C'est une approche très dirigiste, qui n'est donc pas forcément pertinente en Europe ou en France. Le concept consiste à catégoriser les aéroports du pays entre les aéroports de premier, deuxième et troisième rang. À chaque fois que les compagnies aériennes dans le pays décident d'accroître leur trafic dans des aéroports de premier rang, elles doivent s'engager à générer un pourcentage de capacité supplémentaire dans les aéroports de deuxième et de troisième rang. C'est un choix qui a pour avantage de ne rien coûter à la puissance publique. Toutefois, il est très dirigiste et il n'est pas certain que les compagnies aériennes françaises seraient ravies de ce type d'initiative.
La troisième option possible concerne les politiques fondées sur le soutien aux passagers. On la retrouve en Espagne, au Portugal, en Écosse, mais aussi en France sur certains territoires d'outre-mer. L'objectif ici n'est pas de jouer sur l'offre, mais de jouer sur la demande. Pour cela, on peut proposer des vols à tarifs réduits avec un système de pourcentage de réduction sur les billets d'avion, ou des vols à tarif constant, indépendamment des variations tarifaires qui sont proposées par les compagnies aériennes. L'avantage est que ce système laisse de la place à la concurrence. L'inconvénient est que ce mécanisme est très coûteux pour l'État. Le budget espagnol de subvention pour les passagers est supérieur à l'ensemble du budget des OSP pour l'Europe entière. La question de la faisabilité d'un point de vue budgétaire de ce type de système se pose. Ce mécanisme est également fortement désincitatif pour les passagers qui ne sont pas locaux. Les touristes, notamment, vont devoir payer plus cher pour compenser le manque à gagner pour la compagnie aérienne des billets à tarif réduit. Ce système diminue donc l'attractivité touristique et les investissements étrangers dans ces régions.
La quatrième approche est une politique fondée sur les compagnies aériennes, que l'on retrouve essentiellement en Amérique latine. Dans ce système, l'État décide de créer une compagnie aérienne qui ne fera que de l'aménagement du territoire. C'est le cas de BoA Regional en Bolivie ou de Satena en Colombie. La question qui se pose est celle de la faisabilité dans le cadre européen, qui semble peu probable.
La dernière option est celle d'une politique fondée sur les aéroports : l'État ou les régions vont aider les aéroports par des subventions ou en prenant des parts importantes, de façon à proposer des charges aéroportuaires plus faibles. Cela permet d'améliorer l'attractivité de ces aéroports pour les compagnies aériennes. Ce système n'est pas sans inconvénient. Les risques principaux sont le risque de surenchère entre aéroports dont les zones de chalandise peuvent se recouper, et le risque de chantage de la part des compagnies aériennes.
Il existe différents critères pour apprécier le système le plus pertinent. Selon le critère que l'on fixe, certaines solutions seront plus appréciables que d'autres. Quatre critères me paraissent intéressants. Le premier est celui de la transparence : le système le plus simple est alors celui des OSP. Le deuxième critère est celui du montant des ressources publiques investies : la solution indienne, avec des réseaux qui coévoluent, est la moins coûteuse. Pour autant, ce n'est pas forcément la solution la plus rentable. À l'inverse, la situation la plus coûteuse est celle des subventions pour les passagers. Se pose ensuite la question des distorsions du marché. D'un point de vue géographique, le système des OSP permet de ne créer une distorsion que sur une zone précise. Du point de vue du consommateur, les aides aux aéroports permettent d'éviter des distorsions entre les statuts de consommateurs. Les aides aux passagers sont la pire solution, car elles créent différentes catégories de passagers. Enfin, si l'on s'intéresse aux critères de qualité, de prix et de fréquence, le système des OSP semble aussi être le plus satisfaisant.
Ce que précisent les auteurs de l'étude que je viens de vous décrire est que les OSP peuvent être une solution intéressante, à partir du moment où la révision des contrats est suffisamment fréquente pour maintenir un bon degré de qualité grâce à des points d'étape intermédiaires.
M. Yves Crozet . - Concernant la dégradation de la qualité de ces services de transport, le principal critère est celui de l'incitation donnée aux compagnies. Je rejoins mon collègue sur l'idée que le système OSP reste sans doute le moins mauvais des systèmes. Il est toutefois tout à fait possible de combiner une logique d'OSP sur les routes avec un soutien aux aéroports. C'est d'ailleurs ce qui existe. La possibilité de coupler des aéroports au niveau régional demanderait de faire un tri à l'échelon régional dans les aéroports. Le risque est de rentrer dans la logique indienne, où l'on demanderait à Air France d'augmenter son trafic sur les petits aéroports dans le même temps que sur les plus gros : les compagnies low cost, elles, continueraient d'opérer uniquement sur les marchés où il y a du business. La logique de réseau ne peut donc pas fonctionner. Dans le cas d'une péréquation entre les différents aéroports régionaux, si aucun tri n'a été fait, l'on risque d'aboutir à une logique de saupoudrage. Or, le travail de tri est extrêmement difficile à faire, surtout dans les grandes régions où ceux qui ont été rattachés à une grande région sont toujours en train de craindre de disparaître face à la ville principale.
Du fait de cette difficulté, je reste persuadé que la logique d'OSP est sans doute la moins mauvaise.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Je passe la parole à M. Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Merci. Une petite remarque concernant l'approche par les compagnies aériennes : le Finistère est l'exemple français d'une ligne voulue par les collectivités et gérée par une société d'économie mixte.
Au regard de la problématique des zones de chalandise de nos petits aéroports, j'ai une question : pour bonifier le système, les nouvelles technologies de l'information et de la communication ne peuvent-elles pas mieux appréhender les plans de déplacement des clientèles d'affaire, de mesurer leur appétence, de voir quels pourraient être les seuils de déclenchement ? Y'a-t-il à cet égard une réflexion à l'heure actuelle sur les modèles et les matrices de déplacement et de comparaison de trafic pour faire en sorte que cette clientèle, qui est non formalisée et latente, puisse s'exprimer ?
M. Jean-Luc Fichet . - J'aimerais avoir une petite précision sur la manière par laquelle on arrive à un coût de 5 centimes par passager, alors que mon sentiment est que l'avion est très cher pour le passager. 80 % des gens qui prennent l'avion aujourd'hui le font à titre professionnel ou à titre touristique s'ils bénéficient de tarifs favorables.
Deuxièmement, si on approche la question de l'avion en termes de coûts, il va être difficile de s'en sortir. On prend l'avion pour aller d'un point à un autre, pour se déplacer le plus efficacement possible et donc de la manière la moins coûteuse possible. Les territoires sont donc suspendus à la décision de savoir si on maintient certains aéroports. Leur développement en dépend complétement. Prenez le cas du Finistère : nous avons l'expérience du Centre national d'études des télécommunications (CNET) à Lannion, qui a connu un développement extrêmement important, qui a eu un aéroport et qui est aujourd'hui en perte de vitesse car l'aéroport est fermé. Je pense en réalité que le coût pour l'État et les collectivités est bien supérieur quand plus rien ne se passe dans ces territoires !
Il y a le même problème avec la question de la fibre optique. Soit on fait l'investissement et on peut développer le télétravail, soit on ne fait pas d'investissement et on renforce encore plus les zones désertifiées. J'aimerais donc avoir votre avis sur cette question. Comment peut-on réfléchir plus globalement en termes de solidarité entre les territoires et d'aménagement du territoire, mais aussi en termes de solidarité entre compagnies, car on sait que certaines d'entre elles sont très prospères ?
M. Rachid Temal . - Nous discutons dans un double contexte. D'une part, il y a un sentiment d'abandon d'un certain nombre de territoires, avec un recul des services publics. D'autre part, il y a une forme de « haine de l'aérien », comme vous le disiez dans une récente tribune, que je salue. Notre discussion est cadrée par ces deux bornes. Pour rebondir sur les propos de votre tribune, pour arrêter de prendre l'avion, encore faut-il que les gens disposent d'autres moyens. On peut dire aux gens d'arrêter de prendre la voiture ou de prendre l'avion, mais au final, il y a une réalité qui s'impose aux habitants. Il y a donc trois éléments. Le premier est que l'aérien participe à la vie économique, avec les implications de ce constat en termes de soutien public. Il faut savoir comment un pays comme le nôtre assume cela ou pas. Le deuxième est que les obligations de service public seraient le moins pire des systèmes, comme vous l'évoquiez. Pour autant, vous dites vous-même que le système actuel ne convient pas. Comment peut-on donc améliorer ce système ? Enfin, en matière de tourisme, pour certains aéroports en métropole et en outre-mer, comment la question touristique peut-elle être un élément de maintien ou de développement ?
M. Yves Crozet . - Concernant la question sur les 5 centimes, c'est assez simple. Si vous prenez un billet ce soir pour aller à New-York, vous allez payer environ 600 euros. Avec 12 000 kms parcourus, cela correspond à peu près à 5 centimes du kilomètre. Certes, si vous prenez un Lyon-La Rochelle, vous allez payer beaucoup plus cher. Cependant, si aujourd'hui je vous parle de massification et de polarisation, c'est qu'il y a du transport aérien qui est aujourd'hui très peu coûteux. La démocratisation du transport aérien est massive. C'est un mode de vie, non pas des personnes aisées, mais d'une grande partie de la population. Dans ma commune de 250 habitants, un grand nombre d'entre eux prennent l'avion dans l'année ! L'avion fonctionne donc et est autoporteur. Sur des systèmes qui ne sont pas autoporteurs, qui ne peuvent pas fonctionner sans subvention, le discours prônant leur soutien est légitime. Mais il n'est pas légitime sur l'ensemble des plateformes aéroportuaires françaises. Il y a 10 ans déjà, la DGAC m'avait dit en off que certains aéroports - Grenoble, Chambéry, Annecy par exemple - n'étaient pas nécessaires. N'oublions pas la question environnementale ! Le bilan carbone du tourisme dans les Alpes l'atteste. Pour prendre un autre exemple, la région Bretagne s'engage sur la réduction des émissions de CO 2 . Cependant, rien n'est fait sur le transport routier, alors que la région est suréquipée, ce qui est d'ailleurs normal par rapport à d'autres régions. Rien n'est fait non plus sur les aéroports. La question du transport aérien va devenir clé. On n'échappera pas à la taxe carbone. On ne peut pas dire qu'on va taxer les voitures, sans taxer les avions. On n'est pas obligé de le faire brutalement, mais la question va se poser. La question du tourisme va aussi se poser. Il va falloir que les régions rationnalisent les choix entre des aéroports de niveau 1, 2 et 3. On va peut-être alors un peu ménager les subventions publiques. Jusqu'ici, le transport aérien a été un monde d'argent public abondant. La ministre en a même ajouté. Pour des raisons financières et environnementales, les contraintes sur l'aérien vont sans doute augmenter.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Je vous fais part de mon étonnement. Quand vous parlez d'argent public abondant, si on compare au fer, l'aérien finance son propre service. Il y a un écosystème avec un budget annexe. Les passagers et les compagnies payent des redevances et des taxes, qui financent le système. Il y a certes les lignes d'aménagement du territoire, mais elles ne représentent que quelques millions d'euros, ce qui n'est rien par rapport à d'autres transports.
M. Yves Crozet . - Je suis d'accord. Je dis simplement que le secteur aérien est autoporteur et qu'il paye de plus en plus de taxes, qui ont été multipliées par trois en dix ans. Cependant, sur les lignes dont on parle aujourd'hui, elles sont subventionnées. Jusqu'à aujourd'hui, beaucoup d'élus ont eu des yeux de Chimène pour le transport aérien. Est-ce le travail des politiques publiques que de financer des lignes aériennes ? Il y a sans doute de la rationalisation à faire en la matière. Puisque vous parlez d'obligations de service public, pour le ferroviaire, je tiens aussi à noter que beaucoup de présidents de région ne sont pas satisfaits du service, du fait du manque de concurrence. C'est aussi le problème de concurrence qu'on observe sur les obligations de service public pour l'aérien.
M. Paul Chiambaretto . - Je vais tenter de répondre à différentes questions qui n'ont pas été traitées par le professeur Crozet. Concernant la capacité à déterminer des flux futurs lorsqu'ils n'existent pas, il existe différentes techniques. En économie des transports, il existe un modèle gravitaire, qui permet de prévoir des flux de passagers entre deux villes, alors même qu'il n'y pas d'infrastructures existantes. On considère tout simplement que les flux seront d'autant plus élevés que les deux villes seront grandes, et ils seront d'autant plus faibles que ces deux villes seront éloignées. Ce modèle donne donc une petite idée des flux futurs. Nous avons la chance d'être dans une société qui dispose de beaucoup de données. On peut ainsi utiliser de manière très pointue les données téléphoniques pour prédire les flux de transport entre deux villes. S'il y a des appels entre deux villes, c'est qu'il y a du lien entre ces deux villes, soit que vous ayez dans l'autre ville de la famille, un contact avec un fournisseur, que vous vouliez y aller en vacances... Il y a de belles corrélations entre les données téléphoniques et les données de trafic futur. Enfin, depuis 4 ou 5 ans, des travaux utilisent les données de Google pour prédire les flux de touristes. À chaque fois que vous faites une requête pour partir en vacances en Italie, en Espagne, aux Maldives, la proportion de ces requêtes se retrouve dans la proportion de touristes. À partir de ces requêtes, on peut avoir une bonne idée du pourcentage de touristes par nationalité. Il y a encore bien d'autres techniques, mais ces approches permettent déjà d'estimer les flux futurs de passagers.
Concernant le tourisme, il s'agit d'un point crucial du développement du transport aérien. La France a l'ambition d'être le pays qui accueille le plus de touristes. De mémoire, 40 % des touristes internationaux arrivent en France par l'avion et par Roissy, essentiellement. Il s'agit d'un acteur de développement, non seulement touristique, mais aussi économique, immobilier... De nombreux travaux ont souligné l'impact de l'amélioration de la connectivité des aéroports sur le flux de touristes, le flux de PIB local, d'investissements, d'emploi, le niveau des salaires... Le tourisme est donc un facteur important. Nous avons la chance d'avoir un pays bien connecté sur le plan routier, si bien que l'influence du transport aérien est sans doute moindre par rapport à un pays insulaire par exemple. Ce qui compte en la matière, ce sont les liaisons internationales. On a toujours cette vision de relier les villes secondaires à la capitale. C'est louable, dès lors que la vie économique est centrée à Paris. Mais ce qui va impacter le plus la croissance économique d'une région, c'est le lien vers les autres villes secondaires. Il y a une légère baisse du trafic entre Paris et les villes secondaires (- 1 % en 2018), mais le trafic entre villes secondaires a dans le même temps augmenté de 10 %. Il y a donc là une véritable marge de progression.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Merci pour cette remarque sur les lignes transversales. On voit que le fer ne peut pas assumer le transport entre ces territoires. Certains aéroports régionaux exploitent très utilement ce créneau.
M. Paul Chiambaretto . - Tout comme certaines compagnies étrangères.
M. Henri Leroy . - Vous avez dit que 40 à 45 plateformes aéroportuaires représentent 0,5 % du trafic, avec une faible rentabilité économique, ce qu'on peut comprendre. Vous avez aussi affirmé que personne n'osait faire le ménage pour des raisons de contraintes de politique locale. Ce ménage est ou deviendra-t-il indispensable à faire ? Si oui, à quelle échéance et comment l'éviter ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Lors du débat au niveau européen sur l'ouverture à la concurrence sur les lignes aériennes, une hypothèse a été celle de la concurrence par paquet, proche de la solution indienne que vous évoquiez. Par exemple, une compagnie ne pourrait exploiter un Paris-Toulouse que si elle exploite une ligne secondaire. Cette option a été refusée par l'Union Européenne. On a eu le même genre de débat sur le paquet ferroviaire. Il semble assez sain que la puissance publique puisse, par ce type de mécanisme, aboutir à une certaine péréquation entre la partie la plus rentable et les autres. Si on ne peut pas aboutir à une péréquation sur les lignes, peut-être peut-on le faire par les taxes aéroportuaires. Peut-on imaginer que les taxes aéroportuaires permettent une péréquation entre des aéroports de niveaux différents, tel que vous l'évoquiez ? On pourrait alléger les taxes sur les aéroports qui ont besoin d'être soutenus. On a vu que les taxes sont calculées de telles manières qu'elles pèsent très lourd pour les petites lignes comme Paris-Aurillac. On devrait au contraire trouver les moyens d'alléger leurs taxes. Cette péréquation par les taxes pourrait compléter le système des obligations de service public, qui semble, tel que vous le décrivez, performant.
Par ailleurs, on explique souvent en France que la rationalité économique échappe aux élus. On découvre finalement qu'il y a une démocratie et que le peuple a son avis à donner. Le peuple considère inacceptable de ne pas avoir autour de chez lui certains services. Néanmoins, n'y a-t-il pas des critères objectifs qui permettraient de savoir si un aéroport est de niveau 1, 2 ou 3 ? Aussi, n'y a-t-il pas des capacités d'innover pour orienter certains aéroports vers des activités annexes par exemple ? Il peut y avoir un peu de volontarisme. Un aéroport peut être désigné de troisième catégorie, mais en développant tel ou tel système, il pourrait changer de nature. C'est une piste sur laquelle on peut travailler. Il ne faut pas attendre le dernier moment pour fermer des aéroports. En même temps, il faut avoir un débat démocratique assez lucide sur le développement de certaines plateformes. Enfin, peut-on ouvrir le débat européen sur la concurrence à travers des paquets et non des lignes ?
Je termine par une petite remarque : l'État n'a peut-être pas à gérer des entreprises aériennes, mais les trois quarts des compagnies du Golfe appartiennent, si ce n'est à l'État, en tout cas à la famille royale. Il ne faudrait pas que l'État soit négatif quand il est public et républicain, et positif quand il appartient à une famille royale.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Quelles seraient les évolutions souhaitables du régime des obligations de service public ? Un intéressement est-il envisageable ? Faut-il accentuer les pénalités en cas de service non rendu, ou laisser une plus grande marge de manoeuvre aux compagnies pour réaliser des objectifs globaux ? Enfin, j'aimerais savoir comment sont déterminés les prix d'avion sur les lignes intérieures. Nous avons en effet du mal à comprendre les mécanismes de construction de prix, qui sont assez nébuleux.
M. Yves Crozet . - Pour répondre à la question de M. Leroy, je pense que le ménage ne se fera pas. On a même remis plus d'argent dans le système. Les coûts politiques locaux sont très compliqués. Je vais le dire méchamment : les aéroports sont, pour certains élus locaux ou chambres de commerce, des danseuses. On ne touchera pas à ces danseuses, ou très rarement s'il y avait des contraintes financières très fortes. Je m'excuse d'être un peu brutal mais je pense que cela ne changera pas. Il y a cependant des lignes d'aménagement du territoire indispensables : il faut les maintenir, il faut les subventionner. Mais vous voyez que la question de la péréquation, que vous soulevez Madame Lienemann, est compliquée. Ce système existe aujourd'hui pour le chemin de fer. Or, on ouvre actuellement à la concurrence les TGV. La question de la péréquation se pose donc. En effet, toutes les lignes TGV qui n'ont pas d'arrivée à Paris sont déficitaires. Elles sont subventionnées car la SNCF gagne de l'argent sur Lyon-Paris, Lille-Paris et Le Mans-Paris. Il faut donc subventionner l'ensemble avec trois branches du réseau. Soit on a une compagnie aérienne qui s'occupe de tout en France et la compagnie fait de la péréquation, comme la SNCF. Le risque de l'ouverture à la concurrence est que les compagnies se focalisent sur les lignes rentables, ce que font les compagnies low cost. Soit on fait des paquets : par exemple le Paris-Toulouse cumulé avec un Paris-Auch. Mais cela implique d'avoir un État omniscient, qui sait qu'en couplant telle ligne ou telle ligne, on réussirait à avoir une péréquation. Je suis donc relativement prudent sur ces modèles. En tant qu'économistes, nous avons des problèmes d'affectation et de redistribution. Concernant l'affectation, nous estimons qu'il faut laisser les entreprises faire pour être productifs, en l'espèce, en les laissant fixer les tarifs pour attirer les passagers. Cependant, cette affectation optimale laisse de côté un certain nombre de liaisons : il faut donc de la redistribution et des obligations de service public. Si l'Union Européenne s'est opposée au système des paquets, c'est qu'il produit des phénomènes de distorsions. De mon point de vue, on va donc garder les obligations de service public.
Madame la rapporteure, vous demandiez si on devait faire de l'intéressement et des pénalités : ceci devrait exister depuis longtemps ! Si vous mettez en place un système d'obligations de service public, vous devez mettre, symétriquement, des intéressements et des pénalités.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Le problème des pénalités, c'est qu'elles ne sont pas suffisantes et elles n'ont aucun effet ! Sur le Paris-Aurillac, nous avons eu des annulations en masse, nous avons été redirigés vers d'autres aéroports, par exemple vers Toulouse ou Montpellier. Quand vous atterrissez à Toulouse ou Montpellier, vous n'êtes pas arrivés à Aurillac ! Les pénalités sont donc inopérantes.
M. Yves Crozet . - Il faut donc trouver un meilleur système d'incitation.
M. Vincent Capo-Canellas , président . - En abordant la question du régulateur, vous venez de nous livrer une piste de réflexion intéressante. Dans le cadre de la loi « PACTE », le Sénat a obtenu que le statut d'autorité administrative indépendante soit conféré au régulateur. Une ordonnance doit être examinée avant la fin juillet. Nous pourrions inscrire dans les critères de régulation une pondération tarifaire tenant compte d'une modulation pour les lignes d'aménagement des territoires.
M. Yves Crozet . - Sur la question de savoir si les drones, les taxis volants ou l'hyperloop vont s'intégrer dans les aéroports, soyons clair, il s'agit de joujoux de milliardaires. On ne pourra pas justifier auprès de la population de mettre en place une taxe sur les carburants et, en même temps, permettre à quelques-uns seulement de se poser en taxi volant cela va poser problème.
Encore une fois il faut repenser le développement de certaines plateformes aéroportuaires en faisant attention au fait que le transport aérien est un monde de chimère. Je prends pour exemple le Concorde ou l'échec de l'A380 qui était annoncé comme la solution au développement du trafic aérien alors que l'A350 était lancé et allait devenir son concurrent direct. On nous fait rêver avec des taxis volants et des trottinettes !
M. Vincent Capo-Canellas , président . - Je suis moins pessimiste concernant les stratégies développées par les régions, car leurs compétences sont réaffirmées et récentes. Comment voyez-vous la maturation du secteur ?
M. Paul Chiambaretto . - Concernant la concurrence par paquet, je partage l'analyse du professeur Crozet. Même si je partage l'idée du régulateur omniscient. Une grande partie des vols Paris-Province, plus de 50 % des passagers, concernent la liaison vers les hubs et les vols internationaux. Quelle est la bonne péréquation ? C'est compliqué de le savoir.
Sur la question de la rationalisation pour éviter la fermeture des aéroports, les aéroports ont des capacités en termes de pistes, de technologies et de savoir-faire qui permettraient de spécialiser les plateformes par type d'activité, maintenance à Perpignan, logistique ou passagers, permet de conserver des aéroports en activités. Quand, dans un rayon de 100 kilomètres, 3 aéroports font de la maintenance, n'aurions-nous pas intérêt à regrouper cette activité ? Cela permettrait de faire des économies d'échelle et de développer l'attractivité. Par exemple, l'aéroport de Nîmes est maintenu grâce à l'activité des Canadair de la sécurité civile, et non par l'activité commerciale de transport de passagers.
Comment innover dans un aéroport avec des recettes non aéronautiques afin de générer des recettes ? J'ai une vision plus optimiste sur les taxis volants, mais ils existeront d'abord à Paris ou la Côte d'Azur mais pas à Aurillac. Plus l'aéroport est grand, plus la part des recettes non aéronautiques, parkings, duty free , est élevée. C'est logique puisque c'est corrélé avec le trafic. Mais rien n'empêche un petit aéroport de repenser ses services ou de créer un parc d'activités économiques pour dégager de nouvelles recettes et diviser les risques. Il y a bien une question d'aménagement des territoires autour des aéroports.
Concernant la politique volontariste sur l'aérien, je partage l'analyse pour la France d'investir davantage dans l'aérien qui est un secteur mal aimé. Ce secteur s'autofinance fortement. Une étude de la commission européenne indique que le secteur s'autofinance à hauteur de 82 % alors que ce taux est de 16 % à 19 % pour le train.
Concernant l'évolution des contrats d'OSP, cette question me rappelle la théorie du modèle « principal-agent ». Vous avez un principal, en l'occurrence l'État qui va déléguer une activité à un agent, une compagnie aérienne. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure les intérêts de la compagnie et de l'État vont s'aligner. Alors quand l'information est partagée, c'est parfait. Le problème c'est l'asymétrie d'information. L'État ne sait pas exactement ce que peut faire la compagnie aérienne et quelles sont ses structures de coûts. Quelques chercheurs ont analysé les systèmes d'OSP à travers le modèle « principal-agent » et leurs conclusions principales sont d'inciter plutôt par les résultats que par les moyens. C'est le meilleur moyen de pousser l'agent, la compagnie aérienne, à faire le plus d'effort de productivité puisqu'on lui laisse le plus de marges de manoeuvre possible. Il faut entre le régulateur, l'État, et l'agent aligner à la hausse la rémunération lorsque les objectifs sont remplis. Il y a des malus à renforcer si les résultats ne sont pas atteints, mais il faut aussi des bonus.
