Rapport d'information n° 313 (2020-2021) de M. Olivier JACQUIN , fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 28 janvier 2021

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AVANT-PROPOS

En novembre 2018, la délégation à la prospective du Sénat publiait un rapport intitulé « Mettre les nouvelles mobilités au service de tous les territoires ». Ce rapport pointait le risque d'un progrès à deux vitesses en matière de solutions de mobilité avec d'un côté des zones denses bien maillées, bien desservies et bien connectées, profitant à plein du progrès technique et délaissant peu à peu le véhicule individuel pour des modes de transport partagés, plus vertueux du point de vue environnemental et plus économiques pour l'ensemble des usagers, et d'un autre côté les zones rurales ou les petites villes, condamnées à faire reposer les mobilités de leurs habitants presque uniquement sur la voiture.

Votée fin 2019, la loi d'orientation des mobilités (LOM) vise, en étendant à tout le territoire le périmètre des autorités organisatrices de mobilités (AOM), à éviter que le paysage institutionnel des mobilités comporte des « zones blanches » où aucune solution intégrée de mobilité ne serait proposée aux habitants. Mais la mise en oeuvre des nouveaux outils offerts par la LOM est variable, selon les spécificités de chaque agglomération, région ou territoire, et aussi selon l'existence ou non de moyens financiers, notamment la possibilité de lever le versement mobilité. La question de savoir si l'outil sera utilisé par les acteurs locaux reste encore sans réponse évidente.

Le cadre de réflexion sur ces questions est également en pleine mutation, car l'on bascule peu à peu d'une approche par les transports , centrée sur chaque mode et s'intéressant surtout aux véhicules et aux infrastructures, à une approche par la mobilité au sens large , nécessitant de partir non pas des modes existants mais des besoins de déplacement et des pratiques dans toute leur diversité. Le basculement culturel est important : après 150 ans de politiques de transport, reposant sur une expertise pointue et très technique et sur quelques grands opérateurs, il convient de passer à une politique publique des mobilités, plus complexe et multiforme, qui doit se réinventer en permanence et nécessite de nouveaux savoir-faire dans les collectivités.

La logique de « mobilité » peut ainsi aller de pair avec celle de l'« accessibilité » au sens où elle prend en compte les raisons pour lesquelles les personnes sont amenées à se déplacer , qu'elles soient quotidiennes ou occasionnelles : accès aux services et aux commerces, au travail et aux lieux de vie... Il convient de trouver un juste équilibre entre un droit à la mobilité pour tous et une égalité spatiale ou du moins une équité dans l'organisation des différents services et lieux de vie.

Ces aspects sont d'autant plus saillants que, dans de nombreux territoires, la dépendance à l'automobile est importante et contraint les budgets . Dans son étude mobilité de janvier 2021, l'INSEE relatait qu'« en 2017, 74 % des actifs en emploi qui déclarent se déplacer pour rejoindre leur lieu de travail utilisent leur voiture, 16 % prennent les transports en commun et 8 % ont recours aux modes de transport doux (6 % la marche et 2 % le vélo). Pour des distances inférieures à 5 kilomètres, la voiture représente encore 60 % des déplacements domicile-travail » 1 ( * ) . Cette prééminence de la voiture s'explique notamment par l'allongement des distances parcourues quotidiennement par les actifs. Jérôme Fourquet rappelait dans une note pour la Fondation Jean Jaurès en mai 2019 que si en 1975, 44 % des actifs travaillaient en dehors de leur commune de résidence, et que la distance moyenne entre le domicile et le travail était de 7 kilomètres, cette réalité concernait 64 % des actifs avec une distance moyenne de 15 kilomètres en 2013. L'augmentation de la distance a accru la dépendance à la voiture. La « facture carburant » est devenue « insoutenable pour toute une partie de la France périphérique ». Il était donc peu surprenant que « différentes enquêtes de l'IFOP [...] montrent que l'identification aux « gilets jaunes » était très clairement indexée sur le degré de dépendance à la voiture » 2 ( * )

À l'issue du rapport de la délégation à la prospective du Sénat de novembre 2018, et après le vote de la LOM, il a paru nécessaire d'approfondir la question de l'avenir des mobilités dans les espaces peu denses 3 ( * ) , qui sont marquées à la fois par de multiples initiatives et innovations, mais aussi par la difficulté à pérenniser les expériences, à monter en puissance et faire changer les habitudes profondément ancrées d'utilisation quasi-exclusive de la voiture pour tous les déplacements individuels. Ce mode de transport s'avère en effet le plus souple et le plus efficace dans ces espaces, à condition bien entendu d'en avoir les moyens. Ayons cependant à l'esprit que le modèle automobile dans tous les types de territoires sera nécessairement appelé à évoluer avec la perspective d'ici 2040 de la fin des moteurs thermiques, en application de l'objectif de décarbonation des déplacements, ainsi qu'une révolution technologique liée à l'automatisation et à la diffusion de véhicules autonomes. À plus court terme, le passage de la vitesse maximale autorisée de 90 à 80 km/h sur les routes secondaires contribue à changer le rapport à la route.

Les nouveaux travaux menés par la délégation à la prospective sur la question des mobilités ont visé à imaginer la transformation des modes de déplacement dans les zones peu denses à l'horizon 2040 . Ces territoires sont de plus en plus prisés en raison des faibles prix du foncier et pour la recherche d'une meilleure qualité de vie que dans les villes denses. L'expérience du confinement du printemps 2020 a probablement renforcé l'attrait pour les campagnes. Pour autant, l'absence de solutions de mobilités adaptées constitue encore un obstacle et un frein dans la vie quotidienne qu'il convient d'examiner avec attention. Cela apparaît comme une nécessité sociale et écologique, mais également de cohésion territoriale dans la République.

I. LA MOBILITÉ ET LES ZONES PEU DENSES : UN PÉRIMÈTRE FLOU

A. COMMENT DÉFINIR LES « ZONES PEU DENSES » ?

1. Espaces peu denses, campagnes, « grands espaces » : un florilège de définitions
a) La classification de l'INSEE

Où commencent les zones peu denses ? À cette question, l'INSEE répond à travers une grille communale de densité qui distingue 4 niveaux. Cette grille, qui a récemment évolué, est fondée sur un découpage du territoire en carrés d'1 km² (mailles) 4 ( * ) . La densité de population est évaluée dans chacun de ces carrés avec des seuils à 1 500 habitants, 300 habitants et 25 habitants.

L'application de la grille de densité permet de classer les communes dans l'une des catégories suivantes 5 ( * ) :

- Les communes densément peuplées sont celles dont plus de 50 % des mailles qui la constituent sont des mailles de plus de 1 500 habitants, avec des mailles contigües regroupant plus de 50 000 habitants.

- Les communes de catégorie intermédiaire sont celles avec plus de 50 % de la population vivant dans des mailles urbaines, de plus de 1 500 habitants de densité ou de plus de 300 habitants de densité au km², avec des mailles contigües comptant plus de 5 000 habitants, et ne relevant pas de la catégorie des communes denses.

- Les communes peu denses sont celles où au moins 50 % de la population vit dans des mailles comptant plus de 25 habitants par km², avec des mailles contigües comptant plus de 300 habitants.

- Enfin, les communes très peu denses sont celles où plus de 50 % de la population vit en dehors de ces mailles. Cette dernière catégorie a été ajoutée par l'INSEE (la typologie européenne ne comptant que 3 niveaux) pour permettre une analyse plus fine des espaces ruraux.

Si les deux tiers de la population française vivent dans des communes denses ou de densité intermédiaire, c'est-à-dire dans un milieu essentiellement urbain, les communes peu denses et très peu denses, qui constituent l'immense majorité des communes françaises (plus de 30 000), couvrent 90 % du territoire national et accueillent un tiers des habitants de notre pays , au-dessus de la moyenne européenne (seulement 24 % des Européens vivent dans des espaces peu denses) 6 ( * ) .

Les espaces très peu denses quant à eux accueillent seulement 4 % de la population française. Mais ils représentent environ un tiers des communes françaises et 35 % de la surface du territoire, comme le montre la carte ci-dessous.

La grille de densité de l'INSEE permet une première approche, objective, mais elle manque de finesse pour l'analyse des espaces vécus . Certains espaces peu denses peuvent constituer en réalité la périphérie éloignée d'une grande ville et se situer dans sa zone d'attraction, certains peuvent être aussi bien dotés en services de proximités tandis que d'autres, de même densité, ne bénéficieraient pas des mêmes dynamiques. Il convient aussi de prendre en compte le relief ou encore le climat.

b) La distinction entre le rural et l'urbain

Une autre approche pourrait consister à distinguer les espaces urbains et les espaces ruraux. Dans le rapport Ruralités, une ambition à partager 7 ( * ) remis en juillet 2019 à Jacqueline Gourault, alors ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, les auteurs, parlementaires et élus locaux, soulignaient qu'il existait plusieurs approches de la ruralité : par le zonage de la France en aires urbaines, qui dessine en creux la France rurale, par la grille de densité, mais aussi à travers une analyse plus fine du territoire qui permettait d'identifier 7 catégories différentes d'espaces ruraux répartis en 3 groupes :

Les campagnes des villes, du littoral et des vallées urbanisées , pouvant elles-mêmes être subdivisées en trois catégories :

- Les campagnes densifiées, en périphérie des villes, à très forte croissance résidentielle et à économie dynamique ;

- Les campagnes diffuses, en périphérie des villes, à croissance résidentielle et dynamique économique diversifiée ;

- Les campagnes densifiées, du littoral et des vallées, à forte croissance résidentielle et à forte économie présentielle.

Les campagnes agricoles et industrielles , sous faible influence urbaine.

3° Les campagnes vieillies à très faible densité , pouvant elles-mêmes être divisées en trois groupes :

- Les campagnes à faibles revenus, économie présentielle et agricole ;

- Les campagnes à faibles revenus, croissance résidentielle, économie présentielle et touristique ;

- Enfin, les campagnes à faibles revenus, croissance résidentielle, économie présentielle et touristique dynamique, avec éloignement des services d'usage courant.

Les auteurs du rapport proposent de retenir cette approche fine de l'espace rural, qui recoupe en partie la carte de densité mais permet de mieux caractériser les espaces, leurs dynamiques et d'identifier leurs problématiques, expliquant que : « cette typologie offre un intérêt majeur en distinguant différents "types" de campagnes et donc en y associant des problématiques et enjeux spécifiques en matière de politiques publiques ».

Source : DATAR - INRA CESAER/ UFC-CNRS ThéMA/ Cemagref DTMA METAFORT, 2011

c) Ne devrait-on pas plutôt parler de campagnes ou encore des « grands espaces » ?

Une autre approche a été proposée lors de la table ronde organisée au Sénat le 23 septembre 2020 par Sylvie Landriève, co-directrice du Forum Vies Mobiles. Parler d'espaces peu denses peut laisser penser que ces territoires ne seraient pas assez denses , alors qu'ils sont précisément de plus en plus attractifs de ce fait pour les rurbains ou néoruraux. Lors de son audition devant le rapporteur, le chercheur en sciences sociales Éric Charmes suggérait aussi de trouver un autre terme que celui d'espace peu dense, négativement connoté, alors que les habitants voient positivement ces territoires et y sont attachés. Ils pourraient simplement être qualifiés de « campagnes ». Car plus prosaïquement, lorsque l'on n'est pas urbain, on se « ressent » comme étant de la campagne, que l'on soit périurbain ou dans le rural isolé.

Avant même le confinement du printemps 2020, une majorité d'urbains affirmait vouloir quitter les villes pour s'installer à la campagne 8 ( * ) . Ce goût pour un environnement moins urbain, plus connecté à la nature n'est certes pas nouveau, mais l'expérience du confinement, que certains urbains ont préféré passer « à la campagne » 9 ( * ) et la pratique du télétravail ont probablement encouragé certains ménages à « sauter le pas » 10 ( * ) , même s'il est trop tôt pour mesurer l'ampleur et la durabilité d'un tel phénomène. Serions-nous à un moment de basculement, les problèmes seraient-ils plus nombreux dans les espaces très denses ? La question se pose.

Encore faut-il bien appréhender les espaces dont il s'agit. La notion d'espace peu dense est peu illustrative de la réalité de ces territoires et ne prend pas assez en compte la grande diversité de leurs dynamiques : certains sont bien dotés en services, certains sont aussi particulièrement prisés ce qui se traduit par de nombreuses constructions nouvelles et un marché immobilier en essor, tandis que d'autres continuent à perdre des habitants, des commerces et des services. Pour prendre en compte leur grande variété, Sylvie Landriève propose de parler tout simplement de « grands espaces », capables d'englober tout autant des espaces périurbains en fort essor démographique, ceux connaissant une déprise industrielle ou encore les campagnes peu peuplées et les territoires de montagne connaissant des fortes variations saisonnières de population .

Cette notion permettrait aussi de mieux prendre en compte l'aspiration de nombre de nos concitoyens à vivre dans des lieux aérés, plus connectés avec la nature, caractérisés par le fait que l'on n'habite pas les uns sur les autres, qu'on puisse facilement se côtoyer sans se gêner, sans se marcher sur les pieds, à rebours de la grande ville, dense et chère, caractérisée par la promiscuité et la concentration des activités et des habitants.

Au final, c'est près de la moitié de la population française qui vit dans ces « grands espaces », en habitat quasi-exclusivement individuel, parfois groupé mais parfois aussi très dispersé . Cette notion de « grands espaces » permet de remettre la mobilité au coeur de la réflexion. Car ces territoires se caractérisent par une grande dépendance à la voiture, moyen de déplacement privilégié et quasi-exclusif pour la presque totalité des besoins de la vie quotidienne.

Lors de son audition, Jean-Marc Offner, directeur de l'Agence d'urbanisme Bordeaux Aquitaine, définissait d'ailleurs l'espace peu dense comme celui « où l'on se déplace en voiture et pas à pied, car l'échelle de ces espaces n'est pas à la mesure du piéton », et pourtant, de manière paradoxale, près de la moitié de nos déplacements quotidiens font moins de 3 kilomètres. Ces territoires ne se résument pas aux seuls espaces peu denses au sens de l'INSEE ou aux seuls territoires ruraux.

La grande dépendance à la voiture induit dans ces territoires une problématique sociale majeure : tous ceux qui ne disposent pas de voiture ou de permis de conduire courent le risque de devenir des « assignés territoriaux » pour reprendre l'expression d'Eric le Breton 11 ( * ) . Cela concernerait 15 à 20 % de la population adulte des espaces peu denses, essentiellement des jeunes, des femmes, des personnes âgées mais aussi des personnes aux revenus trop faibles pour pouvoir posséder une voiture ou payer le carburant. Le même Éric Le Breton notait que le permis de conduire est plus difficile à obtenir que le baccalauréat.

d) Les espaces peu denses caractérisés par un panel faible de mobilités

En définitive, quelle définition retenir pour les espaces peu denses ? Celle de l'INSEE a l'avantage de l'objectivité à travers des catégories statistiques. Mais le peu dense est très divers, selon la configuration du territoire, la proximité d'axes de circulation. Des zones peu denses voire très peu denses peuvent en réalité constituer une maille d'une couronne périurbaine éloignée d'une grande agglomération, mais qui reste dans sa zone d'attraction, à défaut d'être dans son périmètre intercommunal. Le relief peut aussi être un facteur d'éloignement et un obstacle à la mobilité.

Ne devrait-on pas caractériser les espaces peu denses comme étant ceux où les solutions de mobilité sont elles-mêmes peu denses, peu variées, où il existe peu d'autres possibilités que le véhicule individuel pour se déplacer ? Il s'agirait de définir le peu dense du point de vue de la mobilité et non de la géographie humaine . Selon un tel critère, les espaces périurbains proches des métropoles mais mal desservis en transports collectifs, bénéficiant de peu d'innovations, notamment hors des zones de déploiement des nouvelles mobilités partagées des coeurs de ville, pourraient être considérés comme peu denses, alors que les communes concernées ne sont pas classées comme telles au sens de l'INSEE. Une telle approche complexifie la problématique mais elle montre bien que, quel que soit le type d'espace que l'on habite, l'existence d'un panel riche de solutions et adapté à chaque typologie d'espace peu dense est un critère fort du désenclavement du territoire.

Du point de vue des mobilités et de l'accessibilité, les solutions à mettre en oeuvre seront très différentes si l'on habite dans le périurbain, dans le rural polarisé ou dans le rural isolé. La densité de population sera également un facteur déterminant, mais plus encore la prise en compte de la géographie : les solutions seront différentes dans une vallée de montagne, dans une plaine céréalière de la Marne, dans le rural soumis à pression touristique ou encore à la montagne pendant les sports d'hiver. Plus finement encore, le rurbain qui au quotidien aboutit en centre-ville par une gare aura plus de solutions que celui qui se rend dans une zone d'activité en périphérie. C'est donc du sur mesure qu'il convient de produire.

2. Quelles dynamiques économiques, sociales et démographiques dans les « grands espaces » ?
a) L'attractivité des campagnes : vers un nouveau paradigme démographique ?

Si le phénomène urbain est ancien, la dynamique à l'oeuvre au 19 e et au 20 e siècle en France a été celle d'un exode rural continu et massif, qui a accompagné la révolution industrielle et ne s'est pas démenti jusqu'aux années 1990, cette tendance démographique générale au dépeuplement de l'ensemble des campagnes au profit des villes est désormais stoppée , si ce n'est inversée, comme le notait déjà un rapport de la délégation à la prospective du Sénat de 2013 consacré à « l'avenir des campagnes » 12 ( * ) .

Le retournement de tendance est observable dès le début des années 2000, voire un peu avant. L'INSEE constate désormais une croissance démographique plus élevée dans les communes peu denses que dans les communes denses (mais moins élevée dans les communes très peu denses) 13 ( * ) .

Une partie de ce retournement de tendance s'explique par l'extension géographique de la zone d'attraction des métropoles . Pour des raisons diverses, de coût d'accès au logement, ou de recherche d'une meilleure qualité de vie, on s'éloigne de plus en plus des grandes villes et de leur périphérie immédiate pour habiter à la campagne, au prix de trajets domicile-travail allongés. C'est l'illustration de la conjecture de Zahavi 14 ( * ) : le temps gagné dans un déplacement est réinvesti dans la distance. Plus la distance est importante, plus le prix du foncier diminue. Les espaces peu denses seraient devenus la couronne périurbaine éloignée attractive des grandes métropoles. Il serait donc excessif de parler d'exode urbain, car ce type de phénomène ressemble plutôt à une reconfiguration périurbaine. D'une certaine manière, nous serions devenus « tous métropolitains », à l'exception peut-être des 4 % d'habitants des espaces très peu denses.

L'analyse des phénomènes démographiques à l'oeuvre montre aussi qu'une partie de cette croissance vient d'un phénomène de départ ou de « retour à la campagne », dans le cadre d'un parcours de vie, de retraités aspirant au calme, loin des villes ou des banlieues pavillonnaires qu'ils avaient habitées durant leur vie active. 15 ( * ) Mais cette installation « à la campagne » peut aussi consister en une réorganisation des espaces de vie pour une partie de la population qui en réalité réside alternativement en plusieurs endroits . N'oublions pas que sur environ 37 millions de logements existants en France, 3,6 millions sont des résidences secondaires. Lors de la table ronde du 23 septembre 2020 au Sénat, Xavier Desjardins, professeur en Urbanisme et Aménagement à Sorbonne-Université pointait le phénomène des bi-résidents, qui transforme la question du rapport à l'espace : « la question qui risque de se poser ne sera pas de savoir si l'on habite à la ville ou à la campagne, mais combien de jours par an l'on passe dans chacun de ces espaces et quels services nous utilisons ». Ce phénomène devrait d'ailleurs conduire à s'interroger aussi sur la ségrégation socio-spatiale et sur la fracture sociale qui séparera ceux pouvant résider alternativement en plusieurs lieux et ceux assignés territoriaux dans les espaces périurbains défavorisés ou dans des espaces ruraux isolés et déclassés.

Notons aussi que tous les territoires ruraux ou peu denses ne sont pas égaux devant ces nouvelles tendances . Tandis que le Sud et l'Ouest de la France ou encore les territoires de montagne sont globalement attractifs, la diagonale du vide, partant des Ardennes et allant jusqu'au massif central, n'a pas pour autant disparu et son attractivité semble encore faible.

Enfin, le très peu dense, dépourvu de services de proximité, commerces, médecins, reste peu attractif et continue de voir sa démographie stagner ou régresser.

Au-delà des chiffres et de leur variation, une constante s'impose : l'envie de vivre à la campagne ou dans des petites villes est exprimée fortement par les Français. Une étude de Familles rurales menée en 2019 16 ( * ) mettait en évidence que 81 % des Français considéraient la vie à la campagne comme le mode de vie idéal, mais que quatre facteurs constituaient des freins à l'installation à la campagne : la désertification médicale, l'absence de services et de commerces, le déficit d'emplois disponibles et le déficit de transports . C'est bien le couple mobilité et accessibilité qui est interrogé : la maîtrise de la répartition territoriale des services, des emplois et de l'habitat serait déterminante en même temps que les solutions de transports croîtraient.

b) La concentration des richesses et des activités dans les métropoles

Si les espaces peu denses bénéficient d'une attractivité résidentielle certaine, le fait métropolitain est toutefois puissant et a tendance à concentrer les activités économiques, culturelles, éducatives, les centres de recherche ou encore les loisirs, dans les coeurs des grandes villes françaises et leur périphérie immédiate.

Dans une note d'analyse de novembre 2017 17 ( * ) , France Stratégie constatait que la croissance de l'emploi observée dans les zones d'emploi englobant les douze grandes métropoles françaises était de 1,4 % par an en moyenne, contre 0,8 % sur l'ensemble du territoire, sur la période 1999-2014. Cette même étude montrait que si certaines métropoles entraînaient les territoires avoisinants (Lyon, Nantes, Rennes, Bordeaux, Aix-Marseille), d'autres au contraire n'apportaient pas d'effet d'entraînement sur l'emploi des territoires voisins (Montpellier, Toulouse). Globalement, nombre d'espaces peu denses dépendent fortement du développement de l'emploi dans les métropoles proches car ils ne sont pas marqués par un fort développement des activités économiques et de l'emploi.

Dans un avis d'octobre 2019 consacré aux métropoles, le Conseil économique social et environnemental 18 ( * ) invite à nuancer les constats généraux sur les métropoles en prenant en compte la grande diversité de leurs dynamiques respectives , en particulier en matière d'emploi et de développement économique. Toutes n'ont pas la même force d'attraction et le même degré de développement, ni les mêmes interactions avec leur environnement.

Il n'en reste pas moins que les grands pôles urbains concentrent des activités que l'on ne retrouve pas ailleurs : les universités et pôles d'enseignement supérieur, les activités de recherche, mais aussi les activités financières ou de conseil juridique ou encore les activités culturelles. De même, les grandes structures de soin hospitalier sont concentrées dans les espaces denses et l'accès à des soins spécialisés nécessite de s'y déplacer.

Le commerce a lui aussi eu tendance à se concentrer soit au coeur soit en périphérie des métropoles pour bénéficier d'une clientèle large, à la confluence de voies de circulation. On a ainsi vu fleurir depuis quelques décennies des centres commerciaux géants ou des cinémas multiplexes, qui drainent le public vers ces nouveaux temples de la consommation moderne, ignorant les coeurs de ville.

c) Le « déséquipement » des campagnes et des petites villes

Si les territoires peu denses ne bénéficient pas directement des activités économiques et de la palette de services liés à la ville dense, ils peuvent cependant y être reliés plus ou moins étroitement à travers les axes de communication qui permettent un déplacement facile. Par ailleurs, le « besoin de ville » peut être atténué par le maintien d'une palette suffisante de services de proximité limitant les besoins de se déplacer.

Or, le constat est assez facile à faire : qu'il s'agisse de services publics, de services commerciaux privés ou d'offres de mobilité, les espaces peu denses ont fait l'objet depuis plusieurs décennies d'un déséquipement préoccupant , pénalisant leur attractivité.

Concernant les transports ferrés, alors que le réseau avait compté jusqu'à 60 000 km de voies en 1920, dont environ 40 000 km de lignes d'intérêt général et 20 000 km de lignes d'intérêt local, il s'est contracté progressivement pour ne plus compter aujourd'hui que 18 000 km de voies exploitées et 2 800 haltes et gares desservies. La concurrence de la route a conduit à une très forte contraction du réseau ferré des années 1950 à 1970. Les fermetures de lignes sont beaucoup moins nombreuses depuis le transfert de compétence aux régions au milieu des années 1980. Pour autant, la question du maintien des « petites lignes » reste posée comme l'ont montré le rapport Spinetta de 2018 19 ( * ) et la LOM qui offre désormais la possibilité aux régions de les reprendre.

Le maintien d'une offre de transports publics en zone peu dense s'inscrit dans une équation difficile , du fait de la concurrence de la route : peu fréquentés, ils apparaissent coûteux, ce qui tend à diminuer progressivement l'offre de services, notamment la fréquence des rotations, ce qui conduit à réduire encore leur utilisation.

En parallèle, l'accessibilité territoriale se restreint comme l'offre de mobilité. Le déséquipement des zones peu denses ne se limite pas aux transports collectifs. Il s'étend aussi aux services médicaux avec le non-remplacement des médecins de campagne, ou encore aux autres services publics comme La Poste. La réduction de la taille du réseau des finances publiques impacte aussi les zones peu denses, en fermant les implantations de proximité installées dans des bourgs-centres et des petites villes. Même si la Cour des comptes, dans un rapport de mars 2019 relatif à l'accès aux services publics dans les territoires ruraux 20 ( * ) , nuance fortement le constat fait sur le terrain d'une disparition de nombreux services publics, les campagnes et petites villes paraissent toutefois pâtir de leurs réorganisations successives.

À côté de leur déséquipement, les zones peu denses connaissent un équipement plus lent que les zones denses en nouvelles technologies de communication 21 ( * ) . Les zones blanches se réduisent progressivement mais les territoires peu denses ne sont pas encore couverts à 100 %. Il en va de même pour la fibre optique qui n'est pas encore disponible partout.

B. LA MOBILITÉ DANS LES ZONES PEU DENSES : L'EMPIRE DE LA VOITURE INDIVIDUELLE

1. La prédominance des déplacements en voiture individuelle
a) La voiture individuelle prédominante pour les déplacements du quotidien : pas uniquement dans les espaces peu denses

Hors Île-de-France, la voiture individuelle reste le mode de déplacement majoritaire des Français . Selon l'enquête mobilités déplacements (EMD) 22 ( * ) menée en 2018-2019, elle représentait 63 % des déplacements locaux effectués du lundi au vendredi, pour un temps de déplacement moyen de 19 minutes.

La part de la voiture se réduit un peu par rapport à 2008, essentiellement dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants. En milieu rural, la voiture reste utilisée dans plus de 80 % des déplacements du quotidien et la situation n'a pas tellement évolué depuis une décennie .

La différence entre zones denses et peu denses est toutefois moins marquée qu'on pourrait le croire, lorsqu'on neutralise la situation très spécifique de la région parisienne. La voiture individuelle apparaît très utilisée dans les agglomérations hors Paris pour les déplacements du quotidien. On constate aussi que la part du vélo est à peu près similaire dans tous les espaces, même si dans les espaces urbains elle croît fortement depuis le confinement du printemps 2020.

La dépendance à la voiture est donc un phénomène partagé , qui transcende l'opposition entre zones denses et peu denses et commence dès que l'on s'éloigne un peu des coeurs d'agglomération. Cette dépendance entraîne une fragilité économique en cas de hausse des prix du carburant, comme évoqué précédemment ; et ce même si, toutes autres choses égales par ailleurs, les prix des carburants sont extrêmement bas par rapport aux années 1970, à euro constant 23 ( * ) .

Évolution des parts des modes de transport (en nombre de déplacements) par tranche d'unités urbaines entre 2008 et 2019

Simplement, dans les zones périphériques des agglomérations, l'existence de systèmes de transports collectifs performants permet plus facilement un report modal. À l'inverse, dans les zones peu denses, les systèmes de transport collectif sont plus faiblement développés et sont souvent conçus pour des publics spécifiques : personnes âgées (plus nombreuses dans les espaces peu denses), population scolaire (avec des systèmes de ramassage scolaire très structurés qui couvrent presque l'ensemble du territoire) et personnes fragiles (n'ayant pas de voiture pour raison économique, ou sans permis, ou porteuses de handicaps).

Les politiques de mobilité dans les territoires peu denses n'ont pas visé à diversifier l'offre, sans aucun doute parce qu'il y avait une absence de volonté de remettre en question la prééminence de la voiture qui n'était pas jugée problématique mais également parce que d'un point de vue technique on ne savait pas bien développer autre chose que des services réguliers, comme en ville.

