Rapport d'information n° 771 (2021-2022) de M. Bernard BONNE et Mme Michelle MEUNIER , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 12 juillet 2022

Disponible au format PDF (2,5 Moctets)

Synthèse du rapport (427 Koctets)


N° 771

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le contrôle des EHPAD ,

Par M. Bernard BONNE et Mme Michelle MEUNIER,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Daphné Ract-Madoux, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel .

LISTE DES PROPOSITIONS

Proposition n° 1

Étendre la campagne de contrôle annoncée par le Gouvernement aux sièges des groupes privés lucratifs multi-gestionnaires d'Ehpad.

Proposition n° 2

Conclure une convention pluriannuelle d'objectifs entre la CNSA et chaque groupe privé lucratif multi-gestionnaires d'Ehpad.

Proposition n° 3

Fixer un taux maximum de prélèvement au titre des frais de siège.

Proposition n° 4

Clarifier les règles d'imputation des dépenses de personnel entre les différentes sections tarifaires.

Proposition n° 5

Clarifier la réglementation et les attentes des autorités de tarification et de contrôle sur les imputations budgétaires et l'usage des excédents par les gestionnaires d'Ehpad.

Proposition n° 6

Plafonner le montant des crédits pouvant être mis en réserve.

Proposition n° 7

Étendre la compétence de contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes au volet hébergement des établissements et services médico-sociaux.

Proposition n° 8

Définir les actions préalables au prononcé de sanctions financières.

Proposition n° 9

Compléter la procédure de récupération des sommes utilisées à des fins autres que celles prévues par les textes.

Proposition n° 10

Attribuer des moyens supplémentaires aux autorités de tarification et de contrôle pour accroitre le nombre de missions d'inspections-contrôles dans le secteur médico-social.

Proposition n° 11

Créer un comité d'animation des contrôles au niveau national réunissant les directions d'administrations centrales et les caisses de sécurité sociale concernées, le défenseur des droits, afin de définir des orientations nationales et donner des impulsions aux réseaux déconcentrés.

Proposition n° 12

Décliner le comité d'animation des contrôles au niveau départemental, avec un représentant du conseil départemental, afin de coordonner les actions.

Proposition n° 13

Donner un droit d'opposition élargi aux autorités de tarification et de contrôle sur les transferts d'autorisation (et notamment en cas de vente).

Proposition n° 14

Prévoir le versement d'une redevance pour les Ehpad commerciaux (ou pour le rachat par une société commerciale).

Proposition n° 15

Encadrer l'évolution de l'offre privée lucrative par rapport à l'offre globale d'un département.

Proposition n° 16

Supprimer les dispositifs de défiscalisation pour les investissements immobiliers en Ehpad (ou les soumettre à des règles plus protectrices des petits épargnants et plus contraignantes sur l'entretien du bâti).

Proposition n° 17

Donner aux acteurs publics et privés non lucratif la possibilité de s'appuyer sur des professionnels pour les accompagner dans la gestion du patrimoine immobilier des Ehpad (foncières solidaires, OPHLM).

Proposition n° 18

Ouvrir les CVS à des personnes extérieures à l'établissement, telles des associations d'usagers agréées sur le modèle du secteur sanitaire.

Proposition n° 19

Créer un conseil national consultatif des personnes âgées.

Proposition n° 20

Prévoir une convention entre le conseil national consultatif des personnes âgées nouvellement créé et le comité d'animation des contrôles ( cf . proposition n°5).

Proposition n° 21

Créer une conférence territoriale des personnes âgées.

Proposition n° 22

Se doter rapidement d'outils fonctionnels de signalement des événements indésirables graves en Ehpad.

Proposition n° 23

Imposer une obligation de réponse sur la suite donnée aux signalements de maltraitance adressée par les familles aux autorités tarificatrices et de contrôle.

Proposition n° 24

Examiner une loi grand âge visant à structurer un service public de la prise en charge de la perte d'autonomie répondant aux besoins et aux souhaits de la population.

LISTE DES SIGLES

___________

ABM

Agence de la biomédecine

ADF

Association des départements de France

AFP

Agence France-Presse

AJ

Accueil de jour

AMP

Aide médico-psychologique

ANAP

Agence nationale d'appui à la performance

ANCT

Agence nationale de cohésion des territoires

Anesm

Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux

Anses

Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail

ANSM

Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

APA

Allocation personnalisée d'autonomie

ARS

Agence régionale de santé

AS

Assistant social

ASN

Autorité de sûreté nucléaire

ASV

Adaptation de la société au vieillissement

BAFA

Brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur

CASF

Code de l'action sociale et des familles

CCAS

Centre communal d'action sociale

CD

Conseil départemental

CEP

Conseil en évolution professionnelle

CEPS

Comité économique des produits de santé

CNCPH

Conseil national consultatif des personnes handicapées

Cnefop

Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle

Cnesms

Conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale

CNPIC

Commission nationale de programmation des inspections-contrôle

CNSA

Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie

Codaf

Comité opérationnel départemental anti-fraude

Coderpa

Comité départemental des retraités et personnes âgées

Cofrac

Comité français d'accréditation

Copanef

Comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation

CPF

Compte personnel de formation

CPOM

Contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens

CRDS

Contribution pour le remboursement de la dette sociale

CROSMS

Comité régional de l'organisation sanitaire et médico-sociale

CVS

Conseil de vie sociale

DASRI

Déchets d'activités de soins à risque infectieux

DD

Direction départementale

DDARS

Délégation départementale de l'agence régionale de santé

DDETSPP

Direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations

DDFIP

Direction départementale des finances publiques

DDPP

Direction départementale de la protection des populations

DEAES

Diplôme d'État d'accompagnant éducatif et social

DG

Directeur général

DGCCRF

Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

DGCS

Direction générale de la cohésion sociale

DGOS

Direction générale de l'offre de soins

Drees

Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques

Drems

Direction des établissements et des services médico-sociaux

DSDEN

Direction des services départementaux de l'Éducation nationale

EDEC

Engagement pour le développement de l'emploi et des compétences

Ehpad

Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes

EPRD

État prévisionnel des recettes et des dépenses

ERRD

État réalisé des recettes et des dépenses

ESMS

Établissements et services médico-sociaux

ETP

Équivalent temps plein

FHF

Fédération hospitalière de France

FPSPP

Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels

GIR

Abréviation d'AGGIR : Autonomie gérontologie groupes iso-ressources

GMP

GIR moyen pondéré

HAD

Hospitalisation à domicile

HAPI

Harmonisation et partage d'information

HAS

Haute autorité de santé

HPST

Hôpital, patients, santé, territoire

HT

Hébergement temporaire

IDE

Infirmier diplômé d'État

IGAS

Inspection générale des affaires sociales

IGF

Inspection générale des finances

LFSS

Loi de financement de la sécurité sociale

Livia

Lieux de vie et autonomie

LMNP

Location meublée non professionnelle

LMP

Location meublée professionnelle

MPIC

Mission permanente d'inspection-contrôle

NPEC

Niveau de prise en charge

ONIC

Orientation nationale d'inspection-contrôle

OPCO

Opérateurs de compétences

ORICE

Orientation régionale d'inspection-contrôle

PASA

Pôle d'activités et de soins adaptés

PCD

Président du conseil départemental

PDA

Préparation des doses à administrer

PDC

Plan de développement des compétences

PDG

Président-directeur général

PECM

Prise en charge médicamenteuse

PGFP

Plan global de financement pluriannuel

PIC

Plan d'investissement dans les compétences

PMP

Projet médical partagé

PPI

Plan particulier d'intervention

PRIAC

Programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie

PRIC

Plan d'investissement dans les compétences

PRS

Projet régional de santé

PTP

Projet de transition professionnelle

PUV

Petites unités de vie

RFA

Remise de fin d'année

RIA

Relevé infra-annuel

RNCP

Répertoire national des certifications professionnelles

RS

Répertoire spécifique

SDAASaP

Schéma départemental d'amélioration de l'accessibilité des services au public

SGMAS

Secrétariat général des ministères des affaires sociales

SRS

Schéma régional de santé

SSR

Soins de suite et de réadaptation

UHR

Unité d'hébergement renforcée

USLD

Unité de soins longue durée

VAE

Validation des acquis de l'expérience

AVANT-PROPOS

Affaire, bombe, déflagration, onde de choc, pavé dans la mare, point de non-retour, scandale, chacun choisira l'expression, les mots, qui lui permettent de nommer les révélations contenues dans l'ouvrage de Victor Castanet 1 ( * ) , et la dénonciation de certains comportements, mais tous s'accorderont pour souligner l'importance de ce livre et la cascade de commentaires et réactions qu'il a provoqués.

L'émotion légitime suscitée par la publication de cet ouvrage a déclenché une réponse institutionnelle. Le Gouvernement a commandé une enquête sur les faits allégués à l'inspection générale des affaires sociales et à l'inspection générale des finances. La commission des affaires sociales du Sénat a décidé de mettre en place une mission d'information dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête.

Cette commission d'enquête s'inscrit dans un travail d'analyse des politiques de soutien à l'autonomie poursuivi par la commission des affaires sociales du Sénat depuis plusieurs années.

Les travaux de la commission d'enquête ont dû trouver leur voie entre les missions d'inspection commandées par le Gouvernement et dont le résultat a été rendu public fin mars, d'éventuelles suites judiciaires à ces travaux, ou aux révélations de M. Victor Castanet, et les travaux (auditions et rapports flashs) de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. L'enquête sur la prise en charge médicale dans les Ehpad réalisée par la Cour des comptes, à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, présentée le 23 février 2022 a constitué la première étape du travail de la commission d'enquête.

Dans un registre différent, ce rapport de la Cour des comptes raconte une histoire moins passionnée mais proche du tableau que dresse Victor Castanet de la situation des Ehpad : dégradation de l'état de santé des résidents, niveau d'encadrement insuffisant tant pour le personnel soignant que non soignant, défaut d'attractivité des métiers du grand âge et leur cortège d'effets sur la prise en charge des résidents, flux financiers insuffisamment encadrés, pilotage stratégique insuffisant.

Ces travaux font apparaître les lacunes du contrôle : tant dans leur fréquence, un contrôle tous les 30 ans selon la Cour des comptes que dans leur ciblage. En effet, la priorité accordée aux contrôles portant sur la maltraitance des résidents, si elle est justifiée, a pour effet de reléguer au second plan le contrôle exercé sur les groupes assurant la gestion de plusieurs établissements et sur l'utilisation des fonds publics (section soins et dépendance) et privés (section hébergement).

Aussi la commission d'enquête a-t-elle fait le choix de se placer dans une perspective plus large que l'affaire Orpea pour se consacrer, comme l'enquête de la Cour des comptes l'y engage, à une réflexion plus large et plus approfondie sur les modalités de contrôle et plus largement sur l'exercice de la tutelle afin de contribuer à la détermination des évolutions législatives et réglementaires à mener sur ces points.

Cette contribution s'inscrit dans la continuité du travail d'analyse entamé par la commission depuis plusieurs années, en outre elle ne sera pas limitée par le déclenchement éventuel de poursuites judiciaires.

Ce positionnement permet à la fois de se saisir de problèmes qui connaissent une brûlante actualité (contrôle des groupes et du forfait hébergement) et d'en aborder d'autres qui nécessitent un traitement approfondi comme le déploiement d'une approche pilotée par la qualité, qu'il s'agisse de financements, de management , de formation initiale ou continue.

Ces thèmes, et plus largement celui de l'exercice de la tutelle (voir les critiques formulée par la Cour des comptes sur l'utilisation de contrats d'objectifs pluriannuels ou CPOM) constituent le coeur des travaux de la commission d'enquête.

Une fenêtre d'opportunité s'est ouverte pour venir en soutien des personnels qui prennent en charge les résidents (recrutement, formation, attractivité), répondre aux enjeux de la transition démographique (vieillissement de la population, développement de solutions hybrides de prise en charge), combler les lacunes de la réglementation et examiner, enfin, une loi grand âge attendue depuis trop longtemps.

RAPPORT

PREMIÈRE PARTIE : L'AFFAIRE ORPEA RÉVÈLE LES LACUNES DU CONTRÔLE DU SECTEUR DU GRAND ÂGE

L'affaire Orpea est survenue alors que la question de l'hébergement des personnes âgées était dominée par deux questions.

La première était celle de la crise sanitaire et ses conséquences sur le fonctionnement des Ehpad et la prise en charge de leurs résidents.

La seconde, la promesse d'une loi grand âge annoncée, une nouvelle fois, en 2018. La loi grand âge est un questionnement qui s'inscrit dans le temps long. Sans remonter jusqu'aux travaux de la commission présidée par Pierre Laroque en 1962 2 ( * ) , elle a été évoquée au moins lors des trois derniers quinquennats, sans aboutir.

Des travaux préparatoires conséquents ont pourtant été menés à la fin des années 2010 comme le rapport Libault (concertation grand âge et autonomie, mars 2019) dont le sous-titre était « grand âge, le temps d'agir » ou encore le rapport El Khomri (plan de mobilisation nationale en faveur de l'attractivité des métiers du grand âge, octobre 2019).

Bien qu'annoncé à plusieurs reprises, ce projet de loi grand âge n'a pas vu le jour, et, comme sous les quinquennats précédents, s'y sont substituées des mesures incrémentales dont la portée symbolique est forte telle que la création de la cinquième branche de la sécurité sociale dans la LFSS 2021.

Durant cette période, la commission des affaires sociales du Sénat avait poursuivi son travail d'analyse du secteur de l'autonomie et publié plusieurs rapports visant à améliorer la prise en charge des personnes âgées.

Un rapide retour sur ces rapports permet de constater que les difficultés structurelles du secteur étaient déjà pointées, notamment la crise profonde que traverse le modèle de ressources humaines en Ehpad. Pour apporter des réponses à cette dernière, la commission 3 ( * ) recommandait une refonte des missions des différents personnels travaillant en Ehpad, notamment celles du médecin coordonnateur, ainsi qu'une redéfinition de l'organisation du travail, davantage tournée vers l'aménagement du temps de travail et l'appropriation de dispositifs innovants.

La commission s'était également penchée de façon approfondie sur la question du reste à charge des résidents 4 ( * ) et sur le bien vieillir chez soi 5 ( * ) . Dans ce dernier rapport, la commission des affaires sociales du Sénat soulignait que la prévention de la perte d'autonomie restait l'angle mort des politiques du grand âge, et les actions de prévention, menées en ordre dispersé, privilégiaient pour l'heure le repérage de la fragilité. Elle plaidait pour ne pas oublier les actions plus larges de prévention primaire et l'objectif de permettre à chacun de vieillir comme il l'entend, c'est-à-dire, pour la plupart, à domicile.

La publication de l'ouvrage de Victor Castanet est venue bousculer ces débats et a immédiatement soulevé la question de l'efficacité et de l'efficience des contrôles menés dans les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (Ehpad). Cette question était légitime tant les résidents sont des personnes vulnérables et tant les révélations du livre semblaient pointer une défaillance des contrôles dont la charge revient aux autorités publiques, et principalement à celles en charge de la tarification.

La commission des affaires sociales du Sénat a ainsi choisi de concentrer ses travaux sur le « contrôle du contrôle » tant le sujet paraissait central. L'objectif de la commission est de s'assurer que le corpus réglementaire, les orientations nationales et les moyens alloués sont bien en adéquation avec les problématiques du secteur et l'objectif d'une prise en charge de qualité.

Dès le début de leurs travaux, les rapporteurs ont d'ailleurs reçu les représentants des autorités de tarification et de contrôle avec l'audition du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé, de l'association des départements de France (ADF) ainsi que de la directrice générale de l'ARS Île-de-France afin de disposer d'une première réponse sur la situation décrite par l'ouvrage de Victor Castanet avant de recevoir les représentants de l'ensemble des acteurs du système.

Au cours des 15 dernières années, la question des contrôles s'est focalisée sur la question de l'accueil des résidents et du contrôle de la maltraitance. L'État a cherché à développer des outils de signalements de ces cas de maltraitance qui ont constitué la préoccupation centrale des contrôleurs. En conséquence, le choix a été fait de donner la priorité aux contrôles des établissements, ce qui répond à la préoccupation d'une prise en charge de qualité des résidents.

Ce choix stratégique n'a pas été mis à jour alors que plusieurs éléments sont venus modifier l'environnement du secteur. Tout d'abord, des réformes législatives et réglementaires sont venues assouplir les obligations pesant sur les établissements, notamment sur les établissements privés lucratifs. Sur le plan juridique, gestionnaire et comptable, ces réformes sont allées dans le sens d'un assouplissement des règles. Cet assouplissement correspond à des préoccupations portées par les acteurs du système. Elles répondent à des demandes de simplification des procédures, de fongibilité des enveloppes budgétaires. Elles s'inscrivent dans le constat qu'avaient fait nos collègues Alain Milon et Jacky Le Menn dans leur rapport 6 ( * ) sur la mise en place des agences régionales de santé (ARS). Au moment de la création des ARS, les établissements sanitaires plaidaient pour une relation ARS établissements qui s'inscrive dans une logique d'accompagnement plus que de contrôle. Cette logique d'accompagnement et de simplification est sous-tendue par le souhait de donner une capacité d'action supplémentaire aux établissements de favoriser le développement d'une offre riche, adaptée et qui prenne en compte les besoins de personnes âgées.

La loi ASV 7 ( * ) a porté cette logique de responsabilisation des acteurs et d'accompagnement par les tutelles dans le secteur de l'hébergement des personnes âgées. Ces choix de pilotage du secteur auraient dû s'accompagner d'une réflexion sur les modalités de l'exercice du contrôle dans ce nouvel environnement réglementaire et budgétaire.

Ensuite, le profil des acteurs intervenant dans le secteur a changé. Or, l'arrivée de grands groupes privés lucratifs, gestionnaires de plusieurs établissements ne semble pas avoir déclenché de réflexion spécifique sur les conséquences en matière d'exercice de la tutelle et du contrôle.

In fine , ressort le caractère lacunaire, voire défaillant, des contrôles menés au cours des dernières années, situation qui s'explique par des choix de stratégies de contrôle, des problématiques réglementaires et budgétaires pas toujours en adéquation avec les besoins et les évolutions du secteur.

I. LES RÉPONSES PARCELLAIRES APPORTÉES PAR LE GOUVERNEMENT À L'AFFAIRE ORPEA

La première réponse du Gouvernement aux révélations du livre de Victor Castanet a été rapide. Dès le lendemain de la publication des bonnes feuilles du livre dans un quotidien du soir, la ministre déléguée chargée de de l'autonomie a convoqué les dirigeants d'Orpea, puis dans les jours qui ont suivi, a diligenté une mission IGAS/IGF sur la gestion des Ehpad du groupe Orpea.

À la suite de la remise des conclusions de cette mission, les ministres des solidarités et de la santé, du travail, de l'emploi et de l'insertion, le ministre délégué chargé des comptes publics et la ministre déléguée à l'autonomie ont saisi le procureur de la République de Nanterre, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, de faits susceptibles de caractériser les infractions d'abus de confiance, voire de détournement de fonds publics. Le 28 avril 2022, le parquet de Nanterre a fait savoir, par le biais de l'AFP, qu'une enquête judiciaire, confiée à la section de recherche de Versailles, avait été ouverte et qu'elle portait notamment sur les infractions financières reprochées au groupe Orpea. Cette procédure est indépendante des actions qui pourraient être engagées à la suite de plaintes déposées par les résidents ou leurs familles, et des poursuites qui semblent être engagées à l'encontre de l'ancien directeur général d'Orpea pour délit d'initié.

L'ampleur des révélations figurant dans le livre, et dans le rapport de la mission IGAS/IGF imposait de nouvelles actions au Gouvernement afin d'apporter des réponses concrètes, d'autant plus que le projet de loi grand âge annoncé en milieu de législature avait finalement été abandonné et que, dans le rapport remis à la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des comptes dessinait un vaste plan de réforme, incluant les modalités d'exercice de la tutelle et de contrôle des Ehpad.

Le modèle Orpea et les questions qu'il soulève pour l'exercice de la tutelle

Au-delà des sujets qui relèvent maintenant des procédures judiciaires, d'une part, et de la demande de récupération des financements publics employés à un objet différent de celui prévu par les textes, d'autre part, il convient de déterminer en quoi les modalités d'organisation retenues par le groupe Orpea appellent une réponse des pouvoirs publics pour combler les lacunes du contrôle et de l'exercice de la tutelle.

1- Une organisation fortement centralisée

Les auditions des dirigeants d'Orpea, comme le rapport de la mission IGAS/IGF, mettent en lumière le fort degré de centralisation qui caractérise le fonctionnement de ce groupe dans la gestion quotidienne des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes qu'il gère.

Les directeurs d'établissements sont astreints à un reporting incessant destiné à permettre le suivi des indicateurs relatifs au pilotage budgétaire de l'établissement en matière de taux d'occupation, de masse salariale ou encore de résultat net. La mission IGAS/IGF observe que les directeurs d'établissement ne sont dotés que d'une délégation très limitée en matière de gestion budgétaire de l'établissement (y compris pour les achats) et de recrutement. Si le directeur d'établissement, appelé directeur d'exploitation, peut signer les contrats de travail en tant qu'employeur, toutes les embauches doivent être validées par la direction régionale. En pratique un directeur d'établissement ne dispose donc que d'une très faible autonomie.

L'ensemble de l'activité des directeurs d'établissements est enserrée dans une série de protocoles, plusieurs centaines selon le rapport IGAS/IGF, concernant l'ensemble de l'organisation (hygiène, administration, etc .) mais également les soins.

La mission IGAS/IGF porte un regard sévère sur l'efficacité de cette organisation en matière de qualité d'accueil des résidents. Elle pointe des dysfonctionnements dans la prévention et le suivi des évènements indésirables qui pâtissent, selon elle, d'une procédure complexe et centralisée au niveau du siège. Elle souligne que malgré l'existence d'un code de conduite élaboré au niveau du groupe, les outils de promotion de la bientraitance ne font pas l'objet d'une appropriation homogène par les personnels des établissements gérés par Orpea, ne permettant pas de remplir l'objectif d'amélioration des pratiques en matière de prévention de la maltraitance dans l'ensemble des établissements. Ces difficultés ont été documentées par les contrôles réalisés par les ARS et relèvent d'une offre de formation et d'une mobilisation insuffisante au sein des établissements.

La mission IGAS/IGF relève également que le groupe ne transmet aux autorités que les évènements indésirables les plus graves dans des délais souvent longs.

Enfin cette centralisation a des effets sur les relations entre les autorités de tutelle et les établissements du groupe. Le contenu des échanges entre les établissements et les ARS ou les conseils départements est validé par le siège et plus particulièrement par la direction des établissements et des services médico-sociaux (DREMS) qui gère l'ensemble des relations avec les tutelles, valide le contenu des fiches et la transmission des informations.

2- L'utilisation des financements publics

La mission IGAS/IGF a analysé la gestion des fonds publics attribués aux établissements du groupe Orpea, les pratiques d'achat et les relations entre le siège et les établissements et conteste une partie des imputations budgétaires.

Elle considère que la procédure interne mise en place par le groupe Orpea et un pilotage strict des établissements par les directeurs régionaux permettent de réserver une part des forfaits soins et dépendance à des charges complémentaires, tout en dégageant des excédents sur les dotations publiques. La construction budgétaire pilotée par le groupe conduit de facto à la mise en réserve d'une partie des crédits affectés au forfait soins. Toujours selon la mission, une majorité d'établissements du groupe est invitée à réaliser un excédent sur cette dotation tandis que les maquettes budgétaires intègrent également un objectif de dépenses sur les forfaits soins et dépendance inférieur aux recettes prévisionnelles conduisant donc à prévoir un excédent sur les dotations publiques. En outre, les budgets internes sont différents des budgets remis aux autorités dans le cadre des états de prévision de recettes et de dépenses.

Cette mise en réserve finance des dépenses supplémentaires au budget, prévues ou non, et favorise la constitution d'excédent ou l'exécution de dépenses non conformes à la réglementation. Selon la mission IGAS/IGF, la période de convergence tarifaire prévue par la loi ASV a permis à Orpea de renforcer cette pratique. Les budgets des établissements ne tenaient que partiellement compte de l'augmentation tendancielle des forfaits soins et dépendance ce qui a contribué à renforcer le niveau des excédents.

Transmis aux ARS plusieurs mois après leur validation, les états prévisionnels et de recettes (EPRD) ne rendent pas fidèlement compte aux autorités de tutelle. Selon la mission IGAS/IGF, plusieurs charges ajoutées aux ERRD n'auraient pas dû être financées par les forfaits soins, notamment :

- la rémunération des auxiliaires de vie « faisant- fonction » ;

- la bascule par le siège sur le forfait soins d'une part de la masse salariale d'auxiliaires de vie (au-delà des faisant-fonction) ;

- la prise en charge d'une partie de la contribution économique territoriale et de la contribution sociale de solidarité des sociétés ;

- la prise en charge de l'assurance responsabilité civile.

Interrogé par les rapporteurs lors de son audition M. Yves Le Masne, ancien directeur général d'Orpea considère que la mission IGAS/IGF « interprète de façon très stricte des textes réglementaires qui manquent parfois de détail - même si depuis un mois, on a quelque peu remédié à cette situation -, alors que la plupart des agences régionales de santé (ARS), qui sont plus proches du terrain, ont une vision plus souple ».

3- La perception de commission sur les achats

Pour la mission IGAS/IGF l'échantillon de prestations de services dont il a pu analyser les factures suggère que les commissions perçues par Orpea pourraient être requalifiées en remises de fin d'année. Ces remises n'étant pas appliquées sur les achats réalisés par les établissements mais versées directement au siège, elles ne sont pas déclarées dans les états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD) transmis aux autorités de tarification. Par conséquent, les charges des sections soins et dépendance sont supérieures à la dépense réelle du groupe. Le siège perçoit donc « une partie des excédents soins et dépendance des établissements » et « ces commissions ne sauraient en tout état de cause être analysées comme des frais de gestion afférents au service achat du siège qui doivent être financés par la section hébergement ».

Acculé par ces révélations, le Gouvernement a donc réagi en proposant en quelques semaines une batterie de mesures allant d'une systématisation des contrôles dans les deux prochaines années, à la publication de plusieurs textes réglementaires et d'une feuille de route sur la médicalisation des Ehpad, dont l'annonce quasi unique et principale est la fermeture des unités de soins de longue durée (USLD). Ces réponses apparaissent incomplètes au regard des enjeux.

A. CONTRÔLER TOUS LES EHPAD DANS UN DÉLAI DE 24 MOIS

Outre le lancement de la mission IGAS/IGF, une des premières réponses du Gouvernement à l'affaire Orpea a été d'annoncer un vaste plan de contrôle des Ehpad.

1. Un aveu d'échec quant à l'effectivité de la politique de contrôle

Le lancement d'un plan de contrôle des 7 500 Ehpad installés sur le territoire dans les deux ans à venir est un aveu d'échec.

C'est la reconnaissance d'une insuffisance des contrôles programmés en routine par les ARS, et par les conseils départementaux lorsque ces derniers sont sollicités pour des inspections conjointes. Cet échec est rappelé par la Cour des comptes qui estime qu'aujourd'hui un Ehpad est contrôlé tous les 20 ou 30 ans (entre un et cinq établissements contrôlés annuellement selon les départements).

L'augmentation des moyens, pérennes a précisé le Gouvernement, attribués aux ARS pour effectuer ces contrôles est un deuxième aveu. Les contrôles n'étaient sans doute plus une priorité et, à tout le moins, il y avait un décalage important entre les moyens octroyés et les missions à remplir, décalage que les mutualisations d'effectifs et les gains de productivité n'avaient pu réduire de façon satisfaisante.

Si cette réaction pouvait être attendue, elle soulève une interrogation : pourquoi le contrôle n'était-il pas une priorité ? Plusieurs éléments de réponse peuvent être apportés à cette question. Le contrôle n'est considéré que comme un élément parmi d'autres du dialogue de gestion entre les établissements et les autorités de tarification et de contrôle ; les évolutions législatives depuis les années 2000 sont allées dans le sens d'un assouplissement du cadre réglementaire afin de donner plus d'autonomie aux établissements ; la maîtrise des dépenses publiques a eu des effets sur l'évolution des effectifs des autorités de tarification et de contrôle ; enfin le développement des évaluations externes et d'une politique de qualité a pu faire croire à une réduction des besoins en matière de contrôle.

2. Aucune procédure de contrôle des groupes n'était prévue en routine

L'affaire Orpea met en lumière un impensé dans l'organisation du contrôle, celui de la présence de groupes multi-gestionnaires d'Ehpad.

Dans la réglementation en vigueur les mécanismes de contrôle sont conçus pour s'appliquer individuellement aux établissements, tout comme le régime de sanctions afférent. Seuls les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) reconnaissent l'existence de groupes multi-gestionnaires d'Ehpad, mais cette prise en considération se limite à l'échelle départementale.

L'affaire Orpea a révélé qu'il n'existait aucun dispositif de contrôle des groupes en routine, constat confirmé par la Cour des comptes et les inspections générales qui ont indiqué que c'était la première fois qu'elles procédaient à un tel contrôle.

Un des points saillants, du travail considérable réalisé par la mission IGAS/IGF est donc justement de proposer d'agir au niveau du groupe en déclenchant une procédure de récupération des fonds publics employés à un objet différent de celui prévu par les textes.

B. IMPOSER UN CHOC DE TRANSPARENCE

Devant la commission des affaires sociales et du Sénat, Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie avait fait part de la volonté du Gouvernement de procéder à un choc de transparence. La publication du décret transparence financière 8 ( * ) constitue la principale réponse du Gouvernement aux angles morts du contrôle budgétaire révélés par l'affaire Orpea.

1. Un choc de transparence sur les pratiques budgétaires

Le décret « transparence » vise en priorité à renforcer les obligations de transmission d'informations financières et budgétaires pesant sur les gestionnaires d'établissements et plus particulièrement les établissements du secteur privé lucratif qui étaient soumis à un cadre normalisé simplifié. Il vient renforcer les obligations de présentation des comptes pesant sur les établissements privés à but lucratif.

Le cadre simplifié de l'EPRD, de l'ERRD et du RIA pour les établissements privés qui en relevaient est supprimé. Tous les établissements relevant de l'article L.342-1 du CASF devront produire des documents « complets ». Le décret unifie le régime de transmission des ERRD et des EPRD qui est désormais le même pour tous les Ehpad et ce dès l'exercice 2022. Il impose la réalisation d'une comptabilité analytique pour chaque établissement, y compris lorsque l'établissement fait partie d'un groupe et ce bilan comptable doit identifier les provisions, les réserves et les résultats constitués à partir des financements publics. L'imputation budgétaire des rabais et remises est précisée, ils devront être rattachés aux budgets (sections) sur lesquels ils ont été obtenus.

Cette évolution réglementaire était nécessaire, elle ne constitue néanmoins pas une rupture avec le droit existant qui prévoyait déjà une transmission à la demande. Désormais cette transmission est obligatoire.

2. Un renforcement de la protection des résidents

Pour répondre aux critiques formulées à l'encontre de l'absence de contrôle de la section hébergement des établissements privés lucratifs par les autorités de tarification et de contrôle ou par les juridictions financières, la réponse du Gouvernement comprend également un volet important relatif à l'information et à la protection des résidents et de leurs familles.

En matière d'hébergement, cette protection est assurée par le droit de la consommation. Le décret transparence financière procède ainsi à un renforcement de la lisibilité des contrats de séjours et au renforcement des dispositions en faveur des résidents en cas départ, d'absence de l'Ehpad (pour cause d'hospitalisation par exemple) ou de décès. Les conditions de facturation relatives à ces situations font l'objet d'un encadrement renforcé.

In fine , le Gouvernement a cherché à apporter une réponse globale à l'affaire Orpea. Cette importante activité réglementaire laisse une impression d'inachevé, voire d'impréparation dans le cas de la fermeture des USLD. Elle préempte une réflexion globale sur l'exercice de la tutelle, au profit d'une réponse extrêmement technique des modalités d'imputation budgétaire ou de l'élaboration d'indicateurs de suivi de l'activité des Ehpad.

Aux yeux des rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat cette réponse doit être complétée. Il faut proposer une vision globale de la place des groupes privés lucratifs dans le secteur, de l'évolution de leurs relations avec l'État et les autorités de tarification et de contrôle.

Cette démarche doit s'intégrer dans une réflexion approfondie sur les enjeux à venir et de la nécessité de développer des organisations intégrées ou hybrides suivant la qualification que l'on voudra utiliser, évolution indispensable pour développer des parcours de prise en charge des personnes âgées dépendantes dont le nombre va continuer à s'accroitre dans les années à venir. Ces points justifient l'élaboration dans les plus brefs délais d'une loi grand âge.

II. DES AUTORITÉS DE CONTRÔLE QUI PEINENT À REMPLIR LEURS MISSIONS

Le contrôle des établissements et services médico-sociaux appartient à l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation : préfet, agence régionale de santé ou conseil départemental 9 ( * ) . L'objet de ce contrôle est de s'assurer du respect de l'ensemble de la réglementation applicable à ces établissements tant pour leurs missions, leur organisation, leurs conditions de fonctionnement que sur l'utilisation des fonds publics.

Il ressort des nombreuses auditions menées par la commission que les autorités de tarification et de contrôle peinent à remplir ces missions de contrôle. Leur légitimité à le faire est même discutée par un certain nombre d'acteurs qui proposent de confier à des structures distinctes les activités de financement et de contrôle.

Ce constat est conforté par l'enquête menée par la Cour des comptes et dont les résultats ont été présentés à la commission des affaires sociales le 23 février 2022 qui soulignait qu'un Ehpad était contrôlé en moyenne une fois tous les 20 ou 30 ans.

Des motifs réels et sérieux peuvent expliquer cet état des choses. L'analyse de la situation montre à la fois des lacunes dans la réglementation et des faiblesses dans l'exercice effectif des contrôles. Les modalités d'exercice du contrôle financier des groupes semblent ainsi insuffisantes, tandis que de façon générale le manque de coordination entre les différents acteurs affaiblit la portée des contrôles. Ces faiblesses sont autant dues à la réglementation qu'aux moyens que les autorités de tarification consacrent à ces contrôles.

Face à ce constat, la quasi-totalité des acteurs auditionnés par les rapporteurs se sont prononcés en faveur d'une évolution des modalités de contrôle.

A. UN CONTRÔLE LIMITÉ PAR LA RÉGLEMENTATION ELLE-MÊME

Dans l'affaire Orpea, les limites de la réglementation ont été mises en exergue dès les premières révélations. Ces limites ont été confirmées par l'enquête de la Cour des comptes commanditée par la commission et le rapport de la mission IGAS/IGF. La principale d'entre elle est l'existence d'angles morts du contrôle c'est-à-dire soit de pratiques qui ne font pas l'objet de contrôle, comme la gestion des flux financiers au sein des groupes multi-gestionnaires d'Ehpad, soit parce les autorités de contrôle ont été désarmées, comme c'est le cas pour le contrôle de la section hébergement.

Dans son rapport remis à la commission des affaires sociales, la Cour des comptes a indiqué qu'elle n'abordait pas les thématiques relatives à l'hébergement « du fait notamment de la compétence limitée des juridictions financières pour contrôler les sections hébergement des Ehpad privés ».

La mission IGAS/IGF considère de son côté que les Ehpad évoluent dans un contexte marqué par les assouplissements du cadre réglementaire proposés par la loi adaptation de la société au vieillissement (ASV).

L'existence de ces angles morts illustre les tensions entre la volonté d'accompagner les acteurs, d'assouplir leurs modalités de travail, notamment par le biais d'une plus grande autonomie dans l'utilisation des enveloppes budgétaires (par exemple sur les plafonds d'emploi) et les exigences du contrôle fondées sur un cadre d'exécution plus strict.

La ministre délégué chargée de l'autonomie a repris ses éléments lors de son audition et un décret relatif à la transparence financière a apporté une première réponse à cette situation. Des mesures supplémentaires demeurent toutefois indispensables pour limiter ces angles morts du contrôle.

1. Les angles morts du contrôle

Les auditions auxquelles ont procédé vos rapporteurs, le rapport de la Cour des comptes et celui de la mission IGAS/IGF ont confirmé la persistance d'angles morts dans l'organisation du contrôle.

Ces angles morts portent principalement sur le contrôle de l'utilisation des fonds publics ou plus exactement sur les imputations budgétaires entre les différentes sections de financement (soins, dépendance, hébergement).

Ils répondent également à des situations où les pouvoirs publics ne disposent plus que de compétences limitées en matière de contrôle, c'est le cas de la section hébergement.

Enfin, les conséquences de l'émergence d'organisations verticales gérant de nombreux établissements et organisant des flux financiers importants entre le siège et les établissements n'ont pas été prises en compte.

a) Un impensé : le contrôle des groupes multi-gestionnaires d'établissements

Dans un secteur focalisé sur le bon fonctionnement des établissements, les révélations du livre de Victor Castanet ont mis sous le feu des projecteurs le fonctionnement des groupes privés lucratifs multi-gestionnaires d'établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes. Le sujet était évidemment connu des autorités de tarification et de contrôle et des pouvoirs publics mais la doctrine en matière de contrôle n'a pas évolué de manière substantielle afin de prendre en compte les effets de cette restructuration du secteur.

La constitution de ces groupes multi-gestionnaires dans le secteur privé lucratif, mais également dans le secteur privé non lucratif constitue un point nodal des restructurations constatées dans le secteur des Ehpad depuis plus de 20 ans. Comme le soulignait le rapport Libault 10 ( * ) , « si la taille médiane des Ehpad est de 90 places et donc que les tailles d'établissements sont globalement comparables, la structuration et la mutualisation des moyens sont très différentes. La logique d'organisation en groupe est la marque du secteur privé. Elle ne concerne qu'une partie du secteur privé non lucratif, mais reste quasiment inconnue dans le secteur public. »

Or, la mission IGAS/IGF observe que même si les compétences des autorités de tarification et de contrôle sont larges, elles portent d'abord sur le domaine du soin et la sécurité des personnes et surtout « elles s'arrêtent au niveau de l'établissement et permettent mal d'appréhender des groupes de réseaux d'Ehpad ». La dimension organisationnelle, et l'existence de groupes, n'est donc que peu prise en compte dans l'organisation des contrôles.

Cette situation oblige les autorités en charge du secteur. Une stratégie d'encadrement de l'activité des groupes doit être mise en oeuvre afin de permettre le développement de leurs activités dans un cadre sécurisé, reposant sur des règles clarifiées et des possibilités de contrôle régulières.

(1) Les groupes multi-gestionnaires d'Ehpad doivent être intégrés dans le champ du contrôle

Alors que le Gouvernement a lancé un programme de contrôle ambitieux en direction des établissements, il est dommageable qu'aucun contrôle des groupes privés lucratifs intervenant dans le secteur, autre qu'Orpea, ne soit prévu. Il ne devrait pas y avoir besoin de révélations journalistiques pour procéder à une telle opération qui relève, dans une périodicité à déterminer, d'un exercice normal de la tutelle. Ces contrôles sont d'autant plus nécessaires que les auditions menées par vos rapporteurs, ainsi que les travaux de la mission IGAS/IGF montrent que des problématiques communes sont partagées par ces groupes : relations entre le siège et les établissements, nécessité de fixer des règles d'imputation budgétaire claires et partagées, difficultés de recrutement.

Les évènements récents mettent en lumière la nécessité de disposer d'une vision complète des flux financiers entre le siège (le groupe) et les différents établissements. Le rapport IGAS/IGF montre l'importance de ces contrôles à un niveau agrégé (la question des « remises de fin d'année », les décisions relatives aux imputations budgétaires ou aux recrutements). Une stratégie de contrôle uniquement confiée aux acteurs locaux, quelle que soit leur compétence, trouve ici ses limites. Un appui national doit leur être apporté. La commission des affaires sociales du Sénat propose donc dans un premier temps de mettre en place des missions IGAS/IGF chargées de contrôler tous les groupes privés lucratifs qui interviennent dans le secteur. Ce contrôle doit être organisé selon les modalités calendaires du plan de contrôle annoncé par le Gouvernement en mars dernier, donc dans les deux ans à venir. En l'absence d'alerte et de signalements, l'ordre dans lequel les différents groupes concernés seront contrôlés peut être décidé de manière aléatoire.

Proposition n° 1 : Étendre la campagne de contrôle annoncée par le Gouvernement aux sièges des groupes privés lucratifs multi-gestionnaires d'Ehpad.

Ces contrôles devront progressivement être étendus aux groupes privés non lucratifs voire à des groupes publics. À terme, une évolution de la réglementation en vigueur pourra être envisagée pour affiner les modalités opérationnelles de contrôle des groupes. Mais ces contrôles doivent avoir lieu en routine, comme celui des établissements.

Ce contrôle des groupes doit être conçu et mené dans une perspective plus large : organiser un dialogue régulier entre les autorités publiques et ces groupes au niveau des sièges et non plus au seul niveau des établissements. L'instauration de relations régulières permettra d'uniformiser les pratiques, d'échanger sur l'évolution de l'offre et plus largement sur la place de l'offre privée dans la prise en charge des personnes âgées. Le positionnement de ces groupes sur des projets d'Ehpad hors les murs ou d'Ehpad plateforme ne fait que renforcer cette nécessité d'un dialogue régulier.

Pour organiser ces relations, il est proposé de mettre en place une convention pluriannuelle d'objectifs entre ces groupes privés et la CNSA. La mission considère qu'il est important d'associer la CNSA au pilotage stratégique du secteur et au développement d'un dialogue avec les groupes au niveau national. C'est pour cette raison qu'elle propose une contractualisation entre les groupes et la CNSA plutôt qu'entre les groupes et une ARS référente. Cette association de la CNSA est cohérente avec d'autres propositions qui seront formulées pour une meilleure articulation des activités de contrôles menées notamment par les services de l'État.

Proposition n° 2 : Conclure une convention pluriannuelle d'objectifs entre la CNSA et chaque groupe privé lucratif multi-gestionnaires d'Ehpad.

Comme pour les contrôles, il est proposé de débuter par une contractualisation avec les groupes privés lucratifs avant de l'étendre à tous les groupes intervenant dans le secteur des Ehpad.

Cette double évolution (contrôle, convention) est indispensable pour gérer l'existant et l'avenir. La recherche d'effets de mutualisation (pour le personnel médical par exemple) et l'impact budgétaire des réformes tarifaires devraient inciter les acteurs à de nouveaux regroupements dans les années à venir, le déploiement de ces contrats pluriannuels d'objectifs doit permettre à la puissance publique d'accompagner ces regroupements qui sont souhaités par la Cour des comptes ou le rapport Libault.

(2) Les flux financiers entre le siège des groupes et leurs établissements doivent faire l'objet d'un encadrement renforcé

Si la dimension organisationnelle doit être prise en compte dans l'exercice de la tutelle afin d'améliorer le dialogue de gestion avec ces acteurs, les pratiques qu'ils développent doivent également être prises en compte.

