II. ....QUI SUSCITE DE VIVES RÉACTIONS, ENTRE ADHÉSION ET CONTESTATION
On retrouve, au niveau européen, le débat qui existe en France entre les partisans d'une approche « par le statut » et ceux prônant une approche « par les droits ».
A. LA MAJORITÉ DES PLATEFORMES OPPOSÉES AU TEXTE, MALGRÉ DES DIFFÉRENCES D'APPRÉCIATION SELON LEUR SECTEUR D'ACTIVITÉ
1. Les plateformes de livraison de repas et de VTC majoritairement hostiles à la présomption de salariat
Comme indiqué précédemment, ces plateformes, au vu de leur fonctionnement, sont les plus concernées par la problématique du statut et les demandes en requalification de contrat salarié. Elles sont donc, logiquement, les parties prenantes les plus critiques vis-à-vis de ce texte, qui établit une présomption réfragable de salariat.
Si ces plateformes affirment leur soutien à l'objectif de la Commission d'améliorer les conditions de travail des travailleurs et de promouvoir une croissance durable des plateformes dans l'UE, elles estiment que cette directive va à l'encontre de la flexibilité plébiscitée par les travailleurs partout en Europe et que le texte conduira à une destruction de milliers d'emplois. Elles s'interrogent également sur la baisse réelle du contentieux censée en découler, au vu de la complexité du mécanisme.
Les plateformes estiment que la proposition de directive conduirait à la suppression de 250 000 emplois de livreurs et 150 000 emplois de chauffeurs à travers l'Europe, selon une étude de « Copenhagen Economics » de 2021. Toutefois, il convient de noter que cette étude - reposant sur un sondage auprès des travailleurs de plateforme - indique, en réalité, que ces pertes d'emplois seraient constatées si on obligeait les travailleurs à travailler à des heures déterminées. Or, la proposition de Commission n'impose aucunement de travailler à des heures déterminées, mais prévoit simplement la présomption de salariat. Par ailleurs, d'après l'étude d'impact de la Commission et de premières analyses menées en France (cf. infra et supra), cette directive aurait un impact favorable sur le revenu des travailleurs les plus précaires, et conduirait ainsi à des emplois de « meilleure qualité ».
Opposées à la solution statutaire, ces plateformes sont favorables à la mise en place de dispositifs de dialogue social et de renforcement des droits, comme la législation française le prévoit. Certaines de ces plateformes ont ainsi émis plusieurs propositions afin d'améliorer la directive :
- rendre effective la présomption de salariat seulement si plus de la moitié des critères énoncés par la directive sont effectivement remplis ou établir une définition positive visant à établir « une présomption de non-salariat » (sur le modèle de l'ordonnance Yodel) ;
- rétablir un effet suspensif de la présomption pour garantir la sécurité juridique de la relation.
Certaines plateformes de livraisons ont misé sur le modèle du salariat
Parmi elles, Just Eat a fait le choix d'embaucher des livreurs salariés : 40 000 salariés dans 200 villes en Europe. En France, elle a employé jusqu'à 4500 livreurs en CDI en 2021, avant un plan de sauvegarde de l'emploi en 2022 prévoyant le licenciement de plusieurs centaines de coursiers. Le modèle salarié devrait être recentré sur sept villes (Paris, Marseille, Lyon, Toulouse, Strasbourg, Lille et Roubaix) où Just Eat France réalise 75% de son activité. Dans les autres villes, Just Eat pourrait confier le marché à une autre plateforme, Stuart.
Ce « retour en arrière » en France s'explique par le fait que Just Eat n'est pas leader sur le marché en France, et s'y trouve devancé par Uber eats et Deliveroo. Ce service de livraison engendre des charges trop élevées pour être absorbées par l'activité préexistante de marketplace mettant en relation clients et restaurateurs. Dans d'autres pays européens, Just Eat est leader et opère selon le modèle du salariat.
Il est intéressant de noter que le modèle des coopératives est également en train de se développer. Mises sur pied par des anciens d'Uber Eats et de Deliveroo, elles sont désormais une dizaine en France.
2. D'autres types de plateformes également inquiètes par cette proposition de directive
Les rapporteurs ont entendu d'autres plateformes, comme la plateforme d'auto-école en ligne, En Voiture Simone, et la plateforme Brigad, qui met en relation des professionnels de l'hôtellerie/restauration et du médico-social avec des entreprises pour des missions de courte durée.
Si Brigad estime ne remplir aucun des cinq critères qui caractériseraient le contrôle de l'exécution d'un travail au sens de la proposition de directive, elle demeure inquiète de son application. Elle considère effectivement que la proposition de directive ne tient pas suffisamment compte des spécificités de certains modèles de plateforme, estimant nécessaire de restreindre la définition de la plateforme de travail numérique ou d'augmenter le nombre de critères à remplir pour cibler précisément les modèles concernés.