B. UNE SOUS-ESTIMATION DU RISQUE PANDÉMIQUE DANS LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE
Si la revue stratégique a bien pointé le risque d'une crise pandémique, les chiches moyens accordés par la loi de programmation militaire au SSA montrent que les conséquences n'en ont pas réellement été tirées.
La ministre des armées a d'ailleurs déclaré devant la commission le 12 mai : « La crise sanitaire a montré combien la menace NRBC est d'actualité. Souvenons-nous de l'intérêt porté à l'arme biologique par Al-Qaïda ou Daech ! En prenant mes fonctions de ministre, j'ai découvert que ce domaine avait été totalement abandonné : il est donc indispensable de remonter en puissance sur les NRBC. C'est un sujet que nous devrons réexaminer dans le cadre de la LPM. »
Les rapporteurs estiment qu'un plan de remontée en puissance du SSA doit être mis en place à l'occasion de l'actualisation de la loi de programmation militaire, en 2021, occasion également de mieux prendre en compte le risque pandémique.
C. DES QUESTIONS SUR LE RÔLE ET L'ORGANISATION DU SSA MISES À JOUR À L'OCCASION DE LA CONTAMINATION DU PORTE-AVIONS CHARLES DE GAULLE PAR LE CORONAVIRUS
Les conclusions des enquêtes menées suite à l'épidémie de covid-19 sur le porte-avions Charles de Gaulle amènent à s'interroger sur le rôle de conseil au commandement que joue le SSA, et sur la remontée d'information en son sein.
En effet, parmi les problèmes identifiés dans la gestion de l'épidémie, on remarque que les signaux faibles d'une possible épidémie de COVID-19 à bord n'ont pas été détectés et que la contamination semble avoir été détectée tardivement.
La ministre des armées a ainsi indiqué devant la commission : « Les signaux faibles de la présence du virus à bord n'ont malheureusement pas été identifiés à temps . Le virus a circulé parmi une population jeune, en bonne santé et entraînée, et les symptômes qui ont été développés par quelques marins ont été interprétés comme étant des états grippaux . »
Les enquêtes ont montré que le service médical du bord utilisait, pour critère de définition des cas Covid-19, des signes cliniques d'infection respiratoire et de fièvre sans seuil de température, ainsi que d'exposition à un cas confirmé ou probable, ou d'exposition à une zone à risque. Si ce critère n'était pas rempli, les symptômes auraient été classés simple état grippal.
Or, l'inclusion des critères de perte d'odorat et/ou de goût dans la définition de cas possible aurait sans doute permis de détecter le signal épidémiologique dès le 23 mars, voire dès la fin de l'escale. Pour rappel, la diffusion de ces critères cliniques par la Direction générale de la santé s'est faite le 22 mars.
Les enquêtes ont montré un décalage de perception de la situation entre le commandement, focalisé sur la mission, et le service médical, « confiant » sur la situation sanitaire, et l'équipage inquiet par la situation épidémique en métropole.
Au-delà de la prise de conscience tardive de la situation, la remontée d'information pose question : alors que le nombre de cas augmente significativement le 5 avril, et qu'un marin débarqué au Danemark le 30 mars informe le porte-avions le 5 avril qu'il est testé positif au Covid, la directrice centrale du SSA (tout comme la ministre des armées) ne sont informées, comme elles l'ont l'une et l'autre indiqué devant la commission, que le 7 avril.
La secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, Mme Geneviève Darrieussecq, déclare ainsi devant la commission le 12 mai : « La transmission de l'information s'est avérée difficile à ce niveau-là et nous devons l'améliorer. Nous avons aussi besoin de regards croisés pour prendre les décisions les plus adaptées. Les remontées d'informations ont été insuffisantes pendant quarante-huit heures, ce qui a favorisé la diffusion de l'épidémie. »
Les rapporteurs du programme 178 se demandent si le rôle de conseil du SSA ne doit pas être réexaminé à la faveur de cette expérience, afin qu'en des circonstances particulières, telles que celles que nous connaissons actuellement, son rôle de conseil puisse être renforcé, en veillant naturellement à préserver l'impératif d'autonomie et de responsabilité du principe de commandement.
Devant la commission, le chef d'Etat-major des armées, le Général François Lecointre, a décrit en ces termes ce rôle de conseil : « Le commandement ne saurait abdiquer sa responsabilité. Bien sûr, le service de santé a une compétence technique et une expertise à faire valoir. Il exerce un rôle de conseil. Mais en aucun cas je n'accepterai que cet avis d'expert vienne se substituer à la responsabilité du commandement qui, in fine, doit décider après avoir développé une vision la plus globale possible, et en endossant seul l'entière responsabilité des ordres donnés. Pour autant, des avis très précis sont donnés à toutes les forces engagées en opération, jusqu'au plus haut niveau. » (Audition du 23 avril 2020).
Sans remettre en cause cette responsabilité du commandement, en charge des opérations, des procédures complémentaires, permettant un « regard croisé » ou un « travail en plateau » , possibilités évoquées par la ministre devant la commission, pourraient permettre d'éclairer davantage le commandement sur la conduite des opérations dans un cadre aussi exceptionnel que celui d'une pandémie mondiale.
Les rapporteurs seront très attentifs aux propositions que l'Etat-Major doit faire à la ministre en ce sens.
L'absolue nécessité d'un dépistage systématique des soldats avant projection en opérations et des équipages avant appareillage
Depuis plusieurs semaines, la commission des affaires étrangères et de la défense demande au Gouvernement que les forces projetées en opérations, équipages avant appareillage et relèves d'OPEX, soient testés systématiquement avant leur départ.
Ceci non seulement afin d'assurer la sécurité des forces, leur efficacité opérationnelle, mais aussi pour en garantir l'acceptabilité politique pour les pays qui reçoivent sur leur sol les soldats français.
La ministre des armées a fait droit à cette demande et a annoncé devant la commission le 12 mai : « Nous veillerons, en complément des quatorzaines, et en fonction des règles des pays de destination de nos forces, à ce que l'autorité médicale utilise les tests virologiques et sérologiques » .
Les rapporteurs se félicitent de la mise en oeuvre de ce dépistage systématique des forces combattantes.