Les espaces peu denses étant institutionnellement autonomes par rapport aux agglomérations denses, du fait du découpage intercommunal et des périmètres des autorités organisatrices des transports ne les incluant pas, les actions en matière de mobilité se sont donc déployées de manière autonome par rapport aux espaces denses, si bien que ce sont deux mondes très différents et donc deux modes de mobilité différents qui se structurent dans chacun de ces espaces.

b) Le défi de la mobilité de demain se pose aussi dans les campagnes

Pour autant, les espaces peu denses ne peuvent pas rester à l'écart des transformations des mobilités. L'enjeu de décarbonation des mobilités se pose aussi pour leurs habitants , mais dans des termes distincts des zones denses où le remplacement du transport individuel par du transport collectif a déjà été entamé pour répondre non pas à un objectif environnemental mais à un objectif pratique de contournement de la congestion automobile structurelle dans des territoires devenus trop petits pour y accueillir des flux automobiles massifs.

Les mobilités alternatives à l'usage individuel de la voiture thermique dans les espaces peu denses doivent contribuer à l'allègement de l'empreinte carbone des déplacements, mais aussi à l'allègement de la facture mobilité des ménages , celle-ci pouvant approcher voire être supérieure au coût du logement lorsque les déplacements se font sur des distances importantes. Selon les chiffres 2020 du baromètre des mobilités du quotidien 24 ( * ) mis en place conjointement par Wimoov et la Fondation Nicolas Hulot, le coût des déplacements s'élevait en moyenne à 90 € par mois en ville contre 141 € par mois à la campagne.

Pour autant, le défi d'une mobilité plus diversifiée dans les campagnes ne paraît pas insurmontable :

• d'une part, des solutions nouvelles et complémentaires à la voiture existent et peuvent être mises en oeuvre. Elles sont examinées ci-dessous ;

• d'autre part, de très nombreux déplacements depuis les zones peu denses sont des déplacements courts . Le modèle pendulaire à travers des navettes longue distance n'est en réalité pas le seul modèle de mobilité dans les zones peu denses et aurait même tendance à être minoritaire. Citant une étude faite sur le département de l'Aube, Xavier Desjardins, lors de la table ronde du 23 septembre 2020 au Sénat, indiquait que 55 % de la population travaillaient en réalité à moins de 7 kilomètres de leur domicile. Ce sont tous ces déplacements courts pour lesquels la recherche d'alternatives porte un potentiel de transformation de la vie quotidienne et du rapport aux mobilités dans les espaces peu denses.

En termes de distance parcourue pour les déplacements du quotidien, la tendance de long terme est à l'augmentation pour les habitants des espaces périurbains et des espaces ruraux. Mais les données disponibles montrent une grande disparité de situations : ainsi, selon l'enquête nationale mobilité et modes de vie 2020 du Forum Vies Mobiles, « 36 % des gens parcourent moins de 10 kilomètres par jour pour leur travail alors que près d'un quart (22 %) parcourent plus de 60 kilomètres par jour en moyenne ».

2. Un bouquet diversifié de solutions de mobilités
a) Quelle place pour les transports collectifs classiques dans les zones peu denses ?

L'association ATEC ITS France, qui regroupe collectivités et experts des transports, a établi une feuille de route pour les mobilités en zone peu dense lors des assises des mobilités en 2017 et a produit une actualisation de cette feuille de route début 2020 à travers un rapport 25 ( * ) analysant les différentes solutions disponibles.

Plaidant pour la combinaison des modes et la mutualisation des moyens dans les espaces peu denses , ce rapport met en évidence les difficultés à faire reposer le système de mobilité dans ces territoires sur les systèmes classiques de transports collectifs et rejoint la proposition émise par Vincent Kaufmann lors de son audition de travailler en priorité sur l'offre existante, en la recensant et en la coordonnant mieux, constatant que bien souvent il y a une offre significative mais non organisée.

Concernant les transports ferrés , qui constituent un mode lourd, nécessitant des infrastructures à maintenir voire à mettre à niveau périodiquement, leur maintien et leur régénération passe par la consommation massive de crédits publics. La stratégie de transfert aux régions d'une fraction des 9 000 km des petites lignes reporte la charge de la décision et une part du financement sur celles-ci 26 ( * ) . Comme le remarquait Thierry Mallet, PDG du groupe Transdev et président de l'UTP, lors de la table ronde organisée au Sénat le 23 septembre 2020, « le train est perçu comme une bonne alternative pour les longues distances, et beaucoup moins pour les trajets du quotidien ». Il ajoutait que pour améliorer la qualité de service, les usagers attendent une augmentation de la fréquence des trains et un cadencement des rotations, ce qui n'est pas tenable économiquement lorsque le public potentiel est trop peu nombreux. Leur présence dans les zones peu denses dépend donc du choix politique d'y consacrer massivement des crédits publics, même s'il existe des pistes d'amélioration comme le ferroviaire léger, éventuellement fonctionnant à l'hydrogène. En outre, le ferroviaire reste pertinent en l'intensifiant par du rabattement sur des lignes structurantes. De nombreuses expériences existent en France et en Europe où des petites lignes ont vu leur fréquentation augmenter par une amélioration de l'offre. Les régions ont d'ailleurs fait la démonstration qu'elles savaient dynamiser le ferroviaire par l'offre et les prix.

Concernant les transports en bus ou cars express , le rapport de l'ATEC ITS France souligne qu'ils offrent une véritable solution alternative à la voiture pour accéder aux zones d'emploi des zones denses voire aux zones denses elles-mêmes. L'extension des zones périurbaines autour des grandes agglomérations donne en effet sa pertinence aux transports collectifs de rabattement, car il s'agit d'amener un nombre plus important de personnes sur des distances plus longues vers des destinations centrales. Mais l'enjeu est que ces transports soient rapides, fiables et confortables. Car sinon, la voiture individuelle offrira toujours une souplesse et une rapidité inégalables. C'est pourquoi le rapport préconise des fréquences élevées aux heures de pointe avec des temps de parcours minimisés grâce à un faible nombre d'arrêts et au développement de voies réservées. Dans notre pays de « culture ferroviaire », le car est parfois dénigré comme étant un palliatif à l'absence de liaisons par train, alors qu'il peut rendre des services efficaces à coût maîtrisé s'il est organisé avec rigueur.

Ces contraintes plaident pour une articulation de cette solution avec d'autres, plus souples, comme le covoiturage et/ou l'autopartage . Elles plaident aussi pour l'aménagement de pôles multimodaux assurant des correspondances rapides dans des hubs urbains de mobilité. Les modes lourds pouvant être massifiés sont coûteux et doivent être valorisés au maximum pour que ce coût soit considéré comme acceptable. Dès lors il faut organiser un rabattement de voyageurs vers eux en début de trajet et à l'arrivée organiser la diffusion multimodale de cette massification. D'où la nécessité de l'aménagement de pôles multimodaux autour de ces équipements structurants que sont le ferroviaire ou les lignes de bus express à haut niveau de service.

La gare autoroutière de Briis-sous-Forges, dans l'Essonne, est souvent citée comme exemple pour ce type de solution : un parking automobile y est aménagé pour les habitants des alentours, qui ont la possibilité d'y emprunter des bus (passant toutes les 5 minutes aux heures de pointe) pour rallier la gare de RER de Massy, ou encore pour rallier le pôle d'Evry à 30 kilomètres en empruntant une voie réservée sur autoroute, évitant la congestion routière.

b) Une diversité de solutions alternatives, individuelles ou semi-collectives

Au-delà des transports collectifs, l'alternative à la voiture individuelle pour les déplacements en zones peu denses peut prendre des formes variées au travers d'un bouquet d'offres : des mobilités actives (vélo, marche à pied) qui doivent être encouragées mais également le transport à la demande (TAD), les services de covoiturage et d'autopartage, les transports solidaires, taxis...

• La palette des solutions alternatives aux déplacements en voiture individuelle dans les zones peu denses passe aussi par le vélo, la marche et l'ensemble des « engins de déplacements personnels » (trottinettes électriques, monoroues...) dont le rapport de 2018 de la délégation à la prospective du Sénat saluait le développement tout en appelant à leur régulation et à veiller à une meilleure équité de leur accès dans les différents territoires 27 ( * ) .

La marche est pertinente pour les très courts trajets mais elle ne représente qu'une part très faible des déplacements domicile-travail au-delà de 2 kilomètres selon l'INSEE. Par ailleurs, 30 % des trajets domicile-école se font encore en voiture 28 ( * ) et la part des mobilités active sur ce type de trajet ne cesse de décroître depuis la fin des années 1980, ayant un impact direct sur la santé physique des élèves comme sur l'environnement. Plus généralement, comme l'a démontré le rapport 2018 de l'ONAPS 29 ( * ) , rappelé par Mathieu Chassignet dans un article d' Alternatives Economiques : « la part de la marche et du vélo pour se rendre à son établissement scolaire s'effondre : en France, sur les 30 dernières années, la proportion de déplacements effectués à pied par les enfants et adolescents de plus de 6 ans pour se rendre dans leurs établissements scolaires a diminué de 20 points, passant de 52,1 % à 32,3 %. La proportion de déplacements à vélo pour le même motif a diminué de plus de la moitié, passant de 7,5 % à 3,3 %. » 30 ( * )

S'agissant du vélo , contrairement à une idée reçue, il est à peu près autant utilisé dans les campagnes que dans les villes. Mais si sa part progresse, elle reste encore faible (aux alentours de 3 %), malgré ses atouts (faible coût d'acquisition et d'utilisation, absence d'émissions de gaz à effet de serre) et son développement récent reste cantonné aux grandes villes. La crise sanitaire est venue ajouter à ses qualités la possibilité pour les personnes de se déplacer individuellement et avec flexibilité, en respectant les gestes barrières. Et si sa pratique a fortement augmenté dans les grandes villes suite au confinement du printemps 2020 (+31 %), sa progression est également sensible dans le périurbain et dans les espaces ruraux (+15 %) d'après une enquête de l'association Vélo & Territoires. Avec l'apparition du vélo à assistance électrique (VAE), la possibilité s'ouvre de réaliser des trajets plus longs et moins fatigants. Mais comme noté dans le rapport de l'ATEC ITS France précité, « les aménagements de voirie sont encore plus indispensables en zones peu denses qu'en ville, compte tenu du différentiel de vitesse plus élevé entre la voiture et le vélo. C'est le point clef qui est indispensable au décollage de la pratique ».

Plus largement, si le report modal de la voiture vers le vélo est possible dans les zones peu denses, cela dépend de la mise en place d'un véritable « système vélo » intégrant des aménagements sécurisés de voirie, des possibilités de stationnement, ou encore la possibilité d'embarquer son vélo dans le train ou le bus pour des trajets multimodaux 31 ( * ) . Il s'agit d'un levier essentiel pour enclencher le report modal selon le rapport de l'ATEC ITS. Lors de son audition, Frédéric Cuillerier, représentant l'AMF et maire de Saint-Ay (Loiret) citait en exemple le collège de sa commune, accueillant 450 élèves : dans le but de développer la pratique du vélo par les collégiens, des aménagements cyclables et un parking à vélos de 120 places ont été réalisés. Il s'avère aujourd'hui déjà plein. C'est le même constat qui a été fait lors de son audition par Olivier Schneider, président de la FUB. Mais comme le précisait Xavier Desjardins, il est possible d'imaginer aller plus loin, par exemple en dotant tous les élèves d'un vélo pour qu'ils se rendent à leur établissement et allier ainsi décarbonation et activité physique, tout comme à l'heure du tout numérique il ne paraîtrait pas superflu de s'assurer que tous les collégiens et lycéens soient dotés d'outils informatiques.

Le transport à la demande (TAD) a pour objectif d'offrir un service de mobilité non pas régulier comme le serait un service de bus par exemple, mais en fonction des besoins 32 ( * ) . Son coût est globalement élevé (mais bien inférieur à un transport en commun classique) et la mutualisation est faible ; mais tout dépend de son organisation et de la volonté politique y afférant. Plusieurs pistes existent pour l'encourager : la possibilité de faire conduire les véhicules par des bénévoles (transport solidaire), par exemple, limite le coût de cette solution, qui apparaît comme une réponse très ponctuelle et de niche aux besoins de mobilité en zone peu dense. Dans certaines collectivités, le transport à la demande s'effectue sous la forme de taxis individuels ou collectifs bénéficiant à certains publics cibles (personnes âgées, personnes en situation de handicap, personnes sans ressource et non mobile), dont le coût est pris en charge en tout ou partie par la collectivité. Il peut rendre de réels services dans son domaine de pertinence.

Le covoiturage constitue une solution intéressante pour mutualiser les transports du quotidien, comme les transports longue distance 33 ( * ) . Pour les trajets entre domicile et travail, le taux d'occupation des automobiles est le plus souvent d'une seule personne, ce qui laisse trois à quatre places de libres, selon le format des véhicules utilisés, soit un gisement potentiel calculé sur la base du prix estimé du siège libre des transports collectifs urbains (TCU) de l'ordre de 40 milliards d'euros selon Thomas Matagne, président-fondateur d'Ecov. Pour le conducteur et propriétaire de la voiture, covoiturer peut constituer une manière de réduire le coût du trajet, lorsque ce covoiturage est assorti d'une participation aux frais. Il existe aujourd'hui une multitude d'expérimentations liées au covoiturage. Lors de la table ronde du 23 septembre au Sénat, Thomas Matagne a présenté les solutions proposées par sa société pour les territoires périurbains et ruraux, consistant à créer des lignes de covoiturage courte distance (projet Lane à Bourgoin-Jallieu), appréhendées comme des lignes de bus : les conducteurs sont incités à emprunter cette ligne préférentielle et des arrêts sécurisés sont à disposition des covoiturés. Les tarifications peuvent être extrêmement incitatives en fonction des autorités organisatrices. Lors de la même table ronde, Isabelle Mesnard, directrice de projet au Cerema, rappelait cependant que le covoiturage ne s'adressait pas aux territoires les moins denses car un flux minimal est nécessaire pour qu'un tel service puisse être garanti, tant aux passagers qu'aux conducteurs. Ensuite, la réussite du covoiturage dépend de facteurs psychologiques importants pour les utilisateurs : conducteurs comme passagers doivent oser changer leurs habitudes. Mais comme le remarquait Thomas Matagne : « 75 % de nos utilisateurs ont été convaincus par nos services car ils les ont testés », c'est donc l'expérience qui peut changer les pratiques .

Exemple : lignes régulières de covoiturage autour de Grenoble

Les services d'autopartage ont un but différent : offrir la possibilité de se déplacer sans détenir le véhicule ou, dans la logique de décarbonation des mobilités, de ne pas passer le cap de l'achat du second véhicule. Adapté à des grandes villes, très denses, l'autopartage est-il possible en zones peu denses ?

Il nécessite la mise en place d'une organisation forte. Plusieurs obstacles se dressent sur la route de cette solution dans ces territoires : un taux d'utilisation potentiellement plus faible que dans les zones denses (ce qui rend le dispositif moins pertinent), une distance aux lieux de mise à disposition des véhicules forcément plus importante que dans les zones denses. L'autopartage peut prendre des formes très variées : location de véhicules entre voisins, autopartage de véhicules dédiés ou flotte en libre-service, publique ou privée, à la sortie d'une gare comme en Suisse avec le réseau Mobility . La piste de la mise à disposition de flottes professionnelles disponibles le soir et le week-end pourrait être creusée comme une option intéressante pour développer l'autopartage. L'exemple du réseau d'autopartage développé dans le Pays du Mans est également intéressant en ce que l'AOM met à disposition dans chacune des 14 communes périurbaines concernées des véhicules en autopartage.

c) Des domaines de pertinence des modes alternatifs augmentés grâce à l'intermodalité et à la multimodalité

Analysé isolément, chaque mode a un domaine de pertinence dépendant des distances à parcourir, du nombre de personnes à transporter sur les mêmes trajets et aux mêmes moments, et du rythme de circulation. Plus les flux sont réduits et les mobilités diffuses, moins les modes lourds paraissent pertinents.

Cependant, cette vision statique est à remettre totalement en cause dès lors qu'on développe l'intermodalité. Le domaine de pertinence de chaque mode peut ainsi être augmenté par l'articulation entre tous ces modes sur le territoire . Ainsi, une petite ligne de train ou de bus, peu fréquentée et donc considérée comme peu pertinente, peut le devenir si des dispositifs de covoiturage et d'autopartage, se mettent en place autour de la ligne ferroviaire et permettent le rabattement de davantage de personnes vers les gares et une utilisation accrue du service. Le bouquet local de mobilités peut être d'autant plus riche qu'il valorise l'offre préexistante. Dans ces conditions, les modes doivent être conçus comme complémentaires plutôt que concurrents .

Le recours aux technologies numériques, avec la localisation instantanée des voyageurs et des modes de transports, permet de construire des parcours intermodaux facilités. Dans la logique du MaaS 34 ( * ) , l'interopérabilité est une condition nécessaire à l'intermodalité pour l'usager : ainsi, on attend une seule tarification pour aller d'un point A à un point B quand bien même la personne est amenée à traverser plusieurs périmètres administratifs et à emprunter différents modes de transports. Il est clair que cela nécessite une organisation publique sans faille et interterritoriale. Des parcours complexes peuvent être réalisés ainsi : VAE puis TER puis tramway enfin marche ; voiture puis TER puis vélo en libre-service ; VAE puis covoiturage puis bus...

II. UNE MULTIPLICITÉ D'INITIATIVES, MALGRÉ D'IMPORTANTS OBSTACLES

A. DES INITIATIVES MULTIPLES

1. L'aide des technologies numériques
a) L'innovation numérique n'est pas réservée aux zones urbaines

Le numérique offre des possibilités importantes de progrès dans les mobilités à travers la mise en relation possible en temps réel de très nombreux acteurs. Le numérique permet aussi de constituer des réseaux dits « de pair à pair » qui fonctionnent sans intermédiaire (sinon une application informatique) et offrent une souplesse nouvelle par rapport à des dispositifs classiques de transport. C'est dans cette logique que se développe le concept de MaaS dont la logique et l'intérêt avaient été mis en évidence dans le rapport du Sénat de 2018 sur les nouvelles mobilités : unicité de l'information et de la tarification pour les usagers leur permettant d'optimiser leurs déplacements, canal unique de l'information pour l'amélioration des services et des politiques publiques pour les opérateurs et autorités organisatrices. Si l'offre est abondante en zone dense et ne l'est pas en zone peu dense, la logique du MaaS pourrait prévaloir en ce qu'elle permet aux acteurs de se connecter. La condition reste celle de l'agrégation des données au sein d'un même outil accessible par les usagers. Ainsi pourquoi ne pas imaginer le développement de correspondances de covoiturage dans les zones moins denses comme existent les correspondances bus-tram dans les grandes villes ?

Si les zones urbaines denses se sont saisies des opportunités nouvelles offertes par le numérique, notamment à travers la mise à disposition de flottes de véhicules urbains allant de la voiture en libre-service à la trottinette en passant par le vélo en libre-service, les technologies numériques peuvent aussi apporter une aide précieuse pour les mobilités dans les zones peu denses.

En réalité, l'innovation paraît davantage favorisée dans les zones denses par la concentration géographique d'une masse potentielle d'utilisateurs de services de mobilité plutôt que par l'outil numérique en soi, qui peut se diffuser partout. Pour que l'innovation numérique puisse se déployer dans les zones peu denses, la disponibilité des services doit cependant être assurée par un réseau de qualité . De ce point de vue, la lutte contre les zones blanches numériques est essentielle. Si les zones blanches se résorbent peu à peu, la qualité de réseau n'est aujourd'hui clairement pas la même partout et le déploiement de la 5G risque d'accroître les disparités entre espaces denses et peu denses, et il ne faudrait pas que les sommes considérables qui vont être investies pour la 5G soient autant de ressources en moins pour les territoires qui attendent encore la résorption de la fracture numérique avec les technologies précédentes.

Or une bonne couverture numérique de l'ensemble du territoire conditionne largement le déploiement de solutions de mobilités. Dans un guide des « nouvelles solutions de mobilités dans les espaces de faible densité » élaboré en commun par l'ADCF et Transdev, publié début 2020 35 ( * ) , il est très justement rappelé que « la fracture numérique est un frein dans de nombreux territoires ruraux » et que « cette fracture est à la fois humaine et territoriale et doit être intégrée dans la constitution des offres de mobilité ». La lutte contre l'illectronisme doit ainsi être une priorité des pouvoirs publics. Dans le domaine des mobilités comme dans tant d'autres, les populations qui ne sont pas en mesure d'utiliser les outils numériques mis à leur disposition seront reléguées 36 ( * ) .

b) L'innovation n'est pas seulement numérique

Comme le notait David Caubel, responsable de France Mobilités à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) du ministère de la transition écologique lors de la table ronde du 23 septembre 2020 : « si l'on fait un micro-trottoir aujourd'hui sur l'innovation, les réponses immédiates concernent généralement les outils numériques. Or lorsqu'on parcourt nos territoires, on constate que l'innovation peut également revêtir d'autres aspects. Elle peut aussi être sociétale, organisationnelle, managériale ». Ainsi, l'autostop organisé - par exemple Rezo Pouce, développé depuis 2010 dans le Tarn-et-Garonne puis étendu à plus de 2 000 communes aujourd'hui 37 ( * ) - ou encore la mutualisation du ramassage scolaire - par exemple à travers le dispositif S'Cool bus 38 ( * ) en Normandie permettant le transport scolaire des élèves du primaire par des vélos bus à assistance électrique 39 ( * ) - constituent des initiatives qui n'ont que peu voire pas du tout besoin d'outils numériques et peuvent rendre de véritables services, même s'il s'agit d'initiatives d'ampleur modeste.

L'innovation numérique et l'innovation organisationnelle peuvent aussi être combinées afin de renforcer l'accessibilité : ainsi, on peut éviter à des personnes de se déplacer sur de longues distances pour effectuer des démarches administratives, voire des consultations médicales, en mettant en place un accès à ces services dans un centre visio municipal.

Plusieurs acteurs des mobilités auditionnés ont d'ailleurs insisté sur l'importance de l'accompagnement du changement et mis en garde contre une approche de l'innovation en matière de mobilité qui reposerait exclusivement sur des outils techniques . Le mirage de la technique peut mener à l'échec si les principaux intéressés ne se saisissent pas des outils mis à leur disposition, quelle que soit la qualité intrinsèque de ces outils. De même, se doter d'une application de covoiturage, s'inscrire à Rezo Pouce, mettre en place un TAD a minima ne suffit pas si ces dispositifs ne sont pas animés, enrichis et encouragés. Ils peuvent donner l'illusion d'agir sans apporter de véritables solutions en aval, et donc marquer l'échec d'une politique publique.

c) Quelques exemples d'innovations

La plateforme France Mobilités 40 ( * ) référence plus de 620 solutions de mobilité et présente plus de 210 projets et réalisations de collectivités. Le numérique est présent dans nombre de ces projets mais pas forcément dans tous.

La communauté de communes du Grand Pic Saint-Loup dans l'Hérault propose ainsi une offre d'autopartage de véhicules communaux passant par la plateforme numérique Modulauto, permettant de réserver et d'ouvrir les véhicules. Pour sa part, le Pays du Lunévillois a adopté une application dénommée Klaxit pour développer une offre de covoiturage domicile-travail. La société Ecov propose de son côté des applications permettant de s'inscrire sur une ligne de covoiturage, soit comme conducteur, soit comme passager. D'une manière générale, le covoiturage et l'autopartage constituent des modalités que l'on retrouve dans un grand nombre de projets portés par des collectivités rurales. Le numérique ne résume pas l'ensemble des projets identifiés, mais l'utilisation de l'outil numérique est ce qui permet à l'offre de mobilité d'être facilement accessible aux utilisateurs.

Si le numérique permet ou au minimum facilite l'accès au service, il offre aussi la possibilité d'effectuer un suivi fin de l'utilisation de ce service, et de l'adapter avec des délais réduits de réaction aux besoins des utilisateurs. L'innovation conduit donc souvent à une meilleure connaissance des besoins et des pratiques de mobilité, souvent méconnues dans les espaces peu denses et résumées essentiellement à la voiture individuelle ; encore faut-il avoir accès aux données et savoir/pouvoir les traiter. Dès lors, pourquoi ne pas imaginer que les plateformes de guidage en temps réel proposent du covoiturage dynamique et de courte distance, en incitant les conducteurs à annoncer de manière anticipée les déplacements qu'ils prévoient et ainsi à les offrir dans un système marchand à des passagers ? Une des applications leader y travaille déjà.

2. Le choix de passer par l'expérimentation
a) Les vertus de l'expérimentation

L'expérimentation en matière de politiques publiques s'est beaucoup développée ces dernières années. Le phénomène a été étudié avec attention en 2019 par un rapport du Conseil d'État 41 ( * ) . La tendance est aujourd'hui à l'expérimentation dans un nombre impressionnant de domaines des politiques publiques.

Les mobilités constituent l'un des terrains privilégiés de l'expérimentation. Les initiatives en la matière s'y prêtent d'autant plus qu'elles se déploient à l'échelle locale et doivent s'adapter aux réalités qui sont différentes d'un territoire à l'autre. Dans le guide AdCF-Transdev précité, il est indiqué que « l'expérimentation [en matière de solutions de mobilités alternatives à la voiture individuelle] est une démarche plébiscitée par les collectivités car ses avantages sont nombreux : appréhension des problématiques de mobilité et de leur financement ou encore professionnalisation de l'exercice de la compétence mobilité ».

Comme le notait David Caubel lors de la table ronde du 23 septembre 2020 : « la richesse des initiatives et des expérimentations sur nombre d'enjeux de la mobilité du quotidien est grande au sein de nos campagnes ». Consultante en mobilité et spécialiste des dynamiques spatiales dans les territoires ruraux, Marie Huyghe complétait le propos lors de la même table ronde en indiquant que : « les territoires qui ont une vraie dynamique de mobilité durable l'ont souvent développée à partir d'expérimentations de petite ampleur ».

L'expérimentation n'est cependant facile que dès lors que les investissements à effectuer sont limités . Et elle suppose le choix malgré tout d'y consacrer quelques moyens, notamment des moyens de portage, car, comme le remarquait Sylvie Landriève le 23 septembre 2020 « elles nécessitent énormément d'efforts et d'implication des acteurs locaux ». Le guide AdCF-Transdev précise d'ailleurs que « l'animation territoriale qui doit accompagner le déploiement d'une offre de mobilité est souvent sous-estimée, alors qu'elle est garante du succès des projets ». Selon les éléments recueillis par l'AdCF et l'Association nationale des pôles et pays (ANPP), la plupart des communautés de communes qui envisagent de prendre la compétence d'autorité organisatrice des mobilités (AOM) en application de la LOM au 31 mars 2021 envisagent d'y consacrer un équivalent temps plein 42 ( * ) , ce qui paraît vraiment un minimum pour animer une démarche d'enrichissement des mobilités dans les zones peu denses.

b) La place centrale des collectivités territoriales et des appels à manifestations d'intérêt et appels à projets

S'il peut exister des initiatives spontanées, parfois associatives, de mobilités alternatives dans les espaces peu denses, portées par des collectifs d'habitants, la mise en oeuvre de ces solutions repose tout de même largement sur l'initiative des collectivités territoriales . Si la région est un acteur incontournable pour les liaisons structurantes, l'échelle pertinente de l'expérimentation de solutions nouvelles est plutôt l'échelle intercommunale, voire le bassin de mobilité regroupant plusieurs intercommunalités voisines.

Dès lors que les offres « de marché » ne se mettent pas spontanément en place dans des espaces peu denses, tout dépend de la volonté ou non de ces collectivités de se lancer dans des plans de mobilité ambitieux et diversifiés .

Ces projets peuvent être accompagnés par les pouvoirs publics à travers le soutien accordé aux lauréats des appels à manifestation d'intérêt (AMI) ou appels à projets (AAP). Ainsi, à travers l'AMI dénommé « territoires d'expérimentation de nouvelles mobilités durables » (TENMOD) 43 ( * ) , l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et France Mobilités encouragent chaque année depuis 2018 « la mise en oeuvre par les territoires peu denses, ruraux et de montagne de projets de mobilités quotidiennes, durables, pour tous, innovantes sur le plan technique et/ou sociétal et/ou de la gouvernance du point de vue des projets déjà développés sur le territoire, répondant à un besoin local ».

c) L'expérimentation : une première étape, mais qui ne fait pas une politique publique des mobilités

L'expérimentation est une méthode intéressante, capable de coller au plus près des réalités d'un territoire, mais qui se heurte cependant à quelques difficultés qui ne sauraient être passées sous silence.

D'abord, l'expérimentation va concerner plus facilement des collectivités qui disposent déjà d'une structuration et sont déjà organisées pour se saisir des questions de mobilités et répondre aux appels à projets.

Ensuite, la pérennisation constitue un défi à relever car, une fois l'engouement de la phase d'amorce passé, le rythme de croisière d'une solution de mobilité peut se révéler difficile à trouver. En outre, les financements mobilisés initialement peuvent disparaître, nécessitant de trouver d'autres sources pour perpétuer le service. La montée en puissance peut constituer autant le signe du succès que le début des ennuis.

La diffusion plus large de la solution après expérimentation constitue aussi un grand défi , car toutes les solutions ne sont pas exportables. Le changement d'échelle peut aussi conduire une solution adaptée sur un périmètre précis à ne plus l'être en élargissant la cible. Lors de la table ronde du 23 septembre 2020, Charles-Éric Lemaignen, vice-président d'Orléans-Métropole chargé des mobilités et Premier vice-président de l'Assemblée des communautés de France (AdcF) disait ainsi que « les expérimentations, pour être crédibles, ne doivent pas être généralisées à tout prix car tous les territoires ne s'y prêtent pas ». Elles ne doivent donc être pérennisées qu'au cas par cas et ne doivent pas être réutilisées sur d'autres territoires sans une véritable étude préalable concernant leur adaptation à échelle du nouveau territoire, aux capacités et volontés de déploiement.