La mission IGAS/IGF souligne l'extrême centralisation du groupe Orpea et l'existence de flux financiers réguliers entre les établissements et le siège. Il semble plus particulièrement nécessaire de s'intéresser à deux catégories de flux bien particulières : les frais de siège et les excédents budgétaires.

La première catégorie de flux financier est celle des prélèvements exercés au titre des frais de siège. Le rapport IGAS/IGF dont ce n'est pas l'objet principal est peu prolixe sur ce sujet mais ces frais de siège existent. Il s'agit d'un mode d'organisation classique dans ce type d'organisation et qui n'est pas propre au seul secteur médico-social. Ces frais de siège peuvent être définis comme des frais généraux d'administration et de direction générale engagés par l'organisme gestionnaire pour les besoins de l'ensemble de ses établissements et services. Ces prestations concernent notamment : l'élaboration et l'actualisation du projet d'établissement ; l'adaptation des moyens des établissements et services à l'amélioration de la qualité du service rendu et à la mise en oeuvre de modalités d'intervention coordonnées ; la mise en oeuvre ou à l'amélioration de systèmes d'information ; la mise en place de procédures de contrôle interne, et à l'exécution de ces contrôles ; la réalisation de prestations de service ou d'étude pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux qui concourent à des économies d'échelle

La possibilité de recourir à ces frais de siège est déjà encadrée par le code l'action sociale et des familles 11 ( * ) qui les subordonnent à l'octroi d'une autorisation, délivrée à l'organisme gestionnaire par l'autorité de tutelle et qui énumère les prestations qui peuvent être prises en charge à ce titre. L'existence de cette autorisation, limitée dans le temps, est motivée par le fait qu'ils sont partiellement pris en charge par les produits de la tarification.

Cette pratique repose la perception par le siège d'une part des recettes des établissements. Il semble néanmoins nécessaire, afin d'éviter des excès qui ont pu être constatés dans d'autres secteurs d'activité, de plafonner les prélèvements qui peuvent être effectués au titre des frais de siège et de détailler précisément les prestations afférentes.

Proposition n°3 : Fixer un taux maximum de prélèvement au titre des frais de siège.

b) La loi ASV a assoupli le cadre budgétaire dans lequel évoluent les Ehpad

La ministre chargée de l'autonomie, la mission IGAS/IGF ainsi que plusieurs acteurs auditionnés par vos rapporteurs ont souligné que les pouvoirs publics avaient desserré le cadre réglementaire applicable aux Ehpad en 2015. Cet assouplissement concerne notamment le cadre applicable au contrôle budgétaire et financier des Ehpad.

La loi ASV a proposé un cadre budgétaire renouvelé en passant d'un système de financement très encadré à un pilotage par les ressources. Ce changement se traduit par un assouplissement des règles relatives à l'allocation des fonds publics, leur affectation entre les différentes sections budgétaires et surtout par la possibilité offerte aux acteurs de conserver les excédents budgétaires constatés en fin d'exercice.

Le renouvellement du cadre budgétaire s'est caractérisé par la mise en place d'un forfait global relatif aux soins et d'un forfait global relatif à la dépendance. Ces forfaits sont calculés au regard de l'état de santé des résidents et de leurs besoins de prise en charge. Ce changement entraîne des conséquences très concrètes sur l'exercice de la tutelle par les autorités de tarification et de contrôle.

Ce dispositif de financement quasi automatique des prestations relatives aux soins et à la dépendance, fondé sur une équation tarifaire se substitue à un mécanisme de tarification des Ehpad basée sur une procédure contradictoire qui fixait un niveau de dépenses autorisées que devait respecter l'établissement. Ainsi avant la loi ASV, pour la section dépendance, ce niveau de dépenses était arrêté par le conseil départemental au regard d'indicateurs et de ratios départementaux définis dans le rapport d'orientation budgétaire propre aux établissements sociaux et médico-sociaux adopté chaque année par l'assemblée plénière. Corrélativement aux dépenses autorisées, le budget fixait le nombre d'ETP par catégorie autorisé au titre de la section dépendance.

Par ailleurs, les plafonds effectifs ne sont plus soumis à l'autorisation de l'ARS ou du conseil départemental. Les établissements disposent, d'une totale liberté à ce sujet et aucun texte ne fixe de ratio d'encadrement minimum pour le personnel soignant (AMP/AS/IDE) hormis pour le médecin coordonnateur. La mission IGAS/IGF a pu montrer que dans le groupe Orpea la liberté de recrutement des établissements était encadrée par des procédures internes au groupe.

L'objectif de la réforme était d'assurer une allocation de ressources conforme au nombre et à l'état de santé des résidents de chaque établissement. Il s'agissait en outre d'offrir plus de souplesse aux gestionnaires dans le pilotage des ressources.

Le retour d'expérience de cette réforme met en exergue deux effets indésirables, le premier a trait à l'assouplissement des imputations budgétaires, le second à la possibilité offerte aux gestionnaires de constituer des excédents.

(1) Le constat d'une porosité entre les sections budgétaires

Les autorités de tarification et de contrôle ont observé, et la mission IGAS/IGF corrobore cette analyse, une évolution de la répartition des charges de la section dépendance à la suite de cette suppression des clés de répartition du personnel entre les sections tarifaires. La réforme portée par la loi ASV a ainsi offert aux gestionnaires une certaine liberté pour ventiler les dépenses entre les sections tarifaires et basculer davantage de charges d'hébergement sur les dotations dépendance.

À titre d'exemple, il est constaté qu'avant 2015 les effectifs des agents des services hôteliers émargeaient à 70 % sur le budget hébergement et 30 % sur le budget dépendance et les effectifs des aides-soignants émargeaient à 30 % sur le budget dépendance et à 70 % sur le budget soins. Depuis la réforme, certains établissements financent à plus de 30 % des effectifs des services hôteliers sur la section dépendance et font financer les effectifs des aides-soignants à plus de 70 % sur le budget soins leur permettant ainsi de dégager une marge sur la section hébergement qui n'apparaît pas dans les documents transmis par les établissements non habilités à l'aide sociale.

Proposition n °4 : Clarifier les règles d'imputation des dépenses de personnel entre les différentes sections tarifaires.

Le rapport IGAS/IGF met par ailleurs en exergue des difficultés d'interprétation des textes dont auraient pu bénéficier les acteurs pour optimiser l'affectation des dépenses et l'existence de pratiques différentes suivant les ARS. Le recours aux « faisant-fonction » d'aide-soignant illustre cette difficulté. Si les critères de qualification d'un aide-soignant sont clairement établis par la loi (art L.4393-1 du code de la santé publique) qui prévoit la détention d'un diplôme ou la participation à un dispositif de validation des acquis de l'expérience, dans les faits le recours à des « faisant-fonction » constitue une pratique répandue et insuffisamment appréhendée par l'État. La mission IGAS/IGF relève qu' « interrogée par la mission, la direction générale de l'offre de soins (DGOS), n'a toutefois pas pu expliciter clairement la doctrine sur le statut de ces « faisant-fonction ». Dans ce contexte, les pratiques des autorités de tarification peuvent varier en matière d'imputation budgétaire des postes : les ARS de Provence-Alpes-Côte d'azur, Bourgogne-Franche-Comté et Bretagne conditionnent par exemple la comptabilisation au titre de la section soins d'agents « auxiliaires de vie « faisant-fonction » à leur inscription en VAE alors que l'ARS Hauts-de-France a rejeté ponctuellement l'imputation de « faisant-fonction » sur la section soins.

La combinaison des différentes mesures d'assouplissement budgétaire (nouveau mode d'allocation, règles d'imputation) a donc pu être mise à profit pour dégager des marges sur la section hébergement et permettre l'utilisation de fonds publics à des fins non prévues par les textes.

Proposition n°5 : Clarifier la réglementation et les attentes des autorités de tarification et de contrôle sur les imputations budgétaires et l'usage des excédents par les gestionnaires d'Ehpad.

(2) Les excédents budgétaires peuvent être conservés par les établissements

L'analyse financière a été également profondément modifiée par le décret n°2016-1814 du 21 décembre 2016. Avant cette réforme, les établissements préparaient leur budget prévisionnel, le faisaient valider par l'ARS pour la section soins et par le conseil départemental pour la section dépendance et tout excédent était repris. Après la réforme, les éventuels excédents sont laissés à la disposition des établissements pouvant les mobiliser pour remplir leurs missions.

Là encore la mission IGAS/IGF constate que la gestion des excédents éventuels est mal appréhendée par l'État. « Les excédents réalisés sur les sections soins et dépendance doivent être affectés à des dépenses de soins et de dépendance (art R314-234 du CASF) dans le cadre du CPOM, sans que le cadre réglementaire ne définisse de durée pour la mise en oeuvre de ces affectations, ni de modalités de gestion des excédents non utilisés en fin de CPOM ».

Certaines ARS, comme celle d'Île-de-France ont introduit dans les CPOM un seuil d'excédent (5 %) au-dessus duquel le gestionnaire doit échanger avec l'ARS sur l'affectation des résultats financiers.

La mission considère qu'il est pertinent que les établissements puissent constituer des excédents, notamment afin d'augmenter leur capacité d'autofinancement en vue d'investissements, par exemple pour rénover le bâti.

Cette constitution d'excédent doit évidemment être réalisée dans le respect de la réglementation en vigueur et il est sans doute nécessaire d'en clarifier ou d'en unifier certaines pratiques. Le retour d'expérience qui peut être fait à la lumière de la mission IGAS/IGF et des auditions organisées par les rapporteurs conduit la commission à proposer le plafonnement du montant des crédits pouvant être mis en réserve, et la définition d'une durée limite de conservation de ces excédents.

Proposition n°6 : Plafonner le montant des crédits pouvant être mis en réserve.

La démarche de la commission s'inscrit dans une volonté de définition de modalités d'exercice de la tutelle et du contrôle qui tiennent compte de la création de groupes multi-gestionnaires et d'une financiarisation de l'activité. Ces modalités relèvent d'une logique distincte de celle d'un contrôle local dont l'objet est de s'assurer des modalités de prise en charge concrète et quotidienne des résidents. Une telle démarche suppose d'ouvrir également une réflexion sur le rôle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes pour déterminer le champ d'expertise et les moyens qu'elles pourraient apporter en ce domaine, en appui ou en complément des autorités tarificatrices et de contrôle.

c) La problématique du contrôle de la section hébergement

Le modèle de financement des Ehpad se décompose en trois sections, les soins essentiellement financés par l'assurance maladie, la dépendance financée par les départements ( via l'APA en établissement) et l'hébergement qui est à la charge quasi exclusive de la personne âgée (à l'exception des places habilitées à l'aide sociale financée par les départements). Le poids de chacune des sections varie en fonction de la catégorie d'établissement. Selon le bilan de la situation économique et financière des Ehpad entre 2017 et 2018 publié en 2020 par la CNSA, la section hébergement représente entre 46,5 % et 53,8 % des recettes perçues par les établissements, la section soins entre 31,5 % et 38,5 % et la section dépendance entre 14,4 % et 15, 7 %. Ces tableaux ne nous renseignent que partiellement car les données dont dispose la CNSA ne lui permettent pas de reconstituer plus finement la part de la section hébergement dans les recettes des établissements privés lucratifs.

Cette situation est connue. La section hébergement des établissements privés lucratifs, à l'exception des places habilités à l'aide sociale qui peuvent se trouver dans ces établissements, est soumise à une réglementation distincte de celle applicable aux autres catégories d'établissements et des autres sections de financement (soins et dépendance).

Cette section hébergement fait l'objet d'un dispositif allégé tant en termes de contrôle que de présentation des éléments budgétaires.

Comme le rappelait le Premier président de la Cour des comptes lors de son audition par votre commission « la compétence des juridictions financières est limitée, elles ne peuvent pas contrôler la partie hébergement. Depuis la loi du 17 décembre 2008, les Ehpad ne sont plus tenus de retracer dans un compte distinct les charges et les produits des prestations non supportées par des financements publics . »

L'exposé des motifs du PLFSS pour 2009 indiquait que cette réforme visait à donner « une plus grande liberté au gestionnaire dans l'affectation des excédents de gestion, notamment pour accélérer l'investissement. Cette plus grande liberté de gestion et l'allégement des contrôles budgétaires a priori induisent un nécessaire renforcement des dispositifs de transparence financière notamment à l'égard du parc des établissements à but lucratif. Les présentes dispositions doivent ainsi permettre aux directions départementales de la consommation, de la concurrence et de la répressions des fraudes (DDCCRF) de s'assurer que tous les résidents non bénéficiaires de l'aide sociale sont protégés de la même façon quant à l'évolution du prix et au contenu du contrat : pour les places non attribuées à des bénéficiaires de l'aide sociale les établissements habilités à l'aide sociale sont soumis au même régime de contrôle (par les DDCCRF) que les établissements non habilités. »

La doctrine relative à ce contrôle est donc guidée par le fait que les sommes perçues au titre de la section hébergement ne sont pas des fonds publics. Dans cette perspective, la doctrine privilégie une approche qui est celle de la protection du consommateur. Au regard de la vulnérabilité de ces personnes, et de leurs familles, cette approche est pertinente. Elle consiste à s'assurer du respect de l'obligation faite aux Ehpad de délivrer un ensemble de prestations minimales dites « socle de prestations », dont la liste, qui figure à l'annexe 2-3-1 du code de l'action sociale et des familles, comprend notamment : les prestations hôtelières, de restauration, de blanchissage du linge plat, d'entretien et d'animation de la vie sociale de l'établissement, l'accès aux moyens de communication, y compris Internet, dans tout ou partie de l'établissement. Enfin, des prestations externalisées peuvent être proposées par des intervenants extérieurs (coiffure, prestations esthétiques).

En matière d'information sur les prix pratiqués, les établissements sont soumis aux dispositions de l'arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l'information du consommateur sur les prix. Ils doivent donc afficher le prix de toute prestation de services dans les lieux où la prestation est proposée au public. L'affichage obligatoire consiste en l'indication sur un document unique, parfaitement lisible de l'endroit où la clientèle est habituellement reçue, de la liste des prestations de services offertes et du prix de chacune d'elles: les « tarifs ou prix hébergement » relatifs au socle de prestations minimales obligatoires rendues par l'établissement, font l'objet d'un prix global. Il ne peut y avoir de prix unitaire pour chacune des prestations du socle. En outre, conformément à l'article D. 312-211 du CASF, les opérateurs doivent mettre à jour leurs « tarifs ou prix hébergement » par personne et par jour sur le portail en ligne de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) au plus tard le 30 juin de chaque année. Le prix hébergement communiqué correspond à celui des chambres majoritairement proposées dans l'établissement, sous réserve de disponibilité, pour une chambre simple et une chambre double.

Cette approche par le droit de la consommation est indispensable. Le Gouvernement a d'ailleurs renforcé les protections offertes à ce titre dans un décret 12 ( * ) publié au mois d'avril dernier clarifiant notamment les règles de facturation (intégration d'un délai de 6 jours maximum pour la facturation après le décès ; encadrement de la facturation d'arrhes en cas de rétractation du résident).

Au regard des éléments apparus à la suite de la publication du livre de Victor Castanet et de la place prépondérante du forfait hébergement dans la construction budgétaire des Ehpad à but lucratif, la mission estime indispensable de rétablir le contrôle de cette section dans sa dimension budgétaire et comptable et au-delà des seuls aspects relevant du respect du droit de la consommation. Pour atteindre cet objectif, elle propose d'étendre les compétences de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes afin de leur confier cette mission.

Proposition n°7 : Étendre la compétence de contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes au volet hébergement des établissements et services médico-sociaux.

2. Un régime de sanctions qui doit être adapté à la doctrine de contrôle et aux objectifs poursuivis

Depuis le milieu des années 2010, l'exercice de la tutelle a d'abord reposé sur un accompagnement des établissements et des acteurs locaux permis par l'assouplissement du cadre réglementaire porté par la loi ASV. Cet accompagnement prend des formes multiples en matière d'expression des attentes des autorités de tarification et de contrôle, d'ajustements des règles et de recherche de la meilleure adéquation possible entre financement et objectifs poursuivis.

La promotion d'une tutelle fondée sur l'accompagnement des acteurs ne signifie pas pour autant l'absence de contrôle. Ces derniers constituent un élément à part entière de l'exercice de la tutelle et ont pour fonction de s'assurer du respect de la réglementation. Ces contrôles peuvent être déclenchés par des signalements, notamment dans les cas de maltraitance des résidents ou bien être menés en routine. L'efficacité de ces contrôles est déterminée à la fois par leur nombre et leur fréquence mais également par l'existence d'un régime de sanctions graduées et adaptées à l'évolution des pratiques du secteur, notamment la constitution des groupes. Leur bonne organisation suppose l'existence d'une doctrine globale définissant des priorités et des modes opératoires.

Aujourd'hui, le régime de sanctions à la disposition des autorités compétentes montre des limites. Ces limites touchent aux conséquences de ces sanctions de police administrative (fermeture de l'établissement) qui rendent leur application difficile, et à une réflexion limitée sur le recours à des sanctions financières.

a) Un régime de sanctions complexe à mettre en oeuvre

Le régime de sanctions applicables aux établissements en cas de non-respect de la réglementation en vigueur repose prioritairement aujourd'hui sur des mesures de police administrative. Par ailleurs, les ARS semblent être considérées comme le principal acteur des contrôles.

À l'issue du contrôle mené par une mission d'inspection et de contrôle, un rapport provisoire et un courrier notifiant les mesures envisagées pour pallier les manquements constatés, sont adressés à l'établissement (et au groupe gestionnaire pour les Ehpad privés). À la suite de cet envoi, l'établissement dispose d'un délai pour transmettre à l'autorité chargée du contrôle l'ensemble des documents qu'il juge pertinents pour répondre aux constats de la mission d'inspection justifiant les mesures envisagées. À l'issue de la période « contradictoire », la direction générale de l'ARS, ou la présidence du conseil départemental, adresse un nouveau courrier à l'établissement (et au groupe gestionnaire pour les Ehpad privés) notifiant définitivement les mesures devant être prises par l'établissement. Ces mesures sont organisées selon trois niveaux :

- des recommandations, dont la mise en oeuvre est encouragée mais facultative ;

- des prescriptions, dont la mise en oeuvre est obligatoire dans un délai donné ;

- des injonctions, dont la mise en oeuvre est obligatoire dans un délai donné et contrôlée par une inspection de vérification.

Lorsque les mesures obligatoires (prescription, injonction) ne sont pas suivies d'effet, l'ARS peut prononcer les mesures de sanction suivantes :

- en cas d'injonctions ou de prescriptions non suivies d'effet, une suspension immédiate d'activité, à l'encontre d'un ou plusieurs praticiens ou de la totalité de l'établissement, pouvant donner lieu à une mise sous administration provisoire pour une durée de 6 mois (article L.313-14 du CASF) ;

- la suspension ou la cessation de tout ou partie des activités de l'établissement s'il n'a pas été remédié dans le délai fixé par l'injonction ou pendant la durée de l'administration provisoire (article L.313-6 du CASF), relevant de la compétence des autorités de tutelle.

La procédure de suivi des inspections est formalisée : le suivi est réalisé à 3 mois ou 6 mois pour les dossiers les plus sensibles ou à un an dans le cas de la majorité des dossiers. Le suivi porte sur la réalisation des demandes de mesures correctives prioritaires.

Des mesures de police administrative peuvent donc en théorie être prononcées dans le respect des principes contradictoires et de proportionnalité des sanctions : injonctions à remédier à des risques liés à la prise en charge, injonctions de remédier à un déséquilibre financier, astreinte journalière, mise sous administration provisoire, suspension d'activité voire fermeture de l'établissement. Leur aspect dissuasif est minoré par le fait que certaines sanctions sont en pratique très difficiles à appliquer. C'est le cas notamment de la suspension d'activité ou de la fermeture d'un établissement. Une telle décision place les autorités de tarification et de contrôle dans une situation complexe puisqu'il faut alors trouver des solutions d'hébergement pour les résidents de la structure sanctionnée. Dans une situation de tension sur l'offre d'hébergement et de dégradation de l'état de santé des résidents, une telle sanction perd de son effet de dissuasion car les acteurs savent que les contrôleurs ne la prennent qu'en tout dernier recours.

Ces sanctions administratives sont venues compléter la possibilité de sanctions pénales qui demeurent envisageables à la suite d'un signalement au procureur de la République de tout fait constaté lors de l'inspection-contrôle susceptible de constituer un délit ou un crime (article 40 du code de procédure pénale).

Des sanctions financières viennent compléter cet arsenal. Les autorités de tutelle peuvent demander la récupération de certains montants, en déduction du tarif de l'exercice ou celui qui suit, lorsqu'elles constatent : des dépenses sans rapport ou manifestement hors de proportion avec le service rendu ou avec les coûts des Ehpad fournissant des prestations comparables, des recettes non-comptabilisées (article L.313-14-2 du CASF).

Des sanctions financières, sous la forme d'astreintes journalières, sont possibles si le gestionnaire ne se met pas en conformité dans les délais fixés. Ces sanctions financières ne sont en pratique quasiment jamais utilisées, faute de référentiel opposable.

Selon les directeurs généraux d'ARS auditionnés, cette possibilité qui s'inscrit dans le cadre du dialogue de gestion entre les autorités de tutelle et les gestionnaires d'Ehpad est cependant complexe à mettre en oeuvre en raison de la difficulté d'identifier de telles pratiques qui ne sont ni normées ni quantifiées et dans un contexte où la réglementation permet aux Ehpad de conserver leurs excédents d'exploitation.

En particulier, l'absence de ratio opposable d'ETP par résident présent dans l'établissement, en dehors de la fonction de médecin coordonnateur, rend impossible l'application de sanctions financières pour manque de personnel, alors que c'est la principale cause des dysfonctionnements remontés dans les Ehpad.

La constitution de référentiels, permettant d'évaluer les ratios minima requis pour répondre aux différentes fonctions de soins des résidents paraît indispensable pour fixer une norme partagée et opposable aux gestionnaires et de réels leviers aux tutelles lors des contrôles.

b) Des sanctions financières jamais actionnées en direction des groupes

L'exercice de la tutelle et la doctrine en matière de contrôle sont conçus pour une relation bilatérale entre l'autorité de tarification et l'établissement. La place des groupes multi-gestionnaires est prise en compte mais de façon très limitée par le biais de CPOM de groupe qui peuvent réunir dans un même contrat l'ensemble des établissements d'un même groupe au sein d'un département.

La mission IGAS/IGF consacrée à la gestion des établissements du groupe Orpea a posé la question de la possibilité de prononcer des sanctions financières directement à l'encontre des groupes, plutôt que d'engager une procédure à l'encontre de plusieurs de leurs établissements. Cette solution est conforme à l'organisation fortement centralisée du groupe Orpea et aux pratiques qui sont sanctionnées (les flux financiers entre le groupe et les établissements). Au-delà de la procédure engagée à l'encontre d'un acteur en particulier, cette situation ouvre la porte à une réflexion sur le régime de sanctions qui pourrait être appliqué à un groupe plutôt qu'à un ou plusieurs de ses établissements.

La mission IGAS/IGF ne s'y trompe pas puisqu'elle estime que la récupération des indus perçus par Orpea pourrait créer un précédent extensible à l'ensemble du secteur dans la mesure où ces pratiques sont partagées par d'autres acteurs. Cette question constitue un élément indispensable de la réflexion souhaitée par vos rapporteurs sur la façon de développer un dialogue de gestion avec les groupes.

Dans le cas qu'elle analyse, à savoir des irrégularités dans l'utilisation des fonds publics, la mission IGAS/IGF considère que deux procédures s'offrent aux pouvoirs publics pour prononcer des sanctions administratives à l'encontre du groupe.

La première est celle de la récupération des financement publics employés à un objet différent de celui prévu par les textes. La mission recommande de lancer cette procédure à l'échelle nationale sous l'égide de la CNSA, sur le fondement de l'article 43 de la loi du 12 avril 1996 13 ( * ) .

Ces dispositions n'ont jamais été mises en oeuvre mais, en l'absence de disposition particulière d'application, ces dispositions peuvent être initiées par une décision du représentant légal de l'établissement qui a accordé un concours de l'État, ici la CNSA.

À l'issue d'un échange contradictoire, la procédure devrait reposer sur une décision administrative demandant le remboursement des sommes ayant été employées à un objet autre que celui pour lequel elles ont été versées, et l'émission d'un titre de recette exécutoire ayant pour objet de recouvrer une créance publique née de la constatation du mauvais usage des fonds versés émis par l'établissement qui a accordé le concours financier.

Cette procédure présente un caractère novateur puisque la logique qui est suivie repose sur une approche globale qui privilégie la dimension « groupe » plutôt que de lancer une procédure établissement par établissement. Elle répond également à un autre objectif de la mission qui était de créer les modalités de la participation de la CNSA à un dialogue de gestion avec les groupes ( cf . proposition n°2).

La seconde possibilité, qui ne semble pas retenue à ce stade, est celles de sanctions financières en réponse aux pratiques budgétaires non conformes aux textes. En cas de méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles, des sanctions financières proportionnées à la gravité des faits et ne dépassant pas 1% du chiffre d'affaires réalisé en France peuvent être prononcées. Ces sanctions n'ont jamais été mobilisées faute de texte d'application.

Toujours au vu de ce retour d'expérience, la mission IGAS/IGF demande la publication des textes nécessaires à l'application des sanctions prévues à l'article L.314-13 du code de l'action sociale et des familles. Afin d'éviter des divergences d'interprétation, et de bien préciser les différentes étapes de la procédure. La commission des affaires sociales estime nécessaire de définir l'ensemble des mesures préalables au prononcé des sanctions financières. La sanction financière s'inscrit dans une procédure de réponses graduées et n'est prise qu'à la suite d'une injonction non satisfaite, en tout cas dans la rédaction actuelle des textes.

Proposition n°8 : Définir les actions préalables au prononcé de sanctions financières.

L'intérêt de cette analyse est de mettre en exergue le fait que le contrôle du groupe Orpea par l'IGAS/IGF constitue une première. Jamais auparavant un groupe n'avait fait l'objet d'un contrôle. L'exercice passait par les établissements et non par le contrôle des flux entre le siège et les établissements.

Sans interférer dans les procédures qui sont engagées à l'encontre du groupe Orpea, la mission estime nécessaire de se livrer à un retour d'expérience, enrichi par le contrôle des autres groupes ( Cf . proposition n°1).

Elle propose donc au vu de ce retour d'expérience de définir, si c'est nécessaire, ou de consolider une procédure de récupération des sommes utilisées à des fins autres celles prévues par les textes.

Proposition n°9 : Compléter la procédure de récupération des sommes utilisées à des fins autres celles prévues par les textes.

B. UN CONTRÔLE LIMITÉ PAR LES MOYENS DES AUTORITÉS QUI EN ONT LA CHARGE

La mission rapport IGAS/IGF a mis l'accent sur le nombre de contrôles réalisés par les ARS sur la période 2018-2021 : environ 2 800 missions d'inspection, soit environ 700 par an en moyenne, dans un contexte de covid qui a conduit à une réduction du nombre d'inspections en 2020 et 2021.

Ainsi, sur Orpea, la mission IGAS/IGF a pu s'appuyer sur une quarantaine de rapports d'ARS établis entre 2018 et 2021, soit une dizaine par an, alors que le groupe compte 230 Ehpad. Une partie d'entre eux s'inscrivait dans des orientations nationales de contrôle (par exemple le circuit du médicament en Ehpad).

De l'avis des inspecteurs, sur le plan qualitatif, les rapports d'inspection que la mission a exploités sont globalement riches et ont nourri ses investigations (hormis les aspects financiers et achats et, dans une moindre mesure, les ressources humaines), notamment celle sur les événements indésirables ou encore la prise en charge médicale. Du reste, le rapport montre certaines récurrences dans les rapports de contrôle des ARS sur Orpea, qu'il s'agisse des problèmes relevés par les ARS sur la nutrition ou sur la qualité des soins. Ainsi, les contrôles de terrain, qu'ils soient réalisés par les ARS ou les services des départements, sont adaptés quand il s'agit d'évaluer la prise en charge des résidents.

Le nombre de contrôles identifiés par la mission IGAS/IGF n'est pas négligeable mais reste limité au regard du nombre d'établissements installés sur l'ensemble du territoire (plus de 7 500 Ehpad). La capacité de contrôler plus d'établissements chaque année renvoie à la question des moyens dévolus au contrôle, notamment dans les ARS. Ces dernières disposeraient de 230 ETP environ hors santé-environnement, pour assurer ces contrôles ce qui paraît faible au regard du champ extrêmement large à contrôler.

Ces chiffres peuvent expliquer une réalité pointée par la Cour des comptes : un Ehpad est contrôlé tous les 20 ou 30 ans. Ils illustrent le fait que le contrôle n'était pas hissé au rang de priorité.

1. Des moyens en baisse, une doctrine à clarifier

Une première explication à ce faible nombre des contrôles réside donc dans la baisse des effectifs des autorités de tarification et de contrôle. Cette explication ne suffit néanmoins pas à expliquer toutes les lacunes du contrôle. Les auditions ont montré qu'au sein des opérations de contrôle, les aspects financiers n'étaient pas prioritaires.

a) Des effectifs de contrôleurs en baisse

Dès 2014, à l'occasion d'un rapport sur la mise en place des ARS, nos collègues Alain Milon et Jacky Le Menn soulignaient les difficultés qu'elles devraient affronter en matière de contrôle. À propos des pharmaciens, le rapport soulignait « un affaiblissement préoccupant » des contrôles, la mise en place des ARS ayant « aggravé la tendance » constatée antérieurement.

Les rapporteurs rappelaient par ailleurs que comme l'ensemble des administrations publiques et des opérateurs de l'État, les agences participent à l'effort de maîtrise des finances publiques qui se « traduit par une diminution de leurs budgets de fonctionnement et par une réduction des effectifs qui leur sont alloués ».

Cette réduction des moyens n'a pas épargné le champ de l'inspection contrôle et des personnels formés et disponibles pour y participer. L'inspection contrôle dans le secteur médico-social n'a probablement jamais disposé de moyens suffisants pour exercer sa mission dans des conditions optimales. Cette mission était par ailleurs enserrée dans un dialogue de gestion plus large et sans doute considérée comme non prioritaire en raison du développement de procédures d'évaluation confiées à des organismes extérieurs, susceptibles de réduire les besoins de contrôle administratif.

Auditionnés par votre commission, les représentants des corps administratifs en charge des contrôles ont dressé un tableau inquiétant de l'évolution des effectifs et de la place octroyée aux activités de contrôle.

Ainsi, en 2018, près de 8 500 personnes, soit 8 300 équivalents temps plein (ETP), travaillaient dans les ARS. Parmi ces agents, 2 700 étaient juridiquement habilitées à réaliser des contrôles.

80 % de cet effectif, est constitué de corps statutaires comme les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, médecins inspecteurs de santé publique, pharmaciens inspecteurs - et de trois autres corps s'occupant de la santé environnementale - ingénieurs d'études sanitaires, ingénieurs du génie sanitaire, techniciens sanitaires -, soit 2 231 agents habilités par la loi à réaliser des contrôles. Le second groupe est constitué de 536 agents de droit privé ou de droit public, essentiellement des contractuels ou des personnes en détachement issues des fonctions publiques territoriale ou hospitalière, qui, juridiquement, ne sont pas habilitées à procéder à des inspections ; toutefois, la loi a prévu que le directeur général de l'ARS pouvait les habiliter à l'inspection-contrôle et leur donner la qualité d'inspecteur ou de contrôleur après une formation qualifiante de quatre semaines, dans le jargon, on les appelle les Icars pour inspecteurs-contrôleurs des ARS.

Selon les propos tenus par les représentants de ces agents devant votre commission : « en 2018, sur ces 2 700 personnes, seuls 500 ETP étaient consacrés à l'inspection-contrôle en l'ARS, soit 6 % des ETP totaux ». Évidemment, cela concerne tout le champ sanitaire - médico-social, ambulatoire, professionnels de santé -, sur tout le territoire.

En effet, environ 1 000 inspecteurs habilités n'inspectent jamais : ils travaillent sur des missions d'accompagnement, de régulation, de planification, de gestion de projet, d'allocation de ressources. Pour les autres, le temps de travail consacré à cette mission est assez réduit, voire marginal : 8 % de leur temps de travail pour les médecins inspecteurs, 10 % pour les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, 28 % pour les pharmaciens inspecteurs, contre 79 %, pour ces derniers, en 2007, c'est-à-dire avant la mise en place des ARS. Le reste de ce temps est consacré à diverses missions, par exemple d'efficience médico-économique, de veille et de sécurité sanitaires, c'est-à-dire aux missions prioritaires assignées aux ARS.

Il y a donc clairement un émiettement, voire une atomisation du temps de travail de chaque inspecteur, ce qui compromet nécessairement sa professionnalisation et surtout son savoir-faire. Inspecter est un métier, en cas de moindre activité, les compétences et la qualification se perdent rapidement, même l'appétence pour le contrôle s'amenuise.

La globalité des missions de contrôle et d'inspection assignée aux ARS concerne donc 500 ETP, mais plus de la moitié d'entre eux - 271 ETP - sont dédiés uniquement à la santé environnementale : contrôle de la qualité de l'eau - eaux de baignade ou de consommation -, lutte contre les légionelles, l'amiante, le radon.

Par conséquent, en réalité, la ressource humaine disponible pour contrôler tout le champ sanitaire et médico-social est 230 ETP, et non pas 500.

Il n'a pas été possible de disposer d'un tableau consolidé des ETP consacrés par les conseils départementaux aux missions d'inspection et de contrôle mais les situations qui ont été portées à la connaissance des rapporteurs font apparaître un tableau très contrasté suivant les territoires.

Selon la mission IGAS/IGF « les conseils départementaux ont une relation de proximité avec les Ehpad mais une capacité de contrôle limitée sur eux ». Pour la mission, les moyens de contrôle dont se seraient dotés les départements sont, « sauf exception, très limités et leur investissement dans ce dernier souvent ponctuel, et imbriqué dans des relations de routine, les mêmes agents pratiquant parfois les visites à fin de vérification et gérant les relations générales avec les établissements. »

La commission des affaires sociales insiste sur la nécessité d'attribuer des moyens supplémentaires pour l'exercice des missions de contrôle confiées aux ARS et aux départements dans le secteur médico-social.

Proposition n° 10 : Attribuer des moyens supplémentaires aux autorités de tarification et de contrôle pour accroitre le nombre de missions d'inspections-contrôles dans le secteur médico-social.

b) Des orientations à clarifier ou à compléter

La définition des orientations de la politique de contrôle des Ehpad est pilotée au niveau national par le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales (SGMAS) et la mission permanente d'inspection - contrôle (MPIC) de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), avec le concours des différentes directions d'administration centrale, délégations interministérielles et agences du ministère des Solidarités et de la Santé.

S'agissant des contrôles relevant du champ de compétences des ARS (établissements sanitaires et médico-sociaux), ce pilotage s'exerce depuis 2011 dans le cadre de la Commission nationale de programmation des Inspections-contrôles (CNPIC), coprésidée par le chef de la MPIC de l'IGAS et un représentant du SGMAS. Cette instance réunit, 4 fois par an, les commanditaires d'Orientations nationales d'inspection-contrôle (ONIC) sur les champs sanitaire et médico-social : DGCS (pour les ESMS dédiés aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap), DGOS, DGS, agences sanitaires (ABM, ANSES, ANSM, ASN), ainsi que trois représentants d'ARS. La CNPIC a pour mission :

• de prioriser les thèmes d'inspection - contrôles proposés par les commanditaires afin d'aboutir chaque année à un programme national, adressé en fin d'année aux ARS par instruction de l'IGAS validée par le Conseil National de Pilotage (CNP) des ARS, comprenant un nombre restreint d'ONIC ;

• d'accompagner ces priorités d'outils méthodologiques permettant une meilleure réalisation des ONIC retenues ( cf . fiches d'orientation stratégique de mise en oeuvre, grilles de contrôle, etc .) ;

• d'examiner les bilans quantitatif et qualitatif des ONIC des années précédentes, destinés à intégrer le bilan national annuel d'inspection - contrôle réalisé par l'IGAS ;

• de promouvoir toute amélioration stratégique ou méthodologique visant à renforcer la politique d'inspections-contrôle des ARS.

La MPIC de l'IGAS contribue également à soutenir et professionnaliser les services chargés des inspections - contrôles au sein des réseaux territoriaux de l'État dans les champs sanitaire, social et médico-social.

Au titre d'exemple, pour l'année 2022, 11 ONIC ont été retenues, dont deux portées par la DGCS. L'une d'elles concerne le « contrôle de la sécurité et de la qualité de la Prise En Charge Médicamenteuse (PECM) des résidents en Ehpad ». Initialement programmée sur la période 2018-2020 mais suspendue en 2020 (de même que l'ensemble des ONIC) compte tenu de la crise sanitaire, cette ONIC a été reconduite sur la période 2021-2023. L'objectif de cette ONIC est de mesurer l'impact de la lutte contre l'iatrogénie sur la qualité et la sécurité de la prise en charge médicamenteuse des personnes âgées en EHPAD, ainsi que d'affiner l'évaluation des besoins en textes réglementaires nouveaux afin de mieux encadrer cette composante essentielle de la prise en charge médicale des résidents. La seconde concerne le programme de prévention des risques sanitaires environnementaux liés aux bâtiments dans les Ehpad.

Conformément à l'instruction du CNP des ARS, les 11 ONIC en cours mobilisent moins de 50 % des ressources des ARS consacrées à l'inspection - contrôle. Cela laisse aux DGARS quelques espaces pour adapter ces orientations nationales à la situation régionale et définir les Programmations Régionales d'Inspection - Contrôle (PRIC), en fonction des enjeux locaux déterminés avec les DDARS et en lien avec les conseils départementaux (le cas échéant), en vue de contrôles conjoints au sein des ESMS co-autorisés ARS-CD (parmi lesquels les Ehpad).

Les ARS auditionnées par vos rapporteurs ont confirmé que les contrôles qu'elles organisaient s'inscrivaient dans le cadre des ONIC, un équilibre est recherché entre ces orientations nationales et les objectifs régionaux. Le tableau (ci-dessous) des priorités établi par l'ARS Nouvelle-Aquitaine illustre cet équilibre entre priorités nationales et des initiatives régionales.

Missions prioritaires inscrites au PRICE 2019 relatifs aux Ehpad

Orientations

Thème du programme d'IC

Objectifs

ONIC

Contrôle de la sécurité et de la qualité de la prise en charge médicamenteuse des résidents en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

1. Le contrôle des dispositions réglementaires opposables ;

2. L'accompagnement individualisé des Ehpad dans leur démarche de sécurisation de la prise en charge médicamenteuse notamment sur le management de la qualité ;

3. La capitalisation des inspections menées à partir de bilans réguliers pour engager des travaux bénéficiant à l'ensemble des Ehpad de la région et aux DD (exemples : mise à disposition d'une plaquette d'information à l'attention des Ehpad et des DD, travail dédié sur la préparation des doses à administrer (PDA)...) ;

4. La remontée au niveau national des rapports et indicateurs en vue de l'adaptation des textes et de capitalisation pour le niveau national.

ONIC/ORICE

Inspection de la gestion des risques liés au bâtiment relatifs à l'amiante, la légionellose, le radon, et les DASRI, dans les établissements médico-sociaux.

1. Connaissance par l'ARS des modalités de gestion des risques légionellose, amiante, radon, et DASRI ;

2. Prévenir ou s'assurer de la suppression des situations d'exposition aux divers risques ;

3. Constater les infractions et mettre en oeuvre les procédures administratives et pénales.

ORICE

Qualité de la prise en charge des personnes âgées dans les Ehpad (bientraitance, maltraitance, fin de vie).

1. Repérage et prévention des risques de maltraitance ;

2. Propositions de mesures correctives visant à sécuriser les pratiques ;

3. S'assurer du respect des recommandations de bonnes pratiques et de la mise en oeuvre des évolutions règlementaires ;

4. Prise en compte de l'évolution des profils des personnes accompagnées (situations complexes de handicap, maladies neuro-évolutives en Ehpad, fin de vie, prise en charge de la douleur...) ;

5. Renforcer la personnalisation de l'accompagnement proposé ;

6. Soutien à la politique de contractualisation et aux actions prévues au SRS.

ORICE

Analyse du pilotage et de la mise en oeuvre des financements octroyés par l'ARS aux ESMS.

Approfondir, par une inspection ou un contrôle sur place et/ou sur pièces, l'analyse de la situation de la structure, notamment sur les aspects de pilotage, de gestion des ressources humaines, de gestion comptable, budgétaire et financière.

La lecture de ces priorités confirme la prédominance des préoccupations liées à l'état de santé des résidents (iatrogénie médicamenteuse) ou à la qualité de leur prise en charge. Les contrôles au sein des Ehpad, qu'ils soient programmés dans le cadre des PRIC ou bien diligentés en urgence (hors programmation) à la suite d'un signalement ou d'une plainte, sont axés sur le repérage et la prévention des risques de maltraitance, mais pas uniquement. Cette thématique a fait l'objet, entre 2002 et 2017, d'une ONIC spécifique au sein des ESMS dédiés aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Après 15 ans de mise en oeuvre et 10 182 contrôles réalisés dans ce cadre, cette ONIC n'a pas été reconduite en considération du fait que la lutte contre la maltraitance était désormais reconnue comme consubstantielle à la stratégie d'inspection-contrôle et qu'elle était devenue un objectif stratégique global, s'appliquant à l'ensemble des ESMS.

Ces inspections-contrôles peuvent être réalisées soient de manière inopinée (et non annoncée) ou dans le cadre d'une information préalable de l'établissement. De nombreuses inspections sont ainsi diligentées sans information préalable du gestionnaire, afin de constater le fonctionnement effectif des structures.

Ainsi, au-delà de cette thématique qui demeure prioritaire au niveau national et local, les contrôles d'Ehpad portent aussi, de manière plus générale, sur la sécurité et la qualité globale de la prise en charge.

Les contrôles plus ciblés menés sur l'utilisation des dotations publiques allouées, notamment en cas de dysfonctionnements présumés dans la gestion des établissements ne constituent pas une cible prioritaire.

Le choix des corps de métiers en charge du contrôle, la prédominance des questions liées à la qualité de la prise en charge des résidents ont fait passer au second plan les questionnements sur l'usage des fonds publics et le recrutement d'agents, ou la collaboration avec des structures, en capacité de mener ces contrôles y compris face à des interlocuteurs qui ont structuré et financiarisé leur activité.

2. Les acteurs du contrôle nombreux et qui ne se parlent guère entre eux

Si la réglementation présente des lacunes à combler et qu'un équilibre doit être trouvé entre accompagnement et usage pertinent des fonds publics, entre simplification et contrôle, la commission des affaires sociales souhaite l'ouverture d'un chantier sur la structuration et le renforcement de la coordination du contrôle. Dans un contexte de ressources rares et de situations complexes, l'articulation des interventions des différents acteurs concernés qu'il s'agisse des autorités de tarification et de contrôle ou d'autres services de l'État amenés à contrôler le fonctionnement des Ehpad est indispensable pour mutualiser les moyens, et l'expertise, notamment en matière financière ou de droit du travail.