M. Jordi Ginesta . - Vous nous dites que le transport aérien est souvent non rentable et qu'il vit de subventions. Mais s'il n'était question que de rentabilité, il faudrait fermer des aéroports. Par ailleurs, la SNCF a une dette considérable. Les lignes d'autobus ne fonctionneraient pas si elles n'étaient pas subventionnées. Les routes sont gratuites mais leur entretien a un coût. Ma question tient compte de la configuration de nos 36 000 communes, et ne considérez-vous pas que l'on va vers une métropolisation de notre pays et que l'on n'a plus les moyens d'irriguer tous les territoires ?
M. Rachid Temal . - Je souhaite intervenir sur la partie environnementale. Comment voyez-vous la question de l'inter modalité, notamment avec le ferroviaire ? Sur Roissy, la gare TGV ne relie pas suffisamment de gares. Deuxièmement, sur l'écologie, je pense que maintenant aucun opérateur conséquent ne peut expliquer qu'il n'y aura pas de taxe sur le kérosène. Globalement, tout le monde comprend qu'il sera compliqué de rester dans le statu quo actuel. Quelle serait votre vision d'un modèle vertueux ? Ensuite sur la recherche comment voyez-vous l'innovation dans les aéronefs et les carburants ?
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Je me pose des questions sur le lien entre transport aérien et climat. Il a été affirmé par la FNAM que l'aérien ne serait pas plus polluant que le ferroviaire en incluant les coûts environnementaux de construction des voies et des rames. Avez-vous des éléments comparatifs à fournir ?
D'autre part, si une taxe carbone devait être mise en place sur les vols intérieurs, Quelle forme pourrait-elle prendre pour en limiter l'impact en particulier sur les lignes d'aménagement de territoires extrêmement enclavés ? Une exonération totale serait-elle envisageable ou alors un mécanisme de péréquation en fonction du degré de substituabilité par un autre mode de transport ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Sachant qu'il existe déjà un modèle de péréquation pour assurer la sûreté des aéroports.
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Je suis assez dubitative sur la régulation par le coût de l'énergie. Une suppression d'aéroport se traduira par l'obligation de prendre le train ou la voiture, ce qui pose le problème du calcul du bilan carbone généré par chaque individu. C'est un problème complexe. Est-ce que l'on recherche à développer des moyens aériens de transports moins polluants ? Lorsque j'étais députée européenne, j'ai soutenu des projets sur les dirigeables notamment pour transporter du fret. Est-ce que ce ne serait pas une piste d'avenir pour diversifier l'activité de certains aéroports ? Voyez-vous d'autres innovations possibles, autres que celles portant sur le kérosène, qui seraient de nature à limiter l'impact climatique ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Je profite de la question de ma collègue pour aborder les recherches sur l'avion électrique qui butent sur le problème du poids des batteries. Mais certains disent que sur les lignes régionales, des avions moins lourds, moins capacitaires, pourraient résoudre la question même s'il faut se garder des chimères.
M. Yves Crozet . - Sur toutes les questions environnementales, les bilans comparatifs entre l'aérien et le ferroviaire ont été faits. En Suède, les autorités hésitent à relier en TGV Göteborg et Stockholm compte tenu du trafic qui nécessiterait entre 30 et 40 années d'exploitation pour économiser le CO 2 lié à la construction de la ligne. Le conseil d'administration de RFF, lors de l'ouverture du TGV Rhin-Rhône, en 2011, disaient qu'il faudrait 14 années de trafic pour compenser les émissions. Comme le trafic est beaucoup moins élevé que prévu, il faudra plutôt entre 20 et 25 ans. S'il faut arrêter le tout TGV, c'est aussi parce que l'on se rend compte que certaines lignes n'auraient pas de sens, coûteraient des fortunes, nécessiteraient de subventionner les usagers et ne couvriraient jamais les émissions de CO 2 . Il est évident qu'entre Bordeaux et Lyon, il ne faut surtout pas construire une ligne TGV car le trafic potentiel est faible, quelques centaines de passagers par jour, alors qu'une ligne à grande vitesse représenterait des dizaines de milliards d'euros et que quelques avions suffiraient. Le transport aérien a toute sa légitimité pour ce type de trafic.
Ensuite sur la recherche, le transport aérien fait déjà des progrès. Les consommations unitaires de CO 2 ont diminué et c'est du fait de l'efficacité et de l'attractivité de ce mode de transport qu'il y a un effet rebond. Sur les nouveaux modes de propulsion, la puissance massique des carburants fossiles est sans équivalent à ce jour : c'est le nombre de kilomètres que l'on peut faire avec un litre de kérosène. C'est sans commune mesure avec une batterie ou avec l'hydrogène. Il y a aussi les agro carburants, mais ils posent problème du point de vue de l'environnement. Pour le dirigeable, il s'agit peut-être d'un marché de niche mais il y a une notion économique simple : combien cette technologie va coûter et à quelle vitesse le dirigeable va se déplacer ? On va se rendre compte que le poids lourd ou le bateau est plus adapté. Le monde des transports fonctionne sur une logique d'asymptote car nous sommes dans un monde de généralisation et de massification. C'est le succès de la voiture même si elle est mal utilisée aujourd'hui. Attention à l'hyperbole selon laquelle une petite solution locale pourrait traiter un problème global, par exemple transporter 300 personnes à 10 000 kilomètres.
Enfin, nous sommes effectivement en voie de métropolisation pour une raison liée à l'évolution des qualifications. La puissance de Lyon, Bordeaux ou Toulouse - des zones qui se développent plus vite que la région parisienne - repose sur la concentration des emplois de niveaux moyen et supérieur qui engendrent les gains de productivité. En zone rurale, s'il y a plus de 40 % des voix pour Madame Le Pen, c'est en raison du fossé qui se creuse avec les métropoles. De plus dans l'aérien, ce phénomène se renforce et on aura du mal à l'éviter.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Est-ce que le transport aérien ne serait pas une façon de rééquilibrer le territoire, c'est la question. Les stratégies des régions diffèrent. Par exemple Bordeaux a construit un aérogare low cost et a ouvert des lignes transversales qui ne vont pas vers Paris. Cela a eu pour effet de contrebalancer l'arrivée du TGV tout en augmentant l'activité de l'aéroport vers d'autres destinations.
M. Yves Crozet . - Oui, au sens où le trafic augmente plus vite sur les plateformes de Lyon, Bordeaux et Toulouse que sur celle de Paris. Mais ce phénomène de métropolisation n'est pas vrai pour Clermont-Ferrand. Entre le TGV et l'avion, ce n'est pas de la substituabilité, c'est de la complémentarité. Les gares TGV dans les grands hubs, Schiphol, Francfort, Paris, augmentent le trafic aérien et ferroviaire en même temps.
M. Paul Chiambaretto . - Je ne vais pas revenir en détail sur la métropolisation des flux ou en tout cas leur polarisation. Le seul remède serait d'éviter de créer des liens entre les villes secondaires et la ville principale, car ces liens renforcent ce phénomène de polarisation. L'objectif serait plutôt de renforcer les flux entre les villes secondaires.
On observe aujourd'hui de faibles flux intermodaux. Si l'on prend l'exemple de la gare TGV de l'aéroport Charles-de-Gaulle, très peu de compagnies peuvent se dire que leurs passagers iront prendre le TGV à Roissy une fois l'avion atterri : du fait de la faiblesse de la desserte de cette gare TGV, la plupart des passagers passeront par le RER puis par une gare au centre de Paris. Il s'agit de l'une des principales limites à la substituabilité.
Les questions de la taxe kérosène ou de la taxe carbone interrogent sur la contribution du secteur aérien à l'environnement. Je tiens en préambule à rappeler que le transport aérien est un secteur particulièrement taxé. Une étude réalisée l'année dernière par le syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) expliquait que le prix total d'un billet d'avion était constitué d'environ 30 % de taxes et 20 % de redevances. 50 % uniquement revient à la compagnie aérienne. Celle-ci a évidemment des coûts, puis son semblant de profit sera taxé. À la fin, et c'est par exemple le cas d'Air France, le profit est de l'ordre de 4 euros par passager. À partir de là, si l'on impose une taxe de 2 euros par passager, on ampute de moitié le profit de la compagnie. Ces ordres de grandeur sont importants à garder à l'esprit.
Sur la question plus spécifique de la contribution au climat, le transport aérien représente environ 2 % des émissions carbone au niveau mondial. Ces émissions augmentent toutefois moins vite que le nombre de passagers. Entre 2000 et 2017, le transport aérien a vu son nombre de passagers croître de 57 %, tandis que ses émissions n'augmentaient que de 14 %. Cela signifie que les émissions de CO 2 par passager ont diminué de 25 % en une quinzaine d'années ! Je ne suis pas certain que d'autres secteurs en fassent autant.
En termes technologiques, de nouvelles générations d'avions qui consomment 2 à 3 litres au 100 par passager sont mis en place. En termes d'engagements institutionnels, le secteur a indiqué avoir pour objectif une réduction de 50 % des émissions de CO 2 à l'horizon 2050 par rapport à 2005. Le secteur s'est donc fortement engagé.
Néanmoins, dans l'hypothèse de la mise en place d'une taxe kérosène, que faudrait-il faire ? Cette taxe pose un certain nombre de questions.
La première est que l'exemption des taxes kérosènes est historiquement justifiée par l'autofinancement du secteur aérien. Celui-ci finance en effet un certain nombre de missions, dont des missions régaliennes. Taxer le kérosène signifierait finalement que le transport aérien n'a plus aucune raison de financer des missions qui relèvent de l'État. C'est notamment le cas de la sûreté, dont les coûts sont ceux qui augmentent le plus dans le temps.
Le deuxième aspect de ce sujet est celui de la zone géographique : cette taxe serait-elle internationale, européenne, ou nationale ? La ministre avait parlé d'une zone européenne, ce qui permettrait d'éviter les distorsions à l'intérieur de l'Europe. Pour autant, cela génèrerait d'autres distorsions à l'extérieur de l'Europe. Le risque est que les acteurs favorisent les correspondances, par exemple à Dubaï ou à Istanbul. Or, les vols avec correspondance génèrent beaucoup plus de CO 2 .
Une autre interrogation concerne le bénéfice de cette taxe. Aurait-elle vocation à financer le secteur aérien ou d'autres secteurs comme le fait aujourd'hui la taxe de solidarité ? Dans ce second cas, se pose la question de savoir pourquoi est-ce au secteur aérien de financer cela. En revanche, si la taxe kérosène a pour objet de financer la recherche et le développement du transport aérien, elle serait bien plus acceptable.
On pourrait également proposer une taxe carbone à revenus neutres : cette idée revient à utiliser la création d'une nouvelle taxe pour essayer de limiter les inégalités fiscales. Les travaux macroéconomiques évoquant cette idée partent du principe que le travail est trop taxé mais que les matières environnementales ne le sont pas assez. L'enjeu de cette nouvelle taxe ne serait donc pas forcément d'accroître les recettes de l'État, mais de proposer une logique incitative de façon à essayer de changer le coût relatif entre les différentes charges. De manière générale, ces modèles montrent qu'une telle taxe serait favorable à la croissance économique.
Le secteur du transport aérien réclame, et cela s'est vu dans le cadre des Assises, une baisse des charges, tandis que Gouvernement propose une nouvelle taxe. Ne pourrait-on pas créer une nouvelle taxe carbone pour inciter les compagnies à faire plus d'efforts avec, en contrepartie, une baisse de taxes sur tel ou tel poste ? Cela permettrait de répondre à la problématique de la compétitivité, tout en essayant de rendre vertueux le transport aérien.
Dernier point, sur la question qui a été posée concernant le coût environnemental des autres constructions. Une étude de 2012 fait référence en la matière : elle tente de comprendre dans quelle mesure le secteur ferroviaire peut compenser les émissions carbones liées à la construction de nouvelles lignes. Elle a indiqué que pour compenser la création d'une ligne TGV de 500 kilomètres, il fallait entre 10 et 20 millions de passagers par an pendant 50 ans. Ces chiffres méritent d'être vérifiés, mais ils donnent un ordre de grandeur. Ils permettent de comprendre que la construction de lignes TGV n'est pas forcément la meilleure solution pour des liaisons entre petites villes, qui n'atteignent pas les 10 à 20 millions de passagers par an. Peu de lignes sont encore éligibles en France.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Merci beaucoup. Il est vrai que sur la taxe de solidarité, nous aurons le débat au moment du projet de loi de finances. Dans la loi d'orientation des mobilités, l'Assemblée nationale a voté le principe d'un rapport dont l'idée est d'affecter l'excédent de la taxe de solidarité au financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Il y a certes un besoin de financement, mais il peut sembler paradoxal de demander au transport aérien de financer son empreinte carbone et d'aller financer un mode de transport finalement concurrent. On peut s'interroger s'il ne serait pas plus utile de flécher ces 30 millions d'euros vers les biocarburants par exemple, vers la recherche.
M. Paul Chiambaretto . - Dans son rapport sur la compétitivité du transport aérien de 2017, la Cour des Comptes s'étonnait du fléchage des fonds issus de la taxe de solidarité. C'est quelque chose qui revient assez régulièrement.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Nous avions pointé qu'il y avait un excédent. Au moment des Assises du transport aérien, nous nous étions posé la question de baisser la taxe au niveau de la consommation réelle. Cela n'a pas été retenu. Désormais, l'excédent est orienté vers l'AFITF. Mais le débat va très vite et pourrait s'orienter à nouveau vers le financement de la recherche environnementale. On sait en effet que le transport aérien a besoin d'assurer une transition et les conditions de sa viabilité. Je pense que tout le monde en est conscient et qu'on le souhaite tous. Le débat aura lieu.
Je vous remercie pour cet échange très roboratif. C'est une vraie mine d'informations qui constituent des pistes de travail pour nous. Un grand bravo à vous deux, merci.
Audition de M. Patrick Gandil,
directeur général de l'aviation
civile
(Mardi 2 juillet 2019)
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Monsieur Gandil, vous êtes directeur général de l'aviation civile (DGAC) depuis douze ans et vous avez été vous-même pilote privé. Vous avez donc la passion du secteur aérien, une solide connaissance de son histoire et sans doute beaucoup de choses à nous dire sur son avenir.
Je rappelle que le Sénat a constitué cette mission d'information à l'initiative du groupe RDSE, dont fait partie Mme la rapporteure. Nous travaillons depuis le 14 mai dernier et conduisons un certain nombre d'auditions jusqu'à la fin de ce mois.
Vous avez connu des temps où les lignes d'aménagement du territoire (LAT) étaient mieux dotées. Vous avez organisé l'année dernière, à la demande de la ministre, les assises du transport aérien, avec un groupe de travail spécifique animé par Alain Rousset sur le thème « Aéroports et territoires », dont sont sorties un certain nombre de mesures.
On a compris au fil des auditions que le contexte réglementaire pouvait évoluer. Comment appréhendez-vous la question de l'aménagement du territoire et du transport aérien, alors qu'on assiste à un certain bashing vis-à-vis de ce dernier ? L'adaptation et l'évolution du secteur sont sans doute des nécessités par rapport aux contraintes environnementales.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - Monsieur le directeur général, plus nous avançons dans nos auditions, plus le rôle du transport aérien nous paraît essentiel pour désenclaver les territoires non desservis efficacement par le rail ou par la route.
La continuité des lignes aériennes d'aménagement du territoire est un enjeu vital pour le développement économique et touristique de nos régions. Je sais que ce sujet fait partie de vos préoccupations. L'un des objectifs de la stratégie nationale du transport aérien 2025 est en effet « la connectivité efficace des territoires par le transport aérien ».
Cette audition est donc, pour vous, l'occasion de nous décrire les mesures qui seront prises très concrètement pour remplir cet objectif, qu'il s'agisse des moyens budgétaires, de l'amélioration des services aériens, de la modernisation du cadre réglementaire d'attribution des délégations de service public (DSP) ou des compensations financières aux lignes d'aménagement du territoire.
Au niveau central que vous occupez, comment voyez-vous les régions développer des stratégies en matière de transport aérien et d'exploitation des aéroports ? Y a-t-il des régions pilotes ou des bonnes pratiques à citer en exemple ?
Concernant les lignes aériennes proprement dites, sur quelles projections vous basez-vous pour fixer à près de 25 millions d'euros en 2022 et les années suivantes les crédits des lignes sous DSP en métropole, en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon et Strasbourg ?
Que pensez-vous des recommandations tendant à assouplir le modèle des appels d'offres afin de donner plus de souplesse aux compagnies aériennes attributaires en contrepartie d'une obligation de résultat plus stricte qui pourrait être assortie de mesures incitatives ?
Concrètement, vos équipes sont-elles en mesure de fournir aux collectivités territoriales un accompagnement technique et juridique plus personnalisé ?
Enfin, dans un contexte assez défavorable au développement du transport aérien, quels pourraient être les atouts de l'aviation régionale pour répondre aux besoins de mobilité, tout en réduisant son impact environnemental ? En d'autres termes, ce type d'aviation peut-il être optimisé pour réduire son bilan carbone et son bilan de gaz à effet de serre, à l'exemple des avions turbopropulseurs, comparativement au TGV ou à la route ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Monsieur le directeur général, vous avez la parole.
M. Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile . - Monsieur le président, Madame la rapporteure, les lignes d'aménagement du territoire existent depuis longtemps. Pour un certain nombre de villes, l'avion est la seule solution : les liaisons en train sont très longues, les autoroutes parfois éloignées.
Par ailleurs, par rapport aux années 1980-1990, l'économie a besoin de plus de vitesse et de réactivité. Des villes situées à 4 heures, voire 5 heures des grandes métropoles risquent fort de perdre leurs entreprises.
Les lignes d'aménagement du territoire ne représentent pas des volumes de trafic considérable. Il faut les considérer comme des liaisons d'affaires mutualisées qui proposent un tarif acceptable. Toutes les entreprises peuvent accéder aux lignes d'aménagement du territoire, mais elles ne pourraient certainement pas accéder à un avion-taxi, malheureusement assez cher. En outre, si les prix sont assez variés sur une même liaison, cela n'exclut pas de pouvoir en profiter pour des raisons familiales ou touristiques, l'idée maîtresse demeurant avant tout de sauvegarder le tissu économique.
Ces lignes ont été beaucoup plus importantes à une certaine époque. En 2005, les LAT représentaient 18,6 millions d'euros et comptaient 23 liaisons. En 2018, on en était à 4,3 millions d'euros pour six liaisons, quatre étant considérées comme un minimum vital.
Cette comptabilité est très compliquée. Il faut en effet étudier différemment les autorisations d'engagement (AE) et les crédits de paiement (CP). Or quand on passe un contrat, il est pluriannuel. Le volume d'AE représente donc trois à quatre fois le volume des CP, et l'on était tombé à un étiage d'un peu moins de 5 millions par an. On y ajoute pour cette année et les années à venir 15 millions de plus. Ceci traduit une augmentation importante du volume qui va permettre de reconstituer les liaisons qui avaient disparu faute d'argent et d'en lancer d'autres pour pallier le déficit de l'offre ferroviaire. C'est le cas à Limoges, où sont installées deux entreprises majeures du CAC 40 et où les conditions d'accessibilité ont été jugées par tous insuffisantes, ou de Quimper, où une DSP va se substituer à la liaison qui va fermer pour des raisons économiques. Ceci permettra d'assurer la continuité de la liaison.
Il n'y a plus aucun espoir de créer quoi que ce soit en 2019 mais, en 2020 et 2021, on pourra répondre à des demandes. Cette politique est récente et je serais surpris que nous ne saturions pas nos budgets qui le sont déjà à la mi-année pour 2019 et sur une bonne partie de 2020 pour les liaisons à venir.
On dit souvent qu'il existe trop d'aéroports en France. On mélange beaucoup de choses très différentes. Roissy est un aéroport de rang mondial, un très grand hub international. Sa desserte long-courrier est la première d'Europe, et cette position sera encore renforcée après le Brexit.
Les perspectives de croissance de Paris sont bien supérieures à celles de Londres, pour des raisons de qualité de l'infrastructure. On peut se rendre dans la plupart des pays du monde directement ou avec une escale à partir de notre pays. C'est une vraie capacité économique.
Quant aux grands aéroports de province, ils enregistrent une croissance supérieure à Paris et ont connu ces dernières années l'ouverture européenne. Dans les années 1990, la ligne dominante d'un grand aéroport de province était la liaison avec Paris. On comptait alors peu de lignes internationales. Aujourd'hui, la ligne avec Paris est souvent dominée par d'autres liaisons, qui permettent d'aller un peu partout en Europe ou en Afrique du Nord. Ces lignes moyen-courriers sont d'une diversité considérable et ont accompagné la construction européenne.
La deuxième révolution à venir, c'est l'arrivée de l'A321 neo XLR, pour extra long range , qui va pouvoir aller de France jusqu'au milieu des États-Unis sans s'arrêter sur la côte est. C'est un nouvel avion long-courrier d'environ 200 places, contre 300 à 350 pour les modèles actuels. La taille de nos villes fait que, même à Lyon, il est très difficile de remplir un avion long-courrier de 300 places. En revanche, des avions de ce type vont faire que, dans nos grandes métropoles régionales, on va avoir accès à l'Amérique du Nord. Je pense que ceci va constituer un changement économique tout à fait significatif, ce genre d'idée pouvant ensuite « faire des petits ».
Les aéroports plus petits jouent des rôles assez variés. Ce sont des aéroports d'aménagement du territoire qui sont souvent les supports des LAT. Ce sont aussi des aéroports qui permettent de faire venir des touristes. C'est l'économie - qui n'a d'ailleurs pas que des avantages - de systèmes comme Ryanair, qui amènent beaucoup de touristes. Des villes comme Carcassonne se sont développées touristiquement autour d'un accès facile au transport aérien, alors que l'accès direct est plus difficile pour des voyageurs internationaux.
Enfin, un grand nombre de petits terrains, qui sont en fait de gros aérodromes, font d'abord de la formation aéronautique. J'insiste sur le fait que la France représente une petite moitié de la formation aéronautique de toute l'Europe. Il n'est donc pas étonnant que nous soyons un pays aéronautique majeur.
Beaucoup d'acteurs de l'aviation sont pilotes - et heureusement : on n'imaginerait pas un acteur de l'automobile qui ne sache pas conduire ! Il faut savoir ce qu'est un avion. On n'a pas besoin de piloter un très gros avion. J'ai personnellement appris à piloter en devenant DGAC. C'est indispensable pour exercer son métier. Un grand nombre de personnes qui travaillent dans la construction aéronautique ou les compagnies aériennes ont été formées comme pilotes privés, ce qui les aide considérablement dans la compréhension de leur activité. C'est en outre un sport et un loisir. Il est nécessaire pour cela de disposer de multiples terrains.
Enfin, la petite aviation d'affaires utilise tous ces terrains, qui servent aussi aux hélicoptères, aux évacuations sanitaires etc ., ce qui constitue une activité assez importante.
Une évolution importante est apparue récemment : les régions commencent à se doter de politiques aéroportuaires. La Nouvelle Aquitaine a été l'une des premières à se lancer en 2017, suivie par l'Occitanie en 2018. La Bourgogne Franche-Comté nous a sollicités pour travailler avec elle et prépare quelque chose. La Bretagne s'y est intéressée également. On va ainsi selon moi bénéficier d'un certain maillage régional, car les aéroports ont des finalités et des rôles extrêmement différents. Nous sommes à l'entière disposition des régions pour leur apporter notre connaissance et nos statistiques en matière de transport aérien, ainsi qu'en matière juridique, le contexte étant complexe du fait de sa nature à la fois nationale, européenne et mondiale.
S'agissant des questions environnementales, l'avion émet forcément plus de CO 2 que d'autres moyens de transport. En revanche, comparé à l'automobile, l'avion n'est pas si catastrophique. Les meilleurs avions consomment moins de 2 litres au 100 kilomètres par passager. Certaines voitures font mieux, mais c'est très rare. Le train fait beaucoup mieux si l'on oublie sa construction. Même en l'intégrant, il est cependant vrai que le TGV reste bien plus favorable que l'avion. C'est moins vrai s'il s'agit d'un train relativement peu fréquenté.
Pour ce qui est de l'avion et des lignes intérieures françaises, peu empruntées, le turbopropulseur présente un certain intérêt. Les turbopropulseurs, sur des liaisons de 500 à 600 kilomètres, allongent le temps de parcours d'une dizaine de minutes mais économisent environ 40 % de kérosène et des tonnes de CO 2 . Cela mérite donc d'être étudié de près. Énormément de pays à travers le monde utilisent des turbopropulseurs, qui sont des systèmes assez favorables.
