D. DOTER LES OUTRE-MER DE CAPACITÉS SANITAIRES PLUS ROBUSTES À COURT ET À MOYEN TERME

1. Une mobilisation pour la vaccination à accentuer et à cibler

La vaccination doit demeurer une priorité absolue , tant pour prémunir les territoires ultramarins des impacts d'une probable cinquième vague que pour permettre le retour à une vie économique et sociale normale.

Il s'agit à la fois de toucher les catégories de population les plus à l'écart de la vaccination et de tenir compte des facteurs auxquels s'est heurtée la campagne vaccinale, particulièrement aux Antilles et en Guyane . Dans ces territoires, la communication doit être beaucoup plus adaptée à l'état d'esprit et aux préoccupations de la population. Des efforts et des moyens spécifiques doivent être consacrés à des actions « sur-mesure » pour améliorer la couverture vaccinale.

D'une manière générale, il est souhaitable que les autorités locales disposent de la latitude nécessaire et des moyens pour conduire, notamment en matière de vaccination, des actions adaptées au contexte de chaque collectivité .

Proposition : accentuer les actions de communication pour répondre aux informations erronées diffusées sur l'épidémie et la vaccination en valorisant sous une forme accessible au grand public les données issues de l'expertise scientifique.

Proposition : constituer à l'échelle de chaque territoire un réseau de relais pour une communication de proximité sur la vaccination, adaptée aux préoccupations de la population, à travers les élus locaux et les milieux professionnels, associatifs, culturels et sportifs.

Proposition : mettre en place une communication spécifique en direction des jeunes, par exemple en s'appuyant sur les volontaires du service civique.

Proposition : dans les territoires où les taux de vaccination sont les plus faibles, dégager des ressources humaines dédiées à l'écoute et au dialogue afin de répondre aux interrogations de la population vis-à-vis de la vaccination.

Proposition : afin d'améliorer les résultats des opérations de vaccination de proximité, les préparer par des actions d'information préalable s'appuyant sur des relais locaux, notamment les élus.

Proposition : mener des actions spécifiques en direction des personnes présentant les risques de formes sévères les plus élevés : personnes en surpoids, diabétiques, insuffisants rénaux, hypertendus.

Proposition : renforcer l'implication des médecins et pharmaciens dans la vaccination

2. Des situations de crise à mieux anticiper

Selon les informations recueillies par la mission d'information auprès du ministère des solidarités et de la santé, plusieurs dispositions ont été prises en vue d'améliorer les capacités des territoires ultramarins à faire face à une nouvelle crise sanitaire.

Les stocks de matériels médicaux ont été renforcés, avec l'intégration du matériel acheminé l'été dernier. Les plans de montée en puissance des établissements de santé ont généralement été adaptés à la lumière des constats effectués lors de la crise. Un nouveau prestataire a été retenu pour l'acheminement des renforts en personnel et des matériels et pour l'organisation des opérations d'évacuation sanitaire, afin d'en assurer une plus grande réactivité. Deux concentrateurs d'oxygène ont été acquis pour la zone Antilles, en vue de doter ces territoires d'une autonomie complète en cas de situation sanitaire exceptionnelle.

Proposition : dans l'immédiat, tant que subsistent une situation sanitaire incertaine et un important retard dans la prise en charge des pathologies autres que le covid, maintenir autant que possible les renforts nationaux venant en appui des établissements hospitaliers ultramarins.

Proposition : au vu des plans de montée en puissance des établissements de santé, anticiper les besoins et mieux organiser et mobiliser la réserve sanitaire afin d'assurer une plus grande réactivité en cas de cinquième vague, notamment aux Antilles et en Guyane compte tenu du moindre niveau de protection des populations de ces territoires.

Proposition : fournir un appui technique aux professionnels de santé des territoires ultramarins afin d'effectuer un retour d'expérience approfondi sur la crise sanitaire de l'été 2021, identifier les lacunes ou points d'amélioration et consolider les plans de préparation aux crises.

Proposition : veiller particulièrement, dans les plans de préparation aux crises, à renforcer la coordination entre autorités sanitaires, établissements hospitaliers et professionnels libéraux.

Proposition : veiller au renforcement de l'autonomie des territoires en constituant des stocks suffisants d'équipements, de matériels et de produits de santé et en garantissant une capacité locale de production d'oxygène.

Proposition : explorer les possibilités de coopération régionale de nature à offrir, en cas de crise, une alternative au recours à des renforts nationaux ou à des évacuations sanitaires vers l'hexagone.

