II. UNE RÉPONSE ÉCONOMIQUE D'AMPLEUR APPRÉCIABLE, MAIS DEVANT ENCORE GAGNER EN ADAPTATION ET EN AMBITION

A. UNE CRISE FRAPPANT DES TERRITOIRES AFFECTÉS DE FRAGILITÉS STRUCTURELLES QUI ONT EN PARTIE JOUÉ UN RÔLE AMORTISSEUR

1. Des vulnérabilités liées à des fragilités structurelles ...

Face à la crise provoquée par l'épidémie et les mesures de freinage associées, lesquelles suivaient d'autres secousses ayant affecté leur économie 27 ( * ) , les territoires ultramarins ont présenté des vulnérabilités spécifiques liées à leurs fragilités structurelles.

a) Une forte dépendance des échanges commerciaux extérieurs

Les outre-mer disposant d'une faible base industrielle, une grande partie de la consommation des ménages et des entreprises y provient des importations et une part significative des débouchés sont liés aux exportations. La rupture mondiale des chaînes d'approvisionnement a désorganisé la production internationale de biens manufacturés, diminué le flux d'importations et entraîné la fermeture des marchés de destination des entreprises ultramarines avec de faibles possibilités de se reporter sur le marché local.

Par ailleurs, les territoires ultramarins ont subi l'impact des mesures de freinage en vigueur dans l'hexagone, avec lequel se concentrent 50 à 60 % de leurs échanges, alors qu'eux-mêmes, jusqu'à l'été dernier, étaient moins touchés par l'épidémie. De ce point de vue, le faible degré d'intégration régionale est un facteur aggravant.

b) Une écrasante majorité de TPE et PME

Les outre-mer se caractérisent par une très forte proportion de TPE 28 ( * ) , souvent sous le régime de l'entrepreneur individuel, et de PME (95 % environ). 84 % des entreprises de Guadeloupe n'auraient aucun salarié, 81 % en Martinique et 65 % en Guyane 29 ( * ) .

Or ces petites entreprises sont, toutes choses égales par ailleurs, plus vulnérables aux chocs économiques, a fortiori de cette ampleur, compte tenu de leur plus faible trésorerie, de leur moindre rentabilité et des réticences des banques à leur octroyer des prêts.

Leur besoin en fonds de roulement (décalage de trésorerie entre les encaissements et les décaissements) est supérieur à celui constaté dans l'hexagone.

ÉVOLUTION DU BESOIN EN FONDS DE ROULEMENT DES PME DES DCOM
DE LA ZONE EURO ET DE L'HEXAGONE

(en jours de chiffre d'affaires)

Source : Banque de France, IEDOM, base Fiben

Pour Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'IEDOM et directrice générale de l'IEOM, « cela correspond à la nécessité, pour les entreprises ultramarines, de constituer davantage de stock. Joue également sur ce besoin en fonds de roulement le poids de la fiscalité indirecte, en particulier de l'octroi de mer 30 ( * ) ». Il s'agit donc là d'une fragilité plus importante que pour les entreprises hexagonales en cas de diminution des revenus d'activité.

Les secteurs les plus touchés par les restrictions d'activité sont en outre ceux dont le besoin en fonds de roulement (BFR) est le plus élevé et dont la trésorerie est la plus faible (hormis le tourisme, très impacté, mais dont le BFR est négatif de 10 jours de chiffre d'affaires et dont la trésorerie est supérieure à la moyenne). Mme Poussin-Delmas indiquait ainsi que « les secteurs-clés sur lesquels doit reposer la reprise en outre-mer - construction, industrie, commerce, mais aussi agriculture, sylviculture et pêche - sont clairement aujourd'hui dans une situation financière compliquée par rapport au défi que représente la reprise économique ».

NIVEAU DE TRÉSORERIE ET DE BFR PAR SECTEUR D'ACTIVITÉ

Source : IEDOM et base FIBEN.

c) Un poids important de l'économie informelle

La part de l'économie informelle dans le PIB est outre-mer beaucoup plus importante que dans l'hexagone. À titre d'exemple, elle représentait en 2015 à Mayotte les deux tiers des entreprises marchandes (soit 5 300 entreprises) et générait 9 % de la valeur ajoutée de l'ensemble des entreprises 31 ( * ) . Sans que des données aussi précises puissent être avancées, l'économie informelle est particulièrement marquée à Wallis-et-Futuna (notamment dans les secteurs de l'agriculture et de l'artisanat). En Guadeloupe, le secteur informel représenterait entre 23 et 26,5 % des emplois, entre 19 et 20 % en Martinique et de 12,5 à 16,5 % à La Réunion.

Cette situation a accru les difficultés économiques outre-mer lors de la crise. Les entreprises du secteur informel ne sont pas éligibles aux aides et sont concentrées dans les activités les plus affectées, comme le commerce de détail ou la construction. Enfin, comme l'a indiqué en audition M. Bourahima Ali Ousseni, président de la Confédération des PME de Mayotte, compte tenu de l'économie informelle, une recrudescence des violences et des vols dans les entreprises fermées a été constatée (200 cambriolages sur 45 jours, surtout dans la grande distribution).

d) Une diversification insuffisante

De manière générale, la diversification de l'économie est considérée comme de nature à mieux amortir les chocs économiques. Or les économies ultramarines reposent sur un nombre réduit de secteurs : l'agriculture, caractérisée par une grande spécialisation, le tourisme, le bâtiment, qui bénéficie de dispositifs non-négligeables de défiscalisation, le nickel en Nouvelle-Calédonie et l'industrie spatiale en Guyane.