Personne ne se satisfait cependant de la situation dans le transport aérien. Plusieurs questions ont émergé dans le débat politique s'agissant des différentes formes de taxation du secteur. Les taxes ne font toutefois pas directement économiser du CO 2 , même si cela peut jouer sur l'utilisation de ce type de transport et donc, indirectement, sur la quantité d'émissions. Je puis cependant vous garantir que les compagnies aériennes et les motoristes font tous les efforts qu'ils peuvent pour avoir des avions les plus performants possible. En effet, le kérosène représente un tiers du coût d'exploitation. C'est donc le premier poste sur lequel ils ont intérêt à faire des économies.
On l'a vu lors du dernier salon du Bourget, tous les constructeurs aéronautiques se sont lancés dans des programmes extrêmement coûteux en matière d'avions décarbonés. Est-on capable de réaliser un avion n'utilisant pas le carbone fossile, soit en recourant à l'hydrogène, soit à des gaz à faible nombre de molécules de carbone, comme le méthane par exemple, entièrement issu de l'atmosphère ?
Un grand nombre de sauts technologiques restent à réaliser. Je ne les décrirai pas ici, mais c'est un sujet totalement enthousiasmant pour les ingénieurs qui y travaillent. Il existe des pistes sérieuses et intéressantes. Ce n'est toutefois pas pour tout de suite. La prochaine génération d'avions fera des progrès incrémentaux progressifs. On va ainsi gagner environ 15 % d'une génération à l'autre, et l'on devrait arriver à faire nettement mieux d'ici deux générations. Peut-être connaîtra-t-on les premiers avions entièrement décarbonés vers 2050.
Enfin, une certaine souplesse existe déjà, dans la mesure où l'on peut accepter que le vol ait été annulé ou ait manqué de ponctualité. Les pénalités ne tombent pas tout de suite. L'aviation n'a pas la régularité du ferroviaire, la météo pouvant changer pas mal de choses.
La chaîne d'acteurs étant par ailleurs extrêmement complexe, le retard n'est pas toujours imputable à la compagnie aérienne. C'est au maître d'ouvrage de l'apprécier dans la gestion des systèmes de pénalités.
On peut aussi accepter des variations en cours d'année. Il existe beaucoup de lignes où les obligations sont beaucoup plus faibles en août. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de vol à cette période, mais peut-être desservira-t-on la Corse au lieu de Paris ou un autre lieu touristique... Ces formules peuvent être intéressantes.
Voilà ce que je pouvais dire en introduction.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - On comprend que le cadre réglementaire des obligations de service public (OSP) pourrait évoluer. Pouvez-vous nous donner quelques lignes directrices à ce sujet ?
M. Patrick Gandil. - Ce cadre réglementaire est moins rigide qu'il n'en a l'air. On peut envisager de le faire évoluer. Aujourd'hui, ce n'est pas tant la gestion du contrat avec l'entreprise de transport aérien qui est compliquée, mais l'acceptation d'un système d'OSP et d'un système d'aides. On est prêt à le faire évoluer.
La moindre des politesses est d'attendre la fin de cette mission pour présenter ce que nous avons prévu. On consultera ensuite les régions, les compagnies aériennes, la Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM) et les aéroports concernés. On espère pouvoir proposer un nouveau projet à l'automne.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Concrètement, vos équipes sont-elles prêtes à aider les collectivités territoriales et à leur apporter un accompagnement technique et juridique dans la mise en oeuvre et le suivi des OSP, celles-ci étant parfois complexes pour les petites collectivités ?
M. Patrick Gandil . - Nous sommes à leur entière disposition. C'est notre devoir. Nous le faisons depuis longtemps pour la Corse, avec laquelle il y a beaucoup de liaisons. L'office des transports corse connaît bien la partie dévolution et gestion du contrat.
En revanche, le lien avec la Commission européenne est compliqué. Nous jouons un rôle d'intermédiaire et suivons toutes les lignes et les OSP qui existent. Si une région souhaite aller plus loin, nous sommes à sa disposition.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - C omment se déroulent les négociations d'ouverture de nouveaux droits de trafic ? Que pensez-vous de la possibilité d'en réserver une part aux aéroports régionaux ? Nous avons eu des demandes de cet ordre au cours de nos auditions.
M. Patrick Gandil . - Les droits de trafic sont malgré tout aujourd'hui extrêmement ouverts entre les zones du monde pour lesquelles il existe des accords de ciel ouvert, en particulier les États-Unis et le Canada. Beaucoup de pays des marches de l'Europe sont ouverts au titre de la politique du voisinage. Le Qatar vient de s'y ouvrir, et on est en négociation assez avancée avec les pays de l'ASEAN.
Dans certains pays, on n'a pas d'accord de ciel ouvert, mais la croissance prend de l'avance sur le trafic, comme en Chine. On a aussi des accords bilatéraux avec de très nombreux pays. C'est la force de la diplomatie et du transport aérien français. On peut aussi discuter des possibilités extra-bilatérales en cas de besoin. Nous avons orienté tous les accords récents prioritairement sur la province, notamment en ce qui concerne la Chine.
Il existe néanmoins des problèmes avec les pays du Golfe qui, contrairement au Qatar, ont refusé de s'inscrire dans la perspective d'un accord de ciel ouvert avec l'Union européenne, alors que nous leur tendions la main. La relation commerciale avec Emirates étant complexe, la situation n'avance pas pour l'instant. De même, on a des relations équilibrées mais compliquées avec la Russie. Il n'y a pas de difficulté avec la plupart des autres pays.
La lecture d'un accord bilatéral n'est cependant pas toujours très simple. Le mieux est que l'aéroport ou la région qui se pose des questions sur ce sujet nous en parle. Nous sommes là pour cela.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - L'aéroport de Nice fait régulièrement entendre sa demande avec une certaine forme d'insatisfaction, d'où la question.
M. Patrick Gandil . - Je pense que ceci est lié aux Émirats. Il existe une strate diplomatique avant de signer un accord mais Nice, en soi, n'est pas maltraité. La question porte sur l'équilibre de la relation.
Le marché intérieur de ces pays est assez réduit. Il faut donc trouver un certain équilibre de négociations.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - L'idée que l'État central parisien privilégie le hub de Paris au détriment de la province est sous-jacente. Je soulève la question en termes volontairement provocants, mais c'est parfois ce qui nous remonte. Pouvez-vous nous apporter des réponses à ce sujet ?
M. Patrick Gandil . - Fondamentalement, c'est faux ! On constate depuis 3 ou 4 ans une ouverture plus forte en faveur de la province par rapport à Paris. Cependant, lorsqu'il s'agit de droits de trafic à faible volume - ce qui n'est pas le cas avec les Émirats -, la compagnie aérienne qui n'a qu'un seul vol par semaine et qui va desservir un seul point du territoire choisira Paris. Si on propose autre chose, on n'obtiendra pas d'accord. À chaque fois que l'on est sur des droits actifs, l'ouverture est assez importante. C'est notamment le cas de Nice et Lyon. On cite toujours en exemple ce qui ne fonctionne pas, mais il faut aussi se pencher sur tout ce qui fonctionne.
M. Sébastien Meurant . - On nous a dit que le premier hub pour Nice n'était pas Charles-de-Gaulle, mais Francfort.
Ma question porte sur l'évolution liée aux nouveaux avions. Ces changements économiques, au lendemain d'un salon du Bourget enthousiasmant par rapport à la capacité de la France à avoir une filière aéronautique au meilleur plan, ne vont-ils pas être de nature à modifier l'implantation et l'évolution des infrastructures aéroportuaires ?
En d'autres termes, le point par point, qui présente des intérêts économiques et écologiques évidents, n'est-il pas de nature à se modifier assez rapidement ? Je pense à la nécessité de construction d'un terminal supplémentaire au nord de la région parisienne.
M. Patrick Gandil . - Je pense que cela va induire des modifications, mais je ne crois pas que cela induise une révolution à l'échelle de Roissy. Aujourd'hui, la nouveauté vient du fait qu'on a enfin la capacité de traverser l'Atlantique assez facilement et aller au milieu des USA avec un avion d'environ 200 places. Je pense qu'il y aura une liaison avec les métropoles régionales françaises, notamment pour les très grands aéroports de province que sont Nice, Lyon, Marseille, Toulouse, mais aussi Bordeaux, Nantes, Bâle-Mulhouse, qui sont tous à plus de 5 millions de passagers - plusieurs en comptent déjà 10 millions.
Même avec une liaison par jour, l'effet sur Paris reste relativement faible. On est sur des métropoles régionales de l'ordre du million d'habitants, l'agglomération parisienne dépassant les 10 millions.
Par ailleurs, il y a rarement plus d'un vol par jour sur les très long-courriers. Celui-ci compte pas mal de passagers locaux, le complément venant du hub . Cela n'existe pas dans tous les pays, et ce type de fonctionnement particulier n'est pas reproductible à l'infini.
Je pense donc qu'on va connaître une croissance des aéroports de province, déjà aujourd'hui beaucoup plus rapide que celle de Paris, qui va elle-même continuer. Paris est à environ 100 millions de passagers aujourd'hui. Sa croissance tourne autour de 3 % par an, ordre de grandeur qui est celui de l'Europe de l'ouest, soit 3 millions de passagers en plus.
On n'est donc pas dans le même ordre de grandeur. Je pense qu'on a besoin à Paris d'une perspective de croissance pour des raisons de développement économique, d'emplois, etc .
En revanche, le débat sur l'architecture et le planning du T4, que l'on ne connaît pas encore, vient de se terminer. Le système va certainement être évolutif et la croissance ainsi que la construction d'aérogares dépendront de l'avancement du trafic. Cette évolution du long-courrier vers l'Amérique du Nord va atteindre nos villes de province. Une ville comme Lyon n'a jamais réussi à développer une liaison avec New York parce que l'avion était trop grand par rapport à l'hinterland de New York. Aujourd'hui, cela va devenir extrêmement facile.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous avez abordé la question des turbopropulseurs pour les lignes d'aménagement du territoire et les petites lignes. Un certain nombre de jets, notamment d'Embraer, opèrent également sur ce type de lignes. Le combat n'est pas gagné. Même si, du point de vue environnemental, un ATR émet beaucoup moins de CO 2 , il est un peu moins rapide. Une certaine pédagogie n'est-elle pas nécessaire ? Les jets devraient sortir du marché à une certaine échéance - à moins qu'on se remette à en produire pour ces petites lignes.
Par ailleurs, il y a à peu près deux ans, les petits avions se sont trouvé pénalisés par l'évolution de la tarification d'ADP. Ne s'agit-il pas d'une situation complètement ubuesque ? On pourrait, en caricaturant, estimer que l'on met de l'argent dans les lignes d'aménagement du territoire parce qu'on a en partie augmenté les redevances.
M. Patrick Gandil. - Ni la DGAC ni les compagnies aériennes ni les aéroports n'ont réussi à assurer la promotion du turbopropulseur, qui a une image ancienne d'appareil à hélice. Ce sont pourtant de splendides hélices fabriquées en France par Ratier-Figeac et dignes d'une sculpture moderne...
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Hop a très mal opéré durant des mois !
M. Patrick Gandil . - Je n'en disconviens pas. Ceci a sûrement joué un rôle important.
Cependant, lorsqu'on observe l'histoire des moteurs, les turbopropulseurs modernes sont arrivés relativement tard. On n'est pas dans les moteurs à hélice de la deuxième guerre mondiale, qui étaient de supers moteurs à piston. Il s'agit d'un moteur de type moteur à réaction qui, au lieu de propulser de la masse d'air comprimé et des gaz brûlés vers l'arrière, fait tourner un plateau d'hélice. De face, on a une sorte d'énorme aspirateur avec, à l'intérieur du tuyau de réacteur, une sorte de plateau d'hélice tournante faite pour aspirer l'air et le pousser vers l'arrière. Dans le turbopropulseur, c'est à peu près pareil, mais l'hélice compte un assez grand nombre de pales et s'appuie sur l'air pour propulser l'avion vers l'avant. Un turbopropulseur moderne, un petit réacteur ou un moteur d'hélicoptère ont une certaine proximité. D'ailleurs, leurs progrès ont été parallèles.
Ce sont des moteurs modernes d'un rendement très intéressant. Le bruit peut être considéré comme plus ou moins agréable. Il est à coup sûr différent. Je pense qu'il est beaucoup plus agréable pour les riverains et plus pénible pour les passagers, mais cela dépend aussi de la qualité de l'insonorisation de la cabine. Les derniers modèles d'ATR, comme la série 600, sont bien insonorisés.
Il ne faut pas reprocher aux turbopropulseurs leur diamètre de cabine relativement faible. Qu'il s'agisse d'un CRJ à réaction ou d'un ATR à turbopropulseur, le diamètre est à peu près le même. La clé réside pour moi dans l'insonorisation.
Par ailleurs, ADP est une entreprise à capitaux publics. Cela n'en fait pas un établissement public dans lequel l'État décide comme il veut. Nous allons bientôt avoir un nouveau contrat de régulation économique. On aura alors un poids particulier sur l'ensemble de l'économie du système. Je compte bien que nous ayons quelques exigences en matière de qualité de services en général. Il y a pas mal de choses à faire pour éviter les situations actuelles, où l'arrivée est mal traitée, avec des parcours à pied souvent très importants.
Je pense qu'il est tout à fait en notre pouvoir d'agir lors du prochain contrat de régulation économique, qui va être présenté à l'automne.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Certaines choses sont donc à revoir en matière de tarification et de prise en charge de la clientèle...
M. Patrick Gandil . - En effet.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - J'emprunte souvent la ligne Aurillac-Paris. On est souvent débarqué au pied d'un escalier très raide, difficile à emprunter pour les personnes âgées ou celles qui ont des problèmes de mobilité, avec des parcours assez longs dans l'aéroport. C'est un véritable problème, qui donne le sentiment aux usagers, malgré les efforts des collectivités et de l'État, d'être traités comme des passagers de deuxième catégorie.
Une certaine péréquation entre les aéroports régionaux et départementaux pourrait-elle être envisageable dans des zones qui connaissent un faible taux de passagers ? En Bretagne, Quimper fonctionne avec Brest. Ce modèle peut-il être dupliqué ?
M. Patrick Gandil . - C'est un modèle à étudier avec précaution. Je ne dis pas que c'est impossible, mais cela vaut vraiment la peine de nous consulter avant. À Brest et Quimper, la DSP est la même pour les deux aéroports, ce qui permet de faire de la mise en commun, notamment en termes de coûts administratifs, d'achats, etc .
En revanche, chaque usager doit payer la redevance correspondant au coût de son service. Ce n'est pas l'usager qui est censé réaliser une péréquation. Si on peut dire que c'est le même système aéroportuaire, comme Orly et Roissy par rapport à Paris - et il n'y a pas de raison que cela ne se fasse pas en province -, il faut que l'on soit dans le cas du système aéroportuaire commun pour avoir une tarification commune.
Le fait d'être dans un système comme celui-ci peut présenter des avantages importants sur toute la partie commerciale. C'est ainsi que travaillent les entreprises concessionnaires de services publics sur plusieurs aéroports. Les parties stratégiques, commerciales et comptables sont communes à un ensemble d'aéroports et, d'une certaine façon, mutualisées. Ce pourrait être le cas dans un contexte régional. Il n'y a là aucune impossibilité.
Par ailleurs, en matière de sûreté, même si on prend garde que cela n'aille pas trop loin, il existe une part additionnelle à la taxe d'aéroport qui permet d'aider au financement des aéroports les plus fragiles. Si on ramène cela au coût par passager, les aides vont être d'un niveau considérable. La question est de savoir si le transport aérien est justifié dans ces aéroports. Si l'on répond oui - et je pense que c'est le cas général -, un terroriste peut très bien faire embarquer une bombe dans un aéroport secondaire. Celle-ci circulera ensuite un peu partout.
Il y a deux ans, l'Australie a été menacée à deux reprises. Du matériel en provenance de la zone orientale destiné à alimenter des réseaux terroristes a été acheminé par le fret. Il faut que l'on puisse traiter cette question partout avec les mêmes règles et les mêmes objectifs de sécurité. Ceci peut justifier une certaine péréquation, par exemple dans le cas de petits terrains qui ne reçoivent que quelques avions de ligne dans la journée.
Alors que la France est un pays assez bon marché en matière de navigation aérienne, elle est relativement chère en termes de services terminaux, tout simplement parce que l'on traite un grand nombre d'aéroports, parmi lesquels de très petits. Quelques outils de péréquation existent déjà, mais aller plus loin soulève des questions que l'on étudiera volontiers avec les régions qui le souhaitent.
Il s'agit d'un milieu effroyablement contentieux. Si on n'est pas dans le droit, on se fera rattraper.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - En matière de sûreté, l'interrogation était plutôt inverse il y a quelques mois : on disait alors que cela avait un impact fort sur les hubs , où on est presque à l'euro près quand on compare les prix des vols, certains prétendant même que la péréquation en faveur des petits aéroports avaient un impact négatif sur les plus importants.
La demande de transparence était également forte pour justifier des dépenses de sûreté, y compris dans les petits aéroports.
M. Patrick Gandil . - Vous avez parfaitement raison, mais il ne faut pas tomber dans l'excès inverse. On a réussi à diminuer la part de péréquation de façon relativement importante, mais on ne l'a pas annulée. On a augmenté la part maximale payée dans les petits aéroports, qui va jusqu'à 15 euros par passager environ. On a trouvé un nouvel équilibre, avec un niveau de péréquation plus faible, mais qui reste suffisamment important pour éviter des situations ingérables.
M. Cyril Pellevat . - Monsieur le directeur général, j'aimerais revenir sur les considérations environnementales. La DGAC gère les comptes du Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation (CORSIA) des opérateurs immatriculés en France. Quels sont les premiers résultats depuis la mise en place de ce programme ?
M. Patrick Gandil . - Pour l'instant, je n'en ai pas encore, car nous sommes dans la computation de l'année de référence. Le mécanisme CORSIA commencera à être appliqué en 2020, à partir de la computation des émissions de 2019.
En Europe, je suis certain que tous les pays rendront leur computation en temps et en heure à l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Nous avons été moteurs dans cette affaire. La question est de savoir comment les choses vont se passer ailleurs. Le vote du mécanisme CORSIA a été acquis à une majorité extraordinaire : nous n'avons pas eu d'opposition mais seulement des réserves importantes de la Russie et de l'Inde, et des remarques de tel ou tel autre pays. Les choses sont donc très bien parties.
Cela étant, il est important de tenir les engagements, à l'issue de l'année 2019, lorsque les bases de calcul devront être rendues. Il faudra ensuite étudier la façon dont se feront les paiements. Je ne suis pas très inquiet. Le plus important est d'éviter que certains pays, en réaction à l'évolution des taxes ou des mécanismes de marché européens, ne veuillent afficher une position différente. On verra le résultat lors de l'assemblée générale de cet automne. Je reste assez optimiste, mais quelques menaces existent.
Il faut aussi tenir compte du système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (ETS), qui existe pour toute l'industrie. La difficulté de l'aviation est d'être un peu à part parce qu'elle est internationale par nature. L'Europe a été mise en minorité lorsqu'elle a proposé les prémices du mécanisme CORSIA. Elle a revu sa position en la limitant au périmètre européen, certains pays pauvres reprochant aux pays riches de vouloir les faire payer.
Un nouveau mécanisme limitant les ETS au périmètre européen a été accepté. Il a donné lieu au mécanisme CORSIA. Cet équilibre est important. Si l'on maintient un mécanisme européen ambitieux - l'aviation européenne représentant environ 15 % du total - et un mécanisme mondial traitant l'ensemble, on aura accompli un progrès significatif.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - L'opinion juge le mécanisme CORSIA assez nébuleux. Sans parler des ETS, comment concilie-t-on la compétitivité du transport aérien, le besoin de se déplacer dans les airs et un plus grand respect de l'environnement ? Ce système suffit-il ?
M. Patrick Gandil . - Il s'agit de compenser les émissions en finançant des économies de carbone dans d'autres secteurs d'activité à des coûts moins élevés.
Au fur et à mesure, les projets vont devenir plus chers. Il faudra davantage compenser la production de CO 2 , le transport aérien ayant entre-temps augmenté. C'est une dépense a priori assez dynamique. Elle est toutefois partie d'assez bas, ce qui a constitué un facteur d'acceptabilité. Un grand nombre de pays étaient d'accord pour compenser mais non pour brider, considérant que le transport aérien est vital pour leur économie. Il ne s'agit pas uniquement d'une position des très grands pays, mais aussi de pays isolés, comme les îles Marshall, ou de petits pays africains enclavés.
Face à cette situation, et dans un contexte qui est celui des règles de l'ONU, je pense qu'on a abouti au meilleur compromis possible. Ceci va quand même peser sur les coûts des compagnies aériennes. On cherche à ce que cela ne bride pas la croissance du trafic. C'est ce que la majorité des pays du monde ont considéré comme la pierre angulaire de l'acceptabilité du système.
Si on veut faire plus, on ne pourra pas le faire au niveau mondial mais au niveau européen. Cela aura forcément un impact sur le volume et l'économie du transport aérien, ainsi que sur les déplacements. On est ici face à un paradoxe assez courant : une grosse partie de l'opinion publique voudrait qu'on diminue les émissions, mais il y a toujours plus de passagers au moment des départs en vacances et toujours plus d'avions dans le ciel. Si je prends ma casquette de contrôleur aérien, on est mieux préparé à l'été qui vient qu'à l'été précédent, mais ce n'est pas gagné. On va encore assister à une croissance du trafic.
Ce problème présente deux facettes. Tout le monde est conscient des enjeux du changement climatique, mais il existe des aspects positifs, comme la libre circulation des personnes, par exemple dans le domaine d'Erasmus. Trouver le bon équilibre revient probablement à essayer de freiner un peu la croissance sans faire n'importe quoi, à être attentif aux autres effets, comme le bruit, et à progresser plus vite vers une aviation de plus en plus décarbonée. On gagne environ 15 % à chaque génération d'avions : il faut faire plus !
M. Vincent Capo-Canellas, président . - On a le choix entre freiner la croissance ou freiner les émissions....
M. Patrick Gandil . - On ne réduira pas les émissions plus vite que ce qu'on fait aujourd'hui. Le secteur de l'aviation est probablement celui qui, en France, fait plus en matière de recherche et développement que le secteur pharmaceutique. Il est aidé par l'État, mais il en fait aussi beaucoup lui-même. Il perçoit beaucoup moins d'aides que ses concurrents outre-Atlantique. Malgré cela, on arrive à tenir un rang majeur au niveau européen.
Il faut certes essayer d'aller plus vite, tout en ciblant le long terme et une aviation décarbonée, ce qui peut nous faire prendre un peu de retard sur de petits progrès incrémentaux.
Les biocarburants peuvent également nous permettre de gérer des phases intermédiaires. Au fond, un réacteur ou un turbopropulseur brûlera tout aussi bien du kérosène à base de carbone fossile que du kérosène à base de carbone atmosphérique. C'est exactement le même produit. On est également capable, comme dans l'automobile, d'additionner au kérosène d'origine fossile des produits qui peuvent nous permettre d'économiser du CO 2 . La difficulté est de les produire sans concurrence alimentaire. C'est l'une des voies sur lesquelles on travaille beaucoup aujourd'hui, qui doit permettre de gagner un peu de temps dans la voie que vous recherchez.
Mme Sonia de la Provôté . - Monsieur le directeur général, l'encombrement de l'espace aérien se produit désormais hors période estivale. La croissance du trafic et la fréquentation ne vont pas s'arrêter, d'abord parce que l'avion se démocratise de plus en plus et parce que, du point de vue des entreprises, c'est un bon moyen pour travailler à plus grande échelle. Avec le low cost , la dimension touristique prend aussi beaucoup d'espace. Pour ne prendre que le cas de la France, ce phénomène est inévitable.
En outre, s'ajoute à cela une moindre qualité de service du train. Un certain nombre de failles sont apparues dans le transport ferroviaire au cours des années. Un certain nombre d'usagers se tournent désormais vers l'avion.
Tout ceci concourt à la saturation. Je ne sais si ce phénomène est identique dans les autres pays, en particulier européens. Comment voyez-vous la régulation se mettre en place ? Quels seront les arbitrages ? Défendra-t-on toujours les lignes d'aménagement du territoire dans un certain nombre d'années ? Il y a là des enjeux économiques qui nous dépassent, notamment du fait des très gros investisseurs étrangers, qui ne voient que la manne financière que cela représente.
M. Patrick Gandil . - Je ne me prononcerai pas sur la question des défaillances du transport ferroviaire. Ce n'est pas mon rôle. En France, nous enregistrons une baisse du trafic sur les grandes lignes radiales de transport aérien du fait du TGV lorsqu'un TGV met deux heures pour rejoindre Paris. Cela ne signifie pas qu'il n'y a plus d'avions vers Paris, car on continue à utiliser le hub de Roissy pour aller dans le reste du monde.
