N° 743

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux entreprises (1) relatif à la simplification des règles et normes applicables aux entreprises,

Par MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jean-Pierre MOGA et Olivier RIETMANN,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : M. Serge Babary, président ; M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Gilbert Bouchet, Emmanuel Capus, Mme Anne Chain-Larché, MM. Gilbert-Luc Devinaz, Thomas Dossus, Fabien Gay, Jacques Le Nay, Dominique Théophile, vice-présidents ; MM. Rémi Cardon, Jean Hingray, Sébastien Meurant, Vincent Segouin, secrétaires ; Mmes Cathy Apourceau-Poly, Annick Billon, Nicole Bonnefoy, MM. Michel Canévet, Daniel Chasseing, Alain Chatillon, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, M. Alain Duffourg, Mme Pascale Gruny, MM. Christian Klinger, Daniel Laurent, Martin Lévrier, Stéphane Le Rudulier, Didier Mandelli, Jean-Pierre Moga, Albéric de Montgolfier, Claude Nougein, Mme Guylène Pantel, MM. Georges Patient, Sebastien Pla, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, MM. Christian Redon-Sarrazy, Olivier Rietmann, Daniel Salmon.

7 RECOMMANDATIONS POUR SIMPLIFIER LA VIE DES ENTREPRISES

N° de la recommandation

Recommandations

Destinataires responsables

Calendrier prévisionnel

Support/action

1

Évaluer le poids des normes :

Organiser une conférence des évaluateurs (rassemblant le Parlement, la Cour des comptes, le Conseil économique, social et environnemental, le Conseil d'analyse économique, le SGG, la DITP, le CGEFI, France Stratégie, les corps d'inspection ou autres1(*)) pour établir une méthodologie commune d'évaluation du poids de normes, de recensement des normes et procédures, de construction d'un agrégat du coût des normes.

France Stratégie

2024

Conférence de consensus

2

Engager une politique publique de long terme, associant tous les acteurs de la norme :

Voter une loi de programmation de la simplification des normes applicables aux entreprises d'une durée de cinq ans, pouvant être ajustée à mi-parcours ;

Évaluer en Conseil des ministres, tous les 6 mois, l'état d'avancement du programme de simplification ;

Examiner au sein du Conseil national de simplification pour les entreprises, tous les 2 mois, l'état d'avancement du programme de simplification.

Parlement

Premier ministre

Premier ministre

2024 puis à l'occasion de chaque nouvelle législature

À compter de 2025

À compter de 2025

Projet de loi de programmation de la simplification

3

Conduire une politique de simplification au sein de l'administration d'État associant les entreprises :

Créer un Conseil national de la simplification pour les entreprises ;

Nommer un Haut-commissaire à la simplification pour les entreprises, directement rattaché au Président de la République, pour un mandat de 5 ans.

Désigner dans les ministères, établissements publics et agences de l'État un correspondant à la simplification.

Parlement

Administrations centrales

Opérateurs de l'État

Automne 2023

Automne 2023

Proposition de loi créant un Conseil national de simplification pour les entreprises

Circulaire

du Premier ministre

4

Renforcer l'association des entreprises aux normes les concernant en instaurant une obligation d'accompagnement et de conseil

Mieux différencier les normes selon la taille des entreprises

Premier ministre

À compter de 2025

Circulaire

du Premier ministre

5

Expérimenter, tester et évaluer les normes applicables aux entreprises :

Engager l'étude d'impact dès l'annonce d'une norme ou d'une politique publique ayant un impact significatif sur la vie des entreprises.

Étendre l'étude d'impact aux amendements du Gouvernement ayant un impact significatif sur les entreprises, et l'actualiser au cours de la navette parlementaire.

Créer un service mutualisé (interministériel) auprès du SGG, consacré à l'appui des administrations centrales pour évaluer la charge des normes pour les entreprises.

Développer les expérimentations dans le domaine économique et fiscal

Recourir obligatoirement au « test PME », pour les normes ayant un impact significatif.

Évaluer ex-post régulièrement les normes, procédures et autorisations administratives, aux moments

clés de la vie des entreprises.

Premier ministre

1er janvier 2024

Circulaire

du Premier ministre

6

Simplifier le langage administratif et obliger l'administration à accompagner les entreprises :

Accompagner toute réforme impactant significativement la vie des entreprises d'un mode d'emploi sur les sites internet des acteurs concernés, en simplifiant le langage administratif.

Premier ministre

2024

Circulaire

du Premier ministre

7

Mieux articuler norme et normalisation :

Intégrer le recours au droit souple comme option dès l'étude d'impact.

Associer le Délégué interministériel aux normes et l'AFNOR aux travaux du Conseil national de la simplification pour les entreprises.

Premier ministre

2024

Circulaire

du Premier ministre

L'ESSENTIEL

Il est temps d'en finir avec la politique de l'autruche concernant la complexité et le poids des normes pesant sur les entreprises. L'allégement de la charge administrative ou des coûts de conformité que les entreprises supportent de la part des différents acteurs publics (Union européenne, État, collectivités publiques, autorités indépendantes) est l'un des rares gisements de productivité que la France peut exploiter.

La simplification des normes applicables aux entreprises ne résultera pas d'un « grand soir » mais d'un effort de long terme, qui requiert une volonté politique constante portée au plus haut niveau de l'État. Tous les outils d'une politique publique efficace existent. Il manque la volonté politique de les activer. En effet, depuis 2017 plus aucun membre du gouvernement est en charge de la simplification. Les entreprises françaises doivent être davantage associées à la construction des normes les concernant. Le fardeau administratif qui entrave leur compétitivité doit être mieux identifié et davantage évalué pour être allégé.

A. UN FARDEAU NORMATIF CROISSANT QUI NUIT À LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES

44 millions de mots : des normes toujours trop nombreuses

Depuis 2018, le flux des normes étatiques (lois, ordonnances, décrets, arrêtés) est mesuré, même si le stock demeure toujours inconnu, comme l'est le nombre de procédures ou demandes d'information émanant des autres auteurs de la norme ou de l'Union européenne. Il fait apparaître une prolifération normative mettant toujours davantage la norme hors de portée des entreprises.

Source : Christophe Éoche-Duval, conseiller d'État

Les principaux codes utilisés par une entreprise se sont fortement épaissis en nombre d'articles depuis 2002 : le code l'environnement a cru de 653 %, le code de commerce de 364 % et le code de la consommation de 311 %.

Le coût macro-économique de la réglementation pesant sur les entreprises n'est pas connu avec certitude, variant du simple au double. Il est estimé a minima par le gouvernement à 3 % du PIB soit 60 milliards d'euros par an. Le classement du Forum économique mondial plaçait en 2019, la France au 65ème rang mondial pour la performance du secteur public en raison du « fardeau de la réglementation ».

La norme excessive créée une rente au détriment des entreprises, surtout des PME obligées de s'adresser aux professionnels de la complexité, elle réduit donc la concurrence et pénalise l'emploi. Une note de France Stratégie de novembre 2019 a ainsi souligné que « si la France n'avait pas révisé son environnement réglementaire depuis 1998, le taux de chômage serait aujourd'hui plus élevé d'environ 2 points de pourcentage et le PIB plus faible d'environ 2,5 points ».

À cet impôt papier s'ajoute une administration qui s'investit davantage dans le contrôle et la sanction que dans le conseil et l'accompagnement.

La normalisation volontaire est en revanche un facteur d'efficience économique permettant de réduire la complexité, en participant à son recentrage ou son alignement. Ce droit souple est plébiscité par les entreprises, qui participent à sa construction. Les entreprises qui utilisent ces normes volontaires connaissent une croissance de 23 % de leur chiffre d'affaires et de 20 % de leurs exportations.

Un fardeau évalué et dénoncé depuis trop longtemps

Depuis la célèbre apostrophe du Président Pompidou en 19662(*), nombreux ont été les Premiers ministres de la Ve République à dénoncer « la paperasse » et à engager des programmes de simplification des procédures et des normes soit pour « libérer l'initiative économique » soit pour « participer au renouveau du service public ». Depuis, de nombreux rapports ont dénoncé l'inflation normative et ont proposé des solutions qui ont été mises en oeuvre de façon trop timorées, ou ignorées.

Si la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 reconnaît que « la norme peut aussi être une contrainte pour la compétitivité des entreprises », le coût de la production règlementaire pour celle-ci n'est toujours pas évalué avec rigueur. Pourtant, ce fardeau pèse toujours davantage sur les entreprises. Ainsi, une enquête de CCI France en décembre 2022, relève que la majorité des dirigeants considère que les obligations liées à la gestion d'une entreprise se sont alourdies : 61 % jugent qu'elles sont plus compliquées à gérer, dont 36 % beaucoup plus compliquées.

Selon une consultation menée par le Sénat en avril 2023, les entreprises estiment que :

90 %

« pas adaptées à toutes les situations »

80 % des entreprises pensent que l'administration doit mieux les accompagner et conseiller

84 % des normes « pas faciles à comprendre »

82 % « pas accompagnées d'une information adéquate »

Pour les 783 entreprises qui se sont exprimées lors de cette consultation, l'impact organisationnel des normes s'apparente parfois une « furie administrative » créant toujours davantage de « complexité, coûteuse et inutile » provoquant une inévitable « anxiété permanente » en même temps qu'une « perte de chiffre d'affaires ». Parfois tout simplement « inapplicables », ces normes démontrent le « fossé présent entre l'administration et la réalité de la vie des entreprises ».

La parole des entreprises sur les normes :

76 %

« le nombre de normes a augmenté »

81 %

« leur complexité a augmenté »

82 %

« leur coût a augmenté »

B. DES EFFORTS POUR ALLÉGER LE FARDEAU NORMATIF

Une simplification qui fonctionne en Europe

Les leçons à retenir des efforts de simplification de nos voisins (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suisse et Union européenne) :

ü La simplification est une politique de long terme mais, pour réussir, elle ne doit pas être un enjeu partisan. Il faut donc établir un consensus partagé entre toutes les parties prenantes ;

ü La conception de la norme destinée à l'entreprise doit être constamment inspirée d'un principe simple : comment la PME va-t-elle pouvoir appliquer la norme que j'entends édicter ? La plupart de nos voisins recourent à un « test PME » obligatoire ;

ü La mesure du coût des normes, agrégée au niveau national, est un instrument de pilotage efficace d'une feuille de route de la simplification normative ;

ü L'étude d'impact crédible est celle qui est validée par une autorité indépendante. C'est la seule méthode pour contraindre l'auteur de la norme à justifier sa nécessité, à chiffrer son coût avec rigueur, et à expliquer le fait que le bénéfice attendu est supérieur à la charge de sa mise en oeuvre dans l'entreprise.

Une politique discontinue en France et sans résultat visible

La France a utilisé différentes méthodes : des ordonnances (1999-2004), des lois de simplification d'origine parlementaire (2007-2012), un Conseil de la simplification pour les entreprises (2014-2017) faisant intervenir pour la première fois des chefs d'entreprise mais qui n'a pas été pérennisé malgré la proposition de loi déposée à la suite du précédent rapport de la délégation aux Entreprises de 2017, des lois d'abrogation de normes obsolètes, d'origine parlementaire (2018 et 2022), la règle du deux pour un (2017), efficace mais limitée au pouvoir règlementaire autonome (concernant une cinquantaine de décrets seulement par an).

Depuis 2017, les mesures de simplification sont présentées au fil des textes. Certaines entreprises de taille intermédiaire (ETI) bénéficient d'un accompagnement privilégié de la part de l'État à condition qu'elles interviennent dans le numérique (French Tech) ou qu'elles exportent (Team France Export, stratégie Nation ETI). Certains secteurs économiques bénéficient d'un effort de simplification, comme les énergies renouvelables, le nucléaire, ou l'industrie « verte ». Hormis ces politiques sectorielles bénéficiant à certaines catégories d'entreprises, la complexité continue de progresser pour toutes les autres entreprises, faute de dispositif efficace et global d'endiguement.

Les études d'impact ne jouent en aucune façon un rôle d'endiguement de la norme mais servent plutôt sa justification a posteriori, tant l'action politique se résume désormais à la production normative. L'évaluation de la nécessité de la loi étant l'affaire du ministère qui porte la loi, il est peu probable qu'un ministère se déjuge en décidant, après un travail intense, qu'il n'y a pas lieu de légiférer.

Par ailleurs, l 'État ne s'est pas doté d'outils permettant d'expérimenter la simplification en faveur des entreprises. Le guichet unique est un exemple emblématique d'une administration qui n'associe pas suffisamment les entreprises à la simplification d'un outil indispensable. Ses dysfonctionnements doivent servir d'exemple pour l'avenir. L'État ne peut par ailleurs prétendre que tout numériser serait tout simplifier.

LES 7 RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION AUX ENTREPRISES

La simplification est un instrument du renforcement de la compétitivité de notre pays. Selon l'indice de compétitivité mondiale, la France occupait le 107ème rang sur 140 pays pour le fardeau administratif.

La politique de simplification doit connaître une révolution copernicienne : elle ne peut plus en effet être une démarche descendante, mais doit au contraire être une démarche ascendante qui part de « l'utilisateur » de la norme pour en faire un « bénéficiaire », que l'usager soit un particulier ou une entreprise. Le point de vue de l'usager n'est pas assez pris en compte. L'analyse de la complexité doit se fonder d'abord sur la prise en considération de l'effet cumulatif des normes, et leur dimension psychologique. Fondamentalement, l'administration doit faire confiance à ses usagers, particuliers comme entreprises. La sanction ne doit concerner que la fraude, et ne plus être considérée comme un objectif de réussite ou d'efficacité pour l'administration qui contrôle.

Recommandation n°1 : évaluer le poids des normes

Avant de lancer une politique de simplification, il convient au préalable de se doter d'une méthodologie rigoureuse et partagée entre toutes les parties prenantes de l'évaluation, pour, en priorité :

1. Identifier les « normes » applicables aux entreprises, aux « droits », « codes », « régimes », « règles », « dispositions », « dispositifs », auxquelles s'ajoutent les « conditions d'accès », « obligations », « procédures », « démarches », « formalités », « formulaires », « pièces justificatives », « contrôle administratif ».

2. En se plaçant du point de vue de l'entreprise, recenser le stock exact de normes actuellement applicables aux entreprises.

3. Construire un agrégat des normes applicables aux entreprises, permettant, à partir d'un « moment zéro », par exemple le 1er janvier 2025, de mesurer son évolution, facilitant les comparaisons européennes, afin de fixer un objectif d'allégement de leur poids.

Recommandation n°2 : engager une politique publique de long terme, associant tous les acteurs de la norme

1. Comme il existe une programmation pluriannuelle des finances publiques, il peut y avoir une programmation pluriannuelle de la simplification au bénéfice des entreprises, votée tous les 5 ans.

La politique de simplification doit être cyclique, avec des allers-retours permanents entre le programme d'action et son évaluation. Un maximum de normes doit être englobé par ce programme de simplification qui doit être le plus large possible en prenant en considération l'ensemble de la hiérarchie des normes. Les autorités indépendantes régulant des secteurs économiques doivent être invitées à présenter leurs propositions de simplification, y compris en matière de « droit souple ».

2. L'état d'avancement du programme de simplification doit être discuté tous les 6 mois en Conseil des ministres.

Ces points d'étape réguliers permettront d'impliquer le Président de la République et d'associer l'ensemble du gouvernement. L'exécutif pourra ainsi donner une impulsion politique forte au programme de simplification dans tous les départements ministériels et les administrations. Seul l'engagement constant du Président de la République et son attention continue sont les facteurs de réussite de cette politique de simplification qui doit s'inscrire dans le temps long.

Recommandation n°3 : conduire une politique de simplification au sein de l'administration d'État associant les entreprises

3. Un Conseil national de la simplification pour les entreprises indépendant et composé en majorité de représentants des entreprises, pour :

1. assurer le dialogue avec le monde économique et garantir sa participation à la conception et à la mise en oeuvre des mesures de simplification ;

2. proposer au gouvernement des axes prioritaires de simplification ;

3. suivre les réalisations du programme de simplification et évaluer ses résultats ;

4. contribuer à faire connaître les résultats obtenus ;

5. donner un avis, public, pour chaque projet de loi, d'ordonnance ou de décret créant une charge nouvelle significative pour les entreprises. En cas d'avis négatif, le gouvernement devra « transmettre un projet modifié ou des informations complémentaires en vue d'une seconde délibération ».

4. Un Haut-commissaire à la simplification, directement rattaché au Président de la République, et collaborant étroitement, d'une part, avec le Secrétaire général du Gouvernement et, d'autre part, avec le Secrétaire général pour les affaires européennes, pour la prévention des surtranspositions de directives européennes, il serait doté d'un correspondant dans chaque ministère, autorité indépendante ou agence de l'État.

5. Un service mutualisé, interministériel, doit appuyer les administrations centrales pour évaluer la charge des normes pour les entreprises, et mesurer leurs impacts.

Recommandation n°4 : renforcer l'association des entreprises aux normes les concernant et mieux différencier les normes selon la taille des entreprises

L'État doit davantage consulter les représentants des organisations patronales et syndicales sur les réformes et les normes d'une ampleur significative ayant un impact sur les entreprises.

La culture administrative doit évoluer profondément en acceptant de s'ouvrir davantage au monde économique afin de mieux tenir compte de ses contraintes. Il n'est plus possible de construire des politiques publiques, de proposer des réformes globales ou des mesures ponctuelles qui impacteront les millions d'entreprises sans consultation préalable de leurs représentants ou sans la constitution de panels représentatifs des différentes catégories d'entreprises.

La concertation doit être systématique, car le droit négocié est plus efficace dans le domaine économique qu'un droit imposé. Elle doit se réaliser au stade de l'élaboration même de la décision, au niveau global (aspect macroéconomique), de la branche d'activité (aspect sectoriel) et de l'entreprise (aspect microéconomique).

La norme doit être différenciée selon la taille de l'entreprise, en s'inspirant du droit à la différenciation reconnu aux collectivités territoriales par la loi « 3DS » n° 2022-217 du 21 février 2022.

Recommandation n°5 : expérimenter, tester et évaluer les normes applicables aux entreprises

Ex ante, l'expérimentation des normes économiques doit être développée pour lever une incertitude sur la pertinence, l'efficacité ou les modalités de mise en oeuvre d'une mesure.

L'étude d'impact doit pouvoir être discutée. Ce débat nécessite du temps. C'est pourquoi elle doit pouvoir être engagée dès l'annonce d'une norme ou d'une politique publique ayant un impact significatif sur la vie des entreprises. Elle doit également concerner les amendements du Gouvernement ayant un impact significatif sur les entreprises et être mise à jour au cours de la navette parlementaire.

Le recours au « test PME » doit être systématisé pour toutes les normes créant une charge importante pour les entreprises, dans l'objectif de confronter l'étude d'impact théorique de sa mise en oeuvre concrète avec une évaluation « grandeur nature » sur un panel de textes concernant directement les entreprises. Il faut construire la norme économique en l'adaptant à la taille de l'entreprise.

Ex post, une revue régulière du stock des normes pesant sur les entreprises doit être réalisée aux moments clés de leur cycle économique, et l'efficacité des normes les plus contraignantes doit être évaluée de façon indépendante.

Recommandation n°6 : simplifier le langage administratif et obliger l'administration à accompagner les entreprises

La pédagogie de la norme est un élément indissociable de son acceptabilité. L'administration doit produire moins de circulaires et éditer davantage d'informations sur la norme, dans un langage accessible et compréhensible. En effet, les coûts de mise en conformité avec les normes ont tendance à diminuer lorsque les PME se familiarisent avec leurs exigences. Par ailleurs, à de nombreuses occasions, les entreprises renoncent à demander une aide publique car elles ne comprennent pas le vocabulaire utilisé et/ou les procédures exigées par les administrations. Cette pédagogie doit accompagner systématiquement les réformes affectant la vie des entreprises avec la publication sur les sites internet des administrations d'une Foire aux questions (FAQ) permettant leur explication simple. Toute réforme impactant significativement la vie des entreprises doit être assortie d'un mode d'emploi sur les sites internet des acteurs concernés, en simplifiant le langage administratif.

L'administration doit avoir l'obligation d'accompagner et de conseiller les entreprises. La création d'indicateurs de performance est indispensable pour évaluer la mise en oeuvre de cette obligation de conseil.

Recommandation n°7 : mieux articuler norme et normalisation

Dans le domaine économique, le droit souple (la normalisation volontaire co-construite par les entreprises et la régulation économique) doit alléger le droit dur (les lois et décrets imposés aux entreprises). Le droit souple peut contribuer à enrayer la tendance au droit bavard s'il permet de recentrer le droit dur sur les dispositions qui doivent vraiment relever de lui.

Le droit souple ou la régulation garantissent :

- une association des entreprises et notamment des PME à l'élaboration de la norme qui la concerne ;

- la compétitivité des entreprises françaises, puisqu'elle est partagée au niveau international ;

- la pertinence de la norme puisqu'elle prévoit un mécanisme de péremption de la norme volontaire si elle n'est pas utilisée par les entreprises, car non pertinente ou obsolète.

L'option entre le droit dur et le droit souple doit donc être envisagée dès l'étude d'impact afin de choisir la procédure la plus pertinente entre la norme obligatoire et la normalisation volontaire.

INTRODUCTION

« Il ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; qu'elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites : qu'il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s'il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l'est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ; qu'il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu'en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction même ; qu'il serait absurde de se livrer à des idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d'une bonté relative ; qu'au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer ; que l'histoire nous offre à peine la promulgation de deux ou trois bonnes lois dans l'espace de plusieurs siècles ; qu'enfin, il n'appartient de proposer des changements qu'à ceux qui sont assez heureusement nés pour pénétrer d'un coup de génie et par une sorte d'illumination soudaine, toute la constitution d'un État.

À l'ouverture de nos conférences, nous avons été frappés de l'opinion, si généralement répandue, que, dans la rédaction d'un code civil, quelques textes bien précis sur chaque matière peuvent suffire, et que le grand art est de tout simplifier en prévoyant tout. Tout simplifier est une opération sur laquelle on a besoin de s'entendre. Tout prévoir est un but qu'il est impossible d'atteindre.

Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compromettraient- la certitude et la majesté de la législation. (...)

Nous n'avons donc pas cru devoir simplifier les lois au point de laisser les citoyens sans règnes et sans garantie sur leurs plus grands intérêts.

Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. Qui pourrait penser que ce sont ceux mêmes auxquels un code paraît toujours trop volumineux, qui osent prescrire impérieusement au législateur la terrible tâche de ne rien abandonner à la décision du juge ? »

Discours préliminaire sur le projet de code civil de Jean-Etienne-Marie PORTALIS (1er pluviôse an IX)

Il est temps d'en finir avec la politique de l'autruche concernant la complexité et le poids des normes pesant sur les entreprises. L'allégement de la charge administrative ou des coûts de conformité que les entreprises supportent de la part des différents acteurs publics (Union européenne, État, collectivités publiques, autorités indépendantes) est l'un des rares gisements de productivité que la France peut exploiter.

Dans le contexte d'une concurrence mondiale exacerbée, il permettrait aux entreprises françaises d'améliorer considérablement leur compétitivité, ce qui contribuerait à diminuer un déficit commercial abyssal, à créer de l'emploi et à apporter des recettes fiscales supplémentaires à l'État et aux collectivités locales.

Les normes pèsent davantage sur les PME que sur les grandes entreprises, qui disposent des moyens de gérer la complexité administrative, que ce soit en matière fiscale3(*) ou économique4(*).

Chaque réglementation est justifiée pour soutenir un marché équitable et concurrentiel, ainsi que pour protéger les travailleurs, les consommateurs et l'environnement. Les normes sont également « les marqueurs d'une pratique d'un capitalisme européen soutenable » comme l'a souligné Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme5(*).

Mais l'administration, auteur de la norme, ne prend pas en considération le fait que les entreprises doivent appliquer différentes normes, émanant de plusieurs niveaux d'administration ou de plusieurs titulaires du pouvoir normatif et que les normes s'accumulent dans le temps en s'adressant toujours aux mêmes destinataires.

Outre le nombre, la question de la pertinence de la norme doit à chaque instant être posée. Les formalités administratives inutiles diminuent la capacité des entreprises à utiliser les ressources de façon productive et novatrice. Elles accroissent leurs dépenses d'exploitation et réduisent du même coup leurs bénéfices. Les efforts déployés par les entreprises pour se conformer à des aspects inutiles de tout régime réglementaire et les coûts qu'elles engagent à cette fin peuvent nuire à leur capacité à respecter la règlementation.

Par ailleurs, le fardeau réglementaire peut constituer un obstacle à l'entrée en entravant le lancement de nouvelles entreprises et en réduisant la concurrence sur le marché.

Contrairement à la France, nos principaux partenaires européens ont intégré ce fardeau et mis en place des politiques publiques de long terme, consensuelles et structurelles, visant à réduire la charge administrative pesant sur leurs entreprises. Ces politiques ont généré de substantielles économies se chiffrant à plusieurs milliards d'euros par an en améliorant la compétitivité de leurs entreprises.

Pourquoi notre pays n'a-t-il pas pu, malgré une prise de conscience précoce du problème au plus haut niveau administratif et politique et plusieurs tentatives, réduire le fardeau administratif pesant sur les entreprises de manière significative et pérenne ?

Notre culture juridique et notre système administratif pèsent structurellement en faveur de la complexité.

Le principe constitutionnel d'égalité devant la loi ne permet pas son adaptation à la taille des entreprises. Le nombre élevé de niveaux d'administration locale, comme la culture politique faisant de la norme l'alpha et l'oméga de l'action publique, conduisent à une dépense publique (58,1 % du PIB en 2022 !) font de la France une exception dans les pays de l'OCDE.