S'agissant du tourisme , il est déterminant aux Antilles (30 % du PIB de la Guadeloupe, par exemple) ainsi qu'à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. M. Éric Leung, président de la délégation aux outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (Cese) a ainsi rappelé, lors de son audition par la mission d'information le 28 septembre 2021 : « la filière touristique de l'île de La Réunion, dont le chiffre d'affaires annuel s'établit normalement à 1,7 milliard d'euros, a perdu l'année dernière plus de 770 millions d'euros, soit 50 %. Et je rappelle que le tourisme représente 9 % du PIB de notre territoire » ;

e) Des délais de paiement des collectivités locales et des établissements hospitaliers anormalement longs

Outre-mer, en 2018, les délais de paiement des services de l'État étaient en moyenne de 20,8 jours, mais ils atteignent 66,5 jours pour le secteur public local et hospitalier (pour des délais règlementaires respectifs de 30 jours et de 50 jours) 32 ( * ) .

Selon une étude plus récente transmise par l'IEDOM-IEOM à la mission d'information en septembre 2021, ils atteindraient près de 100 jours pour les établissements publics de santé des départements et collectivités d'outre-mer.

ÉVOLUTION DES DÉLAIS DE PAIEMENT DU SECTEUR PUBLIC

(en jours)

Source : DGFiP, rapport IEDOM.

ÉVOLUTION DES DÉLAIS DE PAIEMENT DES COLLECTIVITÉS LOCALES ET HOSPITALIÈRES DANS LES DCOM DE LA ZONE EURO

(en jours)

Source : DGFiP, document transmis par l'IEDOM-IEOM.

De tels délais engendrent de réelles contraintes sur la trésorerie des entreprises, notamment celles du secteur de la construction, où il atteint 123 jours, des services aux entreprises (94 jours) et des transports (92 jours).

Ces différentes fragilités structurelles, particulièrement mises en évidence en 2020 à l'apogée de la crise, ne se sont pas résorbées depuis, alors que la vague épidémique survenue mi-2021 a contraint les pouvoirs publics à de nouvelles mesures de restriction d'activité.

2. ... dont certaines ont paradoxalement permis d'atténuer légèrement l'importance du choc économique

Certaines spécificités de l'économie ultramarine ont cependant permis d'amortir l'impact de la crise économique.

La part du secteur non-marchand, plus élevée dans ces territoires qu'en métropole, atténue leur vulnérabilité aux chocs économiques 33 ( * ) . Il représente 54 % de la valeur ajoutée à Mayotte, entre 33 et 37 % dans les autres DROM et en Polynésie française et 24 % en Nouvelle-Calédonie, contre 22 % en moyenne pour la France entière.

Le graphique ci-dessous illustre la corrélation entre la part du secteur non marchand et la baisse d'activité au cours de l'année 2020.

VARIATION DE L'ACTIVITÉ PENDANT LE PREMIER CONFINEMENT

ET POIDS DU SECTEUR NON MARCHAND DANS LES OUTRE-MER

Source : CEROM, mars 2021, Les conséquences économiques de la crise sanitaire dans les Outre-mer.

À ce facteur s'ajoute, pour La Réunion, une moindre dépendance aux exportations. Lorsque les marchés de destination se sont fermés, l'impact sur la chute du PIB y a donc été moins fort que pour les autres territoires ultramarins.

La combinaison de ces différents éléments, ainsi qu'une durée de confinement plus courte pour les territoires du Pacifique, s'est traduit outre-mer par un recul d'activité moins fort qu'en métropole lors du premier confinement de 2020.

VARIATION D'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

PAR RAPPORT À UNE SITUATION NORMALE, EN %,

LORS DU PREMIER CONFINEMENT

Source : CEROM - « Les conséquences économiques de la crise sanitaire dans les Outre-mer », page 4.


* 27 L'ouragan Irma aux Antilles en 2017, qui selon l'institut allemand Cedim aurait engendré des coûts de reconstruction de 10 milliards de dollars pour la Caraïbe, dont 1,5 milliard de dollars pour Saint-Martin et 780 millions d'euros pour Saint-Barthélemy ; les conflits sociaux en Guyane ; la hausse de l'insécurité à Mayotte.

* 28 Selon Chérifa Linossier, présidente de la CGPME de Nouvelle-Calédonie et vice-présidente de la Représentation patronale du Pacifique Sud : « le tissu économique de ces pays est tel, qu'en Nouvelle-Calédonie, il a fallu redéfinir les critères de définition des entreprises. Ainsi, si les TPE restent les entreprises de moins de 10 salariés, les entreprises considérées comme PME sont, en Nouvelle-Calédonie, des entreprises salariant entre 10 et 99 personnes, alors qu'en France, la définition de PME inclut des entreprises jusqu'à 250 salariés. Ainsi, on notera qu'en Nouvelle-Calédonie, sur les 56 032 entreprises existantes au 1 er janvier 2014, 54 735 sont des TPE de moins de 10 salariés dont 49 425 d'entre elles sont des entreprises individuelles » (table-ronde au Sénat - 2014).

* 29 Selon Mme Carine Sinaï-Bossou, présidente de la chambre de commerce et d'industrie de la Guyane, entendue en audition par la mission d'information.

* 30 Table-ronde organisée par la mission d'information le 28 septembre 2021.

* 31 Insee, « De nombreuses entreprises informelles pour peu de richesse créée. Enquête sur les entreprises mahoraises en 2015 », février 2018.

* 32 IEDOM, Rapport annuel, « Délais de paiement pratiqués par les entreprises et les organismes publics des départements d'outre-mer », août 2019.

* 33 Dans les comptes nationaux, l'intégration du secteur non marchand s'effectue sur la base de la valorisation de ses coûts de production, principalement salariaux.

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