B. L'ACCÈS DES JEUNES ENFANTS À UN ACCUEIL DE QUALITÉ : UN ENJEU D'ÉGALITÉ DES CHANCES
Dès lors que des inégalités de développement entre enfants, porteuses de conséquences durables, peuvent se former durant les premières années en raison de l'environnement familial, la question se pose de savoir si des modes d'accueil non parentaux peuvent contribuer à limiter ou réduire ces inégalités.
Les travaux scientifiques concluent que tel peut être le cas, sous certaines conditions, notamment la qualité des modes d'accueil.
Or pour ce qui est de la France, la situation actuelle se caractérise par un accès proportionnellement plus faible à ces modes d'accueil des enfants des familles les moins favorisées.
1. Les modes d'accueil formels peuvent être particulièrement bénéfiques aux jeunes enfants des familles les moins favorisées
La question des effets des modes d'accueil des jeunes enfants sur leur développement a fait l'objet de nombreuses études, mais moins en France que dans les pays anglo-saxons. Leur analyse exige certaines précautions . En effet, la notion d'accueil du jeune enfant ne recouvre pas la même réalité selon les pays. Dans certains d'entre eux, elle englobe dans une même approche tous les enfants jusqu'à l'âge de 6 ans et leur entrée à l'école. En France, une distinction est opérée entre l'accueil du jeune enfant et l'école pré-élémentaire à partir de 3 ans, voire 2 ans dans certains cas. Or s'il paraît largement admis que la prise en charge dans une structure équivalente à l'école maternelle entre 3 et 5 ans est de nature à assurer un bon développement des enfants et à pallier les inégalités liées à l'environnement, les résultats sont moins évidents s'agissant des types d'accueil destinés aux enfants de moins de 3 ans.
Une revue de littérature récemment éditée par la Caisse nationale des allocations familiales fait le point à ce sujet 65 ( * ) . Des études internationales , on peut conclure que les enfants bénéficiant de modes d'accueil collectifs ont un plus grand développement cognitif et socio-émotionnel. Les enfants issus de milieux plus défavorisés bénéficient de façon plus conséquente des modes d'accueil collectifs . Ces effets bénéfiques et égalisateurs perdurent au moins jusqu'à l'adolescence 66 ( * ) .
En exploitant les données de l'étude PISA de 2015, l'OCDE 67 ( * ) avait quant à elle montré une corrélation positive, dans tous les pays étudiés, entre le fait d'avoir fréquenté des structures d'éducation et d'accueil du jeune enfant et les résultats scolaires à 15 ans. Cette étude englobe toutefois dans une même analyse l'école pré-élementaire et l'accueil des enfants de moins de 3 ans.
Très peu d'études ont été conduites, en France , sur l'effet des modes d'accueils formels (assistantes maternelles ou crèche).
L'une, déjà citée, exploitant les données issues du suivi de la cohorte Elfe, estime qu'en comparaison de la garde par les parents, le fait d'être accueilli en crèche ou par une assistante maternelle tend à réduire les inégalités sociales de développement langagier.
Une autre analyse, fondée sur les données de l'étude Eden 68 ( * ) , établit une corrélation entre un accueil par un mode de garde collectif pendant les trois premières années et une plus faible probabilité de rencontrer des problèmes émotionnels et relationnels au cours de l'enfance 69 ( * ) . Cette étude souligne en outre que le fait de fréquenter un établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE) est particulièrement bénéfique pour les enfants de familles défavorisées, dont les parents disposent de moins de ressources éducatives, surtout lorsque la langue employée à la maison n'est pas le français.
Enfin, l'accueil des enfants peut lever un des freins à l'emploi des parents, et notamment des mères, et réduire ainsi la pauvreté des ménages concernés. C'est d'autant plus vrai pour les familles monoparentales, qui ont moins recours aux modes de garde formels 70 ( * ) .
L'analyse attentive des travaux scientifiques confirme bien que les enfants des familles les moins favorisées sont ceux qui bénéficient le plus des effets positifs d'un mode d'accueil collectif et que celui-ci peut constituer un levier de réduction des inégalités.
