B. DES TRAJECTOIRES INDIVIDUELLES FORTEMENT INFLUENCÉES PAR DES FACTEURS SOCIAUX ET TERRITORIAUX
Les données générales donnent la mesure d'une réelle difficulté, pour les jeunes Français d'aujourd'hui, à se projeter dans une perspective d'ascension sociale.
À l'échelle individuelle, des caractéristiques liées au territoire d'origine ou au genre continuent de peser fortement sur les trajectoires futures.
1. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville concentrent de nombreuses difficultés et la mobilité sociale y reste limitée
Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) concentrent de nombreuses caractéristiques, en termes de niveau de vie et d'ouverture sociale, qui limitent les opportunités pour les jeunes qui y résident. L'institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) 12 ( * ) indique ainsi que les jeunes âgés de 15 à 29 ans vivant dans ces quartiers sont deux fois plus touchés par le chômage que les autres .
22 % ont un niveau inférieur au CAP ou au BEP, contre 19 % des jeunes des autres quartiers. Ils vivent également plus souvent dans des familles nombreuses (6 points de plus que les autres quartiers) ainsi que dans des familles monoparentales (+ 7 points). Enfin, 74 % des ménages de ces quartiers résident dans les habitations à loyer modéré, contre 16 % dans les autres quartiers .
Les jeunes issus des QPV cumulent fréquemment des conditions de vie difficiles et contraignantes pour leurs études (famille nombreuse notamment) et une forme de ségrégation sociale, que le centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) 13 ( * ) qualifie « d'effet quartier ».
Le Céreq indique également que ces jeunes des QPV s'orientent, à compétences égales, différemment des jeunes des quartiers voisins plus favorisés. Les formations de proximité concentrent 45 % de bacheliers des QPV contre 32 % des bacheliers hors QPV. Les bacheliers généraux de ces quartiers sont a contrario moins nombreux à candidater à une classe préparatoire aux grandes écoles (14 % contre 22 %) .
Les étudiants vivant dans un quartier de la politique de la ville déclarent par la suite avoir davantage « arrêté leurs études par contrainte, notamment financière (35 %, contre 23 % hors QPV) , du fait d'un refus dans la formation demandée (12 % contre 10 %) ou de l'absence de la formation visée à proximité (12% contre 7%) ».
2. Les problématiques spécifiques aux jeunes des territoires ruraux insuffisamment prises en compte
D'après le Conseil économique, social et environnemental (Cese) 14 ( * ) , 1,6 million de jeunes de 15 à 29 ans habitent dans des territoires ruraux , dont 240 000 dans des espaces ruraux très peu denses.
Les jeunes de ces territoires travaillent plus tôt et plus fréquemment que les jeunes urbains : 59 % des jeunes ruraux travaillent, ce qui n'est le cas que de 49 % des jeunes urbains . En conséquence, leur taux de chômage est inférieur à la moyenne nationale.
Pour ces jeunes , la question de la mobilité, et plus particulièrement de l'accès au permis de conduire, est cruciale . Selon le même avis du Cese, 45 % des jeunes ayant le permis de conduire et sortant de CAP sont en emploi, contre 19 % pour ceux n'ayant pas le permis. Les freins à la mobilité en milieu rural pèsent particulièrement sur les jeunes femmes, comme l'a indiqué à la mission Yaëlle Amsellem-Mainguy 15 ( * ) , ces dernières devant davantage se contenter d'emplois précaires et étant cantonnée à un périmètre géographique plus étroit que les garçons du même âge et des mêmes zones. Parmi les demandeurs d'emploi de moins de 25 ans, 61 % sont des femmes en zones de revitalisation rurale (ZRR).
On peut déplorer que ces aspects restent insuffisamment pris en compte par les politiques publiques de la jeunesse, qui laissent encore trop fréquemment de côté les zones les plus isolées.
3. Les outre-mer, des spécificités qui pèsent sur le parcours des jeunes
Les jeunes d'outre-mer sont confrontés à des difficultés accrues, liées à l'éloignement, à l'insuffisance du maillage des transports en commun ainsi qu'aux phénomènes d'immigration, les situations variant sensiblement selon les territoires en fonction de leurs caractéristiques géographiques, démographiques et économiques. Près de 70 % des enfants scolarisés en Guyane ont une langue maternelle autre que le français, comprise parmi la trentaine de langues vernaculaires du territoire. Cette proportion est encore supérieure à Mayotte.
Les jeunes filles doivent en outre faire face à des difficultés supplémentaires. S'agissant par exemple des grossesses précoces, c'est-à-dire concernant des jeunes filles de moins de 18 ans, elles représentent selon l'Insee 10,19 % des naissances en Guyane et 9,90 % à Mayotte, contre 1 % sur le reste du territoire français .