Enfin, on peut aussi voir dans l'expérimentation la traduction d'une incapacité à mettre en place de véritables politiques publiques de mobilité dotées d'importants moyens et intégratrices des différents territoires. L'expérimentation serait ainsi la voie privilégiée, tout simplement parce qu'on manquerait de moyens pour davantage mailler notre territoire. Pour reprendre l'expression d'un haut fonctionnaire de l'État, ce serait même « un palliatif sous perfusion à défaut de conditions et de moyens structurels des politiques de mobilité ».

3. Du « sur mesure » plutôt que du « clef en main »
a) Des solutions adaptées à chaque territoire qui permettent d'obtenir des résultats

En matière de mobilités du quotidien, la mise en place de solutions nouvelles ne peut pas s'inscrire dans une planification verticale . Cela est déjà vrai dans les zones denses, et l'est encore plus dans les zones peu denses. L'inadaptation des outils aux besoins des populations et à leurs habitudes fait alors planer le risque d'un échec qui pénalise même les tentatives suivantes de transformation des mobilités. Il convient de faire avec et pour les territoires.

Le « sur mesure » s'explique par la grande diversité des territoires peu denses, de leur configuration, des besoins des populations. Des systèmes de mobilité très différents peuvent être imaginés en fonction de ces spécificités.

Lors de la table ronde du 23 septembre 2020 et lors des auditions menées en amont et en aval, tous les intervenants ou presque ont insisté sur la nécessité de partir d'une observation fine du terrain, des besoins et des pratiques . Odile Begorre-Maire, directrice du PETR du Lunévillois, indiquait ainsi le 23 septembre 2020 qu'il fallait envisager « l'innovation sous le prisme de l'usager. Il ne faut pas définir des aires de covoiturage ex nihilo , mais examiner où se trouvent déjà les voitures de façon cohérente. Toutes les aires de covoiturage forcées ne durent pas plus d'un an ».

L'exercice est complexe, car de nombreux paramètres sont à intégrer dans cette phase d'analyse : la variété des besoins de déplacement (pas seulement les trajets domicile-travail), la présence ou l'absence d'acteurs portant des solutions de mobilités, la « capabilité » de la collectivité ; mais aussi les particularités géographiques (climat, relief). Enfin, une attention particulière doit être portée à la très faible densité, où il est particulièrement difficile de calibrer une offre de mobilité adaptée.

Lorsque ce travail est réalisé, des changements rapides peuvent être observés . Rappelant qu'en matière de mobilité, c'est l'offre qui crée la demande, Thomas Matagne, PDG d'Ecov, indiquait lors de la table ronde du 23 septembre 2020 que : « nous obtenons ainsi des changements de comportements très importants. Plus de 80 % de nos passagers sont d'anciens auto-solistes. Ces personnes abandonnent leur voiture car elles bénéficient en contrepartie d'un service de qualité et fiable ».

b) Des solutions de mobilité nouvelles offertes grâce à la densité du lien social en zones peu denses

L'existence de solidarités villageoises et paysannes a longtemps structuré la vie des campagnes . Cette solidarité est même juridiquement reconnue au sein du code rural et de la pêche maritime à travers le dispositif de l'entraide, pour les travaux agricoles (articles L.325-1 et suivants). Dans les zones peu denses voire très peu denses, ces solidarités de proximité se sont appuyées sur des logiques familiales (car les habitants d'un même hameau partagent souvent des liens familiaux) ou de voisinage .

Cependant, les solidarités villageoises sont en pleine transformation . La tendance de certains espaces ruraux à devenir en réalité du périurbain éloigné contribue à faire de certains villages des espaces où l'on se connaît moins, et où l'on ne fait que résider, sans partager grand-chose avec ses voisins.

Toutefois, dès lors que des services publics sont absents, les habitants ont tendance à s'auto-organiser : cela vaut autant pour le déneigement d'un chemin en hiver que pour les courses réalisées pour les anciens qui ne peuvent plus se déplacer. Ces solidarités jouent donc aussi dans le champ des mobilités , en assurant un service très précieux, qui passe souvent sous les radars de l'observation extérieure. Par ailleurs, on peut aisément imaginer que le lien direct qu'entretiennent les habitants peut faciliter la mise en oeuvre de nouvelles pratiques comme par exemple le covoiturage : on entre plus facilement dans la voiture de quelqu'un que l'on connaît.

La densité du lien social peut apporter des solutions, pourvu qu'on encourage les initiatives locales. Ainsi, lors de la table ronde du 23 septembre 2020, Thierry Mallet, PDG de Transdev, citait l'exemple néerlandais des « Buurtbus ». Il indiquait : « leur nombre avoisine les deux cents aux Pays-Bas. Pour des petites collectivités locales, l'opérateur, avec l'AOM, met à disposition un véhicule de neuf places pouvant être conduit par toute personne possédant un permis B. L'association qui prend en charge le véhicule, définit des lignes régulières à la demande de la ville. Une vingtaine de personnes interviennent sur les voitures, chacune conduisant pendant deux à trois heures par semaine, ce qui crée un vrai mouvement associatif. Le lien social est ainsi très fort, chapeauté par des élus qui souhaitent dynamiser le village. L'offre est associée aux transports publics. On retrouve beaucoup de retraités qui conduisent ces véhicules ».

De son côté, Jérôme Baratier, directeur de l'agence d'urbanisme de l'agglomération de Tours, envisageait des formes nouvelles d'organisation collective. Constatant que le premier confinement avait démontré une capacité étonnante à déployer des solutions alternatives, il indiquait durant la table ronde que « si l'on considère que nos espaces peu denses ont ce capital social rapidement mobilisable, nous pouvons imaginer qu'il soit possible de fabriquer une sorte de coopérative pour la mobilité ». Il faut selon lui « arrêter de traiter la "ville légère" comme la ville dense ».

B. DES OBSTACLES À LEVER

1. Un paysage institutionnel à construire
a) Une multiplicité d'acteurs et de périmètres

Les politiques de mobilité à l'échelle des territoires reposent sur plusieurs acteurs institutionnels, dont deux ont une place éminente : la région et l'intercommunalité.

Historiquement, ce sont les entreprises, puis les communes qui ont commencé à organiser les transports collectifs urbains (TCU). Avec la mise en place des intercommunalités et l'extension des périmètres des TCU, le rôle d'autorité organisatrice des mobilités (AOM), a été assuré peu à peu par les intercommunalités, sauf en Île-de-France où cette compétence est dévolue à un acteur spécifique : Île-de-France Mobilités. En prévoyant que l'ensemble du territoire devra être couvert par une AOM, la loi d'orientation des mobilités (LOM) de 2019 donne la possibilité aux communautés de communes de choisir de prendre la compétence, ou de la laisser, par défaut, à la région.

Les régions depuis leur création dans les années 1980 ont reçu pour leur part la compétence en matière de transports collectifs non urbains et depuis 2017, ont repris les prérogatives des départements en matière de transports scolaires interurbains. La région a aussi une mission de coordination des différents acteurs des mobilités en étant désignée comme chef de file et d'ensemblier en matière de mobilité, avec les liaisons ferroviaires et l'offre TER au coeur de leur politique et qui doivent être au centre de l'offre de mobilité globale. Ce rôle de coordination est d'autant plus important et fort qu'il s'articule à la planification stratégique de vaste échelle des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET).

La LOM a fortement rebattu les cartes pour les zones peu denses en ne permettant plus aucune « zone blanche » de mobilité, imposant à toutes les intercommunalités de mettre en place une AOM. Mais la loi laisse en réalité les territoires se saisir ou non des problématiques de mobilités dans les zones peu denses. Soit les communautés de communes choisissent d'exercer la compétence et d'établir des plans de mobilité, soit elles en laissent la responsabilité à la région devenant ainsi AOM locale par substitution. Les textes encouragent les acteurs locaux à se saisir des questions de mobilité et leur laissent une grande souplesse : les intercommunalités peuvent aussi confier à la région la mission consistant à organiser les services de transport lourds comme les lignes de bus grand public ou les lignes scolaires.

À cette liste s'ajoutent également les conseils départementaux en ce qu'ils sont en charge des solidarités et ont ainsi conservé la compétence du transport des personnes en situation de handicap qui est une compétence organisationnelle très fine du type transport à la demande. À ce titre ils seront associés à la définition de l'offre de mobilité solidaire à l'échelle des bassins de mobilités avec les régions et les AOM. Mais surtout, ils assument l'essentiel des flux routiers de voyageurs et de marchandises sur une très grande part du réseau routier renforçant d'autant la nécessaire bonne coordination avec le couple région-intercommunalité, qu'il s'agisse d'implanter des parkings de covoiturage, des arrêts de covoiturage, des pistes cyclables, des aménagements de chaussée... ou à terme d'intégrer les données des flux routiers dans les outils numériques développés par les AOM.

La manière dont seront organisés localement les services publics de mobilité dans les zones peu denses dépend donc largement des choix effectués par chaque collectivité territoriale et des relations entre établissements publics de coopération intercommunale et région dans les comités de partenaires et la coordination des échelles d'action au sein des bassins de mobilité.

b) Le besoin de coopération entre acteurs institutionnels

La plupart des spécialistes et praticiens des mobilités insistent sur le grand besoin de coopérations entre acteurs pour la mise en oeuvre des politiques de mobilité intelligentes adaptées à chaque territoire . D'autant plus que les périmètres administratifs des intercommunalités sont, pour l'essentiel, largement outrepassés par les modes de vie de nos concitoyens, particulièrement dans ce champ des mobilités.

Cette coordination passe aussi par l'articulation des différents périmètres géographiques concernés . Ainsi, la LOM a créé la notion de « bassin de mobilité » défini par les régions, à l'échelle duquel doit être conclu un contrat de mobilité entre la région et les intercommunalités exerçant le rôle d'AOM. Les acteurs économiques (employeurs) et les utilisateurs des services de mobilités (usagers, habitants) sont chargés de suivre l'exécution du contrat au sein d'un comité des partenaires.

Lors de son audition, Michel Neugnot, premier vice-président de la région Bourgogne Franche-Comté et président de la Commission Transports et Mobilité de l'Association des Régions de France (ARF) estimait que la réussite des politiques publiques de mobilité, comme pour les politiques de développement économique, repose sur la bonne entente d'un « couple naturel » formé des intercommunalités et des régions .

Au-delà de cette coopération institutionnelle pour l'organisation des services, une coopération encore plus large s'impose en pratique pour mettre en oeuvre des solutions multimodales : ainsi, une aire de covoiturage pourra nécessiter l'engagement du département si l'aménagement doit se faire sur une route départementale ; la réalisation d'un parking à vélos à proximité du quai d'une gare pourra aussi dépendre de la mise à disposition d'espaces par la SNCF, propriétaire des emprises.

Enfin, le passage d'une logique de transports collectifs à celle de mobilités multimodales nécessite un changement culturel de la part des acteurs institutionnels , qui ont tendance à raisonner par mode et pas encore en prenant la mobilité comme un service au sens large.

c) La nécessité de trouver la bonne échelle d'organisation des mobilités

Au-delà de la coopération entre acteurs et entre territoires, se pose la question de la bonne échelle pour construire les politiques de mobilité. Dans les espaces peu denses, les espaces trop restreints ne sont pas adéquats. L'enjeu étant d'assurer une bonne connexion aux territoires voisins, il existe un fort besoin « d'interterritorialité ».

Le bassin de mobilité est ainsi l'échelle la plus pertinente pour articuler une politique publique de mobilité qui profite vraiment aux territoires peu denses. Chaque territoire peut ainsi conserver ses spécificités, mais s'inscrire dans un ensemble plus large qui prévient les incohérences, les correspondances inorganisées et les obstacles tarifaires ou administratifs.

Lors de l'examen de la LOM, le législateur a tenté de porter cette échelle au niveau des bassins de mobilité, proche des aires urbaines. Outre la difficulté juridique à définir ces périmètres, et à traiter d'espaces interstitiels, multipolarisés, il a également été considéré que le progrès réalisé par une couverture totale en AOM constituait déjà une étape substantielle en proposant l'échelon des EPCI et la mise en avant du couple régions-intercommunalité.

Cependant ce ne sera pas suffisant pour approfondir les enjeux des nouvelles mobilités intermodales dans la logique du couple mobilité/accessibilité et de la maîtrise de la répartition des services de l'habitat, des emplois et de l'amélioration des solutions de transport. En ce sens le rapprochement avec la compétence de planification urbaine des schémas de cohérence territoriale (SCoT) s'impose dans la logique nouvelle des plans locaux d'urbanisme intercommunaux - habitat déplacements (PLUI-HD). Il s'agit bien de créer des synergies entre les différentes politiques d'aménagement du territoire joignant services à la population et respect des impératifs environnementaux : concentration des flux, arrêt de l'expansion infinie de l'habitat pour respecter les objectifs en termes de non-artificialisation des sols et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ces politiques d'urbanisme doivent s'enrichir de la gestion des temps et des rythmes. En cela l'expérience du think-tank Tempo Territorial présidé par Dominique Royoux, professeur de géographie à l'Université de Poitiers, est des plus intéressantes. Il a pour objet de sensibiliser les collectivités territoriales aux enjeux temporels et à la pertinence d'intégrer dans leurs actions cette nouvelle politique publique transversale. Qu'il s'agisse de tenter d'échelonner les horaires d'ouverture des écoles ou d'adapter les horaires d'une médiathèque aux disponibilités des habitants, cette approche est prometteuse en ville et dans les campagnes.

Dans cette logique, les périmètres des SCoT et des bassins de mobilités gagneraient à être les mêmes : conçus du point de vue des usagers, dans une logique fonctionnelle et de fait interterritoriale.

Le bassin de mobilité du syndicat mixte de la Multipole Nancy Sud-Lorraine est de ce point de vue un exemple intéressant : les 13 intercommunalités existantes, déjà associées pour élaborer ensemble un SCoT, ont retenu cette même échelle comme étant celle pertinente pour coordonner les mobilités, car correspondant au véritable mode de vie des habitants : 94 % des déplacements journaliers ont lieu au sein de cet espace de plus de 560 000 habitants et 435 communes. La perspective de rationaliser le nombre d'AOM y est envisagée.

2. Disposer de moyens financiers et humains pour diversifier la mobilité dans les zones peu denses
a) La recherche de moyens financiers

Dans les zones denses, le secteur des transports publics consomme déjà de très importants moyens financiers publics tant en investissement qu'en fonctionnement. L'extension des réseaux des coeurs d'agglomération vers les zones peu denses qui se situent à la lisière, voire en dehors des circuits de transports publics, peut s'avérer prohibitive en termes de coût par voyageur et par kilomètre. Des alternatives aux solutions traditionnelles de transport collectif peuvent se révéler plus abordables mais ne peuvent cependant pas être mises en place sans aucun soutien financier.

En étendant le périmètre des AOM à l'ensemble du territoire, la LOM permet d'instituer une source de financement des politiques publiques de mobilité dans les zones peu denses en étendant du même coup l'ex-versement transport (VT), rebaptisé versement mobilité (VM) à des espaces qui auparavant n'y étaient pas assujettis. Or, la possibilité de mettre en place un VM est subordonnée à l'existence de services réguliers de transports. Beaucoup de petites collectivités pourraient ainsi ne jamais pouvoir se doter de cet outil fiscal. Pour les territoires en capacité de lever cette contribution, les recettes nouvelles pourraient rester modestes du fait, d'une part, d'une assiette réduite en moyenne - si certains espaces de faible densité peuvent ne pas disposer d'entreprises assujetties au VM, d'autres peuvent en accueillir et disposer alors de recettes conséquentes - d'autre part, d'un taux faible , les élus des communautés de communes préférant plutôt ne pas pénaliser l'attractivité économique de leur territoire, comme le remarquait Éric Le Breton lors de son audition.

Pour les zones peu denses situées dans le périmètre d'AOM existantes, un autre problème peut résider dans une répartition des moyens financiers se faisant de manière très déséquilibrée, au profit essentiellement d'une zone dense centrale ayant de lourds besoins, par exemple en ayant développé des solutions de type tramways.

Or, la recherche d'alternatives au véhicule individuel en zone peu dense peut nécessiter des aménagements de voirie (nouveau marquage, nouvelles signalisations) qui restent coûteux. Les départements n'ont pas forcément non plus les moyens financiers de se lancer dans des plans ambitieux de construction de pistes cyclables de bourg à bourg, sans compter qu'outre l'investissement initial, ces voies nécessitent également un entretien (retrait de branchages, nettoyage pour éviter les chutes). Lors de son audition, Jean-Baptiste de Prémare, délégué général de Routes de France, a confirmé qu'il n'avait pas le sentiment que la priorité des collectivités était de développer les petites véloroutes, compte tenu du coût des investissements à réaliser.

Cette question du financement est cruciale et déterminante . Lors de l'examen de la LOM, le Gouvernement a tenté de conserver l'équilibre entre développement d'une offre de mobilité et préservation du financement par les entreprises ; ces dernières ne voulant pas voir les bases de VM s'élargir. Le gouvernement estimait par ailleurs que le « bouquet » de mobilités nécessaires aux espaces peu denses, hors transport régulier, était peu coûteux (estimé à 10€/habitant) et donc atteignable.

Pour y pallier, le Sénat a voté la possibilité de lever un taux réduit de VM (hors services réguliers) pour ceux dépourvus de base fiscale et d'y flécher une part de TICPE. Cette position n'a pas été suivie dans la version définitive de la loi.

Devant les besoins financiers nécessaires au bon développement d'une offre de mobilité, plusieurs pistes sont à envisager :

1. Une meilleure allocation du VM par un système de péréquation car certains périmètres sont très largement pourvus, et par l'extension des bassins de mobilité (où est prélevé le VM) en utilisant des taux différenciés comme le permet la loi.

2. Une dotation complémentaire destinée aux espaces peu denses les moins bien pourvus en base de VM par un fléchage, par exemple de la TICPE. Cela ferait sens et ne serait pas dispendieux à l'échelle nationale.

3. Le difficile débat national relatif à l'application du principe pollueur/payeur devra déboucher pour permettre de financer partiellement ces besoins nouveaux et le report modal indispensable à la décarbonation et aux modes les moins polluants. À court terme le recours aux certificats d'économie d'énergie s'impose.

4. Le paiement à l'usage doit aussi être sérieusement considéré. En effet pour un usager ne disposant pas de moyens de transport, c'est l'offre de service qui compte avant son coût dans la limite d'un prix déterminé par l'AOM, pouvant se baser par exemple sur un « équivalent-taxi » ; des tarifications plafond existent pour les taxis conventionnés avec la sécurité sociale par exemple. Si cet usager ne dispose pas de moyens financiers, des tarifications solidaires sont alors envisageables.

A l'instar du modèle économique efficace mis en place par la LOTI de 1982 pour financer les TCU, basé sur la généralisation des AOT et d'un VT qui a permis le développement des modes collectifs en agglomération, un modèle économique sérieux et viable doit être proposé aux différents espaces peu denses pour constituer une véritable politique publique de mobilité et d'accessibilité à la hauteur des enjeux . Il s'agit d'éviter les politiques de mobilité à deux vitesses et cette fracture territoriale que l'on voit poindre, et qui est déjà une réalité pour nombre de personnes comme l'a démontré la première partie du mouvement des gilets jaunes.

b) La question des moyens humains et de l'ingénierie des mobilités

La mise en place de solutions alternatives de mobilité dans les zones peu denses nécessite le recours à des spécialistes capables de porter techniquement des projets complexes . Comme le rappelait David Caubel lors de la table ronde du 23 septembre 2020 : « l'ingénierie est essentielle pour accompagner les territoires dans la mise en oeuvre de solutions de mobilités ». Les connaissances requises touchent à de larges domaines : besoins de mobilité et de services à l'habitant, maillage des transports existants, état des infrastructures routières et de leur potentiel multimodal à court et moyen terme, solutions techniques possibles, animation et conduite de projet. Quand bien même le recours à des bureaux d'étude sur un sujet aussi évolutif semble inévitable, il paraît indispensable que l'élu dispose aussi en propre d'un minimum permettant de construire l'offre sur mesure correspondant aux besoins du territoire. Ainsi, il pourrait recourir à l'offre privée d'ingénierie, la diriger, capitaliser les expériences du territoire et gérer les mobilités produites, qu'elles soient alors en régie ou déléguées.

Or certains territoires ne disposent pas encore de moyens d'ingénierie de haut niveau, ce qui conduisait Charles-Éric Lemaignen à mettre en garde contre un encouragement des initiatives locales qui ne reposerait que sur des appels à projets car « les territoires qui y répondent sont ceux qui possèdent l'ingénierie et l'argent ».

La construction de partenariats entre les petites intercommunalités et les régions pourrait conduire à la structuration d'une véritable ingénierie territoriale permettant un portage technique efficace des projets de mobilités augmentées dans les territoires peu denses. C'est en tout cas l'objectif du bouclage de la carte des AOM poursuivi par la LOM. Les partenariats entre intercommunalités et les autres acteurs comme les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) et les parcs naturels régionaux au sein de bassins de mobilité constituent également une voie possible pour disposer de telles ressources d'ingénierie à l'échelle pertinente.

En tout état de cause, la nécessité de mener des politiques locales de mobilité « sur mesure » induit de disposer de réels moyens en matière d'ingénierie, stables dans le temps, comme en matière de crédits d'investissement et de fonctionnement.

3. Les obstacles techniques et juridiques
a) Les obstacles techniques à la diversification des mobilités dans les espaces peu denses

S'il existe en théorie une palette de solutions alternatives à la voiture individuelle qui peuvent être déployées en zones peu denses et s'y révéler pertinentes, il convient de ne pas négliger les difficultés techniques pouvant être rencontrées pour les faire fonctionner.

Ainsi, un dispositif utilisant le numérique pour commander un transport ne peut pas être envisagé sans régler au préalable la question de la couverture réseau du territoire concerné. Promouvoir la marche ou le vélo dans un plan de mobilité simplifié n'est aussi possible que si sur l'ensemble d'un parcours, sont aménagés des cheminements de qualité et sécurisés . L'encouragement d'une mobilité électrique en voiture ou scooter dans les espaces peu denses se heurtera également à la disponibilité de bornes de recharge . Demain, la possibilité d'utiliser des véhicules autonomes sera peut-être bridée dans les espaces peu denses par une voirie de dimension trop réduite, ou dont le marquage au sol serait insuffisant.

Si les obstacles techniques ne sont pas tous insurmontables, les surmonter est cependant un préalable à la mise en place de solutions efficaces et pertinentes.

b) Des obstacles juridiques à lever

L'émergence de pratiques innovantes est parfois contrariée par l'absence de cadre juridique voire l'existence d'obstacles à leur essor : il en a été ainsi en milieu urbain pour le déplacement et le stationnement des nouveaux équipements de glisse urbaine, trottinettes, monoroues etc. Cela a été également le cas pour l'indemnisation des conducteurs dans le cadre du covoiturage.

Les initiatives en zones peu denses ne sont pas exemptes de difficultés juridiques. Ainsi, le transport solidaire , en plein essor, dispose d'un cadre juridique fragile. Un décret de 2019 44 ( * ) permet désormais d'officialiser le transport d'utilité sociale (TUS) en l'autorisant pour une distance de moins de 100 kilomètres et à condition que les bénéficiaires résident au sein d'une commune appartenant à une unité urbaine de moins de 12 000 habitants ou disposent de faibles ressources. Mais, dans le but de prévenir toute concurrence déloyale avec les taxis, ce décret a limité les déplacements à l'unité urbaine ou à des trajets vers un pôle multimodal d'une unité urbaine voisine, bridant l'utilisation de ce type de service pour répondre à certains besoins, comme par exemple se rendre directement à un rendez-vous médical dans un pôle urbain.

La question de la responsabilité en cas d'accident est également délicate à appréhender dans le cadre de services publics de proximité assurés par des personnes privées, comme les initiatives de transport scolaire en vélo collectif, pédibus etc.

Ces aspects juridiques doivent ainsi être pris en compte lorsqu'un plan de mobilité est défini par une collectivité s'étant saisie de la compétence en application de la LOM.

4. Des freins pratiques et psychologiques à la diversification des mobilités
a) Une culture automobile combinée à un bon niveau d'équipement

Malgré le coût élevé de la détention et de l'utilisation de la voiture individuelle, estimé entre 5 000 € et 7 000 € par an par l'Automobile Club Association 45 ( * ) , celle-ci reste prédominante dans les modes de déplacement et semble encore indépassable à de nombreux habitants, au vu des distances à parcourir et du caractère très polyvalent du véhicule individuel. Les autres modes de déplacement paraissent insuffisamment développés ou adaptés pour qu'on puisse y recourir.

L'existence d'un réseau routier de qualité, bien maillé et plutôt bien entretenu, l'absence d'embouteillages dans les zones peu denses ou encore la possibilité de stationner facilement constituent également des incitations à conserver cette habitude d'utiliser un mode de transport souple et rapide, pour l'ensemble des déplacements du quotidien. Finalement, comme le notait Marie Huyghe lors de son audition, dans les territoires ruraux, tout le système de mobilité est construit autour de la voiture .

La mise en place de nouvelles solutions alternatives à la voiture individuelle risque dans ces conditions de se heurter à la force des habitudes et d'échouer. Plutôt que de lutter contre la voiture, dans les espaces peu denses, il paraît plutôt pertinent de travailler à des incitations à la diversification des modes de déplacement, qui peuvent aussi passer par la diversification des usages de l'automobile .

Comme l'indiquait Marie Huyghe lors de la table ronde du 23 septembre 2020, « l'enjeu n'est pas de renoncer totalement à la voiture, mais plutôt de ne pas acquérir de deuxième voiture. Il faut oeuvrer pour que les ménages ne procèdent pas à cette acquisition ».

La transformation des mobilités dans les espaces peu denses passe donc d'abord par un combat culturel consistant à faire s'approprier par les habitants et les élus de nouvelles solutions construites avec eux et de diversifier peu à peu les modes de déplacement. Un tel changement des mentalités prend nécessairement du temps.

Cette diversification peut passer par l'encouragement de l'intermodalité, avec utilisation de la voiture seulement sur une partie du trajet, afin que la transition se fasse en douceur vers de nouveaux modes.

b) Le besoin d'une politique volontariste appuyée par des efforts de communication

Tous les interlocuteurs auditionnés ont insisté sur l'effort nécessaire de communication pour encourager la diversification des modes de déplacement.

Communiquer sur une offre alternative peut prendre les voies traditionnelles, institutionnelles, mais doit aussi s'incarner sur le terrain : ainsi, une nouvelle aire de covoiturage doit être visible, bien située, bien signalée, bien identifiée, pour que l'appropriation locale de ce nouvel outil puisse intervenir. Lorsque l'on travaille sur des solutions de rabattement vers des modes de transport collectifs, la signalétique doit être adaptée, les délais d'attente ou de trajet indiqués et actualisés en temps réel. Lors de la table ronde du 23 septembre 2020, Nathalie Mas-Raval, directrice générale des services de la communauté de communes du Pic Saint-Loup déclarait « il existe un levier important pour changer les comportements de chacun à travers la communication ».

A l'instar d'autres politiques publiques comme les politiques de santé publique, la communication ne produit ses effets que dans le temps . La lutte contre le tabagisme a nécessité un effort continu et soutenu ainsi qu'un véritable portage politique. La lutte pour la diversification des modes de déplacement pourrait nécessiter le même volontarisme.

Le volontarisme politique passe aussi par des incitations à adopter de nouveaux comportements, qui ne sont pas que financières : l'efficacité et la fiabilité d'un mode est ce qui est recherché en priorité par les utilisateurs.

Or, en matière de transports et de mobilités, le volontarisme produit des effets. Lors de son audition, Éric Le Breton avait rappelé que les villes avaient peu à peu cédé au tout-voiture et souvent réduit leurs systèmes de transports collectifs à partir de l'après-guerre et que le retour des transports collectifs, qui s'est notamment traduit depuis une trentaine d'années par la construction de nouvelles lignes de métro ou de tramways, avait nécessité une longue prise de conscience à partir du Colloque de Tours qui s'était tenu en 1970, moment-clef dans la prise de conscience de la nécessité d'un retournement de tendance, qui avait débouché sur la rédaction d'un Livre vert en faveur du développement de transports collectifs urbains.

Plusieurs leviers peuvent être utilisés pour encourager les alternatives à la voiture dans les espaces peu denses : l'argument de la santé pour les modes actifs comme la marche et le vélo, l'argument économique afin de favoriser un usage partagé des véhicules, ou encore l'argument pratique pour éviter les contraintes liées au transport des enfants jusqu'à leurs établissements scolaires ou leurs activités extrascolaires. Par ailleurs, quand on conduit une voiture, il n'est pas possible de se livrer à d'autres activités comme la lecture, ou de travailler avant même d'arriver sur son lieu de travail. Le changement de mode peut permettre une nouvelle utilisation du temps disponible. D'ailleurs comme le fait remarquer Vincent Kaufman, « on constate un certain désamour de la voiture, et particulièrement auprès des jeunes générations, sur ce motif que le temps de conduite est un temps perdu ».