Ces conclusions doivent toutefois être modulées par deux considérations.
Tout d'abord, alors que la famille demeure le premier lieu de socialisation de l'enfant, il faut rappeler que si des corrélations sont établies entre la situation des parents et le développement des enfants, elles ne constituent pas des liens de causalité et à situation familiale comparable, les enfants peuvent avoir des trajectoires de développement très différentes . De la même manière, comme l'a indiqué à la rapporteure le professeur Jaqueline Wendland, il serait illusoire de prétendre compenser un environnement familial très précarisé uniquement avec un accueil extra-familial formel de l'enfant . De ce point de vue, le soutien à la parentalité est essentiel.
Par ailleurs, toutes les études s'accordent pour souligner que les bénéfices des accueils non-parentaux pour les enfants des familles les moins favorisées sont étroitement conditionnés à la qualité des modes d'accueil formels . L'accueil, quelle que soit sa forme, n'offre en soi aucune garantie d'un apport positif pour l'enfant et sa famille.
La qualité de l'accueil s'évalue au regard de plusieurs critères, certains tenant aux activités effectuées, à la pratique des professionnels et à la stabilité de leur relation avec l'enfant, aux interactions intervenant au sein de la structure, et d'autres, qui peuvent influer sur les précédents, étant relatifs au nombre d'enfants accueillis ou à la formation des personnels.
2. Des inégalités sociales d'accès aux accueils non-parentaux
Le recours aux modes d'accueil formels est fortement lié au niveau de vie des parents, lui-même lié à leur activité. Ainsi, les enfants de familles modestes sont plus fréquemment gardés principalement par leurs parents et sont à l'inverse moins souvent accueillis en EAJE.
Il ressort ainsi de l'édition 2013 de l'enquête « Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants » de la Drees 71 ( * ) , que 88 % des enfants de moins de trois ans issus de familles modestes 72 ( * ) sont gardés principalement par leurs parents (dont six sur dix exclusivement par leurs parents).
À l'inverse, seuls 16 % des enfants de familles modestes avaient accès au moins une fois par semaine à un EAJE, contre près d'un quart de l'ensemble des jeunes enfants.
L'arbitrage financier entre revenu d'activité et coût de la garde peut jouer en faveur d'un arrêt d'activité.
Toutefois, entre 2002 et 2013, le recours aux services d'une assistance maternelle ou d'un EAJE a progressé.
L'édition 2020 de cette étude permettra de vérifier si l'amélioration constatée depuis 2002 s'est poursuivie.
La Caisse nationale des allocations familiales indique quant à elle qu'alors qu'en 2018 environ une famille avec au moins un enfant de moins de trois ans sur deux ne recourt ni à une crèche, ni à une assistante maternelle, ni à l'école préélémentaire, c'est le cas de 76 % des familles vivant sous le seuil de pauvreté, de 79 % des familles biparentales où aucun des parents n'est actif occupé et de 78 % des familles monoparentales au chômage ou inactives.
Taux de recours aux EAJE des enfants de moins de trois
ans
selon le niveau de vie du foyer
Source : CNAF, Observatoire national de la petite enfance, d'après les données de la Drees
L'offre de modes de garde formels
Selon l'observatoire de la petite enfance (Onape), piloté par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) 73 ( * ) , en 2018, l'offre totale d'accueil par des modes de garde formels 74 ( * ) n'était que de 59,3 places pour 100 enfants de moins de trois ans . Surtout, cette offre est majoritairement composée des places disponibles auprès d'assistants maternels (33,2 places pour 100 enfants), ce qui donne une image un peu surestimée de la capacité réelle d'accueil 75 ( * ) . Il convient par ailleurs de noter que la France est un le seul pays européen dans lequel l'accueil individuel est plus développé que l'accueil collectif 76 ( * ) .