L'administration se considère trop souvent comme ayant le monopole de la détermination de l'intérêt général sans même se donner la peine de consulter, dans le domaine économique, les représentants des entreprises. Elle ne teste pas davantage les réformes structurantes, auprès de panels d'entreprises de toutes tailles. Ces dernières, en particulier les PME et TPE, se retrouvent ainsi face à un mur de complexité déroutant, décourageant et paralysant.

À cet égard, la mise en place du guichet unique, qui a fait l'objet d'une concertation insuffisante avec les principaux acteurs concernés, a été emblématique.

L'administration française accepte difficilement un regard extérieur sur la construction de la norme, comme en témoigne l'échec patent des études d'impact, alors que leur pertinence et leur qualité est contrôlée par une instance indépendante dans plusieurs pays européens, parfois depuis de nombreuses années.

La complexification de la norme dans le domaine économique est-elle réversible ? Plusieurs auditions ont souligné qu'il n'était pas simple de simplifier. La numérisation peut également constituer un leurre, dès lors que les procédures en « back office » ne sont pas simplifiées.

La simplification des normes applicables aux entreprises est un enjeu de longue haleine, qui requiert une volonté politique constante portée au plus haut niveau de l'État.

Tous les outils d'une politique publique efficace existent pourtant.

Les diagnostics ont été posés dans plusieurs rapports, dont ceux du Conseil d'État, de l'Assemblée nationale en 2014 ou de la délégation aux Entreprises du Sénat en 2017.

Plusieurs remèdes ont été proposés, sans toutefois être administrés.

Il manque une volonté politique déterminée de s'y attaquer, sans doute parce que la production de la norme permet à l'administration d'exister et que le politique n'a pas la volonté et le courage de la brider.

Il faut n'utiliser la norme qu'en dernier recours, alors qu'elle demeure un réflexe spontané des acteurs politiques nationaux.

Il faut une révolution culturelle de l'administration résolument engagée dans l'accompagnement et le conseil aux entreprises.

Il faut une instance indépendante, contrôlant la qualité des études d'impact afin d'entraîner un cycle vertueux incrémentant un questionnement permanent du recours à la norme, de son efficacité, de sa proportionnalité, surtout pour les PME, et du bilan coût-avantage qu'elle représente.

Les collectivités locales ont obtenu, pour leur part, une meilleure association aux décisions les concernant, même si des marges de progrès existent6(*), avec notamment la loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013 portant création d'un Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (CNEN).

Le rapport d'information propose de s'engager dans une démarche comparable, afin que les entreprises françaises soient davantage associées à la construction des normes les concernant, que le fardeau administratif qui entrave leur compétitivité soit mieux identifié et évalué pour être allégé.

I. LA SIMPLIFICATION DES NORMES APPLICABLES AUX ENTREPRISES, UN OBJECTIF PLUS QUE JAMAIS NÉCESSAIRE

Dans le domaine économique et pour l'OCDE7(*), le terme « réglementation » désigne toute la panoplie d'instruments au moyen desquels les pouvoirs publics imposent des obligations aux entreprises (comme aux citoyens).

A. UNE ACCUMULATION DE NORMES CONTRAIGNANTES OU VOLONTAIRES

1. La prolifération normative, conséquence de la complexité administrative

Il existe trois types de réglementation affectant les entreprises :

- la réglementation économique intervient sur des paramètres purement économiques comme les prix, les salaires, les profits ainsi que l'entrée et la sortie des firmes sur un marché donné. Parmi les exemples de réglementation économique, on note l'instauration d'un salaire minimum, la réglementation des monopoles naturels, les prix de soutien en agriculture, la réglementation anti-trust, etc.

- la réglementation administrative (« process regulation ») qui correspond aux tâches administratives (« paperwork ») requises par des activités gouvernementales comme la collecte des impôts et taxes, la mise en oeuvre de programmes de soutien du revenu ou l'administration des programmes d'immigration. Pour les entreprises, la réglementation administrative se manifeste surtout par la fiscalité.

- la réglementation sociale qui est définie de façon résiduelle comme correspondant à tous les types de réglementation qui n'entrent pas dans les deux premières catégories. On y retrouve principalement la réglementation entourant la qualité de l'environnement, la sécurité (des lieux de travail, des produits ou des transports) et le fonctionnement du marché du travail.

Pour l'Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (Iseor) de l'Université Jean Moulin Lyon 3, l'environnement normatif des entreprises est même « tétranormalisé »8(*) autour des normes du commerce international, des normes comptables et financières, des normes de qualité, de sécurité et d'environnement, des normes sociales.

a) Un stock mesuré depuis 2018

Alors que la mesure de la norme a longtemps été imprécise, variant du simple au double entre les estimations du Conseil d'État et du Secrétariat général du Gouvernement (SGG), les indicateurs de suivi construits par ce dernier depuis 2018 permettent d'en mesurer le flux depuis 2002.

LA MÉTHODOLOGIE DU « SUIVI DE L'ACTIVITÉ NORMATIVE » ÉTABLIE PAR LE SGG

Les indicateurs de suivi de l'activité normative ont été produits à partir d'outils statistiques spécialement développés durant l'année 2018. Ces outils ont permis d'automatiser, dans une large mesure, le recueil des informations et la production des indicateurs. Il résulte de cette évolution des variations mineures dans le décompte du nombre d'articles ou du nombre de mots.

Depuis octobre 2020, l'outil statistique s'appuie sur l'interface de programmation applicative (API) du site Légifrance modernisé, ce qui accroit la précision des résultats obtenus (...)

Le calcul du nombre de mots s'opère depuis le titre jusqu'à la fin du texte tel qu'il a été publié. Sont, par exemple, comptabilisés les mots des annexes des lois, des ordonnances et des décrets, quand bien même ces annexes n'auraient pas de portée normative (par exemple s'agissant des lois de programmation).

Le nouvel outil statistique permet de reconstituer dans le temps l'état du droit consolidé, réputé en vigueur. Il est présenté en nombre d'articles et en nombre de mots, suivant la nature législative et réglementaire, codifiée et non codifiée. Cet état est arrêté à une date précise, c'est la raison pour laquelle la mesure de l'évolution du « stock » de normes applicables est produite à une date « anniversaire » pour les tableaux d'indicateurs concernés.

L'indicateur de « stabilité des codes dans le temps » établit pour chaque code de la série un rapport de proportion entre le nombre d'articles créés et le nombre d'articles abrogés ou le cas échéant déplacés d'un code à un autre, chaque année, et le nombre total d'article du code au 1er janvier de l'année de référence qui constitue la base 100.

Source : Secrétariat général du gouvernement Indicateurs de suivi de l'activité normative
Édition 2022.

S'agissant de l'évolution du volume global de la norme, alors que l'étude annuelle du Conseil d'État de 20169(*), consacrée à la simplification et à la qualité du droit, déplorait des « écarts anormalement importants » entre différentes sources publiques, le secrétariat général du Gouvernement a produit des indicateurs de suivi de l'activité normative à partir d'outils statistiques spécialement développés durant l'année 2018, comme l'indique l'encadré ci-dessus. Ces outils ont permis d'automatiser, dans une large mesure, le recueil des informations et la production des indicateurs. Il résulte de cette évolution des variations mineures dans le décompte du nombre d'articles ou du nombre de mots. Depuis octobre 2020, l'outil statistique s'appuie sur l'interface de programmation applicative (API) du site Légifrance modernisé, ce qui accroît la précision des résultats obtenus.

Ces nouveaux indicateurs permettent de constater :

- Une stabilité apparente du nombre d'articles législatifs de 2002 (1311) à 2021 (1720), un pic en 2016 (2392)10(*), et un creux en 2022 (1142) en raison d'un ralentissement du débit législatif sans doute lié à la présence d'une majorité relative à l'Assemblée nationale ;

- Un doublement voire un triplement du nombre d'articles au cours de la navette, plus fortement pour les projets de loi que pour les propositions de lois : ainsi, aux 115 articles d'origine législative contenues dans les propositions de lois adoptées en 2022 se sont ajoutés au cours de la navette 97 articles (84 %) et aux 320 articles de projets de lois initiaux se sont ajoutés 607 articles (+ 190 %) ;

- Un quasi-doublement du nombre de mots par loi entre 2002 (322 639) et 2021 (591 595), corroborant l'analyse du Conseil d'État de la « loi bavarde »11(*) ;

- Une très forte augmentation du nombre d'ordonnances, qui passent de 12 en 2002 à 45 en 202212(*) ;

- Une augmentation du taux de renvois à des décrets d'application dans les lois publiées par rapport aux projets de loi initiaux, de 70 % pour les lois publiées au cours de la XIVème législature, à 106 % pour les lois publiées au cours de la XVème législature et à 148 % pour les premières lois de la XVIème législature, sans qu'il soit toutefois possible de déterminer l'origine de ce renvoi effectué par amendement au cours de la navette parlementaire ;

- Une décrue du nombre de décrets entre 2002 (2385) et 2022 (1786), accentuée si l'on excepte les mesures prises pour lutter contre la COVID-1913(*), malgré une augmentation du nombre de décrets d'application des lois entre 2007 (182) et 2021 (748) ; en revanche, le nombre de mots continue d'augmenter entre 2002 (1 869 218) et 2022 (2 191 439) ;

- Une stabilité du nombre d'arrêtés (mesurés depuis 2014), à environ 8 000 ;

- Une décrue des mesures14(*) de transpositions de directive entre 2002 (174) et 2022 (66), le pic ayant eu lieu en 2010 (333) ;

- Un très vigoureux effort de réduction du nombre de circulaires, passées de 1809 en 2012 à 104 en 2022, lié au coup d'arrêt donné sous le gouvernement d'Édouard Philippe (encore 1306 circulaires en 2018).

Le stock de normes a évolué comme suit sur vingt ans (2002-2022) :

 

Articles législatifs

Articles règlementaires

Mots codifiés

Mots non codifiés

2002

53 269

162 250

3 165 999

2 679 162

01/04/2023

93 959

253 118

8 391 807

5 753 107

Évolution

+ 76 %

+ 56 %

+ 165 %

+ 114 %

Au cours d'une navette parlementaire, le nombre de normes augmente, plus fortement pour les projets de lois que pour les propositions de lois :

Législature

Articles initiaux des projets de lois

Articles de
lois promulguées

Nombre d'articles ajoutés

Nombre de projets de lois concernés

Moyenne mesures ajoutées par projet de loi

Taux d'ajout de mesures

XIVe

2 233

3 796

1 563

104

15

70 %

XVe

1 689

3 486

1 797

88

20

106 %

XVIe

158

392

234

11

21

148 %

Total/Moyenne

4 080

7 674

3 594

203

18

88 %

Au total, les principaux codes utilisés par une entreprise et mesurés par le SGG se sont fortement épaissis depuis 2002, en nombre d'articles :

 

2002

01/01/2023

Évolution

Code de l'environnement

1 006

6 898

+ 689 %

Code de commerce

1 917

7 008

+ 365 %

Code de la consommation

632

2 105

+ 333 %

Code du travail

4 981

11 176

+ 224%

Code de la construction et de l'habitation

2 336

3 955

+ 69 %

Code de l'urbanisme

1 459

2 361

+ 61 %

Code général des impôts

1 938

2 318

+ 19 %

Cependant, si le volume est quantifié, la complexité de la norme ne l'est pas, faute d'une métrique appropriée (il n'existe pas de définition objective de la norme complexe) alors que cette dimension est absente des préoccupations de la législation ou de la légistique, qui se focalisent essentiellement sur la légalité de la norme.

Les chefs entreprises devraient, en 2021 seulement, lire 83 570 pages du Journal Officiel de la République française, connaître, si ce n'est les 88 572 articles législatifs en vigueur au 25 janvier 2021 et les 243 793 articles réglementaires en vigueur à la même date, au moins les 17 843 articles des 567 lois promulguées depuis dix ans, sans compter les 665 ordonnances et 7 451 décrets, mais aussi consulter des « foires à questions » sur des sites internet de tous ces acteurs publics, pour s'assurer d'en comprendre toutes les subtilités...

Ainsi, au précepte « nul n'est censé ignorer la loi », s'est substituée une fiction juridique bien réelle et nécessaire cependant. Comme l'indique le site officiel « vie publique » :

« Connaître l'ensemble des textes législatifs et réglementaires (décrets, circulaires...) existant dans l'ordre juridique français ou européen relève de la théorie. Avec, au 25 janvier 2019, environ 318 000 articles législatifs et réglementaires en vigueur en France, le plus studieux des juristes ne relèverait pas un tel défi...

« Cet adage représente une fiction juridique, c'est-à-dire un principe dont on sait la réalisation impossible, mais qui est nécessaire au fonctionnement de l'ordre juridique. Si cette fiction n'existait pas, il suffirait à toute personne poursuivie sur le fondement d'une loi d'invoquer (et même de prouver) son ignorance du texte en cause pour échapper à toute sanction ».

Or, l'objectif premier de l'entreprise est la création de valeur, dans un environnement qui doit être sécurisé juridiquement, donc accessible, compréhensible, si possible stable.

b) Un flux irrépressible

En dépit de la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 « relative à la maîtrise du flux des textes règlementaires et de leur impact »15(*), reconnaissant que : « la norme peut aussi être une contrainte pour la compétitivité des entreprises », invitant à intensifier la mesure de l'impact de la réglementation ayant une incidence sur les entreprises, laquelle ne doit pas « se traduire par des contraintes excessives », et demandant au Secrétariat général du Gouvernement de « retracer, par semestre, l'évolution des charges et des économies induites par la production réglementaire », le nombre de lois et décrets n'a jamais baissé depuis 2017 et les prescriptions sont restées lettre morte.

Il n'est cependant pas possible d'identifier, dans un tel volume, les normes législatives ou réglementaires s'appliquant aux seules entreprises et ressortant de la réglementation concernant les entreprises au sens de l'OCDE (« formalités administratives par le biais desquelles les pouvoirs publics recueillent des informations et interviennent dans les décisions économiques individuelles »). Les entreprises sont par ailleurs les premières destinatrices des normes européennes dont l'immense majorité intervient dans le champ économique.

Le flux de normes résulte d'un système administratif particulièrement complexe en France.

Aucune entreprise n'a jamais eu affaire à, ou échangé avec « l'État » mais avec des ministères, des administrations centrales et des services déconcentrés, des autorités indépendantes, des collectivités locales et leurs établissements publics, voire des services de la Commission européenne. Les entreprises doivent appliquer des lois, décrets, prendre en considération des circulaires, consulter des propositions, avis, positions, décisions, de diverses autorités indépendantes. Les entreprises doivent consulter des documents d'urbanisme : schémas de cohérence territoriale (SCoT), projet d'aménagement stratégique (PAS), Document d'Orientations et d'Objectifs (DOO) ou le diagnostic territorial d'un plan climat-air-énergie territorial (PCAET)16(*).

L'inflation normative ne se mesure pas seulement en nombre de textes mais également en nombre de producteurs de normes. Elle se focalise sur la loi, qui n'est que le sommet de l'iceberg des normes applicables aux entreprises.

Source : Christophe Éoche-Duval, conseiller d'État

Les créateurs de normes étant multiples, la régulation de la qualité de la norme doit être multidimensionnelle, ce qui la complique fortement : de multiples acteurs doivent être mobilisés en même temps afin de poursuivre le même objectif.

c) Un angle mort de l'analyse de la complexité : l'autorisation administrative

Si les normes font l'objet de l'attention des pouvoirs publics et sont désormais mieux quantifiées, les autorisations administratives constituent un angle mort des politiques publiques de simplification alors qu'elles constituent un élément essentiel de l'activité économique.

Il n'existe aucun recensement global des autorisations administratives applicables aux entreprises, pour ouvrir un commerce, implanter un site de production ou un entrepôt. Leur simplification fait l'objet de réformes éparses, qu'il s'agisse du choc de simplification conduit en 2014-201717(*) ou de la loi PACTE de 201918(*).

Dans le cadre de la politique de réindustralisation, l'attention récente se porte sur les délais d'implantation des sites industriels, qui fait d'ailleurs l'objet du projet de loi n°607 du 16 mai 2023 relatif à l'industrie verte.

La question des délais d'implantation n'est pas la seule préoccupation des PME. « Au quotidien, les entreprises affrontent un parcours d'obstacle et se confrontent au saupoudrage de la décision entre collectivités territoriales, établissements publics, services déconcentrés de l'État, agences autonomes » a ainsi déploré M. Guillaume Poitrinal, président de Woodeum & Cie et ancien co-président du conseil de la simplification pour les entreprises19(*). L'administration devrait organiser régulièrement une revue de ses procédures d'autorisation, afin d'en prouver la pertinence, des autorisations obsolètes demeurant en vigueur en vertu du principe d'adaptabilité du droit public, qui désigne la possibilité d'amélioration des services publics en fonction des changements et aspirations des usagers et de la collectivité.

Ainsi, l'autorisation que les boulangers devaient obtenir des pouvoirs publics pour prendre leurs congés, qui datait de 1789, lorsque la vente du pain était considérée comme un produit de première nécessité et un élément de maintien de l'ordre public, et n'a pris fin qu'en... 201420(*) !

Le coût de la lenteur de décision est également un angle mort des politiques publiques de la simplification alors que « si la France produisait en 355 jours ce qu'elle réalise en 365, elle augmenterait sa croissance de 3 % », celle-ci étant un rapport de production au temps21(*). Aller vite n'est pas synonyme de méconnaissance des prescriptions environnementales ou de la recherche des équilibres sociaux. Pour les entreprises, la lenteur décourage, démobilise et coûte de l'argent. Cependant, aucune étude n'existe sur l'évaluation, même approximative, du coût de l'abstention à la création de valeur en raison de la complexité normative.

d) Une complexité accrue pour l'outre-mer

Enfin, notre droit interne présente des points particuliers de vulnérabilité juridique comme la grande complexité du droit de l'outre-mer, résultant de la diversité des régimes applicables et d'une ligne de partage peu claire et souvent modifiée entre spécialité et identité législatives.

Dans les collectivités d'outre-mer de l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle Calédonie, qui sont soumises au principe de la spécialité législative, les lois et règlements ne s'appliquent que sur mention expresse du texte en cause. Le Conseil d'État a jugé dans une décision rendue en Assemblée le 9 février 1990, Élections municipales de Lifou22(*), que les modifications ultérieures de la loi ou du décret doivent également comporter la mention expresse d'application outre-mer, faute de quoi le texte antérieur demeurera en vigueur dans le territoire concerné. Or, cette mention expresse faisait l'objet jusqu'en 2016 de rédactions différentes selon qu'elles émanaient du Parlement, de l'administration, et même des différentes sections administratives du Conseil d'État. Elle était parfois involontairement oubliée. Or le silence des textes revêt des sens différents selon la collectivité et le domaine traité. Il résultait de ces incohérences nombre d'incertitudes sur le droit applicable.

Le Conseil d'État, dans un avis du 7 janvier 2016, a proposé au Gouvernement, qui l'a accepté, l'adoption d'une technique de rédaction homogène désormais désignée sous le nom de « compteur Lifou ». Elle est la suivante : la disposition du texte applicable dans une collectivité soumise au principe de spécialité est signalée par la mention que ce texte est désormais applicable « dans sa rédaction résultant de la loi (ou du décret) n° ...du ... ». Chaque modification ultérieure est opérée par une modification de la référence du texte. Dans les codes figurent désormais un tableau indiquant, en deux colonnes, pour chaque collectivité concernée, les dispositions du code qui sont étendues et la rédaction dans laquelle elles sont applicables. Selon Catherine Bergeal, conseillère d'État : « cette technique permet à l'utilisateur ultra-marin de connaître immédiatement la version de la norme en vigueur dans son territoire. Elle constitue un progrès notable dans un champ du droit que la combinaison du droit métropolitain avec le droit du territoire rend complexe. Elle est, il est vrai, contraignante pour le rédacteur ; ce qui renvoie à une question fondamentale : simplification pour qui ? Pour l'administration ou pour le destinataire de la norme ? Les deux ne sont pas toujours compatibles »23(*).

Depuis, la pratique constante est de prévoir des « compteurs Lifou » (tableaux permettant d'identifier la date et la version des dispositions rendues applicables sur mention expresse). La mise à jour, par ce décret, des tableaux d'applicabilité outre-mer dans un code, suffit à rendre compte de l'extension, dans les collectivités concernées, des dispositions introduites par ce texte, sans qu'il y ait lieu d'y insérer un article législatif mentionnant expressément son application dans ces collectivités.

Une autre technique de rédaction dite « semi-Lifou » consistant à ne mentionner la rédaction applicable qu'en cas de modifications, qui s'est complexifiée au fil du temps pour devenir quasiment illisible et difficile à appliquer, a été récemment abandonnée24(*).

Dans le secteur de la construction, le renchérissement des coûts outre-mer par l'inadaptation des normes25(*) a été particulièrement documenté par la délégation aux Outre-mer en 2017 et dans un rapport récent26(*). Ainsi, l'Autorité de la concurrence rappelait, dans un avis de 2018, que les prix des matériaux de construction étaient plus élevés de 39 % à La Réunion et de 35  % à Mayotte par rapport à l'Hexagone. Pour simplifier, la délégation aux Outre-mer propose, par exemple, le déploiement de commissions locales de normalisation pour mettre en place un marquage pour les régions ultrapériphériques françaises dérogeant au marquage CE (de « conformité européenne ») afin d'éviter que le bois du Brésil nécessaire à la construction des bâtiments des Antilles ne transite par la métropole...

2. Un flux handicapant pour les entreprises comme le souligne la consultation publique organisée par le Sénat en avril 2023

À l'initiative de la délégation sénatoriale aux Entreprises le Sénat a, du 24 mars au 1er mai 2023, consulté les entreprises pour évaluer le poids et la complexité des normes auxquels elles doivent faire face. Cette consultation donne un aperçu du ressenti des PME ou TPE émanant de l'essentiel des 783 réponses27(*).

MÉTHODOLOGIE DE LA CONSULTATION

Les 783 réponses à la consultation émanent principalement du secteur du commerce (25,16%) mais ont été très divers (« Autre » 23,63 % et « Autres services » 15,84 %). En revanche, le secteur agricole et celui de l'hôtellerie et du tourisme sont moins représentés avec respectivement 3,19 % et 4,21 %des réponses.

95 % des répondants à cette consultation sont des TPE-PME : 670 déclarent avoir moins de 50 salariés, dont au moins 150 entreprises unipersonnelles (EURL, SASU). Seulement 5 entreprises déclarent en avoir plus de 5000.

L'Île-de-France est sous représentée dans cette consultation, par rapport à son poids économique, avec seulement 66 réponses. La région ayant le plus participé est Auvergne-Rhône-Alpes avec 60% de plus de répondants.

Cette consultation fait apparaître les principaux éléments suivants :

S'agissant de la compréhension des lois, normes ou décrets, près de 84 % de répondants considère que les réglementations applicables à leur entreprise ne sont « pas faciles à comprendre » et qu'elles « ne s'accompagnent pas d'une information adéquate et suffisante ». Les entreprises estiment à 90 % que les normes ne sont pas suffisamment adaptées à toutes les situations. Seulement 10 % des entreprises disent être d'accord avec le fait qu'elles sont « cohérentes les unes avec les autres ».

Seulement 20 % des répondants indiquent que ces réglementations sont portées à leur connaissance préalablement à leur adoption. Seules 30 % reconnaissent qu'elles sont portées à leur connaissance en temps utile pour s'y conformer. Cela signifie que 70 % des entreprises rencontrent des difficultés dans le calendrier de mise en oeuvre de la norme.

Plus de 80 % des entreprises interrogées estiment que l'administration devrait avoir l'obligation d'accompagner et de conseiller des entreprises.

S'agissant du rythme de production des normes et sa complexification, seul 1 % des répondants mentionne qu'il a diminué ces dernières années, 13,8 % qu'il s'est stabilisé et 76 % qu'il a augmenté.

Moins de 1 % estime que la complexité a diminué, 10 % qu'elle s'est stabilisée et 81 % que la complexité a augmenté.

Près de 30 % des entreprises considèrent que la politique de simplification conduite depuis 2017 n'a eu aucun impact ou effet et plus de 35 % ont même dénoncé un bilan négatif.

S'agissant du coût de la norme, seul 0,6 % juge que l'évolution normative des 5 dernières années a entraîné des économies contre 82 % dénonçant des coûts supplémentaires.

Parmi les 641 entreprises qui ont constaté une augmentation de leurs coûts due aux normes, 8,4 % ont chiffré ce montant à moins de 1 000 euros, 27,9 % entre 1 000 et 5 000 euros, 18,7 % entre 5 000 et 10 000 euros, 17,4 % entre 10 000 et 50 000 euros et même 14,8 % à plus de 50 000 euros !

Près de 50 % des entreprises disent avoir été contraintes de renoncer à des aides publiques dont elles auraient pu bénéficier en raison de la complexité liée aux formalités administratives à réaliser. Si 40 % des entreprises se sont félicitées d'avoir pu bénéficier d'une aide publique simple à obtenir, en revanche 60 % n'ont jamais pu en bénéficier.

Parmi les normes ayant permis des gains de productivité et/ou de trouver de nouveaux marchés ou clients et/ou de monter en gamme, plus de 23 % des entreprises ont cité la dématérialisation des procédures, 20 % le droit à l'erreur, 18 % la règle selon laquelle le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut désormais acceptation et 15 % le plafonnement des indemnités légales de licenciement.