Il n'en reste pas moins que la culture dominante de la voiture individuelle, qui n'est du reste pas l'apanage des seuls espaces peu denses et s'étend aussi aux espaces périurbains proches des coeurs de ville, doit être prise en compte comme un frein à la diversification des mobilités.

III. L'AVENIR RADIEUX DES MOBILITÉS DANS NOS CAMPAGNES ?

A. VERS UNE ÉVOLUTION FORTE DES BESOINS DE MOBILITÉ ?

1. Le scénario de la démobilité et de l'accessibilité

La perspective et la nécessité de décarbonation des mobilités demandent de repenser les mobilités du quotidien en dehors des grandes villes, qui reposent essentiellement sur la voiture individuelle . Laisser des pans entiers du territoire en dehors de ce mouvement risquerait à la fois de faire rater l'objectif général de décarbonation et de pénaliser les habitants de ces territoires .

Avant même d'envisager le changement de mode de transport, l'une des alternatives à examiner est celle de la démobilité, c'est-à-dire la réduction des trajets. Promoteur de la « démobilité », le sociologue Bruno Marzloff la définit non pas comme « immobilité » mais comme une mobilité choisie et frugale, en opposition aux mobilités « subies » et contraintes, notamment pour les déplacements domicile-travail 46 ( * ) . Cette démobilité ne s'inscrit pas dans le mouvement de l'histoire. La tendance est à effectuer davantage de déplacements et des déplacements plus longs, rendus nécessaires par l'extension de l'étalement urbain. À première vue, seul le rapprochement sur le long terme des lieux d'habitation et des lieux de travail par une meilleure accessibilité semble pouvoir dessiner la perspective d'une démobilité durable. Ce n'est pas le chemin pris par les Français dans leurs choix résidentiels ces dernières décennies.

Toutefois, la possibilité d'accéder à des services sans se déplacer a déjà été mise en place à travers le développement de télé-procédures ou encore le modèle des livraisons à domicile et pourrait encore se développer . Mais dans ce cas, la contrainte de déplacement est transférée d'un acteur, le consommateur, vers un autre, le commerçant ou son prestataire de service de livraison. Une organisation efficiente des services de livraison permet certainement de réduire le nombre global de kilomètres parcourus mais ne supprime pas le déplacement.

Une autre piste réside dans une gestion différente des temps, offrant la possibilité de moins se déplacer, ou de se déplacer de manière moins pénible, échappant à la congestion automobile, aux heures de pointe des transports collectifs, ou aux problèmes météorologiques.

Le confinement du printemps 2020 a constitué un laboratoire grandeur nature de démobilité à travers le télétravail . Il est difficile de mesurer la part des emplois télétravaillables, même dans une économie massivement tournée vers les services comme l'est l'économie française 47 ( * ) . On estime cependant qu'environ un tiers de la population active française pourrait être concerné. Dans certains centres d'affaires (La Défense par exemple), le passage au télétravail s'est manifesté massivement avec des bureaux vides et des transports en commun connaissant des chutes de fréquentation de plus de 80 %.

Lors de son audition, Jérémie Almosni a fait part des études de l'ADEME montrant à la fois que le télétravail était largement apprécié par l'ensemble des actifs français , 71 % des télétravailleurs habituels souhaitant le faire plus souvent, et qu'il était très vertueux sur le plan environnemental en conduisant à une réduction drastique du nombre de déplacements (69 %) et des kilomètres parcourus (39 %). Même en prenant en compte les effets rebond identifiés (déplacements supplémentaires, relocalisation du domicile, usage de la visioconférence, consommations énergétiques du domicile), le télétravail a un impact globalement très positif sur les émissions de gaz à effet de serre (GES), de l'ordre de -50 %.

S'il est difficile de porter un jugement sur la durabilité de la transformation opérée à partir de l'expérience du confinement du printemps 2020, la possibilité de télétravailler davantage ouvre de nouvelles perspectives pour les espaces peu denses, en encourageant des travailleurs urbains à s'installer dans des lieux plus éloignés de leur travail mais offrant un meilleur cadre de vie. Un tel mouvement, peu mesurable pour le moment, pourrait aussi conduire à relocaliser diverses activités du quotidien autour du domicile et reconfigurer les mobilités des télétravailleurs d'un modèle pendulaire strict et principalement à travers la voiture individuelle vers un modèle en étoile, faisant davantage de place aux modes actifs .

La crise sanitaire a cependant d'autres effets potentiels, là aussi difficiles à mesurer, tendant à décourager l'utilisation de modes de transports collectifs et partagés afin de se préserver d'une promiscuité favorisant la transmission de maladies respiratoires, vers des modes individuels.

Au final, c'est moins une perspective de démobilité qui s'ouvre que de transformation de ces mobilités . Lors de la table ronde du 23 septembre 2020, Éric Le Breton indiquait : « je ne vois pour ma part aucun indicateur de dé-mobilité. Nous resterons sur la même tendance profonde, qui date d'il y a un siècle et demi. J'entends bien le sujet du télétravail, mais il n'implique pas l'immobilité. Les télétravailleurs sortent de chez eux, vont faire leurs courses, chercher leurs enfants... Les déplacements ne vont donc pas disparaître mais se transformer. De plus, l'immense majorité des télétravailleurs sont des hyper-mobiles ». L'enjeu est donc bien d'organiser différemment l'accessibilité et les déplacements.

Une certaine vigilance doit aussi être présente dans l'organisation des nouvelles mobilités dans les espaces peu denses. On peut en effet craindre que le télétravail ne constitue une avancée que pour une part réduite de la population française, ouvrant l'éventail de ses choix résidentiels, permettant un essor immobilier des campagnes attractives pour des actifs en recherche de grands espaces, mais pas pour toutes les catégories de la population qui ne peuvent pas télétravailler. Il conviendra d'éviter que les solutions nouvelles de mobilité soient instituées au bénéfice principal des nouveaux télétravailleurs, sans prendre en compte tous ceux pour qui des déplacements quotidiens resteront nécessaires.

2. La perspective de mobilités « enrichies »

Pourquoi les mobilités du quotidien sont-elles principalement réalisées sous le mode exclusif de la voiture individuelle dans les zones peu denses ? Parce que c'est le mode le plus simple à utiliser pour des mobilités subies ou contraintes, et parfois le seul qui existe ou soit praticable . De plus la question de la congestion ne se pose pas et celle du stationnement est beaucoup moins saillante qu'en ville.

La voiture individuelle constitue le meilleur outil garantissant le service et une vitesse de déplacement acceptable. C'est le couteau suisse des mobilités , permettant de se déplacer librement un peu partout pour une multitude de besoins : courses, travail, loisirs.

Mais la médaille a son revers : un coût économique et écologique élevé du déplacement pris en charge par l'usager , contrairement aux transports collectifs dont l'essentiel du coût est supporté par la collectivité. Et bien sûr le problème des pollutions et un bilan carbone peu favorable, tant que l'essentiel du parc sera un parc automobile à moteurs thermiques, et plutôt vieillissant.

Enfin, la conviction ancrée, à tort ou à raison, de n'avoir pas de solutions de mobilité autres que la voiture individuelle peut nourrir un sentiment de relégation des territoires ruraux et nuire à la cohésion du territoire. Lors de la table ronde du 23 septembre 2020, Éric Le Breton notait ainsi que dans les territoires peu denses « s'agissant des conditions de mobilité, les habitants vont commencer à réclamer de la qualité, de la sécurité, de la continuité de service. Probablement aussi, des populations spécifiques, par exemple les femmes ou les personnes en situation de handicap, vont formuler vigoureusement des demandes autour de la mobilité ».

En outre, la perception de l'absence de solutions alternatives à la voiture peut constituer un repoussoir pour certains ménages, qui souhaitent s'installer dans les campagnes, mais sans devoir dépendre de ce mode de transport, en se transformant en parents-taxis, ou pour de jeunes actifs qui considèrent la conduite comme du temps perdu alors qu' a contrario , en bénéficiant de modes collectifs où l'on est conduit, il est possible de se connecter, de travailler ou de s'adonner à des loisirs.

Il s'agit donc de passer de mobilités subies peu qualitatives à des mobilités choisies plus qualitatives. Dans une vision prospective, on peut donc légitimement anticiper un besoin d'investir dans les mobilités des territoires peu denses . Les élus de ces territoires ne pourront pas échapper à cette demande forte des habitants, d'autant plus qu'une partie d'entre eux sont des néoruraux, habitués aux services de la ville et qui, en s'installant à la campagne, ne sont pas toujours prêts à renoncer aux facilités dont ils disposaient dans leur précédente vie urbaine .

L'existence de modes alternatifs à la voiture individuelle, dans les espaces peu denses, constituera donc un enjeu pour l'ensemble de la population, pas seulement pour les populations fragilisées, non motorisées, comme les personnes âgées ou les ménages pauvres, qui étaient jusqu'à présent plutôt les seules cibles du transport collectif dans ces espaces.

La réponse à ce besoin de diversification et de renforcement de l'offre dans les territoires peu denses n'est pas évidente, car elle suppose la mobilisation de moyens supplémentaires alors que les ressources publiques sont rares.

Enfin, l'enrichissement de l'offre de mobilités nécessite un accompagnement des publics les moins agiles en matière de nouvelles mobilités : là encore, lors de la table ronde du 23 septembre 2020, Éric Le Breton nous alertait en pointant le fait que « les apprentissages de la mobilité risquent d'être de plus en plus discriminants : alors que la mobilité s'apprend, de plus en plus de personnes resteront en marge ».

La diversification des modes de mobilité dans ces territoires est donc un des éléments de la cohésion sociale interne des villages et petites villes, beaucoup moins inégalitaires que les territoires urbains, mais cette diversification doit être effectuée au profit de tous les habitants, faute de quoi la fracture des usages pourrait creuser le fossé entre ceux qui savent bénéficier des nouvelles techniques, et ceux incapables d'en profiter.

B. QUELLES POLITIQUES PUBLIQUES DE MOBILITÉ ?

1. La nécessité de construire des politiques de mobilités durables dans les espaces peu denses et très peu denses
a) Une démarche dynamique, co-construite et adaptative

Les retours d'expérience entendus lors des auditions et de la table ronde du 23 septembre 2020 au Sénat mettent en avant la nécessité de construire des politiques de mobilité durable sur les territoires peu denses. Ces politiques doivent être construites en partant du terrain, des observations qui peuvent y être faites sur les besoins des habitants mais aussi sur les pratiques qui existent déjà.

La plupart des personnes auditionnées ont insisté sur l'exigence d'une observation fine qui « colle » au territoire . Plusieurs outils sont mobilisables : statistiques d'utilisation des services publics de transport, enquêtes mobilité auprès des habitants. Lors de son audition, Jean-Marc Offner a insisté sur la prise en compte non seulement des flux de déplacement, mais aussi de la question des rythmes de vie, souvent mal appréhendés par les urbanistes.

La spécificité de chaque territoire doit être analysée. Le même Jean-Marc Offner indiquait ainsi qu'on ne peut pas comprendre les lieux sans les liens . Les zones peu denses peuvent être très différentes au regard de leur inscription dans leur espace. Il n'y a ainsi rien à voir entre une zone peu dense s'inscrivant dans un réseau de villes moyennes (par exemple les zones rurales de Bretagne), et une zone peu dense à plus de 40 kilomètres d'une grande métropole. Les mobilités s'y structurent très différemment.

En outre, la densité d'un espace peut être très variable dans le temps : les zones touristiques de montagne ou de littoral connaissent ces phénomènes d'affluence saisonnière. Mais des bourgs peuvent aussi devenir un pôle de centralité le jour du marché constituant ainsi une « densité éphémère » pour laquelle il est possible d'organiser une desserte.

La construction de plans de mobilité doit aussi être le fruit d'une véritable concertation avec les acteurs locaux : élus, acteurs économiques et habitants eux-mêmes. La démarche peut être longue mais elle est la condition d'un bon calibrage des solutions qui seront ensuite proposées.

Enfin, la mise en oeuvre des mesures d'un plan de mobilité simplifié doit faire l'objet d'un suivi fin car toute nouvelle offre induit des changements de comportements , et l'on peut facilement être dépassé par le succès. Il est dès lors nécessaire d'être réactif et de savoir rapidement monter en puissance ou procéder à des adaptations afin de corriger d'éventuelles erreurs.

b) La difficile prise en compte du « très peu dense »

Des distinctions doivent être effectuées au sein des territoires peu denses en prenant en compte le « très peu dense » comptant moins de 10 habitants/km², où les flux de déplacements sont très réduits, et où seuls des services très personnalisés sont envisageables. La massification et le regroupement y sont impossibles.

Pour autant, dans les espaces très peu denses, les besoins de déplacements existent. Ils sont parfois même fréquents vers des bourgs centre pour l'ensemble des besoins de la vie quotidienne . Peu peuplées, les communes sont des interlocuteurs avec très peu de moyens, dépendant largement des intercommunalités et des communes voisines plus importantes pour la conduite de nombre des projets intéressant les habitants.

Dans un espace rural se sentant globalement relégué, les espaces très peu denses peuvent ainsi subir une double relégation si les politiques publiques de mobilité ne descendaient pas jusqu'au niveau de granularité le plus fin auquel ils se situent .

C'est pourquoi une politique de mobilité volontariste au bénéfice de ces espaces, certes difficile à calibrer, est néanmoins hautement nécessaire. Les bouquets de mobilités peuvent fonctionner, mais en les adaptant aux spécificités du peu dense. Des solutions existent : covoiturage adapté, transport à la demande, y compris par taxi, vélo, marche. On peut aussi utiliser les flux réguliers, comme le passage du facteur, du bus scolaire ou encore de l'infirmière, pour imaginer une offre originale. Le prétexte de la très faible densité ne devrait pas être pris pour laisser ces territoires ne se satisfaire que d'une mobilité automobile .

c) La logistique : angle mort des politiques de mobilité dans les zones peu denses

La mobilité est plutôt appréhendée comme celle des personnes pour leurs déplacements quotidiens. Mais la question de la mobilité des biens est importante elle aussi dans les espaces peu denses et ce dans plusieurs directions.

Avec le développement des livraisons , la logistique du dernier kilomètre est plus compliquée et coûteuse à développer lorsque les distances entre plusieurs clients sont particulièrement longues à parcourir. Aucun marché de la livraison ne pourra se développer sans organisation, sans coordination entre acteurs. Des acteurs déjà présents sur le territoire comme La Poste pourraient être incités encore plus à se saisir de cette question pour développer un panel de services de livraison aux habitants. L'absence de service de livraison dans les espaces peu denses pourrait à l'inverse pénaliser l'attractivité de ces territoires.

Les plans de mobilité rurale, bien qu'orientés aujourd'hui principalement vers la mobilité des personnes, devraient s'intéresser aussi à la dimension logistique et aux flux qui en résultent, comme cela est proposé par la LOM.

2. Quels outils et quelles solutions encourager ?
a) L'intermodalité et le décloisonnement au coeur d'une transition mobilitaire réussie

Plutôt qu'une solution unique, idéale, adaptée à tous les territoires peu denses, la réponse aux besoins de ces territoires passe probablement par la combinaison de bouquets de services , répondant finalement à des besoins très variables d'un territoire à un autre et même d'un individu à un autre, voire aux différentes phases de la vie d'une même personne, ou aux différents moments de la semaine voire de la journée. Ces bouquets de services peuvent eux-mêmes prendre des formes très évolutives, en fonction de la disponibilité de nouvelles technologies : en particulier, la possibilité de se passer du besoin d'un conducteur pour utiliser un véhicule, permise par le développement du véhicule autonome, constituerait dans les campagnes plus encore que dans les villes, une révolution considérable, obligeant à repenser totalement l'organisation du transport des personnes et des marchandises.

Cette combinaison de services de mobilité doit s'appuyer sur une intermodalité poussée qui nécessite une interopérabilité effective, dans la logique du MaaS.

Il s'agit de ne plus raisonner uniquement par mode . L'organisation dans les espaces peu denses doit en effet viser prioritairement à assurer le rabattement vers des axes structurants ou des noeuds multimodaux. Bien sûr lorsque la solution ferroviaire est présente avec son maillage fin et ses presque 3 000 gares, elle doit être la colonne vertébrale des mobilités. Le rabattement vers ce mode peut permettre de le densifier et d'envisager une offre augmentée et cadencée. Derrière cette offre essentielle, des lignes de cars structurantes doivent la compléter. Elles doivent être gérées dans une logique qualitative, avec des bus à haut niveau de service (BHNS), qui arrivant à proximité des villes peuvent utiliser des voies dédiées pour s'affranchir de la congestion.

La performance des systèmes de rabattement , passant par le cadencement, la coordination, comme par exemple l'assurance de disposer d'une solution de covoiturage, d'un vélo ou d'une correspondance dans un pôle d'échanges, est stratégique pour que le système de mobilité fonctionne correctement.

L'aménagement de pôles multimodaux n'en est toutefois aujourd'hui qu'à ses débuts et des efforts importants doivent encore être faits pour fluidifier les ruptures de charges à travers des correspondances multimodales : il est cependant difficile aujourd'hui d'accepter d'aller au-delà de deux ou trois modes différents pour un déplacement quotidien.

Enfin, il ne faut pas s'interdire de s'appuyer sur les réseaux existants, comme par exemple les lignes de bus scolaires ou les micro-flux réguliers comme la tournée postale, sur lesquels on pourrait greffer des services de mobilité, afin d'élargir les possibilités offertes aux habitants. Pour être inventif, des moyens, notamment d'ingénierie, doivent pouvoir être mobilisés, ce qui suppose de disposer de budgets adéquats.

b) Une piste d'avenir : la socialisation de la voiture

La possession d'un véhicule individuel est l'un des marqueurs les plus forts de la société de consommation de la seconde moitié du 20 e siècle. Rompre avec le modèle automobile dominant constitue presque une rupture anthropologique ! Mais ce n'est pas une utopie, y compris pour les espaces peu denses, où se déploient depuis quelques années des usages partagés : autopartage par les véhicules d'entreprises, particuliers ou mis à disposition par la collectivité, covoiturage courte distance voire covoiturage longue distance.

La socialisation de la voiture peut être structurée selon trois canaux différents :

- En l'organisant à l'échelle la plus décentralisée, au niveau des utilisateurs de véhicules , qui assureraient des services de covoiturage de proximité. Il s'agit là d'aller au-delà des initiatives actuelles de covoiturage qui ne peuvent fonctionner qu'avec un flux substantiel de véhicules, en général vers les zones d'emploi. L'organisation de lignes virtuelles de co-voiturage de courte distance, comme celles développées par Ecov, semble avoir un véritable potentiel, surtout si l'existence d'une voie dédiée et l'indemnisation du conducteur y sont associées ;

- En l'organisant autour des collectivités territoriales , à travers des véhicules en libre-service détenus par les collectivités ;

- En l'organisant autour des constructeurs automobiles et des opérateurs de location de véhicules, à travers le free-floating , qui se développe surtout dans les villes, mais qui pourrait être adapté aux zones peu denses, sans même attendre l'arrivée du véhicule autonome. Ce modèle se déploie à titre expérimental et avec des résultats intéressants d'après les informations fournies lors de l'audition de Louise d'Harcourt, chargée des affaires parlementaires de la Plateforme de la Filière automobile et des mobilités, par exemple par Renault dans le village d'Appy dans l'Ariège, ou par PSA avec le service Free2move en Bretagne, autour de petits véhicules électriques.

Ces trois canaux devront être complétés pour les usagers par un véritable travail d'accompagnement par la collectivité et les opérateurs afin de les rassurer, notamment dans le monde post-crise sanitaire qui s'ouvre ; et pour l'ensemble des acteurs par une compréhension du modèle économique de ce nouveau type de solution où chacun joue un rôle précis et est une composante à part entière du processus : collectivités, opérateurs, constructeurs et bien sûr usagers.

Sans constituer du covoiturage au sens strict, le transport solidaire est une piste intéressante. Solidaire ne signifie pas qu'il est nécessairement destiné à des personnes précaires, il s'agit du conducteur qui est dans une logique de volontariat voire de bénévolat et qui consacre du temps à cette activité, et pour les passagers il se dirige vers les personnes ne disposant ni de véhicule ni de la possibilité de conduire (absence de permis, handicap physique ou sensoriel). Il peut fonctionner avec des incitations réduites, par exemple en indemnisant légèrement des conducteurs par ailleurs retraités, habitant les territoires peu denses et volontaires pour rendre un tel service avec leur véhicule personnel, ou par exemple en indemnisant le chauffeur d'un véhicule 9 places assurant le transport des personnes se rendant dans la même zone d'emploi ou la même entreprise.

Enfin, la diversification des formats de véhicules , mouvement entamé par les constructeurs automobiles, pourrait répondre aux besoins d'optimiser les coûts des mobilités : a-t-on besoin d'un véhicule 5 places et d'1,8 tonne pour se déplacer tout seul 200 jours de l'année ? Un petit véhicule électrique peut suffire aux besoins du quotidien et se révéler moins cher et plus vertueux du point de vue environnemental.

c) Développer les modes actifs : c'est aussi pour les campagnes

Si le vélo et la marche se développent désormais dans les espaces denses, ces modes doux sont adaptés eux aussi aux espaces peu denses pour certains trajets.

Le vélo à assistance électrique, notamment, étend le nombre de kilomètres qu'il devient acceptable de faire tous les jours . Comme le remarquait Olivier Schneider, président de la FUB, lors de son audition par le rapporteur, il n'y a pas moins d'appétence pour le vélo à la campagne qu'en ville. Mais, dans les zones peu denses, le développement de la pratique cycliste se heurte à l'inadaptation des infrastructures, notamment l'étroitesse des routes ou l'existence de coupures par des carrefours ou ronds-points peu adaptés à la circulation à vélo.

Pourtant des possibilités existent en utilisant les infrastructures actuelles dans une logique de partage . Elles peuvent être encouragées : certaines routes du réseau secondaire très peu empruntées (moins de 100 voitures par jour) pourraient être transformées en chaussées à voie centrale banalisée (chaussidou) avec marquage au sol d'une voie cycliste sur chaque côté de route 48 ( * ) . Une autre solution pourrait consister à profiter des travaux destinés à faire passer les réseaux souterrains (électricité, eau, fibre optique) pour goudronner la partie supérieure des tranchées, une fois celles-ci comblées, qui seraient transformées en pistes cyclables ou en cheminements piétonniers.

Les véhicules eux-mêmes peuvent être adaptés pour effectuer des trajets auparavant réalisés en voiture : ainsi, les vélomobiles, qui sont des tricycles carénés, protégés par une carrosserie aérodynamique, peuvent atteindre des vitesses moyennes de plus de 40 km/h pour un effort musculaire deux fois moins important qu'avec un vélo classique 49 ( * ) . Dotés d'assistance électrique, ils s'avèrent aussi efficaces pour se déplacer qu'un scooter. Expérimentés dans certaines villes, notamment au Nord de l'Europe, leur adaptation à l'espace peu dense paraît tout à fait possible.

Enfin, la marche, entravée par l'absence de cheminements adaptés, et souvent l'impossibilité d'aller de manière sûre à l'intérieur d'un bourg, voire d'un bourg à un autre le long d'une voie départementale, peut être favorisée pour des trajets courts à travers des aménagements parfois peu coûteux et l'établissement de véritables « voies piétonnes ».

C. PLUSIEURS SCÉNARIOS DE MOBILITÉS À L'HORIZON 2040 SUR FOND DE DÉCARBONATION ET D'UNE MEILLEURE ACCESSIBILITÉ

La finalité d'un travail de prospective consiste à se projeter dans des futurs possibles. La prospective « n'est pas de la prévision, elle ne consiste pas à dire ce que sera l'avenir, ni à prescrire ce que sera l'avenir » 50 ( * ) . Elle repose sur l'identification des « principaux facteurs de changement et des domaines dans lesquels il pourrait y avoir des transformations majeures » 51 ( * ) .

Appliqué aux mobilités dans les espaces peu denses, le travail de prospective permet d'identifier trois variables-clefs qui dessinent des perspectives assez différentes des transformations des mobilités dans ces territoires. Le statu quo constitue un scénario plausible en l'absence de volonté politique de diversifier les modes de déplacement , d'appropriation des Français de nouveaux modes et de relative stabilité des espaces résidentiels à la fin de la crise de la Covid-19. Cette crise aurait alors été une parenthèse sans effet durable et profond dans le temps.

Mais un autre avenir peut aussi se dessiner, reposant sur des politiques publiques très volontaristes de transformation des mobilités dans les espaces peu denses, un véritable bouleversement des stratégies résidentielles de nos compatriotes avec une installation massive dans les campagnes et les petites villes, et le souhait de davantage partager les moyens de transport.

La réalité pourra être variable d'un territoire à un autre , car l'attractivité résidentielle n'est pas partout la même, les initiatives des collectivités territoriales n'ont pas partout la même intensité et les formes de sociabilité peuvent différer. Les scénarios présentés ici ont l'avantage de donner une clef de lecture du futur de nos mobilités.

D'autres paramètres pourraient avoir une influence sur la manière d'envisager les futures mobilités, en particulier le facteur technologique. Les perspectives de véhicules totalement autonomes ou de véhicules volants ne sont plus du domaine de la science-fiction, bien que des interrogations fortes se poseront sur leurs modèles économiques, leurs conséquences sociales et environnementales tout comme sur leur acceptabilité dans les territoires. De nouvelles ruptures technologiques pourraient aussi totalement bouleverser les manières d'envisager les déplacements des biens et des personnes.

Dans tous les cas, ces huit scénarios sont posés dans un contexte impérieux de transition vers la décarbonation des modes de transports en s'inscrivant dans le cadre des objectifs français et européens, notamment concernant la fin de la vente de véhicules thermiques, ainsi que de l'optimisation des mobilités par une meilleure accessibilité. Ces paramètres ne figurent pas dans les variables retenues parce qu'ils sont des constantes.

1. Changement et continuité dans la France post-Covid : trois variables-clefs à surveiller
a) Première variable : la reconfiguration résidentielle

La concentration des populations dans les villes et leur périphérie immédiate est un phénomène ancien et bien connu. Les petites villes et les campagnes situées en dehors des zones d'attraction des grandes agglomérations, devenues désormais métropoles, ont été longtemps des territoires maintenus à l'écart des dynamiques, économiques ou démographiques. Mais cette réalité commence à être remise en question. L'heure de la « revanche des villages » 52 ( * ) , celle de la revanche des campagnes est peut-être venue.

À la recherche de grands espaces, aérés, au marché immobilier encore accessible, certains citadins des grandes métropoles font le choix de changer de vie, de s'installer dans des petites villes ou dans les campagnes. La crise de la Covid-19 a été un moment de rupture, révélant une envie partagée par de nombreux citadins de s'éloigner d'un univers trop urbain. Le développement du télétravail, permis par une meilleure couverture numérique du territoire rend possible des projets résidentiels qui étaient jusqu'alors assez utopiques. Pour de nombreux travailleurs, l'expérience d'un travail en présentiel seulement une partie de la semaine, ouvre de nouveaux horizons.

Mais assistera-t-on réellement à une reconfiguration résidentielle massive qui verrait une part importante de la population urbaine d'âge actif s'installer dans des communes peu denses offrant un cadre de vie attractif, lié à la proximité d'espaces naturels, de forêts, de lacs, la proximité du littoral, ou encore un patrimoine historique et architectural riche, au détriment des espaces urbains et périurbains ? Ce changement dans les lieux de vie pourrait au demeurant s'accompagner d'une nouvelle géographie sociale car le télétravail est plus difficile à mettre en oeuvre pour certains emplois (travail en usine, entretien, maintenance, services de soins, etc.), souvent pas les mieux rémunérés. Une reconfiguration résidentielle pourrait conduire les cadres, relativement autonomes dans leurs modalités d'organisation du travail, et bénéficiant à plein des nouvelles technologies et du télétravail, à délaisser les grandes métropoles et leur périphérie pour s'installer dans des espaces ruraux plus éloignés, tandis que les espaces périurbains proches des métropoles concentreraient les travailleurs, salariés ou non, dont les modes d'organisation du travail sont les plus contraints et les rémunérations plutôt faibles et fluctuantes. Certains espaces périurbains pourraient cependant devenir eux aussi attractifs grâce à des politiques d'aménagement adaptées. Le modèle périurbain n'est pas partout le même.

Une analyse fine des territoires et des évolutions post-Covid sera probablement nécessaire. Tous les espaces peu denses ne sont pas appelés à bénéficier à la même hauteur d'un tel mouvement . Ceux qui restent enclavés, à l'écart des axes de transport ferroviaire ou routier, pourraient ne pas inverser leur tendance à la désertification. La « diagonale du vide », des Ardennes aux Landes, pourrait ainsi avoir encore de beaux jours devant elle.

b) Deuxième variable : l'existence ou non de politiques publiques volontaristes de diversification des mobilités

Une autre variable paraît devoir revêtir une importance particulière dans les années qui viennent en matière de mobilités dans les espaces peu denses : l'intensité et la force des politiques publiques de mobilité locale auront à n'en pas douter une influence considérable sur l'évolution du modèle de mobilité de chaque territoire. En effet, dans ces territoires, l'organisation des mobilités résulte déjà largement des actions de la puissance publique. De l'infrastructure au service, les acteurs privés des nouvelles mobilités, mus par un objectif de rentabilité, n'y viennent pas spontanément puisqu'ils n'y disposent pas d'emblée d'une clientèle solvable nombreuse.