Lorsque le train met trois heures, un équilibre se crée. Quand il met quatre heures, cinq heures ou plus - comme pour Toulouse et Nice -, l'avion continue à jouer un rôle dominant. Ce sont les deux dernières grandes métropoles régionales concernées. Pour des villes plus éloignées de Paris, comme Brest ou Pau, sans parler de la Corse, l'avion est forcément dominant.
Va-t-on atteindre une totale saturation du ciel ? La situation actuelle est liée à un contexte très particulier de régulation économique du secteur. Les compagnies aériennes ont poussé à la réduction des dépenses consacrées au contrôle aérien, et pas seulement en France. Les choses ont été pires dans d'autres pays d'Europe. Tout ceci a fait qu'on a soit arrêté de recruter des contrôleurs aériens, soit qu'on en a réduit le nombre de façon continue. On s'est donc trouvé il y a deux ans face à un manque dans de nombreux pays.
En France, la conflictualité a joué un certain rôle. Cette année, les délais sont très raisonnables. M. Capo-Canellas a fait un rapport remarqué à ce sujet. L'année de ce rapport, l'Allemagne a connu les mêmes délais que la France sans avoir subi de grèves. Je ne jette pas la pierre aux Allemands : le centre de contrôle de Maastricht est également saturé, et l'Espagne connaît des difficultés, tout comme de nombreux autres pays.
Le plus souvent, cela est dû à une insuffisance de contrôleurs aériens. Un contrôleur aérien ne peut traiter plus d'une douzaine d'avions à la fois. Ce n'est pas si facile : il faut un grand entraînement. Il peut aller jusqu'à en contrôler vingt en cas de difficultés, mais durant très peu de temps. Il faut être capable de gérer un très grand nombre d'événements à la fois. Chaque fois qu'on essaie de le faire automatiquement, cela fonctionne moins bien. L'esprit humain, bien entraîné, reste plus performant. Encore faut-il avoir suffisamment de personnel. On est en train de remonter la pente en la matière. Cela ira mieux dans quelques années.
Le deuxième paramètre provient de la modernisation technique. Aujourd'hui, on vit sur des systèmes anciens, qui ont été modernisés et qui ont l'avantage de la robustesse, alors que les nouveaux systèmes vont subir une part inévitable de déverminage. C'est en les pratiquant qu'on découvrira un certain nombre de difficultés, même si tous les tests ont été pratiqués auparavant.
Cela a toujours été ainsi. On passe à du striping électronique et on abandonne le papier. Le strip avait des défauts, mais présentait l'avantage d'être complètement indépendant du système électronique. Dans un cas, cela nous aurait sauvé la mise. Un cas, c'est statistiquement très peu, mais c'est toujours un cas de trop. Il faut donc réinventer les systèmes de sécurisation en tenant compte de cette nouvelle situation. Quand tous nos contrôleurs seront formés et que tous ces systèmes fonctionneront bien, on devrait gagner entre 15 % et 30 %.
Si on est vraiment bloqué, on peut jouer sur le niveau des vols. Sur la route, on a inventé les giratoires pour faire passer plus de voitures. C'est la même chose pour les avions. On peut ainsi augmenter la capacité. Cette question peut être posée.
On peut aussi les faire voler plus bas. C'est ce qui sauvera les LAT, notamment les turbopropulseurs. Ce sont des lignes courtes, pour lesquelles on ne va pas faire monter l'avion très haut. L'optimum des turbopropulseurs se situe vers 25 000 pieds, alors que ce sera de l'ordre de 32 000 pieds pour un jet. Le trafic à 25 000 pieds n'étant pas très chargé, on doit y arriver dans de bonnes conditions. Enfin, on peut donner une priorité aux LAT dans les systèmes de navigation aérienne. Il faut cependant surveiller tout le reste. En désoptimisant un peu le système, on peut développer un certain nombre de capacités.
Si cela ne suffit pas, de même qu'on a créé des créneaux aéroportuaires pour gérer la saturation des aéroports, on peut très bien imaginer des créneaux dans les zones les plus chargées et avoir ainsi une pré-allocation.
Ce point a été débattu dans la réflexion sur l'avenir du contrôle aérien à laquelle j'ai récemment participé. Même si tout le monde s'est dit que ce n'était pas pour tout de suite, personne n'a trouvé cette réflexion ridicule.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - La concertation à propos du T4 comporte un engagement sur le maintien du niveau de bruit. Je comprends que cela fonctionne dès lors que la descente en continu est bien mise en oeuvre par le contrôle aérien. Pouvez-vous nous rassurer sur les échéances et la faisabilité ?
M. Patrick Gandil . - Je peux en effet vous rassurer. C'est difficile à Roissy parce qu'on a deux doublés en descente continue et parallèle. On pratique la descente continue en totalité la nuit, un doublé sur deux étant fermé pour maintenance. Cela fonctionne très bien.
Lorsque deux avions sont axés en parallèle sur les pistes, ils n'ont pas une distance suffisante entre eux pour qu'on puisse considérer qu'ils sont séparés. C'est pourquoi on les sépare d'un niveau. On sait le faire lorsqu'ils volent à plat. En revanche, en descente, les systèmes de guidage des avions ne nous permettent pas de garantir que les deux droites resteront parallèles. En outre, cela ne fonctionne plus au moment d'atteindre le sol.
Les deux avions sont séparés lorsqu'ils accrochent le système de guidage radioélectrique (ILS), dans la phase finale de leur trajectoire. L'écart est alors suffisant pour assurer la sécurité. La navigation satellitaire nous permet de faire beaucoup de choses mais, aujourd'hui, on n'est pas tout à fait sûr d'avoir une séparation suffisante.
En réalité, la précision s'établit à un nautique près, mais la plupart des avions sont très centrés. Il est donc extrêmement improbable que deux avions soient chacun à l'extrémité de leur distribution. On est à peu près sûr que cela suffit largement, mais il faut le démontrer à une partie de la DGAC, qui est totalement indépendante, y compris de moi-même. Je ne peux en effet avoir à la fois autorité sur le contrôle et sur la sécurité qui contrôle le contrôle.
Au début de l'année prochaine, on va garder la technique actuelle sur une moitié de l'espace et, sur l'autre, mettre les nouvelles procédures en place. On gardera la séparation mais on pourra, durant plusieurs mois, réaliser des enregistrements et étudier la réalité de la distribution. Si on tient les probabilités, on pourra présenter les résultats à notre autorité. D'après les prétests, nous sommes assez sûrs de notre coup.
Cette étape aura un deuxième mérite. Elle permettra aux riverains concernés de porter une appréciation sur le niveau du bruit que représente la descente continue. Jusqu'à présent, on parlait de décibels. Cette fois, les riverains pourront entendre ce qui se passe. Ce sera une sacrée révolution : les avions vont arriver trop haut pour qu'on les entende. Ceux qui arrivent dans l'axe de la piste vont continuer, ceux qui arrivent à rebours vont effectuer un grand virage en hauteur. La fin du virage se fera en descente. Tous vont converger vers le point où ils accrochent l'ILS. On va utiliser le guidage satellitaire non pour les amener au sol mais sur l'ILS, dont on va profiter de la précision pour réaliser la courbe finale. Sur un aéroport de cette taille, c'est une première, mais on y croit !
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Monsieur le directeur général, notre mission s'intéresse à la continuité territoriale avec les outre-mer. Les OSP dans et vers les territoires ultramarins vous semblent-elles devoir évoluer en passant d'un système d'aide au passager à une OSP renforcée ?
M. Patrick Gandil . - Il faut mener une grosse partie des discussions avec les régions concernées. Des OSP pour des lignes transportant relativement peu de passagers sur de courtes distances sont injustifiées. Par ailleurs, cela coûtera probablement tellement cher que cela ne durera pas longtemps. Ce n'est toutefois pas à moi de faire le choix.
Ce n'est pas la même chose de faire des milliers de kilomètres avec un gros-porteur et de faire 500 kilomètres avec un ATR de 50 ou 70 places. C'est ce qui a conduit au développement des aides à la personne, en général sous condition de ressources, ce qui peut être beaucoup plus souple en fonction des situations individuelles. Ces aides sont couplées avec des aides de nature commerciale des compagnies aériennes, ou la prise en compte de cas particuliers - obsèques, etc . Néanmoins, la difficulté réside dans le fait que certaines saisons sont plus chargées que d'autres. On a toutefois amélioré les choses, même s'il y a encore des progrès à réaliser, comme à Mayotte, où il n'existe pas d'OSP. Mayotte n'était pas un département au moment où tout s'est monté. Aujourd'hui, on est en mesure de le faire pour des questions sanitaires - transport de médicaments, de malades, etc . Des choses importantes vont ainsi se faire sur La Réunion.
Quant à la Guyane, le ministère de l'outre-mer n'y intervient pas. On y trouve des crédits de transport mis en place par les autorités locales. Dans la mesure où tous les passagers sont aidés, on pourrait imaginer que la compagnie aérienne puisse directement faire quelque chose qui s'apparente à une DSP. Ce point n'est pas tranché aujourd'hui et mérite un débat avec les autorités concernées.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - N'est-ce pas envisageable en Guadeloupe, pour aller d'une île à l'autre ?
M. Patrick Gandil . - Pour les îles proches, je pense que c'est aux régions et aux départements concernés de le gérer.
Quand il s'agit de liaisons internationales, comme avec Air Caraïbes, il n'est pas question de prévoir une aide aux billets. En revanche, on essaie de faciliter des accords larges et si possible de ciel ouvert dans ces îles, dont certaines sont petites. Une économie touristique assez intéressante peut s'y développer. Il faut éviter de créer des difficultés diplomatiques. C'est une idée qui est sortie des assises et qu'il faut faire avancer.
Les problèmes n'étant pas tout à fait les mêmes, il s'agirait de tenir une conférence annuelle par bassin sur ces questions.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Merci beaucoup, monsieur le directeur général.
Nous sommes sensibles à votre connaissance très fine de tous ces sujets. La mission va continuer ses travaux. Nous entendrons la ministre chargée des transports ce jeudi 4 juillet. Nous aurons plaisir à revenir vers vous à l'automne avec des suggestions.
Audition de Mme Élisabeth Borne,
ministre auprès du ministre
d'État,
ministre de la transition écologique et solidaire,
chargée des transports
(Jeudi 4 juillet 2019)
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Madame la ministre, les assises du transport aérien, que vous avez lancées en 2017, comportaient un volet consacré aux territoires, animé par le président de la région Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset. Vous vous êtes appuyée sur ces travaux pour annoncer une relance des lignes d'aménagement du territoire (LAT).
Madame Josiane Costes, rapporteure, ainsi que l'ensemble de nos collègues, ne manqueront pas de vous poser des questions sur ce point et, plus globalement, sur la stratégie de desserte des territoires qui est la vôtre, la connectivité des territoires, la complémentarité des modes de transport et la place du transport aérien dans un contexte où la dimension environnementale se fait jour de manière plus forte à chaque instant.
La parole est à Madame la rapporteure.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a constitué cette mission d'information, à l'initiative du groupe RDSE, et j'en ai été nommée rapporteure en mai dernier. Ma préoccupation majeure concerne bien évidemment la situation des régions très enclavées, restées à l'écart du TGV et des autoroutes et, si vous me permettez l'expression, hors de portée des radars de Paris et des grandes métropoles.
C'est le constat que fait le Cantal, dont je suis originaire, mais celui-ci est également partagé par mes collègues des régions où la continuité territoriale est un enjeu majeur de développement et d'attractivité. Je pense ici, entre autres, aux outre-mer.
Cette préoccupation, madame la ministre, je sais que vous la partagez également. Vous aviez organisé en octobre 2018, avec notre ancien collègue Jacques Mézard, à qui j'ai succédé, alors ministre de la cohésion des territoires, un colloque sur le thème « Aéroports et territoires », dans lequel il était réaffirmé que « les liaisons aériennes sont à même d'apporter très concrètement et plus rapidement qu'au travers de nouvelles infrastructures des réponses à l'enclavement que subissent encore de nombreux territoires, nos concitoyens qui y vivent et les entrepreneurs qui y sont installés ».
Aujourd'hui, un million de Français vivent à plus de 45 minutes d'un accès à l'autoroute, d'une gare TGV ou d'un aérodrome, et 10 millions d'entre eux n'ont accès qu'à un seul de ces modes de déplacement. C'est une forme d'assignation à résidence qui est préjudiciable au développement économique, à l'accès au travail, à l'accès au logement, à l'éducation, aux loisirs et même parfois, malheureusement, à la santé.
Madame la ministre, pouvez-vous nous exposer les mesures qui seront prises très concrètement pour appliquer la stratégie nationale du transport aérien en direction des territoires les plus enclavés et de tous les territoires, qu'il s'agisse des moyens budgétaires, de l'amélioration des services aériens, de la modernisation du cadre réglementaire d'attribution des délégations de service public (DSP) et d'accompagnement technique, juridique, mais aussi financier des collectivités locales ?
L'État transfère aux collectivités des compétences qui impliquent, d'une part, des investissements aéroportuaires lourds pour certaines d'entre elles et, d'autre part, le cofinancement croissant des lignes d'aménagement du territoire. Dans le même temps, une programmation pluriannuelle des finances publiques qui vise à limiter l'évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriale est en jeu. Comment sortir de cette double injonction fixée par l'État aux collectivités territoriales ?
Enfin, au vu du débat à l'Assemblée nationale sur la loi d'orientation des mobilités (LOM), le contexte est assez défavorable au développement du transport aérien. Aussi sommes-nous intéressés par toute mesure qui pourrait limiter l'impact environnemental de ce mode de transport. Tout le monde a à l'esprit la taxe carbone, mais il faut absolument tenir compte de la spécificité de nos territoires et, en particulier, des territoires enclavés, qui ne sont pas les plus favorisés, dont les budgets sont relativement limités et pour lesquels il n'existe pas de moyen de transport se substituant à l'avion.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Madame la ministre, vous avez la parole.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. - Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie pour cette invitation à échanger sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire, notamment au Sénat : je considère que les liaisons d'aménagement du territoire sont essentielles pour nos territoires. Elles répondent à un besoin fort pour un certain nombre de nos concitoyens sur les territoires les plus enclavés, celui de l'accessibilité.
La question de l'accessibilité des territoires est la condition nécessaire pour que les emplois se maintiennent dans ces territoires et qu'ils puissent se développer. La connexion aux centres économiques est un enjeu important pour le dynamisme des territoires. La loi d'orientation des mobilités, dont la commission mixte paritaire se déroulera la semaine prochaine, porte en son coeur un objectif, celui de la mobilité pour tous et partout.
Nous devons sortir du tout TGV. Nous ne pouvons construire des lignes TGV et des autoroutes partout sur le territoire, et certains projets peuvent être questionnables d'un point de vue non seulement économique, mais aussi écologique.
Dans ce contexte, je considère que le transport aérien doit avoir toute sa place dans une politique de mobilité intermodale qui vise à une desserte adaptée et performante de tous les territoires. J'estime que les lignes d'aménagement du territoire sont réellement un outil essentiel au désenclavement des territoires.
Le maillage aéroportuaire dont nous disposons en France peut nous permettre d'apporter aux territoires des réponses adaptées, efficaces et rapides. Quand vous vivez à Castres, à Aurillac, au Puy-en-Velay, la desserte aérienne vers Paris vous connecte non seulement à la capitale, mais aussi au-delà. C'est donc le maillon indispensable sans lequel les entreprises et les emplois ne pourraient se maintenir.
La France compte actuellement trente-cinq liaisons exploitées sous obligation de service public, dont onze intérieures à la métropole. Les liaisons intérieures à la Guyane répondent quant à elles à une autre logique, avec des aides à caractère social et des liaisons entre la métropole et les départements d'outre-mer, pour lesquelles il existe aujourd'hui une offre avec des compagnies souvent diversifiées. Les exploitations sont assurées par le biais de délégations de service public, qui permettent de compenser le déficit d'exploitation des transporteurs aériens qui sont retenus par appel d'offres.
Je tiens beaucoup à ces liaisons d'aménagement du territoire. C'est pourquoi j'ai décidé, suite aux assises du transport aérien, de quadrupler le budget consacré au financement de ces lignes en 2019. Le budget alloué à ces liaisons permettra notamment de poursuivre le soutien de l'État sur les liaisons actuelles - je pense notamment à Aurillac, Brive-la-Gaillarde, Le Puy-en-Velay, Rodez -, de remettre un financement sur des liaisons existantes, notamment au départ d'Agen, Castres, Tarbes, La Rochelle et Poitiers, et de financer les nouvelles liaisons au départ de Limoges et, prochainement, de Quimper.
Je sais que la fiabilité et la qualité de service ne sont pas toujours au rendez-vous. La situation de Hop a particulièrement retenu toute mon attention depuis l'été 2017. J'ai constaté, comme vous, de nombreux retards ou annulations sur un certain nombre de lignes domestiques opérées par Hop, ce qui a conduit à une situation inacceptable pour certains de nos territoires et à une insatisfaction croissante de la part des passagers.
Je me félicite aujourd'hui que le plan d'action qui a été mis en oeuvre suite à mes rencontres avec la direction de la compagnie commence à porter ses fruits et que les annulations de vols se soient restreintes depuis la fin de l'été dernier. Je continue bien sûr à suivre la situation avec beaucoup d'attention, et je note l'attribution récente de deux renouvellements de délégation de service public à Air France sur Aurillac-Paris et Castres-Paris, ce qui doit être la preuve d'une satisfaction des usagers et d'une confiance en voie d'être retrouvée avec les élus.
Au-delà de cette vigilance, des modalités de contrôle administratif et contractuel permettent de s'assurer du respect par le transporteur des obligations de service public. Des pénalités financières ou même des amendes administratives peuvent être mises en place en cas de manquement. Nous n'avons pas eu, à ce stade, à en passer par là, mais cet outil existe.
Enfin, je souhaite que cette politique soit raisonnée et prenne en compte la complémentarité des plateformes et des différents modes de transport, dans une logique globale d'aménagement du territoire. C'est pourquoi j'ai souhaité associer, dès 2018, les régions aux réflexions engagées pour identifier les besoins en matière de dessertes aériennes.
Nous devons aussi prendre en compte la nouvelle réalité institutionnelle issue de la loi NOTRe et agir en partenariat avec les collectivités territoriales, tout particulièrement les régions, qui sont cheffes de file de l'aménagement du territoire et du développement économique. Ce partenariat sera renforcé, notamment en s'appuyant sur les stratégies aéroportuaires que souhaiteront les régions, ou qui ont déjà été mises en place. Elles visent notamment à rechercher une plus grande cohérence de l'offre aéroportuaire et aérienne en examinant la réalité des besoins et la complémentarité avec les autres modes de transport.
À cet égard, en réponse à de nombreux élus locaux, j'ai signé, en mars dernier, conjointement avec Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu, une note clarifiant les compétences et les modalités d'intervention, notamment financières, des collectivités territoriales dans l'organisation et le financement des services de transport aérien public. Ceci visait à répondre à une inquiétude sur la possibilité pour les départements de continuer à intervenir sur ces liaisons d'aménagement du territoire, dont ils sont aujourd'hui, de fait, des acteurs importants.
La Direction générale de l'aviation civile (DGAC) va également publier prochainement un guide destiné aux aéroports et aux collectivités concernées pour bien clarifier le fonctionnement de ces liaisons et les responsabilités qui peuvent être prises par les uns et les autres.
Le dernier sujet que je souhaite évoquer concerne la question de l'impact environnemental du transport aérien. Comme vous l'avez sans doute vu, lors de l'examen de la loi d'orientation des mobilités à l'Assemblée nationale, de nombreux amendements proposant des taxations sous différentes formes ont été discutés. Ils n'ont pas été adoptés, mais les débats ont démontré une volonté de plus en plus forte que le transport aérien contribue davantage financièrement et que ses impacts soient davantage pris en compte en termes d'émissions de gaz à effet de serre et, plus généralement, d'impact environnemental.
Vous avez vu que le projet de loi acte le principe d'une contribution du secteur aérien au financement des infrastructures, ce qui devrait se traduire dans la loi de finances pour 2020. Je pense que la question de la taxation de l'aérien est une question légitime, qui doit être analysée. C'est un débat que la France a porté au niveau européen, et nous allons continuer, puisque c'est certainement la bonne échelle lorsqu'on mesure l'impact du transport aérien sur le climat. C'est aussi à une échelle mondiale qu'il faut agir, comme le fait le mécanisme CORSIA.
Le transport aérien doit évidemment prendre sa part dans les objectifs de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique, ce qui peut passer par l'usage de biocarburants, par une amélioration des motorisations et le recours à des carburants alternatifs, mais également par des mesures de compensation des émissions, ou des taxations.
Quoi qu'il en soit, je pense qu'il faut prendre en compte les liaisons d'aménagement du territoire de façon spécifique. Bien évidemment, ces liaisons ne doivent pas être pénalisées, à l'heure où le Gouvernement souhaite au contraire les encourager.
Je suis naturellement prête à répondre à vos questions.
M. Vincent Capo-Canellas, président. - La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Josiane Costes, rapporteure. - Madame la ministre, comment évolueront les crédits affectés aux lignes d'aménagement du territoire d'ici 2022 ? L'augmentation du nombre de LAT ne risque-t-elle pas de pénaliser les LAT existantes ?
Par ailleurs, selon vous, ne faudrait-il pas contraindre ADP, dans le prochain contrat de régulation économique, à compenser l'augmentation importante des redevances aéroportuaires pour les petits porteurs, qui nous pénalise ?
Enfin, les OSP dans et vers les territoires ultramarins vous semblent-elles devoir évoluer ?
M. Vincent Capo-Canellas, président. - Nous avons eu l'occasion de dire au président d'ADP que le nombre d'avions au contact devait laisser une place particulière aux petites lignes, qui représentent peu de trafic et peu de revenus potentiels. Pour les passagers des lignes en question, c'est un sujet majeur. Il serait bon, à l'avenir, d'étudier en creux ces indicateurs spécifiques et d'exiger un suivi particulier.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je confirme que la trajectoire prévue concernant ces liaisons d'aménagement du territoire prend bien en compte le maintien des liaisons existantes. Les nouvelles liaisons que l'on souhaite mettre en place expliquent l'augmentation de ce budget, mais il ne s'agit évidemment pas de déshabiller l'un pour habiller l'autre. Les liaisons existantes sont sanctuarisées. Je relève que leurs besoins en subventions ne baissent pas. Il faut que l'on s'assure qu'ils n'explosent pas.
Pour ce qui est de la prise en compte par ADP des liaisons d'aménagement du territoire, nous avons prévu de rappeler dans le nouveau cahier des charges l'attention qui doit être portée à la qualité de service. Ces avions ont tendance à être renvoyés en bout de piste, ce qui nuit grandement à la fluidité du passage aéroportuaire, mais peut également dégrader considérablement le temps de liaison.
La question de la structure tarifaire intervenue en 2016 constituera aussi un point d'attention du prochain contrat de régulation économique. Il faut prendre garde à la façon dont on utilise les redevances. La redevance pour service rendu ne peut pas être totalement discriminante pour des avions identiques, mais on réfléchit à y intégrer des critères environnementaux dans une certaine limite. On sait que les avions à hélice sont plus performants sur le plan environnemental, ce qui devrait pouvoir se traduire dans les redevances.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Merci, madame le ministre.
La parole est aux commissaires.
M. Jean-Luc Fichet . - Madame la ministre, j'ai été très attentif à votre propos et à votre souci d'accessibilité de l'ensemble du territoire et d'aménagement du territoire. Ce qui rend la chose difficile, c'est le fait qu'on sollicite aujourd'hui de plus en plus les collectivités locales, que ce soit au niveau communal, intercommunal, départemental, régional, pour participer de manière assez massive au financement des petits aéroports ou des aéroports en déficit. Or ces montants sont très importants.
Les mêmes collectivités locales sont aussi sollicitées pour les ports, le très haut débit ou l'eau, comme dans le cadre du programme GEMAPI, pour lequel on a du mal à tenir notre engagement. Les collectivités, en plus du fait qu'elles aient subi des restrictions de dotations, ne sont plus du tout en mesure de faire face à ces financements.
Dans le futur, le risque est de voir les aéroports fermer. Prenons la ligne de Quimper : sans une aide plus importante de l'État, on peut avoir quelques soucis à propos de sa longévité. Notre mission l'a bien mesuré lors de son récent déplacement dans cette ville. Je voudrais connaître votre avis à ce sujet. Comment faire en sorte que les collectivités n'aient pas à supporter de telles charges ?
Mme Victoire Jasmin . - Madame la ministre, lors de notre déplacement à Quimper, nous avons constaté les inquiétudes des acteurs économiques, en particulier en termes d'emplois, comme chez Armor-Lux.
S'agissant des outre-mer, et plus particulièrement de la Guadeloupe, j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer les difficultés que nous rencontrons dans notre archipel. Ainsi, l'aérodrome de Marie-Galante n'est pas utilisé pour le moment. J'aurais aimé savoir ce que vous en pensez.