Dans cette analyse de l'organisation du contrôle, la tentation première pourrait être de se focaliser sur la coordination entre État, représenté par les ARS, et départements. Cette collaboration est hétérogène suivant les territoires et sans doute insatisfaisante de façon générale. Ces acteurs n'ont pas encore créé de véritables habitudes de travail communes, sans doute en raison d'un déséquilibre d'organisation dû à la centralisation des missions d'inspection au niveau des directions générales des ARS et donc à leurs difficultés à dialoguer au niveau départemental.

Toutefois, les auditions auxquelles vos rapporteurs ont procédé pointent un autre défaut dans l'organisation-contrôle des Ehpad, celui d'un grand nombre d'intervenants administratifs. Plusieurs administrations de l'État sont en effet concernées : concurrence et répression des fraudes (pour la protection contractuelle des résidents), inspection du travail, finances publiques et bien sûr les acteurs de la sphère sanitaire et sociale (ARS, assurance maladie).

a) La difficulté de coordonner les contrôles exercés par les services de l'État

L'activité de contrôle est susceptible de faire intervenir plusieurs services de l'État, de la sphère sociale notamment avec l'intervention des ARS ou de l'inspection du travail mais également de la sphère économique avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Enfin, des inspections-contrôle peuvent également être réalisées de manière conjointe, en fonction des structures à inspecter, avec d'autres services chargés d'effectuer des contrôle comme l' Assurance-maladie ou encore dans le cadre des Comités Opérationnels Départementaux Anti-Fraude (Codaf) avec les services de police et de gendarmerie, et surtout avec la Direction départementale des finances publiques (DDFIP).

Si les autorités en charge de la délivrance des autorisations et de la tarification (principalement les conseils départementaux et les ARS) ont un rôle majeur à jouer dans l'exercice du contrôle ainsi que le prévoient les textes réglementaires, elles ne sont pas les seules à intervenir en ce domaine. Les échanges d'informations, et les contrôles conjoints, aujourd'hui peu développés ne pourraient que renforcer la capacité d'intervention des différents acteurs et l'expertise déployée dans un champ très vaste d'établissements et de situations territoriales.

Deux exemples peuvent illustrer les synergies qui pourraient être provoquées par une meilleure articulation des interventions.

Dans le domaine de la gestion des ressources humaines, dont tous les observateurs s'accordent à dire qu'il est essentiel pour la bonne prise en charge des résidents, et pour lequel tous les analystes soulignent la faible attractivité et les difficultés de recrutement, les compétences des ARS (et des conseils départementaux) gagneraient à être complétées par celles de l'inspection du travail.

L'inspection du travail intervient déjà dans les Ehpad, en appui du dialogue social et pour contrôler le respect du code du travail.

Intervention de l'inspection du travail en Ehpad depuis 2018

Type d'intervention

2018

2019

2020

2021

2022

Total

Contrôle

411

303

327

349

25

1 415

Enquête

616

674

655

541

62

2 548

Examen de documents

622

668

7 41

607

62

2 700

Réunions en entreprise

248

228

121

107

8

7 12

Total

1 897

1 873

1 844

1 604

157

7 375

Source Mission IGAS/IGF

Selon la mission IGAS/IGF, les thématiques récurrentes lors de ces contrôles sont :

- la précarité et le recours abusif aux contrats de travail temporaire ou à durée déterminée ;

- le harcèlement moral, la charge de travail et les risques psycho-sociaux ;

- la durée du travail et la prise de congés ;

- la santé au travail (évaluation des risques, aide à la manutention et prévention des troubles musculosquelettique et risques biologiques ;

- le fonctionnement des institutions représentatives du personnel.

Compte tenu des difficultés du secteur en matière de gestion des ressources humaines, une meilleure articulation des interventions ou, à tout le moins, des échanges réguliers d'information permettraient d'améliorer le contrôle des établissements et un meilleur accompagnement des personnels qui travaillent dans des conditions difficiles.

Un raisonnement identique peut être tenu à l'égard de l'apport que pourrait représenter une meilleure articulation des interventions des ARS et des conseils départementaux avec ceux des directions départementales de la protection des populations (DDPP), services déconcentrés de la DGCCRF.

Les services déconcentrés de la DGCCRF jouent en effet un rôle important dans le contrôle du secteur de l'hébergement des personnes âgées et exercent leurs compétences sur les aspects suivants : affichage des prix/tarifs ; conformité des contrats ; respect de l'encadrement de l'évolution des prix pour les places non habilitées à l'aide sociale à l'hébergement ; recherche de pratiques commerciales trompeuses.

Lors de son audition, la directrice générale de la DGCCRF a indiqué que sa direction contrôle environ de 500 établissements par an.

Contrôles réalisés par la DGCCRF et ses services déconcentrés

2013 - 2014

2016 - 2017

2017 - 2018

2019 - 2021

447 établissements habilités ou non à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale contrôlés, lors de 532 visites

652 établissements ont été contrôlés (866 visites)

552 établissements ont été contrôlés (682 visites)

Plus de 1 000 établissements

Source : DGCCRF

Contrairement aux ARS qui sont en situation de réagir à des plaintes ou des signalements de maltraitance, sous l'angle protection des consommateurs qui est celui de la DGCCRF, le secteur des Ehpad ne fait l'objet que de peu de plaintes. À titre d'illustration, 37 signalements (pas nécessairement dans le champ de compétence de la DGCCRF) ont été recensés sur la plateforme SignalConso en 2021 sur les Ehpad (de tous statuts).

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce faible nombre de signalements :

- il s'agit d'un public vulnérable, dépendant. Les résidents ne sont majoritairement pas en mesure d'alerter eux-mêmes un service de contrôle. Si les familles ne sont pas présentes et/ou particulièrement vigilantes (les contrats et les modalités de facturation sont complexes), les anomalies ne sont pas signalées ;

- il s'agit d'un public captif. Il y a potentiellement une sous-déclaration en raison de la crainte des familles soit de mesures de rétorsion à l'encontre de leur parent, soit d'être dans l'obligation de le déplacer. Or, les contraintes financières, géographiques et la disponibilité des chambres constituent un frein certain à la mobilité du résident en plus de son état de santé ;

- malgré les informations régulièrement diffusées sur le site internet de la DGCCRF (fiches pratiques, synthèses des résultats des contrôles menés), il peut être difficile d'identifier le bon interlocuteur parmi les multiples acteurs : DDPP, DDETSPP, ARS, conseils départementaux.

Les contrôles menés par les DDPP ne sont donc pas déclenchés par des plaintes ou des signalements et s'inscrivent plutôt dans une programmation. L'existence d'un programme de travail est de nature à favoriser une meilleure articulation des interventions avec les autres acteurs concernés.

Ces deux exemples, inspection du travail et DDPP, montrent l'intérêt de renforcer l'articulation entre les acteurs pour trois raisons :

- premièrement, tous les manquements à la réglementation devraient être signalés aux autorités de tarification et de contrôle et être considérés comme un signal, faible, de l'état de fonctionnement de l'Ehpad, de nature à programmer un contrôle plus large, même sans signalement de maltraitance.

- deuxièmement, leur agglomération permet de contrôler plus d'établissements. Rapportée au nombre d'Ehpad, l'activité de contrôle de chaque acteur demeure limitée. Dans le cas des services déconcentrés de la DGCCRF ou de ceux de l'inspection du travail moins de 10% des Ehpad font l'objet d'un contrôle mais additionné aux contrôles menés par les autres acteurs cela permet de couvrir un nombre d'établissements plus conséquent.

- troisièmement, des efforts doivent être faits pour mieux coordonner les inspections-contrôle mais surtout pour développer l'échange d'informations. Un fonctionnement en silo peut être accepté au regard des réglementations applicables et des champs de contrôles respectifs des différents acteurs mais une coordination est nécessaire notamment afin de partager des objectifs communs et de déployer les moyens nécessaires au contrôle. Elle permet de mutualiser les moyens et de renforcer les capacités d'expertise.

Proposition n°11 : Créer un comité d'animation des contrôles au niveau national réunissant les directions d'administrations centrales et les caisses de sécurité sociale concernées, le défenseur des droits, afin de définir des orientations nationales et donner des impulsions aux réseaux déconcentrés.

La programmation de ces réunions et leur animation pourraient être confiée à la CNSA qui apportera son expertise et bénéficiera en retour d'une connaissance encore plus approfondie du secteur.

Par ailleurs, si l'exercice de la fonction de contrôle est une question de ressources humaines, la formation d'équipes pluridisciplinaires (ARS, inspecteurs du travail, inspecteurs de la consommation et de la répression des fraudes, inspecteurs du travail) est une piste qui devrait être examinée, sans être écartée au nom de dispositions législatives et réglementaires (compétences en matière de pouvoirs de police judicaire et de police administrative). De la même façon des synergies devraient être recherchées avec les chambres régionales et territoriales des comptes pour disposer d'une expertise supplémentaire en matière financière et budgétaire.

b) Un contrôle territorial complexe à organiser

Cette définition de modalités de coordination des interventions des services de l'État chargés des contrôles et un meilleur échange d'information doit être déclinée au niveau territorial.

Outre la coordination des services de l'État une attention particulière doit être apportée à la collaboration des autorités de tarification et de contrôle que sont les ARS et les conseils départementaux.

Il ressort des auditions que le niveau de coordination des missions d'inspection-contrôle entre les ARS et les conseils départementaux est hétérogène et plutôt de facture médiocre.

Les auditions de plusieurs directeurs généraux d'ARS (Île-de-France, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire, Occitanie, dont le ressort territorial concerne 52 départements) et de plusieurs conseils départementaux (Gironde, Loire-Atlantique, Hauts-de-Seine, Eure-et-Loir) ont mis en exergue une volonté des parties en présence de trouver des modalités de coopération, modalités qui peuvent varier selon les territoires.

Le conseil départemental de Gironde indique que la plupart des contrôles font suite à un signalement et sont menés pour partie conjointement avec les services de l'ARS. Jusqu'en mars 2020, une commission mensuelle des plaintes réunissait les agents de l'ARS et du département.

Dans les Hauts-de-Seine, les contrôles conjoints de l'ARS et du conseil départemental restent rares. Auditionnée par vos rapporteurs, la nouvelle directrice générale de l'ARS Île-de-France a indiqué vouloir remédier à cette situation et avoir pris contact avec tous les présidents de conseils départementaux de la région. Elle indique qu'entre 2020 et 2021, 11 des 55 contrôles réalisés par l'ARS dans les Ehpad l'ont été de manière conjointe avec les conseils départementaux, soit 20 % d'entre eux.

Face à cette situation, la commission des affaires sociales du Sénat estime nécessaire de poser une contrainte aux autorités de tarification et de contrôle afin qu'elles coordonnent leurs actions d'inspection-contrôle. Elle préconise l'instauration d'une réunion régulière rassemblant à la fois l'ARS et le département mais également tous les services de l'État menant des contrôles dans le secteur des Ehpad afin que leurs actions soient structurées et que l'échange d'informations s'intensifie. Une réunion bimestrielle semble un rythme idoine pour amorcer cette coopération.

Proposition n°12 : Décliner le comité d'animation des contrôles au niveau départemental, avec un représentant du conseil départemental, afin de coordonner les actions.

III. PLUS LARGEMENT, UN DÉFICIT DE PILOTAGE STRATÉGIQUE

Les lacunes constatées en matière de contrôle relèvent à la fois d'une réglementation inadaptée à l'évolution du secteur, d'un manque de moyens consacrés à ces missions mais également d'un déficit de pilotage stratégique.

Ce déficit de pilotage stratégique est en partie imputable aux Gouvernements successifs qui ont évoqué, préparé pour certains d'entre eux, un projet de loi grand âge avant d'y renoncer. Dans ce contexte, les évolutions législatives et réglementaires n'ont été qu'incrémentales, quasi silencieuses, et n'ont pas favorisé une approche globale et une vision stratégique des sujets. La volonté de développer le maintien à domicile s'est imposée, à juste titre, comme la priorité stratégique du secteur. Cet objectif prioritaire ne dispensait pas les autorités d'assurer le pilotage stratégique du secteur de l'hébergement en établissement, plus particulièrement en Ehpad, afin de garantir son adéquation avec l'évolution des besoins et le développement du virage domiciliaire et de prendre en compte l'assouplissement de l'environnement réglementaire dans lequel évoluent les Ehpad.

Pour assurer ce pilotage stratégique, les autorités de tarification et de contrôle disposent de plusieurs instruments. La définition de schémas territoriaux est le premier d'entre eux (schémas départementaux relatifs aux personnes handicapées ou en perte d'autonomie pour les conseils départementaux, schéma sectoriel au sein du schéma régional de santé tenant compte des besoins en matière médico-sociale pour les ARS, programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie). Cette planification permet de déterminer les priorités de financement et de cartographier l'offre disponible.

Au côté de ces instruments globaux, les autorités disposent d'autres instruments plus spécifiques destinés à piloter le fonctionnement des établissements comme la délivrance de l'autorisation, l'allocation des moyens budgétaires et la contractualisation. L'analyse du secteur montre que ces instruments n'ont pas permis de développer un véritable pilotage stratégique.

L'approche des autorités de tarification a toujours été centrée sur l'établissement. La constitution de groupes multi-gestionnaires d'Ehpad n'a pas été appréhendée par les tutelles, tandis que le dialogue de gestion qui accompagne la contractualisation et l'affectation de crédits demeure à l'état embryonnaire.

Comme pour l'exercice du contrôle, les choix faits en matière de réglementation ont pour effet de rendre plus difficile l'exercice de ce pilotage stratégique. Les modalités de financement des Ehpad illustrent cette situation. Les allocations budgétaires sont calculées en fonction de l'état de santé des résidents et les autorités de tutelle ne sont plus compétentes pour définir les plafonds d'emplois.

En outre, le souci de simplification qui a présidé à la construction budgétaire et réglementaire en vigueur, fondé sur une vision par établissement ne permet pas de répondre de façon satisfaisante et structurée aux enjeux du secteur. Des évolutions doivent être envisagées en replaçant les Ehpad dans une logique de parcours global des personnes âgées.

A. DES MODALITÉS D'AUTORISATION ET DE TARIFICATION QUI NE SONT PAS EN ADÉQUATION AVEC LES EXIGENCES D'UN PILOTAGE STRATÉGIQUE

Les réformes mises en oeuvre au cours des quinze dernières années ont apporté des modifications substantielles au fonctionnement du secteur. Qu'il s'agisse du nouveau régime d'autorisation des Ehpad mis en place par la loi HPST 14 ( * ) , de l'évolution des modalités de financement ou de l'instauration des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) portées par la loi ASV.

Ces évolutions vont dans le sens d'un desserrement de la contrainte réglementaire afin de laisser une marge d'initiative plus grande aux établissements et répondre ainsi aux attentes des acteurs. Ces évolutions ne sont pas accompagnées d'une réflexion suffisamment approfondie sur les modalités du pilotage stratégique, sur l'adéquation des moyens et des instruments nécessaires à ce pilotage. Par ailleurs l'accent a été mis au cours de ces dernières années sur le virage domiciliaire afin de répondre aux attentes de nos concitoyens. La question des Ehpad a été « laissée de côté »; il convient donc de se re-saisir de cette question pour assurer son intégration dans une politique globale en adéquation avec les besoins que va soulever l'évolution démographique des années à venir.

1. Un régime d'autorisation qui doit trouver son équilibre

Pour exercer leurs activités, les établissements et services sociaux et médico-sociaux oeuvrant auprès des personnes âgées, des personnes handicapées, des enfants ou des personnes en difficultés sociales sont soumis à l'obligation d'obtenir une autorisation administrative auprès des services de l'État ou/et des conseils généraux selon la catégorie d'établissement ou de service. Ce régime d'autorisation doit trouver son équilibre entre la possibilité reconnue aux autorités de tarification de se prononcer sur la pertinence des projets qui lui sont soumis et la volonté de laisser une liberté d'organisation aux acteurs.

Le principe d'une autorisation préalable a été consacré par la loi de 1975 15 ( * ) et son caractère contraignant s'est accru progressivement. Toutefois, l'instauration de ce régime d'autorisation n'a fait qu'encadrer une pratique historique : l'émergence ascendante des projets dans le social et le médico-social. En effet, depuis l'apparition des premiers services dans ce domaine, ce sont principalement les initiatives des acteurs locaux, publics ou privés, qui avaient été à l'origine de projets de création de structures. L'autorisation administrative et l'apport d'éventuels financements publics avaient conduit à une discussion préalable de ces projets entre les porteurs de projets et les autorités compétentes, sans changer la logique ascendante de l'apparition de ces projets à partir d'une analyse des besoins locaux. La mise en place progressive de schémas d'organisation sociale et médico-sociale, d'outils de programmation comme le programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC) ont modifié l'environnement administratif et réglementaire avant que la loi HPST n'opère un changement de logique radical en consacrant la primauté de la commande publique et de son caractère descendant, avec l'avènement des appels à projet lancés par les autorités compétentes.

a) Un régime d'autorisation centré sur une forme d'activité

Pour exercer leurs activités, les Ehpad sont soumis à l'obligation d'obtenir une autorisation administrative auprès des services de l'État ou/et des conseils généraux. Ce régime d'autorisation a été instauré au milieu des années 1970 et modifié plusieurs fois depuis le début des années 2000 16 ( * ) . Il a pris sa forme actuelle avec la loi HPST qui a introduit une procédure d'appels à projet.

Avec l'introduction de cette procédure d'appel à projet, la loi HPST a modifié en profondeur la logique de délivrance de ces autorisations et a permis aux autorités de tarification et de contrôle de reprendre la main sur les créations de places.

Avant 2010, les personnes ou organismes gestionnaires d'Ehpad déposaient une demande d'autorisation auprès de l'autorité compétente. La décision d'autorisation était alors rendue après consultation du comité régional de l'organisation sociale et médico-sociale (CROSMS). La loi HPST a supprimé ce comité et mis en place une procédure d'appels à projets pour autoriser la création, la transformation ou l'extension des établissements et services, lancée par l'autorité compétente en charge du financement (directeurs généraux des agences régionales de santé et présidents des conseils généraux) sur la base d'un cahier des charges. La décision d'autorisation est rendue après classement des projets par une commission de sélection des appels à projet placée auprès de chaque autorité.

Ce changement redonne l'initiative aux autorités publiques et vise à organiser de façon plus efficace la sélection des projets par les décideurs, puisqu'ils s'inscrivent en réponse à des besoins médico-sociaux définis de façon collective et concertée.Dans le même temps, la lourdeur des procédures (appel à projets, candidatures à manifestation d'intérêt) favorise les organisations bien structurées, professionnalisées disposant d'une forte expertise gestionnaire.

Ce régime d'autorisation a connu des évolutions avec la LFSS pour 2018 et son article 51 visant à favoriser l'innovation. Dans le domaine des Ehpad cela a permis de proposer des organisations innovantes comme les expérimentations d'Ehpad hors les murs.

Au regard des évolutions du secteur de la prise en charge des personnes âgées, du développement des solutions domiciliaires et de la nécessité de développer des parcours, une évolution du régime des autorisations semble indispensable. Un nouveau régime d'autorisation devrait être mis à l'étude afin de permettre la délivrance d'autorisations globalisées favorisant l'organisation de ces parcours (hébergement permanent en Ehpad, hébergement temporaire, accueil de jour, service d'aide à domicile). Ce régime d'autorisation pourrait tenir compte de la variété des offres du secteur et de la pluralité des intervenants. Sans aller vers un effacement des différentes formes d'organisation existantes dans le secteur, une réflexion approfondie pourrait être ouverte sur l'opportunité d'un nouveau régime d'autorisation, global, favorisant le développement des Ehpad centre de ressources, ou Ehpad-pivot pour apporter des prestations qui pourraient varier dans le temps en fonction de l'évolution de l'état de santé de la personne.

b) Le problème des transferts d'autorisation

La question du pilotage stratégique par le biais du régime d'autorisation ne se pose pas uniquement au moment de la délivrance. La vie des établissements peut nécessiter des évolutions du contenu de ces autorisations, la latitude dont disposent les autorités compétentes pour suivre le titulaire de ces autorisations apparaît alors très réduite et peu en adéquation avec la possibilité de s'assurer que ces évolutions sont conformes à la volonté de la tutelle. Ce constat soulève la question de l'équilibre général du régime d'autorisation, contraint à la délivrance, plus libéral pour le transfert.

Cette possibilité de suivre et accompagner les évolutions dans la vie des établissements constitue pourtant un élément fort de la capacité de pilotage stratégique des autorités de tarification et de contrôle. Cette possibilité d'agir sur l'évolution de l'offre existante est d'autant plus nécessaire qu'au cours des vingt dernières années, un mouvement de structuration important a été mené dans le secteur privé lucratif, favorisant l'émergence de groupes multi-gestionnaires d'Ehpad. Ces regroupements d'établissements vont se poursuivre dans les années à venir afin de mutualiser les moyens, de bénéficier d'expertise commune, et de favoriser les parcours. Ce mouvement de regroupement devrait aussi concerner les établissements du secteur public.

Ces restructurations nécessitent des transferts d'autorisation ou des transferts de propriété puisqu'elles concernent en priorité des établissements déjà en activité. La réglementation 17 ( * ) en vigueur dispose que « l'autorisation ne peut être cédée qu'avec l'accord de l'autorité compétente pour la délivrer, qui s'assure que le cessionnaire pressenti remplit les conditions pour gérer l'établissement, le service ou le lieu de vie et d'accueil dans le respect de l'autorisation préexistante, le cas échéant au regard des conditions dans lesquelles il gère déjà, conformément aux dispositions du présent code, d'autres établissements, services ou lieux de vie et d'accueil . »

Cette réglementation ne laisse qu'une marge de décision limitée aux autorités compétentes. Les ARS et conseils départementaux auditionnés dans le cadre de la mission considéraient que cette réglementation ne leur permettait pas véritablement de s'opposer à un transfert d'autorisation et donc à saisir ces occasions pour définir une vision stratégique du devenir des établissements concernés.

Dans la pratique, le souhait de cession d'un établissement est connu tardivement par les services de l'ARS et du conseil départemental, ceux-ci pouvant avoir le sentiment d'être mis devant le fait accompli. Les services ne disposent que d'un court délai pour instruire la demande de cession (trois mois).

In fine , le rejet du transfert ne peut se fonder que sur l'incapacité du cessionnaire à remplir les conditions de gestion de l'établissement. En pratique, la plupart des organismes cessionnaires gèrent déjà des établissements et démontrer une telle incapacité est complexe. Par conséquent, les services des ARS et des conseils départementaux ne mènent pas systématiquement un contrôle approfondi mais procèdent à une analyse de risques à l'issue de laquelle une investigation est réalisée lorsque des situations présentant des risques sont identifiées.

La gestion du régime d'autorisation ne suffit pas à maîtriser les éventuels changements de propriétaires d'un établissement. Les groupes multi-gestionnaires peuvent avoir recours à un autre procédé juridique permettant d'échapper à la cession d'autorisation au sens de la réglementation de l'action sociale et des familles. La reprise des parts sociales de la société détentrice de l'autorisation permet d'éviter de déposer un dossier de cession d'autorisation auprès des autorités. Le détenteur de l'autorisation ne change pas c'est la « holding » qui change. Ce procédé permet d'échapper au contrôle à priori des autorités, seule une démarche d'information est prévue par les textes.

Si la loi HPST a redonné une capacité de contrôle aux autorités de tutelle pour l'ouverture de nouvelles places, la réglementation demeure déséquilibrée en faveur des établissements pour ce qui est des transferts. Cette souplesse réglementaire a permis la restructuration du secteur et la constitution de groupes multi-gestionnaires d'établissements. La nécessité de piloter l'évolution de l'offre dans les années à venir et de développer des solutions hybrides doit conduire à réfléchir également sur les modalités de révision du régime juridique de transfert des autorisations.

2. Une tarification trop complexe

Il y a 14 ans nos collègues en charge du rapport sur la création du 5 ème risque 18 ( * ) écrivaient : « Le système français de prise en charge de la perte d'autonomie souffre aussi et surtout du grand nombre d'acteurs concernés et de l'enchevêtrement de leurs compétences respectives. Faute de choix clairs de la part des pouvoirs publics depuis la fin des années quatre-vingt, les circuits institutionnels et financiers sont désormais caractérisés par une très grande complexité. Dans ces conditions, engager une réflexion tendant soit à les simplifier, soit à les améliorer, tout en prenant acte de la diversité des acteurs, représente une nécessité opérationnelle incontournable. »

Depuis cette période, la loi ASV a proposé une réforme des modalités de financement des Ehpad mais il s'agissait d'abord de rénover l'évaluation des besoins des établissements en tenant compte de l'état de santé des résidents, d'assouplir la construction budgétaire, plus que de d'agir sur le nombre d'acteurs. Les Ehpad perçoivent aujourd'hui encore un financement tripartite pour les soins, la dépendance et l'hébergement.

a) Un financement tripartite accusé de rendre le pilotage budgétaire complexe

La persistance de ce financement tripartite, porté par des financeurs distincts est régulièrement présentée comme une source de complexité et la fusion des enveloppes soins et dépendance comme la solution permettant de simplifier la gouvernance du secteur.

Cette complexité budgétaire a été en partie réduite. En effet, faisant reposer le financement sur une équation tarifaire fondée sur l'état de santé et de dépendance des résidents, la loi ASV a réduit l'intensité des négociations budgétaires entre les établissements et les autorités de tarification.

Toutefois, la critique demeure, assise sur le caractère réputé artificiel de la frontière entre les sections soins et dépendance. Cette critique est acutisée par le fait que la part des financements départementaux ne cesse de décroître et que, par ailleurs, un certain nombre de mesures relevant du champ de la dépendance sont prises en charge par des crédits de l'objectif général de dépenses financé par l'assurance maladie (compensation des convergences tarifaires négatives sur les forfaits dépendance versés par les départements, mesure de revalorisation salariale prises dans le cadre du Ségur et affectant les charges de personnels affectés à la dépendance).

Dans son rapport sur la prise en charge médicale des personnes en Ehpad remis à la commission en février, la Cour des comptes observait que « la construction d'un modèle unifié de tarification où l'assurance maladie assumerait le financement quasi intégral des charges relatives aux soins et à la dépendance, permettrait de mettre en cohérence et de simplifier la structure de financement, ainsi que de regrouper au niveau des ARS, les discussions financières relatives à la prise en charge des personnes ».

Une proposition similaire avait été faite dans le cadre du rapport Libault 19 ( * ) , dans la perspective d'une unification des financements sous l'égide de la CNSA, avec des crédits assurance maladie. Cette proposition a également été formulée par plusieurs organisations du secteur auditionnées par vos rapporteurs, comme la fédération hospitalière de France (FHF). Cette fusion avait été envisagée dans la cadre de la préparation du PLFS pour 2022, sans qu'il soit donné suite à cette hypothèse de travail.

La mission essaiera de montrer que la simplification du pilotage budgétaire peut emprunter la voie d'un guichet unique au niveau départemental, réunissant ARS et conseils départementaux. Les complexités administratives qui seraient liées à la dualité de pilotage et de financement sont aussi dues en partie à une coordination insuffisante entre l'ARS et le conseil départemental.

Toutefois, dans le cadre de la préparation d'une loi grand âge, une réflexion approfondie pourrait être lancée afin de proposer une évolution majeure des modalités de financement des Ehpad. Une telle démarche doit tenir compte de l'ensemble du parcours des personnes âgées et du développement de formules hybrides comme les Ehpad hors les murs ou les Ehpad plateformes, tout comme des projets de fermeture des unités de soins de longue durée et la conséquence de cette fermeture sur l'évolution de l'état de santé des résidents en Ehpad. La nouvelle architecture des « tuyaux budgétaires » ne doit pas se traduire par une rupture dans la prise en charge des personnes âgées parce que le département serait en charge du domicile et l'ARS des établissements.

b) Une tarification qui n'incite pas à investir dans la qualité

Depuis 20 ans la problématique de la simplification et d'une éventuelle fusion des enveloppes soins et dépendance a dominé le débat sur la question du financement des Ehpad. Cette prédominance fait passer au second plan la question de l'adéquation des modalités de financement avec les besoins des personnes âgées et la capacité des établissements à s'adapter aux évolutions de l'état de santé de leurs résidents.

Cette question est une question qualitative. Il ne s'agit pas de se focaliser sur la demande de moyens supplémentaires, même si ces derniers sont indispensables ainsi que le relève la Cour des comptes et ce malgré les efforts budgétaires réalisés ces dernières années, mais bien de s'assurer que les modalités d'allocation budgétaire incitent les établissements à développer une prise en charge de qualité.

La problématique à laquelle doivent faire face les établissements, et leurs personnels, est celle de la dégradation de l'état de santé de leurs résidents. Leur mission est, dans un premier temps de prévenir cette dégradation pour le développement d'actions de prévention. Ils doivent également prendre en charge des personnes dont le degré de dépendance s'accroît et être en mesure de développer des moyens d'accueil adaptés, médicalisés. La fermeture prochaine des unités de soins de longue durée (USLD), annoncée par le Gouvernement au premier trimestre 2022 aura d'ailleurs des conséquences sur ce point par les effets de transferts des USLD vers les Ehpad qu'elle produira.

Or, il ressort des auditions de la mission que les modalités de financement ne sont plus en adéquation avec les objectifs de prise en charge des résidents et doivent évoluer afin d'inciter les établissements à une démarche qualité.

La loi ASV a procédé à une première évolution qui a permis d'établir un lien entre l'état de santé et de dépendance des résidents et le niveau de financement des établissements. Si le financement des Ehpad est d'ores et déjà fondé sur l'évolution de l'état de santé des résidents des infléchissements demeurent nécessaires pour renforcer le caractère incitatif des modalités d'allocation budgétaire. Ces infléchissements doivent prendre deux directions.

Il convient tout d'abord de faire un premier bilan de la réforme portée par la loi ASV. Ce bilan fait apparaître des défauts de mise à jour des coupes 20 ( * ) tarifaires qui sous-tendent le calcul des dotations. Ces retards empêchent la revalorisation des budgets et sont source de pertes de recettes préjudiciables à la qualité de la prise en charge.

Dans son enquête précitée, la Cour des comptes relève que si la réglementation prévoit que les Pathos moyen pondéré (PMP) et Gir moyen pondéré (GMP) doivent être recalculés avant la conclusion du CPOM, soit tous les cinq ans, « le rythme réel de mise à jour des coupes ne respecte pas souvent ce calendrier ». En effet, si environ les deux tiers des établissements ont des coupes réalisées au cours des trois dernières années « 18 % ont des coupes qui datent de 2015-2016 et 8 % un coupe antérieure à 2015 » pour le GMP, « 18 % ont des coupes qui datent de 2015-2016 et 11 % une coupe antérieure à 2015 » pour le PMP .

La durée de validité relativement longue de ces évaluations neutralise les effets de la réforme tarifaire portée par la loi ASV puisqu'elle ne permet pas de faire évoluer les financements au même rythme que l'état de santé des résidents. Cette situation est en partie causée par le manque de moyens des ARS qui ne disposent pas de suffisamment de médecins pour réaliser ces opérations.

Ensuite, une réflexion doit être lancée afin que les règles de financement incitent les établissements à investir davantage dans la prévention. À ce titre, et dans la continuité des propositions formulées par la Cour des comptes, les modalités de financement devraient être ajustées pour tenir davantage compte des besoins liés à la prise en charge des troubles cognitifs et certaines dotations devraient être conditionnées à des indicateurs chargés de mesurer le déploiement d'actions de prévention. Une réforme des ordonnances Pathos pourrait permettre de mieux valoriser la prévention, les thérapies non médicamenteuses et le suivi de l'évolution des pathologies. Enfin, le modèle d'allocations de ressources devrait faire une place plus grande aux dotations pluriannuelles plus favorables aux objectifs d'amélioration de la qualité ou d'accueil des populations en situation de précarité ou de handicap.

Les modalités de financement destinées à favoriser la prise en charge des besoins d'accompagnement des résidents doivent également être révisées. Cette évolution doit encourager le développement des prestations particulières telles que les unités d'hébergement renforcées (UHR), les pôles de soins adaptées (Pasa) ou les unités de vie protégées, autant de structures dont la mise en place apporte une réponse à l'évolution de l'état de santé des résidents. Ce développement, point nodal de la prise en charge de maladies neurodégénératives, est aujourd'hui trop lent.

B. LE CPOM : UN INSTRUMENT QUI N'A PAS FAIT LA PREUVE DE SON EFFICACITÉ

L'histoire de la contractualisation entre les établissements et les autorités tarificatrices et de contrôle est vieille d'un quart de siècle. Deux grands types de contractualisation ont été déployés durant cette période, les conventions tripartites puis les conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens (CPOM). Ces conventions poursuivent un même objectif qui est celui d'organiser un dialogue de gestion entre les autorités tarificatrices et de contrôle et les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad). Le passage des conventions tripartites aux CPOM est le signe d'une évolution des modalités de ce dialogue qui passe d'une relation de tutelle encadrée à une forme d'accompagnement.

Outre leurs fonctions, ces conventions ont un autre point commun, un calendrier de déploiement qui s'étire au-delà des échéances prévues initialement. Les Ehpad avaient initialement jusqu'au 31 décembre 1998 pour signer les conventions tripartites avec les autorités représentant l'assurance maladie et le département. Cette échéance a été repoussée à plusieurs reprises avant d'être finalement fixée au 31 décembre 2008. Le déploiement des CPOM était quant à lui initialement prévu entre 2017 et 2022 avant d'être repoussé à 2024. Si la crise sanitaire peut expliquer ce report, elle ne saurait expliquer à elle seule le retard constaté dans la conclusion des CPOM.

Les retards dans la signature de ces conventions ne sont pas les seules raisons de ce manque d'efficacité des CPOM. Le dialogue de gestion qui fonde la relation contractuelle suppose des moyens humains suffisants. Or, ici les parties au contrat souffrent d'un manque de manque d'ETP spécialisés. Le contenu des contrats peut être une autre explication à la portée limitée de cet instrument. Les CPOM doivent prendre en compte pluriannualité et moyens or nous venons de voir que les modalités de financement des Ehpad sont paramétrées en fonction de l'état de santé des résidents. Il est donc difficile de faire vivre dans une perspective stratégique la partie « moyens » de ces instruments.

1. Contractualiser autour d'objectifs ambitieux

Le passage des conventions tripartites aux CPOM s'inscrit dans une démarche ambitieuse visant à rénover le dialogue de gestion. Ces CPOM ont toujours vocation à poursuivre l'amélioration de la qualité de l'accompagnement et de la prise en charge des personnes hébergées ou accueillies mais en contrepartie de ces objectifs de qualité les autorités de tarification doivent apporter des perspectives pluriannuelles quant au financement des structures. Le CPOM doit constituer un véritable outil de gestion budgétaire au service de la stratégie d'un gestionnaire.

La signature de conventions tripartites a été rendue obligatoire par la loi du 24 janvier 1997 21 ( * ) qui a également introduit la tarification ternaire (soins, dépendance, hébergement) des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). À travers les conventions tripartites, les établissements s'engagent sur des objectifs de qualité en contrepartie d'une augmentation des moyens qui leur sont alloués. La deuxième vague de conventionnement tripartite s'est par ailleurs accompagnée de la mise en place d'une tarification définie en fonction du GIR moyen pondéré soins. Ce processus de médicalisation, qui s'est accompagné en moyenne d'une augmentation de 30 % des dotations allouées aux établissements, a été freiné par les contraintes budgétaires pesant sur le secteur médico-social (faiblesse des enveloppes de médicalisation prévues par chaque loi de financement de la sécurité sociale, contraintes financières pour les départements, qui finançaient à hauteur de 30 % les postes d'aides-soignants et d'aides médico-psychologiques). Comme l'a souligné la Cour des comptes en septembre 2014 22 ( * ) , « le dispositif apparaît ainsi quelque peu grippé, du fait des tensions budgétaires et des carences de l'organisation administrative ».

a) Une réforme portée par la loi ASV qui laisse peu de place aux départements

Les lois relatives à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV) et de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2016 et 2017 définissent cette nouvelle ère de la contractualisation du secteur médico-social avec la généralisation du « contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens » (CPOM).

Cette réforme était motivée par les limites de la contractualisation antérieure. En 2014, la Cour des comptes observait que « Les Ehpad sont globalement couverts par des conventions tripartites obligatoires qui associent chaque structure à ses deux autorités de tutelle que sont l'ARS et le département. Cependant, établies selon un cahier des charges déjà ancien et dans des conditions de coordination difficiles à mettre en place entre les entités parties prenantes, ces conventions ne permettent ni d'asseoir une tarification pluriannuelle, ni de promouvoir des performances de gestion, ni de valoriser les mutualisations de moyens. »

La réforme proposée par la loi ASV se fixe des objectifs ambitieux, il s'agit à la fois de rénover les principes de la contractualisation et d'assurer une meilleure articulation entre contractualisation et financement pluriannuels. Le CPOM doit participer à une meilleure structuration de l'offre sur le territoire afin de mieux répondre aux besoins des personnes selon des modalités identifiées et priorisées dans le cadre des plans régionaux de santé et leurs cibles quantitatives et qualitatives opposables et des schémas élaborés localement. C'est également un levier de performance pour les ESMS.

Pour le secteur des Ehpad, le CPOM est présenté comme une source de simplification administrative car il se substitue aux conventions d'habilitation à l'aide sociale départementale quand elles existaient et aux conventions tripartites pluriannuelles. Le CPOM devient aussi le document unique de contractualisation pour le gestionnaire d'un ou plusieurs Ehpad.

Derrière ces considérations sur une contractualisation simplifiée et la rénovation du dialogue de gestion, l'instauration des CPOM accompagne la réforme de la tarification portée par la loi ASV. La loi dispose que le contrat prévoit les modalités d'affectation du résultat. Il convient, en effet, d'aménager lors de la négociation du CPOM un temps d'échange sur cette question afin de projeter un résultat prévisionnel et de s'assurer que l'affectation de ce résultat réponde aux objectifs du CPOM.

(1) Un CPOM cadre proposé par le ministère

Pour accompagner les acteurs locaux dans cette réforme, l'arrêté du 3 mars 2017 propose un modèle de contrat type conçu comme un outil utile aux autorités ayant délivré l'autorisation pour faire évoluer l'offre en tenant compte des problématiques rencontrées localement. Ce modèle de contrat est donc conçu de manière assez souple pour permettre aux acteurs de l'adapter et de définir des objectifs spécifiques propres aux caractéristiques de chacun des territoires.

Cet arrêté est complété par une instruction 23 ( * ) dont l'objet est de proposer une doctrine pour la mise en oeuvre de la réforme de la contractualisation du secteur médico-social, de rappeler les différents enjeux qu'elle recouvre et d'en expliciter les modalités techniques d'application.

Les visas du CPOM renvoient au plan régional de santé et aux différents schémas arrêtés localement. De même, le préambule du contrat-type du CPOM est laissé à la main des acteurs afin qu'ils puissent le personnaliser. Des annexes obligatoires et communes à l'ensemble des CPOM qui doivent être produites spécifiquement :

- la synthèse du diagnostic partagé . Le diagnostic partagé est l'élément fondateur du CPOM, à partir duquel découle l'ensemble des objectifs. Ses principales orientations sous la forme d'une synthèse, doivent être annexées au contrat afin de servir de document de référence ;

- une annexe détaillant la réponse des établissements et services du CPOM aux besoins territoriaux et leur inscription dans l'offre de santé et d'autonomie sur le territoire ;

- une annexe évolutive détaillant les objectifs fixés dans le cadre du CPOM assortis des indicateurs retenus pour en mesurer l'évolution. Cette annexe fait l'objet d'un point d'avancement pour permettre le suivi des objectifs. Pour ce faire, elle fait partie intégrante du rapport d'activités annuel, document transmis en même temps que l'état réalisé des recettes et des dépenses (ERRD).

Le CPOM doit également présenter le plan global de financement pluriannuel (PGFP) simulant la trajectoire financière des établissements et services sur une période glissante de 6 ans, au sein duquel figure notamment le plan pluriannuel d'investissement (PPI). Ce plan pluriannuel est intégré à l'état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD).

En outre les groupes gérant plusieurs établissements se sont vus offrir (LFSS 2017) la possibilité de conclure un CPOM pour les établissements d'un même département, pour lesquels les financements sont alors fongibles.

Ce cahier des charges permet de mesurer les ambitions attenantes à la rénovation des CPOM.

(2) Les ARS ont élaboré des contrats-types

Les ARS se sont également saisies de la question de l'élaboration d'un contrat-type qui reprend les recommandations formulées dans l'instruction ministérielle.

L'ARS Île-de-France dispose d'un CPOM type contenant l'ensemble des stipulations souhaitées, correspondant à la déclinaison des orientations stratégiques régionales. Par exemple, l'ARS a introduit dans les CPOM un seuil d'excédent (5%) au-dessus duquel le gestionnaire doit engager un échange avec les services sur l'affectation des résultats financiers. Cette règle est progressivement mise en place depuis 2019. L'ARS a également souhaité inscrire dans les CPOM un plafond de charge en dépendance et en soins par catégorie de personnels.

Ce CPOM type est ensuite adapté aux situations spécifiques dans le cadre de la négociation avec les établissements ou avec les organismes gestionnaires au niveau départemental.

L'ARS Nouvelle-Aquitaine a également élaboré un CPOM type et des outils correspondant à chaque catégorie d'établissement, notamment les Ehpad. Les orientations stratégiques de ce CPOM sont réparties autour de 5 axes : parcours et coordination ; repositionnement de l'offre et innovation ; prévention, qualité et sécurité des soins ; personnaliser l'accompagnement ; performance et management de la qualité. Ces orientations sont déclinées en objectifs opérationnels et indicateurs de suivi associés. À noter que l'outil de pilotage informatisé de suivi des CPOM n'est pas déployé de façon complète en Nouvelle-Aquitaine.

Cette pratique des ARS a pour effet de réduire la place laissée aux partenaires départementaux dans cette négociation contractuelle. Auditionné par la commission, le président du conseil départemental des Hauts-de-Seine indiquait que la majorité des objectifs arrêtés dans le cadre des CPOM sont définis par l'ARS Île-de-France de manière uniforme pour tous les établissements de la région. Le département peut toutefois fixer certains objectifs supplémentaires relevant de ses priorités. Ainsi dans les Hauts-de-Seine, sont financés dans le cadre des CPOM des postes de psychologues supplémentaires.

b) Le CPOM : un instrument au service des assouplissements portés par la loi ASV

Dans le prolongement des assouplissements de la réglementation initiés par la loi ASV, le CPOM a pour objectif de moderniser le dialogue entre les pouvoirs publics et les établissements et services médico-sociaux (ESMS) en fixant des objectifs de qualité et d'efficience, en contrepartie de perspectives pluriannuelles sur le financement des établissements, et en déclinaison notamment du schéma régional de santé élaboré par l'ARS de son ressort territorial.