L'offre en établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE) ne représentait en 2018 que 20 places pour 100 enfants 77 ( * ) , soit 460 100 places dans 12 400 établissements, dont 411 400 relevant de la prestation de service unique (PSU) 78 ( * ) .
L'intensité de l'offre en établissement est très inégale sur le territoire, le nombre de places allant selon les départements de 6,3 à 49,5 pour 100 jeunes enfants .
Si ce taux de couverture est légèrement supérieur à celui qui était observé en 2016, cette progression résulte d'une baisse de la natalité, le nombre total de places disponibles ayant dans le même temps décliné aussi.
Par ailleurs, un peu moins des deux tiers (61 %) des enfants de moins de trois ans sont gardés principalement par leurs parents 79 ( * ) .
* 65 Dossier d'étude n° 215 de la CNAF, 2020, Revue de littérature sur les politiques d'accompagnement au développement des capacités des jeunes enfants effectuée par le Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences-Po.
* 66 Présentation de Carlo Barone, directeur de l'axe Politiques éducatives au Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences-Po lors du séminaire « Premiers pas » du 15 décembre 2020.
* 67 OCDE, Petite enfance, grands défis 2017 : Les indicateurs clés de l'OCDE sur l'éducation et l'accueil des jeunes enfants . Cf. notamment le chapitre 5 : « Retombées des politiques d'éducation et d'accueil des jeunes enfants : Résultats à l'âge de 15 ans, impact sur les enfants défavorisés, sur la santé et le bien-être, et sur l'employabilité des mères ».
* 68 L'Étude sur les Déterminants pré et post natals précoces du développement psychomoteur et de la santé de l'ENfant (EDEN) est une étude épidémiologique longitudinale portant sur une cohorte de près de 1 500 enfants suivis à partir du premier trimestre de grossesse.
* 69 Cette corrélation est mise en évidence dans une étude exploitant les données de la cohorte EDEN : Gomajee R, El-Khoury F, Côté S, « Early childcare type predicts children's emotional and behavioural trajectories into middle childhood », Journal of epidemiology and community Health , 2018 ; 72:1033-1043.
* 70 Selon l'ONPE, 66 % des enfants de moins de 3 ans de parent isolé sont principalement gardé par ce parent, c'est-à-dire dans 92 % des cas la mère, et 57 % des parents isolés sont inactifs ou au chômage.
* 71 Insee, Études et résultats n° 896 octobre 2014, Modes de garde et d'accueil du jeune enfant en 2013 , Sophie Villaume, Émilie Legendre.
* 72 Premier quintile de niveau de vie.
* 73 L'accueil du jeune enfant en 2019 (édition 2020), Observatoire national de la petite enfance.
* 74 Cette offre est calculée en tenant compte du nombre d'assistants maternels agréés, du nombre de places en établissements d'accueil du jeune enfant, du nombre d'enfants effectivement gardés par un salarié à domicile et du nombre d'enfants scolarisés en école maternelle. Il convient de noter qu'une même place peut être occupée par un seul enfant.
* 75 Des personnes disposant d'un agrément peuvent ne plus souhaiter exercer cette activité ou ne souhaitent pas nécessairement accueillir autant d'enfants que leur agrément le permet. La question de la répartition géographique de ces professionnels et de l'adéquation avec le nombre d'enfants se pose également.
* 76 L'édition 2019 de l'enquête Eurydice de la commission européenne sur l'éducation et l'accueil des jeunes enfants en Europe souligne que les accueillants à domicile ne représente une part importante des modes d'accueil que dans une petite minorité de pays européens.
* 77 20,3 en France métropolitaine et 17,4 dans les départements d'outre-mer.
* 78 Les autres établissements sont notamment les crèches d'entreprise et des micro-crèches qui ne sont pas directement financées par la branche famille mais qui dont le coût est partiellement remboursé aux parents par l'intermédiaire du complément de libre choix du mode de garde (CMG).
* 79 Si ce chiffre comprend les nouveau-nés dont la mère est encore en congé maternité, il traduit un fort impact de la naissance sur les carrières professionnelles, notamment des femmes.