Par ailleurs, je voudrais attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent les évacuations sanitaires entre les îles du Nord, la Guadeloupe, et la Martinique. La Norwegian, pour des raisons économiques, n'assure plus les rotations prévues avec les États-Unis ou la Guyane, et les coûts sont très importants du fait de l'exclusivité d'Air France entre la Guadeloupe et la Guyane.
En outre, du fait des sargasses, certains bateaux ont des difficultés pour se déplacer entre La Désirade, Marie-Galante, les Saintes, Terre-de-Haut et Terre-de-Bas. Il faut certes penser aux problématiques liées à l'environnement, mais également trouver des alternatives.
M. Rachid Temal . - Madame la ministre, je salue la volonté qui est la vôtre de maintenir les LAT, avec les difficultés qu'a évoquées le sénateur Fichet.
Je suis sénateur du val d'Oise et j'aimerais évoquer les questions d'intermodalité que l'on rencontre avec Roissy, notamment en matière de transports ferroviaires, à propos desquels on connaît encore des problèmes d'aménagement. Qu'avez-vous prévu à ce sujet ?
Enfin, il semble nécessaire d'investir si l'on veut avoir, demain, des biocarburants de nouvelle génération dignes d'être utilisés à grande échelle. Pouvez-vous nous en dire plus ? Je pense qu'il s'agit là du point de départ d'une chaîne vertueuse.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Madame la ministre, vous avez la parole.
Mme Élisabeth Borne, ministre . - Monsieur Fichet, je voudrais tout d'abord rappeler que nous n'avons pas réduit les dotations des collectivités, contrairement à ce qui a pu se passer en d'autres temps. Je ne doute pas que les problèmes soient nombreux, mais je puis vous assurer que l'État a, de son côté, pas mal de sujets.
Il est très important que les régions s'emparent de ces enjeux de stratégie aéroportuaire - et elles sont en train de le faire. Ce sont bien elles qui peuvent trouver le meilleur équilibre. Elles ont une compétence d'aménagement du territoire et peuvent arriver à avoir à la fois le maillage de proximité dont on a besoin et, en même temps, s'assurer qu'il n'y a pas de doublon entre les différents aéroports.
Je pense que les choses avancent globalement. De nombreuses régions se sont maintenant emparées de ce sujet, comme on a pu le voir lors des assises du transport aérien. J'ai trouvé très intéressant qu'un président de région préside l'atelier sur les dessertes des territoires. Les régions pourront évidemment solliciter l'intervention complémentaire des autres collectivités, mais elles ont bien un rôle de cheffe de file pour déterminer le meilleur maillage aéroportuaire.
Madame Jasmin, l'aéroport de Quimper est dans ce cadre - et je pense que la région Bretagne l'a bien en tête. Je sais qu'une interruption de la liaison telle qu'elle était opérée jusqu'à présent, sans obligation de service public, est prévue à la rentrée. Nous avons immédiatement réagi en mettant en place une liaison avec obligation de service public. Nous sommes en discussion avec Air France. Je ne souhaite pas une interruption, même pour quelques semaines. Il faudra qu'Air France s'assure qu'on n'interrompt pas la liaison librement organisée le temps qu'arrive l'obligation de service public, qui doit démarrer fin octobre. Mon cabinet échange avec Air France pour arriver à cet objectif.
Je suis également bien consciente de l'importance du transport aérien pour les outre-mer. C'est une part importante du trafic domestique français, qu'il s'agisse des liaisons entre les outre-mer et l'Hexagone, mais aussi des liaisons entre les outre-mer elles-mêmes. Ce doit d'ailleurs être un des segments les plus dynamiques dans la croissance du trafic aérien.
Quantitativement, il existe des offres sur nos territoires d'outre-mer, même si on doit prêter attention à quelques cas particuliers. On doit parvenir à diversifier les compagnies. Norwegian s'est effectivement retirée. Cette société connaît un certain nombre de difficultés. On se demandait comment elle faisait : on voit que cela ne fonctionne pas si bien. Il n'existe malheureusement pas de recette magique.
De nouveaux transporteurs devraient arriver prochainement sur Pointe-à-Pitre. L'idée de l'atelier présidé par Serge Letchimy concernant les outre-mer lors des assises du transport aérien est de les faire rayonner dans leur bassin régional. Il convient de faire preuve de beaucoup plus de souplesse et d'adaptabilité en rendant possible des arrangements administratifs permettant des droits de trafic supplémentaires à l'échelle de chacun des bassins. C'est un outil important de développement et une façon de donner à la France le rôle qui lui revient à l'échelle de la planète. On va suivre avec beaucoup d'attention les discussions qui pourront avoir lieu dans chacun des bassins régionaux, sans gérer cela depuis Paris, ce qui paraît assez inadapté.
En effet, monsieur Temal, la question de l'accessibilité et de l'intermodalité de la desserte est un enjeu important. C'est évidemment le cas de Roissy, avec les perspectives de développement du nombre de passagers. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité mener à bien le projet CDG Express, même si, compte tenu des enjeux sur les transports du quotidien, on a fait le choix de partir sur un calendrier plus réaliste.
C'est aussi le cas d'autres aéroports : la desserte Nantes Atlantique est un sujet au coeur des débats. On doit absolument proposer des solutions alternatives à la voiture. C'est un travail que doivent mener les gestionnaires de plateformes et les collectivités.
S'agissant des biocarburants, la création d'une filière constitue un enjeu très important. Je crois à la possibilité d'avoir, après 2035, un transport aérien zéro carbone. La France est l'un des rares pays qui dispose de toute la chaîne de compétences dans le domaine de la construction aéronautique avec Airbus, Safran, Thales. Notre pays bénéficie en outre de grands acteurs de la filière hydrogène. Ce peut être une façon d'avoir un coup d'avance par rapport aux constructeurs aéronautiques mondiaux.
Ce n'est manifestement pas un sujet qui motive énormément Boeing qui, outre ses problèmes techniques propres, sur lesquels je ne reviendrai pas, travaille sur des avions supersoniques, ce qui est un signal étrange au moment où - en tout cas dans les pays européens - les enjeux écologiques prennent une importance particulière. On est certain que les supersoniques ne constituent pas la meilleure réponse en la matière. Je suis donc convaincue que la réflexion sur les filières zéro carbone donnera un coup d'avance aux transports aériens et terrestres. On a bien vu, au Bourget, que Safran dispose de toutes les cartes, même si cela suppose ensuite de concevoir des aéronefs différents.
Les biocarburants ont certainement un rôle important à jouer dans cette période de transition, durant laquelle des avions de plus petite capacité et de portée plus réduite pourront certainement passer progressivement à l'électrique.
On sait aujourd'hui que ce n'est pas la motorisation qui limite la capacité à utiliser du biocarburant. C'est pourquoi on réfléchit à l'obligation d'incorporer des biocarburants de façon aussi harmonisée que possible à l'horizon 2025, objectif prévu à l'échelle mondiale. La France devrait même pouvoir faire mieux grâce à ses filières sucrières, aux sous-produits vinicoles, ou aux algues. Ce pourrait être intéressant dans les outre-mer. C'est pourquoi il faut accélérer les choses.
M. Michel Canevet . - Madame la ministre, je partage totalement vos propos sur la question du carburant : à mon sens, il faudrait que les taxations sur le transport aérien soient orientées vers la valorisation et la recherche de solutions pour le développement des énergies alternatives. Cela me semble logique.
Je voulais surtout, en tant qu'élu du Finistère, revenir sur la liaison avec Quimper, dont le service a été dégradé du fait de l'absence d'intérêt de Hop : 150 vols ont été annulés entre Quimper et Paris ou Paris et Quimper en 2017. Ceci a fait fuir une bonne partie de la clientèle. Hop a prétendu perdre beaucoup d'argent sur la ligne, malgré des prix de billet très élevés pour la plupart des usagers.
Fort heureusement, vous avez proposé que cette ligne rejoigne les liaisons d'aménagement du territoire. À Quimper, les membres de la mission ont pu se rendre compte des attentes des acteurs économiques vis-à-vis de cette liaison.
Comme le disait Mme la rapporteure, il faut que le financement des contrats pluriannuels soit assuré et le cahier des charges bien cadré. Du côté de Lannion, la ligne d'aménagement du territoire a été abandonnée, le cadrage financier, insuffisamment précis, entraînant des surcoûts qui pénalisaient la pérennité de la ligne. Il faut donc rester dans le cadre de cette dotation. Comme le disait Jean-Luc Fichet, les collectivités ne disposant pas de moyens illimités, l'enveloppe doit être relativement cadrée.
Vous avez bien saisi la problématique née de l'interruption de la liaison pendant deux mois. Je pense personnellement qu'il faut permettre aux acteurs économiques d'utiliser au moins une liaison par jour si jamais on ne peut obtenir d'améliorations. Je ne méconnais pas les problèmes de fermeture d'une des pistes d'Orly pour travaux, mais il semble indispensable de ne pas « casser » la liaison. Seuls deux acteurs, Chalair et Hop, ont fait acte de candidature. Certes, le modèle économique de Hop a parfois posé question, mais il faudra que l'entreprise puisse s'adapter, car il s'agit d'un acteur important pour le désenclavement des territoires. Même si le train existe, il est nécessaire de conserver l'avion pour effectuer le trajet dans des temps plus courts.
M. Dominique Théophile . - Madame la ministre, vous n'avez pas répondu à Victoire Jasmin au sujet de la desserte de Marie-Galante par voie aérienne. Le seul moyen pour se transporter à Marie-Galante est d'emprunter la voie maritime. L'aérodrome n'est pas utilisé. Je sais que le terrain est propriété du conseil départemental. Le lancement de la DSP ou du marché relèverait de la région Guadeloupe. Quelle est la nature du problème ? Les habitants de Marie-Galante, compte tenu des problèmes de sargasses et de développement économique, ont un fort besoin de transport aérien.
Par ailleurs, il est parfois plus long de se rendre de la Guadeloupe à la Barbade que de Paris en Guadeloupe. J'ai moi-même été obligé d'aller à la Dominique, puis de repasser au-dessus de la Guadeloupe, soit sept heures de voyage, alors que le trajet entre la Guadeloupe et Antigua ne prend que 30 minutes environ.
Il existe, vous l'avez dit, des arrangements administratifs divers. Certaines compagnies sont prêtes à faire de l'avion taxi sur cette zone. On sait qu'une liaison entre la Guadeloupe et la Barbade ne sera pas rentable, mais on pourrait facilement opérer sur trois ou quatre destinations et trouver une forme de rentabilité.
Par ailleurs, la Guadeloupe vient de signer un accord avec l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO) qui va permettre d'intensifier les échanges. Or seul l'avion peut permettre les déplacements dans la région Caraïbes.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Madame la ministre, la performance du trafic aérien dépend aussi de celle du contrôle aérien. Or d'énormes progrès sont à réaliser en la matière. Quel est votre avis à ce sujet ? Un plan d'action est-il prévu pour améliorer la situation dans les mois qui viennent ?
Enfin, on compte en France 460 aérodromes, dont 120 aéroports qui accueillent des passagers. Les petits aéroports régionaux sont-ils selon vous insuffisamment performants ? Comment rationaliser ce maillage ?
M. François Bonhomme . - Madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur votre souhait de voir le transport aérien contribuer plus fortement au financement de l'AFIT ? Le secteur aérien doit-il financer la route ?
D'autre part, quelle place accordez-vous aux efforts réalisés par beaucoup de compagnies aériennes, dont Air France, dans la réduction du CO 2 ? Il ne faudrait pas que l'urgence de la situation - que personne ne conteste par ailleurs - nous empêche d'avoir une vision plus globale du problème.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Il est vrai qu'il faut parvenir à concilier le maintien du service public, de la compétitivité et de l'emploi avec les exigences environnementales.
Mme Élisabeth Borne, ministre . - Monsieur Canevet, je partage entièrement votre point de vue concernant la nécessité de maintenir la continuité entre le niveau actuel des fréquences et l'obligation de service public qui interviendra fin octobre. Je peux vous assurer que nous avons des échanges nourris avec Air France à ce sujet. Air France doit pouvoir l'entendre, et mes équipes l'ont d'ores et déjà indiqué avec insistance.
On fonctionne dans un système normal d'autorisations d'engagement pluriannuelles et de crédits de paiement. On veille donc à la continuité afin de disposer des crédits pour honorer les engagements qui peuvent être signés.
Monsieur le sénateur Théophile, il existe des sujets intrarégionaux. On est donc tout à fait dans le champ de compétence de la région. Nous n'avons pas été saisis d'une demande sur la façon dont on pourrait techniquement mettre en place de telles obligations de service public, mais je suis à la disposition des élus pour étudier comment la région Guadeloupe pourrait intervenir sur ces questions.
Je pense qu'on doit être capable de simplifier très fortement la gestion des droits de trafic dans les bassins régionaux. C'est le sens des dispositions que nous portons avec le ministère des affaires étrangères. Il convient d'organiser des conférences annuelles avec les acteurs locaux pour apprécier les besoins et établir les arrangements administratifs qui permettront de lever les blocages. Ceci doit être géré au plan local.
Monsieur le sénateur Houllegatte, il existe un excellent rapport qui montre à quel point le contrôle participe de la performance du transport aérien...
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous êtes trop aimable - ou trop indulgente, madame la ministre !
Mme Élisabeth Borne, ministre . - Le retard à rattraper est important. Plusieurs phénomènes expliquent une forme de saturation de l'espace aérien que l'on retrouve dans toute l'Europe. La France fait partie des pays qui connaissent des difficultés. La régulation européenne a sous-estimé la croissance du trafic aérien. Les recrutements et les investissements ont été partout calibrés trop bas pour répondre aux enjeux.
Nous avons eu récemment des échanges avec la Commission européenne. Il faut prendre garde, quand on aborde ces questions, de ne pas avoir une approche uniquement financière et budgétaire, et de bien prendre en compte les enjeux de fluidité et de qualité du transport aérien à l'échelle européenne. C'est en ce sens que nous plaidons, avec d'autres États, pour ne pas refaire, dans la période de régulation à venir, les erreurs qui ont pu être commises, notamment en matière de contrôle aérien.
À ceci s'ajoute un retard en termes d'investissements, notamment s'agissant de tous les grands outils de contrôle aérien. C'est un retard qu'il va nous falloir rattraper. Il s'agit de systèmes logiciels complexes, sur lesquels, à la suite du rapport du sénateur Capo-Canellas, j'ai souhaité exercer un suivi régulier. Ces outils sont indispensables pour préparer l'aviation civile de demain.
J'admire les contrôleurs aériens : on ne mesure pas toujours la complexité de leur métier et la responsabilité qui est la leur de gérer, avec très peu d'outils technologiques modernes, un trafic aérien extrêmement dense. Il est de notre devoir de leur donner des outils adaptés. C'est ce à quoi on est en train de s'employer.
Quant au maillage, il est de la responsabilité des régions de réfléchir à leur schéma aéroportuaire. Je sais qu'elles s'en sont largement saisies et je ne porterai pas, depuis Paris, un jugement sur ce sujet. Je pense que les régions sauront mieux l'apprécier que nous.
Monsieur Bonhomme, le transport aérien a certes fait des progrès qui méritent d'être soulignés. Il est par ailleurs le premier à s'être engagé dans un accord international sur la maîtrise de ses émissions de gaz à effet de serre. Le mécanisme CORSIA doit être absolument préservé. Il faut l'articuler avec le système européen ETS. L'enjeu des deux systèmes est important.
On peut aussi entendre un certain nombre de questionnements de la part des citoyens sur le fait qu'il n'existe pas de TVA sur les vols intra-européens ou de taxation des carburants aériens. Il faut réfléchir à une approche partagée des efforts et des équilibres.
Cela ne doit pas pour autant handicaper nos compagnies aériennes. On peut partager les comparaisons qu'on a pu faire sur les coûts de touchée. Chaque État peut avoir des répartitions entre taxes et redevances correspondant à ses propres règles. Les comparaisons européennes montrent que le coût de touchée, en France, est très comparable à celui qu'on trouve en Allemagne, mais inférieur à celui du Royaume-Uni. La Suède et les Pays-Bas, qui se disent en pointe dans le combat en faveur de la transition écologique et de son inclusion dans le transport aérien, sont des États qui ont le niveau de taxes et de redevances le plus bas d'Europe - même si on peut comprendre que leur prise de conscience soit plus tardive que les autres.
Un certain nombre d'amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale pour interdire les liaisons aériennes domestiques. Je pense qu'il faut trouver un bon équilibre. Lorsqu'il existe une offre ferroviaire performante, les Français s'en saisissent. C'est ce qui explique que le trafic aérien a baissé de 42 % entre Paris et Bordeaux depuis la mise en service de la ligne Tours-Bordeaux, qu'on a plus de liaisons aériennes entre Paris et Strasbourg en dehors de la desserte du Parlement européen, et plus de liaisons aériennes entre Paris et Bruxelles.
On ne peut toutefois négliger le fait que certains territoires qui n'ont pas de TGV ont besoin de liaisons d'aménagement du territoire. Il ne faut pas non plus perdre de vue l'importance de la continuité territoriale avec nos outre-mer et la Corse, liaison qui s'est beaucoup renforcée ces dernières années.
Pendant que le trafic radial baisse, le trafic d'un certain nombre de transversales augmente. C'est dans l'ordre des choses. Il faut donc raison garder quand on parle de ces sujets très sensibles. En tout état de cause, il faut faire connaître la réalité de l'évolution du trafic aérien et son changement de positionnement dans notre pays. Au fur et à mesure des liaisons TGV, le trafic aérien diminue sur les lignes correspondantes, mais il reste des besoins à prendre en compte.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - S'agissant de la taxation, l'écart de compétitivité est dû à plusieurs facteurs, notamment les coûts sociaux. Par rapport à d'autres pays comparables, dont l'Allemagne, nous l'avons chiffré à plus ou moins 700 millions d'euros. Cet écart a été réduit, notamment à votre initiative, mais il reste au moins 500 à 600 millions d'euros de différence.
Quant à la TVA sur les billets d'avion, il ne faut pas oublier que l'on paye une TVA sur des taxes !
M. Didier Mandelli . - Madame la ministre, le Sénat a voté une demande de rapport sur la question des carburants, élargie aux transports maritimes, sans préjuger de la nature du carburant lui-même. On a plutôt parlé de carburants alternatifs au sens large, toutes les solutions devant être envisagées. Cette demande de rapport n'a pas été remise en cause à l'Assemblée nationale, où elle a même été enrichie.
Par ailleurs, un amendement a été voté à l'Assemblée nationale concernant l'affectation du surplus de la taxe dite « Chirac » à hauteur de 30 millions d'euros, ce qui ne préjuge en rien ce qui pourrait être proposé demain au travers du prochain projet de loi de finances.
Nous avons également, en lien avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, souhaité qu'une étude comparative soit menée sur les taxations des différents pays européens sur le sujet, ce qui nous permettra d'appréhender de façon globale l'ensemble des critères sur cette question. La CMP arrivant le 10 juillet, on devrait avoir, sur ces deux sujets, des éléments complémentaires.
Mme Sonia de la Provôté . - Madame la ministre, je voulais rebondir sur votre intervention concernant le ferroviaire et le lien avec l'aérien. Vous avez dit que les Français se saisissent de l'offre ferroviaire quand elle est performante. Or on ne peut pas toujours parler de performances dans ce domaine - je peux en témoigner !
La réflexion globale et la complémentarité entre les deux modes de déplacement est un peu faussée, la SNCF devant réfléchir à sa réorganisation, des transferts de compétence aux régions étant prévus dans le secteur ferroviaire. Beaucoup de ces fameuses lignes transversales ont disparu.
Y a-t-il une prospective globale, alors que la SNCF va devoir affronter l'ouverture à la concurrence ? Quelle est la meilleure solution pour aller d'un point à un autre ? A-t-on une cartographie des infrastructures nécessaires à mettre en place, ferroviaires ou aériennes ?
Il est en effet extrêmement compliqué de sanctuariser un faisceau ferroviaire - et donc du foncier - ou de prévoir une extension d'aéroport. Je pense que ces questions vont se poser à l'avenir. Peut-être faut-il s'unir pour avoir une véritable vision de l'aménagement du territoire et des projets communs sur le terrain.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Madame la ministre, vous l'avez souligné, il existe des territoires très enclavés, dont le seul moyen d'en sortir reste l'aérien. Malheureusement, ces territoires sont généralement des territoires dont le revenu par habitant est bas et où les collectivités ont souvent des difficultés financières.
Une exonération totale de la carte de la taxe carbone ou une prise en compte d'un degré de substituabilité entre l'avion et le train sont-elles éventuellement envisageables pour ces lignes d'aménagement du territoire qui concernent des zones particulièrement enclavées ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - On a bien en tête que la réflexion sur la taxe carbone se situera au niveau européen.
Mme Élisabeth Borne, ministre . - Je n'ai pas grand-chose à ajouter par rapport à ce qu'a dit le sénateur Mandelli. Je pense que la démarche de mise à plat que vous avez engagée avec l'Assemblée nationale est vraiment importante. Il faut qu'on sorte des visions un peu trop schématiques que j'évoquais pour les pays qui paraissent en pointe et qui sont finalement en retrait. Cela vaut pour tous les comparatifs.
Oui, il faut s'assurer que nos villes bénéficient d'une bonne accessibilité et des moyens adaptés à leur situation. Je pense que notre réseau ferré reste puissant. La difficulté qu'on a est de s'assurer d'un maillage fin, ce qui renvoie à des sujets très sensibles pour certaines lignes, mais on maintiendra les liaisons dites principales du réseau ferré dans les prochaines années.
On va devoir continuer à approfondir l'évaluation des projets avec la mise en place du Conseil d'orientation des infrastructures (COI). Je partage l'avis du Commissariat général au développement durable (CGDD) sur la nécessité de prendre en compte le fait que la valeur du temps, paramètre important dans l'appréciation d'une infrastructure, change lorsqu'on effectue un trajet en TGV avec la Wifi et son ordinateur portable. La fréquentation de la liaison Toulouse-Paris, depuis la mise en service de la ligne Tours-Bordeaux, a été sous-estimée.
Je pense qu'il faut qu'on relance cette réflexion. Le Conseil d'orientation des infrastructures devra le faire pour actualiser la vision qu'on peut avoir de notre programmation. On doit absolument prendre en compte les évolutions des enjeux environnementaux, qui sont peut-être sous-pondérées dans l'appréciation de nos projets, et par ailleurs l'évolution de la valeur du temps, qui doit aussi nous amener à recaler nos modèles, qui ne rendent pas bien compte de la réalité actuelle.
Enfin, concernant la substituabilité, certains motifs d'intérêt général doivent être pris en compte face aux enjeux de l'aérien. Quand il n'existe pas d'alternative, il faut évidemment y réfléchir.
Certains amendements l'ont bien démontré : prendre l'avion pour un trajet Paris-Rennes peut paraître curieux. Pour Paris-Aurillac, il n'y a pas vraiment de substitution à la hauteur.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Merci, madame la ministre.
Audition de M. Pierre-Olivier Bandet,
directeur
général-adjoint de Air France HOP
(Jeudi 4 juillet
2019)
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Pierre-Olivier Bandet, directeur général adjoint d'Air France et président de HOP. Lors de la précédente audition, Monsieur le directeur général, j'ai indiqué que vos oreilles allaient sans doute siffler. En effet, nous avons été interpellés à de nombreuses reprises sur la qualité des dessertes des territoires.
Nous sommes conscients que vous venez de prendre votre poste, il y a quelques mois à peine. Nous avons également constaté que le cap est en train de changer. Madame la rapporteure et chacun de nos collègues vont sans doute vous interroger sur la capacité de HOP à retrouver une qualité de service sur l'ensemble des liaisons que vous opérez, y compris les lignes d'aménagement du territoire.
Par ailleurs, Air France a annoncé une série de décisions, entraînant une « réduction de sa voilure » assez importante. Pouvez-vous nous en indiquer les raisons ? Comment allez-vous maintenir la connectivité entre certains départements et nos territoires ?
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Monsieur le directeur général, avant de vous poser mes questions, je tiens à préciser que je suis sénatrice du Cantal, et à ce titre, j'emprunte régulièrement la ligne Paris-Aurillac, sur laquelle nous avons connu des déconvenues importantes en 2017 et 2018. C'est le cas également de mes collègues finistériens sur la ligne Quimper-Paris, que nous avons expérimentée le 24 juin dernier. Nous avons d'ailleurs volé avec deux appareils différents : un ATR à l'aller et un Embraer au retour.
L'objet de notre mission est avant tout de nous préoccuper du désenclavement par le transport aérien de territoires éloignés de Paris et à l'écart du TGV et des autoroutes. Aussi, votre avis nous intéresse car vous êtes à la tête de la seule grande compagnie régionale opérant des lignes commerciales et sous délégation de service public en métropole. Nous avons également auditionné les dirigeants de Chalair et de Twinjet qui, à une moindre échelle, opèrent des vols régionaux.