Le CPOM est présenté comme un véritable outil de gestion budgétaire au service de la stratégie négociée d'un gestionnaire. Il doit permettre aux autorités de tarification de mettre en oeuvre, d'une part, les objectifs du projet régional de santé (PRS) et de son schéma régional de santé (SRS) et, d'autre part, les objectifs des schémas départementaux. Ainsi, il doit constituer l'instrument privilégié de déclinaison de la priorité nationale et territoriale dans le domaine d'intervention de la personne morale gestionnaire.

Il donne également l'occasion de mettre en cohérence les objectifs du gestionnaire et de ses structures avec les priorités de politiques publiques établies notamment dans les documents de programmation régionaux et/ou départementaux. Le CPOM peut constituer un levier privilégié pour insérer l'établissement ou le service au sein du territoire, dans une logique de construction de parcours d'accompagnement des publics avec l'établissement de partenariats formalisés avec institutions et professionnels sociaux, médico-sociaux ou sanitaires, le recours à des réseaux d'intervention spécialisés, l'adhésion à des groupes de coopération, etc .

Derrière des objectifs aussi ambitieux, l'instauration des CPOM réforme profondément les rapports budgétaires entre les établissements médico-sociaux financés en totalité ou en partie par l'État et l'autorité tarifaire chargée de leur financement, à savoir l'agence régionale de santé (ARS) et/ou le conseil départemental.

Jusqu'alors la tarification de ces établissements se faisait par campagne budgétaire annuelle, avec une définition de la dotation construite à partir d'un budget prévisionnel établi par l'établissement et la signature d'une convention tripartite. En premier lieu, le procédé présentait deux inconvénients majeurs : sa stricte annualité ne permettait pas aux établissements de développer un projet véritablement stratégique, et ces derniers se trouvaient toujours tributaires de négociations où l'autorité tarifaire conservait le dernier mot (les délibérations des conseils d'administration des établissements étant toujours soumises à l'autorité tarifaire).

Comme nous l'avons souligné précédemment les objectifs chiffrés en matière d'équivalent temps plein (ETP) financés par les dotations soins et dépendance et les clés de répartition des financements de postes sur chacune des sections (par exemple 70% de la masse salariale d'un aide-soignant sur les soins et 30 % sur la dépendance) sont supprimés lors du passage de la convention tripartite au CPOM).

Le CPOM, négocié tous les cinq ans, doit donner a priori à l'établissement signataire une souplesse de gestion dans le temps et décloisonne partiellement les règles d'affectation de dépenses et de résultats. En second lieu, la présentation par l'établissement d'un budget prévisionnel à partir duquel sa dotation était chiffrée organisait le financement du secteur médico-social autour d'un « pilotage par la dépense », sans que soit véritablement questionnée la pertinence de ces dépenses. Or, en contractualisant les « objectifs » et les « moyens », le CPOM a précisément vocation à mieux articuler les seconds aux premiers. La généralisation du CPOM sert donc le double but de donner plus de liberté aux gestionnaires d'établissements et d'améliorer l'allocation des deniers publics au secteur médico-social.

2. Une réforme qui peine à produire ses effets

La loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (art. 58) rénove la contractualisation entre les autorités tarificatrices. Cette réforme de la contractualisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des petites unités de vie (PUV) est prévue pour s'opérer sur une durée de 5 ans à compter du 1 er janvier 2017.

Ainsi, au 1 er janvier 2022, l'ensemble des Ehpad et des PUV devaient obligatoirement avoir conclu un CPOM avec les autorités ayant délivré leur autorisation. La signature de ce CPOM est obligatoire et en cas de refus de le signer ou de le renouveler de la part de l'organisme gestionnaire, la loi prévoit des sanctions pour ce dernier qui risque une minoration du forfait global de soins (à hauteur d'un montant dont le niveau maximum peut être porté à 10 % du forfait par an).

Les personnes auditionnées ont fait part d'une vision critique du processus de négociation des CPOM, considéré comme long et fastidieux et se sont interrogées sur la capacité des parties au contrat à mener les dialogues de gestion qui doivent en principe servir à faire un point d'avancement sur la mise en oeuvre des actions.

a) Une mise en oeuvre retardée

Le rapport remis par la Cour des comptes à la commission en février dernier pointe le faible taux de signature des CPOM. La Cour estime que moins de 20 % des ESMS avaient conclu un CPOM en 2019 et extrapole, à partir des Ehpad contrôlés à l'occasion de cette enquête que ce « pourrait être un peu plus de 30 % » en 2021.

L'analyse des délais fait apparaître des retards conséquents dans la mise en place des CPOM sur l'ensemble des territoires, il semble qu'aucune région n'atteigne le seuil de 50 % des CPOM conclus.

Dans son enquête, la Cour des comptes cite l'exemple des départements de la Haute-Garonne et de l'Oise.

Le département de Haute-Garonne est une illustration des difficultés rencontrées dans la négociation des CPOM puisque « qu'en 2018, seuls 10 CPOM ont été conclus pour un total de 130 Ehpad, pour les établissements qui disposaient des conventions tripartites les plus anciennes [...] Le département de l'Oise connait un nombre de signatures particulièrement faible : seuls 6 CPOM ont été conclus à ce jour sur les 45 fixés dans le cadre de la programmation pluriannuelle, soit 13,33 % de réalisation . »

Toujours selon l'enquête menée par la Cour des comptes « en Auvergne-Rhône-Alpes, le taux moyen de réalisation relativement élevé (44 %) malgré des écarts significatifs entre départements s'explique par un travail méthodologique ayant permis de construire des outils facilitant la contractualisation. Un nombre réduit d'objectifs socles sont systématisés dans les CPOM, avec la possibilité d'introduire des objectifs complémentaires ciblés (notamment ceux des départements). L'ARS a mis au point un guide des indicateurs (comme par exemple le suivi nutritionnel avec un indicateur de pesée périodique). L'objectif a été de simplifier les outils . »

Les DGARS auditionnés par les rapporteurs de la commission n'ont pas apporté d'éléments de nature à moduler ou remettre en question l'analyse chiffrée faite par la Cour des comptes.

Confronté à cette situation, le Gouvernement a dû desserrer le calendrier initial qui prévoyait la signature des CPOM avant le 1 er janvier 2022. L'instruction ministérielle du 16 novembre 2021 accorde aux directeurs généraux des DGARS un délai supplémentaire de trois ans pour conclure ces CPOM en repoussant la date limite de signature au 31 décembre 2024.

Si la crise sanitaire a incontestablement freiné les possibilités de dialogue de gestion entre Ehpad et autorités tarificatrices et de contrôle, elle ne saurait être considérée comme la seule responsable de ce délai supplémentaire pour achever la mise en place de cette nouvelle contractualisation voulue par la loi ASV. Ces délais sont aussi le signe d'une inadéquation entre l'instrument utilisé, les objectifs poursuivis et les moyens alloués. Le rythme des négociations est également dépendant des disponibilités des médecins de l'ARS dédiés à cette mission. En effet pour chaque CPOM, un médecin du Conseil départemental doit réaliser la coupe GMP (GIR moyen pondéré) des résidents et un médecin de l'ARS la coupe PATHOS (système d'évaluation pour identifier les pathologies des résidents et les soins requis pour définir le projet de soins de l'établissement). En l'absence de l'une des évaluations, le CPOM ne peut pas être conclu.

b) Un contrat unique, des temporalités différentes

Lors des auditions auxquelles il a été procédé dans le cadre de cette mission, nos interlocuteurs ont souligné la difficulté à mettre en place ce dialogue de gestion. Cette mise en oeuvre s'est tout d'abord heurtée à des questions d'organisation et de coordination entre autorités de tarification compétentes. À ces difficultés prévisibles s'est ajoutée au cours des 30 derniers mois la gestion de l'épidémie de covid-19 qui a fait passer au second plan les travaux préparatoires à la conclusion des CPOM.

Au-delà de ces obstacles, tous les interlocuteurs interrogés sur la mise en place des CPOM ont insisté sur la difficulté de faire figurer dans un document stratégique unique des éléments dont la temporalité et les échéances obéissent à des rythmes distincts : autorisations, frais de siège, campagnes budgétaires, coupe pathos déterminant la dotation soins, délégation de crédits non pérennes (crédits non reconductibles ou « complémentaires »).

Aujourd'hui, au regard de la réglementation en vigueur, les autorisations sont délivrées pour 15 ans, sous réserve d'une évaluation externe réalisée tous les 5 ans (contre 7 jusqu'en 2021), alors que les CPOM durent 5 ans. Les notifications de crédits sont quant à elles annuelles et transmises aux établissements à l'issue de la campagne budgétaire. Par ailleurs, le montant des dotations des sections soins et dépendance est calculé sur le fondement d'une équation tarifaire dépendante du profil des résidents de l'Ehpad, sans capacité d'action de l'ARS ou département sur celles-ci. Les procédures d'autorisation et de notification des crédits constituent donc un exercice décorrélé du calendrier de négociation des CPOM en raison de réglementations et de temporalités elles-mêmes différentes.

Dans le cas du secteur privé lucratif, les CPOM concernent, l'ensemble des établissements d'un même groupe dans un département alors que les procédures d'autorisation et de notification des crédits sont individuelles. À cet égard, si la négociation de ces contrats au niveau départemental apparaît pertinente, leur effectivité pourrait être renforcée en y ajoutant des données par établissement afin d'affiner l'analyse, favoriser le dialogue et donner davantage d'objectifs en matière de qualité de prise en charge. Le budget étant basé uniquement sur des équations tarifaires fermées, la finalité et l'apport du CPOM tels que conçus sont à questionner. Pour les groupes et les gestionnaires pluri-établissements d'un même département, il permet au gestionnaire d'autoriser les flux financiers entre établissements. Il est donc davantage conçu comme un outil de gestion budgétaire et financière à la faveur du gestionnaire qu'un outil stratégique de pilotage par la qualité.

Sans être ingérable, la coordination temporelle de ces différentes négociations apparaît chronophage aux acteurs locaux pour un intérêt pouvant être questionné.

c) Un impact limité sur la recomposition de l'offre

De la même façon, l'objectif de transformation de l'offre est difficile à mettre en oeuvre dans le cadre de la recomposition de l'offre existante dans un contexte de programmation de places limitées (PRIAC) et d'autorisation conjointe ARS/ conseils départementaux des Ehpad.

L'absence de financement complémentaire pérenne pour les Ehpad ne permet pas toujours d'allouer les moyens nécessaires aux objectifs assignés en termes d'organisation et de qualité de prise en charge pour le gestionnaire, même si la poursuite d'objectifs qualitatifs peut aussi se concevoir sans moyens nouveaux. À noter également que la transformation de l'offre passe par la mise en oeuvre d'expérimentations et de dispositifs innovants ; l'absence de programmation pluriannuelle des crédits venant soutenir ces expérimentations ne permet pas d'intégrer ces éléments dans le cadre des CPOM. Aboutir à une véritable transformation de l'offre nécessiterait donc d'attribuer aux financeurs, et donc aux établissements, des crédits pérennes.

Faute de constituer un outil de programmation et de transformation de l'offre, les CPOM sont orientés notamment sur l'amélioration de la qualité de la prise en charge des résidents. Ils comprennent fréquemment des éléments d'autodiagnostic sur la qualité de prise en charge. Ces éléments sont peu confrontés aux évaluations externes et internes réalisées et ne font pas systématiquement l'objet de visites de contrôle des autorités de tarification préalables à la contractualisation. Des objectifs de qualité sont déclinés dans les annexes des CPOM. Selon les ARS et départements, ils sont plus ou moins individualisés. Ils paraissent surtout fortement empreints d'orientations régionales et/ou départementales traduisant des préoccupations communes sur la prise en charge en Ehpad. Leur suivi prévu à mi-parcours n'a pas encore démarré, notamment en raison de la crise sanitaire, intervenue au moment où les bilans intermédiaires des premiers CPOM auraient dû survenir. Il n'a pas été constaté de dispositif permettant d'assurer l'effectivité du suivi. Les contrats ne comportent pas de stipulation concernant la non-atteinte des objectifs.

Qu'ils soient standardisés ou individualisés, les objectifs fixés dans les CPOM ne s'appuient, sauf exception, sur aucun accompagnement financier, ce qui limite leur portée. Au-delà de financements ponctuels, les engagements financiers sont renvoyés aux négociations financières annuelles. Le passage à une tarification automatisant les dotations à partir d'équations tarifaires ne permet pas de réelles négociations, les financements complémentaires étant trop limités pour engager des projets structurants d'innovations ou de transformation de l'offre.

L'intérêt des CPOM par rapport aux conventions tripartites antérieures était de prévoir des clauses de rendez-vous régulièrs entre l'établissement et les autorités de tutelle permettant d'actualiser à un rythme supérieur de ce qui existait auparavant l'évaluation de l'établissement. Ce rythme ambitieux n'a pas été tenu dans une très grande majorité de départements, en partie du fait de la crise sanitaire, en partie du fait des moyens nécessaires pour les conduire de manière systématique vu le volume d'établissements.

Le CPOM n'a pas atteint sa finalité stratégique, faute de véritable dialogue de gestion instauré entre les parties prenantes. Le caractère obligatoire des CPOM induit un certain appauvrissement des échanges du fait d'une certaine « industrialisation » du processus de négociation. Le CPOM ne fait qu'entériner des actions déjà mises en oeuvre, les autorités signataires renvoyant aux appels à projets, à candidature ou à manifestation d'intérêt sur les sujets de transformation ou de développement de l'offre.

d) Les CPOM doivent devenir un instrument de la pluriactivité

La commission des affaires sociales du Sénat a déjà exprimé des propositions pour faire évoluer le contenu des CPOM. Elle souhaite, ainsi qu'elle l'a déjà demandé en 2018 24 ( * ) , que le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens deviennent un instrument de la pluriactivité.

Un des préalables à la réforme ambitieuse de la prise en charge de la personne handicapée lancée par le Gouvernement précédent repose sur un changement de paradigme : au projet de l'établissement, qui régit l'admission ou le refus de la personne accueillie, doit se substituer le projet personnalisé de la personne, qui doit seul désormais guider le redéploiement de l'offre. Vos rapporteurs plaident pour que ce changement de paradigme s'applique également dans le champ du grand âge.

Les évolutions y sont sans doute plus lentes en raison de la dichotomie que l'on continue volontiers d'entretenir entre le maintien à domicile, lorsque l'autonomie n'est pas atteinte, et l'accueil en Ehpad, seule réponse que les pouvoirs publics pourraient apporter lorsque surgit la dépendance. C'est ignorer les autres formes d'accueil intermédiaires - soutien infirmier à domicile, accueil de jour (AJ) et hébergement temporaire (HT) - qui peuvent être offertes aux personnes, dont elles peuvent être par ailleurs demandeuses et qui peuvent leur permettre de mieux vivre un départ du domicile, réservant l'Ehpad pour les cas les plus extrêmes.

Tout l'enjeu est d'inciter un même gestionnaire d'établissement à développer plusieurs activités correspondant à plusieurs degrés de prise en charge. Un même gestionnaire peut ainsi assumer la charge d'un Ehpad, de plusieurs formes d'hébergement intermédiaire, d'un Ssiad et/ou d'un Saad.

La construction d'un modèle de prise en charge intégré assure autant la diversification de l'offre que l'homogénéité de la couverture territoriale. La mise en oeuvre des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) ; l'article L. 313-12 du CASF prévoit expressément que le CPOM signé par un Ehpad « peut inclure d'autres catégories d'établissements ou de services [médico-sociaux], lorsque ces établissements ou services sont gérés par un même organisme gestionnaire et relèvent du même ressort territorial ».

L'intérêt de la diversification de l'activité du gestionnaire d'établissement ne se limite pas à la personne accueillie. Il est aussi susceptible de retombées positives sur le personnel. Les rapporteurs y voient même une des voies de lutte contre le défaut d'attractivité que subissent les métiers de la prise en charge du grand âge, en raison d'un cantonnement excessif à l'Ehpad.

DEUXIÈME PARTIE : PROMOUVOIR UN PILOTAGE PAR LA QUALITÉ POUR UNE MEILLEURE PRISE EN CHARGE DES RÉSIDENTS ET UNE PLUS GRANDE ATTRACTIVITÉ POUR LES PROFESSIONNELS

A. À TOUT LE MOINS, DANS LE CADRE EXISTANT : GÉNÉRALISER LA DÉMARCHE QUALITÉ

1. Un indispensable pilotage par la qualité
a) La qualité mesurée par le regard porté sur l'activité par une tierce partie

• L'évaluation externe des établissements

L'évaluation des établissements et services médico-sociaux n'a jamais été une franche priorité . La loi du 2 janvier 2002 avait, la première, rendu obligatoire l'évaluation des établissements 25 ( * ) en prévoyant une évaluation interne, tous les cinq ans, et une évaluation externe, au cours des sept ans suivant l'autorisation et au moins deux ans avant la date de son renouvellement. La loi créait en outre, pour élaborer les référentiels et bonnes pratiques au regard desquels les évaluations seraient conduites, un conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale (Cnesms), qui n'a été installé effectivement que près de quarante mois plus tard, en avril 2005.

Aucune évaluation n'ayant été engagée fin 2006, le Gouvernement d'alors a tenté de relancer le processus en transformant le Cnesms en Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm), en 2007 26 ( * ) . Dix ans plus tard, le Gouvernement fondait l'Anesm dans la HAS en arguant que « cette agence [l'Anesm] n'a pas atteint la taille critique pour exercer ses missions et que sa gouvernance est complexe » 27 ( * ) .

Cette décision intervenait après la publication d'un rapport de l'IGAS certes muet sur l'avenir de l'Anesm, mais brossant un paysage assez sombre des organismes habilités à l'évaluation. Il relevait notamment que, parmi les 1 314 recensés en 2015, « seuls 640 (soit 49 %) sont considérés comme actifs, et, parmi ceux-ci, 55 % comptent un seul salarié. En comparant l'effectif déclaré par les organismes actifs en 2015 avec le nombre d'évaluations externes réalisées, on constate que l'activité d'évaluation externe ne peut être l'activité principale que d'une minorité d'entre eux » Les inspecteurs constataient d'une part « la diversité des [organismes habilités à l'évaluation] (du cabinet international à l'autoentrepreneur) et, d'autre part, que la grande majorité d'entre eux sont de très petites structures, ce qui montre leur fragilité et leur isolement », mais aussi que « 86 % des ARS estiment avoir rencontré des difficultés pour s'assurer de l'indépendance » des organismes habilités 28 ( * ) .

C'est dans ce contexte qu'a été élaboré le dispositif en vigueur aujourd'hui en application de la loi dite « Santé » de 2019 29 ( * ) . Celui-ci renvoie à la HAS la fixation de la procédure selon laquelle les ESSMS devaient faire procéder à l'évaluation de la qualité des prestations qu'ils délivrent et l'habilitation des organismes pouvant procéder à ladite évaluation 30 ( * ) . Prévue initialement pour entrer en vigueur le 1 er janvier 2021, cette réforme avait été retardée par la crise sanitaire due au covid-19.

La Haute Autorité de santé (HAS) a finalement publié en mars 2022 le premier référentiel d'évaluation de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux 31 ( * ) . Il manque encore à son entrée en vigueur la procédure d'accréditation des organismes évaluateurs : celle-ci avait été introduite par amendement du Gouvernement au PLFSS pour 2022, conjointement avec le recul d'un an de l'entrée en vigueur de la réforme, mais le Conseil constitutionnel a jugé l'article irrecevable au titre de la LOLFSS.

Un décret de novembre 2021 32 ( * ) avait fixé le rythme d'évaluation tous les cinq ans, et non plus tous les sept ans, mais il prévoyait également que les ARS et conseils départementaux devaient établir avant le 1 er juillet 2022 un calendrier des évaluations du 1 er juillet 2023 au 31 décembre 2027. L'ajournement de la réforme a conduit à repousser cette date butoir au 1 er octobre 2022 33 ( * ) .

En définitive, tous les Ehpad et services dont l'autorisation a été délivrée entre le 1 er janvier 2008 et le 31 décembre 2009 et qui devaient avoir réalisé leur évaluation en 2021 ou 2022 devront l'avoir transmise entre le 1 er janvier 2023 et le 30 juin 2023.

Le référentiel publié en mars 2022 fixe les exigences sur neuf thématiques pour chacune des trois cibles de l'évaluation :

- la personne accompagnée . La méthode dite de « l'accompagné traceur » appliquée ici consiste en un échange avec une personne accompagnée, puis avec les professionnels qui l'accompagnent afin de recueillir leurs points de vue sur les pratiques mises en oeuvre ;

- les professionnels : ce chapitre est évalué à travers la méthode du « traceur ciblé ». L'évaluateur organise des entretiens avec différents professionnels pour apprécier leur capacité à développer un questionnement éthique, à garantir l'effectivité des droits des personnes accompagnées, à favoriser l'expression et la participation de la personne, à construire et personnaliser le projet d'accompagnement avec la personne elle-même, à adapter l'accompagnement à l'autonomie et à la santé et à assurer de la continuité et de la fluidité des parcours ;

- la gouvernance de l'établissement ou du service : ce chapitre est évalué par la méthode de « l'audit système » qui consiste à s'entretenir avec la gouvernance d'une structure pour évaluer l'organisation mise en place et s'assurer de sa maitrise par les professionnels sur le terrain.

Le référentiel d'évaluation de la qualité des ESSMS de la HAS

Neuf thématiques conditionnent la qualité de l'accompagnement, présentes dans un ou plusieurs des chapitres, sont explorées dans le cadre de l'évaluation :

• la bientraitance et l'éthique ;

• les droits de la personne accompagnée ;

• l''expression et la participation de la personne ;

• la co-construction et la personnalisation de son projet d'accompagnement ;

• l'accompagnement à l'autonomie ;

• l'accompagnement à la santé ;

• la continuité et la fluidité des parcours des personnes ;

• la politique ressources humaines de l'ESSMS ;

• la démarche qualité et gestion des risques.

L'évaluation se fonde sur 139 critères dits « standards » qui correspondent aux attendus de l'évaluation et 18 critères dits « impératifs » qui correspondent à des exigences qui, si elles ne sont pas satisfaites, impliquent la mise en place d'actions spécifiques dans la continuité immédiate de la visite d'évaluation.

Chaque évaluation se traduira par un rapport rendu public, dont le format fixé par la HAS présente les résultats par chapitre et selon les critères établis par les évaluateurs. Des représentations graphiques du niveau de qualité atteint par chapitre ou thématique, sous forme de radars, sont associées à l'identification des axes forts comme des axes de progrès de la structure. Ces derniers feront l'objet d'un plan d'actions à mettre en oeuvre par l'établissement ou le service, qui devra en assurer le suivi et le déploiement dans le temps. Chaque année, l'ESSMS devra faire état dans son rapport d'activité transmis à l'autorité de tarification et de contrôle des avancées de son plan d'actions et ainsi témoigner de la dynamique mise en oeuvre en matière de qualité.

Le rapport d'évaluation a par ailleurs vocation à être diffusé largement : à l'autorité de tarification et de contrôle, à la HAS, et en interne dans les instances de la structure, y compris au conseil de la vie sociale.

• Les procédures de labellisation

L'évaluation des établissements n'épuise sans doute pas la boîte à outils du pilotage par la qualité. D'abord, comme le remarquait la Cour des comptes dans son rapport de février 2022, il ne s'agit que d'une évaluation, c'est-à-dire un rapport de conformité, et non d'une certification, qui prend la forme d'une décision, car « certains secteurs tels que la protection de l'enfance ne sont clairement pas prêts à assumer la procédure de certification. La HAS reconnaît par ailleurs qu'elle ne dispose pas des moyens humains nécessaires pour assurer la certification de l'ensemble des structures sociales et médico-sociales, dix fois plus nombreuses sur le territoire national que les établissements de santé » 34 ( * ) .

La certification par des organismes tiers ou les procédures de labellisation restent ainsi des pistes intéressantes pour améliorer la qualité de la prise en charge.

Le rapport Libault de 2019 proposait par exemple de financer des formations collectives permettant d'obtenir de labels qualité, tels que « Humanitude » ou « établissement bien traitant » homologués par la HAS. Cette homologation reposerait sur un cahier des charges défini au niveau national, pouvant être aligné sur le référentiel national de l'évaluation externe, et comprenant notamment une périodicité minimale de renouvellement du label.

Les labels de qualité en Ehpad

Le label « Humanitude »

Créé et délivré par l'association Asshumevie, le label Humanitude est délivré sur le respect de cinq principes, déclinés en 300 critères et indicateurs :

- zéro soin de force sans abandon de soins (100 % des soins en douceur) ;

- respect de l'intimité et de la singularité (autonomie, dignité, sexualité) ;

- vivre et mourir debout (éviter la grabatisation) ;

- ouverture sur l'extérieur (famille, intergénérationnel, bénévolat...) ;

- lieu de vie, lieu d'envies (projet d'accompagnement personnalisé).

D'après le site internet de l'association, en juillet 2022, 26 établissements affichent le label Humanitude et 79 sont en cours de procédure pour l'obtenir.

Le label Établissement bien traitant

Lancé en 2016 par Anne Picard, ce label s'adresse aux établissements sociaux et médico-sociaux dans les secteurs du social, du handicap et des personnes âgées.

Il se présente comme « une solution concrète au développement de la culture de la bientraitance et de la prévention du risque de la maltraitance sur le terrain ». Valable cinq ans et délivré anciennement par le bureau Veritas, désormais par l'organisme Apave, le label s'obtient en six étapes qui vont de l'adhésion aux valeurs du label, au développement des compétences opérationnelles jusqu'au maintien des acquis. Il se présente comme un outil de prévention contre les risques psychosociaux puisqu'il oblige les établissements à renouer avec des temps de réflexions pluridisciplinaires et de formation sur les questions du sens et de l'humain dans les métiers d'accompagnement de la personne.

Cinq établissements médico-sociaux ont été labellisés en France métropolitaine et en outre-mer, et 22 sont en passe de l'être.

Tous ces dispositifs sont complémentaires et participent à la démarche d'amélioration continue de la qualité dans les ESSMS. Un établissement labellisé peut par exemple valoriser lors de la visite d'évaluation les actions d'amélioration mises en oeuvre après auto-évaluation ou toute autre action spécifique engagée en lien avec l'activité de la structure et le public accueilli : certification, labellisation, recommandation de bonne pratique professionnelle, etc .

Il conviendra toutefois de veiller à bien organiser la complémentarité de ces différents modes de contrôle qualité externe , afin que la diversité d'initiatives privées ne fragilise pas la démarche nationale, au détriment de la lisibilité pour le grand public. Le quatrième alinéa de l'article L. 312-8 du code de l'action sociale et des familles prévoit en effet que la certification par un organisme accrédité « peut être prise en compte dans le cadre de l'évaluation » dans des conditions déterminées par décret.

Le décret du 12 novembre 2021 précité a précisé que les certifications, qui ne dispensent pas d'évaluation externe, sont prises en compte « dans les limites de la correspondance définie, pour chaque référentiel de certification, par arrêté du ministre chargé des affaires sociales pris après avis de la Haute Autorité de santé sur la base d'un tableau de correspondance » entre le référentiel de certification et celui de la HAS. L'arrêté définissant la compatibilité des deux procédures n'a pas encore été pris.

b) La qualité encouragée par le suivi d'indicateurs publics

Le pilotage des établissements par la qualité peut encore prendre la forme d'un suivi d'indicateurs de l'activité rendus publics, ce que promeut par exemple la Cour des comptes, en s'appuyant sur des comparaisons internationales.

Comparaisons internationales pour la prise en charge des soins en Ehpad

(extraits de l'annexe n° 7 du rapport de la Cour des comptes de février 2022)

« La principale différence inspirante qui peut être mise en avant réside dans l'observation de modalités nationales de contrôle externe des bonnes pratiques professionnelles de soins en Ehpad, avec des données accessibles au grand public. Une publication sur internet des résultats d'indicateurs qualité pour chaque établissement est organisée en Allemagne, au Canada (Ontario), au Danemark et en Suède. La proportion de médicaments psychotropes, le nombre de chutes ou encore la satisfaction ressentie dans les relations avec le personnel et pour les repas sont ainsi inclus dans une dynamique à la fois d'inspection in situ et de transparence publique.

Comme l'indique la présidente de la juridiction financière de l'Ontario, la première vertu d'un indicateur est de désigner avec netteté ce qui est important, au-delà de sa seule valeur numérique : mesurer la satisfaction des résidents peut être interrogé au titre de la subjectivité potentielle de la méthode, mais ne pas le faire est sans doute bien plus critiquable, au regard de la représentation désobligeante des résidents qui en découle. Tel est le cas aussi de la satisfaction des personnels. L'important réside dans la répétition de la mesure et l'analyse de son évolution, et non son constat à une date donnée. »

Le plan d'action gouvernemental présenté en mars 2022 prévoit justement que chaque fiche signalétique d'établissement s'enrichisse de dix indicateurs clés publiés annuellement et ayant vocation à figurer sur le portail internet géré par la CNSA, quel que soit le statut de l'Ehpad. Ces dix indicateurs sont ainsi :

1° le taux d'encadrement ;

2° le taux de rotation des personnels ;

3° le taux d'absentéisme ;

4° la date de la dernière évaluation de la qualité de l'établissement ;

5° le plateau technique : présence d'une salle de stimulation sensorielle, balnéothérapie, etc . ;

6° le profil des chambres (doubles/simples) ;

7° le budget quotidien pour les repas par personne ;

8° le nombre de places habilitées à l'aide sociale à l'hébergement ;

9° la présence d'une infirmière de nuit et d'un médecin coordonnateur dans l'Ehpad ;

10° le partenariat avec un réseau de santé (gériatrique, de soins palliatifs, etc .).

Le décret 28 avril 2022 précité 35 ( * ) prévoit la transmission par les Ehpad de cinq premiers indicateurs, qui reprennent le contenu des indicateurs numérotés 5, 6, 8, et 9 ci-dessus, ainsi qu'un cinquième critère relatif au « partenariat avec un dispositif d'appui à la coordination des parcours de santé ».

Le décret précise en complément qu'un arrêté du ministre chargé des affaires sociales doit définir le contenu et les modalités de calcul de ces indicateurs. Cet arrêté est en cours de rédaction. L'ensemble de ces indicateurs sera importé à partir des données du tableau de bord de la performance du secteur médico-social déjà rempli par les Ehpad, lesquels n'auront donc pas de formalité nouvelle à accomplir, sauf pour indiquer la présence d'un infirmier de nuit - des travaux sont en cours afin d'intégrer cette nouvelle donnée dans le tableau de bord à partir de 2023.

Il est vraiment regrettable qu'il ait fallu attendre la déflagration de l'affaire Orpea pour mettre en oeuvre une mesure apparemment si peu coûteuse que celle proposée sous les numéros 59 et 60 dans le rapport de Dominique Libault de 2019, consistant à « établir rapidement une liste d'indicateurs disponibles dans le tableau de bord des établissements médico-sociaux ou rapidement mobilisables constituant un socle « "qualité" ». Les structures auraient l'obligation de compléter le tableau de bord, en particulier pour ces indicateurs » et « publier les évaluations et les indicateurs clés sur le site www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr » 36 ( * ) .

On observera toutefois que la politique de publication d'indicateurs n'est pas sans limites . D'une part, la concurrence qu'elle encourage ainsi développe un sentiment de consommateur chez les personnes dépendantes et leurs familles, et contribue à normaliser les pratiques du personnel en fonction du résultat attendu des indicateurs, et d'eux seuls. D'où l'importance de bien définir les indicateurs à prendre en compte, dont il conviendrait de débattre plus ouvertement. La Défenseure des droits propose par exemple pour sa part que parmi les indicateurs portés à la connaissance du grand public figurent également :

- le niveau de certification qualité HAS de l'établissement ;

- le taux d'évaluation gériatrique effectuée par le médecin coordonnateur ;

- le taux de projets personnalisés élaborés et réévalués ;

- le taux de passage aux urgences ;

- le taux de formation du personnel à la bientraitance.

D'autre part, une telle politique d'encouragement du libre choix éclairé, ou supposé tel, des usagers ne s'entend, précisément, que si une forme de choix leur est ouverte. Cela suppose, à tout le moins, de revoir le pilotage quantitatif de l'offre, et donc sans doute d'élaborer une autre politique d'autorisation de nouveaux établissements que celle menée ces dernières années.

2. Un besoin absolu de gestion de proximité
a) Dans la vie quotidienne des établissements

L'association des usagers au fonctionnement des établissements médico-sociaux a longtemps été balbutiante et, aujourd'hui encore, reste hétérogène.

Le principal organe est à cet égard le conseil de vie sociale , créé par la loi de 2002 en remplacement du « conseil d'établissement » issu de la loi de 1985. L'article L. 311-6 du code de l'action sociale dispose alors, et jusqu'à ce jour, qu' « afin d'associer les personnes bénéficiaires des prestations au fonctionnement de l'établissement ou du service, il est institué soit un conseil de la vie sociale, soit d'autres formes de participation », les textes réglementaires précisant depuis 2004 que ces dernières peuvent être « un groupe d'expression ou toute autre forme de participation » 37 ( * ) .

Depuis 2004 encore, le conseil de la vie sociale « donne son avis et peut faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l'établissement ». Il se réunit au moins trois fois par an sur convocation du président. Il comprend au moins cinq membres mais, dans tous les cas, le nombre des représentants des usagers et des familles doit être supérieur à la moitié du nombre total des membres. Il est présidé par un représentant des personnes accueillies, élu à la majorité des votants. Le directeur de l'établissement et un représentant de la commune d'implantation assistent de droit aux réunions, peuvent être consultés, mais ne participent pas aux délibérations. Enfin, le conseil peut appeler « toute personne » à participer à ses réunions à titre consultatif en fonction de l'ordre du jour, le code précisant qu'un élu communal ou intercommunal peut être invité à assister aux débats.

Un certain nombre d'associations, par exemple celles réunies au sein de la plateforme « Pour des Résidents toujours citoyens en Ehpad », estime qu'un CVS sur cinquante seulement est opérationnel, et qu'« une très grande proportion des résidents, des familles et des personnels ne connaît pas son existence et son rôle ».

La Cour des comptes relevait pour sa part dans le rapport commandé par la commission des affaires sociales en février dernier qu'« une part significative des Ehpad contrôlés ne réunit pas assez régulièrement » le CVS - dix sur les 57 de son échantillon - et que « le niveau de concertation est variable, avec des réunions qui peuvent rester formelles, sans véritable engagement de la direction à répondre, dans la mesure du possible, aux demandes, souhaits et réclamations des résidents et des familles » 38 ( * ) .

Il faut constater à tout le moins que les textes qui régissent le CVS ont très peu évolué depuis 2004, et qu'ils ont été rédigés pour plusieurs types de structures.

Le décret du 25 avril 2022 39 ( * ) a procédé à d'opportunes précisions relatives à la composition et aux attributions des CVS. Il ouvre d'abord la composition du conseil, notamment aux élus et aux médecins coordonnateurs. La règle est maintenue selon laquelle le nombre des représentants des personnes accueillies, d'une part, et de leur famille ou de leurs représentants légaux, d'autre part, doit être supérieur à la moitié du nombre total des membres du conseil. L'ensemble des modifications est ramassé dans le tableau ci-après.

Composition actuelle du CVS

Nouvelle composition du CVS

Article D. 311-5 CASF

Le CVS comprend au moins :

- 2 représentants des personnes accueillies ;

- S'il y a lieu, 1 représentant des familles ou des représentants légaux ;

- 1 représentant du personnel ;

- 1 représentant de l'organisme gestionnaire.

Le CVS comprend au moins :

- 2 représentants des « personnes accompagnées » ;

- 1 représentant des professionnels employés par l'établissement ou le service, élu ;

- 1 représentant de l'organisme gestionnaire.

Si la nature de l'établissement ou service le justifie, il comprend également :

- 1 représentant de groupement des personnes accompagnées de la catégorie concernée ;

- 1 représentant des familles ou des proches aidants des personnes accompagnées ;

- 1 représentant des représentants légaux des personnes accompagnées ;

- 1 représentant des bénévoles accompagnant les personnes s'ils interviennent dans l'établissement

- Le médecin coordonnateur

- 1 représentant des membres de l'équipe médico-soignante .

Le nombre des représentants des personnes accueillies, d'une part, et de leur famille ou de leurs représentants légaux, d'autre part, doit être supérieur à la moitié du nombre total des membres du conseil

Article D. 311-18 CASF

Le conseil peut appeler toute personne à participer à ses réunions à titre consultatif en fonction de l'ordre du jour. Un représentant élu de la commune d'implantation de l'activité ou un représentant élu d'un groupement de coopération intercommunal peut être invité par le conseil de la vie sociale à assister aux débats.

Le conseil peut appeler toute personne à participer à ses réunions à titre consultatif en fonction de l'ordre du jour.

Peuvent demander à assister aux débats du CVS :

- un représentant élu de la commune d'implantation de l'activité ou un représentant élu d'un groupement de coopération intercommunal ;

- un représentant du conseil départemental ;

- un représentant de l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation ;

- un représentant du conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie ;

- une personne qualifiée mentionnée à l'article L. 311-5 ;

- le représentant du défenseur des droits.

Le décret modifie également les attributions des conseils de la vie sociale.

Ceux-ci pourront donner leur avis sur l'ensemble des questions relatives au fonctionnement de l'établissement. Il pourra être informé des résultats des évaluations et sera associé à la mise ne place des mesures correctrices. L'ensemble des précisions apportées aux compétences des CVS est indiqué dans le tableau ci-après.

Missions actuelles du CVS

Nouvelles missions du CVS

Article L. 311-15

Le CVS :

« donne son avis et peut faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l'établissement ou du service notamment sur » :

- l'organisation intérieure et la vie quotidienne

- les activités, l'animation socio-culturelle et les services thérapeutiques,

- les projets de travaux et d'équipements,

- la nature et le prix des services rendus,

- l'affectation des locaux collectifs, l'entretien des locaux,

- les relogements prévus en cas de travaux ou de fermeture,

- l'animation de la vie institutionnelle et les mesures prises pour favoriser les relations entre ces participants ainsi que les modifications substantielles touchant aux conditions de prises en charge.

I.- Le conseil exerce les attributions suivantes :

1° Il donne son avis et peut faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l'établissement ou du service notamment sur :

- les droits et libertés des personnes accompagnées ,

- l'organisation intérieure et la vie quotidienne, les activités, l'animation socio-culturelle et les prestations proposées par l'établissement ou services ,

- les projets de travaux et d'équipements,

- la nature et le prix des services rendus,

- l'affectation des locaux collectifs, l'entretien des locaux,

- les relogements prévus en cas de travaux ou de fermeture,

- l'animation de la vie institutionnelle et les mesures prises pour favoriser les relations entre ces participants ainsi que les modifications substantielles touchant aux conditions de prises en charge ;

2° Il est associé à l'élaboration ou à la révision du projet d'établissement ou du service, en particulier son volet portant sur la politique de prévention et de lutte contre la maltraitance ;

3° Il est entendu lors de la procédure d'évaluation, est informé des résultats et associé aux mesures correctrices à mettre en place ;

4° Il est consulté sur le plan d'organisation des transports des personnes adultes handicapées bénéficiant d'un accueil de jour ;

II.- Dans le cas où il est saisi de demandes d'information ou de réclamations concernant les dysfonctionnements et événements indésirables graves, le président oriente les demandeurs vers les personnes qualifiées, le dispositif de médiation ou le délégué territorial du défenseur des droits .

III.- Les établissements réalisent chaque année une enquête de satisfaction sur la base de la méthodologie et des outils élaborés par la Haute Autorité de santé. Les résultats de ces enquêtes sont affichés dans l'espace d'accueil de ces établissements et sont examinés tous les ans par le conseil.

Le décret introduit enfin des précisions d'organisation et de transparence . Il rend obligatoire l'élaboration d'un règlement intérieur du CVS, qui fixera également la durée du mandat de ses membres, qui étaient jusqu'à présent élus pour une durée, renouvelable, comprise entre un et trois ans. Son président est chargé d'assurer « l'expression libre de tous les membres », ainsi que de présenter le rapport d'activité que rédigera chaque année le CVS à l'instance compétente de l'organisme gestionnaire de l'établissement.

Les clarifications apportées par le décret d'avril 2022 sont bienvenues mais elles ne lèvent pas tous les obstacles à la bonne marche de ces organes.

D'abord, il est regrettable que, près de vingt ans après sa création, il n'existe toujours aucun site national d'information sur le fonctionnement du CVS, permettant aux usagers et à leurs familles de mieux s'approprier cet outil essentiel de dialogue et de bonne gestion des établissements. Le site pour-les-personnes-âgées lui consacre une page depuis deux ans seulement. La CNSA pourrait s'engager plus avant dans l'accompagnement à la bonne marche des conseils en diffusant ne serait-ce qu'un guide destiné à ses membres.

Ensuite, il conviendrait de soutenir la formation des usagers et des directions d'établissement au bon fonctionnement des CVS, afin que les représentants d'usagers se saisissent pleinement de leur rôle, et que les directions n'y voient pas une forme de menace pesant sur leur capacité d'action au quotidien.

Enfin, il serait utile que la culture de la participation aux CVS soit plus franchement soutenue à l'échelle nationale. Luc Broussy suggère ainsi la création d'une fédération nationale des CVS 40 ( * ) . L'association inter-CVS de l'Essonne peut fournir un autre exemple inspirant : ce réseau constitué avec l'appui du conseil départemental réunissait cinq CVS à ses débuts, en 2012, puis 83 sur les 113 Ehpad du département en 2014. Chaque séance d'échange et d'auto-formation donne lieu à bulletin reprenant des situations, expériences et recommandations ; des fiches pratiques évolutives de conseils sont réalisées au fur et à mesure des enseignements ; un site internet relaie ses activités. Plus de 200 élus de CVS ont ainsi reçu l'information ainsi que des comités départementaux des retraités et personnes âgées (Coderpa) d'autres départements. De nombreux problèmes individuels sont ainsi mieux résolus par l'approche préventive et collective, et les directeurs d'établissement accueillent plus favorablement le CVS dans le fonctionnement de l'établissement.

Il pourrait également être envisagé, dans la même optique, de garnir les CVS de membres d'associations d'usagers agréées au niveau national, en s'inspirant du système existant dans le secteur sanitaire , où les associations d'usagers agréées ont leur place, notamment, dans les conseils de surveillance des établissements hospitaliers.

Proposition n° 18 : Ouvrir les CVS à des personnes extérieures à l'établissement, telles des associations d'usagers agréées sur le modèle du secteur sanitaire.

b) Dans la gestion des événements exceptionnels

L'amélioration de la qualité de la prise en charge en établissement impose en outre de revoir les modes de détection et de traitement des événements exceptionnels, lesquels sont loin d'être satisfaisants .

En 2004 est créé le système Prisme, pour « Prévention des risques, inspections, signalements des maltraitances en établissement », « base de données nationale relative aux contrôles des établissements sociaux et médico-sociaux dans le cadre de la prévention et de la lutte contre la maltraitance », et « outil d'observation et d'analyse des violences et maltraitances dans les établissements sociaux et médico-sociaux » destiné au ministère de l'action sociale, « à des fins statistiques et de pilotage » 41 ( * ) .