Nous sommes à un moment charnière : celui où les intercommunalités rurales doivent choisir de prendre ou de ne pas prendre la compétence mobilité, selon le calendrier fixé par la LOM. Mais au-delà de la prise de compétence, c'est la manière de l'exercer qu'il faudra examiner . Observera-t-on une forte volonté politique de développer les solutions et de les diversifier dans le peu dense, ce qui se traduira par la mobilisation de moyens financiers et humains significatifs, par exemple pour mettre en place des plans vélos ruraux, des plans de multimodalité, pour étendre les réseaux locaux de transports collectifs, pour innover aussi en utilisant toutes les ressources à disposition et surtout, en s'organisant à la bonne échelle de manière interterritoriale au plus proche des bassins de mobilité et en lien étroit avec les régions tout en poussant la réflexion autour de la question de l'accessibilité ? Ou à l'inverse verra-t-on les communautés de communes baisser les bras, choisir de consacrer leurs moyens à d'autres priorités et laisser le soin aux autres acteurs, notamment les régions, de s'occuper totalement de la question des déplacements quotidiens des habitants, quitte à offrir un service de mobilité assez pauvre aux habitants du territoire qui reposerait presque exclusivement sur la voiture individuelle.

Là aussi, la réalité risque d'être variable selon les territoires, certains se saisissant de la question et d'autres pas. La faiblesse des moyens financiers pouvant être consacrés localement aux mobilités peut aussi fortement contraindre les collectivités. Nous voyons déjà bien que certains territoires sont très dynamiques et très inventifs, tandis que d'autres le sont moins. Nous pourrions ainsi avoir un panorama très contrasté des mobilités dans les zones peu denses à l'horizon de 10 ou 15 ans, avec des territoires sociologiquement proches mais ayant pris des chemins très différents, selon les choix locaux de politiques publiques.

c) Troisième variable : l'appropriation et l'acceptabilité de mobilités partagées par les habitants des espaces peu denses

La dernière variable mise en évidence par les auditions est peut-être la plus impalpable et la moins mesurable, mais elle peut avoir un impact considérable : les habitants des espaces peu denses souhaiteront-ils ou non diversifier leurs moyens de déplacement, partager la voirie entre les différents modes et se regrouper pour leurs mobilités ?

L'intensité du lien social entre habitants de territoires très diffus permet aujourd'hui spontanément d'offrir des solutions pratiques. L'autostop, mais aussi la mutualisation de portions de déplacements entre voisins, connaissances, habitants du même bourg ou du même hameau, constituent des pratiques courantes. Elles s'appuient parfois sur la volonté de « sauver le village », l'insuffisance de services pouvant conduire certaines familles à aller habiter ailleurs, malgré leur attachement au territoire, tout simplement parce que les contraintes y sont trop fortes.

Institutionnaliser des pratiques spontanées relevant des solidarités de proximité constitue un cap délicat à franchir . L'extension du réseau peut distendre le lien. Mais l'envie de se connaître, de partager, de s'entraider entre habitants d'un même territoire constitue aussi un moteur pour nombre de nos concitoyens. L'orientation défensive visant à « sauver le village » est alors remplacée par une optique plus offensive, consistant à « bien vivre » ou à « mieux vivre » dans des espaces, certes peu denses, mais qui attirent de plus en plus d'habitants.

Les succès de l'autostop organisé, du covoiturage, de l'autopartage ne dépendent pas uniquement des avantages pratiques qu'ils offrent mais aussi largement de la culture des mobilités partagées qu'ils contribuent à diffuser . Si la culture dominante reste celle de l'usage privatif et d'un partage des mobilités réduit aux seuls publics ne disposant pas de voiture, il y a fort à parier que le modèle actuel du véhicule individuel comme mode quasi exclusif de déplacement dans les campagnes n'évoluera pas.

2. Huit scénarios à décliner sur les espaces peu denses, dans toute leur diversité.

Lorsque l'on croise les différents paramètres, on identifie huit scénarios possibles pour les mobilités dans les zones peu denses et très peu denses.

a) 1er scénario : la mobilité rêvée

Ce scénario peut apparaître comme idéal ou idyllique : dans les territoires attirant une nouvelle population profitant des opportunités du télétravail, menant des politiques volontaristes de diversification des mobilités et habités par des liens sociaux forts et l'envie des habitants de s'orienter vers des mobilités plus partagées, on peut anticiper un essor de formes très variées et complètes de solutions de mobilité qui, du coup, renforceront encore l'attractivité de ces territoires. La combinaison des trois paramètres est plus difficilement envisageable dans les zones très peu denses, mais n'y est pas impossible. Ce scénario offrirait à chacun une grande autonomie dans les possibilités et pratiques de mobilité.

b) 2ème scénario : chacun son mode

Ce scénario reposerait toujours sur une dynamique démographique favorable à une arrivée dans les zones peu denses d'une population anciennement urbaine, à pouvoir d'achat relativement élevé, combinée à une politique publique volontariste. En revanche, dans ce scénario, on pourrait envisager un modèle résidentiel « à l'américaine » marqué par le « chacun chez soi » et la relative faiblesse des liens de proximité entre habitants d'un même territoire. Dans une telle situation, les solutions nouvelles de mobilité pourraient avoir du mal à trouver leur public et la domination du véhicule individuel pourrait être conservée , sauf pour des groupes spécifiques : jeunes, personnes âgées sans solution motorisée, pour lesquels une politique publique forte permettrait cependant de pallier ce manque.

c) 3ème scénario : la montée en puissance

Un 3 ème scénario est envisageable : celui marqué par l'arrivée de nouvelles populations dans les espaces peu denses, mais l'absence de volonté politique locale d'encourager des mobilités alternatives, que cela soit par contrainte (manque de ressources financières) ou par manque d'acculturation et de connaissance des élus sur ce sujet. En présence d'un désir fort des usagers de la route et des transports de faire évoluer leurs pratiques de mobilité, une offre alternative pourrait se mettre en place à partir d'initiatives associatives , voire d'entreprises offrant de nouveaux services grâce à des technologies nouvelles astucieuses, possibles même dans le très peu dense. La pérennisation des initiatives nécessitera toutefois une montée en puissance des soutiens publics et une forte coordination avec les initiatives publiques existantes restera indispensable. Dans ce scénario, la transition vers de nouvelles mobilités partira largement de la base et des usages.

d) 4ème scénario : la stratégie du wagon de queue

Ce scénario reposerait toujours sur un engouement des Français pour habiter les espaces peu denses et l'absence de politiques publiques structurantes de mobilités alternatives dans ces territoires. Si dans ce contexte, un lien social fort entre habitants, historiques comme nouveaux, ne se noue pas, la diversification des mobilités n'aura pas lieu et la seule manière de bénéficier de services supplémentaires dans les espaces peu denses, alternatifs au véhicule individuel, serait de se raccrocher aux systèmes de mobilité existant dans les agglomérations les plus proches. Il serait probablement préférable dans ce contexte que la compétence mobilité soit exercée de manière déléguée à une entité à périmètre géographique large. Dans ce scénario, la possibilité de bénéficier de services nouveaux passera par le raccordement à des solutions externes au territoire ou existant à l'échelle supérieure, par exemple celle de la région, où en se rattachant au bassin de mobilité pertinent.

e) 5ème scénario : la transition organisée

Dans les scénarios suivants, on envisage une relative stabilité des dynamiques démographiques des espaces peu denses et des espaces denses. La crise de la Covid-19, dans ces scénarios, n'aurait été qu'une parenthèse ne remettant pas en cause les choix résidentiels des Français. Le 5 ème scénario postule donc l'absence de ruée vers les campagnes, mais l'adoption de politiques publiques de mobilité ambitieuses, visant à enrichir le panel des solutions offertes aux habitants des espaces peu denses, ainsi qu'une envie de mobilités partagées qui pourrait être suscitée ou renforcée par des expérimentations réussies, par exemple dans le domaine du covoiturage ou du transport solidaire. Dans ce scénario, la transition vers un modèle utilisant moins la voiture de manière purement individuelle s'opérerait dans nos campagnes, malgré les difficultés, notamment de financement.

f) 6ème scénario : l'échec

Le 6 ème scénario est nettement moins positif. Il combinerait l'absence de dynamique démographique des espaces concernés, une volonté politique forte de faire avancer la question des mobilités, mais une absence d'appropriation de nouveaux modes, de volonté de changer leurs habitudes de la part des habitants ou de modèle économique pour le faire. La volonté politique serait vite confrontée au mur des réalités budgétaires et il est probable que les premières expérimentations soient vite abandonnées. C'est le scénario de l'échec.

g) 7ème scénario : rien de neuf !

Ce scénario combinerait pour sa part absence de dynamique démographique, absence de volonté politique et absence d'appropriation des nouveaux outils de mobilités partagées par les habitants. Autant dire qu'il n'ouvre aucune perspective autre que celle de l'attente de ruptures technologiques : véhicules autonomes, petits véhicules électriques, vélomobiles. C'est le scénario de l'immobilité par rapport à la situation actuelle d'un territoire mais surtout cela pourrait devenir le scénario du pire. Si l'absence de service de livraison à domicile ou de point relai proche persiste, l'attractivité du territoire pourra en pâtir très fortement tant la dynamique en faveur du commerce en ligne est forte et devrait continuer de progresser. Il pourrait en aller de même si la dépendance à la voiture individuelle persiste et que le territoire ne s'inscrit, ou n'arrive pas à s'inscrire, dans une dynamique de transition et de transformation du modèle de déplacement qui prévaut en son sein car l'on constate déjà les premiers signes d'un « désamour de la voiture ».

h) 8ème scénario : l'autogestion

Le dernier scénario serait marqué par l'absence de dynamique démographique forte et de volonté politique d'investir dans les nouvelles mobilités, mais l'existence d'initiatives locales certes timides mais pas inexistantes. C'est le scénario de l'autogestion des mobilités locales, qui peut fonctionner à très petite échelle, y compris dans les espaces très peu denses. Ce scénario suppose la mise à contribution de bénévoles et des services non marchands rendus entre habitants, par exemple à travers du transport solidaire et des prêts de véhicules, ou l'utilisation de services offerts par des opérateurs privés, le cas échéant s'appuyant sur des technologies innovantes. Ce scénario paraît particulièrement adapté aux espaces très peu denses.

Ces 8 scénarios pourraient se déployer sur le territoire français selon les caractéristiques propres à chaque espace . Certains espaces ruraux peu dynamiques sur le plan démographique pourraient ainsi compenser leurs difficultés objectives par une mobilisation forte des responsables politiques locaux ainsi que de la population pour ne pas dépendre exclusivement de la possession d'un véhicule individuel (scénario 5). À côté, un territoire en croissance démographique pourrait lui ne pas du tout innover, sans envie des habitants et sans mobilisation des pouvoirs publics (scénario 4). Les politiques de mobilité du quotidien ayant vocation à être fortement territorialisées, des chemins très différents pourront être pris par chaque communauté de communes ou chaque bassin de mobilité. Les territoires moteurs pourraient cependant jouer le rôle de précuseurs, ouvrant la route à d'autres, peut-être plus frileux ou dubitatifs au départ.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Les travaux de prospective menés lors des auditions et lors de la table ronde du 23 septembre 2020 montrent que la transformation des mobilités est à la fois possible et souhaitable dans les espaces peu denses , d'autant qu'elle apparaît comme une nécessité sociale et écologique. Cette transformation s'appuiera sur les changements sociologiques et technologiques qui sont déjà en cours, et qui dessinent un nouvel avenir pour ces espaces.

Si les « grands espaces » sont très prisés des Français, le renouveau rural n'est pas un phénomène uniforme dans l'ensemble de l'hexagone.

L'expérience du confinement avec la crise de la Covid-19 a fait prendre conscience que d'autres modes de vie sont possibles et que certains déplacements peuvent être évités par une meilleure accessibilité aux services, à l'emploi, à l'habitat et aux lieux de vie. Se déplacer est une contrainte pour le travail ou les études mais reste une attente pour les activités de loisir ou la vie sociale. Il convient toutefois de rester attentif aux mouvements de population qui pourraient être facilités par le développement du télétravail. Si une telle dynamique se révélait massive, de grands changements interviendraient dans les campagnes, notamment sur le marché immobilier au risque de remettre en question les objectifs de non-artificialisation supplémentaire des sols.

La loi d'orientation des mobilités, prenant acte des fortes évolutions dans les espaces denses, a affirmé un droit à la mobilité pour tous et a couvert le territoire d'AOM. Or, dans les espaces peu denses, on constate une réticence pour des collectivités peu dotées en ingénierie et en moyens financiers à se lancer dans des plans ambitieux de mobilité. Il est inenvisageable de transformer en profondeur les mobilités du quotidien sur ces territoires sans y mener une politique publique structurée à la bonne échelle , c'est-à-dire au plus proche des bassins de mobilité. Or, ces périmètres dépassent pour l'essentiel les cadres administratifs des intercommunalités. Ainsi, dans une logique de meilleure accessibilité, il faut associer des outils de planification de l'espace et des temps (SCoT, PLUI-HD, bureaux des temps) pour créer des synergies entre les politiques d'aménagements au coeur desquelles sont les politiques de transports et de mobilités. C'est à travers ces outils et du volontarisme politique local que pourront être produites les solutions intermodales adaptées à la typologie des espaces peu denses : rural isolé, rural polarisé ou périurbain. Quant au très peu dense, il demande un doigté particulier. Les flux y étant tellement faibles, il ne conviendrait pas d'y systématiser des politiques publiques complexes et plus coûteuses que le recours au taxi.

Plutôt que de combattre les modes individuels ou collectifs, le constat est clair : la voiture est utilisée dans plus de 80 % des transports du quotidien, c'est pourquoi il convient de socialiser pour partie sa pratique en partageant sous différents modes son usage, qu'il s'agisse de transports à la demande, d'auto partage ou de la promesse des nouvelles pratiques du covoiturage courte distance dynamisées par le numérique. Enfin, les modes doux ne sont pas exclus à la campagne car près de la moitié des trajets du quotidien font moins de 3 kilomètres.

En promouvant ces solutions, il s'agit de mieux organiser dans une logique intermodale le rabattement vers les modes lourds que sont le ferroviaire et les services de cars réguliers. Il convient de renforcer les services et d'améliorer l'offre, notamment par un meilleur cadencement.

Tout cela ne peut se faire sans financement et nécessite de trouver à ces espaces une ingénierie adaptée et des moyens financiers pour investir et gérer ces nouvelles politiques de mobilité. C'est grâce à elles que la transformation des pratiques et des comportements sera enclenchée, et à travers ce nouvel écosystème et le développement d'un bouquet de mobilités sur mesure, que la transition écologique des mobilités pourra être réussie. C'est dans ce schéma que les ruptures technologiques doivent se produire et que les industriels, qui inventent les véhicules moins émetteurs, doivent s'inscrire.

Ainsi, comme le remarquait Gilles Dansart dans l'éditorial de la Mobilettre du 31 décembre 2020, « il ne s'agit pas non plus d'opposer la mobilité individuelle au transport collectif qui empoisonne le débat et ralentit les mutations ». En effet, une mobilité moderne et décarbonée est possible, y compris pour les espaces peu denses, en s'appuyant sur le triptyque « proximité, intermodalité, accessibilité » pour lutter contre les « mobilités à deux vitesses » entre territoires urbains bien pourvus et espaces peu denses déséquipés et sans autre alternative que la voiture . Il s'agit donc bien de lutter contre les fractures territoriales actuelles .

TABLE RONDE : QUEL AVENIR POUR LES MOBILITÉS DANS LES ESPACES PEU DENSES ?

Mercredi 23 septembre 2020

M. Roger Karoutchi , président de la délégation à la prospective . - Bienvenue dans cette salle Clemenceau du Palais du Luxembourg. Conditions sanitaires obligent, nous avons dû limiter le nombre de personnes pouvant être présentes dans la salle. Les autres pourront suivre nos travaux en vidéo. En tant que président de la délégation à la prospective, je remercie mon collègue sénateur Olivier Jacquin, qui animera les travaux de cet après-midi et qui a eu l'initiative de cette réunion. Il s'agit d'une nouvelle étape dans le suivi du rapport de la délégation sur les mobilités élaboré en 2018 par Olivier Jacquin et quatre de ses collègues. Trois tables rondes, incluant celle d'aujourd'hui, ont décliné différentes thématiques liées aux mobilités : tarification, mobilités urbaines, mobilités en zones peu denses. Je ne suis pas près d'oublier les riches débats lors de notre première table ronde sur les trottinettes et les vélos. Nos travaux sur les mobilités sont importants et donneront sans doute lieu à un nouveau débat dans l'hémicycle du Sénat, probablement avant la fin de cette année civile.

La délégation à la prospective existe depuis une dizaine d'années. Elle a peu d'équivalents au sein des Parlements d'Europe, hormis en Finlande. Celui qui fut à l'origine de sa création, le président Larcher, avait l'objectif de « sortir le Sénat des murs » , de se projeter sur les grands problèmes économiques et de société à dix, vingt ou trente ans. Dans cet esprit, la délégation a produit un certain nombre de rapports par exemple sur la gestion de l'eau, sur les villes, sur l'adaptation au dérèglement climatique, ou sur l'alimentation du futur, c'est-à-dire sur des sujets d'actualité, envisagés non pas dans leur gestion immédiate mais à un horizon d'une vingtaine d'années, dans notre pays et en Europe.

M. Olivier Jacquin . - Merci Monsieur le Président et merci à tous d'être présents. Merci à la délégation à la prospective d'offrir un espace de réflexion tel que celui-ci. Je salue l'animation de cette délégation par Roger Karoutchi, à la fois transpartisane et éclectique. Nous avons traversé la phase Covid en continuant à travailler, notamment sur les questions de mobilité.

Le statut de cette table ronde est particulier. Il ne s'agit pas d'un colloque destiné à diffuser des idées ou un document finalisé. Nous sommes en cours de rédaction d'un nouveau rapport et franchissons aujourd'hui une étape. Nous avons réalisé un grand nombre d'auditions préalables pour arriver au débat d'aujourd'hui. Les actes de cette table ronde seront publiés et serviront à élaborer le rapport. Cette table ronde sera ensuite complétée d'auditions importantes. Ceux d'entre vous qui ont l'oeil critique auront constaté que certains acteurs institutionnels essentiels ne sont pas à la table, mais ils seront reçus en audition ultérieurement, comme par exemple l'Association des régions de France (ARF), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) ou encore l'Association des maires de France (AMF). Il s'agit aujourd'hui d'avoir un temps de recueil de la parole.

Le programme vous a été communiqué, il comporte deux tables rondes. Deux experts au statut transversal vont s'exprimer. Xavier Desjardins, géographe, va initier nos travaux et définir le sujet complexe des espaces peu denses. Il apportera également un regard « à chaud » en fin de séance afin de dresser une première synthèse. Sylvie Landriève, directrice du Forum Vies Mobiles - qui est le think tank de la SNCF - porte un regard panoramique sur les mobilités. Nous lui proposerons, à l'issue de la première table ronde, d'en faire une synthèse et d'amener le questionnement de la seconde table ronde, celle qui nourrira plus particulièrement notre rapport.

Le président l'a dit, nous avons élaboré un rapport sur les nouvelles mobilités à la fin de 2018. La loi d'orientation des mobilités (LOM) vient ensuite, pour affirmer dans son article 1 er , qu'elle « définit le droit à la mobilité pour tous et partout » . Cette idée excellente aboutit à ce que le pays entier soit couvert d'autorités organisatrices (AO). Je le dis d'une manière critique, cela pose une question d'égalité entre les territoires, dont certains, peu denses, n'ont pas la ressource financière - le versement mobilité - pour exercer cette compétence. Il s'agit là d'une vraie difficulté, d'autant que depuis des décennies le milieu rural a été déséquipé de certaines infrastructures de transports (ferroviaire, transports en commun réguliers, ...) alors que, dans le même temps, la puissance publique investissait fortement dans le très dense sur des moyens très performants (TGV, métro, tramway...). Face à cette situation, le réseau routier s'est développé. Dans ces espaces peu denses, il est fréquent que plus de 90 % des déplacements s'effectuent en voiture particulière.

Notre intuition est la suivante. Partout, la réflexion doit être celle des « dé-mobilités ». Comment éviter certains déplacements, comment les limiter par l'aménagement du territoire, l'urbanisme mais aussi par la gestion des temps ? L'exemple du télétravail est éloquent en phase Covid. L'autre postulat de fond constituant la base de notre réflexion est le changement climatique, c'est-à-dire la nécessité de décarbonation. Une intuition supplémentaire est facétieuse : puisque la densité de population est insuffisante pour permettre au marché d'offrir des moyens de transports en commun, nous misons sur la densité du lien social, qui peut permettre de trouver des solutions nouvelles.

La crise de la Covid nous a montré que le monde pouvait s'arrêter. Il s'agit d'une crise des mobilités particulière. Elle nous démontre que tout est possible, sans aucun doute.

Je rappelle que nous sommes dans un exercice de prospective. Dans la mesure où nous travaillons à dix ou vingt ans, tous les possibles sont devant nous. Nous parlons d'espaces peu denses, mais est-ce de la campagne, du rural, du péri-urbain, de l'hypo-urbain ? Comment se situe le très peu dense par rapport au peu dense ? Ces sujets seront vus d'un point de vue prospectif, sous l'angle des mobilités. Je tiens enfin à saluer tout particulièrement mes collègues ici présents, Yannick Vaugrenard et Alain Richard.

Introduction : les espaces peu denses, de quoi parle-t-on ?

M. Xavier Desjardins, professeur en urbanisme et aménagement à l'Université Paris-Sorbonne . - Merci à la délégation à la prospective pour son invitation. La commande qui m'a été passée était complexe, mais heureusement j'ai pu préparer le travail avec beaucoup de dialogue avec Olivier Jacquin et son équipe. Par conséquent, le propos que je condense aujourd'hui est le résultat de ces échanges préalables. Mon exposé se déroulera en deux temps : un rappel de contexte et quelques propositions prospectives balbutiantes.

De quoi parle-t-on lorsqu'on évoque les espaces peu denses ? La densité est un rapport entre un nombre et une surface. Classiquement, les espaces peu denses sont ceux dans lesquels peu de gens sont présents au mètre carré. Les communes comptant moins de 30 habitants au kilomètre carré représentent la majorité des communes françaises. Mais quand on parle d'espaces peu denses sous l'angle des mobilités, il faut avoir conscience que l'automobile est ultra dominante, même dans des zones de densités plus élevées que 30 habitants au kilomètre carré, et même dans les pourtours des agglomérations. La césure en matière de mobilités est vraiment entre agglomérations et le reste du territoire, ou plutôt entre le centre de certaines agglomérations et le reste du territoire.

Une des caractéristiques du territoire français réside dans le fait que les espaces « hors agglomération » comptent beaucoup plus de population que la moyenne européenne. Lorsqu'on observe la carte des agglomérations au sens géographique, c'est-à-dire les communes urbaines et les communes suburbaines immédiatement environnantes, on constate qu'en France, environ trente millions d'habitants habitent en-dehors d'une agglomération de plus de 10 000 habitants. Une autre différence avec nos voisins tient au fait que beaucoup d'habitants des espaces peu denses en France se trouvent très éloignés des grandes villes (à plus de 50 kilomètres des agglomérations de plus de 100 000 habitants). Par conséquent, le semi-urbain est particulièrement lâche, ce qui conditionne la politique de transports en France.

La dynamique territoriale doit aussi être appréhendée dans le temps. Au début des années 2000, nous avons vécu un rétrécissement des zones marquées par le déclin démographique. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de ré-expansion de ces zones mais avec des dynamiques différentes. Certaines régions perdant traditionnellement de la population (Limousin, coeur du Morvan etc...) continuent dans cette voie, mais d'autres zones sont également concernées comme une grande partie du bassin parisien, ce qui est nouveau. L'analyse du solde migratoire démontre que certaines agglomérations du nord (Paris, Rouen, Lille...) perdent une part de leur population du fait de déménagements, ce que peut masquer l'excédent naturel.

L'analyse des lieux de résidence des Français est compliquée par le fait qu'on habite de plus en plus en de multiples endroits. De ce fait de manière prospective, on pourrait se demander - surtout après la crise de la Covid - si les campagnes vont gagner des habitants. Je l'ignore. Une autre manière de se poser la question pourrait aussi revenir à s'interroger sur le nombre de jours par an où les gens vont vivre dans des espaces de faible densité. La réponse est variable. Les « bi-résidents » existent. D'autres partent en vacances, en week-end, rendent visite à leur famille... Dans le futur, la manière dont la population vivra dans les gradients de densité ne sera pas une question anodine. Il ne s'agira plus de déterminer si la population habite à la ville ou à la campagne, mais plutôt de savoir combien de jours par an. Pour ceux qui seraient malheureusement condamnés, pour des raisons financières ou de santé, à ne vivre que dans un système ou l'autre, la frustration pourrait exister. De manière prospective en 2050, il pourrait être fait en sorte que chacun puisse, au moins pendant un mois par an, alterner. Il s'agirait d'une manière originale et différente d'envisager l'avenir des espaces de faible densité.

La carte des « bassins de vie » (selon le découpage de l'Insee) de faible densité (inférieure à 50 habitants/km²) démontre que dans ces espaces, toutes les trajectoires démographiques et socio-économiques se retrouvent, comme dans les agglomérations. Les métropoles sont aussi diverses que les campagnes en termes de trajectoire, ce qui est important à retenir pour les politiques de mobilité.

Je voudrais apporter quelques éléments sur la mobilité, avec un zoom sur le département de l'Aube, pour montrer que la proximité n'est jamais totalement absente, même dans les espaces de faible densité. Aujourd'hui, on se déplace cinq fois plus en moyenne que dans les années 1960. Les navettes sont de plus en plus longues. Les espaces péri-urbains sont de plus en plus étendus autour des villes. Quand on calcule la moyenne des distances parcourues par les gens quotidiennement pour aller travailler, on constate que plus on habite dans une zone rurale et plus les distances sont longues, d'où des problèmes en matière de coût des carburants et des difficultés pour trouver un travail en proximité et s'insérer. Les mouvements sociaux récents nous l'ont rappelé avec vigueur.

Pour autant, il existe aussi de nombreux endroits où plus de 55 % de la population travaillent à moins de 7 kilomètres de leur domicile. Ce fait est important car dans les espaces péri-urbains, la lecture est effectivement dominée par le constat de navettes épuisantes, coûteuses, polluantes et donc, légitimement soumises à réflexion. N'oublions néanmoins pas que sous cette couche, est présent également un tissu de proximité très important. D'ailleurs, la proximité est aussi forte du côté de Bar-sur-Aube que dans le centre de Troyes. Le milieu rural offre donc une très importante vie de proximité, ce qui a tendance à être parfois minoré ou ignoré.

La semaine dernière ont été publiés les premiers chiffres de l'enquête sur la mobilité des personnes réalisée en 2019. Cette enquête fournit beaucoup d'éléments. J'en ai retenu la part modale des déplacements par type d'espace entre 2008 et 2019. On constate que plus la ville est grande, plus les changements ont été nombreux ces dernières années. Dans l'agglomération parisienne, la part modale de la voiture a considérablement diminué. Nous avons l'impression, à l'inverse, que les campagnes ont peu ou pas évolué sur ce plan. Pour autant, il est frappant de constater que le vélo occupe quasiment la même place dans les campagnes que dans les grandes villes (environ 2 % des déplacements).

Finalement à première vue, on pourrait penser que le monde rural est condamné à un système de mobilité qui reste stable, alors que les évolutions sont très importantes dans les villes, en particulier dans l'agglomération parisienne. Or il n'en est rien : sous cette immobilité apparente du système de déplacement, il se passe beaucoup de transformations discrètes. Nous pouvons donc faire le pari qu'un changement se produira.

Je lancerai pour finir trois propositions liées à des questions qu'Olivier Jacquin nous avait transmises.

Première question : quand les densités sont faibles, que fait-on ?

J'aurais envie de répondre que la voiture est destinée à rester durablement le mode de transport le plus adapté. Cependant, peut-être pourrions-nous réfléchir à d'autres types d'automobiles. En France, les voitures répondent au même modèle : lourdes et imposantes. Au Japon en revanche, il existe des véhicules beaucoup moins coûteux et énergivores, plus petits, d'abord développés dans le monde rural. La réflexion pourrait par conséquent porter sur la transformation de la voiture. À cet égard, l'exemple japonais des mini-voitures (keijidôsha ou kei-cars) est très intéressant.

Deuxième question : la généralisation du vélo est-elle possible en zone rurale ?