Le verbatim des exemples demandés de l'impact organisationnel des normes sur l'entreprise évoque une « furie administrative » créant toujours davantage de « complexité », des « normes complexes, coûteuses et inutiles » créant une inévitable « anxiété permanente » en même temps qu'une « perte de chiffre d'affaires », parfois « inapplicables », ces normes démontrent le « fossé -présent entre l'administration - et la réalité », comme l'illustrent ces nuages de mots :

L'impact organisationnel de la mise en oeuvre

d'une nouvelle norme au sein d'une entreprise

Les règlementations complexes, coûteuses ou disproportionnées

imposées aux entreprises

Les aides publiques auxquelles les entreprises ont renoncé en raison de leur complexité

Les motifs de renoncement aux aides publiques

Parmi les propositions faites à l'occasion de cette consultation, près de 30 % des entreprises ont classé comme première réforme l'élaboration d'un plan global d'allégement des normes juridiques applicables aux entreprises. L'établissement d'un test PME avant la création d'une nouvelle norme entraînant une charge significative pour les entreprises arrive en deuxième position avec 22 % des réponses. 18 % des entreprises se sont prononcées favorablement à l'orientation de la culture administrative vers le service et l'accompagnement des TPE et PME.

Les entreprises souhaitent, à hauteur de 12,57 % que l'administration indique, lorsqu'une norme nouvelle est créée, quelle(s) autre(s) norme(s) est (sont) supprimée(s) ; mais doutent de l'efficacité d'une instance nationale indépendante de la simplification pour les entreprises chargée de proposer des mesures de simplification (9,81 %) et de la quantification des charges administratives supprimées en contrepartie des charges administratives créées (7,46 %). Ces deux derniers outils devront donc faire leurs preuves.

3. Les normes volontaires, acceptées car concertées

Le présent rapport est consacré aux normes imposées aux entreprises, mais celles-ci respectent également, de manière volontaire, d'autres normes, ou standards.

a) Une normalisation vertueuse

La normalisation volontaire, élément du « droit souple » ou soft care, est un processus approuvé par un institut de normalisation reconnu qui définit des caractéristiques et des règles volontaires applicables aux activités. Elle résulte d'un consensus entre l'ensemble des parties prenantes d'un marché ou d'un secteur d'activité.

DÉFINITION DE LA « NORME » DONNÉE
DANS LE « VOCABULAIRE GÉNÉRAL DE LA NORMALISATION

Document, établi par consensus et approuvé par un organisme reconnu, qui fournit, pour des usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques, pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d'ordre optimal dans un contexte donné. Note : il convient que les normes soient fondées sur les acquis conjugués de la science, de la technique et de l'expérience et visent à l'avantage optimal de la communauté.

Source : norme NF EN 45020 « Normalisation et activités connexes -
Vocabulaire général » de 2007, paragraphe 3.2.

DÉFINITION DE LA NORMALISATION

La normalisation est une activité d'intérêt général qui a pour objet de fournir des documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à de services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations. Elle vise à encourager le développement économique, l'innovation et le développement durable.

Source : Article 1er du décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 relatif à la normalisation,
modifié par le décret n°2021-1473 du 10 novembre 2021.

Une norme volontaire peut être rendue d'application obligatoire, comme le prévoit l'article 17 du décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 relatif à la normalisation28(*), par un acte réglementaire. Le « guide relatif au bon usage de la normalisation dans la règlementation »29(*) recommande que l'administration qui prévoit de rendre une norme d'application obligatoire « s'implique dans les travaux de normalisation et en assure un suivi afin d'assurer que la norme référencée dans la réglementation soit en cohérence avec les objectifs réglementaires poursuivis ».

Une norme volontaire peut également devenir obligatoire dès lors que les parties en conviennent contractuellement, en application du principe de la force obligatoire des contrats énoncée par l'article 1103 du code civil (« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »), étant également précisé à l'article 1194 que les contrats obligent à ce qui y est exprimé et à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi.

On peut assimiler à cette normalisation volontaire la conformité (aussi appelée compliance) qui consiste pour les entreprises à déployer des procédures préventives lui permettant d'éviter de s'exposer à des risques liés au non-respect de la réglementation. La mise en place d'une politique de conformité permet à l'entreprise une meilleure gestion des risques et lui évite de s'exposer à des risques financiers et réputationnels.

Si les grandes entreprises appliquent volontairement les standards, ces dernières peuvent les rendre obligatoires pour les PME sous-traitantes dès lors qu'ils sont inclus dans sa chaîne de valeur.

La norme volontaire est plus efficace que la norme administrative car elle permet, selon l'AFNOR30(*), de « définir un langage commun entre les acteurs économiques, producteurs, utilisateurs et consommateurs, de clarifier, d'harmoniser les pratiques et de définir le niveau de qualité, de sécurité, de compatibilité, de moindre impact environnemental des produits, services et pratiques » pour « les produits, procédés, bonnes pratiques, méthodes de mesure et d'essais, systèmes d'organisation ». Son objectif est de faciliter les échanges commerciaux, tant nationaux qu'internationaux, et contribuent à mieux structurer l'économie et à faciliter la vie quotidienne.

Elle se concentre sur les performances essentielles tout en laissant les entreprises la possibilité de se différencier au-delà de ce que recommande la norme. « Quand elle applique les normes volontaires, l'entreprise améliore sa performance, accroît la confiance de ses clients et augmente ainsi ses parts de marché » selon M. Franck Lebeugle, directeur des activités de normalisation de l'AFNOR31(*).

Le système français de normalisation s'appuie sur un réseau d'experts issus de tous les secteurs d'activité et répartis dans les commissions de normalisation. Leur rôle est d'apporter leur connaissance de chaque sujet afin de garantir la qualité de la norme volontaire. Les commissions de normalisation sont animées par les bureaux de normalisation sectoriels ou par l'AFNOR, qui assure également la coordination d'ensemble notamment à l'échelle internationale32(*).

L'efficacité provient de l'origine de la norme qui est ascendante et s'inscrit dans le réel concret de la vie économique, tout acteur économique pouvant proposer un projet de norme.

Il existe moins de normes volontaires que de normes réglementaires avec un stock de 33 000 normes homologuées, 2 000 normes nouvelles étant homologuées chaque année, et 300 devenant contraignantes.

Un rapport de la commission des affaires économiques du Sénat a été consacré à la normalisation en 201733(*), qualifiée de « facteur d'efficience économique » permettant également de réduire la complexité législative ou règlementaire en participant à son recentrage ou son allègement.

b) Un droit souple qui irrigue la vie économique

Les normes volontaires appartiennent au « droit souple », lequel est souvent privilégié dans la vie économique, notamment à l'échelle européenne.

En 1985, la nouvelle approche de la Commission européenne visait à corriger la « mauvaise répartition entre les rôles respectifs des pouvoirs publics d'une part et des organismes de normalisation de l'autre, les uns s'arrogeant trop souvent des compétences en matière de définition détaillée de spécifications techniques des produits qui appartiennent plus naturellement aux autres ». Une fois harmonisée, la norme donne présomption de conformité aux exigences essentielles de la réglementation. Cette « nouvelle approche » a permis d'améliorer le fonctionnement du marché intérieur grâce à la prévention des entraves aux échanges, la reconnaissance mutuelle et l'harmonisation technique. La normalisation vient en appui de l'harmonisation technique européenne.

Avec la « nouvelle approche », les directives européennes portant sur la conception et la mise sur le marché des produits se bornent à fixer les exigences essentielles (les objectifs à atteindre) sans entrer dans le détail technique des moyens pour y parvenir. C'est à la normalisation qu'incombe la tâche de définir les caractéristiques des produits afin qu'ils répondent aux exigences essentielles. Les normes dites harmonisées sont développées pour la mise en oeuvre de ces exigences, sur une demande de normalisation (mandat) de la Commission européenne. Les directives ou règlements dits « nouvelle approche » ont institutionnalisé ce type de référence aux normes dans la réglementation34(*). Cette approche de la législation technique harmonisée est, encore aujourd'hui, considérée comme un mode de réglementation adapté et efficace pour accompagner l'innovation technologique et accroître la compétitivité de l'industrie européenne.

En France, un « guide relatif à la mise en application des directives élaborées sur la base des dispositions de la nouvelle approche et de l'approche globale », le « guide bleu », a été publié en 2000, et révisé en 2014 puis 2016. Une nouvelle édition vient de paraître le 29 juin 202235(*). Il vise une meilleure compréhension de la réglementation de l'Union européenne relative aux produits et, d'autre part, à une application plus uniforme et cohérente de cette réglementation dans les différents secteurs et dans l'ensemble du marché unique.

Prenant conscience de sa « naïveté » selon les propos du Commissaire européen Thierry Breton, se traduisant par un désengagement des instances de normalisation, la stratégie de l'Union européenne en matière de normalisation du 2 février 202236(*), articulée autour de cinq grands principes, a été suivie, le 14 décembre 2022, d'une modification du règlement de 201237(*) pour renforcer le rôle de premier plan de l'Europe en matière de normes mondiales, stimuler l'innovation et moderniser le système de normalisation. L'objectif est, notamment, d'« éviter toute influence indue d'acteurs de pays ne faisant pas partie de l'Union européenne et de l'Espace Économique Européen dans les processus de décision lors de l'élaboration de normes pour des domaines clés ». Il s'agit d'une réaction à la stratégie d'influence de la Chine, négligeable en 2012 et devenue dix ans après la troisième puissance normalisatrice derrière l'Allemagne et les États-Unis. La Chine s'est dotée d'une stratégie de long terme avec le plan « China Standards 2035 »38(*).

Ce droit souple apparaît, pour le Conseil d'État, dans l'étude annuelle qu'il y a consacré en 201339(*) « comme préférable à la règle générale et contraignante. Le droit souple irrigue tous les aspects de la vie des entreprises, qu'il s'agisse du commerce international, des relations avec les consommateurs, des activités bancaires et financières, des normes techniques, des normes comptables, de la gouvernance des entreprises ou encore de la responsabilité sociale et environnementale ».

La vie des entreprises est le domaine d'élection du droit souple. L'exemple le plus important est sans doute le code AFEP - MEDEF qui régit le gouvernement d'entreprise dans tous ses aspects40(*). On peut également citer les relations commerciales internationales, le droit de la consommation, la normalisation technique ; les normes comptables ; la gouvernance des sociétés et la rémunération de leurs dirigeants ; la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) des entreprises.

La démarche de conformité permet de mobiliser l'ensemble des composantes de l'entreprise dans le respect des codes de conduite, des référentiels, des chartes, « qui opèrent une traduction du droit dans le langage interne de la firme et le mettent en rapport avec sa stratégie. Elle inscrit la surveillance du respect des obligations juridiques dans ses mécanismes de contrôle interne tels que l'audit ou les dispositifs d'alerte. L'entreprise peut chercher dans cette optique à aller plus loin que le strict respect des dispositions législatives et réglementaires, celles-ci ne fixant en matière de droit du travail ou de l'environnement que des obligations minimales ». Selon Christophe Roquilly41(*), « plusieurs raisons peuvent pousser les entreprises à dépasser le niveau d'exigence fixé par la réglementation ; il peut s'agir de raisons stratégiques (création d'un avantage concurrentiel et modification de la norme juridique dans un sens favorable à l'entreprise ; réponse à des pressions sociales externes et préservation de la réputation de l'entreprise ; volonté de développer une culture de la conformité fondée sur des valeurs partagées au sein de l'entreprise ; gestion du risque d'interprétation de la norme juridique)...».

Toutefois, la compétition entre entreprises conduit à « durcir » cette normalisation en la rendant quasi-obligatoire : « La normalisation technique est sans doute le modèle le plus abouti de droit souple ayant acquis une valeur de référence, à tel point qu'il est l'instrument de la standardisation des produits ou des services fournis par les entreprises. Il existe une abondante littérature économique sur l'intérêt que peuvent trouver les entreprises à participer à des processus de standardisation et à appliquer les normes qui en sont issues. La standardisation donne confiance aux consommateurs, elle réduit les coûts de transaction et permet de réaliser des économies d'échelle en réduisant la diversité des produits fabriqués. Lorsqu'un standard devient prédominant sur un marché donné, les entreprises concernées n'ont souvent guère d'autre choix que de s'y conformer », précise l'étude du Conseil d'État.

c) Une démarche de normalisation favorable à la croissance

Quand une entreprise élabore et applique les normes volontaires, elle en tire un bénéfice visible sur son compte de résultats.

Cet enseignement a été tiré d'une étude commune réalisée par l'AFNOR et l'UNM (Bureau de normalisation sectoriel de la mécanique, du caoutchouc et de l'acier) en décembre 201742(*).

Selon cette étude, les entreprises de la mécanique qui s'impliquent dans les commissions de normalisation connaissent une croissance de leur chiffre d'affaires de 23 % supérieure et de 20 % à l'exportation, par rapport aux autres entreprises.

Ces normes volontaires « permettent de se présenter à l'export et de répondre à des appels d'offres avec une technologie, un service ou une organisation reconnus et partagés, évitant au client de se sentir prisonnier d'une technologie ou d'un système fermé. Ce langage commun se joue des frontières géographiques avec une solution de référence fiable dont la légitimité est garantie internationalement par et pour les professionnels ».

Cette implication des entreprises dans la création de normes qui leur sont applicables est un atout et une garantie.

La direction générale des entreprises du ministère de l'Économie et de finances partage cette analyse43(*) et a rédigé, en 2016, un guide relatif au bon usage de la normalisation dans la règlementation, comme cela a été évoqué.

Le décret n° 2021-1473 du 13 novembre 2021 ayant modifié le décret relatif à la normalisation a introduit une simplification au bénéfice des entreprises en prolongeant la durée maximale de l'agrément des bureaux de normalisation sectoriels à 4 ans au lieu de 3, dans un souci d'allègement de la charge administrative des bureaux de normalisation.

LA SIMPLIFICATION DE LA NORMALISATION

La règlementation antérieure au décret du 10 novembre
2021 prévoyait que l'AFNOR devait transmettre, avant leur publication, toutes les normes, soit plusieurs milliers par an -, au délégué interministériel aux normes afin que celui- ci puisse, le cas échéant, s'opposer à leur publication. Ce processus, lourd pour l'AFNOR et la Direction générale des entreprises (DGE), ne semblait plus opportun, dans un contexte où la très grande majorité des normes sont désormais européennes ou internationales et font ainsi l'objet de publication en dehors du territoire.

Le décret du 10 novembre 2021 simplifie la procédure d'homologation des normes en supprimant la consultation systématique du délégué interministériel aux normes et prévoit que ce dernier ne sera saisi qu'en cas de difficulté concernant une norme purement française. De plus, le rôle des responsables ministériels aux normes est également renforcé. En effet, ils assurent désormais la liaison entre leur département ministériel et le délégué interministériel aux normes, l'AFNOR et les bureaux de normalisation sectoriels agréés. En outre, les nouvelles dispositions allongent la durée maximum de l'agrément des bureaux de normalisation
sectoriels (qui sont en charge de l'élaboration des projets de normes) que le délégué interministériel aux normes accorde au vu des résultats d'une évaluation de leurs activités réalisée par un comité d'audit et d'évaluation. Le passage de 3 à 4 ans devrait permettre d'alléger la charge administrative des bureaux de normalisation.

Dans un objectif de simplification et d'accélération du processus de mise à disposition des normes pour les utilisateurs, le décret prévoit de permettre, par exception, une traduction partielle en français. Avant le texte de 2021, une disposition imposait que les normes produites au niveau européen ou international et reprises par l'AFNOR soient traduites en français. Une telle obligation entraînait des coûts et des délais importants. Cette faculté de traduction d'une partie du texte seulement sera encadrée et contrôlée par l'AFNOR. La traduction partielle ne pourra pas concerner des normes rendues d'application obligatoire. Toutefois, le délégué interministériel aux normes pourra, pour des motifs d'intérêt général, demander qu'une norme soit mise à disposition en français.

Source : La lettre de la DAJ, n° 329 - 2 décembre 2021.

Cependant, seules 2 300 entreprises françaises participent aux travaux de normalisation et seuls 5 % des standards internationaux sont d'origine française, même si la France demeure le troisième pays le plus influent.

4. La norme crée une rente au détriment des entreprises et réduit la concurrence

Si la norme obligatoire est une règle du jeu pour les entreprises, elles constitue également « un produit, conçu puis vendu par des agents de normalisation » créant « un véritable fonds de commerce » constitué « par le patrimoine qui représentent l'appareil normatif et les flux financiers qu'il génère », selon l'Iseor44(*).

La complexité normative ou organisationnelle qui environne l'entreprise produit un écosystème qui se développe autour des fonctions d'inspection, de contrôle, de contentieux juridique, d'audit, d'expertise, de certification. Des professionnels des formalités administratives sont les mandataires des entreprises dans leurs rapports avec l'administration.

Dans la théorie économique classique, si l'intervention de l'État est justifiée en présence de défaillances de marché, rien ne garantit a priori que les réglementations soient l'instrument le plus approprié, qu'elles soient fixées à leur juste niveau, ou qu'elles ne soient pas devenues moins pertinentes avec le temps. Il existe en particulier un risque que la réglementation soit excessive et se traduise par une baisse de l'intensité concurrentielle qui pénalise les consommateurs.

Plus généralement, en limitant la concurrence, les réglementations peuvent être à l'origine d'un faible niveau de productivité. D'une part, la réduction de la pression concurrentielle permet aux entreprises de bénéficier de rentes et de prix élevés sur les marchés réglementés, ce qui limite leurs incitations à investir et à innover (effet direct). D'autre part, les entreprises sur les marchés aval verront aussi leurs incitations à innover réduites dans la mesure où une partie de leur rente d'innovation pourra être captée par les entreprises en amont du processus de production (effet indirect). Il existe également un risque de « capture du régulateur » « lorsque les entreprises régulées utilisent leur meilleure connaissance du fonctionnement du marché pour inciter le régulateur à adopter des positions qui leur sont favorables »45(*).

Enfin, de trop fortes réglementations sont un obstacle à la croissance des PME. Les grandes entreprises ont plus de moyens pour répondre aux exigences des réglementations du fait de leur taille et de leur capacité à gérer la complexité. Cette situation bloque l'entrée de nouveaux concurrents, ou les empêche de croître.

Une étude canadienne a ainsi estimé que le coût de la conformité était de 36 % plus élevé pour les petites entreprises que pour celles de grande taille46(*).

En matière fiscale, une étude de la Commission européenne47(*), publiée le 7 avril 2022, portant sur l'exercice fiscal de 2019, considère que : « les PME sont confrontées à un désavantage comparatif par rapport aux grandes entreprises, la charge de conformité à laquelle elles sont soumises étant jugée disproportionnée par rapport à leur taille. Par ailleurs, elles ne disposent, en général, pas des ressources financières et humaines nécessaires en interne pour se plier aux obligations réglementaires qui pèsent sur elles (et qui diffèrent en fonction de leur État membre d'implantation), et sont contraintes de recourir à la sous-traitance pour s'y conformer ».

Inversement, des acteurs aident les entreprises dans leurs démarches administratives, pour la compréhension et l'appropriation des normes. C'est ainsi que le réseau des CCI, acteur historique des formalités d'entreprise, accompagne depuis plus de 40 ans et conseille les créateurs d'entreprise et les chefs d'entreprise dans la réalisation de leurs formalités. Ces conseils ont pour objectif de simplifier, faciliter la réalisation de ces démarches administratives obligatoires. Leur succès tient au fait qu'ils sont prodigués par un réseau de chefs d'entreprises.

B. UN FARDEAU NORMATIF QUI NUIT À LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES

1. Le coût des normes estimé par l'OCDE

Les réglementations sociales et économiques engendrent aussi un fardeau administratif pour les entreprises et les consommateurs qui y sont soumis.

Le fardeau administratif global associé à la réglementation a pu ainsi être défini comme dans la littérature académique48(*) comme « le coût de la réglementation administrative plus le coût administratif des réglementations économique et sociale ».

Pour l'OCDE49(*), l'expression « coûts de la réglementation » couvre l'ensemble des coûts liés à l'adoption d'un nouveau dispositif réglementaire, qu'ils soient de nature directe ou indirecte et qu'ils incombent aux entreprises, mais également aux consommateurs, à l'État ou à leurs différents représentants (les contribuables, par exemple) et à d'autres catégories50(*).

Dans la classification de l'OCDE, les coûts de mise en conformité sont ceux qui s'appliquent à toute entreprise ou à toute autre partie visée par un dispositif réglementaire qui devrait prendre des mesures pour s'y conformer, ainsi que les coûts incombant à l'État au titre de l'administration et du contrôle de la réglementation51(*).

Source : « Guide de l'OCDE sur l'évaluation des coûts
de mise en conformité avec la réglementation », 2019

Les coûts de mise en conformité se répartissent en plusieurs catégories :

- Les charges administratives représentent tous les coûts induits par les obligations d'informer qui découlent d'un dispositif réglementaire. Ces obligations correspondent à des contraintes réglementaires imposant la communication d'informations et de données au secteur public ou à une tierce partie. Une obligation d'informer ne signifie pas toujours que l'information en question doit être transmise à l'autorité publique ou aux particuliers concernés, mais elle peut supposer que l'on en dispose pour éventuellement la fournir en cas d'inspection et la communiquer sur demande. Tout dispositif réglementaire est susceptible de contenir plusieurs clauses d'obligation d'informer.

- Les coûts de mise en conformité de base sont des coûts marginaux que la mise en conformité avec un dispositif réglementaire fait peser sur la catégorie d'entreprises - hormis les coûts administratifs. Ces coûts se limitent aux coûts directs imputables à ceux à qui la réglementation impose une obligation de mise en conformité52(*).

- Les coûts d'administration et de contrôle sont ceux que l'État doit prendre en charge au titre de l'administration et du contrôle des contraintes réglementaires. On peut considérer qu'ils relèvent de la catégorie des coûts de mise en conformité dans la mesure où ils sont directement liés à la réalisation des objectifs du dispositif réglementaire concerné, et où ils constituent une composante incontournable des coûts liés à la réglementation. Cela étant, ils incombent à des entités publiques (en tant que charges publiques) et non à des entreprises ou à d'autres groupes ciblés par la réglementation.

Les autres coûts liés à la réglementation comprennent :

- Les coûts financiers de la réglementation correspondent aux coûts des investissements consentis afin de se mettre en conformité avec la réglementation. En clair, lorsque des investissements doivent être réalisés (par exemple pour acheter des équipements, etc.) afin de se conformer à un dispositif réglementaire, les coûts qui incombent à l'entreprise concernée comprennent non seulement le prix d'achat des biens en question mais aussi celui du financement de l'achat - que ce soit sous forme d'endettement ou au moyen de fonds propres.

- Les coûts indirects sont généralement liés à l'évolution des comportements que suscite la première vague d'effets de la réglementation53(*).

- Les coûts d'opportunité correspondent aux coûts liés à la nécessité de détourner des dépenses initialement prévues pour certains usages (par exemple des usages productifs) vers la mise en conformité avec la réglementation, comme le temps de travail consacré à des activités de mise en conformité aux dépens d'autres activités productives.

- Enfin, les coûts macroéconomiques correspondent aux incidences que les dispositifs réglementaires ont en termes de coût sur des variables macroéconomiques telles que le PIB et l'emploi. Peu de mesures d'ordre réglementaire influent de façon visible sur les coûts macroéconomiques. Dans certains cas, toutefois, elles peuvent constituer un facteur de coût considérable.

L'OCDE propose une méthodologie d'évaluation des coûts de mise en conformité (ECMC) qui favorise la prise en compte de l'ensemble des coûts liés à la réglementation et le recensement fiable des principaux facteurs de coût, lequel « constitue un socle ferme à partir duquel comparer les mesures prévues et améliorer les propositions initiales de réglementation, afin que les solutions adoptées in fine soient de meilleure qualité ».

L'OCDE produit également tous les cinq ans depuis 1998 deux indicateurs de régulation, le PMR (Product Market Regulation) et le NMR (Non Manufacturing sectors Regulation). Cinq versions ont déjà été publiées, pour les années 1998, 2003, 2008, 2013 et 2018. Le PMR mesure l'environnement réglementaire pour les biens et services de chaque pays par grandes familles de régulation - intervention de l'État, barrières domestiques et internationales à la concurrence - tandis que le NMR évalue les réglementations séparément pour différents secteurs - les industries de réseau (énergie, télécommunications et transports), le commerce et les professions réglementées. Les notes s'échelonnent de 0 à 6, de la réglementation la moins restrictive à la plus restrictive. Le NMR et le PMR sont de fait des indicateurs de référence utilisés par les institutions internationales pour quantifier l'impact des réformes économiques.

Structure de l'indicateur global « Product Market Regulation » (PMR)

Source : « Les règlementations sectorielles en France », note Trésor éco n°203, août 2017

En 2018, la France obtenait juste le score de 1,57 - plus le score est élevé, plus la réglementation entrave la concurrence -, contre 1,23 pour la zone euro en moyenne.

Comme les autres pays de l'Union européenne et de l'OCDE en général, la France a connu entre 1998 et 2018 un mouvement d'allègement de la réglementation. Elle enregistre en particulier une baisse significative de son indice PMR de 37,5 % entre 1998 et 2013, ce qui la rapproche du niveau constaté au Royaume-Uni, mais l'éloigne de celui de l'Allemagne, dont la baisse est encore plus forte.

Ces indices présentent naturellement des limites. En effet, ils ne prennent en compte ni les réformes en cours ni les différences de situation économique. Ils donnent une vision partielle des différences qui peuvent exister entre les politiques réglementaires d'un pays à l'autre. Certaines régulations informelles, comme des mesures protectrices appliquées par des corps professionnels, peuvent ne pas être comptabilisées dans le calcul du PMR, de même que le degré de mise en oeuvre réel des réglementations recensées. En outre, le PMR ne rend pas compte des aspects positifs des réglementations lorsqu'elles favorisent une meilleure santé, une sécurité accrue ou une baisse des externalités environnementales négatives. Enfin, l'indice intègre la participation publique dans le capital des entreprises54(*).