3. Des infrastructures hospitalières à rehausser, notamment aux Antilles

L'offre de soins hospitaliers outre-mer apparaît assez contrastée. « La Guadeloupe et la Martinique ont une capacité d'accueil et une activité d'hospitalisation complète comparable à celles de la métropole. En Guyane, à La Réunion et plus encore à Mayotte, les capacités d'accueil, rapportées à la population, sont nettement moins élevées et moins variées. Pour l'hospitalisation partielle, la Guadeloupe, ainsi que La Réunion se rapprochent de la métropole. ... En nombre de lits de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (MCO) pour 100 000 habitants, la Guadeloupe est le DROM qui se rapproche le plus de la métropole en 2019 (- 10 % d'écart), suivi par la Guyane et la Martinique (- 16 %) et La Réunion (- 18 %). Pour Mayotte, l'écart reste toujours nettement plus important (- 55 %) » 22 ( * ) .

Selon la même source, « les DROM hors Guyane ont connu les plus grandes évolutions de leur densité de lits en réanimation entre 2013 et 2019, leur permettant d'atteindre un niveau similaire à celui de la métropole : la densité de lits de réanimation progresse ainsi très fortement en Martinique (+ 71 %), à La Réunion (+ 30 %, malgré une augmentation de la population de 3%) et en Guadeloupe (+ 24%). À l'inverse, la densité de lits en réanimation pour 100 000 habitants en Guyane a reculé de 20 % entre 2013 et 2019, reflétant la hausse de la population sur cette période ». Mayotte, où les données relatives à l'évolution 2013-2019 ne sont pas disponibles, et la Guyane sont les régions françaises pour lesquelles la densité en lits de réanimation est la plus faible. Pour sa part, la densité de lits en soins critiques « progresse le plus fortement dans les DROM entre 2013 et 2019 : Martinique (+ 58 %), Guadeloupe (+ 32 %), La Réunion (+ 30 %) et Guyane (+ 15 %) », même si elle reste notablement inférieure à la moyenne nationale à Mayotte, en Guyane et en Guadeloupe.

S'agissant des infrastructures hospitalières elles-mêmes, la Nouvelle-Calédonie dispose d'un hôpital très récent et bien dimensionné. C'est aussi le cas en Polynésie française, avec un hôpital achevé il y a une dizaine d'années qui pourrait sans doute faire l'objet d'aménagements complémentaires pour accroître les surfaces de stockage et les capacités d'accueil des patients nécessaires en cas de crise. Dans ces deux territoires, la santé relève de la compétence des territoires. Si les équipements hospitaliers sont à niveau, leur fonctionnement est assuré par des organismes d'assurance maladie qui sont confrontés à des déficits 23 ( * ) , l'organisation et le coût des évacuations sanitaires inter-îles soulevant également des difficultés particulières en Polynésie française. L'État accorde à cette dernière un soutien financier en matière de santé dans le cadre d'une convention qui a été renouvelée le 14 octobre dernier pour la période 2021-2023. Cette contribution de l'État s'inscrit dans la limite d'une moyenne annuelle de 13,19 millions d'euros.

L'équipement est en revanche vieillissant et mérite d'être modernisé aux Antilles. Le chantier du nouveau CHU de Pointe-à-Pitre, engagé après l'incendie survenu en 2017, devrait être achevé fin 2023.

En Guyane, le plan santé annoncé par le Gouvernement en mars dernier prévoit la création d'un CHU à l'horizon 2025, le renforcement des 17 centres délocalisés de prévention santé (CDPS), la transformation d'ici 2022 de trois d'entre eux 24 ( * ) en hôpitaux de proximité aménagés, le doublement des capacités d'hospitalisation en soins critiques d'ici 2024.

À Mayotte, la décision de construire un second site hospitalier, nécessaire en raison de l'augmentation rapide de la population, a été annoncée en 2019, mais cette réalisation n'est pas prévue avant la fin de la décennie.

Les outre-mer représentent une part significative du plan d'investissement prévu dans le cadre du « Ségur de la santé » - plus d'1 milliard d'euros sur un total de 14,5 milliards - et plus encore de son volet « projets », soit plus de 700 millions d'euros sur un total de 6,5 milliards. En outre, ces montants n'incluent pas les 580 millions d'euros destinés à la construction du CHU Guadeloupe, entièrement financée par l'État.

Le tableau ci-après retrace les montants prévus, qui se décomposent en subventions destinées à améliorer la trésorerie des établissements et à les désendetter, en financements de projets et en dotations pour des investissements courants.

Répartition du plan d'investissement en santé (volet sanitaire)

(en millions d'euros)

Restauration capacités financières

Projets

Investissements courants

Total

Guadeloupe

46

98*

10

154*

Martinique

75

364

9

448

Guyane

33

99

6

138

La Réunion

122

110

20

252

Mayotte

26

33

6

65

St-Pierre-et-Miq.