En mars 2006, un rapport de l'IGAS pointait un certain nombre de dysfonctionnements dans sa mise en oeuvre 42 ( * ) . Le système devait en principe se composer d'un volet de signalement, d'un volet relatif aux inspections/contrôles à compter de 2006, et ultérieurement d'un volet relatif aux plaintes. Les inspecteurs relevaient que le mode d'emploi avait été fourni tardivement aux services et qu'un an après la mise en service de son premier volet, les directions régionales de l'action sociale n'y avaient toujours pas accès.

Quatre circulaires ministérielles de 2008, 2010, 2011 et 2014 43 ( * ) ont ensuite veillé à ce que les services déconcentrés en fassent une utilisation plus scrupuleuse. La circulaire de 2010 est la première à préciser aux ARS que « toute situation de maltraitance signalée dans le secteur médico-social et toute inspection réalisée (diligentée par vous-même ou demandée par les préfets de département de votre région y compris pour des structures sociales) doivent être saisies » dans Prisme. Le système Prisme a été complété par le système « Réclamations et plaintes », d'utilisation obligatoire pour les services à compter de 2011, pour la gestion opérationnelle des plaintes.

Depuis la loi ASV de 2015, l'article L. 331-8-1 du code de l'action sociale et des familles fait obligation aux établissements eux-mêmes d'informer sans délai leurs tutelles « de tout dysfonctionnement grave dans leur gestion ou leur organisation susceptible d'affecter la prise en charge des usagers, leur accompagnement ou le respect de leurs droits et de tout évènement ayant pour effet de menacer ou de compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes prises en charge ou accompagnées » 44 ( * ) .

L'arrêté du 28 décembre 2016 45 ( * ) a précisé le dispositif en dressant la liste des EIG mentionnés à l'article L. 331-8-1 du code de l'action sociale et des familles, ainsi que le résume l'encadré ci-dessous.

Les événements indésirables graves en Ehpad prévus à l'article L. 331-8-1 CASF

1° Les sinistres et événements météorologiques exceptionnels ;

2° Les accidents ou incidents liés à des défaillances d'équipement techniques de la structure et les événements en santé environnement ;

3° Les perturbations dans l'organisation du travail et la gestion des ressources humaines ;

4° Les accidents ou incidents liés à une erreur ou à un défaut de soin ou de surveillance ;

5° Les situations de perturbation de l'organisation ou du fonctionnement de la structure liées à des difficultés relationnelles récurrentes avec la famille ou les proches d'une personne prise en charge, ou du fait d'autres personnes extérieures à la structure ;

6° Les décès accidentels ou consécutifs à un défaut de surveillance ou de prise en charge d'une personne ;

7° Les suicides et tentatives de suicide, au sein des structures, de personnes prises en charge ou de personnels ;

8° Les situations de maltraitance à l'égard de personnes accueillies ou prises en charge ;

9° Les disparitions de personnes accueillies en structure d'hébergement ou d'accueil, dès lors que les services de police ou de gendarmerie sont alertés ;

10° Les comportements violents de la part d'usagers, à l'égard d'autres usagers ou à l'égard de professionnels, au sein de la structure, ainsi que les manquements graves au règlement du lieu d'hébergement ou d'accueil qui compromettent la prise en charge de ces personnes ou celle d'autres usagers ;

11° Les actes de malveillance au sein de la structure.

L'arrêté précise encore que l'information transmise aux autorités de tutelle comprend : les coordonnées de la structure concernée et celles du déclarant, les dates de survenue et de constatation de l'EIG signalé, la nature des faits, les circonstances dans lesquelles les faits se sont produits, le nombre de personnes victimes ou exposées au moment de l'information des autorités administratives, les conséquences de l'EIG, les demandes d'intervention des secours, les mesures immédiates prises par la structure, l'information apportée à la personne concernée, qui est signalé aux familles, aux proches, et, le cas échéant, au représentant légal et à la personne de confiance des personnes concernées, les dispositions prises ou envisagées par la structure pour remédier aux dysfonctionnements, éviter leur reproduction et, le cas échéant, faire cesser le danger, les suites administratives ou judiciaires, les évolutions prévisibles ou difficultés attendues, et les répercussions médiatiques, le cas échéant.

C'est une innovation législative bienvenue, mais la notion de dysfonctionnement, ou de tout événement, indésirable grave, souvent abrégée en EIG, s'est ajoutée à celle d' « événement indésirable grave associé à des soins » (EIGS) qui existait déjà dans le secteur sanitaire en vertu de l'article L. 1413-14 du code de la santé publique. Adapté à la loi ASV par la loi Santé de 2016, cet article dispose désormais que « tout professionnel de santé ou établissement de santé ou établissement et service médico-social qui constate un événement indésirable grave associé à des soins réalisés lors d'investigations, de traitements, d'actes médicaux à visée esthétique ou d'actions de prévention doit en faire la déclaration » au directeur général de l'ARS.

Un EIGS, précise la partie réglementaire du code, « est un événement inattendu au regard de l'état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d'un déficit fonctionnel permanent, y compris une anomalie ou une malformation congénitale » 46 ( * ) .

Ces signalements alimentent, en vertu d'un autre dispositif 47 ( * ) , une base nationale à partir de laquelle la HAS doit établir un bilan annuel assorti en tant que de besoin de recommandations sur les modalités d'organisation et les pratiques professionnelles à l'origine des faits qui lui sont rapportés.

Depuis un décret de 2016, c'est par le portail des signalements des évènements sanitaires indésirables que la procédure de déclaration des EIGS à l'ARS, par les professionnels et les établissements, est désormais réalisée de façon identique dans les secteurs sanitaire et médico-social 48 ( * ) , la coordination des deux dispositifs étant assurée par la précision que la déclaration d'un EIGS à l'ARS vaut information au titre de l'obligation de signalement prévue par la loi ASV 49 ( * ) .

Restent deux problèmes. D'une part, la coexistence de deux catégories non clairement séparées. Parmi les EIG, les « accidents ou incidents liés à une erreur ou à un défaut de soin ou de surveillance », les « suicides et tentatives de suicide, au sein des structures, de personnes prises en charge ou de personnels » et dans une moindre mesure « les disparitions de personnes accueillies en structure d'hébergement ou d'accueil » peuvent très bien entrer dans la catégorie des EIGS.

La question n'est pas sans importance car, d'autre part, aucun système d'information spécifique n'a été développé pour centraliser les signalements d'EIG. Alors que les EIGS peuvent être renseignés par l'intermédiaire du système d'information sanitaire des alertes et crises (Sisac) mis à disposition des ARS 50 ( * ) , rien, en dépit d'un audit de l'IGAS et du lancement d'une étude de faisabilité, ne permet pour l'heure aux établissements médico-sociaux de faire remonter les EIG aux échelons départemental, régional et national. En conséquence, les seules données dont la DGCS dispose sont très partielles, ce qui nuit à la précision de la surveillance et donc, le cas échéant, au déclenchement de contrôles.

Il faut en outre avoir à l'esprit, comme le fait observer Alice Casagrande, présidente de la Commission pour la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance du Haut Conseil de la famille et de l'enfance et de l'âge, la probable « sous-déclaration massive des situations de maltraitance en Ehpad comme à domicile, notamment par peur de représailles ou par lassitude de ne pas obtenir des réponses en proximité qui conduit à renoncer à se faire entendre plutôt qu'à changer d'interlocuteur ».

Les usagers peuvent, pour leur part, appeler le 3977, géré par « La Fédération 3977 contre la maltraitance », qui a pour objectif d'animer et de coordonner un dispositif d'alerte sur les risques de maltraitance envers les personnes âgées et les adultes handicapés. Or tous les acteurs s'accordent pour dénoncer sa sous-utilisation. D'après Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, cette plateforme est méconnue et « sous-utilisée par les familles » - encore que les appels aient « considérablement augmenté » dans ce département depuis la sortie du livre de Victor Castanet 51 ( * ) . La ministre Brigitte Bourguignon a également concédé en mars que la plateforme n'était « pas suffisamment outillée pour effectuer la remontée des signalements dans les meilleures conditions » et annoncé le renforcement des moyens qui lui sont consacrés.

Selon Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde, « les outils de détection des maltraitances sont trop éclatés, avec trois canaux : l'ARS, le département et le 3977. Ainsi les saisines sont-elles assez rares, même si elles sont aujourd'hui en augmentation. Nous observons une grande difficulté à recouper les informations pour analyser correctement les signaux faibles ; »

Il convient par conséquent de redoubler d'efforts pour faciliter la détection des situations problématiques graves en établissement . Cela impose de fiabiliser au plus vite la connaissance du problème par la finalisation des outils informatiques nécessaires, mais aussi de développer la culture du signalement en Ehpad. Comme le suggère l'ARS Île-de-France, cela pourrait faire l'objet d'une rubrique plus précise au sein des CPOM.

Développer la culture de la prise en compte des EIG peut également passer par le dialogue au sein des CVS. Pour l'heure, les CVS « sont avisés » des seuls EIG « qui affectent l'organisation ou le fonctionnement de la structure ». Son directeur ou son responsable « communique » au CVS la nature de l'EIG et les dispositions prises pour y remédier et en éviter la reproduction 52 ( * ) . Les dysfonctionnements portés à sa connaissance pourraient être définis plus largement.

Et quant au CVS, depuis le décret d'avril dernier, « dans le cas où il est saisi de demandes d'information ou de réclamations concernant les dysfonctionnements et événements indésirables graves, le président oriente les demandeurs vers les personnes qualifiées, le dispositif de médiation ou le délégué territorial du défenseur des droits » . Il conviendrait d'aller plus loin, en imposant par exemple une obligation de réponse sur la suite donnée aux signalements de maltraitance adressée par les familles aux autorités tarificatrices et de contrôle.

Proposition n°22 : Se doter rapidement d'outils fonctionnels de signalement des événements indésirables graves en Ehpad.

Proposition n°23 : Imposer une obligation de réponse sur la suite donnée aux signalements de maltraitance adressés par les familles aux autorités tarificatrices et de contrôle.

B. UNE TRANSFORMATION NÉCESSAIRE DU CADRE EXISTANT

1. Rendre la nature de l'offre propice à l'amélioration de la prise en charge des personnes
a) Réguler l'appétit des acteurs du segment lucratif du secteur
(1) Le secteur privé commercial : une compatibilité avec le soin jusqu'à un certain point

Les données statistiques disponibles font apparaître la place croissante des groupes privés dans le secteur des Ehpad. A contrario , et même si le secteur public gère toujours la moitié des places accessibles, le poids de ce dernier s'est considérablement réduit. Dans certains départements, l'offre privée lucrative représente maintenant plus de la moitié des places effectives.

• Une évolution dynamique entre la fin des années 1980 et la fin des années 2000

Entre 1986 et 2015, le nombre de places en établissements médico-sociaux médicalisés et non médicalisés s'est accru de 85 %, cette croissance est très majoritairement portée par le secteur privé et notamment par le secteur privé lucratif, où elle atteint 560 % sur la période.

Évolution du nombre de places en Ehpad et logements foyers par statut d'établissement

Source : Livre blanc « Quel Ehpad pour demain ? », commission des affaires sociales du Sénat

Les données disponibles font apparaître la place conséquente des groupes privés lucratifs dans le secteur. Un raisonnement fondé sur le statut juridique montre que le privé lucratif gère un peu plus d'un quart des établissements (26 %). Les autres établissements sont gérés par le privé non lucratif (32 %), le public autonome (18 %), des établissements de santé publics (13 %) et les centre communaux d'action sociale (CCAS) (11 %).

Un raisonnement fondé sur le nombre de places modifie peu la répartition. La part du secteur privé lucratif est alors de 22 %, celle du privé non lucratif de 29%, le reste se répartissant entre les différents acteurs publics (autonomes 19%, rattachés à un établissement de santé 22 %, CCAS 8 %).

Évolution du nombre de placeS d'Ehpad par statut d'établissement

Source : chiffres 2007, 2011 et 2015 : Enquêtes EHPA de la DREES/Chiffres 2017 : CNSA, base HAPI des EHPAD tarifés en 2017 (portrait des EHPAD 2017)

Le secteur privé lucratif assure donc la gestion d'environ un quart des places accessibles en Ehpad aujourd'hui . Cette situation est le fruit d'un choix des gouvernements qui se sont succédé depuis le milieu des années 1980 et des autorités territoriales. En effet, le nombre d'Ehpad commerciaux croît fortement à compter des années 1980, et cette croissance demeure dynamique tout au long des années 1990 et 2000, tout comme le nombre de places offertes par cette catégorie d'acteurs.

Ainsi sur les dix dernières années, le nombre de places en Ehpad public demeure stable, mais cette stabilité cache une réduction du nombre de places gérés par le public sur la période la plus récente, c'est-à-dire entre 2015 et 2017 et une réduction de près de 2 points du pourcentage de places gérées par les opérateurs publics dans l'ensemble de l'offre disponible. Toujours entre 2011-2017, le nombre de places gérées par des opérateurs privés passe de 117 820 unités à 129 956 unités, soit une augmentation de 12 136 places.

Sur la période considérée, le nombre total de places augmente de 21 651 unités, le secteur privé lucratif représente plus de 50 % de cette augmentation, le privé non lucratif dispose quant à lui de près de 10 000 (9 125) places supplémentaires. L'augmentation de l'offre est donc largement le fait de l'action des acteurs privés commerciaux ou non commerciaux.

• La constitution de groupes multi-gestionnaires présents en France et à l'international

Si le secteur privé lucratif se compose encore d'acteurs individuels et indépendants, la tendance constatée au cours des 25-30 dernières années est, dans un premier temps, celle du regroupement et de la constitution de groupes multi-gestionnaires d'Ehpad, puis d'un développement de l'activité à l'international dans un second temps.

Cinq groupes dominent actuellement le marché national. Le groupe Korian vient en tête avec 14 371 lits (4 354 à l'étranger), devant Orpea (9 212 lits en France et 3 057 à l'étranger), Dolcéa (7 898 lits), Medica France (7 144 lits en France et 1 378 à l'étranger) et DomusVi (6 211 lits en France et 1 830 à l'étranger). Sur ce top cinq du marché de la dépendance, se côtoient des spécialistes de la dépendance combinant Ehpad, cliniques de soins de suite et de réadaptation et cliniques psychiatriques (Korian, Medica France), des groupes de maisons de retraite (Noble Age) et quelques acteurs fortement intégrés, à l'image de DomusVi. En 2020, sur les quinze premiers groupes privés lucratifs français, sept ont désormais plus de lits à l'étranger qu'en France. La gouvernance de ces groupes a été modifiée pour tenir compte de cette évolution ainsi que l'ont montré les auditions des dirigeants d'Orpea devant la commission des affaires sociales du Sénat, avec une répartition des compétences entre une équipe de direction « Monde » et des dirigeants pays, dont la France.

Ce développement à l'international est en partie dû au fait que les créations de places en Ehpad ont fortement ralenti à partir de 2010. Les règles relatives à la création d'établissement ont profondément changé avec la loi HPST et la fin du contexte budgétaire particulièrement favorable des années 1990 et 2000. Alors que l'initiative reposait sur les gestionnaires ? ce sont maintenant les ARS et les conseils départementaux qui décident de la configuration de l'offre, à travers les appels à projets. Les groupes privés lucratifs ont donc cherché de nouveaux leviers de croissance, à travers la diversification des activités et le développement international. La Cour des comptes constatait ainsi en février 2022, en conclusion d'un paragraphe consacré à des comparaisons internationales, qu'« une autre particularité française est l'existence de groupes privés de statut commercial, avec une forte présence internationale depuis 20 ans, sans équivalent dans les autres pays étudiés ».

Outre des barrières à l'entrée protectrices, la croissance de ces groupes privés s'explique par des fondamentaux démographiques positifs, du fait du vieillissement de la population, et des dotations publiques importantes qui stabilisent leur chiffre d'affaires quasiment pour moitié. Bref, ainsi que le postulait un grand quotidien du soir en préambule d'un article de 2019 : « c'est un business en or. Rentable et pérenne, avec une demande qui devrait croître ces trente prochaines années . » 53 ( * )

Non seulement la prise en charge des personnes âgées est un secteur économique comme un autre, et plus porteur que d'autres, mais il est affecté par les tendances sans doute les moins propices à la préservation de la qualité des soins, telle l'emprise croissante des fonds de capital-investissement 54 ( * ) . Trois des cinq plus grands groupes français - DomusVi, Colisée, Domidep - sont en effet détenus par des fonds de capital investissement. Jean-François Vitoux, ancien directeur général de DomusVi et désormais directeur général d'Arpavie, a expliqué à la commission d'enquête comment son métier était « devenu incompatible avec les mécanismes financiers » 55 ( * ) .

DomusVi a ainsi été racheté trois fois en moins de dix ans : une première fois en 2014 au prix de 650 millions d'euros par PAI Partners 56 ( * ) , qui a revendu ses parts en juin 2017 au fonds ICG pour la somme de 2,3 milliards d'euros. En mai 2021, le capital du groupe est à nouveau réorganisé par le fonds ICG, qui le valorise cette fois-ci à hauteur de 4,3 milliards d'euros 57 ( * ) , soit une multiplication par presque sept en sept ans. En définitive, sa valorisation a donc été estimée à 16,4 fois le bénéfice de la société avant intérêts, impôts et amortissements (Ebitda), alors qu' « en 2014, un groupe privé d'Ehpad s'achetait environ 9,5 fois son résultat d'exploitation » 58 ( * ) .

Ces plus-values à la revente sont rendues possibles par la technique du leveraged buy-out , qui permet à ces fonds de racheter la société à crédit, lequel est porté par la société elle-même. Dans ce schéma, l'endettement sert à financer l'expansion du groupe - à l'international, souvent, compte tenu du ralentissement de la délivrance d'autorisations - et est remboursé par une ponction sur ses bénéfices opérationnels. Un tel montage est en outre rarement sans avantage pour les dirigeants de l'entreprise, qui se constituent ainsi des fortunes personnelles 59 ( * ) .

Colisée a également été racheté trois fois en six ans : d'abord par Eurazeo en 2014, puis par IK Investment Partners en 2017, et enfin par EQT Infrastructure en 2020, une société de capital-investissement gérée depuis le Luxembourg, pour un montant compris entre 2,2 et 2,3 milliards d'euros, soit 15 fois l'Ebitda du groupe 60 ( * ) , avec pour conséquence un endettement multiplié par trois depuis 2015.

Comme l'ont relevés Laure de la Bretèche, présidente d'Arpavie, et Jean-François Vitoux, « la financiarisation du secteur commercial depuis dix ans est impressionnante. Elle a pris de court les pouvoirs publics qui n'ont su anticiper ni sa puissance ni ses conséquences ; » . Ces stratégies font supporter aux résidents et à la collectivité des risques de coûts financiers importants. Au Royaume-Uni, le groupe Four Seasons Health Care, qui avait changé quatre fois de propriétaire depuis 2000, a ainsi dû être placé sous administration judiciaire en 2019.

On ne peut en effet valoriser un groupe à plus de quinze fois son bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements sans exiger de lui une rentabilité exceptionnelle à très court terme , et par conséquent menacer à plus ou moins brève échéance la qualité de la prise en charge dispensée aux résidents des établissements.

Mais une structure de propriété plus classique ne protège pas nécessairement du risque de faire passer l'intérêt des propriétaires avant celui des usagers. Soit en raison de trop faibles contrepouvoirs d'actionnaires, lorsque l'actionnariat est trop atomisé ou lorsque les acteurs institutionnels sont marginalisés, soit en raison de la propension, désormais répandue, à maintenir la rémunération des actionnaires à un certain niveau.

Pour l'exercice 2020, Orpea a ainsi distribué en 2020 à ses actionnaires « 34 % de ses 160 millions d'euros de résultat net, soit 58 millions d'euros et 0,90 euro par action, mieux qu'en 2019, une année de covid-19 sans dividendes, mais moins que le 1,20 euro de 2018. La société traverse pourtant très bien la crise, puisque son chiffre d'affaires, au troisième trimestre 2021, a bondi de 70 millions d'euros, soit 10,8 % de mieux qu'un an avant » . Korian, pour sa part, « a lancé, en décembre 2021, un plan de rachat de ses propres actions, d'un montant de 50 millions d'euros, qui n'a pour seule utilité que de faire monter artificiellement le cours de Bourse » 61 ( * ) .

(2) Mieux réguler la place du secteur privé dans l'offre médico-sociale

• Des besoins d'hébergement encore importants

On concédera pourtant que, malgré tous les moyens engagés pour réussir le virage domiciliaire, et les succès déjà engrangés en la matière, le besoin de places en Ehpad va continuer à s'accroître dans les années à venir. Dans la situation démographique actuelle, il sera donc difficile de se passer des acteurs privés commerciaux pour prendre en charge les personnes âgées dépendantes. Il semble cependant possible de freiner l'emballement de la rentabilité par la recherche de mécanismes vertueux.

La population de personnes âgées dépendantes estimée à 2,5 millions de personnes en 2015, pourrait atteindre 4 millions en 2050. Les Ehpad accueillent aujourd'hui environ 15 % des plus de 80 ans, soit environ 600 000 résidents. Les projections démographiques indiquent qu'en 2030, il est acquis que la France comptera 21 millions de personnes de plus de 60 ans, dont 3 millions seront en perte d'autonomie. En 2050, ces effectifs seront respectivement de 25 et 4 millions.

Pour analyser les effets de ce vieillissement de la population, la direction de la recherche, des études de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère chargé de la santé a développé un modèle prospectif appelé LIVIA, pour « lieux de vie et autonomie », qui permet de faire des projections sur le nombre attendus de seniors en perte d'autonomie dans les trois principaux lieux de vie que sont le domicile, la résidence autonomie et l'Ehpad. Si les évolutions démographiques sont quasi certaines, les projections de la Drees reposent sur des hypothèses aboutissant à trois scénarios différents.

Le premier scénario repose sur l'hypothèse que la proportion de personnes résidant en Ehpad dans la population, resterait identique à son niveau de 2015. En retenant une tendance intermédiaire sur l'évolution de la dépendance, il faudrait alors ouvrir 108 000 places nouvelles en Ehpad et assimilés d'ici à 2030, puis 211 000 places d'ici à 2050. Ces places s'ajouteraient à l'offre disponible aujourd'hui. Pour parvenir à un tel résultat, il faudrait plus que doubler le rythme annuel de créations de places observé depuis 2012.

En résidences autonomie, 33 000 places supplémentaires seraient nécessaires à l'horizon 2030 et 44 000 autres à l'horizon 2050, à comparer aux 104 000 places actuelles. Dans les scénarios élaborés par la Drees, contrairement au cas des Ehpad, les projections sur les résidences autonomie restent assez stables quelle que soit l'hypothèse retenue sur l'évolution du taux de dépendance, puisque ces structures accueillent en grande majorité des personnes autonomes.

Si la dépendance évolue de façon plus optimiste, les besoins de places en Ehpad deviendraient moins importants. Il faudrait ouvrir 56 000 places en Ehpad d'ici 2030. Ces scénarios ne tiennent pas compte des annonces de la feuille de route Ehpad-USLD présentée par le ministère des solidarités en mars dernier, dont il sera question plus loin.

La demande de places en Ehpad demeurera assez forte au cours des années à venir et les pouvoirs publics doivent donc déterminer l'environnement dans lequel ces créations pourront être réalisées. Il convient donc de s'intéresser à la place respective des différents acteurs et des moyens et incitations qui seront mis à leur disposition pour répondre à ce besoin. L'absence d'action se traduirait probablement par la poursuite d'un accroissement des places gérées par les établissements privés lucratifs. Or les rapporteurs considèrent qu'une offre publique de bonne dimension doit demeurer accessible à nos aînés.

• Revoir le système de transfert d'autorisation

Le contrôle des transferts d'autorisation est déjà prévu par le code de l'action sociale et des familles. Son article L. 313-1 dispose que : « L'autorisation ne peut être cédée qu'avec l'accord de l'autorité compétente pour la délivrer, qui s'assure que le cessionnaire pressenti remplit les conditions pour gérer l'établissement, le service ou le lieu de vie et d'accueil dans le respect de l'autorisation préexistante, le cas échéant au regard des conditions dans lesquelles il gère déjà, conformément aux dispositions du présent code, d'autres établissements, services ou lieux de vie et d'accueil » ;

La partie réglementaire du code prévoit notamment que « la demande de cession de l'autorisation [...] est adressée par le cessionnaire à l'autorité ou aux autorités compétentes pour délivrer l'autorisation. » 62 ( * ) Cette demande doit être assortie d'un dossier comportant :

- une partie administrative, dans laquelle figurent notamment l'identité, l'adresse et le statut juridique de la personne physique ou morale qui demande la cession, le protocole d'accord portant cession de l'autorisation conclu entre le cédant et le cessionnaire, le projet d'établissement ;

- une partie relative aux personnels, décrivant notamment l'état des effectifs, par type de qualifications, exerçant ou appelés à exercer dans l'établissement ;

- une partie financière décrivant les modalités précises de financement du projet, une présentation du compte ou du budget prévisionnel de l'établissement ou du service ;

- ainsi que l'engagement du demandeur au respect des conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement.

Cet article prévoit aussi que « l'autorité ou les autorités compétentes pour délivrer l'autorisation peuvent demander la communication de tout document complémentaire permettant la bonne instruction du dossier pour s'assurer que le cessionnaire pressenti est en capacité de gérer l'établissement, le service ou le lieu de vie et d'accueil », et enfin que « l'absence de réponse de l'autorité ou des autorités compétentes dans un délai de trois mois suivant la date de réception du dossier complet vaut rejet de la demande . »

Le décret du 28 avril 2022 précité 63 ( * ) apporte déjà un certain nombre de compléments opportuns, notamment :

- l'introduction d'une comptabilité analytique, qui permettra d'isoler une comptabilité par établissement ou service géré, ainsi que le suivi de l'utilisation des financements publics, de la réalisation de marges et des flux financiers entre l'ESMS et l'entreprise, ces éléments devant par ailleurs faire l'objet d'une attestation d'un commissaire aux comptes ;

- la transmission systématique de ces documents aux autorités de tarification compétentes à la clôture d'un exercice, ainsi que le rapport du commissaire aux comptes et ses annexes ;

- la suppression des cadres budgétaires simplifiés, induisant la transmission d'un EPRD/ERRD complet, comme pour les autres catégories de gestionnaires, détaillé dans les annexes financières par section tarifaire, pour les charges et les produits, dans le cas d'Ehpad.

L'audition par la commission de la direction générale de la cohésion sociale fait toutefois apparaître qu'il serait utile de compléter les dispositions législatives existantes pour prévoir :

- la possibilité de recourir à des sanctions dès que les règles budgétaires fixées par le code de l'action sociale et des familles ne sont pas respectées ;

- les modalités de contrôles et de sanctions au niveau des groupes gérant plusieurs Ehpad par une autorité ;

- l'obligation au niveau de l'entité juridique, et non plus seulement au niveau des établissements, de transmission aux autorités d'une annexe en comptabilité analytique sur les mouvements financiers entre le groupe et l'Ehpad, ainsi que l'utilisation des dotations publiques ;

- le renforcement du reporting extra-financier de ce secteur sur le modèle des obligations de reporting sectoriel qui ont été prévues concernant les émissions de gaz à effet de serre du secteur du transport ;

- le renforcement des capacités de contrôle par les corps d'inspection et de contrôle tels que l'IGF, l'IGAS, la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, ou encore la DGFIP, par exemple par un pouvoir d'alerte ou de saisine des corps de contrôles aux directeurs généraux d'ARS et aux présidents de conseils départementaux.

• Limiter la recherche du profit par l'imposition d'une redevance sur la profitabilité opérationnelle

Laure de la Bretèche et Jean-François Vitoux proposent en outre de créer une redevance assise sur la profitabilité des Ehpad privés à but lucratif.

Leur raisonnement repose sur le constat que, pour exploiter un Ehpad, tout opérateur doit obtenir une autorisation, laquelle donne droit à la perception de dotations publiques finançant principalement les salaires de soignants sans lesquels l'établissement n'accueille personne et ne réalise donc pas de profit. L'autorisation d'exploiter un Ehpad est donc un actif public dont bénéficie l'opérateur privé, et doit être considéré de la même façon que les licences de téléphonie, les autorisations d'occupation du domaine public, ou les concessions d'autoroutes. Or « aucun économiste ne contestera qu'un actif public dont une personne privée tire un profit doive être rémunéré ».

Pour rendre cette redevance équitable, les auteurs suggèrent de fixer la redevance de façon proportionnelle à la profitabilité opérationnelle du gestionnaire de chaque établissement, c'est-à-dire le résultat avant loyer divisé par le chiffre d'affaires réalisé dans l'hébergement. « Un Ehpad public habilité à l'aide sociale avec un prix de journée de 60 euros dégage par nature une profitabilité très faible, alors qu'un Ehpad commercial avec un prix de 120 euros va dégager une profitabilité élevée. Ces bénéfices sont rendus possibles parce que le personnel soignant, qui représente la plus grande partie des charges d'exploitation, est payé au même prix dans les deux cas et financé par des dotations publiques voisines ».

Une redevance fortement progressive, poursuivent les auteurs, n'obérera pas la profitabilité de l'Ehpad public, alors que celle de l'Ehpad commercial baissera significativement. Il suffirait aux pouvoirs publics de caler un pourcentage de rémunération raisonnable de l'actionnaire et d'estimer le montant moyen des travaux nécessaires pour en déduire le pourcentage de redevance applicable, à niveau de profitabilité donné. En plus, ce mécanisme serait simple à mettre en oeuvre puisque les agences régionales de santé et les départements disposent déjà de la plupart des informations nécessaires. « Cette nouvelle régulation réduirait les incitations à la maximisation du profit puisque la redevance augmente avec la profitabilité. »

Un tel mécanisme permettrait en outre de dégager des revenus destinés à soutenir la diversification et la modernisation de l'offre.

• Encadrer l'évolution de l'offre à but lucratif

Depuis la logique introduite par la loi HPST, la loi soumet la création, la transformation ou l'extension d'un Ehpad à une procédure d'appel à projet. Elle précise que « lorsque les projets font appel, partiellement ou intégralement, à des financements publics, ces autorités délivrent l'autorisation après avis d'une commission d'information et de sélection d'appel à projet social ou médico-social qui associe des représentants des usagers. Une partie des appels à projets doit être réservée à la présentation de projets expérimentaux ou innovants répondant à un cahier des charges allégé » 64 ( * ) . Cette procédure permet aux ARS, comme l'a montré la présentation de l'évolution statistique de l'offre, de maîtriser leurs engagements financiers dans le secteur.

À défaut de revoir la procédure tout entière, qui renforce par ailleurs la concurrence non seulement entre établissements publics et privés commerciaux, mais encore entre ces derniers et les établissements de l'économie sociale et solidaire, il serait envisageable d'encadrer l'évolution de l'offre à but lucratif en fixant, à l'échelle d'un territoire, une région ou un département, un ratio de places en établissement privé commercial.

Proposition n° 13 : Donner un droit d'opposition élargi aux autorités de tarification et de contrôle sur les transferts d'autorisation (et notamment en cas de vente).

Proposition n° 14 : Prévoir le versement d'une redevance pour les Ehpad commerciaux (ou pour le rachat par une société commerciale).

Proposition n° 15 : Encadrer l'évolution de l'offre privée lucrative par rapport à l'offre globale d'un département.

b) Encourager à la montée en compétences du secteur médico-social
(1) Accompagner la médicalisation des Ehpad

Comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport de février 2022, l'âge moyen des résidents en institution était de 85 ans et 9 mois en 2015 contre 85 ans en 2011. En quatre ans, la proportion des personnes âgées de 90 ans ou plus parmi les résidents en institution est passée de 29 % à 35 %. Les Ehpad accueillent les résidents les plus âgés. L'âge moyen en Ehpad est de 86 ans et 4 mois en 2015. La durée de séjour était en moyenne de 2,5 ans en 2015. L'Ehpad est souvent le dernier lieu d'hébergement de la personne âgée et le dernier lieu de vie pour un quart des personnes décédées en France.

Le niveau de dépendance des personnes accueillies en Ehpad s'est accru entre 2011 et 2018 : leur groupe iso-ressources moyen pondéré (GMP) passe en moyenne de 689 en 2011 à 723 en 2018. Plus de la moitié des résidents, 54 % exactement, y est désormais en GIR 1 ou 2, c'est-à-dire très dépendante.

Le Gouvernement a tiré les premières conséquences de ce constat en présentant une feuille de route Ehpad-USLD 2021-2023 le 17 mars 2022 65 ( * ) à partir des analyses et des recommandations du rapport de mission sur les profils de soins en USLD et en Ehpad qui avait été remis le 5 juillet 2021 par les Pr Claude Jeandel et Olivier Guérin 66 ( * ) . Celui-ci montrait en effet que les USLD ne permettent pas de répondre de manière satisfaisante aux besoins de prise en charge médicale complexe, lourde et prolongée de tout âge, et qu'une grande partie des profils de soins de patients des USLD rejoignaient ceux des résidents en Ehpad.

La transformation des USLD devrait se traduire par deux actions : d'une part, l'évolution d'une partie de ces unités vers des unités de soins dites de soins prolongés complexes dont les missions, les publics cibles et le modèle de financement sont à préciser ; d'autre part, le transfert d'une seconde partie vers le secteur médico-social en vue de les adapter aux nouveaux profils et besoins de soins des personnes âgées dans les années à venir. D'après les estimations en cours de consolidation qui ont été communiquées aux rapporteurs lors de l'audition de la direction générale de l'offre de soins, 34 000 places d'USLD devraient être fermées, et les deux tiers des personnes concernées transférées en Ehpad.

Les 15 mesures de la feuille de route Ehpad-USLD 2021-2023

Axe 1 : Faire évoluer l'offre par la création d'unités de soins prolongés complexes (USPC) à vocation strictement sanitaire et par le regroupement de l'offre d'hébergement médicalisé des personnes âgées

1) Créer une offre sanitaire d'unité de soins prolongés complexes (USPC) pour une prise en charge adaptée des personnes de tous âges hospitalisées

2) Regrouper au sein des Ehpad l'ensemble des profils de soins cohérents

Axe 2 : Concrétiser la transformation du modèle de l'Ehpad

3) Adapter le cadre de vie et la vie quotidienne des résidents présentant davantage de pathologies - Laboratoire de l'Ehpad de demain

4) Adapter l'architecture des Ehpad à la prévalence élevée des troubles neurocognitifs

Axe 3 : Assurer un maillage territorial de proximité et garantir un haut niveau d'accompagnement et de prise en soin

5) Concrétiser le concept de l'Ehpad comme centre de ressources territorial

6) Poursuivre le déploiement des Pôle d'activités et de soins adaptés (PASA) et des unités d'hébergement renforcées (UHR) au sein des Ehpad

7) Regroupement des Ehpad publics autonomes et création des groupements territoriaux sociaux et médico-sociaux (GTSMS)

8) Étudier la généralisation du tarif global et ne plus le conditionner à la présence d'une PUI

Axe 4 : Reconnaître les spécificités des fonctions au sein des Ehpad pour les faire évoluer .

9) Faire évoluer la fonction de médecin coordonnateur d'après l'expérience de la crise covid

10) Reconnaître la fonction d'infirmier coordonnateur sur la base d'un référentiel national

11) Reconnaître le besoin de compétence en gérontologie des infirmières

12) Généraliser les astreintes infirmière de nuit à l'ensemble des Ehpad

13) Faciliter les interventions des chirurgiens-dentistes libéraux en Ehpad

Axe 5 : Assurer de meilleures modalités d'intervention des ressources sanitaires et des ressources en santé mentale/psychiatrique au sein des Ehpad

14) Déployer les modalités d'intervention des ressources sanitaires en Ehpad.

15) Formaliser et encadrer les modalités d'intervention des ressources en santé mentale/psychiatrie au sein des Ehpad

Certaines de ces actions sont déjà en cours de mise en oeuvre. Le Ségur de la santé et la LFSS 2022 ont en effet pérennisé, ainsi qu'y avait appelé la commission des affaires sociales du Sénat à plusieurs reprises, certains dispositifs déployés pendant la crise et qui ont fait leur preuve. C'est le cas par exemple :

- des équipes mobiles gériatriques, qui accompagnent à titre subsidiaire les professionnels des Ehpad dans la prise en charge complexe de certains résidents. Un cadre de leurs interventions a été diffusé par la DGOS et la DGCS le 19 novembre 2021 67 ( * ) . Le Ségur de la santé a doublé le renfort financier à ces équipes, pour le porter à 8 millions d'euros par an, ce qui bénéficie à 177 équipes mobiles ;

- des équipes mobiles d'hygiène, par la mise à disposition de temps infirmiers hygiénistes, afin d'améliorer la prévention et la maîtrise du risque infectieux mais aussi de diffuser une culture de gestion de crise.

- du renfort de l'hospitalisation à domicile (HAD). Le nombre de résidents d'Ehpad pris en charge en HAD a augmenté de 79 % entre 2019 et 2020, grâce à un assouplissement dans les conditions de leur mise en oeuvre. La feuille de route de l'HAD 2021-2026 prévoit de développer l'articulation entre l'HAD et les secteurs social et médico-social et de renforcer le rôle de l'HAD dans les parcours des personnes âgées, en situation de handicap ou de précarité. L'extension aux autres catégories d'ESMS, en 2023, du financement du soutien de l'HAD aux Ehpad est à l'étude.

- des astreintes gériatriques et soins palliatifs. Portées par les filières gériatriques et de soins palliatifs, avec la collaboration des HAD, elles couvrent désormais 100 % des établissements. Leur pérennisation a également été décidée dans le cadre du Ségur de la santé, et encadrée par une instruction du 7 février 2022. Le plan soins palliatifs-fin de vie 2021-2024 complète leur financement, et le décret du 27 avril 2022 a donné une base réglementaire au conventionnement des Ehpad avec de telles équipes mobiles.

Ce dernier décret précise également les conditions d'exercice de la nouvelle mission facultative de centre de ressources territorial pour les personnes âgées exercée par les Ehpad ou les services à domicile . Cette mission comporte deux modalités d'intervention, qui devront être menées conjointement :

- une mission d'appui aux professionnels du territoire par la formation, l'appui administratif et logistique, la mise à disposition de compétences et ressources gérontologiques, gériatriques et de ressources et équipements spécialisées ou de locaux adaptés ;

- une mission d'accompagnement renforcé pour des personnes âgées en perte d'autonomie nécessitant un accompagnement à domicile plus intensif, en alternative à l'EHPAD.

Une instruction a été publiée le 15 avril dernier pour accompagner les ARS dans le déploiement de la nouvelle mission, notamment dans l'organisation d'appels à candidature, programmés pour le deuxième semestre 2022 sur la base du cahier des charges arrêté par le ministre compétent.

Outre les Ehpad, les divers services à domicile, infirmiers, d'aide et de soins ou services polyvalents, pourront porter cette nouvelle mission. Les établissements commerciaux n'en seront pas écartés, afin de ne pas aggraver les inégalités territoriales.

L'instruction budgétaire du 12 avril 2022 a enfin consacré une enveloppe globalisée de 52,2 millions d'euros au renforcement de l'encadrement médical en Ehpad au moyen :

- de l'augmentation de la présence médicale. Deux décrets du 27 avril 2022 tâchent de remédier au déficit de couverture médicale en établissement et d'attractivité du métier. Le premier 68 ( * ) augmente le temps minimal de médecin coordonnateur au sein des Ehpad, en assurant sa présence au moins deux jours par semaine, quelle que soit la taille de l'établissement. Le second décret octroie aux médecins coordonnateurs une prime d'un montant brut mensuel de 517 euros 69 ( * ) ;

Temps de présence du médecin coordonnateur en Ehpad

Capacité de l'établissement

ETP minimal en vigueur

ETP minimal désormais

Moins de 44 places

0,25

0,40

Entre 45 et 59 places

0,40

0,40

Entre 60 et 99 places

0,50

0,60

Entre 100 et 199

0,60

0,80

200 places ou plus

0,80

1

Source : décret n° 2022-731 du 27 avril 2022

- de la continuité des soins la nuit par la généralisation des astreintes d'infirmiers de nuit à l'ensemble des Ehpad en 2023. Le choix des modalités de mise en oeuvre de cette continuité - gardes, astreintes, conventionnement avec un opérateur de HAD - est laissé aux ARS ;

- des PASA et UHR, répondant au besoin d'accompagnement des personnes atteintes de maladies neurodégénératives au sein des Ehpad. Dans le cadre de ces dispositifs, il s'agit de financer des temps d'intervention d'une équipe pluridisciplinaire.

Toutes ces initiatives sont, à l'évidence, bienvenues et participent de la montée en compétence des établissements accueillant des personnes âgées . Selon le tableau de bord de l'ANAP, au moins 20 % des Ehpad n'avaient pas de médecin coordonnateur au 31 décembre 2019. L'assurance que ces mesures suffiront à combler les besoins n'est toutefois pas apportée.

Il manque toutefois une ambition plus nette dans la modernisation des soins en établissement, en exploitant par exemple les possibilités offertes par le numérique : un service de prise de rendez-vous médical à distance en établissement, sur le modèle de Doctolib, permettrait de remédier à l'étroitesse de la couverture en médecin coordonnateurs.

(2) Revoir le répertoire d'action au soutien du portage immobilier des Ehpad

• Soutenir plus fortement le secteur public dans le portage de son patrimoine immobilier

Rappelons que 57 % des établissements pour personnes âgées ont été construits avant 1990, dont 18 % sans rénovation depuis 1990. La part des gestionnaires propriétaires de l'Ehpad est de 77 % dans le secteur public, 44 % dans le secteur privé non lucratif, et 40 % dans le secteur privé lucratif.

Nombre d'établissements rénovés par période

Nombre d'établissements dont le bâti a été - en partie ou complétement - construit ou rénové

% des établissements

Avant 1989

1806

18%

Entre 1990 et 1999

1853

18%

Entre 2000 et 2009

2814

28%

À partir de 2010

3635

36%

TOTAL

10106

100%

Source : Livre blanc : quel Ehpad pour demain ?

La politique immobilière en direction des Ehpad doit poursuivre au moins trois objectifs : l'adaptation de l'offre d'hébergement aux besoins des résidents, la rénovation de l'existant, et la réponse aux besoins à venir.

Pour atteindre ces objectifs, les pouvoirs publics s'appuient sur deux mécanismes : des plans d'aide à l'investissement placés sous l'égide de la CNSA, des mécanismes d'incitation fiscale pour favoriser l'investissement immobilier. Les plans d'aide de la CNSA sont plutôt destinés au secteur public tandis que les mécanismes fiscaux ont accompagné l'ouverture de places dans le secteur privé lucratif.

Ces instruments doivent être questionnés au regard des pratiques en cours et des besoins à venir.