Une note de 2017 du « Trésor Eco » a souligné les limites de l'applicabilité du PMR à la réglementation française d'origine publique55(*), dont les indicateurs ne sont pas articulés avec des problématiques relevant de la santé, de la sécurité, de l'environnement, ou de la protection du consommateur56(*).

Par exemple, pour mesurer la difficulté de créer une société, l'indicateur se fonde sur la durée et le coût de création d'une société anonyme (SA), ce qui n'est que peu pertinent pour la France où presque toutes les entreprises créées sous formes de sociétés optent pour un autre statut: en 2015, les SARL et SAS représentent ainsi 96 % des entreprises créées sous formes de sociétés. Si cet indicateur était calculé sur la création d'une SARL et non d'une SA, il serait réduit de moitié, car il n'y a pas de capital minimum pour fonder une SARL (contre 37 000 € pour les SA), ni d'obligation de nommer un commissaire aux comptes à la création de la société.

Par ailleurs, l'OCDE a publié en 2022 une recommandation relative à la politique en direction des PME et de l'entrepreneuriat. Pour l'organisation, la conception et la mise en oeuvre des politiques à l'égard des PME doit :

« (i) Veiller à ce que les retombées pour les PME et les entrepreneurs soient prises en compte dans les divers domaines d'action qui influent sur leurs perspectives et leurs résultats, afin de renforcer les effets de synergie des politiques, de procéder aux éventuels arbitrages et d'alléger la charge administrative, notamment par une plus grande attention portée aux particularités et conditions qui leur sont propres dans la conception des politiques et de la réglementation, par des tests d'impact sur les PME et des évaluations, par des mécanismes de consultation, par des procédures rationalisées et des approches de la mise en oeuvre centrées sur l'utilisateur.

(ii) Tenir compte de la diversité des PME et des entrepreneurs tout au long du processus de l'action publique, en évaluant les implications pour différents types de PME, d'entrepreneurs et de travailleurs indépendants, en adoptant des typologies adaptées et en recueillant des données précises sur les principales caractéristiques, les résultats et les comportements des PME et des entrepreneurs.

(iii) Mettre en place des mécanismes robustes de suivi et d'évaluation qui mesurent systématiquement l'impact de l'action publique sur les PME et l'entrepreneuriat, au moyen de données et méthodologies pertinentes, et en tenant compte des résultats ainsi obtenus dans les nouvelles initiatives publiques ».

2. Plusieurs méthodes d'évaluation du coût d'une norme coexistent

Plusieurs méthodes d'évaluation du coût de la réglementation pour les entreprises coexistent.

En Grande-Bretagne57(*), les coûts de mise en conformité sont présentés sous la forme de coûts annuels moyens. Le calcul des coûts ponctuels et des coûts permanents intervenant tout au long de la période pendant laquelle la réglementation est en vigueur permet d'obtenir la « valeur actuelle des coûts nets pour les entreprises ». Divisée par un taux d'annuité, elle donne le « coût équivalent annuel net pour les entreprises », lequel permet de comparer les coûts moyens de la réglementation dans différents domaines des politiques publiques. La formule utilisée est la suivante :

Où :

Coût équivalent annuel net pour les entreprises - EANCB

Valeur actuelle des coûts nets pour les entreprises - PVNCB

Taux d'annuité - at,r

Période au cours de laquelle la mesure est en vigueur dans l'évaluation - t

Taux d'actualisation - r

Aux Pays-Bas58(*), la méthode d'analyse de la charge réglementaire déterminée par les coûts (CAR) commence par déterminer un secteur donné, puis dresse un panorama de toutes les réglementations auxquelles sont soumises les entreprises de ce secteur. Elle définit ensuite une « entreprise de référence » dans le secteur, qui doit être financièrement saine et respectueuse des obligations réglementaires. Une « analyse de l'entreprise » est effectuée à partir des données fournies par l'administration de l'entreprise et d'entretiens avec la direction, et en appliquant une Matrice de comptabilité sociale59(*) élargie pour estimer les coûts.

La méthode CAR comprend les cinq étapes suivantes : identification des centres de coûts, affectation des coûts, quantification de la charge réglementaire, détermination des causes de la charge réglementaire et consolidation des résultats.

À la fin du processus, les résultats sont vérifiés au moyen de consultations auprès d'autres entreprises du secteur. Les résultats servent ensuite à définir un « plan de réduction du secteur » adapté pour réformer la réglementation et diminuer les coûts et les charges réglementaires.

La France a développé un outil de simulation de la charge administrative de la réglementation (« OSCAR ») de 2008 à 2012. Il a ensuite été abandonné du fait de la lourdeur du processus de saisie des données recensées au profit d'un guide méthodologique (dont la dernière édition est de novembre 2019) qui met à disposition des ministères des outils, des sources de données et des méthodes de chiffrage permettant de calculer l'ensemble des coûts et des gains produits par la norme.

Pour mesurer le coût d'une contrainte nouvelle, deux principales méthodes sont actuellement utilisées par les ministères :

- La méthode des coûts réels : prévision fondée sur le coût effectivement observé par le passé. Souvent, cette méthode se heurte à l'absence de donnée disponible et sur le caractère non quantifiable de certaines tâches ;

- La méthode des coûts standards : estimation fondée sur des coûts préétablis plausibles pour chaque action. C'est une estimation, qui repose sur la description des étapes précises de réalisation d'une tâche (remplir un formulaire, lire un document, etc.). C'est une approche moins fine mais qui permet de dégager facilement et rapidement des ordres de grandeur.

Des référentiels pour calculer de manière homogène les tâches administratives sont mis à disposition des ministères par le SGG (notamment sur la base des données de l'OCDE et de l'INSEE). Selon ce dernier, ils donnent « une définition précise des charges administratives attendues (coûts salariaux et coûts de prestations de service principalement), soit l'ensemble des dépenses à effectuer par les entreprises afin de respecter les procédures »60(*). Ce guide méthodologique s'accompagne d'un tableur de calcul des impacts de la norme nouvelle, également disponible en ligne, qui permet en fonction des données renseignées de calculer l'impact prévisionnel de la norme.

Depuis 2011, il a été donné instruction aux ministres de prêter une attention particulière à l'impact de la norme sur les entreprises.

Ainsi, la circulaire du Premier ministre du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales, publiée au Journal officiel du 18 février 2011, a donné instruction aux membres du Gouvernement de procéder à une « analyse d'impact circonstanciée » pour tout projet de texte comprenant des mesures concernant les entreprises, c'est-à-dire susceptibles d'avoir une incidence sur elles, particulièrement sur les petites et moyennes entreprises et sur les entreprises du secteur industriel. Le secrétariat général du Gouvernement, rendu destinataire de cette analyse d'impact à l'appui du projet de texte, apprécie si elle a été conduite de manière satisfaisante et contribue à son amélioration en liaison avec le ou les ministères porteurs du texte.

La circulaire du Premier ministre du 12 octobre 2015 relative à l'évaluation préalable des normes et qualité du droit prévoit par ailleurs que les projets de texte réglementaire sont systématiquement accompagnés d'une fiche d'impact dès lors qu'ils ont un impact significatif qui s'apprécie en termes de charges nouvelles ou d'économie pour les entreprises et le public. Selon le SGG61(*), « le ministère porteur du ou des projets de texte doit apprécier, de manière pragmatique, le caractère significatif de l'impact en prenant en compte les spécificités du secteur auquel le texte a vocation à s'appliquer ».

Enfin, lors du processus d'élaboration de nouvelles normes ayant un impact sur les entreprises, les ministères porteurs du texte « sont invités à engager des concertations avec les représentants du ou des secteurs économiques concernés. Ces concertations qui sont, au même titre que les consultations obligatoires et facultatives, répertoriées dans l'étude d'impact du projet, permettent d'enrichir l'évaluation de son impact ».

3. Un coût économique de la charge administrative mal connu
a) Un consensus autour d'un coût de 60 milliards

Le coût macro-économique de la réglementation pesant sur les entreprises n'est pas connu avec certitude, variant du simple au double.

Le coût macroéconomique de la règlementation pour la France a été évalué très globalement par l'Union européenne62(*) dans une ancienne étude remontant à 2006 à « 3,7 % » du PIB alors que l'étude de référence de janvier 200563(*) présente une fourchette, entre 2,9 % et 3,7 % du PIB, remontant des calculs de l'année 2003.

Aucune actualisation n'a été réalisée depuis 20 ans.

Ce chiffre a été retenu par le rapport Attali de 2008 qui appelait à « simplifier et stabiliser les normes » en dénonçant le caractère « inhibiteur » de l'excès de norme pour l'innovation entrepreunariale.

La norme s'imposant à la collectivité nationale souffre d'une division inintelligible entre les différents instruments : directive, loi, règlement, circulaire, etc. En résultent beaucoup d'imprécisions, de temps perdu et d'inefficacité. La coordination entre la norme nationale et la norme européenne est mal organisée. Cette complexité du droit crée une insécurité juridique préjudiciable aux citoyens, notamment les plus modestes, aux entreprises et à la croissance. Un droit incertain inhibe les initiatives des entrepreneurs, d'autant plus s'ils sont jeunes et veulent innover. La situation devient critique : le volume des textes applicables a triplé en 10 ans, la moitié d'entre eux au moins n'étant pas appliqués. Face à cette accumulation, le Parlement n'est pas encore armé pour exercer son contrôle. Ces problèmes ont un impact direct sur la croissance : les « coûts » engendrés par la complexité normative ont ainsi été évalués par la Commission européenne à 3 % du PIB européen, tandis que l'OCDE les chiffre à 3/4 % du PIB selon les pays. Pour la France, ce coût est estimé à 60 milliards d'euros. Toutes les enquêtes internationales citent d'ailleurs la complexité, l'instabilité et l'imprévisibilité normatives parmi les handicaps majeurs de la France : comment investir ou embaucher dans un pays qui change en moyenne 10 % de ses codes chaque année, qui a modifié 37,7 % du code général des impôts et plus de 40 % du code du travail au cours des deux seules dernières années ?

Source : Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française (2008).

Un rapport de l'OCDE de 201064(*), se rapportant au Programme de mesure et réduction des charges administratives (MRCA) ayant recensé, entre 2006 et début 2008, la législation d'origine européenne et nationale65(*), a permis d'estimer le coût total des charges administratives pesant sur les entreprises à 60 milliards d'euros, soit 2,8 % du PIB de 2007, soit la fourchette basse de l'estimation européenne.

La circulaire du 20 janvier 2018 sur la simplification du droit et des procédures en vigueur reprend, pour sa part, l'estimation de l'OCDE et évoque la « seule charge administrative pesant sur les entreprises représente en France un coût supérieur à 3 % du produit intérieur brut, soit environ 60 milliards d'euros par an ».

b) Un coût réel deux fois supérieur ?

Une estimation récente de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques66(*) évalue, sans précision méthodologique, le poids des normes « entre 3,5 % et 4,5 % du PIB français, soit entre 87 et 112 milliards € ; de ce total, la part des charges administratives pesant sur les entreprises oscillerait entre 75 et 80 %, soit entre 75 et 87 milliards € », ce qui représenterait une « hypothèse basse ». Cette estimation actualise celle de l'OCDE de 2010 en « prenant en compte partiellement l'augmentation de 14 % du nombre de mots codifiés et non codifiés de notre droit réglementaire et législatif consolidé depuis 2010 », en établissant une corrélation entre inflation normative et coût pour les entreprises.

Pour Henri Savall, fondateur et Véronique Zardet, directrice générale de l'Institut de Socio-Économie des Entreprises et des Organisations de l'Université Jean Moulin de Lyon67(*), l'entreprise est confrontée, face à la norme, au dilemme entre l'exploiter, en adaptant son organisation et sa stratégie, ce qui peut être rentable en se différenciant de la concurrence, et fuir, en s'abstenant de créer de la valeur. Ils estiment que les coûts de dépenses effectives des entreprises engagées pour se conformer à une norme doublent en raison de ce coût d'opportunité.

Ainsi, le coût probable pour l'économie de la norme68(*) ne serait pas de 3 à 4 % du PIB mais de 6 à 8 %.

c) Entre 1 % et 3 % du chiffre d'affaires des TPE

Une enquête récente, réalisée pour le Syndicats des indépendants69(*), estime le coût de la gestion comptable et sociale entre 1% et 3% du chiffre d'affaires pour 54 % des TPE.

Comme, pour 71% d'entre eux, le conjoint n'est pas impliqué dans l'entreprise dans la gestion de la charge administrative, cette charge incombe intégralement à l'entrepreneur ou ce dernier l'externalise. Dans le premier cas, pour éditer les factures, réaliser des devis et aux contacts avec les fournisseurs, elle représente en 4 et 8 heures par semaine de temps de travail pour 40 % de chefs d'entreprise et de plus de 8 heures pour 30 % d'entre eux.

Dans le second cas, les charges administratives externalisées sont estimées entre 1 % à 3 % du CA pour 54 % des TPE.

Le coût mensuel des prestations extérieures représente pour 10 % des TPE de 100 à 200 euros, pour 26 % de 200 à 400 euros et pour 22 % de 400 à 600 euros. Pour 15 % d'entre elles, le coût est même supérieur à 2 000 euros.

II. L'ÉCHEC DES TENTATIVES DE SIMPLIFICATION DEPUIS 35 ANS

Alors que la complexité administrative pèse sur la compétitivité des entreprises et freine la création de nouveaux acteurs économiques, le caractère discontinu des efforts de simplification s'oppose au caractère continu de la complexité.

A. UN HANDICAP POUR LES ENTREPRISES DONT LE DIAGNOSTIC A ÉTÉ POSÉ IL Y A PRÈS DE SOIXANTE ANS

1. Un élément du discours politique depuis... 1966

Depuis la célèbre apostrophe de 1966 du Président Pompidou au jeune ministre Chirac (« Mais arrêtez donc d'emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays »), nombreux ont été les Premiers ministres de la Vème République à engager des programmes de simplification des procédures et des normes.

Pierre Messmer, dans son discours de politique générale, le 3 octobre 197270(*), fut suivi par Jacques Chirac, le 5 juin 197471(*), puis Raymond Barre, à l'occasion de celui du 5 octobre 197672(*).

La simplification a d'abord privilégié l'amélioration des relations entre l'administration et les citoyens. Un secrétariat d'État chargé des réformes administratives fut créé en avril 1977 auprès du Premier ministre. La politique d'allégement des procédures et formalités s'est développée essentiellement de 1977 à 1981, période au cours de laquelle cinq programmes annuels, portant sur plus de 400 mesures ont été adoptés.

C'est durant cette période qu'ont été adoptées les grandes lois de transparence du service public73(*).

Cette politique a été poursuivie à partir de mai 1981, mais avec un rythme moins soutenu. Une commission de simplification des formalités des entreprises (COSIFORME) est créée. En outre, 164 mesures ont été retenues dans le programme de simplifications administratives arrêté pour 1984-1986.

Entre 1986 et 1988, l'accent a été mis sur les simplifications des formalités imposées aux entreprises, dans un mouvement plus général d'allégement des contraintes découlant de la réglementation, notamment dans les domaines économique et social.

À partir de juin 1988, la simplification participe au renouveau du service public avec la circulaire du 23 février 1989. Cette volonté s'est traduite en particulier par la réorganisation des structures chargées de promouvoir ces simplifications (création de la commission pour la simplification des formalités en décembre 1990) et par le développement de l'usage des moyens « télématiques » dans les relations entre l'administration et les usagers.

Il y a près de trente ans, Alain Juppé mentionne à nouveau, le 23 mai 1995, la nécessité de simplifier les procédures administratives pour libérer l'initiative des entreprises, notamment des PME74(*). Lionel Jospin s'inscrit dans un discours comparable, le 19 juin 199775(*).

Malgré ce consensus politique, les discours ont été peu suivis d'effets structurels.

2. Une déploration constante depuis le début du XXIème siècle

La prolifération normative et la déploration face à cette situation, sont constantes depuis une quinzaine d'années comme en témoignent les nombreux rapports publiés sur ce sujet76(*).

Ce vécu de « fardeau » est une constante exprimée par les chefs d'entreprises rencontrés régulièrement par la délégation aux Entreprises lors de ses déplacements sur le terrain.

Il est corroboré par une consultation des entrepreneurs réalisée par CCI France et Opinion Way en décembre 2022, dans le cadre de la convention signée avec Sénat (avenant de juillet 2022 officialisant les sondages et études), sur demande de la délégation aux Entreprises. Ainsi, la majorité des dirigeants considère que les obligations liées à la gestion d'une entreprise se sont alourdies par rapport au début du quinquennat précédent : 61 % jugent qu'elles sont plus compliquées à gérer (dont 36 % beaucoup plus compliquées). Un tiers des chefs d'entreprise n'a pas perçu d'évolution dans un sens ou dans un autre (31 %), mais très peu ont le sentiment que la situation s'est améliorée : seuls 7 % estiment que ces obligations sont plus simples à gérer aujourd'hui qu'il y a cinq ans. Les dirigeants d'entreprise ont davantage le sentiment d'une complexification de leurs obligations dans les secteurs de la construction et du commerce (respectivement 69 % et 67 %).

À cet « impôt papier » qui pèse sur les entreprises, s'ajoute une culture administrative qui s'investit davantage dans un rôle de contrôle (59 %) et de sanction (52 %), que dans un rôle de conseil vis-à-vis des entreprises (27 %). L'État apparaît plus présent pour les chefs d'entreprises comptant au moins dix salariés, mais toujours moins porté sur l'accompagnement. Près de trois quarts d'entre eux considèrent que les services de l'État remplissent leur rôle de contrôle (73 %), et deux tiers partagent cet avis concernant leur rôle de sanction (63 %) mais, seulement 38 % s'agissant de leur rôle de conseil.

Le baromètre de la complexité normative établie par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) est toutefois plus optimiste dans son édition 2022.

UNE PERCEPTION DE LA COMPLEXITÉ ADMINISTRATIVE EN AMÉLIORATION ?

Avec 25 %, soit - 13 points par rapport à 2019, le niveau de complexité connait l'évolution la plus favorable depuis la mise en place de ce baromètre. Ces résultats sont le fruit d'actions de simplification qui facilitent le quotidien des entreprises concernées par ces démarches. Il en est ainsi par exemple pour la réponse à un marché public (- 35 points de complexité, 29 %), la séparation avec un salarié (- 34 pts, 10 %), la construction de nouveaux locaux (- 22 points, 29 %) ou encore la création d'entreprise (- 21 points, 37 %).

Trois démarches présentent une complexité perçue de 50 % ou plus, contre 5 en 2019. Il s'agit des démarches relatives à la cessation de paiement (59 %, + 1 point), la cessation d'activité (53 %, + 19 points) et aux procédures judiciaires (51 %).

Les démarches permettant de répondre à des normes environnementales conservent un niveau de complexité élevé et équivalent à celui de 2019.

Alors que le niveau de complexité globale ressentie s'est fortement réduit, les entreprises évoquent néanmoins des difficultés, liées entre autres à la complexité du vocabulaire utilisé par les administrations et le manque de clarté des consignes associées ; la longueur des délais pour que les démarches aboutissent ; la difficulté d'identifier le bon interlocuteur au sein de l'administration ou encore la redondance des informations demandées.

Par ailleurs, l'enquête révèle que 79 % des entreprises déclarent avoir confiance dans les services publics. La confiance se matérialise dans l'écoute, l'échange ou encore l'accompagnement des professionnels : 100% des entreprises qui ont réalisé une démarche pour l'obtention de financements publics se déclarent ainsi à l'aise pour signaler une erreur à l'administration, 85 % pour une déclaration d'impôt ou encore 78 % pour recruter du personnel. Ce sentiment d'écoute des services publics à l'égard des entreprises est partagé par 52 % des répondants soit 10 points de plus qu'en 2019. Ce ressenti évolue favorablement depuis 2013 : il est d'autant plus fort parmi les structures plus importantes (+ 13 points par rapport aux moins de 10 salariés). La relation avec l'administration est donc plutôt perçue dans une logique de « partenaires » de démarches, une relation constructive et non anxiogène : 97% des créateurs d'entreprise se déclarent à l'aise pour signaler à l'administration une erreur commise de bonne foi, 93 % pour la déclaration d'impôt ou encore 89 % dans le contexte du recrutement d'un salarié.

Ces bons résultats matérialisent la réalisation de l'ambition de la loi pour un État au service d'une société de confiance du 10 août 2018, dite loi ESSOC, qui, en s'adossant sur deux piliers (faire confiance et faire simple), promeut une administration de conseil et de service dans laquelle les rapports entre le public et l'administration sont fondés sur les principes de loyauté, de confiance et de simplicité.

Source : Réponse de la DITP au questionnaire de la délégation aux entreprises du Sénat,
3 avril 2023.

3. Le Conseil d'État en « lanceur d'alerte » depuis 1991

Le diagnostic a été posé dès 1991 par le rapport du Conseil d'État sur l'inflation législative : « Qui dit inflation dit dévalorisation : quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu'une oreille distraite » ; « Le sentiment d'insécurité juridique que peut éprouver aujourd'hui le citoyen ne naît pas seulement de l'accumulation des textes, il naît aussi, à stock normatif constant, de la fréquence des changements » ; « Le droit n'apparaît plus comme une protection mais comme une menace ». Réitérant ses critiques en 200677(*), le Conseil d'État s'alarme même d'une complexité croissante des normes qui « menace l'État de droit ».

Dans le domaine des entreprises, et suite aux états-généraux de l'industrie organisés en mars 2010, un rapport avait été demandé en mai 2010 à Mme Laure de la Raudière, alors députée d'Eure-et-Loir. Ce rapport, remis en octobre 2010, garde toute son actualité dans le diagnostic qu'il a posé sur la France : « une règlementation complexe, trop évolutive et parfois plus sévère que dans d'autres pays européens » :

« L'environnement législatif et règlementaire dans lequel évoluent les entreprises a une influence déterminante sur leur compétitivité et leur capacité à créer des emplois. Il convient donc de veiller à ce que les charges directes et indirectes découlant de cet environnement n'entravent pas leur développement économique. Or, la multiplication des normes et l'instabilité juridique engendrée par des modifications successives et régulières compliquent parfois l'action des entreprises et occasionnent des coûts de mise en oeuvre qui pourraient sans doute être plus limités. Ce problème touche particulièrement les PME qui ne disposent pas toujours de moyens financiers suffisants ni d'un personnel qualifié capable d'analyser les textes législatifs et réglementaires et de remplir les multiples obligations administratives qui en découlent. Les difficultés rencontrées par les entreprises par rapport à l'environnement juridique de leur activité sont de plusieurs ordres. Elles peuvent tenir :

- à l'instabilité de l'environnement législatif et réglementaire,

- à l'inflation normative et au manque de lisibilité de certains textes,

- à des réglementations nationales parfois plus contraignantes que celles définies au niveau européen ou déclinées au niveau national dans les autres États-membres de l'Union européenne,

- à des procédures de contrôle inégalement appliquées faussant ainsi la concurrence,

- à un manque d'accompagnement des entreprises face à la charge réglementaire,

- aux contradictions réglementaires,

- à des effets de seuil encore trop pénalisants,

- à des délais d'instruction administrative trop longs, aux difficultés à obtenir un consensus suffisant.

Ce constat est partagé dans d'autres États européens ; par exemple, l'Allemagne a elle-même jugé ses réglementations « trop nombreuses, trop changeantes et trop peu lisibles », ce qui l'a conduite à engager des actions de simplification. La France ne peut rester à l'écart de cette évolution ».

L'étude annuelle du Conseil d'État de 2016, une nouvelle fois consacrée à la simplification et la qualification du droit, avait, pour la première fois, souligné l'apport de cette simplification à la compétitivité des entreprises et notamment celle des PME :

« Une meilleure qualité du droit favorise l'initiative économique. Compte tenu du taux satisfaisant de création d'entreprises en France, l'objectif prioritaire est de renforcer la solidité et de soutenir le développement des plus jeunes et des plus petites d'entre elles, afin d'augmenter le nombre d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). Or ce processus est entravé par le poids que fait peser la complexité des règles sur les petites et moyennes entreprises, et plus encore les très petites, notamment en matière de droit du travail. Les travaux du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (France Stratégie) montrent en effet qu'à proportion de leurs ressources, le poids des charges administratives est pour elles quatre fois plus élevé que pour les grandes entreprises. Un traitement spécifique de la complexité ou de la charge administrative pesant sur les seules PME, si souhaitable soit-il au regard des défis de la compétitivité, peut toutefois soulever des difficultés. La création de règles spéciales n'est pas toujours admissible sur le terrain du principe d'égalité, comme l'a rappelé la censure par le Conseil constitutionnel du plafonnement des indemnités de licenciement spécifique aux PME. Lorsqu'elles ne rencontrent pas d'obstacle juridique, les différenciations selon la taille de l'entreprise peuvent créer des effets de seuil qui freinent la croissance de ces entreprises. La meilleure réponse à ces objections reste toutefois qu'il faut abaisser le niveau de complexité pour tous, ce qui aura d'ailleurs, de façon mécanique, un effet bénéfique comparativement plus important sur les petites entreprises ».

Depuis ces diagnostics, la France, malgré d'indéniables efforts, n'a pas enclenché de cercle vertueux de simplification, contrairement à l'Allemagne qui a allégé les entreprises du fardeau normatif leur permettant de creuser l'écart avec leurs homologues françaises.