0,1

5,3

0,1

5,5

Total

302,1

709,3

51,1

1 062,5

* hors financement par l'État, à hauteur de 580 millions d'euros, de la construction du CHU de Pointe-à-Pitre.

Un effort de rattrapage est donc engagé, mais ses effets ne seront pas immédiats.

Aux yeux de la mission d'information, l'insularité ou l'isolement et l'éloignement des territoires ultramarins , qui les privent de possibilités géographiques alternatives de prise en charge, justifient un dimensionnement de l'offre de soins au moins équivalent à celui de l'hexagone .

Il est donc important que les moyens en investissement prévus à la suite du Ségur de la santé soient rapidement engagés sur les projets les plus pertinents.

Par ailleurs, à la lumière de la crise épidémique, une attention particulière mérite d'être apportée aux capacités en soins critiques pour lesquelles les effets de l'isolement et de l'éloignement sont plus sensibles. On ne peut envisager, en la matière, un simple retour au niveau d'avant-crise.

Proposition : engager rapidement sur les projets les plus pertinents les moyens en investissement prévus outre-mer à la suite du Ségur de la santé.

Proposition : maintenir dans les territoires ultramarins une capacité en soins critique supérieure à celle dont ils disposaient avant la crise épidémique de l'été 2021.

Proposition : mettre à l'étude la mise en place d'une capacité de réanimation au centre hospitalier de Saint-Martin compte tenu des difficultés rencontrées en matière d'évacuations sanitaires lors de la dernière crise épidémique.

4. Une attractivité médicale à renforcer

Selon les données publiées par le Conseil national de l'ordre des médecins, la densité en médecins généralistes s'est renforcée entre 2012 et 2021 en Martinique, en Guadeloupe en Guyane et à La Réunion, alors qu'elle a régressé en moyenne nationale, et dans ces mêmes départements, la densité en médecins spécialistes a davantage progressé qu'en moyenne nationale.

Pour autant, « à l'échelle régionale, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe sont les régions les plus touchées par la sous-densité médicale .... La situation est particulièrement dégradée en Guyane, dont la part de population vivant en zone sous-dense en 2018 s'élève à 44,2 %. La situation s'améliore légèrement en Martinique et en Guadeloupe, seules régions où la part de population résidant en zone sous-dense recule sensiblement durant la période » 25 ( * ) . Dans ces deux régions, environ 18 % de la population vit cependant en zone sous-dense en médecins généralistes, contre 5,7 % pour la France entière.

Un dispositif d'autorisation d'exercice dérogatoire au droit commun a récemment été instauré pour faciliter le recrutement de praticiens étrangers dans certains territoires d'outre-mer 26 ( * ) . Entre 2020 et 2021, plus de 700 postes de praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) y ont été ouverts et, selon les informations communiquées à la mission d'information par le ministère des solidarités et de la santé, la quasi-totalité des postes ont été pourvus.

La délégation de la mission d'information a cependant constaté lors de son déplacement aux Antilles le risque d'effritement de la ressource médicale, notamment en milieu hospitalier , compte tenu du contexte éprouvant traversé lors de la crise épidémique et des fortes tensions sociales qui se sont manifestées. Un nombre important de souhaits de départ vers l'hexagone ont été exprimés.

Par ailleurs, la mise en oeuvre des nouvelles dispositions législatives sur l'intérim médical, bien que reportée, et la suppression prévue en 2022 du statut de clinicien hospitalier, alors que les conditions du nouveau statut unique de praticien contractuel remplaçant les trois formules actuelles de contrat ne sont pas encore définitivement connues, créent une incertitude sur la pérennité de la présence d'un certain nombre de personnels médicaux dans les établissements.

Proposition : élaborer une stratégie et des mesures spécifiques pour renforcer l'attractivité de l'exercice médical outre-mer.

Proposition : veiller, dans les territoires ultramarins, à assurer une transition adaptée pour la mise en oeuvre du nouveau cadre d'exercice de l'intérim médical et du nouveau statut unique de praticien contractuel destiné à remplacer les statuts contractuels actuel et le statut de clinicien hospitalier.


* 22 Les établissements de santé - édition 2021 - DREES

* 23 Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs (Cafat) en Nouvelle-Calédonie ; caisse de prévoyance sociale (CPS) en Polynésie française.

* 24 Maripasoula, Grand Santi et Saint-Georges de l'Oyapock

* 25 DREES Études et résultats - février 2020 n° 1144

* 26 Article 71 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé et décret n° 2020-377 du 31 mars 2020 pris pour son application.

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