Dans un contexte de ralentissement des créations de places nouvelles, et alors que les pratiques du secteur sont questionnées par l'affaire Orpea, une réflexion doit être ouverte sur la pertinence des dispositifs fiscaux visant à favoriser l'investissement privé dans le secteur.

Par ailleurs, dans un contexte où l'immobilier occupe une place déterminante dans la qualité d'accueil des résidents et alors que les établissements publics sont ceux dont le bâti est le plus ancien, il convient de réfléchir aux instruments qui pourraient être mis à sa disposition pour l'accompagner dans la gestion immobilière.

Ces réflexions doivent être menées dans une double perspective : les conditions d'hébergement proposées actuellement peuvent être améliorées ; la construction de nouvelles places d'Ehpad est indispensable pour tenir compte des évolutions démographiques à venir.

Le cahier des charges fixé par l'arrêté du 26 avril 1999 insistait déjà sur ce point : « les espaces doivent contribuer directement à lutter contre la perte d'autonomie des résidents, favoriser le mieux possible leur sociabilité et instaurer une réelle appropriation par le résident et son entourage » 70 ( * ) . L'Ehpad doit trouver un équilibre entre ses principales composantes : un lieu de vie, un lieu adapté à la prise en charge de la dépendance, un lieu de prévention et de soins.

Ce cahier des charges fixait des objectifs ambitieux devant permettre « la transposition en établissement du domicile du résident », ce qui signifie la promotion des chambres individuelles, dotées d'un cabinet de toilette intégré et d'une surface minimale comprise entre 18 et 22 mètres carrés.

Les établissements publics sont ceux qui ont le plus de mal à répondre aux recommandations de ce cahier des charges : 11 % des chambres sont encore partagées, un quart des chambres n'ont pas de douche privative, contre respectivement 4 % et 9 % pour le privé non lucratif et 7 % et 4 % pour le privé lucratif.

La question immobilière est une question centrale pour la pérennisation et le développement de nouvelles places en Ehpad. Aussi est-il devenu fondamental d'investir massivement dans la modernisation du bâti des Ehpad surtout publics , et de réfléchir aux moyens à leur donner pour faciliter le portage de leur immobilier, par exemple via la possibilité de s'appuyer sur des professionnels, tels des offices publics d'HLM ou des foncières solidaires, pour les accompagner dans la gestion de ce patrimoine .

Proposition du rapport Libault de 2019 relative à l'immobilier (extraits)

Proposition n° 55 : « Lancer un plan de rénovation des établissements, en particulier publics de 3 Mds € sur 10 ans. Ce plan intègrera des exigences accrues en termes de qualité architecturale et valorisera la réalisation de petites unités de vie (15-20 personnes) au sein des établissements ».

« Étant donné l'ancienneté de son bâti, le secteur public serait priorisé. L'ouverture de ces financements au secteur privé non lucratif et lucratif doit être assortie d'exigences fortes sur la qualité de prise en charge et par une maîtrise des tarifs hébergement. Destiné prioritairement au secteur public, ce plan de rénovation serait conditionné pour les établissements de petite taille à l'engagement de dynamiques de rapprochement.

Il serait établi sur la base d'un audit détaillé à réaliser rapidement. En retenant une hypothèse de 150 000 places à rénover (un quart de l'offre totale n'a pas connu de rénovation depuis plus de 25 ans), le besoin d'investissement a été estimé à 15 Mds €. Il est proposé d'augmenter les plans d'aide à l'investissement de la CNSA d'environ 3 Mds € en 10 ans (soit un triplement de l'effort actuel d'investissement) pour abonder et amorcer un large plan de rénovation du bâti. Cet abondement interviendrait indépendamment des efforts d'investissements consentis par d'autres opérateurs. En particulier, les investissements nouveaux de la Caisse des dépôts et consignations et d'Action Logement doivent intervenir en complémentarité avec cet effort d'investissement.

Ce plan de rénovation permettrait de ne pas répercuter les coûts liés à la rénovation sur les résidents. Il représente donc une dépense évitée pour les personnes et les familles. »

• Restreindre les mécanismes de défiscalisation de l'investissement dans l'immobilier des Ehpad

La dimension immobilière a une importance particulière dans le modèle économique des acteurs privés lucratifs. Les établissements privés, situés plus fréquemment dans des zones urbaines denses, supportent un coût du foncier plus élevé. L'objectif assumé par Orpea, lors de sa dernière assemblée générale d'actionnaires, en juin 2021, était d'ailleurs celui de la « “premiumisation” de l'offre et du réseau » assurée, entre autres, par la « création d'établissements dans des localisations à fort pouvoir d'achat » et une « montée en gamme du réseau existant ». L'immobilier est central dans cette stratégie : de beaux locaux, avec espace vert, bien situés, sont un argument pour capter des clients.

Lors de son audition par la commission, Yves le Masne, ancien directeur général d'Orpea, a ainsi indiqué : « Dans un établissement classique, le résultat brut d'exploitation est de l'ordre de 20 % à 30 %. Ce qui a fait l'originalité d'Orpea, c'est d'essayer d'avoir les loyers les plus bas possible tout en étant le mieux placé possible. En effet, nous nous sommes efforcés de construire nous-mêmes nos immeubles, ce qui permet d'économiser les coûts de promotion immobilière, qui représentent 10 % à 20 % du coût d'une construction classique. Dans la moitié des cas, nous conservons la pleine propriété des immeubles de manière à ne pas payer de loyer. Avant loyer, les différents acteurs de notre secteur ont à peu près la même profitabilité que nous, mais comme nous économisons les loyers, notre profitabilité après loyer est meilleure. » 71 ( * ) .

Or une grande partie des Ehpad commerciaux appuient leur immobilier sur la vente en lots sous statut de loueur en meublé non professionnel ouvert à l'investissement défiscalisé qui s'adressent notamment aux particuliers et promettant en contrepartie des taux de rendement importants non réglementés.

Comme l'a indiqué Sophie Boissard à la commission : « Nous avons engagé depuis 2017 un plan de rénovation très vaste sur le parc médico-social, qui sera terminé d'ici à 2025, soit plus de 1 milliard d'euros dans les 270 établissements médico-sociaux du groupe. [...] Nous pouvons le faire sans nous endetter de manière déraisonnable et - j'insiste - sans recourir à des ventes à la découpe. Nous n'avons pas recours chez Korian - cela se pratiquait avant mon arrivée - aux fameuses locations meublées professionnelles (LMP). Nous recevons tous, en tant qu'épargnants, de telles publicités qui offrent des rendements invraisemblables. Je considère aujourd'hui que ce n'est pas le bon dispositif pour investir durablement. Nous ne voulons pas risquer de nous retrouver dans des situations de propriétés morcelées, avec des loyers exorbitants, ce qui pourrait nous mettre dans l'incapacité totale d'assurer durablement l'activité . » 72 ( * ) .

Les dispositifs de défiscalisation applicables à l'investissement en Ehpad

1) Le dispositif « Censi-Bouvard »

Ce dispositif permet de bénéficier d'un crédit d'impôt de 11 % du montant de l'investissement hors taxe réalisé dans un logement loué meublé neuf dans une structure spécifique (résidence avec services pour étudiants, résidence services seniors, Ehpad, etc .).

Cette exonération s'étale sur une période de 9 ans, avec un montant maximum d'investissement plafonné à 300 000 euros.

Il est également possible de récupérer la TVA à hauteur de 20 % du montant de l'investissement, sur demande auprès du Trésor public.

2) Le statut de loueur meublé non professionnel (LMNP)

L'acheteur d'une chambre en Ehpad ou dans une résidence senior dont les revenus locatifs de l'investissement sont inférieurs à 50 % du revenu total et dont les recettes locatives sont inférieures ou égales à 23 000 euros peut bénéficier du régime fiscal micro-bic, plus avantageux.

Il peut également récupérer la TVA si le logement est situé dans une résidence avec services, si le bail commercial signé avec l'exploitant de la résidence comprend 4 services para-hôteliers et si les loyers perçus sont soumis à la TVA de 5,5 %. En Ehpad, ces trois conditions sont généralement remplies d'office.

Le statut de LMNP autorise également un amortissement linéaire sur les murs de l'immeuble pour une période de 30 à 40 ans, mais aussi sur le mobilier pendant 5 à 7 ans. L'investisseur peut alors créer des amortissements réputés différés. En optant pour ce régime réel, les loyers deviennent alors non imposables et la totalité des charges foncières peut être déduite des revenus locatifs.

3) Le statut de loueur meublé professionnel (LMP)

Ce statut s'applique lorsque l'investisseur génère plus de 23 000 euros de recettes locatives, représentant plus de 50 % de son revenu global. La défiscalisation en Ehpad sous régime reste possible, mais elle nécessite un investissement de départ plus élevé, d'être inscrit au RCS et de payer des cotisations aux organismes sociaux. Il est possible de récupérer la TVA et d'amortir linéairement l'immeuble sous les mêmes conditions que pour le statut LMNP.

Ce statut LMP permet de déduire toutes les charges foncières de son revenu global et les plus-values de cession de biens peuvent être exonérées d'impôts si l'activité en LMP est exercée depuis 5 ans et que les recettes annuelles des deux années civiles précédentes ne dépassent pas les 250 000 euros.

L'acquéreur, domicilié en France, bénéficie alors de réductions d'impôt sur la valeur hors taxes du bien, sous réserve qu'il le loue en meublé non professionnel (LMNP) pendant au moins 9 ans.

Or de tels montages pèsent substantiellement, avant même la mise en fonctionnement de l'établissement, sur le niveau du tarif hébergement, réduisant de fait l'accessibilité financière de ces structures pourtant d'intérêt général, sans parler de la pression qu'elle exerce sur la rentabilité de l'exploitation et du rapport qu'un tel mécanisme général entretient avec son mode de propriété.

Aussi les rapporteurs s'interrogent-ils sur l'opportunité de restreindre très sérieusement les mécanismes de défiscalisation de l'investissement locatif en Ehpad.

Proposition n° 16 : Supprimer les dispositifs de défiscalisation pour les investissements immobiliers en Ehpad (ou les soumettre à des règles plus protectrices des petits épargnants et plus contraignantes sur l'entretien du bâti).

Proposition n° 17 : Donner aux acteurs publics et privés non lucratif la possibilité de s'appuyer sur des professionnels pour les accompagner dans la gestion du patrimoine immobilier des Ehpad (foncières solidaires, OPHLM).

(3) Répondre aux besoins en matière de personnel

Des besoins du secteur des personnes âgées dépendantes en personnel en nombre suffisant et qualifié, tout a déjà été dit. Par exemple, par le rapport de Myriam El Khomri de 2019 73 ( * ) .

Les métiers du grand âge sont d'abord peu attractifs . Le turn-over y est important : plus de 80 % des Ehpad ont des vacances de postes et/ou jugent les difficultés de recrutement récurrentes, le nombre de candidats aux concours d'aide-soignant a baissé de 25 % en cinq ans.

La sinistralité de l'emploi atteint en outre des niveaux records, supérieurs à ceux du BTP : la fréquence des accidents du travail et maladies professionnelle est proche de 100 pour 1 000 salariés, soit trois fois supérieure à la moyenne nationale.

Les rémunérations du secteur sont par ailleurs durablement faibles. Les salaires de base des premiers niveaux d'emploi sont inférieurs au SMIC dans plusieurs conventions collectives. En conséquence de quoi, le taux de pauvreté des intervenants à domicile est de 17,5 %, contre 6,5 % pour l'ensemble des salariés. De plus, 79% des salariés sont à temps partiel, le plus souvent subi.

Or trop peu a été fait pour y remédier. Les formations restent cloisonnées, et les refontes des diplômes d'accompagnant éducatif et social (DEAES) et d'aide-soignant ont été menées séparément, alors que les métiers se rapprochent. L'ouverture d'un institut de formation d'aides-soignants ou d'un établissement dispensant le DEAES nécessite toujours, respectivement, une autorisation et un agrément, freins que la loi LCAP du 5 septembre 2018 a levés dans d'autres secteurs.

Les financements pour la qualité de vie au travail restent à encourager plus fortement. Un engagement pour le développement de l'emploi et des compétences (EDEC) a été conclu en 2014 entre les ministères du travail, de la santé et de l'économie pour le secteur de l'autonomie, de même qu'un contrat de filière, en 2017. La dynamique n'a toutefois pas pris.

Les innovations du secteur restent limitées . Une stratégie nationale pour améliorer la qualité de vie au travail en Ehpad a été arrêtée en juin 2018, et d'autres acteurs nationaux, les collectivités, les Carsat, y contribuent aussi, mais le secteur conserve une image peu dynamique.

L'organisation du secteur est encore insuffisamment structurée . Il est couvert par sept conventions collectives. Avec la loi LCAP du 5 septembre 2018, les métiers du grand âge ne relèvent certes plus désormais que de trois OPCO - hors fonction publique, mais des progrès peuvent encore être faits.

Enfin, les métiers sont trop cloisonnés. Les compétences sont définies de manière serrée, et les règles de financement de la prise en charge à domicile ou en Ehpad sont rigides. Un projet contenant par exemple 80 places d'Ehpad, 30 places de Ssiad, un Saad, dix places d'accueil de jour et cinq places d'hébergement émarge sur cinq enveloppes différentes et doit obtenir quatre autorisations distinctes.

Le rapport faisait en conséquence un grand nombre de propositions, dont la plupart méritent d'être reprises.

Principales propositions du rapport El Khomri

Le rapport de Mme El Khomri formulait un certain nombre de préconisations dans l'objectif essentiel de former près de 350 000 professionnels d'ici 2025 : 260 000 pour compenser les départs en retraite et les combler les vacances, et 93 000 par des créations de postes - 66 500 pour augmenter de 20 % le taux d'encadrement et 20 700 pour faire face au vieillissement de la population, notamment.

Axe 1 : assurer de meilleures conditions d'emploi et de rémunération

- Recruter en fonction des besoins : créer 18 500 postes/an d'ici 2024.

- Remettre à niveau les rémunérations des conventions collectives inférieures au SMIC, créer un mécanisme d'indexation, et supprimer l'agrément national des conventions collectives.

- Soutenir les démarches de rapprochement des partenaires conventionnels du secteur, aller vers un OPCO commun.

- Aider à la mobilité des professionnels à domicile : négocier une offre nationale pour équiper les accompagnants de véhicules propres, aider à l'acquisition du permis de conduire en fin de formation.

Axe 2 : donner une priorité à l'amélioration de la qualité de vie

- Lancer un programme de lutte contre la sinistralité, porté par la branche AT-MP. Promouvoir la qualité de vie dans les CPOM.

- Imposer 4 heures de temps collectif par mois d'équipe à domicile et en Ehpad. Créer un baromètre national sur la qualité de vie au travail.

- Développer les groupements d'employeurs en les exonérant de TVA. Investir dans les équipements réduisant la pénibilité au travail.

Axe 3 : moderniser les formations et changer l'image des métiers

- Mobiliser le Plan d'investissement dans les compétences sur les formations sanitaires et sociales. Renforcer le repérage et l'accompagnement des candidats aux formations.

- Supprimer le concours d'aide-soignant pour la formation initiale et l'apprentissage ; assurer l'inscription dans les centres de formation via Parcoursup pour la formation initiale, ouverte aux non-titulaires du bac.

- Supprimer tout quota national pour les entrées en formation d'aide-soignant.

- Garantir la gratuité de la formation. Augmenter le nombre de sessions annuelles dans tous les centres de formation, accompagner le développement du maillage territorial de l'offre de formation.

- Réduire drastiquement l'éventail des diplômes. Rapprocher les référentiels et les instituts de formation des aides-soignants et accompagnants éducatifs et sociaux, pour une fusion à terme. Porter à 10 % la part des diplômes obtenus par l'alternance, à 25 % celle des diplômes délivrés dans le cadre de la VAE.

- Structurer des parcours attractifs. Développer de nouvelles fonctions d'animation d'équipes, de tutorat, d'enseignement. Permettre à tous les professionnelss d'accéder à une formation en gérontologie. Ouvrir aux aides-soignants de la FP un grade terminal en catégorie B.

- Créer un campus des métiers du grand âge, guichet unique de formation et de qualification. Créer un « senior BAFA » (proposition faite par la députée Audrey  Dufeu Schubert).

- Lancer une campagne nationale de communication pour améliorer l'image des métiers du grand âge.

Axe 4 : innover pour transformer les organisations

- Reconnaître et sécuriser les glissements de tâches dans le cadre de protocoles nationaux. Expérimenter l'activité libérale dans les zones sous-denses. Reconnaître l'intérêt de la pratique avancée en gérontologie. Créer le métier de « care manager » (coordination de services prévus pour renforcer le maintien à domicile).

- Promouvoir l'innovation organisationnelle.

Axe 5 : mobilisation et la coordination des acteurs et des financements

- Réunir une conférence départementale des métiers du grand âge « chargée de définir une feuille de route » déclinant le plan national.

- Créer une plateforme départementale des métiers du grand âge pour mettre en oeuvre un guichet unique sécurisant les recrutements, dont le pilotage serait confié aux préfets, PCD et DDARS.

- Réunir un comité national des métiers du grand âge, instance de gouvernance du plan national, présidé par un parlementaire.

- Assurer la mobilisation des financements nationaux nécessaires ; le comité national cartographierait les fonds susceptibles d'être mobilisés. Le rapport reprend l'idée du rapport Libault de mobiliser la CRDS, « ou toute autre ressource pérenne ». Déroger le cas échéant au pacte de Cahors.

- Créer un observatoire national des métiers du grand âge.

2. Rendre la gouvernance du secteur propice à l'efficacité et à l'efficience de la politique du grand âge
a) Les problèmes de financement et de gouvernance

Quand on parviendrait à mettre en place un pilotage par la qualité, à mieux associer les usagers à la gestion des établissements et à améliorer celle des événements indésirables, à rééquilibrer les places respectives des différents segments de l'offre et notamment à brider les ambitions du privé commercial, à accompagner la nécessaire médicalisation des établissements et à remédier aux difficultés de recrutement, il resterait à clarifier le cadre national de la politique de prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie.

Car, comme le relevait la concertation grand âge et autonomie de 2019, « L'épuisement institutionnel paraît très profond. Il est largement illustré par le désarroi des acteurs de terrain, gestionnaires de services à domicile et d'établissements... il faut rebâtir le système de pilotage et de gouvernance en partant de principes simples, qualité de prise en charge, réponse aux besoins, attention et écoute aux attentes des personnes âgées » 74 ( * ) .

Depuis 2020, des modifications importantes ont été apportées au secteur, au premier rang desquelles la création par la loi relative à la dette sociale et à l'autonomie de 2020 75 ( * ) d'une nouvelle branche de sécurité sociale chargée de gérer le nouveau risque de la perte d'autonomie, branche dont la gestion a été confiée à la CNSA.

Or on ne saurait affirmer que cette création a suffi à donner au secteur un nouvel équilibre : les rapporteurs de la commission d'enquête ont constaté avec surprise que lors de ses dizaines d'auditions, de la CNSA, il n'a quasiment jamais été question .

Pour un certain nombre d'acteurs du secteur, la médicalisation accrue des Ehpad emporte ou emportera à terme une compétence élargie des ARS sur la gouvernance du secteur des personnes âgées dans les territoires, ne laissant éventuellement aux départements que la compétence d'aide à domicile. Les rapporteurs estiment qu'un tel recul de la place des départements dans la politique médico-sociale n'est pas opportun.

D'abord, les départements ont en matière sociale et médico-sociale, d'une manière générale, une compétence quasiment séculaire et qui n'est remise en cause par personne. Ensuite, s'il est vrai que la couverture du risque autonomie a une forte dimension médicale, il a aussi et surtout une dimension sociale, car la coordination des acteurs de l'aide à la personne est une mission de proximité. La prévention de la perte d'autonomie exige par exemple le repérage des fragilités, qui sont socio-économiques, familiales et psychologiques au moins autant que sanitaires, et la crise sanitaire liée au Covid-19 a montré qu'un tel repérage perdait de son efficace à mesure qu'il s'éloignait du territoire.

Enfin, et par conséquent, le risque autonomie se prête plus mal que les autres à l'application du modèle d'organisation de la sécurité sociale de gouvernance centralisée par une caisse unique disposant d'antennes territoriales en réseau et, d'ailleurs, le choix de la CNSA pour gérer la branche autonomie ne s'est accompagné d'aucune modification de sa gouvernance, fondée sur un véritable « Parlement de l'autonomie » représentant toutes les parties prenantes.

Aussi la démarche de la mission Libault de 2022 semble-t-elle plus intéressante, qui prend soin de préciser que l'objectif ne doit pas être « de remettre en cause les choix de gestion des acteurs dans leur périmètre de compétences » mais de viser, « compte tenu de la forte imbrication des politiques de l'autonomie, à les amener à traiter ensemble, sur la base d'une contractualisation, les sujets à la frontière des prises en charge sanitaires, sociales et médicosociales, dans l'intérêt général d'un meilleur service rendu aux usagers » 76 ( * ) .

Les rapporteurs accueillent ainsi avec intérêt la proposition du rapport remis en mars 2022 à la ministre Brigitte Bourguignon, consistant à mettre en place un service public territorial de l'autonomie qui exercerait quatre grandes missions :

- l'accueil, l'information, l'orientation et la mise en relation des personnes âgées en perte d'autonomie , des personnes en situation de handicap et de leurs aidants, selon trois vecteurs : numérique, téléphonique, et d'accueil, d'information et d'orientation des usagers.

- l'instruction, la délivrance et la réévaluation des aides et des prestations - les acteurs territoriaux conservant leurs compétences ;

- l'appui aux solutions concrètes , à deux niveaux : d'une part, les aides et appuis, au profit des professionnels , à la gestion, au suivi et à l'accompagnement dans la durée de l'ensemble des personnes. Cette mission visera aussi à soulager les aidants. Les DAC, les communautés 360, les CLIC, les CPTS, en particulier, ont vocation à être intégrés au SPTA, afin que les modalités d'appui aux professionnels de terrain soient clairement identifiées au sein de ce point d'entrée intégré. D'autre part, la mobilisation de l'ensemble des acteurs institutionnels et associatifs de droit commun ;

- les actions de prévention, de repérage et d'« aller-vers », mission qui mobilise les nombreux acteurs du repérage de la perte d'autonomie, de l'adaptation des logements, ou encore ceux réunis au sein des conférences des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie.

Schéma des missions du SPTA

Source : mission parcours et autonomie 2022.

Le rapport de la mission parcours et autonomie préconise ainsi qu'un service public territorial de l'autonomie prenne forme , au titre de ses deux premières missions au moins, dans une Maison des ainés et des aidants , sous réserve qu'elle s'inscrive bien dans la logique de point d'entrée unique, simple, identifié et lisible pour les usagers et les professionnels et qu'elle organise l'appui aux solutions concrètes.

La CNSA jouerait dans le déploiement de ce service un rôle pilote, qui pourra consister à :

- soutenir l'ingénierie du projet de déploiement du SPTA, en lien avec les « référents SPTA » au sein des conseils départementaux et des ARS : en élaborant avec eux le cahier des charges des SPTA, en élaborant des référentiels métiers avec les professionnels de terrain, en repérant les bonnes pratiques territoriales, en assurant l'appui opérationnel auprès des conseils départementaux et des ARS comme elle le fait déjà auprès des MDPH ;

- former les acteurs territoriaux à la structuration du service public territorial ;

- animer les instances de démocratie sanitaire ;

- définir, recenser et suivre les indicateurs, assurer les remontées de données nécessaires au pilotage national et local du SPTA, pour garantir que les missions du cahier des charges sont effectivement mises en oeuvre, en élaborant un tableau de bord homogène mis à disposition de la COTEA, recensant les données à collecter pour le pilotage national et local du SPTA.

La gouvernance territoriale de la politique de l'autonomie serait en conséquence refondée au sein d'une conférence territoriale de l'autonomie (Cotea) . Celle-ci s'appuiera sur le réseau des ARS et sur les conseils départementaux, mais associerait également les préfets, acteurs des politiques publique d'insertion professionnelle, d'emploi et de cohésion des territoires, mais aussi les directeurs des services départementaux de l'éducation, en tant qu'ils mobiliseront les structures du premier et du second degré pour l'inclusion scolaire des enfants en situation de handicap.

Le périmètre des missions de la Cotea concernera les quatre blocs d'actions du SPTA :

- réaliser et mettre à jour un diagnostic partagé quantitatif et qualitatif des besoins ;

- définir et approuver, sur la base de ce diagnostic partagé, une stratégie départementale de déploiement et d'organisation du SPTA répondant aux besoins, sur la base du cahier des charges national ;

- initier, renforcer et animer les dynamiques partenariales locales, par exemple en matière de prévention, ou pour organiser des sorties d'hospitalisation, ou même en désignant des référents identifiés pour les usagers ;

- établir à cette fin une programmation des projets et des financements associés.

Propositions du rapport Libault de 2022 (extraits)

1° Définir par la loi et mettre en oeuvre un service public territorial de l'autonomie dans tous les départements.

2° Créer un système d'information de suivi actif du parcours de vie de la personne âgée et/ou en situation de handicap ainsi que de leurs aidants, partagé entre les professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social.

3° Réunir les conditions d'une évaluation globale de la situation de la personne, en s'appuyant sur une révision des outils d'évaluation (grilles AGGIR et PATHOS).

6° Prévoir l'intégration au SPTA des dispositifs d'accueil, d'information, d'orientation, de mise en relation, d'attribution des prestations, d'appui aux solutions concrètes et de prévention de la perte d'autonomie, sans remise en cause de leur existence.

8° Élaborer en concertation avec tous les acteurs un cahier des charges national totalement axé sur le service à l'usager, dans les quatre blocs de mission du SPTA.

9° Mettre en place, sur la base d'un cahier des charges et d'un pilotage national par la CNSA, un programme de formation continue commune des agents publics (ARS et CD) et des professionnels de terrain des secteurs sanitaire, social et médico-social.

10° Légitimer les délégations départementales des ARS dans le pilotage des politiques de l'autonomie et du SPTA, aux côtés du conseil départemental chef de file, en adaptant leurs organisations internes aux logiques de parcours et en renforçant l'attractivité des métiers.

11° Prendre en compte les financements des différents dispositifs et outils de coordination existants ainsi que leurs limites pour attribuer des financements pour le déploiement du SPTA, dans une logique d'effet de levier.

12° Créer une conférence territoriale de l'autonomie au niveau départemental.

13° Renforcer et simplifier les articulations entre l'ARS, le conseil départemental, les communes et groupements de communes à travers un schéma départemental stratégique et opérationnel commun.

15° Autorise par la loi les assemblées locales à fusionner par délibération des conférences et instances entrant dans le champ du SPTA.

21° Assurer un déploiement généralisé du SPTA sur le territoire national, de manière progressive, dans les deux ans suivant la publication de la loi.

Les rapporteurs rejoignent enfin leurs collègues de l'Assemblée nationale sur la nécessité de créer un conseil national consultatif des personnes âgées sur le modèle du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).

Ce dernier, créé par la loi de 1975, « assure la participation des personnes handicapées à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques les concernant » 77 ( * ) . Il peut être consulté par les ministres compétents sur tout projet, programme ou étude intéressant les personnes handicapées. Il peut se saisir de toute question relative à la politique concernant les personnes handicapées. Il est chargé d'évaluer la situation matérielle, financière et morale des personnes handicapées en France et des personnes handicapées de nationalité française établies hors de France prises en charge au titre de la solidarité nationale, et de présenter toutes les propositions jugées nécessaires au Parlement et au Gouvernement, visant à assurer, par une programmation pluriannuelle continue, la prise en charge de ces personnes.

De telles missions ne sont actuellement pas remplies pour les personnes âgées en perte d'autonomie autrement que par la remise de rapports ponctuels, dans la tradition créée par le rapport Laroque de 1962 78 ( * ) , remis désormais à une fréquence dont l'accélération dit à elle seule la gravité du problème qu'il nous faut collectivement résoudre. Aussi un organe permanent trouverait-il sa place dans la formalisation des solutions nécessaires, au plus près des pouvoirs publics.

Un tel organe pourrait d'ailleurs être connecté par convention au comité d'animation des contrôles appelé de ses voeux par les rapporteurs dans la proposition n° 5, convention qui aurait pour objet de favoriser la concertation et les échanges d'informations.

Proposition n° 19 : Créer un conseil national consultatif des personnes âgées.

Proposition n° 20 : Prévoir une convention entre le conseil national consultatif des personnes âgées nouvellement créé et le comité d'animation des contrôles ( cf . proposition n°5).

Proposition n° 21 : Créer une conférence territoriale des personnes âgées.

b) En attendant la « loi Grand âge et autonomie »

La dernière proposition appelée par l'analyse du présent rapport ne surprendra guère puisqu'elle ramasse ce qui précède, et surtout car elle s'appuie sur la promesse faite, au moins sous cette forme, depuis le milieu du quinquennat précédent : examiner une loi consacrée au grand âge et à l'autonomie, afin de répondre aux besoins de la population en la matière.

Une telle réforme devra notamment :

- Trouver ces sources de financement pérennes d'une offre de service de meilleure qualité. Outre le renforcement des qualifications et l'effort d'investissement, notamment immobilier, mentionnés précédemment, il conviendra d'augmenter le taux d'encadrement en établissement. La Cour des comptes relevait encore en février dernier que « des différences nettes peuvent être constatées s'agissant des taux d'encadrement observés dans treize pays par un même gestionnaire d'Ehpad. Alors que, dans certains pays, ce taux est supérieur (Irlande) ou très légèrement inférieur (Pays-Bas) à un agent pour un résident, il est inférieur de moitié dans d'autres (Belgique, Tchéquie). La France se situe pour sa part à 0,66 agent par résident. En tenant compte de la durée légale du travail, et en comparant sur une base commune de 40 heures hebdomadaires pour tous les pays (la durée hebdomadaire est de 48h00 en Irlande), le taux d'encadrement en Irlande s'établit alors à 1,38 ETP pour un résident, tandis que le ratio français fléchit à 0,57 (pour 35 heures). C'est une dimension structurante des comparaisons de taux d'encadrement ».

- Aménager, les aides existantes pour améliorer la couverture des besoins, en réexaminant par exemple l'opportunité de certains seuils d'âge ou les cloisonnements entre politiques du handicap et politique du grand âge, un tel décloisonnement étant rendu souhaitable par la création d'une branche de sécurité sociale commune ;

- Améliorer la coordination des acteurs pour fluidifier les prises en charge ;

- Structurer une politique de prévention de la perte d'autonomie cohérente et efficace.

Proposition n° 24 : Examiner une loi grand âge visant à structurer un service public de la prise en charge de la perte d'autonomie répondant aux besoins et aux souhaits de la population.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

___________

I. CONSTITUTION DE LA MISSION D'INFORMATION

(Mardi 8 février 2022)

- Présidence de M. Alain Milon, vice-président -

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs de M. Victor Castanet a donné lieu à ce que d'aucuns appellent désormais l'affaire Orpea. L'ampleur des dysfonctionnements mis au jour appelle effectivement une remise en ordre. Ont été annoncées plusieurs catégories de travaux, de la part du Gouvernement - il aurait pu le faire bien avant -, qui a diligenté des enquêtes de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF), et de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale qui a notamment entendu le PDG du groupe.

Le souhait de la présidente de notre commission est, d'une part, de ne pas doublonner les travaux en cours et, d'autre part, de travailler sur un sujet susceptible, le cas échéant, d'avoir un débouché législatif. Notre commission pourrait ainsi s'intéresser au « contrôle du contrôle », en conduisant des travaux sur le cadre juridique des contrôles opérés dans les Ehpad mais aussi sur les moyens qui leur sont alloués, leur fréquence, leur qualité, leurs résultats et les suites qui leur sont données. Elle pourrait aussi constituer l'aiguillon nécessaire au maintien du calendrier ambitieux engagé par le Gouvernement.

À cette fin, nous pourrions constituer, au sein de notre commission, une mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). L'idée est celle d'une mission « agile », qui procède à quelques auditions plénières mais surtout à un travail sur pièces auprès des différents acteurs du contrôle.

À l'issue de cette réunion de commission, notre présidente saisira le Président du Sénat afin que cette mission d'information puisse être dotée des prérogatives d'une commission d'enquête si vous êtes d'accord sur cette démarche. Le calendrier s'est un peu précipité, car cet après-midi a lieu la dernière Conférence des présidents avant la suspension des travaux parlementaires. C'est pourquoi Catherine Deroche a informé l'ensemble des membres du bureau de la commission par un courrier vendredi dernier.

La Conférence des présidents pourrait prévoir que le Sénat se prononce le jeudi 17 février si la commission des lois confirme la recevabilité du sujet, qu'elle devrait examiner au cours de sa réunion du 16 février prochain.

Il n'y a pas d'observations ?

Mme Laurence Cohen . - La commission d'enquête sur les hôpitaux est encore en cours, comme de nombreux autres travaux. La mission d'information pourrait-elle se transformer en commission d'enquête ?

M. Alain Milon , président . - Elle aurait les pouvoirs d'une commission d'enquête.

Mme Laurence Cohen . - La commission d'enquête sur les hôpitaux doit rendre son rapport en mars prochain.

Quel serait le calendrier de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad ?

M. Alain Milon , président . - Je ne sais pas. La mission d'information ne comprendra pas d'autres membres que ceux de la commission des affaires sociales. Nous demanderons simplement qu'elle ait les pouvoirs d'une commission d'enquête, notamment de demander aux personnes entendues de prêter serment.

Mme Monique Lubin . - Pourquoi ne pas avoir demandé directement la création d'une commission d'enquête ?

Peut-on considérer qu'il s'agit d'une mission interne à notre commission ?

M. Alain Milon , président . - C'est la même chose que la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, dont l'une des auditions vient de se terminer.

Mme Monique Lubin . - L'ensemble des membres de la commission pourra-t-il participer aux auditions ?

Le rapporteur pourra-t-il faire venir les différents acteurs contrôlant les Ehpad ?

M. Alain Milon , président . - Tous les membres de la commission des affaires sociales pourront participer.

Le rapporteur agira comme bon lui semble.

Mme Émilienne Poumirol . - Combien y aura-t-il de rapporteurs ?

M. Alain Milon , président . - La majorité sénatoriale n'en a proposé qu'un, mais il peut y en avoir deux !

Je sais que votre groupe s'est interrogé sur la possibilité de désigner un rapporteur. Je n'y suis pas opposé, pas plus que la présidente. Nous allons proposer, pour notre part, Bernard Bonne.

Mme Jocelyne Guidez . - Le sujet est très intéressant. Peut-on l'élargir aux maisons départementales des personnes handicapées ?

M. Alain Milon , président . - Cet élargissement ne semble pas possible pour l'instant. Nous pourrons peut-être l'envisager en juillet prochain, en même temps que nous verrons si nous pouvons mener des missions d'information sur d'autres sujets, avec un autre gouvernement et d'autres parlementaires.

Mme Laurence Cohen . - Le temps nous est compté : on ne peut pas élargir le périmètre d'enquête de la commission et travailler dans de bonnes conditions. La nomination de Bernard Bonne en tant que rapporteur nous semble être une bonne idée.

Je souligne toutefois un problème concernant le fonctionnement de cette commission, qui est très ouverte : les rapporteurs sont toujours issus des groupes Les Républicains (LR) ou Socialiste, Écologiste et républicain (SER), alors que ce ne sont pas les seuls groupes politiques représentés dans la commission.

Mme Raymonde Poncet Monge . - Je suis d'accord avec Mme Cohen !

M. Alain Milon , président . - J'entends bien votre remarque. M. Bonne n'est pas un rapporteur du groupe LR, mais un rapporteur de la majorité sénatoriale. Si l'opposition sénatoriale veut bien s'entendre sur le nom d'un rapporteur, cela ne me dérange pas. (Sourires)

Mme Monique Lubin . - Je voulais savoir pourquoi cette mission d'enquête était aussi ciblée sur le contrôle du contrôle. Certes, le livre Les Fossoyeurs révèle un problème lié au contrôle des établissements, mais ce n'est pas le seul problème. Il y a aussi toute une philosophie autour de cette financiarisation du grand âge. Le temps nous est compté, mais doit-on vraiment s'en arrêter là ?

M. Alain Milon , président . - Oui, nous le devons, pour une raison toute simple : l'IGAS s'est vu confier une mission par le Gouvernement ; l'Assemblée nationale a mis en place des auditions sur le sujet.

Si nous allions sur les mêmes terrains que l'Assemblée nationale et que l'IGAS, nous ne serions pas audibles. Nous voulons trouver un créneau pour permettre à nos travaux d'être écoutés. Nos collègues de l'Assemblée nationale et les membres de l'IGAS étendront leurs enquêtes à d'autres sujets tout aussi importants.

M. Bernard Bonne . - Pour répondre à Mme Guidez, je pense que nous devons nous en tenir à la question des personnes âgées. Ce sont non pas les seuls Ehpad qui sont concernés, mais l'ensemble des lieux d'accueil des personnes âgées, y compris les résidences autonomie. Tous les lieux devront être étudiés, pour que l'on voie quels sont les contrôles adaptés à chaque type de structure.

Il est évident qu'en regardant la manière dont les contrôles sont effectués et peuvent être améliorés, nous irons bien plus loin que le simple contrôle : il faudra voir ce que l'on contrôle, les raisons pour lesquelles on contrôle, et quelles améliorations nous pouvons proposer pour la prise en charge des personnes âgées.

De nombreux rapports ont déjà été réalisés, et il ne faudra pas répéter à l'infini ce qui a déjà été dit. Le rapport Libault contient de nombreuses propositions. Le rapport d'information que Mme Meunier et moi-même avons signé a aussi apporté de nombreux éléments.

M. Alain Milon , président . - Je conclus de ces échanges que nous sommes d'accord pour demander l'octroi des prérogatives d'une commission d'enquête à cette mission d'information.

La commission demande au Sénat de lui octroyer les prérogatives d'une commission d'enquête, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et de l'article 22 ter du Règlement du Sénat.

M. Alain Milon , président . - La majorité propose la candidature de Bernard Bonne. Quelle est la candidature de l'opposition sénatoriale ?

Mme Monique Lubin . - Nous proposons le nom de Michelle Meunier.

M. Alain Milon , président . - Comme c'est l'usage au sein de notre commission, tous les membres de la commission des affaires sociales seront évidemment invités à assister aux auditions menées par la mission d'information, qui travaillera en toute transparence.

Mme Michelle Meunier et M. Bernard Bonne sont désignés rapporteurs de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad.

II. EXAMEN EN COMMISSION

___________

Réunie le mardi 12 juillet 2022, sous la présidence de Mme Catherine  Deroche, présidente, la commission examine le rapport d'information de M. Bernard Bonne et Mme Michelle Meunier, rapporteurs, sur la mission d'information sur le contrôle des Ehpad

Mme Catherine Deroche , présidente . - Avant que nous n'examinions le rapport de la mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), je vous rappelle que nous suspendrons nos travaux vers 14 h 25 pour assister à l'éloge funèbre de Catherine Fournier en séance publique.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - L'émotion légitime suscitée par la publication de l'ouvrage de Victor Castanet a conduit notre commission à mettre en place une mission d'information, dotée de pouvoirs d'une commission d'enquête, que vous nous avez confiée. Après avoir entendu 150 personnes au cours de 54 auditions en format rapporteur, auxquelles certains d'entre vous ont été très assidus, et 7 réunions de commission, nous allons aujourd'hui vous présenter nos conclusions et nos recommandations.

Au préalable, permettez-moi de dire ce que le rapport n'est pas.

Bien que notre mission tienne compte du contexte et s'en approprie certains éléments, il ne s'agit pas d'une commission d'enquête sur la gestion des Ehpad du groupe Orpea, ou sur le groupe Orpea lui-même. Sur ce sujet, le Gouvernement a diligenté une mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF). Nous tenons d'ailleurs à saluer la grande qualité du travail d'investigation des responsables de cette mission, et la clarté des réponses apportées à nos questions lorsque nous les avons auditionnés.

À la suite de la remise de leurs conclusions, le Gouvernement, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, a saisi le procureur de la République de Nanterre de faits susceptibles de caractériser les infractions d'abus de confiance, voire de détournement de fonds publics. Une enquête judiciaire a été ouverte.

Nos travaux ont été consacrés à la question du contrôle, au « contrôle du contrôle » et, plus largement, à l'analyse de la manière dont l'État et les autorités de tarification assurent le pilotage stratégique du secteur. Ils font apparaître quatre constats : les autorités de contrôle peinent à remplir leurs missions ; il existe un déficit de pilotage stratégique ; le pilotage par la qualité doit être développé pour redonner son attractivité au secteur ; les besoins pour l'avenir sont connus, et il faut désormais y répondre.

Commençons par analyser les difficultés rencontrées par les autorités de contrôle pour remplir leurs missions.

Dans l'affaire Orpea, les limites de la réglementation ont été mises en exergue dès les premières révélations. Elles ont été confirmées par l'enquête de la Cour des comptes et par le rapport de la mission IGAS-IGF. Certaines pratiques ne font l'objet d'aucun contrôle réel et sérieux, comme la gestion des flux financiers au sein des groupes multi-gestionnaires d'Ehpad ; dans d'autres cas, comme le contrôle de la section hébergement, les autorités de contrôle ont été désarmées.

Notre première recommandation sera d'étendre la campagne de contrôle annoncée par le Gouvernement à tous les groupes privés lucratifs. Le rapport IGAS-IGF montre l'importance de ces contrôles, à un niveau agrégé, sur un certain nombre de sujets : remises de fin d'année, constitution d'excédents, recrutement, imputations budgétaires. Il n'est plus suffisant de contrôler les établissements : il faut aussi contrôler les groupes. Cette mission doit être confiée à l'IGAS et à l'IGF, dans l'attente d'une évolution de la réglementation qui organiserait ce contrôle en routine.

Le contrôle des groupes doit être conçu comme un dialogue régulier avec les autorités. Nous proposons la conclusion d'une convention pluriannuelle d'objectifs entre ces groupes privés et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

Pour mettre en place ces contrôles ainsi que cette nouvelle convention, nous proposons de débuter par une contractualisation avec les groupes privés lucratifs ; elle a vocation à être étendue à tous les groupes intervenant dans le secteur des Ehpad.

Ce cadre général une fois posé, nous le complétons avec plusieurs mesures concrètes visant à mieux encadrer l'activité des groupes privés.

Les flux financiers entre les établissements et le siège des groupes doivent être encadrés, notamment les frais de siège et les excédents budgétaires.

Le recours à prélèvements au titre des frais de siège constitue un mode d'organisation classique et n'est pas propre au secteur médico-social. Cette possibilité est déjà encadrée par le code de l'action sociale et des familles, qui la subordonne à l'octroi d'une autorisation. Nous proposons de plafonner les prélèvements qui peuvent être effectués au titre des frais de siège.

La seconde catégorie de flux financiers sur laquelle l'affaire Orpea attire l'attention est celle de la constitution d'excédents budgétaires. Depuis la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV), les éventuels excédents sont laissés à la disposition des établissements. Ces excédents sont nécessaires pour leur permettre de dégager une capacité d'autofinancement. Pourtant, la mission IGAS-IGF constate que la gestion de ces excédents est mal appréhendée par l'État. Nous proposons alors de plafonner leur montant et de définir la durée durant laquelle ils peuvent être utilisés.