La diffusion du vélo en zone rurale est possible, à mon sens. Je ferai une proposition immédiate. Il faudrait que tout élève entrant en sixième bénéficie de la part de l'autorité publique d'une tablette et d'un vélo. Le coût ne serait pas excessif, alors que les bénéfices seraient également visibles sur la mobilité et la santé. Le système pourrait être combiné aux transports scolaires existants par bus. En cas de pluie, un sms pourrait être adressé à chaque élève afin d'indiquer si le car fonctionne le lendemain, et à quels horaires.

Dans les zones de montagne ou pour les élèves demeurant à plus de trois kilomètres de leur collège, on peut imaginer un montant de chèque-mobilité plus élevé, pour supporter le coût d'un vélo électrique. À l'argument justifié selon lequel les déplacements à vélo seraient trop dangereux pour des collégiens, il pourrait être opposé que si tout le monde circule à vélo, les élus locaux transformeront les politiques d'aménagement des espaces publics.

Troisième question : quel avenir pour le covoiturage ?

Il résulte d'une comparaison des déplacements des ouvriers des usines de Picardie et du Bade-Wurtemberg, que les seconds étaient beaucoup plus adeptes du covoiturage qu'en France. La raison en est simple. Les ouvriers allemands sont beaucoup plus stables dans l'emploi et connaissent donc mieux leurs collègues d'usine. En d'autres termes, le covoiturage est un révélateur de l'intensité du lien social. Il convient donc de réfléchir à ce levier de mobilité dans les espaces ruraux, que constitue l'intensification du lien social. Bien entendu, les moyens d'y parvenir sont complexes, mais la comparaison a montré que le covoiturage représentait un ressort manifestement important pour la transformation des mobilités.

M. Olivier Jacquin . - Pourrait-on considérer, du point de vue des mobilités, que les espaces peu denses sont ceux dans lesquels on circule en voiture ?

M. Xavier Desjardins . - Ce sont effectivement ceux dans lesquels la part modale de la voiture est la plus élevée.

Première table ronde - Les campagnes, terreau des mobilités innovantes ?

M. Olivier Jacquin . - Après cette introduction sur les espaces peu denses et leurs perspectives, nous avons souhaité avoir plusieurs intervenants, dont les trois premiers viennent du secteur public, de l'ingénierie publique. Ils nous dresseront un état des lieux de l'innovation dans les territoires peu denses. Les trois autres intervenants nous feront part, concrètement, des expériences innovantes qui se déroulent sur leur territoire et des pratiques qu'ils proposent. Sylvie Landriève synthétisera ensuite ces temps d'intervention.

Je donne la parole à David Caubel, un partenaire important pour nos travaux. Il est chef de projet du dispositif France Mobilités du ministère des transports. Avec une toute petite équipe, il mène un travail important autour de l'expérimentation des formes nouvelles de mobilité.

M. David Caubel, chef de projet innovation et territoires, DGITM. - Cette première table ronde pose une très bonne question. Si l'on fait un micro-trottoir aujourd'hui sur l'innovation, les réponses immédiates concernent généralement les outils numériques. Or lorsqu'on parcourt nos territoires, on constate que l'innovation peut également revêtir d'autres aspects. Elle peut aussi être sociétale, organisationnelle, managériale. Cette acception large de la notion d'innovation est importante, car elle conditionne la mobilité de demain sur nos territoires. La crise pandémique et économique actuelle nous démontre qu'on peut encore creuser l'innovation sur les territoires, avec trois aspects. L'innovation peut être très frugale. Elle peut être de rupture ou de résilience. Dans l'écosystème des acteurs de la mobilité, l'innovation au quotidien est souvent évoquée, mais les innovations sont de niche, ou encore s'appuient sur un constat effectué dans le rétroviseur. En période de pandémie, les innovations en matière de mobilité trébuchent et ont parfois du mal à se relever. Au contraire, sur nos territoires, les innovations de rupture et de résilience parviennent à résister. Tout est question de « mode de faire ». La richesse des initiatives et des expérimentations sur nombre d'enjeux de la mobilité du quotidien est grande au sein de nos campagnes. J'en citerai quelques-unes assez emblématiques.

Dans le domaine de la santé, la mobilité pour accéder aux services de santé est organisée dans les territoires d'extrêmement faible densité (par exemple au sein de certains parcs naturels régionaux), grâce aux réserves citoyennes. D'autres exemples émergent sur la question de l'organisation de la logistique et sur le dernier kilomètre.

M. Olivier Jacquin . - Ces services de réserve citoyenne sont-ils présents sur les territoires où l'organisation des services de premiers secours est problématique ?

M. David Caubel . - Oui, mais aussi pour l'accès aux généralistes. Les premiers secours sont souvent déjà mobilisés pour d'autres activités.

Sur la logistique du dernier kilomètre, la crise que nous venons de vivre invite à nous demander si, plutôt que de devoir se rendre au drive pour faire les courses dans les communes péri-urbaines, la municipalité ne pourrait pas organiser le drive pour ses habitants. Je pense notamment à une expérience menée aux environs de Montpellier. Les habitants du village viennent ensuite récupérer les marchandises. Il s'agit là d'expérimentations sur le lien social et sur l'organisation des mobilités, apportant des réponses concrètes dans notre quotidien.

Le champ très large de la mobilité solidaire et de l'accompagnement des publics fragiles est également présent sur nos territoires ruraux et de campagne. De nombreuses solutions existent. Je salue à cet égard les travaux réalisés par nos collègues du laboratoire de la mobilité inclusive.

On pourrait multiplier en grand nombre les exemples, qui montrent que derrière la relative robustesse des parts modales de la voiture dans ces territoires, une grande richesse d'initiatives innovantes dans nos campagnes existe et doit être reconnue. Grâce à la LOM, qui dote tous les territoires de la compétence mobilité et instaure le droit à la mobilité pour tous, sur tous les territoires, il est important de consolider cette richesse dans les expérimentations et les projets novateurs.

Cette consolidation peut passer par différents exercices : exercice de la compétence, de l'organisation du territoire, des logiques d'expérimentation par l'usage... Je fais aussi le lien avec ce que nous apprennent des périodes très difficiles, où tout devient possible du jour au lendemain. L'urbanisme tactique mis en oeuvre dans les espaces urbains denses n'est pas réservé exclusivement à ce type de périmètre. On peut imaginer l'expérimentation par l'usage, l'urbanisme tactique de manière assez large sur l'ensemble de nos services de mobilité, c'est-à-dire le vélo, les voies réservées ou d'autres mobilités partagées sur nos territoires ruraux.

La logique de l'expérimentation par l'usage aboutit à travailler sur d'autres logiques d'organisation, qui amènent une construction des réponses concrètes à apporter, plutôt qu'une offre descendante apparaissant décalée sur les territoires.

Se pose ensuite la question des moyens. La force de l'ingénierie territoriale est non négligeable. L'ingénierie est essentielle pour accompagner les territoires dans la mise en oeuvre de solutions de mobilité. La LOM est une « boîte à outils », comme France Mobilités dont la vocation est d'accompagner nos territoires, en lien avec des démarches transversales, interministérielles. En définitive, la palette d'outils dont nous disposons a pour objectif d'accompagner le déploiement des mobilités nouvelles.

Un point de vigilance devra être porté sur deux grandes difficultés : celle de l'organisation et celle du financement de la mobilité. Même si une cartographie des dispositifs de financement est disponible, un accompagnement doit être apporté. En outre, nous devons prendre en compte les projections individuelles dans les mobilités au regard des crises que nous traversons. Autrement dit, nous sommes déjà revenus aux valeurs nominales sur l'usage de la voiture individuelle, en chaque endroit où sont présentes les difficultés d'utiliser les transports collectifs. Les usages individuels reviennent à des niveaux de l'avant-crise, et pour certains les dépassent. Malgré des mobilités innovantes, la voiture reste un élément majeur de la construction du territoire, qui risque d'être renforcé. C'est pourquoi à mon sens, les solutions innovantes et résilientes devront s'inscrire dans un assemblage intégrateur, sans perdre le point de vue prospectif sur la question de l'organisation des acteurs et des territoires. Enfin, la force que représente le lien social entre l'ensemble des partenaires - y compris ceux non directement impliqués par la solution de mobilité - devra être prise en compte.

M. Olivier Jacquin . - Merci beaucoup pour ces exemples savamment choisis, qui corroborent notre intuition sur le lien social, notamment.

Je passe la parole à Isabelle Mesnard, directrice de projet au sein de l'excellent Cerema, dont je défends le budget tous les ans.

Mme Isabelle Mesnard, France Mobilités, Cerema. - Je suis en effet directrice de projet au Cerema et à ce titre, j'anime la démarche France Mobilités.

Je complèterai les propos de David Caudel, que je partage entièrement, et y ajouterai une idée supplémentaire. Nous avons assisté à une première vague de territoires précurseurs qui se sont lancés pour élaborer des stratégies, au-delà des projets expérimentaux, et construire des plans de mobilité. À notre sens, il y a un véritable enjeu à les soutenir à l'échelle nationale, avec notamment la prise de compétence mobilités, mais également à l'échelle locale en permettant aux territoires précurseurs de diffuser leurs idées et leurs démarches.

Je m'appuierai sur un retour d'expérience car nous tenons une banque de plans de mobilité au sens large. En analysant ces plans, on constate la diversité des territoires qui se sont lancés dans l'élaboration de stratégies. Parmi les collectivités porteuses, se trouvent des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) mais également des échelles supérieures telles que les schémas de cohérence territoriale (SCoT). Les échelles de coopération sont variables, parfois plus larges que le simple EPCI. Ces territoires ont eux-mêmes des structures très différentes (de 5 à 120 communes, de 20 000 à 100 000 habitants, de faible à très faible densité...). Cela n'empêche pas ces territoires de construire des stratégies.

Les éléments déclencheurs qui les amènent à agir sont intéressants à analyser. Il peut s'agir de démarches de planification qui concernent d'autres sujets que les mobilités, d'appels à projets, qui constituent un véritable levier des politiques publiques, mais également d'initiatives d'autres collectivités territoriales, qui les conduisent à s'emparer de cet enjeu pour leur propre territoire.

Une seule finalité anime ces acteurs : réduire la dépendance à la voiture de leur territoire, avant tout pour des raisons sociales. Les collectivités constatent en effet que sans voiture, il est plus difficile pour les jeunes et les personnes âgées de se déplacer. Les obstacles à la mobilité entraînent une rupture du lien social et des difficultés d'accès aux commerces et aux services. Par conséquent, un moyen de lutte contre la désertification consiste à travailler sur les mobilités. Les raisons environnementales tenant à la lutte contre les nuisances jouent également un rôle. Il s'agit enfin d'articuler la lutte contre l'étalement urbain avec le travail sur les mobilités.

À l'avenir, les territoires pourraient nuancer leur objectif de réduction de la part de la voiture avec le véhicule électrique, qui constitue l'un des axes du plan de relance. En effet, l'objectif pourrait être de permettre à des personnes en situation de précarité énergétique d'avoir accès à des véhicules électriques.

Dans la façon de décliner cette stratégie commune, on constate que certains territoires ont pris un peu d'avance. Le plus simple est de travailler par part modale, en développant les autres moyens de mobilité que la voiture. D'autres territoires commencent à poser les sujets de façon plus stratégique et transversale, en cherchant à renforcer l'attractivité du territoire, notamment pour les personnes en recherche d'emploi.

Quand on regarde ces stratégies en premier rang, il s'agit pour les territoires peu denses de trouver des alternatives à la voiture en développant des transports collectifs. Cette solution est complexe financièrement, mais les transports collectifs sont très structurants. Il faut avoir du poids pour obtenir des résultats sur l'organisation des TER. Il y a un lien direct avec l'intermodalité. Les travaux portent aussi sur les changements de comportements et les modes actifs. L'arrivée du vélo électrique vient changer la donne sur le déploiement du vélo. Il serait nécessaire aussi de développer davantage la marche, y compris en changeant l'aménagement. Le management de la mobilité figure au premier rang des préoccupations des territoires ruraux. Pour ce faire, le bouche à oreille et les actions de proximité constituent un véritable atout propre aux territoires ruraux.

En revanche, les initiatives sur le covoiturage sont moins nombreuses, certainement parce que les réponses au covoiturage se pensent aujourd'hui à une plus grande échelle que celle des territoires ruraux. De même, une certaine frilosité sur l'auto-partage est constatée. Enfin sur les mobilités solidaires, il paraît surprenant que peu d'initiatives se soient développées puisqu'un réseau de transport d'utilité sociale est peu coûteux et facile à mettre en oeuvre.

Les deux absents des stratégies de mobilités sont le tourisme et les marchandises, ce qui pose question. Peut-être les territoires ruraux ont-ils besoin d'être davantage outillés en la matière.

En conclusion, une forte dynamique des acteurs locaux est constatée. Il convient néanmoins de faire preuve de prudence, en faisant en sorte de maintenir cette dynamique. L'innovation repose sur la concertation, sur l'appropriation d'outils urbains. Nous sommes très surpris de l'enrichissement de ces stratégies grâce à l'arrivée d'acteurs, et de la communication entre ces acteurs. Pour l'heure, les démarchent de mobilité s'inscrivent dans un moyen terme. Nous devons donc les aider à réfléchir à plus long terme, et à élaborer des stratégies plus matures.

M. Olivier Jacquin . - Ce portrait des pratiques actuelles démontre qu'il existe un manque d'approches globales. C'est très éclairant.

Je passe la parole à Simone Saillant, directrice du programme « ruralités » à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ex-Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET).

Mme Simone Saillant, directrice du programme « ruralités », ANCT . - En réalité, ce n'est pas l'ex-CGET, car l'Agence entame un changement de posture important. L'Agence nationale de la cohésion des territoires a été voulue par Jacqueline Gouraud pour illustrer l'État facilitateur, en accompagnement des projets des collectivités.

Il existe trois types d'appui de l'ANCT. Soit le projet de la collectivité s'inscrit dans un programme porté par l'Agence : c'est en quelque sorte un programme « prêt-à-porter » ; soit le projet de la collectivité s'inscrit partiellement dans un programme porté par l'Agence : dans ce cas, nous nous adaptons ; soit le projet est complexe et nécessite un accompagnement spécifique.

Jusqu'à présent, nous n'avons pas été sollicités pour des demandes d'appui sur des projets de mobilité. Je pense que cela s'explique par la jeunesse de l'agence, mise en place le 1 er janvier 2020, et l'arrivée de la crise de la Covid, qui a limité la communication sur le sujet. Néanmoins, je pense que la période actuelle suscitera des projets de mobilité.

Contrairement à vous tous, je ne suis pas spécialisée sur les mobilités. J'interviendrai donc d'un point de vue plus général. Je suis en charge, au sein de l'ANCT, du suivi de l'agenda rural, dans lequel le volet mobilités est très important. Cet agenda comporte 181 mesures impliquant tous les ministères (Santé, Transport, Numérique, Jeunesse, Education, Culture...). Les mesures sont très variées : elles portent par exemple sur la reconnaissance de la ruralité. Nous menons notamment un travail avec l'Insee pour identifier les zones rurales autrement qu'en marge des zones urbaines. Nous réalisons également une mission inter-inspections sur les aménités rurales, ainsi qu'un travail sur la géographie prioritaire. Les mesures sont autant d'ordre législatif, que fiscal ou de soutien à des expérimentations exemplaires. Il s'agit également de déploiement massif de mesures expérimentales, telles que les « Cordées de la réussite » pour l'avenir des jeunes.

À ce stade, un tiers des mesures de l'agenda rural ont été réalisées, tandis qu'une centaine est en cours de déploiement. Nous nous dirigeons vers une accélération de la mise en oeuvre, notamment avec la nomination de Joël Giraud au poste de secrétaire d'État à la ruralité. Parmi les deux priorités qui lui ont été fixées par le Premier ministre, figure la mobilité. Nous avons la chance que Jean-Baptiste Djebbari, ministre chargé des transports et Joël Giraud, chargé de la ruralité, agissent de concert à une période charnière.

Les mesures de l'agenda rural relatives à la mobilité, au nombre total de sept, sont notamment les suivantes :

• renforcer les lignes aériennes d'aménagement du territoire : l'État participera au financement de onze lignes aériennes du type Brive-Paris ou Castres-Paris ;

• engager une démarche avec les régions sur les petites lignes ferroviaires à l'issue de la remise du rapport Philizot ;

• augmenter les ressources pour les autorités organisatrices de mobilité (AOM) les moins riches.

Vous connaissez ces mesures sans doute parfaitement, de sorte que je ne les détaillerai pas.

Les collectivités ont jusqu'à fin mars pour prendre la compétence mobilités, et l'exercer ensuite à partir de juillet. Nous nous trouvons donc vraiment dans une période charnière. Nous faisons passer le message au secrétaire d'État d'appuyer et de favoriser la prise de compétence de manière généralisée, afin d'avoir des AOM sur tous les territoires et de trouver des solutions adaptées.

Je ne doute pas que l'ingénierie de l'Agence sera sollicitée sur l'ensemble de ces aspects.

M. Olivier Jacquin . - J'ai le sentiment, après vos trois interventions, qu'il existe une réelle volonté d'expérimenter. Pour reprendre les termes de David Caudel, la question de la consolidation - ou de la généralisation - se pose vraiment.

Nous allons voir, avec les trois expériences à venir, des solutions concrètes. Nous reprendrons cette question du passage de l'expérimentation à la généralisation dans la deuxième table ronde. La question des moyens est sous-jacente à tous vos propos.

Nous allons changer d'approche pour évoquer trois expériences concrètes. Nous commençons par un territoire magnifique doté d'un vin exceptionnel. Il s'agit de Pic Saint-Loup, qui illustre une approche globale sur un territoire péri-urbain.

Mme Nathalie Mas-Raval, directrice générale des services de la communauté de communes du Pic Saint-Loup . - Je vais vous présenter en plusieurs temps l'expérience de la communauté de communes du Grand Pic Saint-Loup. Tout d'abord, j'évoquerai les initiatives, puis le retour d'expérience et enfin les perspectives.

Le territoire du Grand Pic Saint-Loup compte 50 000 habitants et 36 communes situées au nord de la métropole de Montpellier. Sur ces 36 communes, 15 sont considérées comme très peu denses, avec moins de 300 habitants. Les deux-tiers des actifs travaillent en-dehors du territoire, avec de très forts mouvements pendulaires avec la métropole de Montpellier et un cadencement insuffisant des transports en commun. L'enjeu est évidemment d'améliorer les circulations pendulaires, et également de fournir des solutions de mobilité pour tous les usagers, actifs ou captifs. Pour ce faire, nous avons travaillé sur plusieurs outils et solutions de mobilité : les mobilités actives (vélo, marche à pied), les nouvelles mobilités, le transport à la demande. Cette solution nous est apparue la plus pertinente en tirant le transport avec lignes régulières situé sur la métropole, jusqu'à notre territoire. Le volet important a consisté en une coordination entre les AOM, c'est-à-dire la métropole, la région et les entités gestionnaires de voirie que sont le département et les communes.

Notre approche qualifiée par certains d'innovante - mais qui me paraît en réalité de bon sens - a été partenariale. Il s'agit aussi d'une approche d'usage, consistant à prendre la place de l'usager pour ne pas rater notre cible.

En premier lieu, nous avons conclu un contrat de réciprocité avec la métropole. Nous avons ensuite recherché des financements en participant à des appels à projets, seuls et parfois avec le département de l'Hérault. Par exemple, nous avons répondu à l'appel à projets Vélos et Territoires de l'Ademe.

Notre projet « Pôles Nouveaux usages » est conçu comme un pôle d'échange multimodal destiné aux territoires peu dense. Il propose des solutions qui peuvent ne pas apparaître très innovantes, mais qui sont pertinentes pour notre territoire (auto-partage, covoiturage, auto-stop organisé...). Ces solutions s'appuient sur des outils numériques (plateformes de covoiturage, information voyageurs en temps réel) et sur les vélos électriques, très utiles dans notre territoire fortement vallonné.

La cartographie met en évidence un rabattement sur les bourgs-centres. Notre objectif est de les dynamiser. Il ne faut pas oublier que la mobilité représente un pan important de l'aménagement du territoire. On peut utiliser la rupture de charge lors des déplacements de manière à apporter un bénéfice au dynamisme commercial des centres villes. Nous avons travaillé à répondre à cette question en incitant au rabattement vers les bourgs-centres, leurs services et leurs commerces. Telle est la vision macro.

Ensuite, la vision micro s'inscrit dans un travail partenarial avec les communes sur les circulations douces. À travers une signalétique, il s'agit de rabattre les usagers qui doivent subir une rupture de charge vers le coeur de ville.

La logique s'inscrit dans la cohérence. La région nous a été d'une grande aide car elle portait également une politique de revitalisation des bourgs-centres, en y mettant les financements associés sous l'angle spécifique de l'innovation.

Nous avons en outre privilégié la logique d'usage et une approche de terrain. Nous avons beaucoup d'usagers différents. Nous avons constaté que des bus en provenance de la métropole traversaient notre territoire, mais sans s'y arrêter. Par conséquent nous avons travaillé avec la métropole, et sommes au bout d'un temps assez long parvenus à un résultat malgré le nombre important d'acteurs présents autour de la table.

Au début, nous avions 3 500 voyageurs par an. Puis le nombre de trajets a doublé grâce au rabattement sur une gare TER, après renégociation de la délégation de service public (DSP) conjointement avec la métropole. Nous avons donc apporté un bénéfice aux populations, pour un coût négligeable, en s'appuyant sur le réseau existant.

Par ailleurs, nous avons travaillé le sujet de l'auto-stop, destiné avant tout aux populations captives. L'accueil a été mitigé dans la mesure où il existe des craintes d'agressions. Alors que nous pensions toucher avant tout les jeunes, la cible s'est finalement avérée être celle des 35-60 ans.

Nous avons travaillé de manière pragmatique à utiliser les solutions déployées dans la métropole, notamment l'auto-partage en utilisant les véhicules communaux, mais également sur le transport à la demande (TAD) avec des véhicules publicitaires, dans la même logique de moindre dépense.

Nous avons enfin encouragé le vélo à assistance électrique, destiné aux actifs et aux locations de moyenne durée, sur des trajets domicile-travail. Le département de l'Hérault nous épaule sur ce projet. Le test a démontré un fort report modal, dans la mesure où 10 % des testeurs procèdent à l'acquisition d'un vélo à assistance électrique après le test. Pour la sécurité des utilisateurs, il convient toutefois de gérer les pistes cyclables, ce qui engage à nouveau le volet partenarial. L'enjeu en la matière est aussi économique et touristique.

Pour conclure, la mobilité sur un territoire peu dense repose sur un foisonnement de solutions. La coopération avec les acteurs et la richesse du lien social constituent des atouts certains. Les freins éventuels organisationnels et institutionnels tiennent à la longueur des délibérations dans l'intercommunalité (36 communes) pour passer des achats. Il existe un levier important pour changer les comportements de chacun à travers la communication.

Parfois, nous rencontrons des difficultés de coordination des subventions. Par exemple, à l'occasion d'un projet de développement d'une plateforme de covoiturage avec une intercommunalité voisine, nous avons pu constater certaines aberrations de notre système de financement car les subventions arrivaient à des moments différents. Des améliorations en termes de calendrier pourraient utilement intervenir pour apporter de la cohérence dans nos actions.

Je peux témoigner aussi sur les sujets de pérennité des appels à projets, qui sont certes incitatifs mais se heurtent à un grand turn-over des personnes qui travaillent sur ces appels à projets. Je n'ai en revanche pas rencontré de difficultés en ingénierie, notamment car j'ai bénéficié de l'aide du département.

À l'ère du « tout, tout de suite », il faut être conscient que les changements de comportements prennent du temps. Néanmoins, des perspectives encourageantes peuvent être relevées malgré les freins. J'encourage chacun à se rendre sur la plateforme numérique France Mobilités pour effectuer un parangonnage, ce qui peut constituer un gain de temps.

En matière de dé-mobilité, les EPCI jouent un rôle de levier important car ils animent le développement économique. Le volet de planification spatiale et financière, le volet démocratique (groupes d'usagers) sont également utiles.

Je finirai ma présentation par un sondage édité à l'occasion du séminaire de rentrée des conseillers communautaires. Il en ressort que l'investissement sur la mobilité représente pour nos conseillers, après celui sur le développement économique et sur la gestion des déchets ménagers, le troisième investissement prioritaire sur quatorze compétences. On constate par conséquent l'importance que revêt la mobilité, qui constitue un pan de l'aménagement du territoire.

Un projet d'aménagement du territoire ne sera réussi que s'il est concerté, innovant et durable. Quand on parle de durable on pense à l'environnement, mais je parlerai aussi de pérennité. Avant tout, il faut se mettre à la place des usagers et de leurs besoins, en faisant appel au bon sens pour apporter des solutions.

M. Olivier Jacquin . - Le fait d'avoir une ingénierie de qualité peut aboutir à de beaux résultats.

Je cède la parole à Odile Begorre-Maire, qui représente un autre territoire magnifique. Ce territoire se trouve dans mon département, et est reconnu au niveau national pour ses démarches innovantes de longue date. Le pays du Lunévillois se situe sur un espace très diversifié mais la moyenne de la distance de déplacement domicile-travail est élevée : 37 kilomètres.

Mme Odile Begorre-Maire, directrice du pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) du Pays du Lunévillois . - Le territoire est considéré comme peu dense, même s'il n'est pas loin de la métropole du Grand Nancy. Il compte 80 000 habitants et 159 communes. Le choix institutionnel du pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) s'est imposé, sachant que les territoires avaient l'habitude de travailler ensemble avant 2005. En 1999, une association travaillait déjà quasiment à la même échelle, à quelques communes près. En 2005 est intervenue la création du Syndicat mixte du Pays du Lunévillois. En 2015, la structure a été transformée en pôle d'équilibre territorial et rural. De ces expériences et habitudes de travail est né naturellement le projet de territoire, sur lequel la question de la mobilité était déjà extrêmement centrale. Le contrat de ruralité pouvait aussi apporter quelques moyens supplémentaires. En 2016, le schéma de coopération intercommunale a conduit les communautés de communes à s'interroger, dans la mesure où l'on passait de huit à quatre EPCI. À l'époque, nous étions déjà autorité organisatrice de transport (AOT) de deuxième rang puisque la communauté de communes de 30 000 habitants était déjà AOT de premier rang. Au 1 er janvier 2018, nos statuts ont été modifiés. Nous avons donc pris la compétence d'AOM. Le 1 er janvier 2019, nous nous sommes lancés dans les expérimentations dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt lancé par France Mobilités. Il était évident pour les élus du territoire que les expérimentations étaient destinées à compléter l'existant sur le territoire.

Étaient déjà présents du transport urbain et du transport à la demande. Nous avions commencé à réintroduire le vélo par le biais du tourisme. C'est ce même prisme du tourisme qui nous permet d'avoir aujourd'hui des solutions aux demandes des usagers.

Souvent, les personnes qui décident des politiques de mobilité sont celles qui les utilisent le moins. C'est pourquoi l'innovation est difficile à mettre en place sur un certain nombre de territoires. Il faut envisager donc l'innovation sous le prisme de l'usager. Il ne faut pas définir des aires de covoiturage ex nihilo , mais examiner où se trouvent déjà les voitures de façon cohérente. Toutes les aires de covoiturage forcées ne durent pas plus d'un an. À l'inverse, les aires de covoiturage aménagées en toute sécurité alors qu'elles avaient déjà un usage, se renforcent dans le temps.

La première solution mise en place a été celle du covoiturage adapté, dans le sens domicile-travail, à destination des entreprises de plus de onze salariés installées sur les territoires, y compris dans les plus petites communes. Ces entreprises paient le versement mobilité. L'objectif était de mettre en relation des personnes susceptibles de se retrouver, au sein d'entreprises différentes mais proches géographiquement.

La carte des trajets proposés à la fin décembre 2019 démontre que les trajets domicile-travail sont beaucoup plus larges que ceux de son propre territoire. Nous sommes passés par une start-up , dont nous avons modifié la vision car elle avait l'habitude de travailler sur les territoires très denses. C'est l'AOM qui a conclu le contrat avec cette entreprise, et qui participe à l'indemnisation du chauffeur lorsque la voiture est disponible. Le lien avec les employeurs les a rendus animateurs de leur mobilité, de sorte qu'ils nous proposent aujourd'hui leurs propres solutions.

L'expérience de l'auto-partage en véhicule électrique a été menée dans les 43 communes de la plus grosse communauté de communes, qui porte l'investissement. 42 véhicules ont été acquis depuis début septembre. Au bout de quinze jours, nous avons constaté qu'ils étaient naturellement utilisés dans les plus grandes agglomérations (Lunéville et Baccarat), mais également dans les petits villages. Même si la mise en oeuvre a été décalée en raison de la période pandémique, les habitants ont exprimé rapidement une appétence pour le dispositif. Il s'agit par conséquent d'un réel succès.

Un dernier point important concerne l'animation, à la condition de définir sur quoi elle porte. On ne change pas les pratiques sans communiquer sur les possibilités présentes sur le territoire. Nous avons besoin d'ingénierie certes, mais également de soutien dans nos démarches d'ingénierie.