Vous vous en doutez, nous aurons des questions assez critiques sur le service rendu par HOP en ce qui concerne sa qualité et sa ponctualité. On a parfois l'impression que la clientèle du transport régional est une clientèle de « seconde zone » qui n'est pas la priorité de la compagnie.
Mais avant de revenir sur ces sujets, je souhaiterais que vous commenciez par nous donner votre vision du transport régional en France, notamment : des données chiffrées sur le nombre de lignes opérées et de passagers transportés par Air France HOP ; la refonte en cours du transport régional et de HOP au sein d'Air France et les orientations stratégiques du groupe concernant les lignes commerciales et lignes sous DSP ; enfin, l'identification des besoins de liaisons aériennes pour desservir certains territoires qui à votre sens présentent une attractivité économique et touristique à développer.
Je vous remercie pour vos premières réponses et nous prolongerons la discussion avec mes collègues.
M. Pierre-Olivier Bandet, directeur général-adjoint de Air France HOP . - Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de procéder à une clarification : l'année dernière, HOP était à la fois une marque commerciale et le nom de la compagnie aérienne correspondante. Depuis le début de l'année, le groupe a pris la décision d'utiliser uniquement le nom Air France comme marque commerciale, HOP restant le nom de la compagnie aérienne. Cette compagnie est de taille significative : une soixantaine d'avions, 2 400 personnels au sol, 700 pilotes, 700 hôtesses et stewards, 1 100 personnels au sol qui sont répartis entre les sites de Nantes, Clermont-Ferrand, Morlaix, Lille, Lyon et en région parisienne. Désormais notre compagnie opérera uniquement sous la marque commerciale Air France.
Comme vous l'avez souligné, la compagnie HOP a connu, en 2017 et 2018, un véritable accident industriel. Je ne vais pas revenir sur les causes, mais de manière schématique, nous avons procédé à la fusion de trois compagnies. Une fusion de sociétés est toujours quelque chose de très difficile - et cela l'est encore plus dans le secteur du transport aérien. À cela s'est ajouté le nombre important de départ de pilotes vers la société mère Air France. La conjoncture de ces deux évènements s'est traduite par de nombreuses annulations de vols, de nombreux retards, des affrètements d'autres compagnies. Toutes les lignes ont été touchées. Je tiens à le préciser : nous n'avons pas particulièrement ciblé les lignes sous délégation de service public (DSP). Nos dessertes entre Roissy et les grandes villes européennes ont également été concernées. Bien évidemment, il ne s'agit pas des standards de services que nous visons au sein du groupe Air France, et cela ne reflète pas non plus - et je tiens à le dire devant vous - l'engagement et le professionnalisme des personnels de HOP. Je vous réitère nos excuses. Depuis, la situation s'est un peu redressée. Vous aurez peut-être encore des critiques à nous faire. Mais, et il s'agit d'un combat quotidien, les niveaux d'annulation et de problèmes rencontrés par la compagnie HOP sont comparables aux attentes du groupe Air France. Toutefois, et j'en suis bien conscient, il est évident que toute annulation est une annulation de trop. La ponctualité de nos vols s'est également améliorée.
Nous exploitons actuellement au sein du groupe Air France six lignes d'aménagement du territoire : Aurillac-Orly, Castres-Orly, Brive-Orly, Tarbes-Lourdes-Orly, La Rochelle-Poitiers, Lyon-Strasbourg-Amsterdam. En outre, nous participons à un consortium avec Air Corsica, afin d'assurer un service public de transport vers la Corse et ses aéroports : Bastia, Ajaccio, Figari. Ces lignes d'aménagement du territoire - hors desserte de la Corse - représentent environ 400 000 passagers par an. Ce nombre est en augmentation. Nous avons également augmenté de 30 % notre capacité de transport ces quatre dernières années. Ces lignes représentent 2 à 3 % du nombre de passagers du court-courrier d'Air France. Cela représente moins de 1 % du trafic total d'Air France, et moins de 0,5 % du trafic d'Air France-KLM.
Le groupe Air France a communiqué sur des pertes importantes sur le court-courrier. Une partie de ces pertes peut s'expliquer par l'accident industriel que j'évoquais au début de mes propos. Toutefois, il y a une tendance de plus long terme. Aussi, Air France a annoncé son intention de réduire la capacité de ses lignes de 15 % environ entre 2018 et 2021. Malgré cela, le groupe Air France conservera environ 65 % de parts de marché des destinations françaises, que ce soit au départ de Paris ou entre les régions. Nous sommes proportionnellement plus présents en France que nos principaux concurrents dans leurs pays d'origine : Lufthansa en Allemagne, et, de manière encore plus importante, British Airways au Royaume-Uni. Bien évidemment, je n'indiquerai pas aujourd'hui les lignes qui ont vocation à être réduites ou suspendues dans les saisons ultérieures. Nous avons dû prendre un certain nombre de décisions. Par exemple, nous nous sommes désengagés de l'obligation de service public (OSP) entre Orly et Agen. Nous avons également fermé quelques lignes au départ de Strasbourg. Mais dans tous les cas, nous continuerons à maintenir une présence forte sur l'ensemble du territoire.
Nous avons pris la décision de faire sortir l'ensemble des ATR de la flotte d'HOP. Ce n'est pas parce qu'il s'agit d'un mauvais avion. Je tiens à affirmer avec beaucoup de conviction qu'il s'agit d'un très bel appareil. Mais, depuis la fusion entre nos compagnies, la gestion de la flotte est très complexe en raison de l'existence de cinq cockpits différents. Cette diversité a une incidence forte, en termes de formation de nos pilotes, de maintenance et d'entretien de nos appareils. Aussi, nous allons réduire progressivement notre flotte à deux cockpits, en sortant les deux variantes d'ATR que nous possédons : les ATR 500 et les ATR 600. Nous avons également annoncé notre intention, à l'horizon de l'été 2021, de sortir de notre flotte les Embraer 145.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Quels modèles d'avion conservez-vous ?
M. Pierre-Olivier Bandet . - Nous conservons les Embraer 170 et 190 qui ont une capacité de 70 à 100 sièges, ainsi que les CRJ 700 et les CJ 1000 d'une capacité équivalente. Nous aurons 32 modèles de l'un et 40 de l'autre, soit une flotte de taille suffisante pour garantir une exploitation. Nous n'aurons plus d'appareils de 50 sièges, comme celui qui opère la desserte d'Aurillac. Nous n'aurons plus non plus d'avions à turbo-propulsion. Enfin, pour les lignes d'aménagement du territoire, comme nous le faisons aujourd'hui, nous pourrons dans certains cas recourir à des partenaires, soit sous le mode de l'affrètement, c'est-à-dire que nous gardons la responsabilité commerciale et nous faisons appel à un prestataire, soit sous forme de partage de code, une autre compagnie commerciale déploie sa capacité sur la ligne et nous apportons notre présence commerciale, notre force de commercialisation.
En conclusion, nous devons continuer à améliorer
la qualité du service rendu. Nous pouvons encore faire mieux. Ce travail
se fait en liaison également avec Aéroport de Paris. Je sais que
vous avez auditionné Augustin de Romanet. Nous observons une
augmentation du taux de contact à Orly
- c'est-à-dire que
le passager n'a pas besoin d'un bus pour rejoindre le terminal - qui est
passé de 40 % à 67 %. Nous travaillons également sur une
réduction des coûts, avec notamment des plans de départs
volontaires sur un certain nombre d'escales, la simplification de la flotte.
Toutefois, je tiens à souligner qu'une grande partie du prix payé
par le passager est due à des taxes - entre 30 et 50 % du prix du
billet. En outre, pour de nombreux coûts, nous avons une marge de
négociation à peu près nulle, comme le prix du carburant
ou de certaines pièces de main d'oeuvre en situation de monopole ou
duopole. Lorsque l'on enlève tous ces postes de coût, nous
arrivons à des postes à fort taux de main d'oeuvre, en raison du
droit social français. D'ailleurs, en tant qu'élus, vous nous
interpellez lorsqu'un site d'Air France sur les territoires risque de perdre
des emplois. La capacité à améliorer notre économie
est assez limitée. Aussi, des financements sont nécessaires pour
les lignes d'aménagement du territoire.
Le financement des OSP représente 30 millions d'euros sur l'ensemble des destinations, auxquels s'ajoutent 30 millions d'euros annoncés par Mme Borne. Nous sommes conscients de l'effort financier que cela représente pour l'État et les collectivités territoriales. Toutefois, il faut savoir que les lignes d'aménagement du territoire sont inscrites dans nos comptabilités en perte : les subventions sont donc insuffisantes. Certes, ces lignes coûtent cher au contribuable, mais il faut les comparer au coût d'un kilomètre de TGV, qui est je crois de 30 millions d'euros. Il faut également le comparer aux aides directes ou indirectes attribuées par les collectivités locales et les aéroports aux compagnies low-cost. On les estime de 40 à 100 millions d'euros, pour autant que l'on puisse accéder à ces informations. La légalité de ces subventions est parfois douteuse. La Commission européenne a d'ailleurs demandé à la France de récupérer des aides illégales versées aux aéroports d'Angoulême, Pau et Nîmes. Il me semble que cet argent pourrait être mieux utilisé dans l'aménagement du territoire, plutôt que versé à des compagnies aériennes souvent étrangères. Mais je suis conscient que la situation sur le terrain est plus compliquée que sur le papier.
Enfin, et je terminerai sur ce point, j'ai noté avec plaisir la tribune signée par des parlementaires, dont un certain nombre d'entre vous, pour redonner un peu de rationalité au débat sur le transport aérien et le développement durable. C'est un sujet évidemment important. Les compagnies aériennes s'engagent aussi dans ce domaine.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Je souhaite signaler que le chiffre que vous citez nourrit notre réflexion : peut-être qu'une certaine réorientation serait possible, sans toutefois remettre en cause la liberté des collectivités territoriales. J'ai également noté les efforts faits par la compagnie HOP pour assurer une meilleure ponctualité et régularité.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Ma première question concerne les ATR. Si j'ai bien compris, vous allez les sortir de votre flotte, alors qu'ils sont utilisés sur de nombreuses lignes d'aménagement du territoire. Vous allez donc être obligé de sous-traiter, car ces lignes n'ont pas la capacité de remplir des avions plus grands. Comment cela va se passer concrètement ? À quelle difficulté réelle êtes-vous confrontés avec les ATR ? Nous avons connu sur Aurillac des années catastrophiques, avec des annulations, des atterrissages à Toulouse, qui se situe quand même à trois heures et demie en voiture de la destination prévue, ou encore à Montpellier ou Limoges. Nous avons même subi un incident très grave qui a marqué les esprits et n'a pas forcément contribué à augmenter la fréquentation de cette ligne.
Nous avons tous une relation complexe avec les avions à hélice qui attirent moins les voyageurs. Mais nous avons compris qu'ils émettent moins de CO 2 et sont plus faciles à rentabiliser sur des petites lignes. Certes, ils mettent un peu plus de temps, mais sont plus respectueux de l'environnement et moins coûteux dans leur exploitation. En quoi le fait de sortir ce type d'avions de votre flotte va vous aider à régler vos problèmes de compétitivité et de coûts ?
M. Pierre-Olivier Bandet . - Bien évidemment, nous reconnaissons les mérites et vertus de l'ATR. Nous pensions pouvoir améliorer la situation de la compagnie HOP en ayant recours à la nouvelle génération d'ATR, les 600. Toutefois, les résultats n'ont pas été au rendez-vous. Aussi avons-nous fait le choix de simplifier le nombre de types d'avions exploités par la compagnie : une compagnie aérienne de 60 ou 70 avions ne peut pas fonctionner avec cinq types d'avions différents. Vous passez beaucoup de temps à former les pilotes et lorsqu'un commandant de bord part à la retraite, par un effet cascade, vous devez reformer 5 ou 6 pilotes à de nouveaux types d'appareils. Nous avions un besoin fort de simplifier cette gestion. L'ATR est un bon avion, mais l'histoire a montré qu'aucune compagnie n'arrivait à exploiter en même temps des avions à hélices et des jets. BritAir le faisait avant de se débarrasser de sa flotte d'ATR. Nous ne remettons pas en question l'appareil lui-même. Cela nous amène, pour répondre à votre deuxième question, à passer par de la sous-traitance. Nous le faisons déjà à Aurillac, puisque nous exploitons un ATR de la compagnie Regourd Aviation. Il en est de même sur la ligne Castres-Mazamet. Nous passons par de l'affrètement. Cela nous permet de conserver notre empreinte commerciale, et les passagers peuvent profiter des services Air France, en cas d'aléa d'exploitation par exemple. Certes, il est très désagréable d'atterrir à Toulouse lorsque votre destination était Aurillac, mais Air France vous accompagne jusqu'à votre destination finale.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Je souhaite être bien clair. L'avion ATR est un très bel avion de dernière génération. Nous avons compris que vous aviez du mal à le maintenir, parce que vous disposez d'un nombre trop important de type d'avions différents. Mais d'autres compagnies opèrent très bien avec cet avion. Il ne s'agit en aucun cas dans vos propos d'une remise en cause de la qualité de cet avion.
M. Michel Canevet . - Je suis élu du Finistère, département dans lequel nous avons une forte sensibilisation à l'avion, puisque nous avions la compagnie Britair. Mon collègue Jean-Luc Fichet évoquera certainement tout à l'heure l'avenir du site de Morlaix qui nous préoccupe. L'aéroport de Brest s'est beaucoup développé, puisqu'il accueille désormais plus d'un million de passagers. Les vols vers Paris, ainsi que d'autres vols intérieurs lui ont permis de développer son aura national. L'aéroport de Quimper fait l'objet d'une OSP en cours sur laquelle vous avez candidaté, ainsi que la compagnie Chalair. Je pense que les types d'avions seront différents. La fréquentation de cette ligne a baissé de 108 000 passagers en 2011 à 68 000 l'année dernière. Cette baisse est très significative. À mon sens, elle est due à une très forte dégradation de la qualité du service réalisé par HOP. En 2017, nous avons enregistré 150 annulations de vols entre Paris et Quimper. Les passagers ont perdu confiance dans l'aéroport. Il est important de regagner cette confiance. Notre bassin économique et de population est important. En outre, c'est une région touristique. Le potentiel de développement existe. Et, même si la liaison ferroviaire s'est améliorée, elle fait elle aussi l'objet de retards réguliers et n'est dons pas forcément fiable.
Certes, et heureusement, la qualité de votre service s'est améliorée. Mais cette perte de confiance existe. En outre, de fin août au 27 octobre, la compagnie a annoncé son intention de cesser tous les vols. Cela serait extrêmement préjudiciable à la reprise de cette ligne par un futur opérateur. Ne serait-il pas possible de garder l'avion du matin et du soir, c'est-à-dire celui qui permet aux passagers de se rendre à Orly le matin et de rentrer le soir même à Quimper, par rapport aux trois vols quotidiens existants aujourd'hui, afin d'éviter que cette ligne ne soit complétement coupée ? Je comprends les impératifs liés aux travaux à Orly, mais l'interruption totale de service pendant deux mois est catastrophique pour l'aéroport de Quimper.
M. Jean-Luc Fichet . - Monsieur le directeur général, nous nous sommes vus récemment afin d'évoquer la situation du Pays de Morlaix. Je souscris aux questions qu'a posées mon collègue Michel Canevet.
L'aéroport de Quimper fonctionne bien, il y a eu des améliorations vis-à-vis des retards et des annulations. Je crois d'ailleurs que la fréquentation de l'aéroport est en hausse.
Ma question porte sur la plateforme technique de Morlaix, où il existe de nombreux problèmes. Vous nous avez rassurés, lorsque vous avez pris vos fonctions, sur l'avenir à court terme de cette plateforme. Nous avons ainsi une visibilité sur un ou deux ans en termes de maintenance. En outre, les simulateurs sont beaucoup utilisés. Depuis notre dernier échange téléphonique, les études menées permettent-elles d'avoir une meilleure lisibilité sur l'avenir de Morlaix ? Vous avez indiqué qu'un certain nombre de pilotes de HOP étaient partis à Air France.
Mme Victoire Jasmin . - Monsieur le directeur général, je suis sénatrice de la Guadeloupe. Je fais très souvent des allers-retours entre Paris et ce territoire, dans le cadre de mes missions au Sénat. Ma première question concerne l'exploitation des données des enquêtes de satisfaction des usagers.
Ma deuxième question porte sur les tarifs des billets pratiqués entre la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane d'une part, et ces territoires d'outre-mer et la métropole d'autre part. Les prix passent du simple au triple pour un même trajet, en fonction des périodes. Quelle est la part des taxes dans l'élaboration des prix des billets ?
M. Jean-Michel Houllegatte . - Mes questions vont porter sur l'articulation avec la compagnie Transavia. Un journal économique a évoqué l'existence de difficultés dans les négociations actuelles entre les pilotes et Air France, le fait que Transavia se développerait, avec un déplafonnement du nombre d'appareils - actuellement 40 - qui seraient autorisés. Vous annonciez dans votre propos introductif un plan de départ volontaire pour les personnels au sol. Il est également prévu une réduction de 645 personnes dans les escales et la fermeture de 10 lignes. En outre, le nombre d'appareils passerait de 60 à 51. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'articulation entre Air France, HOP et Transavia, ainsi que sur le plan de départ volontaire et la réduction de la voilure de la société ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Sans doute certains sujets sont très sensibles, mais si vous souhaitez nous communiquer des informations sur ceux-ci, n'hésitez pas à le faire.
M. Pierre-Olivier Bandet . - L'aéroport de Quimper a connu une baisse de fréquentation importante, même si ces derniers temps les chiffres repartent à la hausse. Cela est dû à deux effets : les difficultés opérationnelles de l'an dernier, et aussi, d'après l'analyse que nous avons faite, de la ligne à grande vitesse. Elle a souvent un impact sur le transport aérien lorsqu'elle concerne des durées de trajets inférieures à 3h30 - 4h00. Mes collègues ont dû vous le dire. Sur ces lignes, et c'est là toute la difficulté de l'exploitation aérienne, nous vivons de la clientèle d'affaires, celle qui n'attendra pas le train et qui veut faire l'aller-retour dans la journée. Toutefois, la viabilité d'une telle ligne nécessite une alchimie associant une clientèle « loisirs », surtout pour un appareil de capacité un peu importante de 50 à 70 places. Cette clientèle « loisirs » est essentielle pour assurer un équilibre économique de la ligne. Dans ces conditions, nous avons considéré avec l'État que cette ligne devait faire l'objet d'une OSP. Comme vous l'avez indiqué, nous avons candidaté avec un Embraer 145.
Vous avez également indiqué la suspension que va connaître la ligne à la rentrée en raison des travaux à l'aéroport d'Orly. La direction générale de l'aviation civile a demandé à l'ensemble des compagnies de réduire leur trafic. Les lignes qui sont affectées sont des lignes courtes : Nantes, Lyon, Quimper. Quimper est particulièrement touché, car la suspension est totale pendant deux mois. Mais nous avons connu ce type de situation avec d'autres destinations : Metz et Biarritz, au moment où ces aéroports étaient en travaux. L'aéroport de Rennes sera également en travaux l'hiver prochain. Nous avons constaté que le fait d'arrêter la ligne pendant quelques semaines n'obérait pas la suite : le trafic reprend - peut-être pas dès la première semaine - mais ces évènements sont assez vite laissés derrière nous. J'en veux pour preuve que nous avons candidaté à la délégation de service public : le fait d'interrompre la ligne n'est pas pour nous un facteur de réduction à moyen terme du trafic. Nous avons été beaucoup interpellés sur ce sujet. La situation est extrêmement difficile, car si on remet des appareils sur la ligne de Quimper, il faut en enlever sur d'autres destinations. Le coût économique pour nous n'est pas négligeable.
Nous avons déjà eu un certain nombre
d'échanges sur Morlaix. 120 personnes font de la maintenance sur ce
site, qui est doublé par un site administration, puisque nous y avons
notre centre de formation avec des simulateurs de vol. Le site industriel
traite essentiellement les appareils Bombardier, soit les CRJ. Ce site tourne
aujourd'hui à plein régime et cela va continuer dans les deux
prochaines années. Il n'y a donc pas d'inquiétude sur l'emploi
à avoir pour l'instant. Nous avons même recruté des
apprentis en début d'année. Certes, il faut se projeter à
l'horizon 2021-2022, avec une flotte simplifiée. Si on prend l'ensemble
de l'appareil industriel de HOP
- Clermont-Ferrand, Morlaix, Lille, et
Lyon - nous sommes en surcapacité par rapport aux besoins
d'entretien de la flotte. Mais nous faisons le pari de développer notre
chiffre d'affaires pour le compte de tiers, c'est-à-dire d'autres
compagnies. Nous avons fait le constat qu'en Europe, il existe peu
d'entreprises qui offrent des services de maintenance d'appareil de type
Bombardier. Pour être honnête, certaines entreprises qui le font se
trouvent dans les pays d'Europe de l'Est, où le coût de la main
d'oeuvre est moins élevé. Si les prix qu'ils pratiquent sont
légèrement en dessous du prix du marché, nous constatons
une réduction de l'offre ces dernières années. Or, nous
avons des personnels hautement qualifiés. Et, lors de la visite du site
de Morlaix, j'ai pu mesurer l'engagement et l'attachement des personnels
à leurs métiers et à leur région. Nous pensons que
cela constitue une opportunité de marché. L'objectif est de
sécuriser des contrats à long terme, permettant de justifier
notre appareil industriel. Nous avons des bonnes pistes. Le produit que nous
proposons est de qualité supérieure nous permettant d'avoir un
prix un peu plus élevé que dans d'autres pays. Nous nous donnons
jusqu'à la fin de l'année pour mesurer les effets de cette
démarche. En outre, pour les simulateurs de vol, nous allons continuer
à les utiliser pour former nos pilotes, mais également ceux
d'autres compagnies. Nous formons déjà actuellement sur le site
de Morlaix des pilotes d'Afrique du Sud. Ce site est bien positionné sur
ce marché.
Les enquêtes de satisfaction nous permettent de procéder à un suivi qualitatif et quantitatif. Les données collectées sont agrégées et permettent d'élaborer chaque mois un indicateur de satisfaction des passagers en agrégé - le NPS, net promoteur score - qui est présenté au comité exécutif. Pour l'obtenir, nous enlevons du traitement des données les avis très favorables et très défavorables. L'indicateur de satisfaction fait partie des objectifs présents dans les accords d'intéressement des dirigeants. Ils sont en outre largement communiqués au sein de la société. Nous publions les remarques qualitatives les plus intéressantes. Enfin, si vous voulez déposer une plainte ou signaler un incident, des traitements spécifiques existent via le service après-vente. Bien évidemment, les questionnaires sont lus. Nous utilisons également l'intelligence artificielle pour regrouper les commentaires les plus fréquents. En tout cas, continuez à nous faire part de vos remarques, nous y sommes très attentifs.
Mme Victoire Jasmin . - Ces données sont-elles également exploitées pour une communication externe ?
M. Pierre-Olivier Bandet . - Je ne peux pas vous répondre avec exactitude sur ce point. Je ne pense pas que cela figure sur notre site.
En ce qui concerne la tarification dans les outre-mer, je ne vais pas pouvoir vous répondre précisément. Ce que je peux vous indiquer, c'est que sur le prix d'un billet entre Paris et Nice à 90 euros, 42 euros sont perçus par Air France. Le reste est constitué de taxes et redevances. Certes, les tarifs ne sont pas les mêmes pour des trajets entre Cayenne et Fort-de-France.
Mme Victoire Jasmin . - Le billet coûte 800 euros entre la Guadeloupe et la Guyane.
M. Pierre-Olivier Bandet . - Les temps de vols ne sont pas les mêmes. Après, nous pratiquons pour les vols au départ de la Martinique et de la Guyane, comme toutes les compagnies, du yield management : plus on s'y prend à l'avance, plus on peut avoir des tarifs bas. Voici les principes généraux, mais n'étant pas en charge de la tarification, je ne peux pas vous répondre de façon plus précise.
Le plan de 465 départs volontaires à Air France porte sur les personnels d'escale, ceux qui, à l'aéroport, vous enregistrent, vous accueillent dans les salons, ou s'assurent de la transition des bagages jusque dans les soutes. Nous sommes sur une tendance de long terme de réduction de ces effectifs. Sachez que des compagnies comme Transavia sous-traitent totalement cette activité.