4. Les recommandations de l'OCDE depuis 2012

L'OCDE a adopté, le 22 mars 2012, la Recommandation du Conseil concernant la politique et la gouvernance réglementaires, premier instrument international à traiter de la politique, de la gestion et de la gouvernance réglementaires. Plusieurs éléments concernent les entreprises, car « lorsqu'ils élaborent des règlements, les pouvoirs publics doivent avoir conscience de l'incidence des coûts des réglementations sur les entreprises et les particuliers, ainsi que des effets disproportionnés sur les petites, moyennes et micro entreprises », selon la note explicative relative à cette règlementation.

L'OCDE souligne, avec pertinence que : « s'il n'existe aucune procédure régissant le renouvellement, le volume des formalités administratives tend à s'accroître au fil du temps, ce qui complique le quotidien des particuliers et nuit à l'efficacité des entreprises. Les formalités administratives peuvent être particulièrement pesantes pour les petites et moyennes entreprises, dans lesquelles la proportion des ressources consacrées aux fonctions administratives est plus importante que pour les grandes entreprises. Dans le secteur public, les contraintes administratives peuvent également s'avérer fastidieuses et préjudiciables à l'efficacité. Un des éléments de la stratégie du gouvernement pour améliorer les performances et la productivité de l'économie devrait consister à réduire le fardeau administratif des réglementations publiques pesant sur les particuliers, les entreprises et le secteur public. Néanmoins, il est tout aussi important de réduire d'autres fardeaux réglementaires du fait que les frais administratifs ne représentent qu'un pourcentage relativement faible des coûts globaux que les pouvoirs publics imposent aux entités soumises à la réglementation ».

L'OCDE a développé la méthode de l'Analyse d'impact de la réglementation (AIR) qui est une « démarche systémique d'évaluation critique des effets positifs et négatifs de la réglementation en projet ou en vigueur, ainsi que des substituts non réglementaires » permettant aux autorités publiques « de mieux veiller à l'efficience et à l'efficacité de la réglementation ».

Son étude de 2021 sur la politique de la réglementation78(*) souligne que la circulaire du 5 juin 2019, « introduit l'obligation pour chaque proposition législative d'être accompagnée de cinq indicateurs d'impact qui doivent être inclus dans l'analyse d'impact de la réglementation (AIR) »79(*). Elle considère que la France pourrait gagner à élargir son agenda de simplification réglementaire pour adapter et améliorer la qualité de son système réglementaire, « par exemple ouvrir plus systématiquement les consultations au grand public de profiter pleinement des avantages de engagement des parties prenantes ». La France pourrait également améliorer son système de contrôle ex-post en systématisant la pratique d'évaluation.

RECOMMANDATION DU CONSEIL CONCERNANT LA POLITIQUE ET LA GOUVERNANCE RÉGLEMENTAIRES, OCDE, 2012

(extraits)

Lorsque les projets de réglementation auraient d'importantes conséquences, l'évaluation ex ante des coûts, des avantages et des risques devrait être quantitative chaque fois que possible. Les coûts de la réglementation englobent les dépenses directes (frais administratifs, coûts financiers et dépenses d'investissement) et indirectes (coûts d'opportunité), que ces montants soient à la charge d'entreprises, de particuliers ou de l'État. Les évaluations ex ante doivent, le cas échéant, fournir une description qualitative des impacts qu'il est difficile, voire impossible, de quantifier, par exemple en matière d'équité, de justice et d'effets redistributifs (...)

Lorsqu'ils réalisent une évaluation, les responsables devraient :

· évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales, si possible en termes quantitatifs et financiers, en tenant compte des effets possibles à long terme et en fonction de considérations géographiques ;

· déterminer si l'adoption d'instruments internationaux communs permettra d'apporter une réponse efficiente aux problèmes pratiques constatés par les autorités et favorisera la cohérence au niveau mondial en réduisant au minimum les perturbations des marchés nationaux et internationaux ; »

· évaluer les effets sur les petites et moyennes entreprises et montrer comment les frais administratifs et le coût du respect de la réglementation sont réduits au minimum (...)

Les programmes de simplification administrative devraient comprendre, lorsque cela est possible, des mesures du poids global de la réglementation, et envisager l'utilisation d'objectifs explicites comme moyen de réduire les charges administratives pour les particuliers et les entreprises. Des méthodes qualitatives devraient compléter les méthodes quantitatives afin de mieux cibler les efforts (...)

Il convient d'examiner les moyens par lesquels particuliers et entreprises devraient interagir avec les autorités pour satisfaire aux exigences réglementaires et réduire les coûts de transaction (...)

Les pouvoirs publics devraient envisager l'utilisation de méthodes fondées sur les risques pour la conception et la mise en oeuvre de stratégies de respect de la réglementation afin d'accroître la probabilité d'atteindre les objectifs en matière de respect de la réglementation et de réduire au minimum les coûts imposés aux particuliers et aux entreprises par le biais de procédures de vérification de la conformité et de mise en oeuvre (...)

Tirer parti de la proximité entre les administrations infranationales et les entreprises et les particuliers au niveau local pour mettre en place des procédures de consultation efficaces lors de l'élaboration des réglementations et mieux prendre en compte les besoins locaux dans la politique générale de la réglementation, à tous les niveaux d'administration (...)

5. La simplification n'est pas synonyme d'un recul de la protection du droit

La simplification est cependant vue avec une certaine méfiance par les organisations représentatives de salariés dans la mesure où, selon la CGT : « depuis quelques années, lorsque les gouvernements successifs font le choix de soi-disant « simplifier », « moderniser », ou « adapter » le droit du travail, cela aboutit toujours à des régressions sociales, à une remise en cause des conquêtes et des acquis sociaux, notamment, ceux émanant du Conseil national de la résistance »80(*). Elle considère que la simplification du droit et des procédures « se fait toujours au détriment des droits des salarié·es et de leurs libertés fondamentales. C'est la raison pour laquelle, la CGT est très réservée sur l'utilisation de ces notions lorsqu'elles sont utilisées pour modifier la législation » car : « depuis que le terme « simplification » est associé à l'action publique il est très et trop souvent associé à « moins » et non à « mieux », au quantitatif plutôt qu'au qualificatif ».

La CGT a cité l'exemple de l'ordonnance du 26 juin 2014 portant simplification et adaptation du droit du travail dont le syndicat a jugé que « sous couvert de simplification, et au nom de la libération des « contraintes » pour l'employeur, ses dispositions ont porté gravement atteintes aux droits des salarié·es et à leur représentation collective au sein de l'entreprise ».

De même, pour la CFDT81(*), les économies produites par la simplification ne peuvent représenter « l'alpha et l'oméga d'une politique publique : que dit-il de la qualité de service (pertinence de la réponse apportée ou du service fourni), de la disponibilité, de la réactivité de service... de l'accès aux droits ? » et « un certain nombre de simplifications se sont également faites au détriment des salariés et de leurs droits », citant l'exemple de la barémisation des indemnités prud'homales. 

Elle s'interroge ainsi sur la pertinence du postulat qui associe administration avec complexité, estimant : « que des normes, limites, suivis, contrôles soient mis en place pour gérer l'argent public de manière efficiente est non seulement parfaitement légitime, mais souvent source d'innovation et de performance pour les entreprises. De plus, compte tenu du contexte et des engagements de la France, la recherche de simplification ne peut pas se faire au détriment d'exigences environnementales et sociales pour les projets ». Il faut, selon elle, « comparer le « coût » du respect des normes dans les relations avec l'administration par rapport au coût de leur non-respect ou à des prestations par des intermédiaires du secteur privé ».

La CFDT s'interroge sur le caractère « sérieux et fiable » des études d'impact, estimant qu'il faut « travailler en amont du processus législatif en associant les différentes parties prenantes pour anticiper les démarches, les outils et processus à mettre en oeuvre dans l'application des nouvelles lois, règlements, décrets, dans les différents moments de vie d'une entreprise (création, déclarations sociales et fiscales, demande d'aides et subventions publiques, transmission, défaillance, fermeture, ...) ». Elle considère que la simplification résulte « d'une démarche et d'un effort continus, qui associe des partenaires avec la volonté de rendre des processus plus fluides et efficients. C'est l'occasion aussi de consolider la culture de l'évaluation pour rendre cette démarche intégrée dans toute démarche pour les entreprises, en y associant les salariés via leurs représentants ». Dans ce processus, les informations transmises par les entreprises ont besoin d'être « fiables, accessibles, mesurables et objectivées » et nécessitent « un accompagnement global personnalisé articulant service public numérique et physique, qui peut bénéficier aux entreprises autant qu'aux citoyens ».

La réussite d'une politique de simplification passe en effet par l'association de toutes les parties prenantes, y compris naturellement les syndicats de salariés.

B. LA COMPLEXITÉ DE LA SIMPLIFICATION

La simplification des normes n'est jamais simple. Pire, il existerait une « une mécanique spontanée qui veut que tout projet de simplification du droit vienne, paradoxalement, ajouter à la complexité du cadre juridique existant »82(*). Lucidement, l''Union des entreprises de proximité (U2P) juge que « nous vivons dans une société complexe et il est illusoire de penser résorber toute le complexité »83(*).

1. Des lois de simplification (2007-2012)

Après la simplification par ordonnances en 1999-200484(*), le législateur s'est résolu à intervenir avec quatre lois de simplification d'origine parlementaire entre 2007 et 2012 à l'initiative du député M. Jean-Luc Warsmann.

Les deux premières propositions de loi, adoptées respectivement le 20 décembre 2007 et le 12 mai 2009, consistaient à clarifier certains textes désuets, à corriger des erreurs de rédaction, ou à abroger certaines obligations administratives pesantes. Une troisième proposition de loi, adoptée le 17 mai 2011, traduisait les mesures figurant dans le rapport rendu au Premier ministre par M. Jean-Luc Warsmann. Enfin, une quatrième proposition de loi, adoptée le 22 mars 2012, ambitionnait de simplifier l'environnement normatif des entreprises afin d'accélérer leur développement et de relancer l'embauche.

Sur cette dernière loi, le Sénat85(*) se montrait plus que circonspecte, constant un « épuisement du modèle des lois générales de simplification » : « pavillon de complaisance à des marchandises de toutes natures, qui parfois vont bien au-delà de la stricte simplification du droit (....) chaque nouvelle proposition de loi de simplification du droit - « véhicule législatif » tout trouvé pour quelques dispositions éparses que le Gouvernement, désormais tenu depuis la révision constitutionnelle de 2008 à une portion plus congrue de l'ordre du jour des assemblées, ne sait où placer - s'alourdit de toutes sortes d'habilitations à légiférer par ordonnance dans les domaines les plus divers, de transpositions tardives et urgentes de directives oubliées, de corrections de malfaçons législatives des plus variées et bien sûr de tous les amendements qui, sinon, continueraient à gésir au fond des tiroirs des ministères. Cette logique purement utilitaire du « véhicule législatif » - négation même de la valeur et de la qualité de la délibération parlementaire - aboutit d'ailleurs à des pratiques aberrantes, au premier rang desquelles celle consistant à placer dans plusieurs textes la même disposition pour s'assurer qu'elle pourra être promulguée au plus vite. Cette course des « véhicules législatifs » ne parvient pas, le plus souvent, à franchir l'obstacle du Conseil constitutionnel, qui n'hésite pas à arrêter dans leur élan ces nombreux « cavaliers législatifs », qui prolifèrent même dans les lois de simplification ».

Il en appelait à « une nouvelle méthode de simplification du droit, plus pragmatique et plus compréhensible », par « l'intermédiaire de textes sectoriels plus ciblés et plus lisibles ou en accessoire de réformes sectorielles, (...) permettant l'organisation de réels débats parlementaires. L'examen d'un projet de loi sur un domaine donné est l'occasion de simplifier le droit qui régit ce domaine, de façon à garantir la lisibilité et la cohérence d'ensemble des modifications ».

Le volume des lois de simplification était devenu en effet de plus en plus considérable :

Source : Rapport n° 224 (2011-2012) de M.  Jean-Pierre MICHEL, fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 décembre 2011

Finalement l'exercice a été abandonné, en raison de :

- l'absence d'évaluation de l'impact des dernières lois de simplification sur les acteurs concernés, en particulier sur les entreprises, de sorte que n'est pas assez pris en compte l'inconvénient de l'instabilité législative et des coûts de sa mise en oeuvre,

- du fait que ce type de texte de simplification sert de réceptacle facile à toutes sortes de mesures en tous genres et constitue un appel aux dispositions en attente de « véhicule législatif », sans être pour autant des mesures de simplification :

« Toujours recommencée à mesure que des lois nouvelles sont votées et créent de nouvelles complexités, la simplification s'apparente à une oeuvre prométhéenne, tant la tâche est ardue si elle est envisagée uniquement pour elle-même, sans mise en perspective ni mise en cohérence avec les secteurs du droit qu'elle vise à simplifier. La répétition et le volume croissant des textes de simplification en témoignent » (rapport Sénat n°224, précité).

« Présentées sous la forme de textes gigantesques, difformes, comportant une multitude d'articles sans beaucoup de cohérence », elles étaient « une sorte « d'odes à l'inintelligibilité »86(*).

2. Un choc de simplification en 2013 au bilan mitigé

La délégation aux Entreprises a consacré l'un de ses premiers rapports à ce sujet, soulignant ainsi sa conscience de son importance87(*).

Elle avait tiré un bilan contrasté du « choc de simplification » annoncé en mars 2013. L'élan engagé avait été rapidement contrarié et dilué. Les résultats avaient été minimes pour les entreprises, souvent pointillistes et privilégiant les mesures d'affichage. Ils étaient surtout noyés dans l'afflux de nouvelles normes imposées aux entreprises dans le même laps de temps.

La délégation avait observé les succès rencontrés à l'étranger et s'était rendue aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suède ainsi qu'à Bruxelles pour en tirer des enseignements et comprendre comment la France pourrait, elle aussi, réussir enfin à simplifier la vie de ses entreprises. Elle avait constaté que la France, à la différence de ses voisins européens, n'avait pas réussi à trouver une méthode efficace de simplification, s'appuyant sur une volonté politique durable et transpartisane.

Le rapport recommandait un profond changement de méthode pour penser la simplification comme un processus qualité au bénéfice de la compétitivité : faire du soutien à la compétitivité une priorité politique, se fixer des objectifs de réduction nette de la charge administrative supportée par les entreprises, simplifier le stock de règles qui leur sont applicables et dont l'efficacité doit être comparée avec les États voisins, rapprocher la culture politico-administrative des besoins des entreprises et, enfin, mieux légiférer pour freiner le flux de textes, notamment en associant les entreprises à l'élaboration de la loi et en faisant de l'étude d'impact préalable un outil de qualité de la norme, soumis à la contre-expertise publique d'un conseil indépendant du Gouvernement.

La mise en oeuvre du principe « Silence Vaut Acceptation » (SVA) avait été à cet égard emblématique de l'échec d'une simplification conduite par l'administration seule.

Mesure phare de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens, ce principe, adopté sur amendement du Gouvernement lors de la discussion de la loi au Sénat, remettait en cause un principe général plus que séculaire, selon lequel le silence gardé par l'administration plus de deux mois valait décision de rejet. Idée novatrice et disruptive, ce nouveau principe, aujourd'hui codifié à l'article L 231-1 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) fit néanmoins l'objet de dérogations, soit prévues limitativement par la loi (art. L 231-4 CRPA), soit par décrets en Conseil d'État fondés sur l'un des deux motifs : « eu égard à l'objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration » (art. L 231-5 CRPA).

Le bilan dressé par deux sénateurs en 201588(*) fut plus que mitigé. Près de deux ans après la promulgation de la loi et après l'édiction de 42 décrets, le nombre d'exception pour l'État (2 400) s'élevait presque au double du nombre de cas d'application (1 200, contre 400 avant la réforme).

Ainsi, « pour l'usager, le sort réservé à sa demande paraît tout sauf clair, malgré l'intervention des nouvelles technologies censées lui donner une information exhaustive sur le champ d'application du principe SVA ou le maintien dans certains cas du principe antérieur »89(*).

La commission des Lois du Sénat relevait ainsi la complexité de ce système pour les citoyens à qui il revenait, pour chaque procédure administrative, de :

a) déterminer l'autorité compétente pour traiter leur demande ;

b) transmettre leur dossier à l'administration concernée, de conserver l'accusé de réception ou de le solliciter si l'administration ne l'envoyait pas d'elle-même90(*) ;

c) connaître le régime applicable à sa demande En outre, si le Gouvernement avait publié une liste des cas où le silence vaut acceptation, il n'était pas possible de connaître les exceptions à ce principe sans consulter l'un des 42 décrets précités et de les regrouper par rubriques.

d) solliciter l'administration pour la délivrance d'une attestation actant la décision implicite d'acceptation.

Surtout, la non-reconduction du Conseil de la simplification pour les entreprises en 2017, malgré la recommandation de la délégation aux Entreprises de le pérenniser, a marqué une rupture, alors que la simplification nécessite la continuité en s'inscrivant dans le temps long.

3. Des lois BALAIS (2018 et 2022)

Le Bureau du Sénat a créé en janvier 2018 une mission de simplification législative, dite « mission B.A.L.A.I » (« Bureau d'abrogation des lois anciennes inutiles »). Elle vise à améliorer la lisibilité du droit en identifiant, puis en proposant l'abrogation de dispositions législatives devenues obsolètes. Cette mission s'est concrétisée par deux lois.

Une première proposition de loi tendant à abroger 44 lois adoptées entre 1819 et 1940 et qui seraient tombées en désuétude depuis est adoptée (loi n°2019-2332 du 11 décembre 2019 tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes).

Une deuxième loi n° 2022-171 du 14 février 2022 tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit propose d'abroger 163 lois adoptées entre 1941 et 1980.

Mais les lois abrogées n'étant plus appliquées depuis plusieurs dizaines d'années, la portée concrète de l'exercice est réduite.

Par ailleurs, comme le souligne un rapport du Sénat91(*) : « Le risque d'une opération « BALAI » est donc d'abroger par erreur un texte d'apparence obsolète mais qui constituerait toujours, en réalité, la base légale d'un acte ou d'une situation actuels. Rupture dans le paiement d'une pension, nullité d'un acte, mise en oeuvre de la responsabilité de l'État du fait des lois, adoption d'une loi de validation... les conséquences d'une abrogation accidentelle pourraient être particulièrement lourdes et préjudiciables ». La plus grande prudence lors de l'examen des mesures d'abrogation envisagée conduit toujours à renoncer à l'abrogation d'un texte en cas de doute. L'avis du Conseil d'État, qui avait été demandé sur ces propositions de lois, et la collaboration de la direction des affaires juridiques de Bercy peuvent contribuer à réduire ce risque.

L'exercice d'abrogation peut créer de la complexité lorsque sont abrogées les lois ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur : « À la question « Que se passe-t-il si on abroge la loi du 28 décembre 1977 qui a créé l'article 112 du code civil ? », certains juristes, praticiens ou « simples » citoyens répondront que l'article 112 est abrogé, d'autres que cet article sont toujours en vigueur, mais tous témoigneront de leur absence de certitude sur la réponse qu'ils fournissent », souligne la commission des Lois.

L'abrogation de certaines lois peut parfois introduire des risques « par ricochet ». En effet, des renvois au sein d'autres textes ont pu être établis par le législateur et il est parfois difficile de mesurer la conséquence de l'abrogation d'une disposition à laquelle un autre article fait référence.

Enfin, des lois peuvent être maintenues en vigueur pour des motifs symboliques, lorsqu'elles font partie de notre « patrimoine juridique ».

Une troisième proposition de loi, n°448 du 16 mars 2023, tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales, entend : « nettoyer le paysage législatif de dispositions qui n'ont plus lieu d'être, mais aussi de l'adapter (à droit constant) en corrigeant des anomalies (références erronées, renvoi à des textes abrogés, coordinations oubliées...), en procédant à la codification de textes épars, en consacrant des règles posées par la jurisprudence susceptibles de servir de « mode d'emploi » sur le sens et la portée de la loi et, d'une manière générale, à prendre toute mesure de nature à faciliter la lecture et la compréhension du droit par les citoyens ».

4. Les recommandations de la délégation aux Entreprises de 2017

À la suite du précédent rapport d'information, trois initiatives parlementaires étaient engagées en septembre 2017 :

- l'introduction, dans la Constitution, de l'obligation, applicable aux projets et propositions de loi comme aux amendements, de compenser toute nouvelle charge pour les entreprises, quelle qu'en soit la nature, par la suppression d'une charge d'importance équivalente92(*) ;

- la reconduction du Conseil de la simplification pour les entreprises93(*), institué par le décret n° 2014-11 du 8 janvier 2014 et prorogé jusqu'au 1er juin 2017 par le décret n° 2016-1342 du 11 octobre 2016, était proposée mais en renouvelant ses missions et sa composition, afin qu'il assure une contre-expertise indépendante des études d'impact produites par l'administration. Ce Conseil de la simplification pour les entreprises transformé ferait l'objet d'un bilan après trois années d'activité pour, le cas échéant, être rapproché du Conseil national d'évaluation des normes compétent pour les normes applicables aux collectivités territoriales. Le principe selon lequel toute disposition de nature règlementaire ne peut être modifiée à plus d'une reprise au cours d'une législature, sauf cas spécifique et sécurisation du contrôle fiscal, était introduit94(*) ;

- une proposition de résolution relative à la simplification des normes entravant la vie économique, dont les objectifs étaient les suivants avait enfin été déposée :

Souligne la nécessité d'inscrire cette action dans la durée, de manière transversale, notamment en créant un réseau interministériel dédié à la simplification, supervisé par le Premier Ministre pour veiller à ce que chaque ministère ne crée pas de normes engendrant des coûts pour les entreprises sans supprimer de normes représentant un coût au moins équivalent ;

Souhaite la mise en place d'un référentiel fiable et partagé, à partir d'un chiffrage de la charge administrative actuellement supportée par les entreprises, afin de fixer des objectifs de réduction nette de cette charge ;

Juge nécessaire de procéder à une réévaluation de certaines règles de procédure particulièrement opaques et sources de complexité pour les entreprises, en matière d'autorisation ou de déclaration par exemple, à la lumière des règles en vigueur dans les pays voisins, qui peuvent être plus simples et plus efficaces en termes de sécurité, de santé et de protection de l'environnement ;

Invite à veiller à l'applicabilité des règles prises sur le fondement des expertises des agences nationales, en favorisant l'intégration d'experts représentant les partenaires sociaux dans les groupes de travail de ces agences et en confrontant leurs avis avec ceux de leurs homologues européennes ;

Appelle à orienter l'administration vers le service aux entreprises, notamment en donnant la priorité à la simplification, et à privilégier une approche tendant à fixer seulement les exigences essentielles dans la réglementation et à laisser aux entreprises le choix des moyens pour parvenir aux résultats attendus ;

Dès lors, estime important de passer d'une logique reposant sur la défiance et la nécessaire obtention d'autorisations à une logique fondée sur la confiance et le respect d'interdictions sous peine de sanctions ;

Souhaite le recours systématique aux « tests PME » trop rarement expérimentés par le précédent gouvernement et permettant d'évaluer directement avec les entreprises les conséquences d'un projet de réglementation, ainsi que la publication des résultats de ces tests.

Le constat et les recommandations avancées demeurent toujours valables dans leurs grandes lignes.

D'autres recommandations pertinentes émises à la même époque n'ont pas davantage été suivies d'effet.

Ainsi, le rapport de l'Assemblée nationale sur la simplification législative d'octobre 201495(*), citait le Secrétaire général du Gouvernement de l'époque selon lequel la dimension économique des études d'impact « demeure insuffisante et doit être améliorée », et estimant qu'au-delà des conséquences économiques, ce sont les conséquences sociales et sociétales qui apparaissent parfois mal évaluées dans les études d'impact, recommandait d'améliorer l'évaluation des conséquences économiques, sociales et sociétales des mesures envisagées.

Il préconisait que le principe d'une compensation de nouvelles charges par la suppression de charges existantes d'un niveau équivalent ne devait pas être circonscrit aux seuls projets d'actes réglementaires, mais qu'il devait être étendu aux projets de loi.

Cette recommandation aurait nécessité de compléter l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, qui indique quelles différentes rubriques doivent être renseignées dans le cadre d'une étude d'impact. Une rubrique supplémentaire aurait exigé « une quantification aussi précise que possible des charges administratives supprimées en contrepartie et à hauteur des charges administratives créées ». Cette recommandation n'a jamais été prise en considération par les gouvernements successifs.

5. La lutte contre la surtransposition des directives

La surtransposition est régulièrement dénoncée par les entreprises qui estiment qu'elle les place dans une position concurrentielle défavorable en leur imposant des charges que les autres entreprises européennes n'ont pas à supporter.

Trop souvent, la transposition de directives en droit français, par la loi comme par le règlement, ne se contente pas d'introduire les mesures nécessaires à la mise en oeuvre des objectifs fixés par le texte européen. Elle ajoute des dispositions nouvelles, que la directive n'impose pas, conserve des dispositifs antérieurs, qu'il n'y a plus lieu de maintenir, ou encore étend le champ d'application du texte européen.

Bien plus, elle n'exploite pas toujours les facultés ou exceptions ouvertes par le texte européen, qu'il s'agisse d'une directive ou d'un règlement, qui permettraient de ne pas alourdir les charges pesant sur les entreprises. Les directives établissent par exemple des seuils ou des taux définis sous forme de plafond ou de fourchettes, et la France choisit fréquemment de retenir des taux ou des seuils peu favorables aux PME, en les soumettant à des obligations que le texte européen n'impose qu'aux grandes entreprises.