Enfin, il nous semble indispensable de procéder au contrôle de la section hébergement. Dans le prolongement des échanges que nous avons eus en février dernier avec le Premier président de la Cour des comptes, il convient d'élargir les compétences de la Cour et des chambres régionales des comptes au volet hébergement des établissements et services médico-sociaux.

Ces évolutions, qui nous semblent indispensables, doivent être complétées par des mesures d'ajustement tout aussi essentielles.

L'assouplissement du cadre réglementaire mis en place par la loi ASV a été mis à profit par certains acteurs pour optimiser leurs présentations budgétaires et leurs résultats. Ainsi, en 2016, les effectifs des agents des services hôteliers émargeaient à 70 % sur le budget hébergement et 30 % sur le budget dépendance ; les effectifs des aides-soignants émargeaient à 30 % sur le budget dépendance et à 70 % sur le budget soins. Depuis la réforme, certains établissements financent des effectifs des services hôteliers à plus de 30 % sur la section dépendance et font financer les effectifs des aides-soignants à plus de 70 % sur le budget soin. Cela leur permet de dégager une marge sur la section hébergement qui n'apparaît pas dans les documents transmis par les établissements non habilités à l'aide sociale.

Le rapport IGAS-IGF relève, d'une part, des difficultés d'interprétation des textes dont auraient pu bénéficier les acteurs pour optimiser l'affectation des dépenses, et, d'autre part, l'existence de pratiques différentes suivant les agences régionales de santé (ARS). Il nous semble donc nécessaire de demander à l'État de clarifier les règles d'imputation des dépenses de personnel entre les différentes sections tarifaires.

Enfin, comme l'ont indiqué les personnes auditionnées, le régime des sanctions à mettre en oeuvre est complexe. La mission IGAS-IGF consacrée à la gestion des établissements du groupe Orpea suggère de prononcer des sanctions financières directement à l'encontre des groupes, plutôt que d'engager une procédure à l'encontre de plusieurs de leurs établissements. Cette solution est conforme à l'organisation fortement centralisée du groupe Orpea et aux pratiques qui sont sanctionnées.

Dans ce cas précis, à savoir une utilisation des fonds publics non conforme à la réglementation, la mission IGAS-IGF considère que deux procédures s'offrent aux pouvoirs publics pour prononcer des sanctions à l'encontre du groupe : la récupération des financements publics employés à un objet différent de celui qui est prévu par les textes, ou des sanctions financières.

La mission préconise de lancer une procédure de récupération à l'échelle nationale, sous l'égide de la CNSA. Cette procédure peut être engagée par une décision du représentant légal de l'établissement qui a accordé un concours de l'État, ici la CNSA.

Si aucune de ces deux procédures n'a jamais été actionnée à l'encontre d'un groupe, il nous paraît d'ores et déjà indispensable de formuler deux recommandations.

Premièrement, définir les actions préalables au prononcé des sanctions financières. Ces dernières s'inscrivent dans une procédure de réponses graduées et ne sont prononcées qu'à la suite d'une injonction non satisfaite.

Deuxièmement, compléter la procédure de récupération des sommes utilisées à des fins autres que celles qui sont prévues par les textes : il s'agit aujourd'hui d'une disposition d'ordre général, afin de simplifier son utilisation dans le champ médico-social.

Nous considérons le plan de contrôle annoncé par le Gouvernement comme très insuffisant. Il est, en outre, mal perçu sur le terrain, vécu comme une tracasserie inutile, tant la situation et les difficultés rencontrées par la majorité des établissements sont connues de leurs autorités de tutelle.

L'État porte une responsabilité écrasante dans les orientations actuelles du contrôle, qui n'en font pas une priorité des ARS, ainsi que l'ont indiqué les représentants de médecins inspecteurs, pharmaciens inspecteurs et inspecteurs de l'action sanitaire et sociale.

Les contrôles existants sont prioritairement axés sur la maltraitance. C'est indispensable, mais cela ne suffit pas, nous l'avons vu : le contrôle des flux financiers doit être intensifié.

Un contrôle efficace nécessite également de renforcer la coordination des acteurs, encore trop hétérogène selon les départements. Concurrence et répression des fraudes, inspection du travail, ARS, finances publiques... chacun organisait ses propres contrôles. Une coordination totale est sans doute inatteignable, mais la renforcer et échanger des informations, c'est possible ! Pour cela, il est nécessaire d'imposer des contraintes d'organisation.

La CNSA pourrait se voir confier le soin de réunir un comité d'animation des contrôles au niveau national, qui réunirait les administrations centrales concernées, les caisses de sécurité sociale, le Défenseur des droits, l'Assemblée des départements de France (ADF), afin de concevoir des orientations communes, et de donner des impulsions aux réseaux déconcentrés. Ce comité d'animation doit être décliné au niveau départemental, avec un représentant du conseil départemental. Cette déclinaison territoriale doit prendre un tour plus opérationnel, avec des échanges d'informations sur les contrôles réalisés par les uns et les autres, ainsi que la définition d'actions communes.

Par ailleurs, les moyens consacrés au contrôle doivent être renforcés, afin que les missions d'inspection et de contrôle ne soient pas seulement mutualisées, mais bien accrues.

Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Le renforcement et la structuration des contrôles doivent aller de pair avec un renouvellement des pratiques en matière de pilotage stratégique.

Le déficit que nous avons constaté dans ce domaine est en partie imputable aux gouvernements successifs qui ont évoqué - et même, pour certains d'entre eux, préparé - un projet de loi Grand Âge, avant d'y renoncer. Dans ce contexte, les évolutions législatives et réglementaires n'ont été qu'incrémentales, et n'ont pas favorisé une approche globale ni une vision stratégique des sujets. La volonté de développer le maintien à domicile s'est imposée comme la priorité stratégique du secteur, et ce à juste titre. Or, cet objectif prioritaire ne dispensait pas les autorités d'assurer le pilotage stratégique du secteur des Ehpad, afin de garantir son adéquation avec l'évolution des besoins et le développement du virage domiciliaire.

Le renforcement du pilotage stratégique doit passer par une meilleure gestion du régime d'autorisation.

En attendant, et à défaut de refondre tout le régime d'autorisation, comme cela est développé dans les conclusions de ce rapport, nous vous proposons trois évolutions.

Tout d'abord, la question des transferts d'autorisation et du pilotage de l'offre privée a retenu notre attention. La réglementation en vigueur ne laisse qu'une marge de décision limitée aux autorités compétentes pour s'opposer à un transfert d'autorisation. Dans la pratique, le rejet du transfert ne peut se fonder que sur l'incapacité du cessionnaire à remplir les conditions de gestion de l'établissement. Comme la plupart des organismes cessionnaires gèrent déjà des établissements, démontrer une telle incapacité est complexe. Un droit d'opposition à ces transferts doit ainsi être accordé aux autorités de tarification, afin qu'elles soient en capacité de piloter l'offre dans le temps et de choisir les opérateurs.

Ensuite, nous observons qu'une autorisation donne droit à la perception de dotations publiques, finançant principalement les salaires des soignants, sans lesquels l'établissement n'accueille personne et ne réalise donc pas de profits. L'autorisation d'exploiter un Ehpad est, par conséquent, un actif public dont bénéficie un opérateur privé, et doit être considéré de la même façon que les licences de téléphonie, les autorisations d'occupation du domaine public ou les concessions d'autoroutes. La délivrance de l'autorisation pourrait, dès lors, être soumise au versement d'une redevance.

Enfin, la procédure d'appels à projets renforce la concurrence non seulement entre établissements publics et privés commerciaux, mais encore entre ces derniers et les établissements de l'économie sociale et solidaire (ESS). Nous proposons alors des mesures d'encadrement de l'offre à but lucratif, qui dépasse déjà 50 % de l'offre dans certains territoires.

Ces remarques sur le pilotage de l'offre nous conduisent naturellement à évoquer des questions de gouvernance.

A contrario de la pratique constatée dans le groupe Orpea, la gouvernance des établissements a un grand besoin de gestion de proximité, laquelle passe par une meilleure association des résidents ou de leurs familles.

L'association des usagers au fonctionnement des établissements médico-sociaux a longtemps été balbutiante. Le principal organe est, à cet égard, le conseil de la vie sociale (CVS), créé par la loi de 2002, en remplacement du conseil d'établissement. Les associations d'usagers estiment que seul un CVS sur cinquante est opérationnel, et qu'une très grande proportion des résidents, des familles et des personnels ne connaît pas son existence et son rôle.

Avec le décret du 25 avril 2022, le Gouvernement a apporté d'opportunes précisions. La composition du conseil a d'abord été élargie et les attributions des CVS précisées. Le décret rend également obligatoire l'élaboration d'un règlement intérieur et d'un rapport d'activité.

Ces clarifications sont bienvenues, mais elles ne lèvent pas tous les obstacles à la bonne marche de ces organes. La présence d'associations agréées, par exemple, devrait être envisagée, sur le modèle des associations d'usagers dans le secteur sanitaire.

Nous rejoignons nos collègues de l'Assemblée nationale sur la nécessité de créer un conseil national consultatif des personnes âgées, sur le modèle du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Ce dernier, créé par la loi de 1975, peut être consulté par les ministres compétents et peut se saisir de toute question relative à la politique concernant les personnes handicapées, dont il évalue la situation matérielle, financière et morale.

Un tel organe pourrait, par ailleurs, être relié par convention au comité d'animation des contrôles, en lien avec notre recommandation n° 5, convention qui aurait pour objet de favoriser la concertation et les échanges d'informations.

Avec la place des usagers, la question de la gouvernance est dominée par une autre problématique : celle de la simplification du pilotage territorial.

De ce point de vue, la création en 2020 d'une nouvelle branche de sécurité sociale chargée de la gestion du risque de perte d'autonomie n'a pas changé grand-chose. Pour un certain nombre d'acteurs, la médicalisation souhaitable des Ehpad emporte ou emportera à terme une compétence élargie des ARS dans les territoires, ne laissant éventuellement aux départements que la compétence d'aide à domicile. Un tel recul de la place des départements dans la politique médico-sociale ne nous semble pas opportun.

La mission de Dominique Libault de mars 2022 nous semble s'inscrire dans une démarche plus intéressante. Elle précise que l'objectif ne doit pas être de remettre en cause les choix de gestion des acteurs dans leur périmètre de compétences, mais de viser, « compte tenu de la forte imbrication des politiques de l'autonomie, à les amener à traiter ensemble, sur la base d'une contractualisation, les sujets à la frontière des prises en charge sanitaires, sociales et médico-sociales, dans l'intérêt général d'un meilleur service rendu ».

D'après ce rapport, la gouvernance territoriale de la politique de l'autonomie pourrait être refondée au sein d'une conférence territoriale de la santé et de l'autonomie (Cotea). Celle-ci s'appuierait sur le réseau des ARS et sur les conseils départementaux, mais associerait également d'autres acteurs intervenants dans les politiques de soutien à l'autonomie, tels les préfets, les acteurs des politiques publiques d'insertion professionnelle, d'emploi et de cohésion des territoires, mais aussi les directeurs des services départementaux de l'éducation.

Le périmètre des missions de la Cotea concernera les quatre blocs d'actions du service public territorial de l'autonomie (SPTA) proposé par le rapport : réaliser et mettre à jour un diagnostic partagé des besoins, sur le plan quantitatif et qualitatif ; définir une stratégie départementale d'organisation du SPTA répondant aux besoins, sur la base d'un cahier des charges national ; animer les dynamiques partenariales locales, par exemple en matière de prévention, ou pour organiser des sorties d'hospitalisation ; établir à cette fin une programmation des projets et des financements associés.

Avec la gouvernance, le pilotage par la qualité est présenté par de nombreux acteurs, qu'il s'agisse de la Cour des comptes ou de Dominique Libault, comme un levier à actionner pour améliorer la prise en charge des résidents et l'attractivité du secteur.

Selon vos rapporteurs, cela doit commencer par une prise en charge renforcée des questions de maltraitance.

Selon Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde, « les outils de détection des maltraitances sont trop éclatés, avec trois canaux : l'ARS, le département et le 3977. Ainsi les saisines sont-elles assez rares ».

Par conséquent, il faut redoubler d'efforts pour faciliter la détection des situations problématiques graves dans les établissements. Cela impose de fiabiliser au plus vite la connaissance du problème par la finalisation des outils informatiques nécessaires. Il conviendrait d'aller plus loin, en imposant, par exemple, une obligation de réponse sur la suite donnée aux signalements de maltraitance adressés par les familles aux autorités de tarification et de contrôle.

L'autre volet de la politique de qualité repose sur le déploiement d'un référentiel élaboré par la Haute Autorité de santé (HAS).

La HAS a finalement publié, en mars 2022, le premier référentiel d'évaluation de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux. Comme elle n'a pas les moyens nécessaires pour assurer la certification de l'ensemble des structures, celle-ci sera réalisée par des organismes tiers ; les procédures de labellisation seront accréditées par le Comité français d'accréditation (Cofrac). Les premières évaluations fondées sur ce référentiel devraient débuter en septembre.

Le pilotage des établissements par la qualité peut aussi prendre la forme d'un suivi d'indicateurs de l'activité rendus publics.

Le décret du 28 avril 2022 précité prévoit la transmission par les Ehpad de cinq indicateurs : la composition du plateau technique ; le profil des chambres (simples ou doubles) ; le nombre de places habilitées à l'aide sociale à l'hébergement ; la présence d'un infirmier de nuit et d'un médecin coordonnateur dans l'établissement ; le partenariat avec un dispositif d'appui à la coordination des parcours de santé.

La liste d'indicateurs annoncée par la ministre en mars dernier était deux fois plus longue, la Défenseure des droits en proposait d'autres : les indicateurs ne font pas tout. Quoi qu'il en soit, il conviendra de suivre de près la mise en oeuvre de ces mesures.

Le pilotage par la qualité doit également favoriser une meilleure organisation du secteur et renforcer son attractivité.

Sur les besoins en personnel du secteur des personnes âgées dépendantes, que ce soit du côté du nombre ou de la qualification, tout a déjà été dit. Par exemple, le rapport de 2020 réalisé par Myriam El Khomri présente les métiers du grand âge comme peu attractifs, car le turnover y est important ; le nombre de candidats aux concours d'aide-soignant a baissé de 25 % en cinq ans, la sinistralité de l'emploi atteint des niveaux records, les rémunérations du secteur sont durablement faibles, les formations restent cloisonnées et l'organisation du secteur est encore insuffisamment structurée.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Les besoins pour l'avenir sont connus, il faut désormais y répondre.

Nous concédons que, malgré tous les moyens engagés pour réussir le virage domiciliaire, et les succès déjà engrangés en la matière, le besoin de places en Ehpad va continuer à s'accroître dans les années à venir. La population de personnes âgées dépendantes, estimée à 2,5 millions de personnes en 2015, pourrait atteindre 4 millions en 2050. Si la dépendance évolue de façon plus optimiste, il faudrait tout de même ouvrir 56 000 places en Ehpad d'ici à 2030.

Pour accompagner la politique immobilière du secteur, les pouvoirs publics s'appuient sur deux mécanismes : des plans d'aide à l'investissement placés sous l'égide de la CNSA, des mécanismes d'incitation fiscale pour favoriser l'investissement immobilier.

Ces instruments doivent être examinés au regard des pratiques en cours et des besoins à venir. Il devient fondamental d'investir massivement dans la modernisation du bâti des Ehpad, surtout ceux relevant du public dont le bâti est plus ancien ; il faut entamer une réflexion sur les moyens à leur donner pour faciliter le portage de leur immobilier, en donnant par exemple la possibilité de s'appuyer sur des professionnels, tels des offices publics de HLM ou des foncières solidaires, pour les accompagner dans la gestion de ce patrimoine.

En outre, une réflexion doit être ouverte sur la pertinence des dispositifs fiscaux visant à favoriser l'investissement privé dans le secteur.

La démographie ne permettra sans doute pas de se passer des acteurs du secteur privé commercial, mais il semble possible de freiner l'emballement de la rentabilité, notamment dans la dimension immobilière, cruciale dans le modèle économique des acteurs privés lucratifs.

L'immobilier d'une grande partie des Ehpad commerciaux s'appuie sur la vente en lots sous statut de loueur en meublé non professionnel ouvert à l'investissement défiscalisé : ce statut s'adresse notamment aux particuliers, promettant en contrepartie des taux de rendement importants. Or, ces montages pèsent lourd, avant même la mise en fonctionnement de l'établissement, sur le niveau du tarif hébergement, réduisant de fait l'accessibilité financière de ces structures, pourtant d'intérêt général ; ne parlons pas de la pression exercée sur la rentabilité de l'exploitation.

Aussi nous interrogeon-nous sur l'opportunité de restreindre très sérieusement les mécanismes de défiscalisation de l'investissement locatif en Ehpad.

Notre dernière proposition ne surprendra guère, car elle reprend ce qui précède, et, surtout, elle s'appuie sur la promesse faite, au moins sous cette forme, depuis le milieu du quinquennat précédent : examiner une loi consacrée au grand âge et à l'autonomie, afin de répondre aux besoins de la population.

Cette recommandation est incontournable, le secteur a besoin de réformes structurelles de grande ampleur. Ne pas le faire, c'est manquer de considération pour nos aînés.

Nous voudrions conclure la présentation de ce rapport en saluant le professionnalisme, le dévouement et le travail considérable qui est accompli chaque jour dans les Ehpad, et que la crise sanitaire rend encore plus difficile.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je salue moi aussi le travail de nos deux rapporteurs.

Je rappelle que le dépôt de ce rapport ouvre un délai de vingt-quatre heures au cours duquel il peut être demandé que le Sénat se réunisse en comité secret.

Je vous demande donc la plus stricte confidentialité sur nos débats jusqu'à la conférence de presse.

La réunion, suspendue à 14 h 20

La réunion est reprise à 15 h 15.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous reprenons nos travaux sur le rapport de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad.

M. Philippe Mouiller . - Je salue le travail des rapporteurs. Les conclusions de leurs travaux sont très attendues sur le terrain.

Le rapport montre qu'il est difficile de contrôler les crédits du volet hébergement des établissements et services médico-sociaux à but lucratif. Un amendement datant de 2009 avait exclu ces établissements de tout contrôle : pourrions-nous revenir sur cette disposition à l'occasion de l'examen d'un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ?

Pour être efficaces, les contrôles supposent des sanctions : les outils à la disposition des autorités sont-ils adaptés ? Doivent-ils être améliorés ?

Cette mission d'information trouve son origine dans une crise : nous avons tous été choqués par le traitement réservé aux résidents par certains groupes privés. Pourtant, dans certains territoires, les difficultés seraient considérables sans leur concours. Je souscris à l'équilibre prôné par les rapporteurs : il faut restreindre les profits, et des moyens plus importants doivent être consacrés aux personnes âgées. Toutefois, ne multiplions pas les normes qui décourageraient le secteur privé d'investir.

Chacun est conscient du vieillissement de la population. Néanmoins, l'augmentation du nombre de places disponibles constitue-t-elle la seule réponse ? Ne faut-il pas envisager une transformation du modèle des Ehpad ?

Mme Monique Lubin . - Ce rapport est très intéressant. J'espère que nous pourrons nous en servir à l'occasion de l'examen d'une future loi consacrée à la dépendance.

Le livre a soulevé la question des financements normalement destinés aux soins et à la dépendance, qui, dans les faits, sont détournés pour améliorer l'attractivité des groupes aux yeux des investisseurs. Ce phénomène était-il connu ? Si c'est le cas, était-il toléré ?

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je remercie les deux rapporteurs pour la qualité de leur travail.

Avec ma collègue Laurence Cohen, nous regrettons l'absence de loi sur le grand âge, pourtant promise par le précédent gouvernement. La cinquième branche de la sécurité sociale créée récemment est une coquille vide, du point de vue tant de son financement que de sa gouvernance : c'est une fausse bonne idée. Notre groupe déposera une contribution à ce sujet. Nous demandons des moyens pour les Ehpad : cela passe par des recrutements, des revalorisations salariales et des plans de formation de qualité.

Nous plaidons pour un grand service public du troisième âge. Nous ne devons pas faire de profits sur le dos de nos anciens. Le rôle des conseils départementaux au sein de la gouvernance des établissements doit être renforcé, de même que les contrôles inopinés au sein des grands groupes privés.

J'ai été profondément choquée par le niveau de salaire des directeurs d'Orpea : le chiffre de 1,2 million d'euros a été cité. Pendant ce temps, faute de moyens, les personnes âgées sont maltraitées dans les Ehpad privés. Étant donné que ces groupes bénéficient de fonds publics, est-il possible d'encadrer ces salaires exorbitants ?

Mme Raymonde Poncet Monge . - Je remercie les deux rapporteurs pour leur travail. Les auditions ont été remarquablement dirigées par nos deux collègues. Je regrette toutefois que le rapport n'ait pas adopté la même tonalité.

Aujourd'hui, le constat est clair : les groupes à but lucratif tels qu'Orpea et Korian puisent dans la section hébergement au détriment des soins apportés aux personnes. Plus le niveau de dépendance est élevé, moins les résidents sont en capacité de réclamer une qualité de service minimale. La vulnérabilité est exploitée. Il en va de même pour les cliniques psychiatriques gérées par ces groupes. Pis encore, les personnes sans famille ne peuvent pas se défendre. Les indicateurs de qualité ne pourront pas résoudre tous les problèmes.

Ces groupes privés saisissent l'occasion des modifications législatives et réglementaires pour augmenter leur profit. Dans son livre, Victor Castanet a cité un exemple édifiant : lorsque l'assurance maladie passe de la solvabilisation individuelle des dispositifs au forfait afin de limiter la dépense devenue trop dynamique, ils parviennent encore à maximiser le profit. Le même scénario s'est répété lors de l'adoption de la loi ASV. Ces sociétés, qui disposent d'une grande puissance de feu, sont très lucratives et sont mieux gérées que certaines entreprises du CAC 40. D'aucuns soutiennent qu'elles se retireraient du marché sans ces profits : qu'elles le fassent !

Notre réaction est bien tardive. Ces groupes ne se contentent plus de puiser dans les sections soins et hébergement : ils ne sont plus un acteur du secteur médico-social - ne l'ont-ils jamais été ? - ou de l'immobilier de santé. D'ici à 2025, Orpea aura vendu un quart de son patrimoine immobilier, engendrant ainsi des profits spéculatifs via des filiales présentes au Luxembourg et dans les paradis fiscaux. La croissance externe d'Orpea s'est fondée sur l'endettement financier.

Au fil du temps, Orpea donne de moins en moins d'informations sur ses filiales à l'étranger : leur structure financière est inconnue, contrairement à la situation prévalant en Allemagne. Il est nécessaire que l'Autorité des marchés financiers (AMF) joue pleinement son rôle.

Nous examinerons prochainement le projet de loi du Gouvernement relatif au pouvoir d'achat. Orpea rassure actuellement ses actionnaires en leur rappelant que ses crédits-bails sont capés à 1 %. Ceux-ci peuvent se réjouir : les tarifs des contrats des usagers sont, quant à eux, bien indexés sur l'inflation, soit une augmentation vraisemblable de 7 à 8 %. Une volonté politique est indispensable pour réduire la place qu'occupent ces grands groupes privés dans le secteur médico-social. Les transferts d'autorisation doivent être mieux encadrés. Par ailleurs, les autorisations ne doivent plus être renouvelées tacitement tous les quinze ans.

Le taux d'encadrement doit être rendu obligatoire, comme dans les crèches. Sans personnel en nombre suffisant, il faut fermer les établissements.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Les enfants rentrent chez eux le soir, à l'inverse des résidents des Ehpad.

Mme Frédérique Puissat . - Madame Poncet Monge, si l'on appliquait ce que vous proposez, tous les établissements devraient fermer.

Mme Raymonde Poncet Monge . - En moyenne, les résidents restent deux ans dans les Ehpad. Si des problèmes d'embauche apparaissent, il faut refuser les nouveaux résidents. N'étalons pas la misère, comme Orpea le fait aujourd'hui. Le taux d'occupation des établissements est leur levier d'action : sans personnel, ils seraient contraints de fermer.

M. Olivier Henno . - Je tiens à féliciter les deux rapporteurs, qui n'ont ménagé ni leur temps ni leur peine. Je rends hommage à leur pugnacité.

Toutefois, je m'interroge sur l'efficacité de l'action publique : un livre d'un journaliste aura été nécessaire pour approfondir un sujet aussi important. Quel a été le rôle de l'État, des ARS et des conseils départementaux ? J'ai moi-même consacré du temps aux conseils d'administration de plusieurs Ehpad publics.

Les rapporteurs soutiennent qu'une réflexion doit être ouverte sur la pertinence des dispositifs fiscaux visant à favoriser l'investissement privé dans le secteur. Ils s'interrogent sur l'opportunité de restreindre largement les mécanismes de défiscalisation de l'investissement locatif dans les Ehpad. J'y suis plutôt favorable, mais avez-vous mesuré les conséquences de cette décision ? Le modèle global ne serait-il pas remis en cause ? Cette préconisation des rapporteurs est importante et structurelle. Je me réjouis que vous ayez ouvert ce débat.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je rappelle que les travaux de notre commission avaient pour objet non pas le groupe Orpea ou la loi Grand Âge, mais le contrôle du contrôle. Nous avons naturellement débordé du cadre - nous souhaitions même le faire davantage - et nous n'avons pas été bienveillants, il est vrai, tant ce que nous avons appris au cours des différentes auditions nous a paru scandaleux. Dans la mesure où nous devions répondre à la mission qui nous a été confiée, nous n'avons pas inclus dans le rapport l'ensemble de nos observations et recommandations. Lorsque le projet de loi Grand Âge sera examiné, nous pourrons nous exprimer plus largement.

Des décrets ont été pris en urgence par le Gouvernement, entre la publication du livre de Victor Castanet, le rapport IGAS-IGF et la remise de notre rapport : ils prévoient un contrôle approfondi de la section hébergement notamment. Des modifications législatives seront néanmoins nécessaires pour imposer, dans l'intérêt des résidents, des contrôles plus stricts à ces groupes, qui, chaque fois, leur opposent le secret des affaires.

Nous avons en outre constaté un mélange dans les tarifications, entre les soins et la dépendance d'une part, qui relèvent de l'État et des départements, et l'hébergement d'autre part. Or, quand on fait glisser du personnel de l'un à l'autre, en particulier de l'État vers l'hébergement, il s'ensuit une modification de l'orientation de l'argent public. C'est ce à quoi s'est livré Orpea, et ce n'est pas normal. Nous devons donc modifier la loi pour contrôler plus efficacement le volet hébergement dans l'ensemble du secteur médico-social.

En ce qui concerne la place du privé, Michelle Meunier et moi-même avions tendance à remettre en cause, au début de nos travaux, l'existence même du secteur privé, commercial et social ne faisant pas bon ménage. Je vous assure aujourd'hui que la suppression du secteur privé est impossible. Mme la présidente l'a fait remarquer, que ferait-on des résidents de ces établissements ? Qui est en mesure aujourd'hui de racheter l'ensemble des biens immobiliers des groupes privés ?

Un encadrement beaucoup plus important est en revanche nécessaire. Nous devons aussi doter le secteur public de moyens supplémentaires pour lui permettre d'acquérir de l'immobilier. La simple gestion des établissements est à la portée de tous et le secteur public a démontré qu'il en était parfaitement capable. Finalement, tous les établissements se heurtent à la même difficulté : un manque de moyens - les directeurs réclament au plus vite en moyenne deux personnes supplémentaires par établissement - auquel - je l'espère ! - la loi Grand Âge pourra remédier.

L'évolution du secteur privé lucratif doit être contenue. Dans certains départements, la proportion d'établissements relevant de cette catégorie atteint quasiment 50 % quand, dans d'autres, elle n'est que de 8 à 9 %. Nous n'avons pas fixé de limite chiffrée, mais la loi Grand Âge pourrait en instaurer une.

Il convient également de mieux contrôler les autorisations. Auparavant, quand un groupe rachetait un établissement privé, on se contentait de signer. L'absence de contrôle explique en partie les niveaux de rémunération exceptionnels des directeurs de groupe. Si les directeurs et les personnels des établissements font leur travail avec les moyens dont ils disposent et les contraintes qui sont les leurs, il faut contrôler les rémunérations au niveau du groupe. Dans les groupes privés, on n'attribue de rémunérations qu'en fonction des résultats. Si demain les résultats sont moins bons - ils le seront, l'action Orpea ayant déjà perdu 80 % en l'espace de six mois - les rémunérations le seront également.

M. Mouiller évoquait l'augmentation du nombre de places dans trente ans. Dans un rapport que nous avons remis récemment avec Michelle Meunier, nous avions fait un pari : ne plus créer de places en établissement, mais privilégier le maintien à domicile et les structures intermédiaires. Force est de reconnaître que nous allons devoir créer des places supplémentaires. Une annonce du gouvernement passée relativement inaperçue prévoit de supprimer l'ensemble des unités de soins de longue durée (USLD) et de placer 80 % de leurs résidents - soit près de 20 000 personnes - en maison de retraite. Des unités de soins prolongés complexes (USPC) seront créées pour accueillir les 20 % restants. En un mot, il faut maintenir la place du privé, mais le contrôler beaucoup plus.

J'en viens aux interrogations soulevées par Mme Lubin : les dysfonctionnements constatés dans les groupes privés étaient-ils connus, avérés et tolérés par les autorités de contrôle ? La réponse est non, et c'est précisément ce qui nous semble scandaleux. Personne ne s'est posé la question. Un ancien membre du corps préfectoral, ancien directeur d'ARH, est même parti travailler quelque temps comme conseiller du groupe Orpea. Personne n'imaginait à quel point tout y était fait pour gagner de l'argent. Les consultants de McKinsey ou autres étaient beaucoup plus forts qu'imaginé. Ils ont trouvé toutes les failles du système qui permettaient d'engranger des dividendes et ils ne s'en sont pas privés.

Madame Apourceau-Poly, nous ne pouvions aller beaucoup plus loin dans le cadre de ce rapport, mais la question que vous avez soulevée pourrait être abordée dans le cadre de la loi Grand Âge.

Je remercie Mme Poncet-Monge pour sa présence à l'ensemble des auditions. Il était nécessaire que le Sénat fasse preuve de fermeté. Je rappelle également que le groupe Orpea n'est pas le seul concerné.

Mme Émilienne Poumirol . - Tout à fait !

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Il me semblait important d'inscrire dans le rapport l'extension du contrôle à tous les groupes privés dans les deux ans. Orpea a été montré du doigt, mais je vous assure que des exagérations ont eu lieu dans beaucoup d'autres groupes privés commerciaux. Ce n'est pas mentir que de dire que les profits y ont été extraordinairement élevés.

Mme Raymonde Poncet Monge . - Cela aurait dû susciter des interrogations !

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Peut-être...

Alors que nous avons contrôlé les établissements - parfois même les départements -, personne, pas même les directeurs d'ARS - c'est anormal -, ne s'est soucié de contrôler les groupes. Or le système Orpea, copié par beaucoup d'autres, l'a bien montré : tout remontait au niveau du groupe, où les flux financiers notamment bénéficiaient d'une opacité complète. Les grands groupes ont pu profiter allègrement de cette absence de contrôle.

Concernant la proposition visant à supprimer les dispositifs de défiscalisation, nous devons réfléchir, dans le cadre de la loi Grand Âge, aux moyens d'aider au maximum les établissements publics, afin que l'immobilier ne soit pas une difficulté financière majeure, comme c'est aujourd'hui le cas. Si les groupes privés ont prospéré, c'est parce que le secteur public n'avait pas les moyens de rivaliser en la matière.

La gestion, tout le monde sait faire. Le personnel est identique dans le public et dans le privé. Nous devons supprimer cette défiscalisation, jusqu'ici trop profitable aux groupes sans que les investisseurs en bénéficient réellement. Nombre de particuliers se sont fait berner après avoir investi dans de l'immobilier pour ces grands groupes. Au bout d'un certain temps, lorsque l'établissement n'était plus conforme, ils se sont retrouvés propriétaires d'un établissement vide, quand d'autres obtenaient des autorisations de poursuite d'activité en tant qu'Ehpad. La recommandation n° 16 vise effectivement à modifier cette possibilité de défiscalisation afin de priver les grands groupes de cet avantage comparatif.

Nous avons également fait le constat que les capacités financières des grands groupes leur permettaient de répondre très rapidement aux appels à projets et, bien souvent, de les remporter. Dans ce contexte, il faudra revoir l'ensemble des autorisations de transfert, de rachat et d'implantation.

La loi Grand Âge permettra d'améliorer considérablement la situation - il le faut. Le nouveau ministre des solidarités souhaite nous rencontrer à ce sujet, preuve qu'il s'y intéresse. J'espère qu'il aura la force de persuasion suffisante pour convaincre le Gouvernement de soumettre un projet de loi au Parlement. Quels seront les moyens associés ? C'est tout le problème. Si nous pouvons empêcher des dérives, il est certain que nous ne pourrons continuer à travailler sans moyens supplémentaires.

Je remercie M. Castanet pour son livre. Il nous a permis de dévoiler ces anomalies et de dénoncer le système. Je note que l'audit interne mis en place par le groupe Orpea est arrivé aux mêmes constatations que la mission IGF-IGAS. J'ai le sentiment que M. Philippe Charrier, jusqu'ici président-directeur général par intérim d'Orpea, avait vraiment la volonté de remettre les choses en place.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je précise que, par rapport à la version du rapport soumise à consultation, la recommandation n° 12 a fait l'objet d'une modification rédactionnelle. Elle est désormais la suivante : « Décliner le comité d'animation des contrôles au niveau départemental avec un représentant du conseil départemental afin de coordonner les actions ».

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.

III. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition de M. Victor Castanet,
journaliste et auteur de l'ouvrage Les Fossoyeurs

( Mardi 15 mars 2022 )

Mme Catherine Deroche , présidente . - Dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), nous entendons, cet après-midi, M. Victor Castanet, journaliste.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Monsieur Castanet, nous avons souhaité, avec les rapporteurs de la mission d'information, Bernard Bonne et Michelle Meunier, vous entendre à quelque distance de l'émotion suscitée par la parution, le 26 janvier dernier, de votre livre Les Fossoyeurs . Cet ouvrage, consacré au groupe gestionnaire d'établissements privés médico-sociaux Orpea, a mis en lumière les dérives d'un système d'optimisation des coûts, au détriment de la qualité de la prise en charge et du bien-être des résidents, mais aussi des financements de l'assurance maladie. Il dénonce aussi l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés non pas sur les groupes, mais sur les établissements, et l'incapacité des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public. C'est pourquoi notre mission d'information a choisi de s'intéresser à la question du contrôle.

Avant de vous laisser la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, je rappelle que cette mission d'information s'est vu attribuer les prérogatives d'une commission d'enquête ; je vous demande donc de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Victor Castanet prête serment.

M. Victor Castanet, journaliste et auteur de l'ouvrage Les Fossoyeurs . - Les familles et les salariés qui ont participé à cette enquête, plus de 250 personnes au total, ont témoigné des situations de maltraitance subies par les patients de ces établissements, mais aussi des conditions de travail. Sur le premier point, beaucoup de familles se sont exprimées au cours des dernières semaines, dans les médias et face à la représentation nationale, mais n'oublions pas que ce système a aussi considérablement affecté les conditions de travail des salariés du groupe, et ce à tous les niveaux : le personnel soignant, mais aussi les directeurs d'établissement.

Les responsables actuels d'Orpea affirment que mon enquête met en cause les collaborateurs du groupe. C'est, en fait, exactement l'inverse : c'est la direction générale, soit un très petit nombre d'individus, qui est responsable d'une politique réfléchie et assumée de réduction des coûts, passant notamment par un rationnement des produits de santé et d'alimentation, qui a eu un impact direct sur la qualité de la prise en charge des résidents et sur les conditions de travail des salariés. Les directeurs n'ont aucune marge de manoeuvre dans ce groupe : ce sont des supersecrétaires, qui n'ont la mainmise ni sur le budget de l'établissement ni sur sa masse salariale. Ils ne peuvent pas remplacer les absences comme ils le souhaiteraient, ne serait-ce que parce que l'application informatique qu'ils doivent utiliser ne le permet pas ; ils dépendent donc totalement de leur hiérarchie et ne font que suivre ses consignes.

Mon livre met en cause la direction générale du groupe, en particulier son directeur général délégué à l'exploitation, M. Jean-Claude  Brdenk, le cost killer du groupe, M. Yves Le Masne, contrôleur de gestion, puis directeur général du groupe, et M. Jean-Claude Marian, son fondateur, ainsi que certains individus occupant des postes clés au sein du service achats et des ressources humaines, dirigées par M. Bertrand Desriaux ; il y aurait beaucoup à dire sur la politique salariale du groupe, sur son syndicat maison, Arc-en-ciel, ou encore sur les très nombreux licenciements pour faute grave de directeurs ou de soignants pris sans aucun motif : il y a eu beaucoup de contentieux, mais nombre de personnes n'ont pas osé aller aux prud'hommes.

Le sujet le plus important pour les parlementaires que vous êtes est sans doute la gestion de l'argent public par Orpea. Ce groupe reçoit, chaque année, des dotations qui varient entre 1 et 2 millions d'euros par établissement et par an, pour un total d'environ 300 millions d'euros annuels. Des témoignages et des documents m'ont permis de démontrer que l'utilisation de cet argent public était tout à fait contestable.

En atteste d'abord la pratique des marges arrière sur les produits de santé. Les directeurs ne pouvaient travailler qu'avec les fournisseurs retenus par le groupe ; les contrats-cadres prévoyaient que d'importantes marges arrière, ou rétrocommissions, seraient reversées au groupe par les fournisseurs, parmi lesquels on peut notamment citer Bastide et Hartmann, et ce sans que les autorités de contrôle -agences régionales de santé (ARS) ou conseils départementaux - en soient informées ni que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) enquête sur ces sujets. Cela fait au moins quinze ans qu'Orpea pratique ce système, qui a été élargi à des intervenants extérieurs, comme les laboratoires. L'État doit se poser des questions : les autorités de contrôle n'ont pas su ou voulu voir ce système, qui, au-delà de l'aspect financier pour l'argent public, a eu des conséquences directes sur la prise en charge des résidents.

L'autre exemple d'une utilisation contestable de l'argent public est l'optimisation de la masse salariale. Il faudra, sur ce point, des investigations poussées, car le système est sophistiqué. Les postes de soignants sont financés par l'argent public ; leur nombre réel correspond-il bien à celui pour lequel un financement a été reçu ? Certains établissements avaient des excédents de dotation pouvant atteindre 100 000 euros annuels. Le groupe a-t-il rendu cet argent ? Yves Le Masne lui-même expliquait que de tels excédents n'auraient eu aucune logique, puisque les ARS auraient repris cet argent, mais le groupe les a-t-il intégralement déclarés ? Il est de la responsabilité de l'État d'enquêter sur ce point.

Il est important que la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale se soit saisie de ces questions, mais elle n'a pas obtenu beaucoup de réponses. Le travail de votre commission peut donc s'avérer fondamental. Les familles et les salariés attendent que l'État aille au bout assez rapidement, ils veulent aussi obtenir des réponses du groupe et définir les responsabilités de ceux qui ont mis en place ce système et de ceux qui, au sein de l'État et des ARS, l'ont laissé se perpétuer vingt ans durant. Qu'est-ce qui a failli pour que les autorités de contrôle ne soient pas en mesure de mettre au jour la réalité de ce système ?

Mme Catherine Deroche , présidente . - Le panel des auditions sera très large ; nous nous intéresserons surtout au contrôle, même si d'autres thématiques seront abordées.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Merci à M. Castanet d'être venu répondre à nos questions. J'ai regardé toutes les auditions qui se sont tenues à l'Assemblée nationale, j'ai remarqué que les responsables d'Orpea n'ont pas du tout répondu aux questions qui leur étaient posées ; nous nous y prendrons donc différemment.

Je pense que notre mission d'information ira au fond des choses ; elle s'intéresse avant tout au contrôle, voire au contrôle du contrôle, mais nous entendons formuler des préconisations pour éviter les débordements dans les structures à but lucratif, mais aussi remédier aux dysfonctionnements des autres établissements. De nombreux rapports ont déjà été publiés, y compris par nous-mêmes, qui défendent la nécessité de consacrer plus de moyens aux personnes âgées. Votre ouvrage dénonce lui aussi le manque de moyens et de personnel dans toutes ces structures ; Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, le souligne également. Il faudrait engager au moins 100 000 personnes. J'espère que l'adoption d'une loi relative au grand âge d'ici à la fin de cette année permettra de remédier à ces problèmes. Notre rapport, qui sera rendu à fin du mois de juin, offrira au nouveau gouvernement des armes pour s'engager enfin dans cette réforme.

Au cours des quatre prochains mois, nous comptons mener énormément d'auditions, plénières ou non : ministres responsables, directeurs d'ARS, représentants des directeurs d'établissement, des résidents et des familles, opérateurs privés, au-delà d'Orpea et de Korian, fournisseurs et laboratoires. Nous voulons aller le plus loin possible. Nous attendons aussi beaucoup du rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), dont nous auditionnerons les auteurs.

À la lecture de votre livre, en tant qu'ancien président de conseil départemental, j'ai été abasourdi. Nous n'avions aucun moyen de nous informer directement ou de donner notre avis quand nous approuvions le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Il faut organiser un contrôle beaucoup plus approfondi des dépenses consenties par les résidents et par les acteurs publics.

Monsieur Castanet, avez-vous eu connaissance d'actions en justice engagées depuis la publication de votre ouvrage à l'encontre d'Orpea en matière de maltraitance des résidents ou de fraude à la réglementation ? Il me semble qu'aucune action n'ait été engagée contre vous par Orpea ou ses dirigeants ; comment l'expliquez-vous ? Avez-vous recueilli des éléments supplémentaires depuis la parution du livre ?

Disposez-vous de documents probants relatifs aux remises de fin d'année ? Les explications données par Korian et Orpea ne justifient pas ces pratiques : il s'agirait de payer des prestations de service fournies par Bastide, Hartmann ou d'autres fournisseurs, pour le compte de Korian ou Orpea !

Vous expliquez, dans votre livre, que le fournisseur de protections contre l'incontinence a développé un modèle spécifique pour Orpea. Les éléments dont vous disposez permettent-ils de déterminer si ce modèle était conforme à la réglementation ? A-t-il été commercialisé auprès d'autres établissements ?

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour l'obtention de documents de la part d'Orpea, des ARS et des conseils départementaux ?

M. Victor Castanet . - Ni le groupe Orpea ni ses principaux dirigeants n'ont porté plainte pour diffamation. On leur a demandé, notamment à l'Assemblée nationale, pourquoi ils ne le faisaient pas alors qu'ils niaient beaucoup des faits exposés dans le livre ; ils ont, chaque fois, déclaré qu'ils se réservaient le droit de le faire.