Je conclurai sur l'expérimentation menée concernant la mise à disposition de 400 vélos à Lunéville dans le cadre du transport scolaire, pour les collégiens et lycéens de la troisième à la terminale. La formation a commencé dès le CM2. Malheureusement, le frein le plus important est venu des parents. Nous allons néanmoins poursuivre cette expérience.

M. Olivier Jacquin . - Sur le vélo, Olivier Schneider de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) m'indique qu'il s'agit de l'une des propositions de la convention citoyenne. Elle vient d'être émise également par Xavier Desjardins, et nous avons entendu l'expérience menée à Lunéville. Le sujet va donc faire son chemin.

Deux territoires à titre d'illustration, ce n'est évidemment pas suffisant. Nous avons néanmoins fait le choix de ces territoires, qui ne sont pas des très peu denses. Nous aurions pu choisir d'autres territoires, mais vous aurez compris que nous nous sommes livrés à une illustration arbitraire du champ des possibles.

Je passe maintenant la parole à Thomas Matagne, qui intervient pour l'entreprise Ecov.

Thomas Matagne, président-fondateur d'Ecov . - Ecov est une entreprise au statut de société par actions simplifiée (SAS) inscrite dans le champ de l'économie sociale et solidaire (ESS). Notre mission est de réussir à transformer la voiture en solution de transport collectif.

Nous sommes une équipe de cinquante personnes aux profils très diversifiés. Nous avons déployé des lignes de covoiturage sur une quinzaine de territoires, principalement en Rhône-Alpes. Nous considérons que la transition ne se fera pas sans la voiture, qui représente le mode de transport le plus largement répandu sur les territoires. Le système routier s'est construit depuis un siècle, et les territoires peu denses ne sont pas en mesure de s'en passer. Nous avons besoin de la voiture car nous avons construit un mode d'organisation collectif autour de cet objet si efficace qu'il est surconsommé, avec un taux d'occupation faible. Les sièges libres sur les territoires sont extrêmement nombreux, car l'occupation des véhicules n'est que de 1,3 personne par voiture. Si l'on monétisait les sièges inoccupés, à l'échelle nationale, on atteindrait un équivalent en dépenses publiques de 40 à 45 milliards d'euros. Il s'agit donc d'une richesse latente, qui ne signifie cependant pas que 45 milliards d'euros de marché existent en valeur effective. La richesse que ces sièges vides représentent est néanmoins certaine.

Nous proposons du covoiturage pour les trajets du quotidien dans les territoires péri-urbains et ruraux, définis comme tous les territoires situés en-dehors des centres villes, où les transports collectifs sont très présents. Dans ces territoires peu denses, seront structurés dans l'espace et dans les temps des services à haute fréquence en s'appuyant sur les flux de véhicules. Pour comprendre les points de vue des utilisateurs, je proposerai l'exemple du projet Lane, mis en oeuvre autour de Bourgoin-Jallieu, au travers d'une vidéo.

Une vidéo est diffusée.

Le point clef de notre service est la simplicité et l'instantanéité, tant pour l'usager que pour le conducteur. Nous reprenons les recettes du transport collectif pour les appliquer sur le réseau routier. Nous obtenons ainsi des changements de comportements très importants. Plus de 80 % de nos passagers sont d'anciens auto-solistes. Ces personnes abandonnent leur voiture car elles bénéficient en contrepartie d'un service de qualité et fiable. Ces mêmes personnes n'utilisaient précédemment aucun service de covoiturage alors que les plateformes sont présentes depuis longtemps sur ces territoires. 75% de nos utilisateurs ont été convaincus par nos services car ils les ont testés. L'innovation n'est donc pas que virtuelle. L'innovation est question d'aménagement, d'adaptation, de qualité de service. Pour la mener à bien, une bonne gouvernance est nécessaire.

Les nouvelles lignes de covoiturage à haut niveau de service (CoHNS) viennent d'être inaugurées à Grenoble. Sur ces lignes, un pas est franchi puisqu'elles sont introduites dans le Pass Mobilités de l'agglomération. Il s'agit donc d'une liaison complète entre l'usage et la tarification. De plus, ces lignes sont les premières à s'articuler avec une voie réservée. Le bénéfice est double. La voie réservée crée une incitation au covoiturage - donc une contrainte pour les autres automobilistes - et la politique publique garantit de pouvoir trouver des covoitureurs d'une façon très aisée. Finalement, l'incitation crée un cercle vertueux.

En matière de mobilité, c'est l'offre qui crée la demande. Par conséquent, il convient que l'offre atteigne un haut niveau de qualité de service pour que les gens consentent à abandonner leur voiture individuelle. Pour cela, il faut comprendre les territoires et les flux de véhicules, ce qui est très complexe et relève de la recherche et développement (R&D). Il est possible de développer des lignes de covoiturage dans des territoires très ruraux, même si ces lignes ne seront pas situées partout, en toutes circonstances. Des complémentarités seront nécessaires avec d'autres modes : transports solidaires, transports à la demande.

Lorsqu'on analyse les modes de mobilité selon deux critères, le coût d'intervention des collectivités publiques d'une part et les objectifs de politiques publiques retenus d'autre part, on se rend compte que les différents modes ont des domaines de pertinences différents mais peuvent se compléter. Il convient aussi de bien identifier les différents publics, qui n'ont pas tous les mêmes besoins. Les différents modes se complètent et s'articulent.

Ecov est de plus en plus un opérateur des mobilités en zones peu denses. Ainsi nous avons mis en place un service de trottinettes, afin de répondre aux nécessités de mobilité du dernier kilomètre dans une zone d'activité. Nous nous sommes intéressés aux usages, aux problématiques de nos usagers, et y avons répondu par la fourniture de trottinettes et de vélos. Sans ces solutions, la grille de covoiturage n'aurait pas été complète. Notre objectif n'est pas non plus de se situer en concurrence avec les transports collectifs, mais de s'inscrire dans une complémentarité, chacun dans son domaine de pertinence. Les transports collectifs offrent une grande capacité et une garantie, alors que le covoiturage accélère la fréquence de transports et permet potentiellement la conversion d'auto-solistes. Le transport solidaire s'adresse pour sa part à des publics captifs, souvent plus âgés. Dans les territoires où ces publics se trouvent, il est possible d'engager des conducteurs. Tout comme les lignes de covoiturage, le transport solidaire devient un service public partagé. L'environnement de mobilité devient alors un écosystème aussi performant que celui présent dans les zones denses, en tenant compte de données économiques différentes.

M. Olivier Jacquin . - Merci pour la qualité de présentation de ce concept et pour le concept lui-même. Nous avons le sentiment, avec ces expérimentations réussies, qu'une autre utilisation de la voiture est possible. J'ai retenu l'exemple d'Ecov car cette société s'inscrit totalement dans l'organisation collective des bassins de mobilité par les AOM. À l'inverse, des sociétés du même type mènent un lobbying assez appuyé pour faire en sorte que le covoiturage de courte distance s'effectue hors des AOM.

Sylvie Landriève va à présent nous livrer une synthèse intermédiaire qui apportera une ouverture sur le sujet suivant.

Mme Sylvie Landriève, directrice du Forum Vies Mobiles . - Votre invitation m'invite à « dramatiser » cette séquence, je vais tenter d'y répondre. À vous entendre, il est clair que les espaces peu denses sont des territoires d'innovation dans lesquels la vie est possible et des solutions existent. Néanmoins, ne sommes-nous pas à un moment de basculement ? Non seulement la transition écologique et sociale y est possible, mais il s'agit peut-être des territoires du futur. Tel sera le sens de ma synthèse.

J'ai un problème avec la dénomination « espace peu dense », qui signifie « pas assez dense », et laisserait supposer l'inefficacité des territoires dont il s'agit. Cette critique porte sur la faiblesse des transports collectifs et aussi, sur la faiblesse des liens sociaux. Or cette critique est en train de se lézarder, comme nous l'avons vu pendant le confinement. De 3 à 5 % d'urbains ont quitté les villes pendant cette période difficile pour s'installer dans les espaces peu denses, dans des maisons où ils avaient le sentiment de vivre mieux. Les émissions de télévision et de radio ont été nombreuses pour interroger ces personnes. En réalité, la dynamique est engagée depuis au moins une décennie car les espaces peu denses ont une démographie positive, à l'inverse des autres espaces.

Entre un tiers et la moitié des personnes interrogées indiquent souhaiter quitter les centres urbains pour habiter dans les espaces peu denses. Va-t-on assister à un exode urbain ? S'il a lieu, peut-il être durable sur le plan écologique ? Faut-il le freiner ou l'accompagner par des politiques publiques ? Pour répondre aux désirs des citoyens, il faudra mener une première bataille : celle des mots. Il faut cesser de parler « d'espaces peu denses » pour démontrer au contraire qu'ils sont attractifs, qu'ils ont un futur écologique, qu'ils sont en effet de basse densité mais que cela fait partie de leur attractivité. Ils sont pluriels et vecteurs de promesses.

On pourrait les dénommer les « grands espaces », car il ne s'agit pas d'une catégorie uniforme. Ces espaces comptent 30 millions d'habitants, ce qui laisse penser que la puissance publique a un rôle important à y jouer. Les grands espaces sont différents par les paysages, les pentes et les formes de collectivités locales. Ils sont différents par les usages (résidentiels, touristiques...), de même que par les dynamiques démographiques et économiques. Tous ces grands espaces péri-urbains en fort essor démographique et économique (tels que la Vendée) sont différents de ceux qui se trouvent en déprise industrielle (les Vosges). Il existe par conséquent de multiples futurs à imaginer.

Les habitants dépendent de la voiture mais la distance parcourue en moyenne n'est pas supérieure à celle des autres espaces. Par conséquent, le sujet de la durabilité n'est pas différent dans les grands espaces, même si le principal problème à résoudre reste celui de la dépendance à la voiture. Parmi les nombreuses solutions évoquées aujourd'hui, beaucoup tournent autour du développement des modes actifs et de la socialisation des usages de la voiture. Cela peut-il suffire ? On sent bien que ces politiques sont obsédées par le report modal de la voiture vers autre chose. Or quand report modal se fait dans les grands centres urbains, les émissions carbone liées aux transports continuent d'augmenter. Par conséquent, le report modal ne permet pas de diminuer les émissions. Il faut donc trouver d'autres pistes.

J'entends dans vos expérimentations locales qu'elles foisonnent, mais aussi qu'elles nécessitent énormément d'efforts et d'implication des acteurs locaux. L'aide au déploiement passe vraisemblablement par l'intégration des services, afin que les usagers s'y retrouvent plus facilement. Cette proposition émane de Vincent Kaufmann, sociologue de la mobilité à l'École Polytechnique de Lausanne, et également notre directeur scientifique au Forum Vies Mobiles.

La deuxième piste serait de réallouer les infrastructures à d'autres modes que la voiture. Pour la marche et le vélo, il ne s'agit pas seulement d'une question de changement de comportement. Si les Hollandais pratiquent davantage le vélo que les Français, c'est parce qu'un plan national a été mis en place par l'État en développant des infrastructures sécurisées. On ne peut donc pas demander aux parents d'autoriser leurs enfants à faire du vélo si les infrastructures sont peu sûres.

Évidemment, le véhicule individuel ne disparaîtra pas. Les petites voitures représentent le meilleur moyen de diminuer les émissions de carbone. Plus que d'attendre le passage à l'électrique ou à l'hydrogène, il faut donc passer à la voiture légère, par exemple en interdisant la publicité pour les véhicules polluants. Une proposition de la Convention Climat allait dans ce sens.

Le confinement a mis en évidence l'appétence pour le télétravail. Avant le confinement, 7 % de la population active télétravaillait une journée par semaine. Pendant le confinement, de 30 à 40 % de la population active a télétravaillé cinq jours sur cinq. Sans prétendre qu'il s'agit de la solution à tout et que tout le monde est ravi de télétravailler, il apparaît néanmoins qu'une personne sur deux a exprimé l'envie de continuer. Par conséquent, le télétravail est un outil pour décarboner les déplacements. Il s'agit aussi d'un enjeu d'aménagement du territoire, à la condition de traiter la question des zones blanches numériques.

Pour chaque territoire, trois atouts sont nécessaires : être attractif, durable et efficient. Les espaces peu denses sont déjà attractifs. À certaines conditions, ils peuvent être durables. Ils ne le sont en tout état de cause pas moins que les autres territoires. Il faut désormais qu'ils deviennent efficients, c'est-à-dire avec une autonomie relative sur le plan énergétique, alimentaire et sanitaire. Les départements, à l'origine, ont été conçus avec cette idée que tout habitant pourrait toucher l'État en une demi-journée. Le département du futur est peut-être ce territoire de proximité dans lequel les gens ont envie de vivre. Dans nos enquêtes, nous avons constaté que 30 % de la population arrivait à déployer son mode de vie à moins de dix kilomètres, ce qui est très positif. A contrario , 70 % de la population ne se trouve pas dans cette configuration. En tout état de cause, « vivre en proximité » signifie vivre à moins de trente kilomètres. Par conséquent, la mobilité des grands espaces implique d'identifier ces espaces résilients.

M. Olivier Jacquin . - Merci pour cette approche tonique et disruptive, qui pose beaucoup de questions. J'apprécie cette notion de « grands espaces », qui constitue une approche sémantique très intéressante. Je remercie tous les intervenants de cette première partie pour la qualité de leurs propos.

La séance est suspendue de 16 heures à 16 heures 15.

Seconde table ronde - Mobilités choisies ou mobilités subies dans les
espaces peu denses : quelles perspectives de long terme ?

M. Olivier Jacquin . - Cette seconde table ronde sera plus interactive. Elle posera les perspectives de long terme entre mobilité choisie et subie. Notre intuition, après de nombreuses auditions, se déploie en trois points.

Le premier point tient au fait que toutes les solutions doivent entrer dans un double cadre : celui de la décarbonation des déplacements et du concept de dé-mobilité. Il faut approcher autrement les mobilités par l'urbanisme et par une proximité revisitée par le numérique. Tel est le chapeau général.

Le deuxième point tient à l'existence de deux types d'espaces. Les « pas très grands espaces » (espaces peu denses) et les « très grands espaces » (espaces très peu denses). Pour les premiers, la population est encore suffisante et les flux existent, même s'ils sont a minima . Un faisceau de solutions est possible, se répartissant entre les infrastructures encore existantes et le défi de « socialiser la bagnole » en mettant en place un autre usage de la voiture. Ce point fera l'objet de discussions et de controverses.

Le troisième point a trait aux mobilités actives. Dans les espaces très peu denses, où les flux sont quasi inexistants, la voiture est l'unique moyen de transport. Des solutions de transport à la demande, de taxi peuvent également être imaginées. Demain ou après-demain, des véhicules autonomes pourraient apporter des réponses dans ces espaces peu denses.

Tout d'abord, il nous fallait un connaisseur des territoires. Nous avons donc choisi un urbaniste en la personne de Jérôme Baratier, en prenant soin de ne pas faire appel à un élu.

Le deuxième intervenant sera une sachante, Marie Huyghe, qui a fait une thèse sur la mobilité dans les espaces peu denses.

Le troisième intervenant sera un industriel, Thierry Mallet, auquel je demanderai d'être très prospectif.

Le dernier participant sera un sociologue Éric Le Breton, de l'université de Rennes.

M. Jérôme Baratier directeur de l'agence d'urbanisme de l'agglomération de Tours . - Je vais tenter de prendre au rebond les interpellations de Sylvie Landriève sur la densité. Pour vous dire d'où je parle, je vais présenter le point de vue de l'enseignant en urbanisme face à la nouvelle crise de la densité.

La densité est une valeur cardinale de l'urbanisme et de l'aménagement des territoires depuis plusieurs décennies. La loi Solidarité Renouvellement Urbain (SRU) date d'il y a vingt ans. Tout a été mis en oeuvre pour enrayer l'étalement urbain - ce qui n'a pas été bien réussi - et prôner le recyclage urbain, c'est-à-dire « la densification de la ville sur la ville ». Nos politiques de mobilité structurantes sont basées sur la densité, qui est centrale tout en n'ayant jamais eu bonne presse. La densité a toujours été contestée par les habitants eux-mêmes. Certains pourraient voir dans le résultat des dernières élections municipales dans les grandes villes une critique ou contre-discours sur la densification urbaine. Nous en étions là. Nous n'étions pas très à l'aise avec ce dogme que nous récitions depuis vingt ans sur la densité.

La crise de la Covid est apparue comme une « crise et châtiment » pour la densité. Non seulement la densité était mal aimée, mais elle est désormais accusée d'être le principal vecteur de transmission du virus. Or ce n'est pas tant la densité que la collectivité qui est en cause. Surtout, le sujet a donné lieu à toutes les mauvaises fois possibles. Nous sommes dans le procès d'intention sur la densité, qui est à tous les coups coupables. Nous sommes également dans « la revanche des villages ». J'évoquerais plutôt la revanche des campagnes, car la figure du village était déjà réhabilitée. Ainsi, Oberkampf est un village urbain en plein Paris. L'intensité du lien social de proximité y est extrêmement forte.

La revanche des campagnes ne devrait pas entraîner un discours anti-urbain. Nous sommes dans un moment d'ébranlement, alors que la doxa jusqu'ici en vigueur n'était pas toujours pertinente.

Une crise transforme les choses à trois conditions. La crise de 1929 a donné lieu à l'État providence, car ces trois conditions étaient réunies. Tel n'était en revanche pas le cas de la crise de 2008, qui n'a abouti à aucun changement. La première condition est le fait, pour la crise, d'avoir été précédée de troubles sociaux et de tensions croissantes. En deuxième lieu, il faut un apport massif de ressources pour surmonter la crise. La troisième condition est de rendre visibles des tensions sociales sous-jacentes.

Aujourd'hui, les trois conditions sont réunies pour que la crise de la Covid change les choses.

En termes de mobilité, cette crise nous invite à envisager la densité différemment. Plutôt que le nombre de personnes rapporté à la surface, il faut s'attacher à la densité d'usage et à la densité de lien social. La crise et le confinement nous ont démontré une capacité étonnante à déployer du capital social, en tous points du territoire. Peu de gens auraient parié sur ces solidarités horizontales qui se sont mises en place, à la marge ou en articulation avec les collectivités locales.

Si l'on considère que nos espaces peu denses ont ce capital social rapidement mobilisable, nous pouvons imaginer qu'il soit possible de fabriquer une sorte de coopérative pour la mobilité.

Cette coopérative de mobilités, d'un point de vue prospectif, a connu quelques exemples pendant le confinement. Certains déplacements ont été mutualisés, des objets et services se sont déplacés. Cela pose la question pour la puissance publique de ne plus être l'autorité organisatrice. Elle doit écouter le territoire et accompagner l'initiative. Finalement, la crise de la Covid et les agilités sociales qu'elle a révélées ou confortées implique de miser davantage sur le réseau que le bassin, de même que sur l'usage plutôt que sur une offre un peu monolithique.

La crise a également démontré qu'il était possible de faire bouger les choses. Les hôpitaux de campagne sont installés à proximité des territoires les plus touchés.

En conclusion, il faut cesser de faire de la densité la valeur cardinale de tout. Il convient d'abord d'en élargir le spectre des définitions. La densité n'est pas seulement un ratio, c'est également une intensité. De ce point de vue, les campagnes, les grands espaces ou espaces peu denses disposent d'atouts leur permettant de réinventer leur propre mobilité.

M. Olivier Jacquin . - Merci beaucoup pour cette belle présentation.

Mme Marie Huyghe, chercheuse au CNRS, consultante en mobilité . - J'attribue aux espaces peu denses auxquels je m'intéresse trois caractéristiques. La première est une dépendance structurelle à la voiture. La deuxième caractéristique est celle de la prédominance de la voiture dans les pratiques de mobilité des habitants. Le troisième élément tient au fait que la culture de la mobilité y soit avant tout automobile.

En jouant le jeu de la réflexion prospective, qui n'est pas mon jeu favori, je peux présenter le futur désirable pour les espaces peu denses. Il s'agit de mettre en place un système de mobilités ouvert à tous les usagers : piétons, cyclistes, flâneurs, automobilistes, jeunes et personnes âgées... Cet espace permettrait donc aux villes de n'être pas uniquement des endroits où se déplacer, mais également des centres-bourgs où flâner. Le système de mobilités serait plus ouvert et également moins générateur d'inégalités sociales et territoriales que le système actuel.

Nous connaissons les solutions pour y parvenir. Nous en avons entendu des exemples tout à l'heure : développement d'infrastructures, d'offres de mobilité, travail de planification... C'est un panel de solutions complémentaires.

J'insiste sur le terme « expérimentation », car les territoires qui ont une vraie dynamique de mobilité durable l'ont souvent développée à partir d'expérimentations de petite ampleur.

On pourrait s'interroger sur les raisons de l'absence de mise en place des dynamiques sur tous les territoires. Une partie des freins tient au portage des projets. Dans les territoires ruraux avec lesquels je travaille, j'observe différentes peurs de la part des décideurs. Certains d'entre eux n'ont pas encore d'intérêt à développer de mobilité durable, car les systèmes actuels sont perçus comme satisfaisants pour une grande partie de la population. D'autres ont peur de l'échec car ils manquent de confiance dans les expérimentations. D'autres encore craignent de ne pas être capables de développer les projets en milieu rural.

La LOM rebat les cartes en matière de compétences sur la mobilité. Elle encourage largement les communautés de communes à s'emparer de la compétence mobilité. C'est un objectif louable, mais il semble que les territoires soient encore très réticents. Pourtant, le choix doit être opéré au mois de mars prochain. Les freins tiennent tant au financement, qu'à une mauvaise compréhension de la loi. Il convient donc de faire preuve de pédagogie. Certains territoires sont totalement novices sur le sujet de la mobilité. Le risque au 31 mars 2021 est donc qu'un grand nombre de communautés de communes décident finalement de ne pas prendre la compétence.

J'insiste sur l'importance du portage des expérimentations. Il me semblait qu'à partir du 31 mars 2021, les territoires non AOM ne pourraient plus candidater aux appels à projets portés par France Mobilités ou l'Ademe. Apparemment cette affirmation n'est pas exacte, ce qui est une très bonne nouvelle. Ma peur est que nous nous retrouvions dans une situation dans laquelle des territoires prendraient la compétence, se trouveraient dans une vraie dynamique de mobilité durable tandis que d'autres se retrouveraient bloqués, sans pouvoir agir sur la mobilité. Si l'on m'affirme à l'inverse que malgré tout, ces territoires pourraient répondre aux appels à projets, ma crainte diminue.

M. Olivier Jacquin . - Thierry Mallet porte le regard d'un industriel sur les mobilités. Votre domaine est très questionné actuellement par la crise. Nous vous demanderons néanmoins un effort de prospective à dix ou vingt ans.

M. Thierry Mallet, P-DG du groupe Transdev, président de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) . - Transdev est un groupe franco-allemand, nos deux actionnaires étant la Caisse des Dépôts ainsi et le groupe Rethmann. Nous sommes le deuxième opérateur ferroviaire en Allemagne, challenger de la Deutsche Bahn depuis vingt-cinq ans. Nous sommes également le troisième acteur des transports publics aux Pays-Bas. C'est pourquoi nous avons acquis des visions très complètes des situations dans plusieurs pays européens, dans lesquels la densité s'apprécie de manière différente.

Je commencerai mon propos par la présentation des conclusions d'une enquête que nous avons réalisée pour le compte de Régions de France, en partenariat avec Ipsos, sur la mobilité en France.

Les déplacements du quotidien sont bien vécus par les Français en général. La contrainte exprimée n'est pas celle du temps mais du budget, qui est en moyenne de 215 euros par mois et par Français, en grande partie lié à la voiture. 87 % des Français utilisent leur voiture en moyenne une fois par jour pour se déplacer. Ce chiffre passe à 97 % dans les zones péri-urbaines, peu denses ou rurales. Le transport public n'a été conçu que pour les zones denses, tandis que le reste de la France a été conçu pour la voiture. Il ne faut donc pas s'étonner des difficultés actuelles.

Les attentes des Français tiennent à la baisse du prix du carburant, ce qui est évident puisqu'il s'agit du coeur de leur problème. On pressent la difficulté de passer aux véhicules électriques, qui sont très onéreux pour les familles. Les alternatives à la voiture sont les transports publics, dont la gratuité n'est pas spécialement demandée, c'est la qualité de l'offre qui constitue la première attente des usagers. La problématique de la périphérie est par conséquent celle de l'offre de transports.

Aujourd'hui, les métropoles touchent le versement mobilité (VM) pour financer des solutions destinées en partie à des habitants qui n'habitent pas dans la métropole, mais y travaillent : cela correspond à environ un tiers du VM. Ce constat devrait inciter les métropoles à s'occuper de leur périphérie, qui crée de la valeur en venant travailler sur le territoire métropolitain. Nous ne résoudrons pas les problèmes de congestion dans la métropole si nous ne résolvons pas les attentes de la périphérie.

Le train est perçu comme une bonne alternative pour les longues distances, et beaucoup moins pour les trajets du quotidien. Ici encore, l'enjeu de qualité de service est prégnant et pour l'augmenter il faut augmenter la fréquence des trains en France. Le car est également une bonne initiative, à l'instar de l'expérience de la Gironde qui a mis en place des cars à très haut niveau de services. Il faut que toutes les autorités organisatrices s'attèlent à organiser la liaison entre les métropoles et la périphérie. Finalement, aucune solution ne sera pérenne sans collaboration entre les métropoles et les périphéries, en faisant en sorte que les AOM prennent part au débat, de même que les régions.

Le vélo a constitué la grande surprise de notre étude. Ce moyen de déplacement était déjà plébiscité avant la crise de la Covid. Pour autant, les infrastructures (pistes cyclables, places de parking à vélos sécurisées) doivent être présentes.

En revanche, aucune sensibilité n'a été exprimée pour le covoiturage et l'auto-partage. Ces possibilités sont tout à fait méconnues, de sorte qu'un travail d'éducation s'impose.

Je partagerai quelques exemples illustrant des initiatives de mobilité en zone peu dense.

Dans le sud-Avesnois, dans la région des Hauts-de-France, la mobilité a été orientée vers le retour à l'emploi. Nous avons travaillé avec des demandeurs d'emploi, en collaboration avec Pôle Emploi. Nous avons créé une maison de la Mobilité pour présenter les solutions existantes. Cette expérience est en train de devenir une vraie délégation de service public.

Le deuxième exemple permet de faire fonctionner des solutions de mobilité classique en zone peu dense. C'est l'exemple du parking de Briis-sous-Forge, situé sur le bord de l'autoroute près du péage de Saint-Arnoult. Les gens arrivent d'une dizaine de kilomètres de distance. Les voitures sont garées sur ce parking, d'où il est ensuite possible d'accéder à l'autoroute par un ascenseur. Là, un car dépose les passagers en vingt minutes à la gare routière de Massy. Ce car a été lancé il y a dix ans, et passe désormais toutes les cinq minutes chaque matin. Il s'agit par conséquent d'une vraie solution multimodale. Fort astucieusement, la déchèterie a été installée sur le parking, de sorte que celui-ci est gardienné par le personnel de la déchèterie.

Le troisième exemple, néerlandais, est celui des board buses , qui sont des bus de communauté. Leur nombre avoisine les deux-cents aux Pays-Bas. Pour des petites collectivités locales, l'opérateur, avec l'AOM, met à disposition un véhicule de neuf places pouvant être conduit par toute personne possédant un permis B. L'association qui prend en charge le véhicule, définit des lignes régulières à la demande de la ville. Une vingtaine de personnes interviennent sur les voitures, chacune conduisant pendant deux à trois heures par semaine, ce qui crée un vrai mouvement associatif. Le lien social est ainsi très fort, chapeauté par des élus qui souhaitent dynamiser le village. L'offre est associée aux transports publics. On retrouve beaucoup de retraités qui conduisent ces véhicules. Nous tentons d'exporter ce modèle en France, car nous pensons qu'il peut fonctionner à certains endroits.

J'évoquerai pour terminer le challenge de la transition énergétique. Nous sommes en train de faire bouger le curseur puisque la Commission européenne a fixé l'objectif d'une baisse de 50 % des émissions de gaz à effets de serre (GES) à horizon 2040. Il faut rappeler qu'un véhicule électrique, quand l'énergie est renouvelable ou décarbonée, représente la moitié de l'empreinte d'un véhicule diesel. Il en est de même pour un véhicule à hydrogène. La technologie permettra donc d'accomplir de grands progrès, mais il conviendra également de changer les comportements. La « dé-mobilité » est un terme qui me paraît quelque peu péjoratif. Je lui préfère celui de « proximité ». Par conséquent, indépendamment de la densité, il faut repositionner les services aux bons endroits.

M. Olivier Jacquin . - Merci beaucoup pour ces exemples. Éric Le Breton, vous avez utilisé l'expression « il faut socialiser la bagnole » . Thierry Mallet n'en a pas parlé, mais je pense qu'il y a des points de discussion entre vous.

M. Éric Le Breton, sociologue, Université de Rennes 2 . - J'avais préparé une présentation de sociologue, c'est-à-dire centrée sur le présent mais hier soir, M. Jacquin m'a demandé de faire davantage de prospective. Je vais donc tenter l'exercice sur les mobilités en territoire peu dense à horizon 2050. Je traiterai la question en cinq points, dans un registre quelque peu différent de celui des autres intervenants, avec un regard plus global.