Régulièrement, en 2003, 2004, 2011, 2013 et 2017 des circulaires ont entendu endiguer cette tendance à la surtransposition au sein de l'administration. Leur répétition signe leur échec.

En 2011, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) a toutefois publié un « Guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes ».

Par ailleurs, en mars 2016, un rapport identifiant des écarts réglementaires entre la France et les autres États membres a été remis au ministre de l'économie d'alors, M. Emmanuel Macron96(*).

La loi ESSOC, « pour un État au service d'une société de confiance », avait demandé des habilitations à légiférer par ordonnances afin de corriger des situations de surtransposition.

La direction générale du Trésor a organisé en 2017 une consultation publique sur la surtransposition dans le domaine financier. Clôturée fin novembre 2017, celle-ci a permis de faire remonter 209 mesures législatives ou réglementaires. Après étude, le Gouvernement a proposé de supprimer ou d'alléger certaines de ces dispositions de nature législative dans la loi PACTE, n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

Le Parlement, pour sa part, est régulièrement sensibilisé à ce phénomène, notamment, le Sénat, par sa délégation aux Entreprises, qui y a consacré en rapport d'information en 2018. Rare en effet sont ses déplacements sur le terrain à la rencontre des chefs d'entreprises qui ne mentionnent pas ce fléau.

Pour lutter contre la surtransposition, le Parlement dispose de deux instruments :

(i) Le mécanisme des avis motivés de l'article 88-6 de la Constitution permet aux parlements nationaux d'intervenir en amont. En dépit de sa lourdeur, il a été utilisé 30 fois. Par ailleurs, la commission des affaires européennes du Sénat a adopté, le 21 janvier 2014, un avis politique sur la question du recours systématique aux actes délégués, regrettant l'absence d'encadrement de cette pratique.

(ii) Suite au rapport d'information n° 614 (2017-2018) de la commission des affaires européennes et de la Délégation aux entreprises, du 28 juin 2018, un projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français du 3 octobre 2018, a été adopté par le Sénat le 7 novembre 2018. Il n'a pas eu de suite.

Il semblerait que le Gouvernement, échaudé par les modifications apportées par le Sénat, préfère désormais recourir à nouveau aux projets de loi sectoriels, comme le projet de loi PACTE, pour supprimer les écarts de transposition.

6. Le rôle proactif des commissions parlementaires

Le thème de la complexité des procédures et de la simplification législative infuse depuis longtemps dans la culture parlementaire. Néanmoins la contradiction entre la réponse aux attentes d'intervention de la société, en légiférant notamment, et l'invitation à l'abstention, dans un souci de désinflation législative, n'est pas simple.

Un exemple récent de prise en considération de la complexité administrative peut être donné avec une proposition de loi97(*) facilitant la réutilisation des eaux usées -seules 1 % le sont aujourd'hui. Alors qu'un avis de l'Agence régionale de santé, antérieurement requis, a été supprimé, une instruction ministérielle le considère toujours nécessaire. « Face à cette réglementation lourde faite de revirements et de disparités d'application », et afin « que les pratiques évoluent et que la procédure soit la plus simple possible » pour remédier aux risques de pénurie et de tensions autour de la ressource hydrique, la recommandation met en oeuvre une procédure d'autorisation simplifiée.

L'État peut se fixer des objectifs de simplification sans pour autant se donner les moyens d'y parvenir.

Un exemple frappant a été donné avec la loi n°2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui n'osait pas prendre les mesures appropriées de simplification des autorisations nécessaires.

En effet, comme l'a constaté la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat98(*), « sans simplifications substantielles apportées au cadre des autorisations administratives relatives aux projets d'énergies renouvelables, l'atteinte de l'objectif que s'est lui-même fixé le Gouvernement - diviser par deux les délais de déploiement des projets concernés, est illusoire ».

Dans cette configuration, c'est la plume du législateur qui se substitue à celle du gouvernement pour simplifier réellement, comme l'indiqué l'encadré ci--après :

Aussi, prenant acte d'un manque de propositions du Gouvernement sur ce sujet, la commission propose :

- la création de nouvelles dérogations procédurales temporaires (autorisation environnementale, enquête publique, recours contentieux) et un encadrement de la phase d'instruction des projets par les services de l'État ;

- l'attribution automatique de l'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité pour les lauréats d'un appel d'offres relatif aux énergies renouvelables ;

- l'instauration d'un fonds de garantie pour couvrir les risques contentieux des porteurs de projet ;

- la désignation de référents préfectoraux, dans chaque département, pour l'instruction de l'ensemble des autorisations relatives aux projets d'énergies renouvelables et des projets industriels nécessaires à la transition énergétique ;

- des évolutions pérennes aux régimes de l'évaluation environnementale, de l'autorisation environnementale, de la participation du public et du contentieux administratif, conçues avec le triple objectif de renforcer la concertation en amont pour les projets les plus importants, d'alléger, lorsque c'est possible, la charge pesant sur les services de l'État chargés de l'instruction des projets et d'accélérer la mise en oeuvre des projets en aval ;

- une amélioration de l'information du public dans le cadre de la procédure de participation du public par voie électronique (PPVE) en prévoyant la possibilité de consulter le dossier du porteur du projet dans les espaces France Services et à la mairie du territoire d'accueil du projet ;

- la mise à disposition par l'État des études techniques et environnementales nécessaires aux porteurs de projet dès le lancement de l'appel d'offres, afin de faciliter leur travail et de ne pas retarder le lancement des procédures ;

- la conclusion d'une concession d'occupation du domaine public dès la désignation du lauréat d'un AO pour l'éolien en mer, pour raccourcir les délais administratifs ;

- l'application à la zone économique exclusive des pouvoirs de régularisation du juge administratif, pour accroître la sécurité juridique des projets éoliens en mer.

Les évolutions, pragmatiques mais ambitieuses, proposées par la commission s'inscrivent en pleine cohérence avec les réflexions actuellement conduites au sein de l'Union européenne pour l'accélération du développement des énergies renouvelables. Elles visent à transformer nos actuelles faiblesses en véritables avantages comparatifs, par rapport à nos partenaires européens, pour rattraper notre retard.

Source : rapport n°82 du 26 octobre 2022, fait au nom de la commission de l'aménagement
du territoire et du développement durable sur le projet de loi relatif
à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.

C. UNE DÉMARCHE PRAGMATIQUE DEPUIS 2017

1. L'échec de l'endiguement normatif par la règle du « deux pour un »

La circulaire la plus récente sur la maîtrise des textes réglementaires et leur impact date du 26 juillet 2017.

Elle introduit notamment la règle dite du « 2 pour 1 », soit la suppression par les ministères de deux anciens textes réglementaires lors de l'instauration d'un nouveau projet de texte.

Cette circulaire part du constat que la maîtrise du flux des textes réglementaires n'a pas produit les résultats escomptés par le passé, l'empilement de normes constituant notamment un frein à la compétitivité des entreprises, et complexifiant l'administration des collectivités territoriales ainsi que le fonctionnement des services déconcentrés et la vie quotidienne des citoyennes et des citoyens.

En complément de la règle du « 2 pour 1 », la circulaire prévoit qu'« en cas d'impossibilité avérée », il convient a minima de procéder à « la simplification d'au moins deux normes existantes ».

Les auditions réalisées dans le cadre du rapport du Conseil économique, social et environnemental, dans le rapport précité, ont mis en doute la pertinence de cette prescription99(*).

Par ailleurs, cette règle n'est applicable qu'au pouvoir règlementaire autonome et a concerné seulement 56 décrets depuis 2017, pour une économie nette de 65,45 millions d'euros.

2. Des efforts dispersés de simplification depuis 2017
a) Des efforts ponctuels de simplification

Plusieurs mesures ont contribué, depuis 2017, à la simplification de l'activité des entreprises.

La plus réussie est incontestablement la Déclaration Sociale Nominative (DSN), émanation du choc de simplification de 2014, devenue obligatoire le 1er janvier 2017 pour l'ensemble des employeurs privés, qui remplace 29 déclarations. Les entreprises ont désormais trois fois moins de données à envoyer à l'administration, qui reçoit 23 millions de bulletins de paie chaque mois100(*).

LE SUCCÈS D'UNE SIMPLIFICATION : LA DSN

Le premier constat lié à la mise en place de la DSN est tout d'abord celui d'une réussite technique : un système d'information solide a été mis en place, garantissant une déclaration dématérialisée réalisée par les employeurs puis transmise de façon sécurisée à l'ensemble des acteurs de la protection sociale à une échelle industrielle. Ce succès est tel que la DSN a dépassé ses limites originelles : d'abord destinée à se substituer aux déclarations sociales obligatoires, elle a permis la mise en place du prélèvement à la source à partir de 2019, mais également la création du dispositif de ressources mensuelles (DRM) qui constitue la pierre angulaire des ambitieux chantiers de modernisation des prestations sociales versées sous condition de ressources (et demain de la solidarité à la source).

Pensée dès l'origine comme une émanation du « choc de simplification administrative », la DSN a été construite pour simplifier les procédures administratives au profit des employeurs, avec l'idée que c'est en simplifiant « à la source » que l'on améliore la qualité des données, avec des effets en cascade de facilitation pour la gestion par les organismes et de sécurisation in fine des droits des individus. La DSN s'appuie donc aujourd'hui sur trois piliers de simplification administrative au bénéfice des employeurs :

Demander aux employeurs les données qu'ils maîtrisent. C'est pourquoi la DSN véhicule les données de la paie, ce qui permet d'améliorer la qualité des données utilisées. Par rapport aux anciennes déclarations, c'est une véritable révolution. Au lieu de demander à l'employeur des données définies d'abord par les consommateurs des données (organismes et administrations), on leur demande d'utiliser les données présentes en paie.

Appliquer le principe « Dites-le nous une fois », qui interdit de solliciter à nouveau l'usager pour lui réclamer une donnée dont l'administration dispose déjà. Concrètement, cela signifie que la DSN applique le principe selon lequel une donnée reconstituable à partir des données déjà en DSN ne doit pas être réclamée à nouveau en DSN.

N'intégrer dans la DSN que des données normalisées, c'est-à-dire des données communes choisies après un travail de rationalisation des usages des organismes destinataires. Le passage de la déclaration annuelle de données sociales unifiée à la DSN a ainsi représenté une baisse importante des données demandées aux employeurs (de 800 à 350).

Grâce à cela, la DSN permet actuellement aux employeurs de ne réaliser qu'un seul type de formalité pour se libérer de 70 formalités101(*), pour recouvrer les cotisations, contributions et impôts, calculer les droits des individus, et alimenter les services de statistiques publiques et de suivi des politiques publiques.

La DSN se traduit donc, pour les employeurs, par un gain de temps lié à l'unification des déclarations mais également à la sécurisation accrue des démarches déclaratives en fiabilisant les données de la paie et en facilitant l'identification et la correction d'éventuelles erreurs. Elle permet également de transmettre directement aux employeurs des éléments calculés par les administrations ou les organismes pour prélèvement à la source ou le taux AT-MP.

Aujourd'hui, la DSN est donc un vecteur majeur de simplification administrative au profit des entreprises et des droits sociaux :

- Adaptation immédiate des modalités pratiques aux situations de crise. Lors de la crise sanitaire du COVID, la DSN a facilité l'attribution des aides aux entreprises tout en maintenant les salariés dans leurs droits. Elle a permis l'adaptation immédiate des paiements de cotisation des employeurs et leur report partiel si besoin, la mise en place de l'activité partielle dans des conditions financières plus avantageuses qu'en période normale, la déclaration par les employeurs d'arrêts maladie pour de nouveaux motifs.

- Gestion de la compensation rapide de l'indemnité inflation et donc la minimisation de son impact sur la trésorerie des employeurs.

- Application par les employeurs des exonérations fiscales et sociales sur les primes exceptionnelles de pouvoir d'achat (PEPA), et les primes de partage de la valeur (PPV) versées depuis 2022 pour la protection du pouvoir d'achat.

- Remontée, depuis le 1er septembre 2022, des taux modulés de la contribution patronale d'assurance chômage des entreprises de 11 salariés et plus relevant des secteurs d'activité dont le taux de séparation moyen est supérieur à 150 % dans le cadre de la réforme du bonus-malus, prévue par le décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019.

D'après une enquête réalisée par l'IFOP en juin 2022 sur un échantillon de chefs d'entreprises et d'experts-comptables, 70 % des interrogés estiment que la simplification des démarches des entreprises a progressé, et 79 % qualifient la mise en place de la DSN comme étant un progrès qui a apporté de vraies simplifications à leurs entreprises.

Source : réponse écrite de la DGE, 31 mars 2023.

La loi n° 2018-727 du 17 août 2018 « pour un État au service d'une société de confiance » (dite « Loi ESSOC ») a reconnu pour sa part :

- un « droit à l'erreur » : droit à rectification, en cas d'erreur commise pour la première fois ou sur demande de l'administration, reconnu sauf mauvaise foi ou fraude et en dehors des questions de santé, de sécurité des personnes et des biens et d'environnement ou d'application du droit européen ;

- un droit au contrôle sur demande dont les conclusions sont opposables à l'administration ;

- des allègements des pénalités fiscales en cas de rectification spontanée ou de régularisation ;

- l'opposabilité des prises de position, même tacites, prises par l'administration lors d'un contrôle ;

- l'extension des procédures de rescrit et d'opposabilité des prises de position de l'administration.

Elle comprend aussi de nombreuses mesures de simplification des formalités, d'allègement des normes et de dématérialisation des procédures dans des domaines divers : l'état-civil, la construction, l'accueil de la petite enfance, la participation de proches aidant aux services à la personne, les enquêtes publiques, les autorisations d'ouvrages de production d'énergie.

La loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises a entendu contribuer à simplifier la vie des entreprises, notamment dans son chapitre premier. La réforme du « Kbis »102(*), lancée le 1er novembre 2021103(*), supprime l'exigence de présentation d'un extrait d'immatriculation par les entreprises dans leurs démarches administratives. Elle est remplacée par la communication à l'administration chargée de traiter une demande du numéro unique d'identification (ou numéro SIREN) délivré par l'INSEE. Ce numéro permet à l'administration de recueillir, par l'intermédiaire du registre national des entreprises (RNE), les données relatives à l'auteur de la demande qui lui sont nécessaires. Alors que les entreprises produisent annuellement 240 000 extraits d'immatriculation au RCS pour les 42 procédures administratives recensées, la suppression de l'exigence de Kbis concerne plus de 200 procédures.

La loi PACTE simplifie également la répartition des 199 seuils d'effectifs applicables aux entreprises en trois niveaux : 11, 50 et 250 salariés, comme indiqué plus haut.

La loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP comme « as soon as possible ») escompte simplifier la vie administrative par des mesures diverses d'adaptation du droit. Son titre III contient ainsi des dispositions relatives à la simplification des procédures applicables aux entreprises.

Une ordonnance n° 2018-474 du 12 juin 2018 harmonise à droit constant les définitions des revenus utilisées pour l'assiette des cotisations de sécurité sociale, de la contribution sociale généralisée et de la contribution à la réduction de la dette sociale.

La facturation électronique est en voie d'être généralisée par l'ordonnance n° 2021-1190 du 15 septembre 2021. À compter du 1er juillet 2024, toutes les grandes entreprises auront l'obligation d'émettre et de transmettre leurs factures de manière dématérialisée. Elles auront l'interdiction d'envoyer les factures par mail. Les TPE/PME, au 1er juillet 2024, ont la seule obligation de recevoir les factures par une plateforme unique.

Une autre réforme financière en préparation pourrait avoir une grande portée : le rapprochement des systèmes de recouvrement en matière fiscale et sociale qui faciliterait les démarches des entreprises. Une mission « France recouvrement » et un service à compétence nationale ont été institués à cet effet par un décret n° 2019-949 du 10 septembre 2019 et, dans un premier temps, une ordonnance n° 2021-1843 a transféré à la DGFiP le recouvrement des accises104(*) sur l'énergie, l'alcool et le tabac. Un portail commun de recouvrement de la DGFIP, des Douanes et de l'URSAFF, « portailpro.gouv.fr », a été ouvert début 2021.

b) Le contournement des seuils, ou la simplification au milieu du gué

Malgré les assouplissements opérés par la loi PACTE de 2019, les charges et obligations nouvelles découlant du franchissement de 49 seuils différents105(*), avant leur réduction, continuent de constituer un « mur » difficile à franchir rendant plus difficile la croissance des entreprises et notamment des PME. Toutefois, il convient de rappeler que, à défaut de seuil associé à une obligation, l'obligation serait applicable à toute entreprise. L'existence d'un seuil limite le nombre d'entreprises soumises à l'obligation.

La réforme des seuils par la loi PACTE devait notamment permettre un abaissement du coût du travail pour les 55 000 entreprises entre 20 et 50 salariés du fait du relèvement des seuils relatifs au fonds national d'aide au logement (FNAL) et à la participation de l'employeur à l'effort de construction. Le coût de ces mesures a été de près de 500 millions d'euros pour les finances publiques. Selon le modèle Mésange106(*), le relèvement de ces seuils, combiné avec la règle de franchissement en 5 ans, était de nature à créer environ 7 000 emplois à long terme.

La mesure est entrée en vigueur au 1er janvier 2020. Son évaluation doit tenir compte du contexte de crise connu par les entreprises en 2020 et 2021.

En outre, et depuis la loi PACTE, plusieurs dispositions législatives ont introduit des mesures conditionnées à un seuil d'effectif, seuil qui n'est pas toujours aligné sur les seuils de 11, 50 et 250 salariés.

Effectif

Mesures

Texte

à partir de 11 salariés

Possibilité à titre expérimental de mettre en place une commission « insertion »

LOI n° 2020-1577 du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » 

 

MAJ annuelle du DUERP

LOI n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail  

Plus de 20 salariés / max 250

Déduction forfaitaire cotisation patronales sur heures supplémentaires

LOI n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat 

A partir de 50 salariés

Insérer dans les négo salariales obligatoires un volet mobilité ou à défaut l'élaboration d'un plan de mobilité

LOM 2019 

Entre 50 et 300 salariés

Et plus de 300 salariés

Indicateurs environnementaux BDESE

Indicateurs supplémentaires

Décret n° 2022-678 du 26 avril 2022 relatif aux indicateurs environnementaux devant figurer dans la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE)

à partir de 1 000 salariés

Publication annuelle écarts de représentation H/F parmi les cadres dirigeants/instances dirigeantes

LOI n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle

(en orange, seuils dérogeant à l'alignement sur 11/50/250 salariés)

Dans le cadre du troisième rapport du comité d'évaluation de la loi PACTE, publié en septembre 2022, France Stratégie a analysé entre 2018 et 2021 les évolutions du nombre d'entreprises situées juste au-dessus (n ; n+1) et juste en dessous (n-1 ; n-2) des différents seuils sociaux de 11, 20, 50, et 250 salariés, sur la base des données d'effectifs moyens annuels. Il apparaît des effets contrastés :

- Pour le seuil de 11 salariés, l'effet semble nul : les entreprises juste en dessous du seuil restent autour de 51 % plus nombreuses que celles juste au-dessus du seuil depuis 2018.

- Pour le seuil de 20 salariés (fortement remanié par la loi), on constate plutôt un effet positif : une légère baisse de l'effet d'accumulation est observée : les entreprises juste en dessous du seuil sont 28 % plus nombreuses que les entreprises juste au-dessus en 2018 et 2019, elles ne sont plus que 23 % en 2020 puis 21 % en 2021.

- Pour le seuil de 50 salariés, l'effet d'accumulation reste stable avant l'instauration de la loi Pacte, puis diminue à partir de 2019, passant de 26 % d'entreprises plus nombreuses juste en dessous du seuil comparé à celles au-dessus en 2018, à seulement 17 % en 2021. L'effet est donc plutôt positif.

- Autour du seuil de 250 salariés, la volatilité de la dynamique est difficilement interprétable car les entreprises concernées se comptent seulement en dizaines. On peut toutefois noter un possible effet croissant d'accumulation sous le seuil. Donc un effet inverse de celui espéré.

Toutefois ces résultats sont très préliminaires, ils demandent à être confirmés et suivis dans le temps et l'interprétation de ces évolutions doit également être prudente au regard du contexte de crise sanitaire. De plus, dans la mesure où la loi PACTE prévoit qu'un seuil est considéré franchi lorsqu'il l'a été pendant 5 années consécutives, il est encore tôt pour mesurer les effets de la loi.

La Fédération nationale des groupements d'employeurs soulignait, lors de son audition du 18 mars 2021 par la délégation aux Entreprises, la persistance de la difficulté de calculer les seuils pour les groupements d'employeurs, lesquels doivent, chaque mois, calculer quatre effectifs :

1. effectif droit du travail,

2. effectif de la partie 2 du code du travail,

3. effectif « sécurité sociale »

4. effectif pour l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH) pour les seuls salariés permanents.

Une entreprise ayant recours à un groupement d'employeurs doit faire trois calculs d'effectif pour les salariés mis à disposition :

1. effectif des salariés du groupement mis à disposition depuis moins d'un un an,

2. effectif des salariés du groupement mis à disposition depuis au moins un an,

3. effectif OETH.

Les groupements d'employeurs, qui répondent aux besoins de recrutement des entreprises, notamment des TPE et PME, de façon tout à fait efficace et pertinente, sont ainsi confrontés à des complexités administratives inacceptables.

Selon l'article L. 1253-8-1 nouveau du Code du travail issu de la loi du 8 août 2016, pour l'application du Code du travail, à l'exception de sa deuxième partie, les salariés mis à la disposition, en tout ou partie, d'un ou de plusieurs de ses membres par un groupement d'employeurs ne sont pas pris en compte dans l'effectif de ce groupement. Cette disposition appelle quatre remarques.

1/ Une distinction entre salariés mis à disposition et salariés permanent

En premier lieu, l'exclusion des salariés mis à disposition nécessite de faire la distinction entre salariés « permanents » (inclus dans l'effectif), c'est-à-dire ceux affectés à la gestion du groupement et les salariés mis à disposition. Contrairement à la solution retenue pour les entreprises de travail temporaire, le Code du travail ne fait pas cette distinction pour les groupements d'employeurs. Par ailleurs rien ne s'oppose à ce qu'un salarié « permanent » soit également mis à disposition. Le Code du travail le prévoit expressément pour les groupements d'employeurs coopératifs qui peuvent « recruter des salariés soit pour les affecter exclusivement à l'activité de groupement d'employeurs, soit pour les affecter à la fois à cette activité et à ses autres activités » (C. trav., art. R. 1253-38). En cas d'utilisation mixte d'un salarié permanent, le calcul de l'effectif doit se faire au prorata du temps consacré à chaque activité.

2/ Une exclusion dans l'exclusion

En deuxième lieu, il existe une exclusion dans l'exclusion : le législateur a prévu que devait être écartée de la mesure toute la deuxième partie du Code du travail. En effet, la CJUE a jugé que l'article L. 1111-3 du Code du travail, qui exclut les titulaires de certains contrats aidés de l'effectif de l'entreprise, est incompatible avec les articles 2 et 3, § 1 de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne. Selon la CJUE, une telle exclusion a d'une part « pour conséquence de soustraire certains employeurs aux obligations prévues par la directive et de priver leurs travailleurs des droits reconnus par ladite directive », et d'autre part est « de nature à vider lesdits droits de leur substance » en ôtant à la directive son effet utile. Exclure les salariés des groupements d'employeurs de l'effectif en matière de représentation du personnel aurait également été contraire à l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne instituant un droit fondamental à l'information et à la consultation des travailleurs. En 2016 le législateur a ainsi joué la carte de la prudence pour les groupements d'employeurs, pour éviter des conflits. Le calcul de l'effectif s'effectue donc selon les règles de droit commun pour l'exercice du droit syndical, la détermination de la représentativité patronale pour l'application des dispositions issues de la loi du 8 août 2016, les élections professionnelles (comité social et économique), la négociation collective obligatoire lorsqu'un seuil d'effectif est prévu (par exemple 300 salariés pour la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels).

3/ Un seuil d'effectifs différent pour la sécurité sociale

En troisième lieu, l'exclusion n'est applicable qu'aux dispositions du Code du travail qui font référence à un seuil d'effectif. Le Code de la sécurité sociale en est exclu. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, dite « Pacte », prévoit, depuis le 1er janvier 2020, des modalités de décompte de l'effectif de l'entreprise (donc du groupement d'employeurs) fixées par le code de la Sécurité sociale pour le calcul et le recouvrement des cotisations107(*). On remarquera que certaines dispositions du Code du travail se référant à une condition d'effectif sont calculés selon les modalités du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi Pacte : c'est le cas de la formation professionnelle pour le taux de contribution de 0,55 % applicable jusqu'à 10 salariés inclus.

4/ Un seuil d'effectif différent pour les utilisateurs

L'application de ces règles aux utilisateurs est également compliquée. Pour l'effectif « droit du travail », l'article L. 1111-2 du Code du travail prévoit que le salarié mis à disposition de l'utilisateur par le groupement d'employeur, n'entre dans l'effectif que s'il y travaille depuis un an. En revanche pour l'effectif « sécurité sociale » les salariés mis à disposition n'entrent pas dans l'effectif de l'utilisateur.

Si les difficultés soulevées par la double comptabilisation des salariés mis à
disposition dans le nombre des bénéficiaires de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés du groupement d'employeurs et dans celui de l'entreprise utilisatrice sont désormais résolues, l'article D. 5212-3 prévoyant que les salariés du GE ne sont décomptés que dans l'entreprise utilisatrice et non plus dans le groupement d'employeurs, en revanche le groupement d'employeurs doit toujours inclure dans l'effectif OETH les salariés permanents.