Quant aux actions engagées contre le groupe, je sais que certaines familles se préparent à lancer des procédures dans les semaines qui viennent ; les avocats réunissent énormément de plaintes et de témoignages, ce qui requiert du temps. D'autres familles s'étaient engagées dans de telles procédures avant la sortie du livre ; l'une d'entre elles a fait condamner Orpea en première instance pour des faits de maltraitance. Des salariés aussi se préparent à engager des procédures contre le groupe, notamment pour utilisation de leur nom dans de faux contrats de travail. Des syndicats, dont la CGT, vont porter plainte pour certains faits de discrimination syndicale et de fraude aux élections professionnelles. En revanche, à ma connaissance, il n'y a pas encore d'enquête judiciaire autour de la gestion par le groupe de l'argent public ; certaines familles et certains salariés s'interrogent quant à cette inaction de l'État, même si l'on peut espérer que celui-ci ne fait qu'attendre la publication du rapport de l'IGF et de l'IGAS. Pourtant, en tant que journaliste, je sais que plus on laisse passer de temps avant l'ouverture d'une enquête, plus la partie adverse est en mesure de nettoyer les traces de ses actes : il est donc important d'agir vite.

Oui, je dispose de documents probants quant aux remises de fin d'année. Des employés d'Orpea sur le terrain ont témoigné des effets concrets de ces marges arrière : sans disposer de preuves écrites, ils savaient que ce système fonctionnait. Mais des cadres de plus haut niveau, au service achats du siège, m'ont également raconté dans le détail le fonctionnement du système et m'ont transmis des documents où figurent les taux de remise et les montants associés pour un grand nombre de fournisseurs.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pourrez-vous nous faire parvenir ces documents ?

M. Victor Castanet . - Je dois en discuter avec mon avocat et ma maison d'édition afin de garantir la protection de mes sources. Ces documents sont datés, ce qui pourrait nuire à leur anonymat.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Je comprendrais tout à fait que vous masquiez les éléments permettant d'identifier vos sources ; ce qui nous intéresse est le contenu de ces documents.

M. Victor Castanet . - Certes, mais Orpea enquête déjà pour déterminer l'identité de mes sources. Je dois être vigilant : certaines de ces personnes ont peur des représailles du groupe, d'autres ont signé des accords de confidentialité...

J'en viens à Hartmann et au modèle spécifique de protection contre l'incontinence évoqué dans le livre. Des employés du service achats m'ont raconté qu'un appel d'offres était lancé tous les six ans pour ces protections et d'autres dispositifs médicaux, mais que c'étaient toujours les mêmes fournisseurs - Hartmann et Bastide - qui les remportaient, car ce sont ceux qui consentent aux marges arrière les plus importantes. Selon ces personnes, l'appel d'offres ne se jouait que sur ce point, les critères de qualité étaient absents du débat. Les autres fournisseurs n'auraient pas accepté de telles remises de fin d'année. Les patrons de telles firmes m'ont raconté des négociations avec Orpea dans lesquelles ils avaient refusé de mettre en place de telles marges, qu'ils jugeaient illégales et immorales, ce qui avait entraîné la fin de leurs relations avec Orpea, mais aussi Korian - j'ai moins enquêté sur ce dernier, je peux donc moins m'étendre sur son cas. Ces deux géants du secteur imposaient ces règles ; il fallait s'y plier pour rester dans le jeu.

Ce système fonctionnait pour les protections et les dispositifs médicaux, mais également les laboratoires. Pendant longtemps, les établissements d'Orpea travaillaient avec de petits laboratoires, souvent les plus proches et, partant, les plus efficaces pour des prélèvements urgents. Or ces laboratoires ont perdu tous leurs contrats du jour au lendemain, en 2015 ou 2016, quand le siège a décidé de mettre en place un système équivalent de marges arrière pour les laboratoires. Cela s'est fait contre l'intérêt des résidents et contre l'avis des directeurs d'établissement. La pratique des marges arrière participe de la financiarisation et de la concentration de ces groupes. Seules les grosses structures peuvent y participer ; les petits laboratoires indépendants souffrent de ces politiques.

La qualité de la prise en charge s'en trouve aussi directement affectée. Lors d'une des dernières négociations de contrat avec Hartmann pour les protections, le taux de remise convenu par rapport au prix public affiché était de 28 % : c'est colossal ! Hartmann a accepté au vu de l'ampleur du marché, mais cela a eu des conséquences immédiates sur la qualité des produits fournis. Une personne qui travaillait au service achats m'a raconté que, dans les semaines qui ont suivi, de nombreux directeurs d'établissement les avaient appelés pour se plaindre de la qualité des nouvelles protections, qui fuyaient ou se déchiraient beaucoup plus souvent. Des discussions ont eu lieu, mais les responsables n'ont rien voulu entendre : seules les marges arrière comptaient. La dignité et la santé de dizaines de milliers de personnes âgées en ont souffert. Depuis lors, de nouveaux appels d'offres ont eu lieu ; peut-être ont-ils rectifié le tir, je ne saurais le dire.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Pour modifier un équipement tel que ces protections, il faut une autorisation. Pensez-vous qu'elle a été octroyée ?

M. Victor Castanet . - J'ai consulté les bibles des produits de ces fournisseurs. La nature exacte du changement de produit serait très difficile à prouver, au vu du nombre immense de références, qui changent en permanence, ce qui rend impossible, même pour les directeurs d'établissement, de suivre ceux qui importent vraiment. C'est un vrai labyrinthe, ce qui me semble réfléchi. Le changement de qualité à la suite de ce contrat est, en revanche, étayé par des témoignages directs de directeurs et de cadres du service achats.

Ces pratiques financières ont un impact non seulement en matière de gestion de l'argent public, mais aussi sur la prise en charge de ces personnes et sur leur dignité, ce qui provoque également une souffrance pour le personnel et les directeurs d'établissement. Ces derniers n'ont cessé de perdre en marges de manoeuvre : une application informatique commune à Orpea et à Hartmann définissait le nombre et le type de protections auxquelles ils avaient droit, sans adaptation possible pour les profils atypiques. Un directeur aurait voulu commander des protections adaptées pour une personne en surpoids : cela lui était impossible dans l'application. Pour le hors-standard, qui est tout de même très fréquent, il fallait passer par d'autres canaux, recevoir l'autorisation du directeur régional, qui leur était souvent refusée s'ils osaient la demander. Ils avaient conscience de la maltraitance qu'ils faisaient subir à ces personnes recevant des protections inadaptées, mais demeuraient dépendants du système en place.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Qu'en est-il des difficultés que vous avez rencontrées pour obtenir de la part d'Orpea, des ARS et des conseils départementaux des documents relatifs aux remises de fin d'année ?

M. Victor Castanet . - Rappelons d'abord qu'Orpea a commencé par nier l'existence de telles remises, avant de les présenter comme des commissions versées par les fournisseurs pour paiement de services que leur aurait fournis Orpea.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - M. Mérigot, de Korian, a affirmé la même chose.

M. Victor Castanet . - Je n'ai enquêté que sur Orpea, je ne me prononcerai donc pas sur Korian. Pour Orpea, il y a plusieurs éléments problématiques. Les marges arrière, ou remises de fin d'année, peuvent être légales, mais leur régularité n'est pas établie quand de l'argent public est concerné. Je n'ai pas connaissance d'autres situations de ce type. Ensuite, les autorités de contrôle n'étaient pas au courant. Cette information était cachée lors de la remise de compte annuelle aux inspecteurs des ARS ou des conseils départementaux. Les inspecteurs avaient les factures, mais pas les contrats-cadres. Par ailleurs, le taux moyen de telles remises dans d'autres secteurs oscille entre 2 % et 10 % ; ici, pour les laboratoires, ce taux dépassait 20 %, et atteignait même 28 % pour les protections ! Ces sommes étaient reversées non pas aux établissements, mais au siège du groupe. Enfin, qui a vérifié au cours des quinze dernières années que les prestations de service dont on dit qu'elles justifient ces remises ont bien été réalisées, qu'elles représentaient jusqu'à 28 % de la valeur du contrat et qu'elles profitaient aux résidents ? Le système est extrêmement opaque, au détriment de l'argent public. Le groupe a tout fait pour en cacher l'existence aux autorités de contrôle pendant des années.

Oui, j'ai rencontré des difficultés pour obtenir certains documents. J'ai commencé par recueillir des témoignages de soignants, puis de directeurs d'établissement et de personnes exerçant de plus hautes fonctions au sein du groupe, qui m'ont expliqué la pratique des remises de fin d'année et l'optimisation de la masse salariale. Certains d'entre eux ont eu le courage de me transmettre des documents internes, notamment sur l'inadéquation entre les postes financés par l'argent public et ceux qui étaient réellement pourvus.

Pour exploiter ces documents, il fallait que je les compare à ce qui avait été déclaré aux autorités de contrôle. Je me suis donc adressé à certaines ARS, notamment d'Île-de-France et d'Aquitaine, en leur expliquant que je menais une enquête sur Orpea et qu'on m'avait rapporté certaines irrégularités quant à la gestion de l'argent public. Toutes les ARS que j'ai contactées ont refusé de me rencontrer, m'ont affirmé que je n'avais pas le droit de consulter ces documents et m'ont dissuadé d'aller au bout. Je me suis étonné que ces documents ne soient pas publics. J'ai eu le sentiment à plusieurs reprises d'être vu comme un gêneur. Orpea a même été mis au courant de mes demandes auprès de certaines ARS ; j'en ai été informé par l'ancienne directrice de la communication du groupe, Brigitte Cachon. Cela m'a incité à plus de prudence dans mes contacts avec les ARS, au vu du contact étroit que certains de leurs employés avaient avec le groupe. Cela m'a beaucoup surpris, car j'aurais imaginé que mon enquête était utile pour la gestion de l'argent public dont les ARS sont responsables.

En revanche, certains inspecteurs des conseils départementaux de la Gironde et de la Vienne m'ont déclaré avoir le droit de me transmettre ces déclarations annuelles, de façon que je puisse procéder à ces vérifications, ce qu'ils ont effectivement fait. S'ils avaient eu la même attitude que les ARS que j'ai contactées, je n'aurais jamais pu obtenir de preuves. Je ne veux pas généraliser : je ne dis pas qu'il y a collusion avec les grands groupes dans toutes les ARS. En revanche, j'ai concrètement fait une telle expérience dans certaines d'entre elles. J'ai aussi relevé que plusieurs anciens salariés de ces agences étaient employés au siège du groupe et que des liens étroits subsistaient avec certaines ARS. Je ne m'attendais pas à de tels liens avec les autorités de contrôle.

Depuis 2017, on a progressivement mis en place les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM), conclus non plus par établissement, mais par groupement d'établissements. Si ce système avait été mis en place plus tôt, j'aurais eu encore plus de mal à démontrer les dysfonctionnements, du fait de l'opacité accrue des budgets.

La loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, qui a mis en place les CPOM, a, de ce point de vue, pleinement satisfait les demandes des dirigeants d'Orpea. Il y a désormais beaucoup moins de contrôles : on ne vérifie plus le nombre d'équivalents temps plein, mais seulement la masse salariale générale, et les excédents de dotation ne sont plus repris. Cette loi a été très utile au groupe ; je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Le CPOM est intéressant pour un établissement : cela lui permet d'avoir de la visibilité sur cinq ans. Mais, dans le cas d'un groupe, moins contrôlé, beaucoup d'échappatoires sont possibles.

M. Victor Castanet . - Plusieurs inspecteurs de conseils départementaux m'ont exposé ce mouvement : à un moment, l'État a décidé de faire confiance et de moins contrôler. Ils recevaient des consignes en ce sens. Un budget était établi ; il n'y avait pas de raison de reprendre de l'argent. L'approche du CPOM ne marche que si l'on considère que les grands groupes sont vertueux, mais il y a toujours des acteurs qui le sont moins que d'autres...

Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Votre livre a été un coup de tonnerre, même si les professionnels de ce secteur nous alertaient déjà sur leurs conditions de travail. Vous avez su montrer le caractère odieux de certaines pratiques dans le secteur lucratif.

Vous avez consacré un chapitre de votre ouvrage aux contrôles « bidons ». Vous évoquez le cas d'un contrôle annulé très peu de temps avant la date prévue grâce à l'intervention d'une personne influente. Vous venez encore d'évoquer les anciens salariés d'ARS ayant rejoint ces groupes privés. Disposez-vous d'éléments factuels sur ce point ? Pourriez-vous nous les communiquer ?

À votre connaissance, combien y a-t-il eu de contrôles inopinés et de contrôles préparés chez Orpea ces cinq dernières années ?

Les professionnels de ces établissements, travaillant dans des conditions déplorables et se voyant contraints de maltraiter les personnes hébergées, en souffrent. Les conseils de vie sociale peuvent-ils, selon vous, représenter une forme de médiation et de démocratie au sein des établissements ?

M. Victor Castanet . - Suivant un témoignage que j'ai reçu d'un cadre dirigeant d'Orpea, un contrôle a bien été annulé à la suite de l'appel de l'un des dirigeants du groupe à un salarié de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) d'Île-de-France. La personne qui m'en a fait part était notamment chargée de la préparation des contrôles dans les cliniques. Ces contrôles étaient peu nombreux : une dizaine en huit ans sur 50 établissements.

Un contrôle de conformité était effectué trois semaines après l'ouverture d'une clinique. Tout était évidemment parfait à ce moment ; c'est ensuite que l'on réduisait le personnel et que l'on augmentait la capacité d'accueil. En cas de contrôle par la suite, le groupe était contacté à l'avance par l'ARS, généralement un mois avant le contrôle. Ce cadre faisait ensuite le nécessaire : il allait chercher quelques aides-soignants supplémentaires dans une autre résidence, modifiait des contrats de travail et des plannings. Le jour même, il se rendait sur le site pour tout préparer en détail ; il lui était même arrivé de faire sortir du site, pour le temps du contrôle, des résidents surnuméraires.

Cette personne m'a rapporté certains faits qui l'avaient intriguée quant aux liens entre le groupe et certaines ARS. Orpea avait une bonne idée de la sévérité relative des contrôles dans les différentes régions. Certaines agences étaient plus attentives que d'autres quant aux excédents de dotation, d'autres étaient vues comme des amies ; c'était le cas de l'ARH d'Île-de-France.

Il est arrivé à cette personne de se trouver incapable de préparer correctement un contrôle prévu dans une clinique. Il s'en est ouvert à son supérieur, le patron de la branche Clinea, qui lui a promis de s'en occuper. Une semaine après, ce supérieur lui confirmait avoir appelé l'une des inspectrices de l'ARH d'Île-de-France : le contrôle n'aurait pas lieu.

Mon contact s'est rendu compte que cette inspectrice était en contact direct avec l'un des hauts dirigeants d'Orpea, ils déjeunaient ensemble régulièrement. Ce lien permettait notamment au groupe de disposer à l'avance d'informations relatives aux autorisations d'ouverture d'établissement. Après chaque rencontre avec cette inspectrice, les salariés du siège recevaient des instructions pour préparer tel ou tel dossier, trouver un terrain, des médecins... Orpea avait ainsi une longueur d'avance sur ses concurrents.

Cette inspectrice a fini par quitter l'ARH d'Île-de-France ; quelques jours après, elle était embauchée au siège du groupe, à un poste important dans le développement. Des cadres dirigeants d'autres groupes se sont aussi interrogés quant à cette embauche et au fait que l'État n'avait pas réuni de commission de déontologie pour déterminer la légalité d'une embauche aussi rapide dans un groupe privé auquel cette personne délivrait encore des autorisations d'ouverture quelques semaines plus tôt.

Je suis journaliste. Je n'ai aucun moyen de savoir si cette façon de faire est légale ou non. Ce qui est certain, c'est que des cadres dirigeants d'Orpea et d'autres patrons du secteur se posent la même question.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Vous avez le nom de cette personne ?

M. Victor Castanet . - Oui, j'ai son nom.

Avec ma maison d'édition, nous avons décidé de ne citer que les principaux dirigeants de ces groupes, et non l'ensemble des intervenants, non seulement pour des raisons juridiques, mais aussi parce qu'il s'agit davantage de dénoncer un système que de cibler des individus.

Quand il a été demandé au docteur Marian, à l'Assemblée nationale, si d'anciens fonctionnaires d'agences régionales de santé travaillaient au siège d'Orpea, il a longuement hésité avant de déclarer que le groupe avait peut-être recruté des consultants ayant ce profil. Je peux vous assurer qu'il s'agit non pas de consultants, mais bien de salariés ayant fraîchement quitté des ARS.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - La question sera posée sous serment aux opérateurs Orpea et Korian, mais nous aimerions que vous nous fournissiez les noms en votre possession, après en avoir discuté avec votre maison d'édition.

M. Victor Castanet . - Cette porosité des liens entretenus entre Orpea et certaines ARS pose question. Quand ce groupe embauche d'anciens hauts fonctionnaires à des postes importants, notamment dans le secteur du développement, c'est pour une raison précise : profiter de leurs contacts.

En ce qui concerne le conseil de vie sociale (CVS), je peux seulement dire que plus les familles sont impliquées dans le fonctionnement des établissements, mieux c'est. Les CVS peuvent faire remonter certains dysfonctionnements aux directeurs d'établissements. Pour autant, ce n'est pas la solution parfaite : on trouve des CVS chez Orpea. À partir du moment où les directeurs n'ont pas de pouvoir, les CVS peuvent toujours se plaindre, les choses ne changeront pas.

Certains directeurs se battent au quotidien pour que leurs résidences fonctionnent au mieux, mais eux aussi sont victimes de cette organisation.

De plus, Orpea a mis en place un système de primes : si les objectifs de qualité, et surtout de rentabilité, largement prédominants, sont atteints, les directeurs touchent des primes pouvant représenter de 15 000 à 18 000 euros par an. Ils sont donc poussés à faire des économies sur un budget déjà très serré.

Recevoir des primes pour avoir fait baisser des coûts, ce qui entraîne forcément une perte de qualité de la prise en charge, peut se révéler traumatisant : coincés entre leurs intérêts personnels et ceux de leurs résidents, de nombreux directeurs finissent par être dégoûtés de la façon dont ils exercent leur métier au sein d'Orpea. Beaucoup d'entre eux évoquent un choc post-traumatique et doivent faire des années de psychanalyse pour s'en remettre. Ils ont l'impression de participer à un système qui les pousse à agir contre leurs valeurs éthiques.

En outre, ce système permet aussi à la direction générale de se dédouaner : elle impose un budget très serré, qui crée le rationnement, et va ensuite inciter le directeur à aller encore plus loin, quitte à le pousser à la faute.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Après une grande fatigue, M. Le  Masne a pu être interrogé le 9 mars dernier. Selon lui, ces accusations sont portées par trois ou quatre personnes ayant été licenciées depuis longtemps et les faits reprochés remonteraient à plus de dix ans.

Il a également déclaré que les marges arrière n'existaient pas et qu'il n'y avait jamais eu ni limite de coûts pour tout ce qui concerne le résident ni rationnement de repas.

Nous serions intéressés par tous les éléments en votre possession permettant de contredire ces propos.

M. Victor Castanet . - Mon enquête s'étale sur trente ans. J'ai recueilli les témoignages des premiers collaborateurs d'Orpea jusqu'à ceux d'aujourd'hui, en 2021.

M. Le Masne a effectivement déclaré qu'il n'y avait aucun rationnement sur tout ce qui touchait aux résidents. Pour le contredire, il suffit d'écouter Jean-Claude Brdenk, le directeur général délégué à l'exploitation du groupe, qui a reconnu voilà quelques semaines qu'il existait des budgets « alimentation » de 4,35 euros par jour et par résident.

Tous les chefs cuisiniers auxquels j'ai parlé ont souligné qu'un tel budget les obligeait non seulement à rationner, mais aussi à peser chaque aliment. Comme je l'ai relevé à l'Assemblée nationale, j'ai été touché par ces témoignages de cuisiniers obligés de couper en deux des steaks hachés de 100 grammes pour servir deux repas à des personnes pesant parfois plus de quatre-vingts kilos. De même pour le rôti, dont la tranche ne devait pas excéder quarante grammes, soit deux bouchées, ou le beurre, dont les portions ne permettaient même pas aux résidents de tartiner leurs trois biscottes le matin.

Il s'agit d'un rationnement effrayant, surtout au regard du prix de la journée. Les établissements Orpea sont parmi les plus chers de France. Tous n'atteignent pas les tarifs des Bords de Seine, entre 7 000 et 8 000 euros par mois, mais ceux d'entrée de gamme coûtent entre 2 500 et 3 000 euros par mois, et les cuisiniers dont j'ai recueilli les témoignages travaillaient dans des établissements coûtant entre 4 000 et 5 000 euros par mois.

Mme Chantal Deseyne . - Les révélations de votre livre ont eu l'effet d'une bombe dans le secteur du grand âge et de la dépendance, mais aussi dans l'opinion. On savait qu'il existait localement des cas de maltraitance, mais on ignorait qu'il s'agissait d'un système organisé, avec la connivence éventuelle des ARS.

Avez-vous subi des pressions de la part de ces groupes, notamment Orpea et Korian, pour empêcher votre enquête d'aboutir et votre livre de paraître ?

Mme Véronique Guillotin . - Le début de votre livre laisse penser que ces restrictions étaient ciblées sur les personnes les plus fragiles, souffrant de troubles cognitifs, et qui recevaient le moins de visites, alors que d'autres, plus en forme et à même de s'exprimer, étaient mieux traitées. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Vous évoquez la mise en place d'une fin de vie parfois effroyable, sans en avertir la famille, à travers un cas particulier. Avez-vous connaissance d'autres exemples d'administration de médicaments pouvant être létaux à des personnes ne l'ayant pas demandé ?

M. René-Paul Savary . - Je m'étais opposé à la mise en place des CPOM, qui rendaient les choses encore plus complexes. J'avais d'ailleurs été surpris de voir des syndicats soutenir ce dispositif.

Le directeur de mon département m'a récemment confirmé que déterminer les prix de journée à travers les CPOM, surtout avec plusieurs établissements de nature différente sur un même département, était aujourd'hui d'une difficulté sidérante.

Le département verse directement certaines prestations, notamment l'APA, aux établissements GIR 1 à 4. Pour ce faire, on établit un GIR pondéré. Si je comprends bien le système que vous décrivez, les dotations versées aux établissements selon ce GIR moyen pondéré qui ne seraient pas entièrement utilisées remonteraient dans les comptes du groupe, au niveau national, pour masquer ce détournement. Ai-je bien compris ?

M. Olivier Henno . - Beaucoup d'entre nous ont déjà siégé dans des conseils d'administration d'Ehpad publics ou associatifs à but non lucratif. Nous disposions alors des comptes et des budgets prévisionnels.

Les comptes de chaque établissement de ces groupes sont-ils individualisés ou globalisés ? S'ils sont globalisés, comment la tutelle peut-elle accepter une telle situation ?

M. Victor Castanet . - Mes sources et moi avons effectivement subi certaines pressions.

J'ai d'abord conduit mon enquête pour un grand quotidien national. Lorsque le groupe a été au courant de mes recherches, ses dirigeants ont demandé à me rencontrer, ce qui est très inhabituel. Normalement, ils ferment l'accès de tous leurs Ehpad et cliniques et dissuadent les journalistes d'enquêter. J'ai refusé de les rencontrer. Le groupe a alors contacté le quotidien pour lequel je travaillais en dénonçant mes méthodes, prétendant qu'elles n'étaient pas déontologiques.

Par la suite, tout au long de mon enquête, j'ai reçu courriers et mails, parfois très menaçants, me demandant très clairement d'arrêter. Au début de la crise sanitaire, j'ai continué de rencontrer des personnels et aides-soignants qui acceptaient de raconter ce qui se passait dans le groupe. J'ai reçu des messages très menaçants expliquant que mon enquête mettait en péril le travail des équipes du groupe, ce qui risquait de causer des accidents en période d'épidémie de covid-19.

Certaines de mes sources ont été contactées par le groupe avant que je les rencontre et ont refusé de s'exprimer ; d'autres, qui m'avaient déjà transmis des documents, par exemple, se sont ensuite murées dans le silence et ont fait machine arrière. Beaucoup avaient peur des agissements du groupe.

Dans la mesure où il s'agissait d'une enquête sur un des gestionnaires de maisons de retraite, j'ai d'abord pris cela pour de la paranoïa. Mais j'ai découvert ensuite les méthodes du groupe : appel à des officines de surveillance pour infiltrer ses salariés, notamment les syndiqués, et monter des dossiers à leur encontre ; recours à des directeurs « nettoyeurs » - l'un d'entre eux a accepté de témoigner dans mon livre - chargés de licencier des salariés, parfois de manière extrêmement brutale ; attestations demandées aux aides-soignantes à l'encontre des directeurs licenciés... Quand vous êtes aide-soignante et que vous gagnez 1 800 ou 2 000 euros, vous faites l'attestation qu'on vous demande.

Le groupe est habitué à prendre des libertés avec le droit du travail. Il a même mis en place un syndicat maison, Arc-en-ciel, dirigé par le service des ressources humaines d'Orpea. Des salariés se sont ainsi retrouvés face à leur direction, accompagnés d'un élu d'Arc-en-ciel qui n'était pas là pour les défendre...

Le groupe a mis en place tout un tas de pratiques pour tenir le personnel et dissuader ceux qui avaient été licenciés de jamais dénoncer les pratiques du groupe. Beaucoup des sources que j'ai rencontrées étaient terrifiées - le mot n'est pas trop fort - à l'idée de témoigner. Certains anciens directeurs pensaient même que j'étais une taupe au service du groupe !

En ce qui concerne le ciblage, le système mis en place crée des situations de maltraitance. Pour autant, il n'y a pas d'actes de maltraitance quotidiens dans les établissements Orpea. Ce système aura moins d'impact sur une personne âgée non dépendante. Un certain nombre d'établissements, notamment les Bords de Seine, à Neuilly, s'apparentent à des hôtels de luxe. Par contre, tout l'aspect médical est défaillant : dès les premières dépendances, ce système devient destructeur. Et si votre famille est peu présente, vous ne pouvez plus vous plaindre à personne. Les personnes les plus touchées, comme l'ont relevé les aides-soignantes, les auxiliaires de vie ou les directeurs que j'ai rencontrés, sont celles qui sont placées en unité protégée et souffrent de troubles sévères. C'est une situation parfois assez terrible.

Mme Véronique Guillotin . - Ma question ne portait pas tant sur l'aspect médical que sur l'alimentation et le quotidien. Les personnes payant parfois 7 000 euros par mois et ayant toute leur tête étaient-elles soumises au même régime, avec un demi-steak haché dans leur assiette ou seulement trois biscottes ?

M. Victor Castanet . - Non, les rationnements se faisaient sur les plus fragiles ou sur les patients qui payaient moins cher, même s'il y a aussi un coût repas journalier aux Bords de Seine, certes plus élevé. C'est d'ailleurs dans cet établissement que les protections étaient limitées à trois par jour. Certaines familles, qui payaient 8 000 euros ou plus par mois, achetaient elles-mêmes des protections pour être sûres que leur proche soit changé.

À d'autres, qui s'étaient plaintes de dysfonctionnements, notamment d'un manque de personnel, la direction a proposé des dames de compagnie. L'un des dirigeants a expliqué qu'il n'y avait aucune dame de compagnie dans les établissements, mais beaucoup de familles m'ont expliqué que ce sont bien les directeurs qui leur ont proposé de prendre une dame de compagnie, présente dans l'établissement, qu'il fallait rémunérer environ 700 euros par mois.

Aux Bords de Seine, on m'a aussi rapporté que l'on témoignait d'un peu plus d'égards aux anciennes personnalités politiques ou médiatiques, par exemple.

En ce qui concerne les excès de dotations, le système fonctionnait de la même manière pour le forfait soins ou le forfait dépendance. Ces établissements reçoivent des dotations annuelles en fonction du nombre de résidents et du GIR. Le directeur remplissait une déclaration de fin d'année retraçant ses dépenses, qu'il envoyait au siège. Elle était alors contrôlée par Yves Le Masne et par le service chargé de la tarification. Et c'est le siège qui transmettait ensuite cette déclaration aux conseils départementaux et aux ARS.

Le directeur d'établissement avait l'interdiction d'avoir le moindre échange avec ces derniers ; il ne pouvait même pas leur répondre au téléphone. Je ne comprends d'ailleurs pas que les ARS et les conseils départementaux aient accepté une telle situation. S'ils avaient besoin d'éclaircissements, ils appelaient non pas le directeur d'établissement, mais le siège, notamment la responsable du service tarification. Or le seul à même de pouvoir dire ce qu'il a dépensé dans son établissement, c'est le directeur. Et c'est lui qui aurait pu alerter sur un manque de personnel dans sa résidence. Cependant, les ARS et les conseils départementaux ont accepté cette centralisation.

Au regard des documents que j'ai pu obtenir, et je crois savoir que l'Inspection générale des finances a constaté la même chose, il existe un écart entre les déclarations des directeurs et les documents transmis par le siège aux autorités de contrôle. M. Véran a annoncé plus de contrôles, plus d'inspecteurs. Il a même dit que les ARS allaient contrôler les 7 500 Ehpad. Mais c'est le siège qu'il faut contrôler...

M. René-Paul Savary . - Malheureusement, il me semble que la loi ne le permet pas.

M. Victor Castanet . - Personne n'a contrôlé le siège d'Orpea ces dernières années. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n'aurait-elle pu s'en charger ?

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Tout l'intérêt de cette mission d'information est de proposer des modifications législatives. Et nous le ferons.

M. Victor Castanet . - Ces grands groupes ont tout centralisé depuis des années.

M. René-Paul Savary . - Les contrôles qui ont été annoncés ne vont donc servir à rien. Comme vous le soulignez, il faut plutôt les diriger vers les sièges.

M. Laurent Burgoa . - Si vous aviez une proposition à nous faire pour améliorer le contrôle des Ehpad, quelle serait-elle ?

M. Victor Castanet . - Il faut bien évidemment mettre en place un système de contrôle centralisé, mais ce n'est pas tout.

Orpea était géré par un ancien contrôleur de gestion. Les inspecteurs que j'ai rencontrés ne connaissent rien à la comptabilité analytique ou aux circuits financiers. Ils ont une expertise médicale ou en droit du travail, mais aucune expertise comptable ou financière. Les groupes dont nous parlons s'appuient sur des équipes de haut niveau ; il faut donc des inspecteurs formés à ces domaines de compétence. Peut-être même faudrait-il recruter d'anciens professionnels du secteur, plus à même de déceler les failles.

M. Laurent Burgoa . - Est-ce aux ARS ou aux conseils départementaux de toujours contrôler ou faut-il une structure administrative autonome ?

M. Victor Castanet . - Il serait très bienvenu d'instaurer une autorité indépendante composée d'experts. Cela permettrait d'assurer une forme d'indépendance vis-à-vis de ces groupes.

Je ne veux pas jeter l'opprobre sur les ARS en général, mais comment un groupe comme Orpea, leader mondial du secteur, a-t-il pu mettre en place de telles pratiques depuis vingt ans sans qu'aucune ARS ou aucun conseil départemental s'en inquiète ?

Je ne pense pas que recruter une centaine d'inspecteurs supplémentaires ou contrôler tous les Ehpad soit la solution.

Mme Brigitte Micouleau . - Il faut aussi tenir compte des familles, qui sont les premiers lanceurs d'alerte.

M. Victor Castanet . - Tout à fait.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Il y a deux étages : d'une part, la vie des établissements, quels qu'ils soient, y compris publics, et les formes de maltraitance que l'on peut y rencontrer, d'autre part le contrôle de ces grands groupes, qui ont la mainmise sur ce secteur. Il faut mettre en place les contrôles financiers nécessaires, notamment en ce qui concerne les détournements de fonds publics.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Cette mission d'information a vocation à déboucher sur des propositions concrètes dans le cadre de l'élaboration de la loi sur le grand âge. Nous voulons prendre des décisions fortes à l'endroit de ces groupes privés. Les choses ne peuvent continuer ainsi. C'est une question de morale.

Pendant très longtemps, les conseils départementaux distribuaient l'APA aux bénéficiaires, de manière individualisée, et non aux établissements. C'est avec le GIR moyen pondéré que les choses ont changé. Par ailleurs, les départements n'avaient rien à dire sur l'installation de ces groupes, qui dépendait d'une autorisation de l'ARS.

J'ai ainsi appris avec surprise qu'il y avait des Orpea et des Korian dans mon département, alors que je n'en ai jamais autorisé un seul. Au contraire, j'avais rencontré M. Marian voilà quelques années pour lui dire que nous n'avions pas les moyens d'implanter ses établissements dans la Loire. Beaucoup de groupes rachètent des établissements existants. C'est là qu'est tout le problème.

M. Victor Castanet . - Il s'agit d'un point très important. Ces groupes, en plus d'avoir obtenu des autorisations de manière parfois douteuse, ont aussi racheté beaucoup d'établissements.

Lorsque je l'ai rencontré, M. Claude Évin m'a affirmé qu'il n'était pas possible de transférer une autorisation d'implantation sans accord des ARS. Pourtant, c'est bel et bien possible : des directeurs d'ARS m'ont expliqué que beaucoup de structures, à peine montées, étaient rachetées par de grands groupes sans qu'ils aient leur mot à dire.

Il faut bien comprendre qu'une autorisation, délivrée gratuitement par l'État, vaut au moins 1 million d'euros le lendemain de la délivrance. Ce marché des achats et reventes d'autorisations est gigantesque. Dans les comptes annuels d'Orpea, le solde des immobilisations incorporelles représente plus de 2 milliards d'euros.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Nous comptons bien aller au fond des sujets dans le cadre de ce contrôle.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci de votre participation à nos travaux, Monsieur Castanet.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de syndicats
représentant les corps d'inspection des ARS

(Mercredi 16 mars 2022)

Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), nous entendons ce matin les représentants de syndicats représentant les corps d'inspection des agences régionales de santé (ARS) : M. Stéphane Bernard, secrétaire général adjoint du syndicat national des inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, M. Thierry Fouéré, président du syndicat des médecins inspecteurs de santé publique, M. Aissam Aimeur, président du syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.

Je rappelle que la commission des affaires sociales du Sénat a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs . Cet ouvrage pointe notamment l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés, non pas sur les groupes, mais sur les établissements, et l'incapacité des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public.

C'est pourquoi nous avons choisi de nous intéresser à la question du contrôle.

Depuis la parution du livre, différentes investigations ont été lancées, notamment une mission conjointe de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF), et le Gouvernement a fait différentes annonces, notamment celle du lancement d'un vaste programme de contrôle. Ce dernier point a suscité des réactions diverses entre ceux qui ont salué cette démarche et ceux qui ont regretté qu'elle se fasse au détriment des établissements et des ressources dont ils disposent.

Messieurs, je vous remercie de vous exprimer sur ces points en quelques minutes chacun, afin de laisser le maximum de temps aux échanges, et demande à tous d'être concis dans les questions et les réponses.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stéphane Bernard, Picquet, M. Thierry Fouéré et M. Aissam Aimeur prêtent serment.

M. Aissam Aimeur, président du syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique . - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, notre propos liminaire prendra la forme d'une déclaration commune à nos trois organisations.

Avant tout, nous tenons à vous remercier de nous avoir conviés à vos travaux dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad.

Nous souhaitons vous faire part de notre diagnostic partagé sur les missions de contrôle mises en oeuvre par les agences régionales de santé. Il nous semble important de clarifier la notion de contrôle, parce qu'elle est souvent confondue, y compris au sein des ARS par certains de nos dirigeants, avec des notions plus ou moins voisines, comme celles d'évaluation, de certification ou d'audit, et de vous en indiquer notre définition.

Pour nous, en tant que corps d'inspection, le contrôle est une mission régalienne, qui consiste à procéder à des investigations approfondies et qui met surtout en oeuvre l'autorité publique, en application de pouvoirs conférés par la loi. Le contrôle vise alors à vérifier qu'une structure ou un professionnel veille bien au respect de la réglementation qui lui est applicable. Il permet non seulement de signaler des écarts à la norme juridique, mais surtout de mettre en évidence des dysfonctionnements ou des anomalies, d'identifier des risques majeurs, notamment des pratiques déviantes, en vue de les faire cesser ou de demander à ce qu'il y soit remédié, afin de garantir la sécurité des personnes.

À la différence de l'évaluation ou de l'audit, le contrôle constitue une activité susceptible d'entraîner des mesures de police administrative, voire des sanctions de nature administrative ou de nature financière. Pour des professionnels inscrits à un ordre professionnel, cela peut aussi déboucher sur des sanctions disciplinaires ordinales, voire sur des sanctions pénales. En effet, certains inspecteurs comme les pharmaciens inspecteurs, qui sont assermentés, sont habilités à rechercher et à constater des infractions pénales.

Le contrôle s'appuie sur deux modes d'investigation qui sont cumulables : d'une part, le contrôle sur pièces, c'est-à-dire documentaire, sans déplacement, d'autre part, le contrôle sur site, que nous appelons « inspection » dans notre jargon. Une inspection peut être prévue, dans le cadre d'une programmation qui peut être annuelle ou pluriannuelle, déclenchée en urgence, en cas de risque grave pour la santé ou de crise médiatique, comme on le voit aujourd'hui. Par ailleurs, elle peut être inopinée ou annoncée quinze jours ou un mois avant.

Bien que la loi prévoie que l'inspection-contrôle fasse partie intégrante des missions des ARS, cette activité ne constitue absolument pas une priorité pour ces agences, nous tenons à insister sur ce point : c'est sans nul doute une mission accessoire, qui passe au second plan, voire au dernier plan en fonction des structures - cela dépend fortement de la personnalité du directeur général de l'ARS. Il n'est donc pas étonnant de constater la marginalisation des corps d'inspection au sein des ARS.

Cela fait plus de dix ans que nous évoquons cette situation lors d'inspections ou d'évaluations réalisées par l'IGAS ou à l'occasion des missions d'évaluation et de contrôle de la sécurité nationale (Mecss) du Sénat et de l'Assemblée nationale. C'est pour nous un fait établi et avéré.

La suppression de l'activité d'inspection-contrôle dans les lettres de mission signées par le ministre des solidarités et de la santé et adressées aux directeurs généraux des ARS est intervenue en 2019. Avant, cet objectif y figurait. Cela confirme bien que ce n'est pas prioritaire, y compris par le niveau national.

De la même façon, les objectifs et les indicateurs de suivi qui concernent cette activité ont également été retirés des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) signés entre les ARS et l'État.

M. Stéphane Bernard, secrétaire général adjoint du syndicat national des inspecteurs de l'action sanitaire et sociale . - En 2022, alors que les lettres de mission pour la période 2022-2025 sont en cours de signature entre le ministre des solidarités et de la santé et les directeurs généraux d'ARS - je rappelle qu'une lettre de mission est en quelque sorte un contrat ou une feuille de route que signe chaque directeur général de l'ARS avec le ministre des solidarités et de la santé lui fixant ses objectifs pour une période de trois ans -, à notre connaissance, l'inspection-contrôle ne figure toujours pas parmi les priorités. Compte tenu du contexte, il y a là un paradoxe.

En 2019, un rapport de l'IGAS le mentionnait et sonnait l'alerte sur ce sujet.

M. Aissam Aimeur . - Depuis la mise en place des ARS en 2010, nos trois organisations syndicales n'ont eu de cesse d'alerter les responsables du ministère des solidarités et de la santé, les directeurs généraux d'ARS, les parlementaires, d'une part, de la diminution très inquiétante du nombre des inspections et les contrôles effectués par les ARS, d'autre part, des difficultés rencontrées sur le terrain par les inspecteurs pour exercer leur mission au sein de ces agences.

L'IGAS, qui s'intéresse beaucoup à la mission d'inspection-contrôle depuis plus de trente ans, a rendu plusieurs rapports en ce sens. Depuis la mise en place des ARS se sont développées des missions d'appui et de conseil et ont été publiés des rapports d'évaluation ; il en existe à ma connaissance au moins trois sur la fonction d'inspection-contrôle. Surtout, l'IGAS dresse tous les ans un bilan quantitatif et semi-qualitatif de l'activité d'inspection-contrôle.

En outre, en 2013, un référé de la Cour des comptes concernant spécifiquement le corps des pharmaciens inspecteurs a relevé que ce corps n'inspectait plus et a enjoint d'y remédier.

En 2014, l'ancien président de mon syndicat a expliqué devant la Mecss du Sénat que la situation était très difficile. Cela a été pris en compte dans le rapport, mais rien n'a vraiment changé depuis huit ans.

L'année dernière, au mois de février 2021, avec mes collègues ici présents, j'ai été auditionné par la Meccs de l'Assemblée nationale. Le rapport, publié au mois de juin, pointe de nouveau la difficulté liée à l'inspection-contrôle.

On peut donc dire de manière manifeste que ce problème est connu depuis au moins depuis dix ans, depuis la mise en place des ARS. Nous avons pour notre part joué notre rôle d'alerte face à une situation qui n'allait pas. Depuis cette date, les choses n'ont pas évolué de manière substantielle.

M. Stéphane Bernard . - Le rapport de la Mecss de l'Assemblée nationale de juin 2021 comporte une proposition n° 11, préconisant de renforcer l'inspection dans les ARS et de clarifier sa place.

M. Aissam Aimeur . - Tous ces rapports, qu'ils soient administratifs ou parlementaires, ont confirmé ces constats alarmants, notamment le fait que la mise en place des ARS s'est accompagnée d'un recul significatif des missions d'inspection et de contrôle.

Si l'on entre dans le détail, on s'aperçoit que les moyens humains consacrés à l'inspection-contrôle par les ARS sont très insuffisants. Les données les plus fiables et consolidés à notre disposition sont celles de 2018 - au 1 er janvier 2018 a été mis en place un logiciel informatique métier dédié à l'inspection-contrôle, qui a succédé à un système déclaratif sous forme de tableaux Excel.

Ainsi, en 2018, environ 8 500 personnes, soit 8 300 équivalents temps plein (ETP), travaillaient dans les ARS. Parmi elles, 2 700 étaient juridiquement habilitées à réaliser des contrôles ; elles étaient réparties en deux groupes. Le premier groupe, qui représentait 80 % de ce vivier humain, est constitué de corps statutaires comme les nôtres - inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, médecins inspecteurs de santé publique, pharmaciens inspecteurs - et de trois autres corps s'occupant de la santé environnementale - ingénieurs d'études sanitaires, ingénieurs du génie sanitaire, techniciens sanitaires -, soit 2 231 agents habilités par la loi à réaliser des contrôles. Le second groupe est constitué de 536 agents de droit privé ou de droit public, essentiellement des contractuels ou des personnes en détachement issues des fonctions publiques territoriale ou hospitalière, qui, juridiquement, ne sont pas habilitées à procéder à des inspections ; toutefois, la loi a prévu que le directeur général de l'ARS pouvait les habiliter à l'inspection-contrôle et leur donner la qualité d'inspecteur ou de contrôleur après une formation qualifiante de quatre semaines ; dans le jargon, on les appelle les Icars, les inspecteurs-contrôleurs des ARS.