En premier lieu, il existe aujourd'hui un fossé considérable du point de vue de la mobilité entre les 15 plus grosses agglomérations françaises et le reste du territoire. En 2050, ce fossé se sera accentué sous l'effet de la globalisation économique, qui intensifiera la compétition entre les métropoles de niveau national, régional et global. Dans le cadre de cette compétition, les pouvoirs publics continueront d'équiper les espaces centraux de dispositifs de grande portée géographique, rapides, efficaces et très techniques. On doit s'attendre, sur ces territoires, à des innovations importantes. Sur ces territoires circuleront probablement, en 2050, des véhicules - faussement - autonomes.

Comme aujourd'hui, les territoires peu denses auront un niveau d'offre de mobilité nettement inférieur.

En deuxième lieu, la forme de la « région urbaine » s'imposera en 2050. Sur la carte de l'Insee de 2010 des navettes domicile-travail, il apparaît que déjà en 2010, tout le pourtour méditerranéen était unifié, sillonné par des mobilités quotidiennes, de même que l'agglomération Rhône-Alpes, l'agglomération du Nord et l'agglomération francilienne intégrant toute l'Île-de-France jusqu'à Rouen et Tours. Tels seront, de mon point de vue, les territoires de la mobilité en 2050.

En 2050, ces régions urbaines seront organisées autour de plusieurs bassins d'emploi et plus uniquement un seul. Ces territoires se structureront considérablement, pour être du « peu dense-dense ». Ce seront des paysages de campagne, avec une armature urbaine très diversifiée. Les gains démographiques du vrai rural, qui persistera, seront en revanche très modestes car l'emploi continuera d'y être rare. Je ne vois pour ma part aucun indicateur de dé-mobilité. Nous resterons sur la même tendance profonde, qui date d'il y a un siècle et demi. J'entends bien le sujet du télétravail, mais il n'implique pas l'immobilité. Les télétravailleurs sortent de chez eux, vont faire leurs courses, chercher leurs enfants... Les déplacements ne vont donc pas disparaître mais se transformer. De plus, l'immense majorité des télétravailleurs sont des hyper-mobiles.

En troisième lieu, les conflits autour de questions de mobilité vont s'amplifier. La mobilité sur les espaces peu denses va devenir un sujet politique, spécialement sur les territoires où la vie quotidienne sera de plus en plus dépendante de la mobilité. Les conflits vont émerger autour du développement durable local (et non plus dans les pays émergents). S'agissant des conditions de mobilité, les habitants vont commencer à réclamer de la qualité, de la sécurité, de la continuité de service. Probablement aussi, des populations spécifiques, par exemple les femmes ou les personnes en situation de handicap, vont formuler vigoureusement des demandes autour de la mobilité.

Le quatrième élément tient à l'accentuation nette des inégalités de mobilité entre espaces peu denses et denses. L'amplification des inégalités se déploiera sur trois plans. Le niveau des équipements accessibles à la personne ne sera pas le même : l'offre de services sera bien supérieure en métropole. Les apprentissages de la mobilité risquent d'être de plus en plus discriminants : alors que la mobilité s'apprend, de plus en plus de personnes resteront en marge. Enfin, le rôle des systèmes d'acteurs de la mobilité sera considérable dans les métropoles, et plus sommaire sur les territoires.

Sur toutes ces questions, la LOM a accompli un bond en avant en inscrivant le droit à la mobilité dans la loi, ainsi qu'un bond en arrière en transformant la mobilité inclusive en mobilité solidaire.

La gouvernance mobilitaire des territoires peu denses et des territoires denses sera un vrai sujet. J'espère qu'en 2050, la LOM aura été réformée car elle me semble en total décalage avec des évolutions sociétales fondamentales. Je pense que les AOM pourraient se déployer sur deux niveaux complémentaires et fortement articulés entre eux. Le premier niveau est celui de l'AO des bassins de mobilité, c'est-à-dire les autorités qui gèreront les grandes régions urbaines très complexes, dans lesquelles la population sera très nombreuse en 2050. L'organisation ressemblera dans toutes les régions à celle d'Île-de-France Mobilités, gérant de grands territoires dans la cohérence et dans une capacité à concevoir des déplacements à l'échelle que nous connaissons tous. Il faudra socialiser la voiture en transformant une contrainte individuelle en ressource collective. Le prix du carburant sera proportionnel au nombre d'occupants de la voiture.

Le second niveau est celui des AO ultra-locales. Les intercommunalités se préoccuperont de la vie quotidienne de leurs habitants, en mettant en place des bouquets multimodaux. Les financements pourront notamment intervenir grâce au partage du VM. Lorsqu'on pose le constat que les ménages ruraux et péri-urbains consacrent aujourd'hui 21 % de leur budget mensuel à la mobilité (d'après les statistiques de l'Insee de 2017), il est possible de puiser dans ce budget pour financer des services de bonne qualité.

M. Olivier Jacquin . - Thierry Mallet, vous avez mis en avant le modèle des board - buses . Éric Le Breton, vous avez appelé de vos voeux la socialisation de la voiture. Quelles sont vos réactions respectives ? Je proposerai ensuite de questionner la gouvernance et les approches différentes que nous avons entendues.

M. Thierry Mallet . - Le board bus est une voiture collective dont le coût est pris en charge en totalité par l'AO. Les usagers acquittent seulement le coût du ticket. Le modèle est totalement intégré dans l'offre de transport. Le fait que les retraités participent à ce modèle de transport est très intéressant, surtout en considération du vieillissement de la population.

M. Olivier Jacquin . - Vous avez indiqué que l'idée de faire de la voiture un véhicule partagé vous semblait lointaine.

M. Thierry Mallet . - En effet, puisque les véhicules personnels ne permettent de transporter que peu de personnes par jour. Le modèle proposé par Ecov est intéressant mais ne peut être appliqué qu'en zone dense ou semi-dense. Il ne peut pas s'agir de la seule solution. Le covoiturage ne peut fonctionner que sur quelques routes. Finalement, aucune solution ne pourra être adoptée seule, il sera nécessaire de mettre en place un panachage de solutions en fonction des territoires. Pour la petite histoire, le coût d'un bus électrique est 1,5 fois supérieur à celui d'un bus normal, tandis que celui du bus à hydrogène est 4 fois supérieur. Par conséquent, les enjeux de coûts du véhicule et de durabilité des piles à combustible sont prégnants. L'attitude entrepreneuriale consistera donc à rendre attractives les solutions.

M. Olivier Jacquin . - Marie Huyghe, quelle est votre vision des grands espaces dans lesquels la voiture serait utilisée différemment ?

Mme Marie Huyghe . - Selon moi l'enjeu n'est pas de renoncer totalement à la voiture, mais plutôt de ne pas acquérir de deuxième voiture. Il faut oeuvrer pour que les ménages ne procèdent pas à cette acquisition. Je recommande de travailler l'usage plutôt que la possession.

M. Éric Le Breton . - Je ne suis pas un fanatique de la voiture. Nous savons bien que le transport collectif doit être soutenu dans les agglomérations car il fonctionne bien. En revanche dès qu'on sort des agglomérations, le fonctionnement est moins satisfaisant. La voiture est un outil qui sillonne tous les territoires. Il me semble donc utile de créer des sites internet performants pour favoriser le covoiturage.

M. Olivier Jacquin . - Sur la gouvernance et le bon périmètre d'organisation des mobilités dans les espaces peu denses, quel est votre avis Jérôme Baratier ? Comment faire en sorte que les initiatives puissent se développer, et sur quel périmètre ?

M. Jérôme Baratier . - Arrêtons l'optimum du « bon périmètre », inventons des systèmes ouverts où il est possible de tenter des expérimentations. Il faudra faire preuve d'agilité pour ne pas mettre en place des systèmes laborieux. Nous avons besoin d'autorités facilitatrices des mobilités. L'une des caractéristiques des espaces peu denses est leur capacité d'invention. Les systèmes de gouvernance devront donc s'appuyer sur cet atout.

M. David Caubel . - Dès lors que nous sommes prêts à travailler avec une part d'ignorance et une prise de risque, il s'agit alors d'une véritable expérimentation et d'innovation. Ma question portera sur les temporalités. La dématérialisation des mobilités va libérer du temps et de l'espace. En termes de prospective, les gains de temps et d'espace seront réinvestis dans d'autres mobilités réelles ou virtuelles. Quelle est l'articulation avec l'aménagement du temps ?

M. Éric Le Breton . - Je ne sais pas. Tous ces modes s'additionnent les uns aux autres dans un paysage foisonnant. Le télétravail, la télémédecine s'ajoutent aux autres modes de travail. Il y aura sans doute des recompositions et d'autres marges de manoeuvre, mais sans modifier fondamentalement la structure. Je ne parle pas non plus des personnes qui vont travailler en TGV.

Mme Nathalie Mas-Raval . - Pour bien vivre en ruralité, il faut avoir accès aux services. Comment faciliter l'accès au panier de vie courante ? Comment faire, lorsqu'on est facilitateur mais pas AOM sur les territoires, pour faciliter un champ qui est parfois concurrentiel, en matière d'accès au dernier kilomètre et aux services ? En période Covid, les choses se sont organisées en urgence. Comment s'organiser dans la phase post -Covid ?

M. Jérôme Baratier . - Peut-être en mettant la charge politique, non dans la revendication de la présence de l'équipement dans un périmètre électoral, mais en posant comme vous le faites la question de l'accès. Comment le service vient-il vers l'habitant, a fortiori dans les espaces peu denses, avec une population vieillissante ?

L'idée du bouquet minimal de services s'envisage dans des temporalités différentes. Nous n'avons pas besoin du service tout le temps, tous les jours. On peut donc imaginer du service à la demande.

M. Thierry Mallet . - Doit-on faire le choix de garder toutes les gares en France avec trois trains par jour, ou fait-on le choix de garder des axes très structurants avec des trains toutes les demi-heures, sachant que les rabattements sont garantis par car ? Aujourd'hui, la période d'euphorie paraît malsaine, car bientôt les fonds manqueront.

Je pense qu'il faut faire preuve de prudence avec les deniers de l'État. La qualité de service ne se mesure pas à la présence d'une gare, mais à celle d'un service permettant d'aller partout rapidement.

Mme Sylvie Andriève . - Je souhaite poser à chacun la même question, car je ne suis pas sûre d'avoir bien compris le futur que vous dessinez : est-ce celui que vous désirez ou celui que vous pensez inévitable ? Quelle que soit la réponse, permettra-t-il d'atteindre les objectifs de la stratégie bas carbone ?

M. Olivier Jacquin . - Ces questions n'appellent pas de réponse immédiate. Xavier Desjardins va maintenant tenter une synthèse de cette seconde table ronde.

M. Xavier Desjardins . - J'évoquerai quatre points dans cette synthèse : les débats, les mots, l'espace et l'argent.

En premier lieu, j'ai trouvé intéressant le débat sous-jacent que nous avons abordé. Demain, faudra-t-il se déplacer moins ou autant ? Quelle solution est souhaitable ? Je pense que vous avez appelé ce sujet « dé-mobilité et « proximité », qui en réalité relève d'une vraie question politique. Dans l'histoire, nous avons appris que malgré l'apparition du téléphone, les gens continuaient de se déplacer. Les personnes en télétravail feront de même. Néanmoins, il existe une demande politique aujourd'hui, consistant à attribuer à chacun son « quota CO 2 » ou «quota kilomètre ». Cette demande politique n'est pas dominante, mais elle existe. Je pense que dans un rapport prospectif, il ne faudra pas l'éluder.

Le deuxième élément concerne les mots pour désigner les choses. Vous avez tous fait un rêve pour 2050, celui qu'existent des autorités organisatrices des mobilités. Il n'y en a pas actuellement. Les autorités actuelles sont héritières du transport public, et en réalité n'organisent pas grand-chose. Ce ne sont pas tout à fait des autorités, et elles ne s'occupent pas vraiment de mobilité. Il y a donc un abus de langage. Il est dommage que les mots ne correspondent pas vraiment aux choses qu'ils désignent.

En troisième lieu s'agissant de l'espace, je partage le constat d'Éric Le Breton sur l'augmentation des connexions et des mobilités à horizon 2050. Je pense néanmoins que les figures spatiales du capitalisme hyper-connecté pourront être diverses. À l'échelle des continents, l'Europe reste celui à n'avoir pas connu de concentration forte des habitants dans les très grandes villes de plus de dix millions d'habitants. Est-ce que ce modèle européen de stabilité de la hiérarchie urbaine va se poursuivre ? Cette question prospective est essentielle.

Nous avons également évoqué les conflits et l'argent. Le conflit classique est celui du partage des fruits de la croissance. Comme vous l'avez tous indiqué, le conflit s'oriente vers une ère nouvelle relative aux raretés que nous nous obligeons à suivre (« zéro émission »). Nous sommes d'accord, mais quel est le compromis social qui nous poussera à accepter ces raretés ? Je pense que c'est un vrai sujet de prospective.

Conclusion générale

M. Charles-Éric Lemaignen, vice-président d'Orléans-Métropole chargé des mobilités et 1 er vice-président de l'Assemblée des communautés de France (AdcF) . - Je commencerai par quelques remarques préalables.

La mobilité devient durablement un enjeu politique majeur, alors qu'il y a quelques années elle était considérée comme un sujet technique.

Par ailleurs lorsqu'on parle de coupure entre la métropole et la périphérie, il faut avoir conscience que le tissu urbain comporte des villes secondaires structurantes pour notre territoire. J'espère que ce phénomène sera durable. Je rappelle que le ruissellement des métropoles ne fonctionne pas spontanément. Il faut une politique d'aménagement des territoires pour les équilibrer car ils possèdent des atouts certains, ainsi que l'a démontré la crise de la Covid. En revanche, il faut éviter que les métropoles aient des services gratuits de bon niveau, tandis que les périphéries seraient dotées de services médiocres et coûteux. Faute d'équilibre, les conflits pourraient revenir, et être majeurs.

Sur la question territoriale, il y a la ville dense et le reste. Entre les périphéries, les centres secondaires et le rural profond, les différences ne sont finalement pas si importantes.

Une inquiétude sur le modèle financier apparaît à l'occasion de la prise de compétence, ainsi que l'a indiqué Marie Huyghe. La crise de la Covid renforce d'ailleurs cette inquiétude sur la durabilité du financement du transport urbain. En revanche, il faut parallèlement réfléchir, en prospective à dix ou trente ans, à un nouveau modèle financier du transport urbain.

En outre, il ne faut pas se focaliser sur le trajet domicile-travail, qui ne représente que 25 % des déplacements. Je suis réservé sur la dé-mobilité. Les télétravailleurs sont mobiles par essence, et privilégieront donc d'autres mobilités : tourisme, loisirs, lien social... La mobilité va donc perdurer. Elle est la clef de l'attractivité des territoires ruraux.

Je proposerai un panachage de solutions. Dans ce climat de crise financière, les offres seront différentes d'un territoire à l'autre. Les expérimentations, pour être crédibles, ne doivent pas être généralisées à tout prix car tous les territoires ne s'y prêtent pas. 80 % des accidents scolaires n'interviennent pas dans les bus, mais aux arrêts. Il faut rechercher un mix entre l'inter-urbain, le scolaire et le transport à la demande. Le covoiturage représente également un mix de solutions et les lieux d'intermodalité sont essentiels. Il faut sans doute intégrer les services le plus possible. Enfin, le lien social par les mobilités solidaires me paraît crucial.

L'expertise d'usage et la prise en compte des attentes des usagers sont indispensables. La parole n'appartient pas aux spécialistes uniquement, même si un besoin d'ingénierie se fait sentir. Comme je l'ai indiqué, je suis gêné par la notion d'expérimentation menée dans un esprit de généralisation. De plus, la notion d'appel à projets en matière d'aménagement du territoire doit être maniée avec précaution, car les territoires qui y répondent sont ceux qui possèdent l'ingénierie et l'argent. En conclusion, laissons la place aux initiatives locales et n'imposons pas d'appels à projets qui seraient totalement réducteurs.

Sur la gouvernance de demain et de 2030, 900 intercommunalités devront se prononcer sur la prise de compétence. Je pense qu'il importe de privilégier cette prise de compétence pour l'organisation des transports publics. La plupart des intercommunalités n'ont pas compris la LOM, qui est certes complexe. Assumer l'organisation, ne signifie pas exercer toutes les compétences. La loi donne un panel de solutions permettant de conserver les offres régionales. Ne faisons donc pas peur inutilement. Je crois que certaines régions ont une tendance assez forte à faire que les intercommunalités évitent de prendre la compétence, même si d'autres jouent le jeu. C'est très gênant.

Il est en outre essentiel que les intercommunalités intègrent les stratégies de mobilité. Vous l'avez indiqué dans vos expérimentations. Il est indispensable que la mobilité irrigue les projets de territoire. Si une maison de service au public est proposée sans que le public puisse y accéder, elle est inutile. Si une intercommunalité ne souhaite pas prendre la compétence, elle peut parfaitement négocier avec la région les services qui lui sont nécessaires. La LOM donne un panel d'outils. Il importe de nouer un partenariat avec la région pour définir les périmètres et les négocier, sans les imposer.

Enfin, je suis convaincu que la mise en oeuvre de la LOM sera un enjeu pour l'ensemble des politiques publiques locales. Sur ce point, je ne partage pas tout à fait l'avis d'Éric Le Breton. Le modèle le plus intéressant pour les politiques locales est d'avoir un chef de file qui dirige les grands axes politiques, tandis que des AO exercent réellement sur le terrain, en proximité, les politiques publiques. C'est le système que j'appelle de mes voeux.

Merci de nous avoir conviés à cette discussion.

M. Olivier Jacquin . - Merci à tous pour ces échanges riches et intéressants. N'hésitez pas à nous adresser vos contributions écrites.

La réunion est close à 17 h 45

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Jeudi 14 janvier 2021

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/delegation-prospective.html

Jeudi 28 janvier 2021

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/delegation-prospective.html

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

I. TABLE RONDE DU MERCREDI 23 SEPTEMBRE 2020

• Xavier Desjardins, professeur en Urbanisme et Aménagement, Sorbonne-Université

• David Caubel, chef de projet innovation et territoires, Direction générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer (DGITM)

• Isabelle Mesnard, France Mobilités, Cerema

• Simone Saillant, directrice du programme « Ruralités », Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)

• Nathalie Mas-Raval, DGS, Communauté de communes du Pic Saint-Loup

• Odile Begorre-Maire, directrice du Pôle d'Équilibre Territorial et Rural (PETR) du Pays du Lunévillois

• Thomas Matagne, président-fondateur d'Ecov

• Sylvie Landriève, directrice du Forum Vies Mobiles

• Marie Huyghe, chercheuse-associée à CITERES-CNRS, consultante en mobilité

• Thierry Mallet, P-DG du groupe Transdev, président de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP)

• Éric Le Breton, sociologue, Université de Rennes 2

• Jérôme Baratier, directeur de l'agence d'urbanisme de l'agglomération de Tours

• Charles-Éric Lemaignen, vice-président d'Orléans-Métropole, chargé des mobilités, et 1 er vice-président de l'Assemblée des Communautés de France (AdCF)

II. AUDITIONS DEVANT LE RAPPORTEUR

• Jean-Baptiste de Prémare, délégué général de Routes de France

• Olivier Schneider, président de Fédération des usagers de la bicyclette (FUB)

• Frédéric Cuillerier, président de la commission mobilité de l'Association des Maires de France (AMF) et maire de Saint-Ay

• Louise Larcher, conseillère, AMF

• Michel Neugnot, président de la Commission transports et mobilités, Association des régions de France (ARF)

• Nicolas Pujos, conseiller intermodalité, infrastructures et nouvelles mobilités, ARF

• Catherine Pilon, secrétaire générale du Club des Villes et Territoires Cyclables

• Axel Lambert, chargé de mission, Club des Villes et Territoires Cyclables

• Louise d'Harcourt, chargée des affaires parlementaires du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

• Jérémie Almosni, chef du service transport et mobilité de l'ADEME

• Jean-Baptiste Baud, responsable des relations institutionnelles, Fédération nationale familles rurales

• Éric Charmes, chercheur en études urbaines à l'Université de Lyon

• Jean-Marc Offner, directeur de l'agence d'urbanisme A'urba, Bordeaux Aquitaine

• Nicolas Tcheng, chargé des Affaires publiques, groupe Renault

• Yvan Lubraneski, maire de la commune Les Molières (91), pour l'Association des Maires ruraux de France (AMRF)

• Augustin Rossi, en charge du Logement et des Mobilités , Assemblée des Départements de France (ADF)


* 1 INSEE Première n° 1835, janvier 2021

* 2 Jérôme Fourquet pour la fondation Jean Jaurès, La fin de la grande classe moyenne , mai 2019, p. 3

* 3 Dans la suite du rapport, les termes « espaces », « zones » ou « territoires » peu denses sont utilisés indifféremment pour désigne la même réalité de géographie physique et humaine, analysée dans la partie  I.

* 4 https://www.insee.fr/fr/information/2114627

* 5 Pour approfondir : https://www.insee.fr/fr/information/2571258

* 6 Rappelons que le territoire français a une densité moyenne de 105 habitants/km², légèrement inférieure à la moyenne européenne (autour de 115 habitants/km²), mais très inférieure à celle de l'Allemagne (233 habitants/km²) ou encore de l'Italie (200 habitants/km²).

* 7 https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2019-07/Rapport_Mission-ruralite_juillet-2019.pdf

* 8 https://www.ouest-france.fr/societe/exode-urbain-va-t-on-tous-quitter-les-villes-pour-elever-des-chevres-a-la-campagne-6913497

* 9 L'INSEE a mesuré que 450 000 Parisiens avaient quitté Paris lors du 1 er confinement, soit 20 % de la population de la capitale : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4635407

* 10 https://www.lesechos.fr/thema/changer-de-region/quitter-les-grandes-villes-pour-mieux-vivre-la-tentation-de-lapres-covid-1248896

* 11 Eric Le Breton, Les raisons de l'assignation territoriale, Quelques éléments d'appréhension des comportements de mobilité de personnes disqualifiées , Institut de la ville en mouvements, décembre 2002.

* 12 Rapport d'information n° 271 (2012-2013) de Mme Renée Nicoux et M. Gérard Bailly , fait au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 22 janvier 2013 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-271-notice.html

* 13 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4267787

* 14 Selon Yves Crozet : « la conjecture de Zahavi avance l'hypothèse d'une constance des budgets temps de transport (BTT) quotidiens des personnes dans les zones urbaines. L'intérêt d'une telle approche est d'éclairer un phénomène bien connu des spécialistes de la mobilité : la tendance à l'allongement de la portée des déplacements dès que la vitesse moyenne augmente grâce à l'usage des modes motorisés. » (2006)

* 15 Audition de Martin Vanier par la délégation à la prospective du Sénat le 1 er février 2018 dans le cadre des travaux sur le rapport Mettre les nouvelles mobilités au service de tous les territoires (p. 101 à 110).

* 16 https://www.famillesrurales.org/etude-FamillesRurales-IFOP-Territoires-ruraux

* 17 https://www.strategie.gouv.fr/publications/dynamique-de-lemploi-metropoles-territoires-avoisinants

* 18 https://www.lecese.fr/travaux-publies/les-metropoles-apports-et-limites-pour-les-territoires

* 19 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2018.02.15_Rapport-Avenir-du-transport-ferroviaire.pdf

* 20 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lacces-aux-services-publics-dans-les-territoires-ruraux

* 21 Par exemple pour les réseaux téléphoniques mobiles : https://www.arcep.fr/la-regulation/grands-dossiers-reseaux-mobiles/la-couverture-mobile-en-metropole/la-couverture-des-zones-peu-denses.html

* 22 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/comment-les-francais-se-deplacent-ils-en-2019-resultats-de-lenquete-mobilite-des-personnes

* 23 En effet, si avec 1h de SMIC il était possible d'acheter autant de litres d'essence que dans les années 1970, le prix du litre d'essence à la pompe serait aujourd'hui supérieur à 3 ou 4€/litre ; or ce n'est pas le cas. Cependant, dès lors que les prix des carburants augmentent, même très légèrement, les fragilités économiques se révèlent (cf. la crise des gilets jaunes). Cela s'explique pour partie en ce que d'autres postes de dépenses incompressibles ont pris de l'importance dans les budgets des ménages (logement, nouvelles technologies, loisirs). La « sensibilité prix » à l'énergie nécessaire pour se déplacer est plus forte, car elle touche l'objet majeur et quasi-exclusif autorisant la liberté de déplacement.

* 24 http://barometremobilites-quotidien.org/index.php/chiffres-cles/

* 25 https://atec-its-france.com/wp-content/uploads/2019/10/2-Zones-peu-denses_mise-en-page-14.01.20.pdf

* 26 Voir le rapport Philizot sur les petites lignes ferroviaires.

* 27 Mettre les nouvelles mobilités au service de tous les territoires , rapport d'information n°117, novembre 2018

* 28 https://www.ifop.com/publication/les-parents-et-les-transports-domicile-etablissement-scolaire/

* 29 http://www.onaps.fr/data/documents/190917_ONAPS_RC%202018%20final.pdf

* 30 La mobilité vers l'école : un enjeu de santé publique trop souvent oublié des politiques publiques , le blog de Mathieu Chassignet, Alternatives Économiques, 7 décembre 2020.

* 31 Un « système-vélo » complet comprend également l'ensemble des services qui sont associés à cette pratique : ateliers de réparation, formations, vélo-école...

* 32 Ce sujet est particulièrement traité dans les synthèses des travaux du comité scientifique de France mobilités de décembre 2020 :

https://www.francemobilites.fr/sites/frenchmobility/files/inline-files/France%20Mobilit%C3%A9s%20-%20Evaluation%20TAD%20-%20VF.pdf

https://www.francemobilites.fr/sites/frenchmobility/files/inline-files/France%20Mobilit%C3%A9s%20-%20Evaluation%20services%20benevoles%20-%20VF.pdf

* 33 Une synthèse des travaux du comité scientifique de France mobilités de septembre 2020 traite de ce sujet : https://www.francemobilites.fr/sites/frenchmobility/files/inline-files/France%20Mobilit%C3%A9s%20-%20Evaluation%20services%20covoiturage%20-%20Version%20finale.pdf

* 34 Mobility as a service : terme anglais qui désigne la mise en réseau sur un territoire donné de tous les modes à disposition du déplacement des personnes et leur articulation dans une logique multimodale. Le concept de MaaS repose sur l'idée qu'un déplacement doit pouvoir s'effectuer "sans couture", en utilisant l'ensemble de la palette de solutions de mobilités existantes. Il comporte plusieurs aspects importants : une information voyageur complète, une tarification coordonnée et une billettique multimodale pour une facturation unique, des aménagements permettant la multimodalité. Le MaaS permet d'optimiser les déplacements et de simplifier l'expérience voyageurs, de mieux adapter l'offre de mobilité pour les opérateurs et de mieux piloter les politiques de déplacements et d'optimiser les flux pour les pouvoirs publics.

* 35 https://www.adcf.org/articles-nouvelles-solutions-de-mobilite-dans-les-espaces-de-faible-densite.-une-priorite-des-prochains-mandats-locaux-5279

* 36 C'était d'ailleurs l'objet du rapport d'information sénatorial « Lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique » n° 711 (2019-2020) du 17 septembre 2020.

* 37 https://theconversation.com/lauto-stop-reinvente-par-rezo-pouce-au-dela-de-la-belle-histoire-127184

* 38 https://www.francemobilites.fr/projets/scool-bus

* 39 Il conviendra de porter une attention particulière à la réglementation et aux homologations de véhicules, et très certainement les faire évoluer.

* 40 https://www.francemobilites.fr/

* 41 https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/ameliorer-et-developper-les-experimentations-pour-des-politiques-publiques-plus-efficaces-et-innovantes

* 42 https://www.cerema.fr/fr/actualites/ensemble-prise-competence-mobilite-retour-2e-webinaire

* 43 https://www.francemobilites.fr/cartographie-laureats

* 44 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038939847/

* 45 https://www.automobile-club.org/assets/doc/Budget_de_lAutomobiliste_2020_BD.pdf

* 46 https://www.usinenouvelle.com/article/covid-19-la-mobilite-a-ete-le-super-propagateur-du-virus-analyse-le-sociologue-bruno-marzloff.N960296

* 47 https://www.institutmontaigne.org/blog/ce-qui-se-cache-derriere-les-chiffres-du-teletravail-en-france

* 48 https://www.cerema.fr/fr/actualites/mieux-comprendre-chaussee-voie-centrale-banalisee ou https://inforoutes.loire-atlantique.fr/jcms/actualites/le-chaussidou-experimentation-d-une-chaussee-a-voie-centrale-banalisee-fr-p1_44561

* 49 Il conviendra de porter une attention particulière à la réglementation et aux homologations de véhicules, et très certainement les faire évoluer.

* 50 Yannick Blanc, Président de Futuribles, audition au Sénat du 12 novembre 2020 : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20201109/pro_2020_11_12.html

* 51 François de Jouvenel, délégué général de Futuribles, lors de la même audition.

* 52 Eric Charmes, La revanche des villages , Seuil, 2019.

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