Une jeune fille âgée de 15 à 17 ans sur cinq en Guyane a donc déjà eu un ou des enfants . Le recteur de l'académie de Guyane, auditionné par la rapporteure, a indiqué avoir mis en place des crèches dans les lycées, afin de permettre aux jeunes mères de poursuivre leur scolarité.
Un récent rapport de la commission des finances sur l'enseignement scolaire en outre-mer 16 ( * ) , dresse le « constat alarmant d'un niveau considérablement inférieur à celui de la moyenne nationale », notamment lié à une faible maîtrise du français dans certains territoires et à un défaut d'adaptation des politiques publiques aux réalités locales. Ainsi, si aux Antilles et à La Réunion, entre 20 % et 30 % des élèves de sixième ne maîtrisent pas le français, cette proportion s'élève à 45 % en Guyane et à plus de trois quarts des élèves à Mayotte.
L e taux de jeunes en situation d'illettrisme est plus du double de celui constaté en moyenne en France pour les Antilles et La Réunion, cinq fois supérieur pour la Guyane et sept fois pour Mayotte .
Enfin, faute d'établissements d'enseignement supérieur en nombre suffisant, poursuivre des études après le baccalauréat signifie généralement pour les jeunes ultramarins de quitter le département pour se rendre en métropole.
4. Des inégalités de genre qui s'ajoutent aux autres facteurs discriminants
Les inégalités entre filles et garçons, en particulier en termes d'orientation scolaire et d'insertion sur le marché du travail, sont aujourd'hui très documentées. Dès le cours préparatoire, les filles ont des résultats équivalents aux garçons en mathématiques mais nettement supérieurs en français, avantage qui se maintient tout au long de leur scolarité.
Toutefois, garçons et filles s'orientent par la suite différemment. Dans les voies professionnelles et technologiques, les filières relatives aux métiers du soin sont majoritairement féminines , tandis que les garçons s'orientent vers les spécialités mécaniques ou industrielles. Dans la voie générale, les filles se trouvent davantage dans les filières de lettres et sciences humaines et les garçons dans les filières scientifiques. La DEPP souligne « qu'en fin de formation initiale, les femmes obtiennent plus souvent un diplôme de l'enseignement supérieur que les hommes. Néanmoins, elles parviennent plus difficilement à tirer profit de leur diplôme » 17 ( * ) .
Un rapport du conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) 18 ( * ) indique que 78 % des filles ont renoncé à une orientation envisagée, phénomène qui ne concerne que 64 % des garçons et qui relève d'autant plus de l'autocensure qu'elles aspirent à 15 ans davantage à des filières sélectives. Le Cnesco souligne ainsi : « on peut donc faire l'hypothèse qu'au fil du parcours elles sont plus conduites à renoncer à leur première idée » . Un quart des jeunes filles auraient renoncé à leur orientation initialement envisagée car ces études seraient trop longues (ce qui concerne 18 % des jeunes hommes), et 36 % car ces études seraient trop chères (contre 21 % des jeunes hommes).
Comme le souligne l'association Femmes et sciences 19 ( * ) , l'orientation des filles est encore aujourd'hui marquée par des stéréotypes construits dès le plus jeune âge, conduisant à délaisser les parcours scientifiques. Au sein de l'institution scolaire, l'information sur les carrières scientifiques et les modèles féminins les ayant embrassées, tout comme les actions visant à modifier les représentations donnant aux métiers une connotation masculine ou féminine, demeurent peu développées.
La récente réforme du baccalauréat, qui conduit les jeunes à s'orienter plus tôt, ne semble pas favorable, d'après les premières évaluations menées par la DEPP, à un rééquilibrage de la présence des filles dans les filières scientifiques, alors que celles-ci ouvrent de bonnes perspectives de carrières et de rémunération.
* 12 Injep, fiche repère n° 54, mars 2021.
* 13 Centre d'études et de recherches sur les qualifications, Que deviennent les jeunes des quartiers prioritaires de la ville après leur bac ? , juin 2020.
* 14 Avis du CESE, Place des jeunes dans les territoires ruraux , janvier 2017.
* 15 Les filles du coin , Yaëlle Amsellem-Mainguy, Presses de Science Po, 2021.
* 16 Rapport d'information de M. Gérard Longuet au nom de la commission des finances du Sénat, L'enseignement scolaire en outre-mer : des moyens à mieux adapter à la réalité des territoires , janvier 2021.
* 17 DEPP, Filles et garçons sur le chemin de l'égalité, de l'école à l'enseignement supérieur , 2021.
* 18 Cnesco, Comment l'école aide-t-elle les élèves à construire leur orientation ?, 2018.
* 19 Contribution écrite adressée à la rapporteure.