Source : FNGE, 16 mars 2021.

Plusieurs obligations légales en termes de dialogue social, de partage des profits ou encore de comptabilité s'appliquent toujours aux entreprises lorsqu'elles franchissent le seuil de 50 salariés.

Les délais rallongés pour lisser les dépassements de seuils ne font ainsi, pour ETHIC108(*), que « reculer l'inéluctable : au bout de 5 ans dans le meilleur des cas, l'entreprise devrait faire face à une montagne d'obligations et de taxes »109(*), comme : « la création d'un comité économique et social, le quintuplement de la contribution au FNAL, passant de 0,1 % du plafond de la sécurité sociale à 0,5 % de la totalité des rémunérations, la contribution en faveur du logement des salariés, représentant 0,45 % de la masse salariale, la mise en place obligatoire de la participation, l'acquisition de chèques vacances sans exonération de charges sociales, la mise en place d'un local de restauration, l'abondement du compte personnel de formation, la conclusion d'un accord ou l'établissement d'un plan d'action pour la prévention des risques professionnels ainsi que le programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail, la conclusion d'un accord collectif sur l'égalité femmes-hommes, la protection des lanceurs d'alerte... »110(*).

Une note de l'Institut des politiques publiques de mars 2022 montre « qu'une part importante des entreprises sous-déclarent volontairement leur effectif en-dessous de ce seuil et que cela leur permet d'éviter les obligations qui leur incombent. Le respect de la loi en matière de dialogue social ou de partage des profits apparaît ainsi lié à l'effectif que les entreprises déclarent et non à leur effectif réel. Ces résultats illustrent la façon dont le code du travail peut être contourné dans un univers réglementaire complexe et en l'absence de moyens de contrôle suffisants. Ils invitent à réfléchir à la mise en place de modalités de contrôle du respect des lois plus directes et plus efficaces. Ils invitent également à considérer avec prudence les résultats de plusieurs études récentes qui chiffrent le coût des obligations légales au seuil de 50 salariés en supposant qu'elles sont en pratique intégralement respectées. Les entreprises françaises sont beaucoup plus nombreuses à déclarer un effectif de 49 salariés que de 50 salariés dans leur déclaration fiscale. Ce pic à 49 salariés est régulièrement attribué aux obligations supplémentaires qui se déclenchent au seuil de 50 salariés : les entreprises refuseraient de franchir ce seuil - dit “seuil social” - afin d'éviter par exemple d'avoir à installer un comité d'entreprise (désormais CSE à compétence élargie). Cette croissance moindre des entreprises limiterait in fine la productivité et l'emploi. Cependant, lorsqu'on calcule directement l'effectif des entreprises à partir de données administratives portant sur l'ensemble des salariés, le pic à 49 salariés disparaît intégralement. C'est donc l'effectif déclaré par l'employeur et non l'effectif réel qui plafonne à 49 salariés ».

Selon ces économistes, « ce phénomène s'explique par le fait que l'effectif légal est difficile à calculer et n'est pas public, de sorte que le respect de certaines obligations légales dépend en pratique de l'effectif déclaré. Le coût à mal déclarer son effectif semble par ailleurs faible de sorte que les entreprises qui craindraient les obligations légales ont tout à gagner à déclarer un effectif erroné qui leur permet de les éviter. Ces résultats remettent en partie en cause les résultats associant un effet délétère sur la croissance aux seuils d'effectif ».

Pour la CPME111(*), la réforme opérée en 2019 a « permis aux chefs de TPE/PME d'avoir une vision d'ensemble simplifiée de leurs obligations légales en fonction de leur effectif », mais « il est encore compliqué pour un chef d'entreprise de TPE/PME de calculer son effectif. Une simplification et une clarification nette du calcul de l'effectif est nécessaire en dépit de ce qui a été déjà fait sur la question. On peut imaginer la création par l'administration d'un tableur qui permettrait d'expliquer les règles de calcul ainsi qu'un accompagnement plus soutenu de de l'État ».

Cette simplification demeure toutefois insuffisante et elle propose : « de passer à 100 salariés, le seuil actuel de 50 salariés à partir duquel un renforcement massif des obligations s'impose à l'entreprise. L'atteinte du seuil de 50 salariés est une grande inquiétude pour les chefs d'entreprise et freine aussi les projets d'embauche à l'approche de ce seuil. Un pavé d'obligations issues du code du travail s'impose alors au dirigeant de PME. Effectivement, à partir de ce seuil, le chef d'entreprise change de métier. De créateur de valeur pour son entreprise, il passe gestionnaire social de sa structure. Structure dans laquelle il n'y a pas de personnel formé à ces sujets complexes (consultations ponctuelles/récurrentes du CSE, négociations annuelles obligatoires, etc.). Ainsi, à ce seuil, les entreprises ne sont pas encore suffisamment structurées pour faire face à toutes les nouvelles obligations qui s'imposent à elles (même après 5 ans) ».

Réunis le 28 mars 2023 lors d'une table-ronde consacrée à la question des seuils, les autres organisations représentatives des entreprises ont néanmoins fait savoir que, selon elles, les seuils ne seraient plus un sujet si toutes les obligations et procédures « subies » par les entreprises étaient simplifiées. La stabilité législative leur semble prioritaire mais, dans un contexte de réelle simplification des normes applicables aux entreprises.

Par ailleurs, l''obligation de recevoir les membres de la délégation du personnel du Comité social et économique (CSE) « au moins une fois » s'applique aux entreprises de moins de 50 salariés et le CSE doit se réunir tous les deux mois pour celles de plus de 300 salariés112(*). Selon la CPME : « le rythme de l'actualité d'une PME ne nécessite pas un suivi mensuel de ses projets sociaux majeurs et ces réunions finissent par être vidées de leur contenu essentiel avec des ordres du jour dépourvus de substance ». Elle propose donc de : « supprimer les seuils de 50 et 300 salariés dans ce domaine et de prévoir que le CSE se réunisse au moins une fois tous les deux mois et ce, quel que soit la taille de l'entreprise (avec toujours la possibilité de prévoir une deuxième réunion à la demande de la majorité de ses membres). Cette mesure aurait vocation à privilégier la qualité des échanges sur la quantité ».

La simplification des seuils reste donc au milieu du gué.

Il pourrait être proposé d'aller plus loin dans l'alignement des méthodes de décompte des ETP et de prévoir un alignement complet sur la méthode prévue par le code de la sécurité sociale. Un tel alignement aurait l'avantage de réduire la charge de travail pour l'employeur et de  limiter les risques de sous-déclaration. Cependant, des études doivent être menées en amont pour vérifier la pertinence et la faisabilité technique de la méthode prévue par le code de la sécurité sociale pour le décompte (et qui justifient actuellement l'objet de méthodes de calcul ad hoc prévues par le code du travail).

Il paraît plus aisé de simplifier les formules utilisées s'agissant de certains seuils. Par exemple, autour du seuil de 11 ETP, certaines obligations s'appliquent aux entreprises de « moins de 11 salariés », d'autres s'appliquent « à partir de 11 salariés », d'autres encore « jusqu'à 11 salariés » et d'autres enfin « au-delà de 11 salariés ». À droit constant, il pourrait être envisagé d'établir une formule-type pour toute obligation113(*), afin d'améliorer la clarté des textes au regard des formules utilisées. Cette piste nécessitera un important travail de légistique pour reformuler les obligations existantes d'une part, et vérifier que toute nouvelle obligation introduite respectera cette formule-type d'autre part.

En outre, les obligations restent nombreuses pour certains seuils et sont dispersées dans des codes différents. À droit constant, il pourrait être envisagé d'établir des guides à destination des entreprises, retraçant, pour chaque taille d'entreprise, l'ensemble des obligations qui s'appliquent.

Enfin, il pourrait être envisagé d'homogénéiser davantage les seuils sur les seuils pivots de 11 salariés, 50 salariés et 250 salariés. Sur le stock des obligations afférentes à des seuils différents (par exemple : 12 salariés, 40 salariés, 300 salariés), il conviendrait d'envisager une réévaluation du seuil pour l'aligner sur celui de 11 salariés ou 50 salariés ou 250 salariés. Sur les nouvelles obligations introduites, il conviendrait de prévoir un alignement sur les seuils de 11 salariés ou 50 salariés ou 250 salariés, avec, pour l'administration, l'obligation de motiver le recours à un seuil différent. Cette hypothèse impliquerait d'évaluer les conséquences économiques et financières de l'alignement des seuils existants sur ceux de 11 salariés, 50 salariés et 250 salariés car l'abaissement d'un seuil (ex : passer de 300 à 250) entraînerait mécaniquement une augmentation des entreprises soumises à l'obligation ; au contraire, le relèvement d'un seuil (ex : passer de 40 à 50) entraînerait mécaniquement une diminution des entreprises soumises à l'obligation. D'autre part, en recentrant l'ensemble des obligations sur un nombre limité de seuils différents (11, 50, 250), l'effet de seuil sera renforcé (ex : le passage de 10 à 11 salariés entraînerait davantage de nouvelles obligations) : ces effets de seuils renforcés doivent faire l'objet d'une évaluation économique de l'impact sur la croissance des entreprises.

Dans cet objectif, une expérimentation ciblée sur une certaine catégorie d'entreprises ou certains seuils pourrait être conduite par France Expérimentation.

III. UNE COMPLEXITÉ NORMATIVE QUI HANDICAPE LES ENTREPRISES

A. UNE POLITIQUE ECONOMIQUE QUI MÊLE SIMPLIFICATION ET COMPLEXITÉ

Certains « moments » de la vie des entreprises, certaines tailles d'entreprise et certains secteurs bénéficient d'efforts de simplification tandis que les autres entreprises subissent un flot de complexité qui ne se tarit pas.

1. Un accompagnement privilégié pour certaines ETI

Certaines entreprises ont la chance de bénéficier d'un accompagnement privilégié des services de l'État pour faciliter leur développement, en les aidant notamment à gérer la complexité administrative, notamment dans le numérique, pour l'exportation et en faveur des ETI :

- Les actions de la mission French Tech « offrent un accompagnement personnalisé aux start-ups »114(*). L'accompagnement direct par l'administration centrale de 200 start-ups « stratégiques » permet de s'adapter à leurs besoins et de les sonder régulièrement pour identifier des tendances, notamment sur les besoins en financement et le renforcement de France 2030 ;

- La mise en place d'un guichet unique pour les entreprises exportatrices (Team France Export), rassemblant toutes les solutions publiques proposées par les Régions, les services de l'État, Business France, les Chambres de Commerce et d'Industrie et BpiFrance pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises à l'international, BpiFrance centralisant les solutions de financement ;

- La stratégie « Nation ETI » a été lancée par le Président de la République le 21 janvier 2020 et co-construite avec le Mouvement des entreprises de tailles intermédiaires (METI) afin d'accompagner le développement des ETI en mettant davantage en avant leur rôle dans le tissu économique national afin de mieux prendre en compte leurs spécificités dans la conception des politiques économiques.

Afin de rapprocher l'État et les ETI, des « référents ETI » ont été nommés au sein des Services économiques de l'État en région et des « ambassadeurs » ont été nommés afin de suivre la mise en place de cette politique publique, « de faire remonter les préoccupations des ETI auprès des services de l'État, et réciproquement de promouvoir auprès des ETI les dispositifs mis en place pour soutenir leur développement, ainsi que les mesures du plan de relance ».

Lors de son audition du 8 juin 2023, la ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme a annoncé un dispositif d'accompagnement des « PME de croissance », ETIncelles, dans près d'une soixantaine d'administrations et d'opérateurs publics, « pour que les PME de croissance puissent avoir des correspondants au sein même de l'État pour les aider à déblayer des normes, des obstacles, qui les empêchent de croître ».

Les autres PME qui ne sont pas ciblées par cet accompagnement privilégié sont laissées à leur sort....

2. Une simplification ciblant certains secteurs économiques

Outre l'accélération de l'installation des industries « vertes »115(*), qui fait l'objet d'un projet de loi dont le Parlement est actuellement saisi, deux secteurs ont fait l'objet de mesures ciblées de simplification des normes et procédures : les énergies renouvelables et le nucléaire.

a) La simplification ciblant les implantations industrielles « vertes »

La durée des procédures d'implantation des sites de production, notamment industriels, est particulièrement élevée. Les administrations mettent souvent du temps pour répondre aux demandes de permis de construire. Par ailleurs, les très longs délais sont liés à la complexité de l'articulation entre les différents niveaux de la puissance publique. La France est le seul pays de l'OCDE à avoir 5 niveaux de puissance publique (communes, communautés de communes, département, région, État central) avec une complexité des interactions en termes de responsabilité et de décision.

Là où en Allemagne, la décision peut être rapide, en France, compte tenu de la nécessité d'une validation par les différents niveaux d'autorités publiques, cela prend du temps. C'est apparemment ce manque réaction rapide et une certaine incertitude sur le soutien des différents niveaux d'autorités publiques que Tesla a fait le choix pour sa « Gigafactory » de Berlin et non de la France alors qu'il y avait un fort intérêt de la France pour ce projet.

L'accélération des procédures est un enjeu très important pour l'attractivité. C'est également une opportunité majeure pour la croissance des entreprises et pour l'industrialisation des innovations, donc pour l'emploi, la souveraineté et les réponses aux défis structurels majeurs en particulier la transition climatique.

Par ailleurs, outre l'accélération, la question de l'harmonisation des procédures constitue un enjeu. En effet, elles ne sont pas toujours harmonisées au niveau national, différent selon les interprétations des services déconcentrés, ce qui complique naturellement la tâche des entreprises multi-sites.

La politique de simplification en direction des entreprises semble se focaliser sur la réindustrialisation et la facilitation des procédures de création de sites industriels. Elle cible principalement les ETI.

Trois rapports ont été rédigés à cet effet.

Le rapport de Claude Imauven116(*) a proposé un dispositif permettant à chaque entreprise de taille intermédiaire (ETI) et grande entreprise française de « disposer d'un référent coordonnant l'ensemble des interlocuteurs publics concernés par un projet d'investissement (État et opérateurs en lien étroit avec les Régions et les métropoles) et leur offrant un suivi individualisé et sur mesure des projets, du package financier, réglementaire, à l'accompagnement lors de l'investissement initial, jusqu'à son exploitation en aval ». À cet effet, le guichet unique pour l'investissement productif devait pouvoir « assurer l'interface entre l'industriel et l'administration française sur chaque projet d'investissement et assurer un suivi régulier des entreprises industrielles dans le temps ». Il devait avoir pour fonction :

- d'apporter de la visibilité en matière de délais sur les procédures,

- d'aider à affronter « une réglementation environnementale de plus en plus étoffée et contraignante »,

- de recenser les sites industriels libres clés en main

À la suite de ce rapport, le French Fab Investment Desk a été créé le 18 juin 2019 afin de jouer le rôle de guichet unique pour l'investissement productif.

Ce dispositif permet à chaque « grand compte » industriel présent sur le territoire national, qu'il soit français ou étranger, de disposer d'un référent unique dédié, coordonnant l'ensemble des interlocuteurs publics français concernés (État, opérateurs, régions et métropoles) et lui offrant un suivi individualisé et sur mesure, du package financier, réglementaire et d'accompagnement lors de l'investissement, à son exploitation en aval. Les groupes étrangers implantés en France seront sauf exception suivis par une équipe de Business France, les groupes français (notamment les ETI) par une équipe placée au sein de la Direction générale des entreprises (DGE).

Le rapport du député Guillaume Kasbarian, « 5 chantiers pour simplifier et accélérer les installations industrielles » (septembre 2019)117(*), missionné par le Premier ministre le 3 juin 2019 pour formuler des propositions afin d'accélérer et libérer les projets industriels sur nos territoires, en simplifiant les procédures préalables aux implantations industrielles, a pointé, pour les ETI, six sources de complexité :

1. l'insécurité juridique (outre l'inflation normative et « la tendance à la sur-transposition des règles européennes qui a des conséquences particulièrement fortes sur l'industrie », des interprétations parfois divergentes de la norme) ;

2. l'opacité des procédures, des démarches à entreprendre et le manque de prévisibilité en matière de délais (pour une implantation industrielle « la mission n'a pas identifié de documentation présentant une vue d'ensemble intégrée des procédures administratifs à réaliser », à savoir l'autorisation d'urbanisme, le diagnostic d'archéologie préventive, l'autorisation environnementale unique, « chacune des trois procédures fonctionnant en silo, avec ses propres règles, ses propres étapes, ses propres délais et ses propres limites » ;

3. les délais parfois trop longs d'examen des dossiers ;

4. le défaut de pilotage par l'État dû à l'absence d'interlocuteur unique ;

5. l'absence d'une culture partagée entre l'administration et les porteurs de projets : un « manque d'accompagnement dans la réalisation des dossiers administratifs118(*) ; un manque de connaissance et de prise en compte des enjeux industriels ; un sentiment d'expertise asymétrique, les porteurs de projet déplorant « la difficulté à disposer d'une vision complète et actualisée des normes et démarches applicables à leur projet dès le démarrage ».

6. le manque d'accompagnement face à une exigence environnementale source de complexité pour les industriels.

Pour sécuriser ces projets d'investissements, le rapport préconise :

- de prévoir une entrée en vigueur différée des normes nouvelles afin qu'elles ne s'appliquent pas à un projet en cours (sauf mesure de simplification), à partir du moment où l'administration a accusé réception du dossier d'autorisation, « afin d'éviter, lors de l'examen des dossiers, qu'une nouvelle norme surgissant en cours d'instruction ne soit appliquée à l'industriel sans qu'il ait pu s'y préparer » ;

- d'améliorer l'élaboration des textes et d'instaurer « une hygiène normative en faveur de la compétitivité industrielle » en prévoyant systématiquement des mesures dérogatoires pour les secteurs les plus impactés et en évaluant le dispositif du « test PME » ;

- d'éviter au maximum les surtranspositions de textes européens, en les traitants par secteur, de façon transversale.

Concrètement, le rapport suggère, parmi dix recommandations :

- de mettre à disposition des porteurs de projet, dans un format pédagogique et facilement accessible, toutes les étapes et démarches administratives qu'ils vont devoir réaliser, selon une approche « usager » et non en silo, par procédure ;

- de mettre en place un « portail numérique unique » pour faciliter les démarches des industriels et l'instruction de leurs demandes ;

- de promouvoir une culture d'accompagnement des porteurs de projets à tous les niveaux de l'administration, notamment en « diffusant des guides, « socle d'interprétation » de la réglementation, partagés au niveau national sur la mise en oeuvre de certaines procédures ou sur certain point du droit qui présente une ambiguïté (notion de projet, sécurité incendie, etc.) afin de limiter les divergences d'interprétation du droit ».

Ce rapport, qui a repris certaines des précédentes recommandations restées sans effet du rapport de Mme Laure de la Raudière de 2010 précédemment évoqué, a conduit le Premier ministre d'alors, M. Édouard Philippe, à lancer cinq mesures :

1. mieux sécuriser les porteurs de projet en ne réétudiant pas leurs dossiers si une norme nouvelle entre en vigueur après le dépôt de leur dossier : c'est la norme en vigueur lors du dépôt du dossier qui s'applique ;

2. encourager les collectivités à mener un maximum de procédures en amont de décisions d'implantations industrielles, pour offrir des sites clés en main et concrétiser des projets complexes en moins de 6 mois ;

3. simplifier les processus pour les entreprises en dématérialisant les procédures (urbanisme, autorisation environnementale, fouilles archéologiques) puis en créant un portail numérique unique de suivi des dossiers ;

4. autoriser les préfets à accélérer les délais des procédures (jusqu'à plusieurs mois) au cas par cas : par exemple en permettant désormais de démarrer les travaux sur une partie de la parcelle si toutes les autorisations de cette partie sont obtenues ;

5. charger les sous-préfets d'un rôle de coordination de l'ensemble des services administratifs en charge d'accompagner les projets d'implantation.

Afin de garantir la bonne mise en oeuvre de ces mesures, le Premier ministre a confié à Simon-Pierre Eury une mission interministérielle de coordination de ces chantiers et de pilotage du portail numérique unique, dont il conviendra d'évaluer l'action.

Enfin, un rapport de l'Inspection des finances, coordonné par Laurent Guillot, « Simplifier et accélérer les implantations d'activités économiques en France » (janvier 2022)119(*) a formulé 13 recommandations opérationnelles afin d'atteindre cet objectif et :

- de réduire les délais de procédure,

- de renforcer la participation du public,

- de mieux orienter les porteurs de projets vers des sites « clés en main » pour en limiter l'impact environnemental.

Le projet de loi relatif à l'industrie « verte », examiné au Sénat en juin 2023, s'inscrit dans cette démarche, tout en la réservant aux secteurs « du solaire photovoltaïque et thermique, des éoliennes à terre et en mer, des batteries et du stockage d'énergie, des pompes à chaleur et de la géothermie, de l'électrolyse, des piles à combustible, du biogaz et du biométhane renouvelables, de la capture, utilisation et stockage de gaz carbonique, des technologies de réseau électrique, du nucléaire » selon son étude d'impact.

b) La simplification pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables

La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables comporte des «  mesures transversales de simplification » pour accélérer les projets d'énergies renouvelables et les projets industriels nécessaires à la transition énergétique. L'étude d'impact indiquait que « la lisibilité, l'optimisation et la simplification du cadre actuel des procédures de raccordement tant en termes de coûts et de démarches que de délais sont des sujets de préoccupation majeurs pour les différents acteurs intéressés. Les limites de ce cadre actuel sont ainsi reconnues et constituent à la fois des freins et des complexités pour les gestionnaires de réseau ainsi que les demandeurs de raccordement ».

Cependant, lors de l'examen de ce texte, le Sénat a accentué cet effort de simplification administrative car, « sans simplifications substantielles apportées au cadre des autorisations administratives relatives aux projets d'énergies renouvelables, l'atteinte de l'objectif que s'est lui-même fixé le Gouvernement, diviser par deux les délais de déploiement des projets concernés, est illusoire »120(*). Aussi, prenant acte d'un manque de propositions du Gouvernement sur ce sujet, le Sénat a proposé la création de nouvelles dérogations procédurales temporaires (autorisation environnementale, enquête publique, recours contentieux). Au cours de la navette qui s'est conclue par un accord avec l'Assemblée nationale, de nombreuses mesures de simplification introduites au Sénat ont été conservées, comme la clarification législative des incidences environnementales à prendre en compte pour soumettre un projet de renouvellement d'une installation d'énergies renouvelables à évaluation environnementale, ou la désignation de référents préfectoraux (en pratique, les sous-préfets) dans chaque département, pour l'instruction des autorisations et l'accompagnement des porteurs de projet.

La loi habilite par ailleurs le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour accélérer et simplifier les procédures de raccordement, impactant de nombreuses dispositions du code de l'énergie et du code de l'urbanisme.

c) La simplification pour relancer le nucléaire

La loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes « vise à accélérer la construction des réacteurs électronucléaires (...) en simplifiant les procédures administratives qui leur sont applicables », selon son exposé des motifs, et comporte des mesures de simplification, d'accélération et de sécurisation.

Il faut noter que l'étude d'impact souligne que « la diminution de ces délais [administratifs] est de nature à baisser le coût de revient de l'électricité produite par ces installations ; elle bénéficie donc aux consommateurs d'électricité, et notamment aux consommateurs professionnels », ce qui montre a contrario que la complexité administrative pèse actuellement sur le coût de revient de cette énergie.

Selon le rapport de la commission des affaires économiques du Sénat121(*), ces mesures de simplification « doivent permettre une accélération de plusieurs années ». Sur proposition de la commission, le Sénat a amendé l'article premier, en prévoyant « une évaluation de l'application des mesures de simplification, comprenant un rappel des objectifs et une justification des écarts, notamment en termes de délais », qui sera quadriennale.

3. Un flux de complexité qui ne se tarit pas

Les auditions menées par la délégation aux Entreprises ont fait référence à de multiples exemples de complexification des normes applicables aux entreprises, à rebours du discours dominant sur la simplification.

Ainsi, et inversement à ces initiatives de simplification, la loi n°2021-1104 du 22 août 2021, dite Climat et résilience, comporte de nouvelles obligations à la charge des entreprises, notamment pour favoriser la prise en compte obligatoire des enjeux environnementaux.

La loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante entendait « offrir aux entrepreneurs un cadre plus simple et protecteur au moment de la création d'entreprise et pour les accompagner tout au long de l'exercice de leur activité » avec des mesures de simplification de différents statuts de l'entrepreneur. Elle met en extinction le statut l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) qui avait été créé par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, et qui n'aurait duré que douze ans, les EIRL existants pouvant toutefois continuer à exercer leur activité dans les mêmes conditions qu'à présent, restant ainsi au milieu du gué de la simplification.

Au détour d'une loi n°2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, un amendement a modifié les articles L.225-35 (relatif au conseil d'administration) et L.225-64 (relatif au directoire) du code de commerce pour que soient également pris en considération les enjeux « sportifs et culturels » de l'activité de l'entreprise, en plus de la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux ajoutés par la loi PACTE. Cette initiative inopinée a quelque peu déconcerté les entreprises d'autant qu'il « emploie le verbe « considérer » là où la loi Pacte indique « en prenant en considération ». Ce qui a l'air d'un détail n'en est pas un, car le Conseil d'Etat a déjà tranché sur ce point. Dans la loi Pacte, il a remplacé les mots « en considérant » par « en prenant en considération » qui, « en traduisant une préoccupation générale dont on a conscience et non un but précis que l'on se donne [...] expliquent mieux la portée de la disposition », explique-t-il dans un avis de 2018 »122(*). Elle risque d'affaiblir la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux qui contribue à une mutation puissante de l'objet social de l'entreprise. Elle expose les conseils d'administration à une forte incertitude juridique. Elle risque de faire de l'article L.225-35 du code de commerce, qui précise le rôle du conseil d'administration, un point d'accroche pour ajouter de nouvelles obligations sans cesse plus floues à la responsabilité sociétale de l'entreprise.