En ce qui concerne les négociations avec Transavia, si on en croit la presse, il est possible qu'une étape soit franchie aujourd'hui. D'un point de vue métier, Transavia France se développe et est aujourd'hui une des entités rentables du groupe. Son modèle d'exploitation est celui du low-cost, avec une sous-traitance importante lors des escales. Bien entendu, le standard de qualité est élevé. En termes de destination, Transavia dessert beaucoup le Maghreb, la péninsule ibérique, et plus récemment le Liban et Israël, les îles grecques. Il peut y avoir un certain recoupement avec les lignes opérées par HOP, mais très majoritairement, les lignes exploitées ne sont pas les mêmes. Il y a un effet d'optique, du fait que cette compagnie se développe, alors que d'autres se réduisent, mais nous ne sommes pas dans une logique de transfert. Sans préjuger des décisions de ma consoeur présidente de Transavia, je ne pense pas que cette compagnie va se positionner sur Paris-Quimper, parce que les avions qu'elles exploitent sont trop gros. Afin de pouvoir pratiquer les tarifs qu'elle propose, il est nécessaire d'avoir un volume de trafic suffisant. Il peut y avoir des intersections sur des lignes que le groupe Air France a abandonnées, mais cela reste très limité. Fondamentalement, nous sommes sur deux modèles différents. Enfin, le cycle des entreprises évolue. Aujourd'hui, nous sommes dans une période où le transport régional, avec des appareils de 50 à 70 places connait des difficultés en France, mais également dans toute l'Europe.
M. Dominique Théophile . - J'ai été contacté à un moment pour être référent client. J'avais fait remonter les remarques concernant l'aménagement de la cabine des vols depuis la Guadeloupe. Air France m'a indiqué qu'un plan de rénovation était en cours. En effet, des améliorations sont possibles en classe Business.
Nous avons tout à l'heure évoqué les compagnies low-cost. Or, le prix des billets en ce moment entre la Guadeloupe et Paris est de 1000 à 1 300 euros. Mais c'est précisément le moment où les étudiants partent pour la métropole. À d'autres périodes de l'année, les prix descendent jusqu'à 490 à 500 euros. Ne serait-il pas possible pour Transavia d'opérer à titre expérimental cette ligne ? J'utilise cette compagnie pour me déplacer en Europe et le prix est convenable.
M. Pierre-Olivier Bandet . - Actuellement, nous utilisons, entre la Guadeloupe, la Martinique et Paris, des 777. Un programme de rénovation a été lancé et devrait être achevé d'ici 2020. Nous rénovons totalement la cabine affaires, en y installant notamment un fauteuil qui permet de s'allonger totalement.
L'axe La Guadeloupe-Paris est un des axes les plus concurrentiels. J'ai en tête le nom de cinq compagnies au moins opérant cette ligne. Il y a des effets d'hyperpointe. Mais, c'est parce que l'on arrive à gagner de l'argent pendant les périodes d'hyperpointe que l'on peut se maintenir toute l'année et offrir dans les périodes plus creuses des tarifs qui restent intéressants. Par ailleurs, d'un point de vue purement technique, les avions qu'exploite Transavia ne peuvent pas effectuer de dessertes transatlantiques, puisqu'elle exploite des 737. Si je ne me trompe pas, Norwegian Airlines était venue se positionner mais est rapidement ressortie.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Je souhaitais également évoquer le prix des billets. Un aller-retour Paris-Aurillac, pris peu de temps avant le départ, coût 480 euros. Cela m'interpelle. Je souhaite ainsi savoir comment sont construits vos prix.
Par ailleurs, le groupe Air France envisage-t-il de développer des liaisons transversales entre métropoles régionales et éventuellement, à travers ces dernières, des liaisons vers d'autres métropoles européennes ?
M. Pierre-Olivier Bandet . - Pour la ligne Paris-Aurillac, malgré la subvention, et même en utilisant un exploitant qui est assez compétitif en termes de coûts, nous restons en déficit avec la grille tarifaire que nous pratiquons. Une compagnie aérienne comme la nôtre pratique des tarifs élevés, permettant d'offrir dans d'autres conditions des tarifs plus bas : en faisant la moyenne des prix des billets, nous arrivons à une moyenne inférieure à 480 euros aller-retour. En outre, le développement des compagnies low-cost a fait évoluer la philosophie de l'avion. En publiant des tarifs d'appel très bas, on a introduit dans l'esprit des passagers l'idée selon laquelle un billet à plus de 50 euros est cher. Or, cela ne correspond absolument pas à ce dont nous avons besoin pour faire voler nos appareils.
Nous avons introduit en début d'année une nouvelle politique tarifaire nous permettant d'avoir une gamme de prix un peu plus étendue afin d'éviter la situation que vous décrivez : soit des prix très bas, soit des prix très élevés.
En matière de liaisons transversales, le groupe Air France a construit à partir du hub de Lyon un réseau entre les métropoles françaises et européennes. Avec un terminal vraiment optimisé, nous arrivons à faire des correspondances de 25 minutes entre Caen, Pau et Marseille ou Marseille et Brest. Nous avons également une liaison entre Lille et Nice, ou Marseille et Rennes. Nous desservons quelques destinations vers l'international. Cela dit, ces liaisons régionales sont celles sur lesquelles nous avons des difficultés économiques. Pour 85 % de nos lignes en court-courrier, nous sommes en concurrence avec un autre opérateur, alors qu'il y a une dizaine d'années ce taux était de 40 %. Nous avons ainsi 2 à 3 compagnies présentes sur un même flux de trafic assez fin, et lorsqu'une guerre des prix se déclenche, il est difficile pour nous de se maintenir. Nous cherchons en permanence de nouveaux flux de trafic, de nouvelles destinations. Nous faisons sans cesse des évaluations, mais il est vrai que ce type de desserte est très difficile à rentabiliser.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Monsieur le directeur général, vous avez répondu aux inquiétudes des différents territoires. Nous souhaitons en tout cas que le cap que vous nous avez donné se traduise par les résultats que vous espérez.
Audition de MM. Thomas Juin, président,
et Nicolas Paulissen,
délégué général de l'Union des
aéroports français
(Mardi 16 juillet 2019)
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Nous avons initié nos travaux en réunion plénière le 6 juin dernier par l'audition de M. Augustin de Romanet, Président-directeur général du groupe Aéroports de Paris, dont l'activité représente la moitié des quelque 206 millions de voyageurs accueillis en 2018 dans des aéroports français. Pour traiter de l'autre moitié du trafic aérien, nous nous intéresserons aujourd'hui plus particulièrement à la question des aéroports comme outils de désenclavement de territoires.
M. Thomas Juin est directeur de l'aéroport de La Rochelle-Ile de Ré et président de l'Union des aéroports français (UAF) depuis mai 2017. Vous êtes également accompagné par M. Nicolas Paulissen, délégué général.
Parmi les projets de votre mandature, j'ai noté que vous aviez défini plusieurs axes qui intéressent les travaux de notre mission :
- le renforcement de la connectivité des aéroports français, vecteur de développement économique des territoires ;
- la mise en oeuvre d'une nouvelle vision et gouvernance de la sûreté aéroportuaire ;
- mais aussi la défense des spécificités des aéroports ultramarins.
J'ajoute que vous intervenez régulièrement auprès des pouvoirs publics et de la presse. Votre dernière publication en date dans le journal La Tribune du 19 juin dernier est intitulée « La suppression des lignes intérieures : une mesure contre les régions françaises ». Vous y soulignez le rôle incontournable du transport aérien dans le développement économique et social des régions. Vous affirmez également que l'avion n'est pas concurrent du train, mais complémentaire. Aussi, votre analyse nous sera d'une grande utilité, notamment dans un contexte médiatique défavorable à ce mode de transport et pour lequel nous ne pouvons faire l'impasse sur son impact climatique. Les perspectives de taxation du carbone lié à l'activité aérienne que la ministre a annoncé il y a quelques jours pourront appeler des réflexions de votre part.
Avant de passer la parole à ma collègue Josiane Costes, sénatrice du Cantal, nommée rapporteure le 14 mai dernier, je rappelle que le Sénat a constitué cette mission d'information à l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme la rapporteure va vous préciser les objectifs de cette mission.
Mme Josiane Costes,
rapporteure
. -
Je remercie mon collègue
et président d'avoir rappelé que le point central de nos travaux
porte sur le rôle des transports aériens pour le
désenclavement des territoires non desservis efficacement par le rail ou
par la route. Nous revenons de déplacements en régions où
nous avons pu constater à Quimper, à Aurillac et à Rodez
que certaines liaisons aériennes représentent un enjeu vital pour
le développement économique et touristique. Dans ces trois cas,
comme pour les autres lignes d'aménagement du territoire, ce qui
justifie un soutien public de l'État et des collectivités locales
est l'existence même d'une activité humaine, en particulier
industrielle et commerciale, dans ces régions. Le transport
aérien est le seul moyen rapide de rejoindre Paris et de permettre aux
clients de ces entreprises de venir visiter les lieux de production.
À Quimper, nous avons visité une entreprise
emblématique de la Bretagne
- Armor Lux - qui a besoin de
recevoir des clients des quatre coins de la planète. Dans le Cantal, une
usine fabrique des ponts exportés dans le monde entier et reçoit
des clients d'Irak ou des Philippines. Sans ligne aérienne, ces
entreprises délocaliseraient, ce qui provoquerait des destructions
d'emploi. Il en va de même pour Rodez qui abrite l'entreprise Bosch et un
des leaders mondiaux des semences agricoles.
M. Thomas Juin, par vos activités à La Rochelle et vos connaissances du maillage aéroportuaire de notre pays, votre avis nous est précieux. Compte tenu du nombre important d'aéroports dont dispose notre pays et qui est le fruit d'un héritage, j'ai constaté que les situations selon les régions pouvaient être très différentes quant aux collectivités propriétaires des aéroports, quant aux structures d'exploitation et, bien sûr, quant aux financeurs principaux : parfois la région comme en Bretagne, le département dans l'Aveyron ou la communauté d'agglomération à Aurillac.
Quel regard portez-vous sur le rôle des collectivités territoriales et notamment les régions dans le développement de stratégies aéroportuaires ? Comme nous avons constaté des différences d'approches importantes entre les régions, y-a-t-il des bonnes pratiques à retenir et diffuser ?
Après votre intervention, je vous poserai éventuellement d'autres questions qu'il s'agisse du système existant de taxe d'aéroport et de péréquation ou de l'avenir dans lequel se dessine une taxation d'abord du carbone à l'échelle nationale, puis européenne ou internationale.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - L'entreprise qu'évoquait Mme Costes à Rodez est RAGT. Cette société a son siège à Rodez, communique avec 18 implantations dans le monde et a besoin de connexion à l'international.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Tout à fait, avec 700 employés sur place à Rodez.
M. Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français . - Je souhaite revenir sur trois points essentiels pour notre secteur. D'abord son évolution et sa transformation au cours des dernières années, puis la question de la compétitivité et de la concurrence, enfin le sujet du développement durable qui est particulièrement prégnant depuis quelques mois.
Sur l'évolution du transport aérien français, un record a été battu en 2018 puisque nous avons franchi pour la première fois les 200 millions de passagers et atteint le chiffre que vous avez évoqué de 206 millions. Le secteur évolue avec une croissance de 4,8 %, en retrait de la moyenne européenne qui se situe à 5,4 %. C'est le fruit d'une mutation engagée depuis une dizaine d'années et qui s'apparente à une révolution douce. Le secteur s'est adapté pour ouvrir l'accès à l'avion au plus grand nombre. Le temps où l'avion était réservé aux CSP+ est révolu et nous constatons des profils de voyageurs qui s'apparentent à la clientèle des TGV. L'avion répond à un besoin de mobilité des Français lié à l'arrivé des compagnies low-cost qui tire à 66 % la croissance du marché. Très décrié dans les premier temps, ce modèle s'est imposé en Europe, tant dans le court que le moyen-courrier. Cette évolution joue un rôle dans le lien social. Sur certaines lignes, comme Caen-Toulouse ou Brest-Toulouse, la clientèle familiale et de loisirs représente plus de 50 % des passagers.
Nous vivons un changement de paradigme. Les aéroports ont fait évoluer leurs capacités pour accueillir ce trafic nouveau dans de bonnes conditions, hormis quelques exceptions notables, par exemple celle de Nantes-Atlantique qui est en forte croissance. Tous les aéroports ont été certifiés en 2017 selon la législation européenne.
Il faut noter la forte progression des lignes transversales. Contrairement à une idée reçue, le trafic aérien domestique ne se contracte pas. Depuis 15 ans, la progression est de 14,5 % pour le trafic local, dans une progression de 50,6 % du trafic global. Donc la progression est moindre qu'à l'international mais elle existe. Sur les lignes transversales, la dynamique est très forte depuis 2017. Les lignes domestiques représentent 27 % du trafic, soit 52 millions de passagers, et sont un vrai outil de développement et d'aménagement du territoire.
En France, le réseau TGV est organisé en étoile depuis Paris essentiellement. Tout l'intérêt de l'aérien est de contrebalancer ce rayonnement et d'apporter des liens entre les régions et les villes pour des besoins de trafic moins massifs que pour le TGV. La complémentarité des modes est claire et il n'y a pas de concurrence, ou marginalement, entre le train et l'avion. Une ligne inutile est une ligne qui ferme d'elle-même pour des raisons économiques.
Sur les villes à moins de 3 heures de Paris, le TGV prend l'ascendant pour les liaisons de point à point. Dans ce cas, si l'avion persiste, c'est essentiellement pour répondre à un besoin de correspondance, par exemple pour Nantes-Paris ou Lyon-Paris. Je rappelle que Nantes-Paris a rouvert, sans subvention, pour répondre à la demande de connexion aux aéroports parisiens qui sont incontournables pour correspondre avec le reste du monde.
Sur les lignes d'aménagement du territoire, je considère qu'il s'agit d'un dernier recours lorsque tout le reste n'a pas marché. C'est un système par défaut.
Sur la compétitivité et la concurrence, l'élément essentiel dans le transport aérien est la notion de « coût de touchée » plus que celle du coût du billet. Lorsqu'une compagnie décide de s'intéresser à une région et à un aéroport, elle va regarder évidemment le potentiel de trafic mais aussi le prix à payer pour se poser. Elle fait ses comparaisons, non pas par rapport à un aéroport concurrent mais sur toute l'Europe, et fera ses arbitrages en fonction du pays, par exemple l'Espagne, où les coûts de touchée sont plus faibles. Ce sujet est extrêmement sensible et nous avions milité pour que la direction générale de l'aviation civile (DGAC) mette en place un observatoire des coûts de touchée. Il faudra regarder les résultats par catégorie d'aéroports et non par moyenne nationale, car il n'y a pas de sens à comparer petits, moyens et grands aéroports, avant d'envisager toute évolution des taxations. Les non-initiés peuvent penser que 1 ou 2 euros ne changeront pas grand-chose à la décision des passagers. Sauf que la décision de maintenir ou non une ligne ne revient pas au passager. C'est la compagnie qui décide et qui fait des choix aux dépens d'un aéroport ou d'une région en considération de sa marge si elle varie de 1 à 3 euros car on sait que le bénéfice par passager court et moyen-courrier est de 4 à 6 euros.
La décision du Gouvernement met à mal les coûts de touchée puisque rajouter une nouvelle taxe - cette fameuse écotaxe - ne nous va pas pour deux raisons. C'est une taxation franco-française. Nous avions compris pendant les Assises du transport aérien qu'il n'était pas souhaitable de s'orienter vers une surtaxation française et que toute évolution devait s'appréhender dans un cadre européen. En plus, cette taxe va financer d'autres modes de transports alors que nous avions également milité pour que toutes recettes du secteur aérien servent à sa propre transition écologique. C'est d'autant plus regrettable que les modes de transports qui vont bénéficier de ces recettes ne pourront pas se substituer à l'aérien. Dans la plupart des cas, l'avion a du succès car il permet de desservir des territoires lorsque le train ou la route ne le font pas efficacement. Ce qui nous paraît important est de mobiliser des moyens pour que le transport aérien diminue son empreinte carbone tout en répondant aux besoins de mobilité des Français.
Cette surtaxation française va s'aggraver à deux niveaux. Le Brexit , qui est annoncé pour le 30 octobre, va entraîner une fiscalité supérieure de 7 euros par passager pour tous les vols partant de France vers le Royaume-Uni. Si vous rajoutez cela à l'éco-taxe, ce sont 10 euros supplémentaires. Nous allons au-devant de déprogrammations de lignes sur les low-cost court-courriers. Cela tient à ce que la fiscalité française - taxe d'aviation civile et taxe de solidarité - a un régime différent en pays tiers. La taxe « solidarité » nous inquiète également sur le fait qu'elle n'a pas été dupliquée par nos pays compétiteurs en Espagne ou ailleurs. Nous n'avons pas été entendus sur cette taxe qui représente 217 millions d'euros et dont le surplus sort du secteur aérien, certes pour le financement de la santé dans les pays en voie de développement ce qui est en soi une bonne cause. Mais il y a une fâcheuse habitude à puiser de l'argent sur l'aérien pour servir d'autres activités. Cela nous paraît extrêmement contreproductif, un non-sens économique pour la compétitivité et un non-sens environnemental puisque cela n'aidera en rien à la transition écologique du secteur aérien.
J'en viens au développement durable et voudrais rappeler que le secteur est mobilisé pour réduire son empreinte carbone. L'obsession des compagnies aériennes est de moins consommer de carburant. Les attaques dont nous sommes l'objet sont incohérentes avec l'empreinte carbone du secteur qui représente 2 % des émissions de CO 2 dans le monde. Ce n'est pas 20 %, c'est bien 2 %. Donc si nous supprimions les avions, 98 % des émissions carbone ne seraient pas résolues. Il ne s'agit pas de se défausser mais de le rappeler. L'avion représente 8,75 % des carburants consommés en France. L'élément factuel est que ce qui pollue, ce sont les mouvements d'avions, pas les passagers. Depuis 15 ans, la progression des mouvements est de + 0,3 %. Autant dire qu'il n'y a pas de progression alors que le nombre de passagers a progressé de 52 %. Les compagnies proposent des vols de plus forte capacité avec en moyenne 115 passagers par vol au lieu de 70 passagers il y a 15 ans. Cette contribution à la mobilité ne vient pas en proportion dégrader l'environnement, bien au contraire. Toute la chaîne du secteur est mobilisée. Les aéroports sont engagés dans le programme européen Airport accreditation carbon qui ouvre un processus de réduction de l'empreinte carbone vers l'objectif d'émission zéro en 2050. En France, 40 aéroports sont engagés, ce qui en fait le premier pays en Europe. Les nouveaux avions sont moins consommateurs de carburant et le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) bénéficie d'un soutien public.
Nous avons besoin de mobiliser les financements pour aller vers une rupture technologique à moyen et long termes. Sur le court terme, il faut rapidement déployer la filière biocarburant qui réduit sensiblement l'empreinte carbone de 40 % sur un avion. Donc, on ne comprend pas pourquoi nous ne sommes pas plus allants dans ce domaine car les avions sont en situation de fonctionner avec ce carburant. Il y a une filière de retraitement de déchets qui peut être développée et qui n'est pas en concurrence avec les terres arables. Il faut s'engager sur des mesures efficaces plutôt que sur des mesures de taxation qui n'auront aucun effet sur l'environnement.
Enfin sur l'intermodalité, il n'y a pas eu à mon sens, de la part du Gouvernement et des collectivités locales, suffisamment de prise en compte de l'accessibilité des aéroports. Je rappelle qu'une des principales sources de pollution des aéroports provient de leurs moyens d'accès. C'est en train de changer, mais je pense qu'il faut prendre acte du rôle joué par les aéroports en lien avec les populations. Par exemple Toulouse-Blagnac n'est pas relié au réseau de métro de cette ville. Aéroport de Paris est le seul au monde de ce niveau qui n'a pas de desserte pratique en site propre. C'est assez révélateur de notre culture de ne pas avoir pris en considération la démocratisation du transport aérien.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous avez été particulièrement complet et nous vous en remercions. Vous avez abordé le trafic, les taxes, les coûts de touchée, le biocarburant et l'intermodalité entre autres.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Vous avez évoqué le problème des taxes. Le rôle de la taxe d'aéroport pour assurer le financement de la sûreté et de la sécurité est un enjeu important, notamment pour les petits aéroports et les collectivités qui en ont la charge. À terme, n'est-il pas souhaitable que l'État prenne en charge ces coûts et que la taxe d'aéroport soit supprimée ? Comment développer une complémentarité entre aéroports pour mieux mailler le territoire ? Lors de notre déplacement à l'aéroport de Quimper, nous avons vu que cet aéroport est adossé à celui de Brest. Ce modèle-là pourrait-il être dupliqué ? Enfin, comment améliorer le régime juridique des lignes d'aménagement du territoire pour assurer une meilleure qualité de service, par exemple via le recours à un intéressement ou à une formulation des obligations de service public (OSP) en termes de résultats ?
M. Thomas Juin . - La taxe d'aéroport a été instituée pour permettre le financement de tous les aéroports en France, afin qu'ils disposent du même standard de sécurité et de sûreté aéroportuaires, quelle que soit leur taille. Ce choix, qui consiste à faire supporter par l'usager la totalité des coûts de sécurité et de sûreté, n'est opéré que par la France. Dans d'autres pays, le coût est réparti entre la puissance publique et le passager, alors que dans d'autres pays, comme l'Espagne, la quasi-totalité est financée par la puissance publique. Il s'agit d'un élément fondamental dans la compétitivité des aéroports, notamment des petits aéroports. Une péréquation a été mise en place afin d'éviter que ceux-ci supportent des coûts extrêmement élevés. Elle consiste à appliquer une taxe de 1,25 euro payée par tous les passagers fréquentant les aéroports français. Elle permet de financer la sûreté dans l'ensemble des aéroports. Son fonctionnement n'est toutefois pas complètement satisfaisant : d'une part, les grands aéroports régionaux s'en plaignent, dans la mesure où ils sont exposés à la concurrence d'autres aéroports européens qui n'ont pas à l'assumer ; d'autre part, la taxe atteint son plafond de 14 euros dans les petits aéroports, auxquels s'ajoutent les 1,25 euro, ce qui constitue un différentiel de taxe très important, dissuasif pour les compagnies aériennes susceptibles d'opérer dans ces aéroports. Sinon, elles négocient des accords avec les aéroports concernés, mais dans des conditions d'insécurité juridique très forte. Pour répondre à votre question, je dirais oui. La prise en charge de la taxe par la puissance publique se traduirait par une induction du trafic et permettrait de lever cette insécurité juridique. S'agissant de la complémentarité entre aéroports, celle-ci existe déjà, à deux niveaux : dans les régions qui mettent en place des délégations de service public (DSP) pour la gestion commune d'aéroports, mais également au sein d'entreprises privées répondant à des DSP, et qui parviennent à une mutualisation de leur gestion. Ce qui importe, c'est qu'il puisse y avoir une cohérence sur la vocation des aéroports, sur leur orientation (développement passagers ou de zones industrielles) à l'échelle d'une région. Des gains de mutualisation sont possibles mais restent marginaux. Les petits aéroports sont plutôt bien gérés en France. Il ne s'agit pas d'un problème de compétence, mais plutôt d'un problème structurel : si l'aéroport n'atteint pas un certain trafic, il connaît alors un déficit. S'agissant des lignes d'aménagement du territoire (LAT), nous avons fait, dans le cadre des assises du transport aérien, un certain nombre de préconisations. Globalement, il faudrait éviter toute surréglementation française. La surréglementation existante tient au fait que la réglementation était assujettie à la participation financière de l'État. Nous souhaiterions en revenir à une réglementation exclusivement européenne, qui apporte plus de souplesse, avec plus d'objectifs de résultats que de moyens. Le grand problème des lignes de service public est l'absence d'émulation. Parmi les candidatures que nous avons pu enregistrer en France en 2018, pour 69 % des dossiers en appel d'offres, il n'y avait qu'un seul candidat. Il faudrait également ouvrir davantage les OSP sur l'Europe. Or, la loi ne permet pas de déléguer aux régions les OSP européennes. On rencontre également un problème de prévisibilité du soutien de l'État. Il conviendrait que les critères soient homogènes et que chaque région bénéficie des mêmes critères d'accessibilité.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous avez abordé des sujets qui sont au coeur des travaux que nous avons menés, notamment lors des déplacements que la mission a été amenée à faire à Quimper, à Aurillac puis à Rodez. La question de la concurrence est un vrai sujet. Or, on se rend compte que, parfois, assez peu de compagnies sont capables d'opérer sur des lignes intérieures, en particulier dans le cas des lignes d'aménagement du territoire. Le prix du billet tient-il compte des subventions publiques ? N'a-t-on pas des situations monopolistiques ? Y a-t-il des mesures que l'on pourrait essayer de développer ? J'ai cru comprendre que vous appeliez à réfléchir sur les directives européennes et sur le cadre réglementaire français un peu rigide.
M. Thomas Juin . - Pour les LAT, nous connaissons en effet un déficit de compagnies sur le marché national. Le passage de la compagnie HOP à des avions de type jet va nécessairement induire de nouvelles limitations en termes d'offre. La plupart des lignes de service public sont des lignes à petit potentiel. Les turbopropulseurs sont donc les avions les plus adaptés, tant pour des raisons de coût que pour des raisons d'environnement. Ce sont de très bons avions tout aussi sûrs que des avions à réaction. Il faut commencer par rendre les aéroports plus attractifs, en trouvant une solution qui fasse en sorte qu'ils ne soient pas surtaxés par rapport au marché tel qu'il existe. Je citerais l'exemple de l'aéroport de Caen qui, depuis deux ans, s'est développé de façon spectaculaire, avec une tendance de 50 % en 2018 et probablement la même pour 2019. Or, ce développement n'est pas lié aux LAT. Il s'agit d'un petit aéroport qui développe des liaisons vers de nombreuses villes, avec une concurrence qui s'est imposée entre plusieurs compagnies aériennes, ce qui a permis de développer des marchés. Les lignes d'aménagement du territoire (LAT) devraient donc constituer un dernier recours. Il faut s'interroger sur les raisons qui font qu'on ne peut pas faire autrement qu'y avoir recours : soit parce que le potentiel de la région est insuffisant, ce qui est assez rare ; soit parce que l'aéroport subit une attractivité insuffisante. C'est pourquoi il conviendrait de supprimer les contraintes franco-françaises (exemple des contraintes d'aller-retour ou d'amplitudes horaires...). Il faut donc s'adapter à ce qui existe aujourd'hui dans l'environnement européen pour les compagnies européennes. Cela permettrait, d'une part, d'avoir plus de candidatures de compagnies aériennes et, d'autre part, de réduire considérablement les coûts de l'OSP. Concrètement, on pourrait introduire des indicateurs de performance. Les conventions types issues de la réglementation française pourraient être remplacées par des clauses types permettant d'introduire des indicateurs de performance. L'objectif est d'aboutir à un résultat moins coûteux pour tout le monde.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Vous avez dit qu'avant de mettre en place une LAT, d'autres solutions étaient envisageables. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de ce qui pourrait être fait, avant ce que vous qualifiez de dernier recours ?
M. Thomas Juin . - Il faudrait regarder les potentiels de marché existants. Beaucoup d'outils permettent de l'analyser, notamment grâce au numérique. Les données sur le trafic, que les aéroports délivrent aux compagnies aériennes, sont aujourd'hui très précises sur les comportements des clients et les échanges entre telle ou telle région. On peut dire aujourd'hui que sur tel aéroport, des lignes pourraient être créées. Le premier point serait d'arriver à résoudre le problème d'attractivité de l'aéroport via l'attribution d'un outil aux régions qui pourraient faire le choix d'une compensation de ces taxes, ce qui n'est actuellement juridiquement pas possible. Enfin, il manque peut-être aussi une force de vente pour les régions. Nous avons des régions qui s'activent beaucoup pour la promotion de leurs destinations. Il serait important que les campagnes de promotion produites par les territoires soient plus coordonnées, notamment avec les aéroports. Or, cette promotion a un impact immédiat : elle permet d'accroître la réputation d'une destination (sa « e-réputation »). Concilier la e-réputation et la desserte aérienne permettrait de développer certaines régions.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - On peut rappeler que le trafic en région progresse bien, notamment dans les grands aéroports régionaux. Tout n'est pas noir non plus.
M. Michel Canevet . - Un rapport du Commissariat général à l'égalité des territoires et du Conseil supérieur de l'aviation civile a été publié. Celui-ci indique que l'équilibre budgétaire des aéroports est incertain avec moins de 500 000 passagers et impossible à moins de 200 000 passagers. Partagez-vous cette analyse ? Pour nous, il est important qu'il y ait des liaisons avec la capitale. Y a-t-il aujourd'hui des difficultés pour obtenir des créneaux permettant d'ouvrir ou de maintenir des lignes avec les aéroports parisiens ? Ou bien cela vous semble-t-il être un obstacle ? Serait-il possible de massifier les échanges entre les aéroports, soit par des systèmes de transport d'un aéroport à l'autre, soit par des étapes entre aéroports ? Quels dispositifs efficients permettraient d'améliorer la desserte des territoires ? Pourrait-on, sinon, recourir à d'autres moyens de transport (hélicoptères, moyens de transport autonomes) ? Voyez-vous des perspectives pour le désenclavement des territoires ?
M. Éric Gold . - M. le président Juin, votre rôle est de défendre la communauté aéroportuaire, ce que vous faites parfaitement. Vous avez parlé d'arbitrages à venir sur la fermeture ou le maintien de certains aéroports, en partie à cause d'une taxation jugée trop importante. Je vais vous parler d'une façon provocatrice et faussement naïve. N'y-a-t-il pas une contradiction entre un trafic aérien qui est en situation d'évolution importante depuis quinze ans et l'impossibilité à vos yeux de prendre en charge une taxation supplémentaire, notamment par des compagnies qui sont souvent en situation de monopole ?
M. Didier Mandelli . - J'ai une question, qui amène sans doute une réponse très courte. Elle concerne les taxations dont nous avons eu connaissance la semaine dernière. Je rappelle tout d'abord qu'en tant que rapporteur de la loi d'orientation des mobilités (LOM), j'ai pu voir qu'un grand nombre d'amendements avaient été déposés, mais pas adoptés, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, concernant la taxation de l'aérien. Un amendement a cependant été adopté à l'Assemblée nationale concernant le surplus de la taxe « Chirac » à laquelle vous avez fait allusion, à hauteur de 30 millions d'euros fléchés vers l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Nous n'étions pas forcément demandeurs à ce stade, en attendant le projet de loi de finances pour 2020. Nous avons eu l'occasion d'aborder le sujet avec la ministre il y a quelques jours, dans le cadre de cette mission d'information. Nous n'avions pas eu de réponses de la ministre indiquant qu'une taxe supplémentaire allait être imposée sur l'aérien, ni sur le routier. Ma question est donc simple, car nous avons découvert la veille de la commission mixte paritaire sur la LOM cette nouvelle taxation : avez-vous été consulté en amont de cette annonce ?
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Il est vrai que lors de l'audition de Mme Borne, nous n'avions pas pressenti que la foudre allait frapper si vite. Vous avez sans doute plus d'éléments que nous sur ce point. Je vous passe donc la parole.
M. Thomas Juin . - Concernant la taxation, nous n'avons pas été consultés. Mme la ministre a eu la courtoisie de m'appeler la veille pour me prévenir. J'ai eu l'occasion de lui dire que c'était un marqueur qu'on ne souhaitait pas voir franchir. Ça a été un effet de surprise, un coup de semonce. Ça ne correspond en rien aux échanges que nous avions eus jusqu'à présent. Nous n'étions pas opposés à avoir une évolution de la fiscalité européenne sur le transport aérien, dès lors qu'elle était considérée à l'échelle européenne. Je rappelle que le secteur est extrêmement sensible, par rapport à des transporteurs qui ont tout de suite des coûts très importants, avec des marges faibles, ce qui implique de faire beaucoup de volume. Tout ça doit être regardé de près. On peut contribuer à la fiscalité, mais il faut être extrêmement vigilant, lorsqu'on commence à changer cela sans considérer les voisins et les compétiteurs. Nous n'avons pas été consultés mais prévenus.
Concernant la question sur les arbitrages, il ne s'agit pas d'arbitrages sur l'ouverture ou la fermeture des aéroports. Je ne considère pas qu'il y ait trop d'aéroports en France, contrairement à ce que l'on dit. Cela est surtout une question de vocation d'aéroports : tout aéroport n'a pas vocation à accueillir des passagers. Tout dépend de quel usage d'aéroports nous parlons.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Quand vous parlez d'absence de passagers, vous parliez d'absence de lignes régulières, n'est-ce pas ? Car il peut y avoir aussi du trafic d'affaires.
M. Thomas Juin . - Je parlais en effet d'aéroports avec des lignes. Mais vous faites bien de le rappeler, certains aéroports ont d'autres fonctions : usage de service public, d'aviation d'affaire, de formation aéronautique... Autant d'activités diverses et variées, fort utiles pour la région. Il s'agit en effet d'arbitrages sur la fermeture de lignes aériennes et non pas d'aéroports. Ce sont donc les compagnies aériennes qui arbitrent. C'est la résultante à la fois d'une insuffisance de rentabilité d'une ligne, notamment en raison d'une augmentation de taxes et d'un tassement du marché. L'effet taxe peut donc être redoutable. La prise en charge par la compagnie aérienne de la taxe aéroport est déjà une réalité. Aujourd'hui, les passagers payent à la compagnie aérienne cette taxe, qui est ensuite reversée à l'État, qui ensuite la reverse aux aéroports. Ce choix, compréhensible, n'a pas été fait par d'autres pays autour de nous. Ceci induit donc une taxe élevée par rapport à l'Espagne ou l'Italie. Il faudra donc regarder demain l'implication en termes de trafic pour les territoires enclavés s'il y avait un financement de la puissance publique.
Concernant la conception de liaisons avec escales, il existe une ligne de service public La Rochelle-Poitiers-Lyon. Cette liaison, qui est en cours de reconduction, fonctionne bien depuis des années. Elle permet de lier deux marchés. L'avion est rempli à près de 80 %. C'est donc possible. Il y a nécessairement pour la compagnie aérienne plus de coûts, puisqu'il y a un temps d'escale et un temps de vol supplémentaires. Cependant, cela coûte moins cher que s'il y avait deux lignes directes. Ce sont donc des lignes qui peuvent s'envisager, plutôt avec des turbopropulseurs qu'avec des jets, car cela coûterait trop cher. Il faut aussi qu'il y ait deux marchés pertinents, qui permettent de concilier les deux villes.
Concernant les créneaux d'Aéroports de Paris (ADP), il y a une impérieuse nécessité pour ces lignes de service public de pouvoir conserver des créneaux sur les aéroports parisiens. Le naturel conduirait nécessairement à réserver ces créneaux pour des avions beaucoup plus importants. Il faut à l'avenir pouvoir réserver des créneaux à Orly. La question de Roissy se pose également. Je sais que Roissy est dans des contraintes de trafic extrêmement fortes, avec des avions qui augmentent en capacité. Cependant, il est vrai que certains territoires mériteraient d'être mieux reliés à Roissy pour la connexion au monde.
Sur le déficit des aéroports, nous avons eu des échanges avec la Commission européenne. Vous savez que la Commission européenne, dans le cadre de ses lignes directrices, a considéré dans un premier temps que tous les aéroports devaient s'équilibrer. J'avais retenu l'expression « ceux qui ne le sont pas sortent du marché ». Autrement dit, le prisme de la Commission européenne était assez radical. Dans un monde libéralisé, il est vrai que ça fonctionne comme ça. Cependant, pour les petits territoires, cela ne peut s'accommoder de ce genre d'objectifs. La Commission est aujourd'hui en observation sur ces questions-là et semble plus nuancée. Nous avons une position qui est la suivante : en dessous de 500 000 passagers, on doit pouvoir justifier la possibilité d'avoir une contribution publique pour équilibrer les coûts d'exploitation d'un aéroport. En sachant qu'il y a des variantes et que tout dépend du profil de l'aéroport. Quand vous avez un aéroport qui est sur un bassin touristique, avec des compagnies purement low-cost , la compétition est très forte. L'aéroport aura donc des comptes qui seront un peu plus à la peine qu'un aéroport qui sera sur un bassin « affaires », avec des compagnies qui peuvent avoir des tarifs plus élevés. En résumé, en dessous de 500 000 passagers, on considère qu'on doit pouvoir garder cette liberté, en France, pour les collectivités de contribuer financièrement aux aéroports.
Mme Josiane Costes, rapporteure . - Monsieur le président, vous avez évoqué la possibilité d'ouvrir des OSP sur l'Europe. Pourriez-vous nous donner des exemples précis de lignes qui mériteraient cette ouverture ?
M. Thomas Juin . - Je ne vais pas vous citer des lignes en particulier. On voit clairement que les échanges se sont considérablement développés au niveau européen avec l'aérien. Si vous regardez les bassins touristiques, vous avez clairement une économie qui fonctionne grâce à l'aéroport en provenance du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de l'Espagne... Il y a aujourd'hui un certain nombre de pays européens qui sont en échange fort avec la France sur l'aérien. Vous avez des petits territoires qui mériteraient, je pense, de pouvoir rendre éligibles des liaisons avec ces bassins forts, notamment en import de passagers. Vous avez aussi des territoires avec des bassins d'entreprises qui ont des liens avec l'Allemagne, avec telle ou telle ville d'Europe. Pourquoi ne pourrait-on pas justifier, comme nous le faisons pour Paris, la nécessité de disposer d'une liaison aérienne qui permettrait de connecter certaines villes, pas forcément au quotidien ? On a eu un changement européen : ce n'est plus uniquement un enjeu de connexion Paris-province, mais région-région et parfois entre métropoles européennes où l'on identifie des axes forts.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - On doit peut-être se montrer prudents s'agissant des low-cost, concernant un certain nombre d'éléments d'accompagnement .
M. Thomas Juin . - La question des compagnies low-cost est un sujet sensible. Je rappelle que des aéroports de proximité ont été précurseurs avec ces compagnies dans les années 2000 pour une raison assez simple : ces aéroports étaient bien en peine à l'époque de développer une offre avec des compagnies françaises. Quand vous avez faim, vous êtes plus imaginatifs. Ils ont perçu auprès des compagnies low-cost une opportunité pour ré-ouvrir des marchés. Pour un aéroport comme Bergerac, par exemple, on prédisait, il y a quinze ans, sa fermeture. Il n'avait que 15 000 passagers et ne disposait que d'une ligne sur Paris. Cet aéroport a aujourd'hui 300 000 passagers, car il a pu développer des liaisons avec des compagnies aériennes. Aujourd'hui, ces compagnies aériennes, qui étaient décriées, sont non seulement présentes sur toute l'Europe, mais ont inspiré les autres compagnies pour développer une offre analogue. On voit maintenant même dans la stratégie d'Air France qu'il est bien de pouvoir disposer d'une compagnie low-cost qui se développe. Il y a donc eu l'avant : cela a été un défrichage, avec une Commission européenne qui n'était pas suffisamment claire dans les règles qu'elle appliquait, qui ont été révisées en 2014. Il y a aujourd'hui l'après : ces compagnies low-cost constituent, aujourd'hui et demain, l'essentiel du trafic court et moyen-courrier sur l'Europe. Il ne faut donc pas en avoir peur. Les choses sont en train de se régler : la Commission européenne a établi des règles. Cependant, il y a une pierre à l'édifice qui manque : c'est une Europe fiscale qui soit équitable. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation compliquée, car on concilie des accords avec ces compagnies low-cost et une fiscalité hétérogène, qu'on considère parfois comme déloyale par rapport à certains pays. Les lignes de service public - qui doivent être envisagées en dernier recours - permettraient d'intéresser un peu plus des compagnies aériennes qui ne sont pas prêtes à s'enfermer dans un carcan. Il faut de la souplesse dans l'aérien pour que la compagnie puisse faire évoluer sa liaison en fonction du marché. Ce carcan empêche aujourd'hui toute possibilité de lignes opérées par des compagnies low-cost . Je pense que, demain, il faudra être plus souple et plus incitatif avec des règles qui doivent être respectées par toutes les compagnies aériennes.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous avez ouvert un champ en disant que nous n'étions pas si loin que ça dans le partage des données et la possibilité d'en déduire des hypothèses de nouvelles lignes. Que manque-t-il ? Vous évoquez le fait qu'avec le numérique, les aéroports ont ces données. On a bien compris que les transversales se sont développées. Nous avons procédé avec la rapporteure et les membres de la mission à une audition des « petites compagnies ». Nous avons senti de leur côté qu'il y avait cette recherche-là. Les technologies vont-elles être matures ? Certains commencent, semble-t-il, à développer des logiciels pour déterminer l'existence d'un marché, par exemple en s'appuyant sur les données téléphoniques. Vous qui êtes professionnels sur le terrain, pensez-vous que cela va favoriser une éclosion des lignes ? Qu'attendriez-vous de la mission, en termes de proposition ?
M. Thomas Juin . - Cela serait une très bonne idée d'engager une vraie réflexion. Je pense qu'elle est attendue. Je rappelle que le paysage aéroportuaire français est très varié, très divers. On ne peut pas parler d'une seule voix. Vous avez bien entendu Aéroports de Paris, qui représente plus de 50 % du trafic, qui a des atouts considérables. Ce sont également des atouts pour la France. On parle beaucoup de la privatisation - ce n'est pas le sujet aujourd'hui - mais on a à l'heure actuelle un aéroport qui a une capacité de développement. C'est une chance pour la France, mais aussi pour nos régions, car cela leur permet de se connecter. Vous avez ensuite les sociétés aéroportuaires, avec plus de 5 millions de passagers. Elles sont dans une vraie dynamique, sans précédent. Nous nous plaignions dans le passé que ces aéroports étaient vraiment à la peine ; ils sont en train de rattraper le retard. Il y a une vraie compétition qui s'est instaurée, qui est à l'avantage des aéroports. Je pense qu'il faut être vigilant sur les taxes, car c'est extrêmement prégnant, surtout quand une compagnie décide d'implanter telle ou telle base sur tel ou tel aéroport en France. Il y a une vraie connectivité qui se met en place et je pense que les régions le voient. Cela permet surtout à nos concitoyens de considérer le transport aérien différemment.
Enfin, il y a toute cette frange d'aéroports, qui se situent entre 100 000 passagers et 1,5 à 2 millions de passagers, pour lesquels je pense qu'il y a une réflexion, une mission à mener. Il y a un certain nombre d'aéroports qui sont à la peine, qui sont sous exploités, sur ces territoires enclavés. Que manque-t-il ? La mission, justement, sera là pour le dire. Il doit y avoir une réelle coordination de cette force de vente qui existe en France dans les territoires. Il y a certes Atout France. Mais je pense qu'il faudrait fédérer, autour des aéroports, une force de vente des territoires. Les aéroports sont une vraie contribution pour donner un certain nombre d'informations aux territoires. Il faut donc une coordination entre la mission touristique et l'aéroport. Les connaissances progressent tous les ans, avec des données nouvelles. Il y a une analyse comportementale, même téléphonique, qui permet d'avoir des précisions et des discussions avec les compagnies aériennes qui sont bien différentes de ce qu'elles étaient dans le passé. On ne parle plus d'intentions, mais on apporte des éléments factuels. On est en train de progresser. Il faudrait, je pense, le considérer dans cette mission. Il faut enfin donner un outil aux régions en question pour pouvoir transformer l'essai. On ne peut pas le faire aujourd'hui, au vu de la réglementation européenne, de ses lignes directrices et du choix fait par la France d'une taxation franco-française. On ne trouvera pas la décision au niveau de l'Europe, car elle a établi ses règles. La main revient donc à l'État français et à la puissance publique. Il faut pouvoir concilier ce choix de financer un certain nombre de missions régaliennes par le transport aérien avec cette nécessité pour ces aéroports de proximité de rester dans la course. Ils essayent tant bien que mal de rester dans la course, mais avec une insécurité juridique qui n'est pas tenable dans le temps. Une vraie réflexion sur cette frange d'aéroports permettrait à la fois de compléter le trafic de ces aéroports et d'y inclure, non exclusivement, les lignes d'aménagement du territoire. Il faut donc voir comment ces aéroports peuvent plus contribuer à l'aménagement de leur territoire.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Vous avez abordé deux points s'agissant du développement durable. Le premier concerne le programme de l'association européenne des aéroports vers une neutralité carbone. Pouvez-vous nous dire en quelques mots de quoi il s'agit pour pouvoir partager l'information là-dessus et voir en quoi cela peut répondre à la problématique environnementale qui existe ? Deuxièmement, vous avez dit un mot sur les biocarburants. Que manque-t-il pour que cela marche ? S'agit-il d'un problème de filière, mais peut-être aussi d'un problème d'infrastructures dans les aéroports pour ces biocarburants ? S'agit-il d'un problème de financement ou d'un problème technique ?
M. Thomas Juin . - Concernant les biocarburants, il ne s'agit pas d'un problème technique, car les avions peuvent accueillir ce carburant utilisable, et déjà en partie utilisé. Je pense qu'il faut qu'on arrive à concilier un objectif plus ambitieux que celui aujourd'hui retenu - 2% en 2025 - avec un financement à la clé qui permette à la filière de s'inscrire dans un développement plus ambitieux. Il y a aujourd'hui des pétroliers qui sont présents sur les aéroports et qui n'ont pas intégré cette donnée, car il n'y a pas demain d'usage prévu, les coûts de ces biocarburants étant trop élevés. Nous n'irons pas naturellement vers le développement des filières. Il faut donc, au niveau du secteur, une coordination avec une mission au niveau de l'État pour que l'on puisse arriver à des ambitions plus fortes qui permettront de baisser le prix de ces biocarburants, avec des financements à la clé qui conduiront la filière à aller vers des investissements en conséquence. Je crois qu'il y a aujourd'hui une ambition trop timide pour véritablement enclencher le processus. Je pense qu'il faut fixer des objectifs plus importants, avec des moyens en face qui doivent être étudiés en coordination avec les compagnies aériennes et surtout les pétroliers, qui doivent rapidement être associés. Il faut des ambitions plus fortes et une mise en place de moyens pour engager cette filière. Aujourd'hui, l'objectif de 2 % en 2025 n'est pas très cohérent avec la problématique dont on parle. Ce n'est surtout pas une taxe sur les activités du secteur qui va permettre d'avancer.
Concernant la neutralité carbone, je vais céder la parole à Nicolas Paulissen, qui a travaillé sur ce sujet avec la cellule Europe, pour apporter des éléments techniques.
M. Nicolas Paulissen, délégué général . - Il s'agit d'un engagement de notre organisation professionnelle, Airports Council International Europe, dont l'UAF est un membre actif. Les aéroports européens se sont engagés à atteindre le zéro émissions nettes de carbone. Ils se sont donc engagés à ne plus avoir d'émissions de carbone, sans compensations, qui ne sont pas prises en compte. Les émissions résiduelles devront être traitées par captation ou stockage. On abandonne l'idée de compensations. On pouvait jusqu'ici compenser par l'achat de terrains, par la plantation d'arbres... Il s'agit donc d'un engagement beaucoup plus contraignant que le zéro carbone avec compensations. Il faudrait donc des progrès technologiques pour améliorer la captation et le stockage de ces émissions. C'est un objectif pour 2050 qui concerne l'ensemble des aéroports. Mais on ne doute pas que certains aéroports atteindront ces objectifs avant cette date, qui a été choisie car l'objectif concerne tous les pays européens, lesquels ne sont pas tous en capacité d'apporter à leurs aéroports tous les moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs. Il fallait laisser le temps à tous les pays d'être au même niveau.
M. Thomas Juin . - Concernant le court terme, on a une problématique car cet engagement représente un coût. Nous sommes en train de travailler pour que les aéroports de proximité et les petits territoires puissent s'engager dans ce processus. Cela signifie un état des lieux de leur empreinte carbone. Il y a une quarantaine d'aéroports qui ont fait cet état des lieux en France. Il y a aussi trois niveaux avant d'atteindre l'émission zéro en 2050. Le niveau 3 +, qui a déjà été obtenu à Nice, à Lyon, à Cannes et à Saint-Tropez, correspond à un aéroport carbone neutre par de la compensation. Pour que les plus petits aéroports puissent aller dans cette direction - car l'objectif n'est pas de rester à un état des lieux mais de réduire son impact -, nous sommes en train de mettre en place une démarche pour bénéficier de financements pour accompagner ces petits aéroports. L'UAF a donc vraiment une ambition pour que tous les aéroports, quelle que soit leur taille, soient à terme sur une hypothèse d'aéroport en carbone neutre.
Simplement un mot pour conclure, sur le fait que l'on entend régulièrement des critiques des dépenses effectuées dans le secteur du transport aérien. Le secteur aérien est historiquement plutôt discret en termes de lobbying . Le secteur s'exprime toutefois de plus en plus fréquemment depuis quelque temps, parce que nous considérons que nous ne valorisons pas suffisamment notre secteur et l'apport qu'il représente sur l'économie, mais également les efforts qui sont engagés quant à la réduction de son empreinte écologique. Nous nous sommes engagés à réduire en 2050 de 50 % les émissions du secteur par rapport à 2005. Au vu de la croissance attendue, cela signifie que l'on aboutira à la construction d'avions n'émettant aucun carbone. Nous ne savons pas le faire aujourd'hui.
Le transport aérien est donc très engagé pour l'environnement, apporte énormément à l'économie, et c'est également l'un des secteurs les plus vertueux en termes de dépenses publiques. Il ne représente que 5 % des dépenses publiques consacrées aux transports en France, et 0,5 % de la dépense globale des collectivités territoriale dans ce domaine. Il n'y a donc pas une abondance de dépenses publiques pour notre secteur et il est important de véritablement optimiser l'utilisation de nos aéroports. Il nous faut aujourd'hui, au lieu de sous-exploiter les aéroports en France, regarder comment, demain, ces aéroports peuvent encore mieux contribuer à l'aménagement du territoire.
M. Vincent Capo-Canellas, président . - Je vous remercie. Votre audition nous ouvre un grand nombre de champs, notamment sur l'idée que le partage des données ainsi qu'un assouplissement du cadre réglementaire devraient apporter plus d'émulation et de concurrence. Merci à tous les deux : cette audition nous a permis de compléter notre information et sera sans doute source d'inspiration pour la rapporteure et les membres de la mission.