Dans le cadre de l'application de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, l'appel à projets « France Expérimentation - 3DS » visait à permettre aux porteurs de projets économiques innovants ancrés dans les territoires, qui sont bloqués par la législation, de solliciter des dérogations législatives expérimentales et temporaires. Les demandes retenues pour faire l'objet d'une expérimentation devaient donner lieu au dépôt d'amendement, les y autorisant. Cette expérimentation semble avoir été un échec complet, aucun amendement gouvernemental n'ayant porté une demande de dérogation.

a) La responsabilité sociétale des entreprises : quand le risque d'un « tsunami de complexité » inquiète même les grandes entreprises

Les rapports récents de la délégation aux Entreprises123(*) ont par ailleurs souligné le choc de complexité créé par les obligations mises à la charge des entreprises en matière de responsabilité sociétale, y compris pour les grandes entreprises.

Cette analyse est partagée par un rapport du Haut comité juridique de la place financière de Paris du 10 novembre 2022124(*) qui dresse un état des lieux sévère de la situation actuelle. Ce document déplore des « textes peu lisibles », souligne « l'absence d'articulation entre les dispositifs » et appelle à l'engagement d'un « effort de simplification et de rationalisation de certains dispositifs nationaux ». Ce constat a été souligné par l'ensemble des personnes auditionnées qui ont unanimement regretté un « millefeuille de dispositifs ».

Le rapport du Haut comité juridique de la place financière de Paris recense ainsi treize dispositifs différents imposant la publication d'informations extra-financières dans le code de commerce (huit dispositifs), dans le code civil et le code de commerce (un dispositif) et dans des lois spécifiques (quatre dispositifs).

La transposition de la directive CSRD (Corporate sustainability reporting directive) qui doit permettre d'assurer au niveau européen la production de données environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) fiables et comparables entre les entreprises, se réalisera par ordonnance en dépit des réserves du Sénat, pour lequel sa mise en oeuvre, « si elle ne se substituait pas à certaines normes nationales, constituerait une charge excessive pour les entreprises. Il apparaît donc nécessaire, pour accompagner la mise en place de ces nouveaux standards, d'alléger une partie des obligations issues de notre droit national, dès lors que les nouvelles exigences européennes s'y substitueraient »125(*).

Certes, cette transposition offre l'opportunité de mettre en cohérence un corpus juridique qui, selon l'étude d'impact : « se compose d'une accumulation de dispositifs disparates, pensés séparément et sans réelle cohérence entre eux. Il s'agit notamment des dispositions relatives au rapport de gestion, au rapport sur le gouvernement d'entreprise, aux obligations RSE des organes de gouvernance. Pour la plupart issus du droit européen, ces dispositifs recourent à des seuils, des définitions, des obligations et des sanctions différentes ».

Après que le Sénat a supprimé l'article de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture autorisant cette transposition, manifestant ainsi son inquiétude, les aménagements en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), seront relativement limités, conformément à l'amendement du Gouvernement en commission des finances à l'Assemblée, lequel a répondu ainsi aux préoccupations des PME relayées par la délégation aux Entreprises126(*).

Ces aménagements auront pour objectifs127(*) (i) d'éviter les redondances avec les autres dispositifs de transparence qui relèvent des domaines couverts par la CSRD, (ii) de mettre en cohérence les seuils et définitions qui délimitent le champ d'application de ces dispositifs, (iii) d'étendre certains dispositifs à certaines formes de sociétés et (iv) d'unifier les procédures d'injonction afférentes à ces dispositifs.

b) Les aides pendant la crise de la COVID-19 : quand l'administration simplifie provisoirement

Afin d'aider les entreprises touchées par la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place dès mars 2021 un dispositif de prise en charge des coûts fixes, pour les entreprises fermées ou secteurs fortement impactés.

Ce dispositif a été simplifié à plusieurs reprises, notamment par un décret paru le 21 mai 2021128(*), étendu à différents secteurs, mais en réalité, de multiples dispositifs ont été créés : Prêt garantis par l'État (PGE), Fonds de solidarité (FDS), report de cotisations sociales, Aide coûts fixes « originale » ou « initiale » en complément du FDS, Aide coûts fixes « rebond » (pour les entreprises créées entre janvier 2019 et janvier 2021, son pendant est l'aide « nouvelle entreprise rebond »), Aide « fermetures », Aide nouvelle entreprise rebond (pour les entreprises créées avant janvier 2019, son pendant est l'aide « coûts fixes rebond »), Aide « loyers », Aide « renfort », dispositif d'activité partielle, lequel était applicable aux entreprises appartenant aux secteurs figurant aux deux annexes d'un décret129(*), constituant un véritable inventaire à la Prévert...

Ces mesures ont été fréquemment remaniées afin de s'adapter au mieux au soutien indispensable à la survie des entreprises. Au total, l'objectif de simplicité a été recherché mais le principe de stabilité a été mis entre parenthèses, à juste titre, pour un motif d'intérêt général.

Le rapport de juillet 2021 du « comité de suivi et d'évaluation
des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l'épidémie de covid-19 », présidé par Benoît Coeuré130(*) a analysé les profils des entreprises n'ayant pas eu recours à une quelconque de ces aides, exemple trop rare d'une étude ex post sur le non-recours.

Selon une enquête conduite auprès des chefs d'entreprises131(*) : « parmi les entreprises qui n'ont recouru à aucune aide, la majorité estiment qu'elles n'en avaient pas besoin et 10 % ne souhaitaient par ailleurs pas dépendre des aides de l'État. A contrario, 32 % du non-recours (soit 6 % des entreprises interrogées) peuvent être interprétés comme « involontaires » ou « subis » : 13 % des entreprises non recourantes n'étaient pas éligibles ; 11 % déclarent s'être vu refuser les aides pour des raisons qui lui semblent injustes ; 8 % déplorent que les démarches étaient trop longues ou trop complexes ».

La majorité des entreprises qui n'ont pas eu recours au fonds de solidarité estiment qu'elles n'en avaient pas besoin, mais 16 % n'y ont pas eu recours pour ne pas être dépendantes des aides de l'État et 13 % parce qu'elles ne remplissaient pas les conditions. Seulement 4 % des entreprises non recourantes signalent que l'aide leur a été refusée, et 3 % qu'elles y ont renoncé en raison des démarches trop longues ou coûteuses.

Ces éléments confirment bien que plus le dispositif (ou la norme) est simple, plus son accès par les entreprises est aisé.

c) Les aides à l'énergie : quand un dispositif manque sa cible

Les entreprises grandes consommatrices d'énergie ayant subi une hausse des coûts d'approvisionnement de gaz naturel et/ou d'électricité entre mars 2022 et août 2022 ont pu bénéficier, depuis le décret n° 2022-967 du 1er juillet 2022132(*) d'une aide visant à compenser la hausse des coûts d'approvisionnement de gaz naturel et d'électricité.

La délégation aux Entreprises a été rapidement saisie du problème de l'inadéquation de cette aide dans le secteur de la boulangerie. Si en effet ce dispositif était adapté aux boulangeries industrielles dont l'énergie représente 3 % du chiffre d'affaires ayant subi un doublement du prix du gaz et/ou de l'électricité, l'aide étant plafonnée à 2 millions d'euros, il restait inaccessible pour l'immense majorité des boulangeries artisanales qui sont des TPE. Pour ces dernières, le Gouvernement a présenté le 27 octobre 2022 un autre dispositif : « l'amortisseur électricité », simplifiant les critères pour pouvoir bénéficier de cette aide.

Cependant, « cette aide destinée à la majorité des boulangeries n'a pas été bien comprise. Et pour cause : non seulement le sujet est complexe mais la communication gouvernementale a été hasardeuse. Cette proposition a suscité beaucoup d'inquiétude et de colère car elle n'était pas claire. Les explications avancées dans le communiqué de presse d'origine étaient en effet très techniques, illisibles » selon le site professionnel La Toque.

M. Jérémy Ferrer, boulanger et fondateur de Grain de Blé (courtier pour les artisans) alertait, début novembre 2022, par de nombreuses interventions dans les médias, au sujet de la situation plus que compliquée du secteur de la boulangerie artisanale : « il est demandé que les comptables réalisent un bilan mensuel pour calculer l'EBE (excédent brut d'exploitation) et voir ainsi si celui est en baisse pour pouvoir bénéficier de l'aide. Or, aucun comptable n'accepte de le faire mensuellement »133(*).

Compte-tenu de ces difficultés persistantes, les ministères concernés (de l'Économie et de l'Écologie) ont publié un nouveau communiqué le 29 novembre 2022 qui simplifie encore le dispositif.

Si ce dispositif amortit les hausses, dans une certaine mesure, il diffère du bouclier, qui bloque la hausse (à + 15 %) et donne de la visibilité. L'amortisseur demeure très insécurisant pour les artisans. La Première ministre Élisabeth Borne a donc annoncé le 4 janvier 2023 que les boulangers pourront « demander le report du paiement de leurs impôts et cotisations sociales ». La Première ministre a également déploré que les mesures de soutien mises en place par le Gouvernement ne soient pas assez connues : « Au global, on prend en charge avec ces différentes aides de l'ordre de 40 % de la facture d'électricité », a-t-elle assuré.

L'administration s'est donc mobilisée avec le réseau des services consulaires afin d'informer les artisans de ces aides énergie.

Au total, ce sont 805 752 artisans qui ont été contactés : 31 312 boulangers boulangers-pâtissiers et pâtissiers (sur 41 150 ciblés, soit les trois quarts) et 774 440 autres artisans, parmi lesquels les métiers les plus impactés par les coûts de l'énergie, comme les bouchers-charcutiers, imprimeurs, carrossiers, menuisiers, artisans du pressing-blanchisserie.

L'appel était suivi de l'envoi par mail d'une plaquette présentant le dispositif. Par ailleurs, des webinaires pour les artisans ont été organisés par les chambres sur l'aide énergie, ainsi que des visites de terrain et des informations mises à jour sur le site des CMA. Cette offre de service pour ces accompagnements a été gratuite.

À la demande de l'État, les CCI se sont engagées, en janvier et février 2023, dans une opération de phoning à destination de 20 000 PME industrielles, durement touchées par la crise de l'énergie. Cette démarche était d'autant plus nécessaire que 30 % des entreprises seulement connaissaient l'amortisseur et 27 % les aides guichet. Au total, 39 % des entreprises ont annoncé leur intention de faire les démarches nécessaires pour l'obtention de l'amortisseur et 26% pour les aides guichet.

d) L'index senior : quand l'administration demande aux entreprises de réaliser ce qu'elle pourrait faire elle-même

Afin d'inciter les entreprises à se saisir du sujet de l'emploi des seniors et à favoriser leur emploi, l'article 2 du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, finalement censuré en tant que « cavalier social »134(*), avait prévu que les entreprises publient des indicateurs relatifs aux salariés âgés et qu'elles abordent le sujet de l'emploi des seniors lors de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels.

Les entreprises qui auraient méconnu l'obligation de publication des indicateurs auraient pu se voir appliquer par l'autorité administrative une pénalité dans la limite de 1 % des rémunérations et gains versés aux travailleurs salariés et assimilés au cours de l'année civile au titre de laquelle l'obligation est méconnue.

À l'initiation de la commission des affaires sociales du Sénat, le texte adopté avait rehaussé à 300 salariés le seuil des entreprises concernées par l'obligation de publier des indicateurs, celui-ci ayant été abaissé à 50 salariés lors de la première lecture à l'Assemblée nationale. En effet, les entreprises de 50 à 300 salariés ne sont pas toutes dotées de services de ressources humaines capables de publier de telles données.

La commission des affaires sociales avait souligné le caractère limité de la mesure : « Les indicateurs ne seront pertinents que pour de grandes entreprises, les petites et moyennes entreprises ne disposant pas d'effectifs suffisants pour établir des statistiques robustes pour refléter leur engagement en faveur des seniors. Au sein d'une entreprise de 50 salariés, le départ de quelques seniors pourrait dégrader fortement ses indicateurs, alors même qu'elle déploie des mesures pour le maintien en emploi et le recrutement de seniors »135(*), un précédent rapport d'information du Sénat ayant estimé, en 2019136(*), qu'il n'existait « aucun dispositif miracle ni incitatif (de type contrat de génération ou baisse de charges...) ni punitif (de type contribution Delalande) qui puisse régler à lui seul le problème de l'emploi des seniors. La solution doit passer par une prise de conscience des entreprises quant à la valeur ajoutée des travailleurs seniors et la nécessité d'avoir une gestion équilibrée de leur pyramide des âges ».

On aurait pu s'attendre à ce que l'administration soit en capacité de publier de telles informations, puisque les services concernés disposent des informations relatives à l'âge des salariés des entreprises. Le choix avait été fait de faire porter cette nouvelle obligation à la charge de toutes les entreprises de plus de 300 salariés.

Cette charge nouvelle n'avait même pas été évaluée par l'étude d'impact qui se contentait de renseigner « Sans objet » l'impact de la mise en oeuvre de la mesure pour les différents acteurs concernés (« a) impacts sur les assurés / les redevables, notamment en termes de démarches, de formalités ou charges administratives »). Pourtant, cette même étude d'impact relevait que, s'agissant des impacts sociaux : « les entreprises devront donc améliorer les conditions de travail de leur salariés, et notamment les salariés seniors » (promotion, recrutement, temps de travail, départs) et préparer les secondes parties de carrières (formation, mesures de prévention). Six thèmes avaient été identifiés à ce stade par l'étude d'impact (accès à l'emploi, accès à la formation, parcours dans l'entreprise, conditions de travail, départ de l'entreprise et mesures de prévention), laquelle considère que ces obligations nouvelles n'entraînent aucune charge pour les entreprises...

Il s'agissait, avec l'index senior, de l'exemple type d'une norme conçue davantage dans un objectif de communication politique, à l'efficacité incertaine, que l'administration aurait pu prendre en charge (pour la publication de l'index), et dont le coût, certain et non évalué, devait être assumé par les entreprises.

e) La formation de salariés au français : quand une obligation à la charge des entreprises n'est pas chiffrée par l'étude d'impact

Un dernier exemple récent d'absence d'étude d'impact alors qu'elle eût été nécessaire, est tiré du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, dont le sort est incertain.

Son article 2 tendait à étoffer les possibilités de formation en français langue étrangère (FLE). Il créait une faculté générale, pour les employeurs, de proposer des formations en FLE à leurs salariés allophones et leur imposait, pour ceux de ces salariés signataires d'un contrat d'intégration républicaine (CIR), de considérer ce temps de formation comme un temps de travail effectif donnant lieu au maintien de la rémunération ou, lorsque le salarié mobilise son compte personnel de formation (CPF), d'accorder de droit une autorisation d'absence. Jugeant les possibilités actuelles de formation suffisantes et ne souhaitant pas imposer aux employeurs des obligations qui relèvent davantage des pouvoirs publics, la commission des Lois du Sénat l'avait supprimé.

Dans son rapport137(*), la commission des Lois relevait que les employeurs se seraient vu imposer des obligations de formation quant à la maîtrise d'une compétence sans lien direct avec la pratique professionnelle de leurs salariés. Aurait été ajoutée à la charge des employeurs une contrainte, dont le coût n'était pas chiffré par l'étude d'impact138(*), et qui ne semblait pas devoir leur incomber.

Auditionnées, plusieurs organisations représentatives d'employeurs avaient souligné la nécessité de maintenir le caractère largement facultatif de la formation afin de ne pas faire supporter aux employeurs une obligation de formation relevant davantage des pouvoirs publics.

Par ailleurs, le défaut d'opérationnalité de ces dispositions dans les entreprises de petite taille avait été reconnu par certaines organisations syndicales auditionnées par les rapporteurs pourtant favorables à son principe. Enfin, une telle disposition aurait été de nature à désorganiser le travail, pour des formations qui ne sont pas à l'initiative de l'employeur mais du seul salarié, dans le cadre de la mobilisation de son compte personnel de formation (CPF). Les principales organisations représentatives des employeurs s'étaient unanimement déclarées défavorables139(*).

B. UNE SIMPLIFICATION QUI LAISSE LES PME AU BORD DU CHEMIN

1. Une transformation de l'action publique qui néglige les PME
a) Un « guide méthodologique pour calculer l'impact économique et financier de la norme »

Élaboré par le Secrétariat général du Gouvernement et le Contrôle général économique et financier (CGefi), le guide méthodologique permet de « calculer l'impact économique et financier de la norme est destiné à apporter une aide aux départements ministériels réalisant un travail d'évaluation préalable des projets de texte législatif et réglementaire. Ce manuel met à disposition des ministères des outils, des sources de données et des méthodes de chiffrage permettant de calculer l'ensemble des coûts et des gains produits par la norme », selon son édition de novembre 2019.

Avec ce guide méthodologique, les ministères doivent pouvoir :

1. déterminer les impacts produits par la législation ou la réglementation ;

2. identifier les catégories de population concernées ;

3. sélectionner les données nécessaires au calcul des impacts financiers ;

4. émettre des hypothèses ;

5. formuler la méthode de calcul retenue ;

6. chiffrer les impacts économiques et financiers de la norme.

Ce guide est particulièrement léger (20 pages) comparé au Better regulation Toolbox de la Commission européenne qui fait plus de 600 pages.

Surtout, la durée des tâches administratives moyennes fait l'objet d'une évaluation interne à l'administration, laquelle a créé trois catégories, leur affectant une durée standard de 3, 15 ou 120 minutes, en fonction de son caractère facile, modérée et complexe.

Source : « guide méthodologique pour calculer l'impact économique et financier de la norme »

Or, cette évaluation de l'administration, théorique, n'est jamais confrontée à la réalité de la vie des entreprises qui auraient pu être interrogées sur la durée réelle consacrée à une tâche administrative....

b) Des études d'impact qui ne mesurent pas le coût réel de la norme pour les entreprises

Au-delà de la question de l'appréciation de la durée des obligations administratives, l'étude d'impact est un outil de régulation de l'inflation législative qui ne fonctionne pas.

(1) Une justification ex post de la norme

La notion d'étude d'impact a été introduite en France en 1995. Il s'agissait alors de compléter l'exposé des motifs des projets de loi ou le rapport de présentation des projets de décrets « d'une analyse précise des
avantages attendus et des multiples incidences du texte
»140(*). Une circulaire du Premier ministre du 26 janvier 1998 a cherché à généraliser les études d'impact à tous les projets de loi, hors lois d'habilitation, de ratification d'ordonnance ou relatives à des accords internationaux. Ces premières tentatives ont été des échecs.

Malgré cela et en dépit de l'absence d'analyse sérieuse des causes de cet échec, l'étude d'impact a été promue dans la hiérarchie des normes, en passant du rang de circulaire à celle de la loi organique.

L'étude d'impact obligatoire accompagnant les projets de loi résulte d'une initiative parlementaire141(*) dans le cadre de la révision de l'article 39 de la Constitution lors de la révision de 2008 précisé par la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Ses articles 7 à 12 déterminent les règles de présentation des projets de loi, en particulier l'obligation pour les projets de loi d'être accompagnés d'une étude d'impact détaillée, tant lors de leur transmission au Conseil d'État que lors de leur dépôt sur le bureau de l'une ou l'autre assemblée.

Elles doivent « exposer avec précision », notamment, « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ».

Selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental142(*) : « cet impact doit faire apparaître les éventuelles conséquences macroéconomiques des mesures envisagées en intégrant leurs incidences en termes de croissance économique et de compétitivité : excédent ou déficit de la balance commerciale, impact sur le niveau de PIB, conséquences sur l'inflation, etc. Cette analyse porte aussi sur les incidences micro-économiques prévisibles des options envisagées ainsi que l'effet de la réforme du point de vue des charges pesant sur les entreprises, les personnes publiques et les particuliers. À cette fin, la prise en compte d'un territoire particulier, à l'instar des territoires ultramarins, peut être envisagée en consultant notamment les assemblées locales lors de l'élaboration de l'étude d'impact. Cette approche doit aussi permettre d'identifier si le projet de loi impose de nouvelles obligations aux entreprises (en fonction de leur taille ou secteur), favorise ou restreint l'investissement, fait porter un poids disproportionné aux TPE/PME ».

Or, l'étude d'impact est devenue un outil de justification de la norme et non l'évaluation de son coût : « Le problème fondamental des études d'impact, c'est qu'elles sont très souvent rédigées pour les besoins de la cause, une fois qu'on a pris la décision politique de faire une loi » a ainsi admis M. Charles Touboul, maître des requêtes au Conseil d'État, rapporteur pour l'étude du Conseil d'État de 2016, lors de son audition du 9 mars.

L'évaluation de la nécessité de la loi étant l'affaire du ministère qui porte la loi, il est peu probable qu'un ministère se déjuge en décidant après un travail intense qu'il n'y a pas lieu de légiférer.

De surcroît, l'État ne s'est jamais donné les moyens véritables d'en mesurer le coût réel pour les entreprises : « lorsque nous avons commencé à travailler sur l'étude de 2016, nous étions en train de créer un comité « impact entreprise » pour mesurer spécifiquement la charge des normes sur celles-ci. Ce comité n'a pas été prolongé. Du coup, dans le rapport de 2016, nous avons proposé de faire vivre un comité « impact entreprise » dans un cadre plus général, directement inspiré du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), et qui permettrait à leurs principaux destinataires, les collectivités territoriales en premier lieu, les entreprises et les usagers, de se prononcer sur l'impact des normes que le Gouvernement se proposait de prendre ou de proposer au Parlement. Cette proposition est toujours d'actualité, mais son devenir relève d'un choix politique et pour l'instant, elle n'a pas été mise en oeuvre par le pouvoir politique ».

Des indicateurs d'impact ont été exigés pour certains projets de lois.

Lors du troisième Conseil interministériel de la transformation publique de juin 2019, il a été décidé d'accompagner chaque projet de loi « d'indicateurs d'avancement et d'impact (5 indicateurs au minimum) permettant de suivre l'exécution des réformes et de mesurer de manière efficace les résultats des politiques publiques ». Ces indicateurs figurant dans l'étude d'impact des projets de loi sont présentés en Conseil des ministres143(*). Le Secrétariat général du Gouvernement veille à ce que ces indicateurs, portant sur des problématiques quotidiennes du public, soient accessibles et compréhensibles par tous. Ils sont intégrés aux plans de transformation ministérielle144(*).

Entre juin 2019 et mai 2022, 14 lois promulguées et 11 projets de lois contenaient des indicateurs d'impact.

Exemples d'indicateurs d'impact

Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et l'économie circulaire :

· quantité de déchets mis en décharge

· taux d'emballages plastiques collectés et recyclés (dont bouteilles plastiques)

· émissions de CO2 évitées grâce au recyclage

· valeurs des dons d'invendus aux associations

· nombre de dépôts sauvages.

Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat dont l'étude d'impact contient des valeurs cibles fixées pour 2020 :

· baisse annuelle des émissions de gaz à effet de serre

· nombre de fermetures de centrales fonctionnant exclusivement au charbon

· baisse annuelle de la consommation énergétique

· baisse annuelle du nombre de clients aux tarifs réglementés de vente (TRV) de gaz.

Il s'agit d'outils de pilotage de l'action publique et non d'indicateurs de l'impact des règles nouvelles sur les usagers et entreprises.

(2) Un contrôle des études d'impact toujours rejeté

Dans sa décision n°2009-576 du 9 avril 2009, le Conseil constitutionnel avait rejeté le principe d'une étude d'impact « dès le début de l'élaboration » d'un projet de loi, estimant que cette précision ne trouvait pas de fondement constitutionnel à l'article 39 de la Constitution145(*). Dans la même décision, le Conseil constitutionnel a aussi rejeté l'exigence que l'étude d'impact contienne les orientations principales et le délai prévisionnel de publication des textes d'application des lois.

Pourquoi l'étude d'impact ne contribue-t-elle pas à la simplification de la norme ?

Pour certains146(*), c'est l'insuffisante compétence économique dans les ministères, comme au Conseil d'État, dans l'évaluation des politiques publiques, combinée à des questions de délais, de commande politique et de balkanisation des institutions chargées de l'évaluation comme des standards de l'évaluation, qui explique cette situation.

Conscient de ces insuffisances, le Conseil d'État a proposé en 2016, dans son étude annuelle, d'instaurer un organisme indépendant chargé de contrôler le sérieux des évaluations préalables. Cet organisme aurait été « présidé par une personnalité qualifiée exerçant à temps plein ses fonctions et composé des chefs des trois inspections générales interministérielles, du directeur général de l'INSEE et du Commissaire général à la stratégie et à la prospective. Il disposerait d'un secrétariat ». Ses avis seraient en outre publiés. Le Conseil ajoute que ce comité pourrait faire appel à l'expertise de services ministériels, à des universitaires ou à des centres de recherches, y compris étrangers.

Or, en 2014, une proposition semblable s'est heurtée à la sourde hostilité de l'administration. En effet, dès avril 2014, le Conseil de simplification pour les entreprises avait annoncé qu'aucun coût additionnel ne serait plus supporté par les entreprises en raison de la réglementation. Il indique aussi que l'impact sur les entreprises de tout changement réglementaire ou législatif serait mesuré par des experts indépendants ou des représentants de la communauté des affaires. Ainsi, chaque nouveau coût découlant d'une réglementation sera compensé par une réduction au moins équivalente. La mise en oeuvre de ce principe était prévue au 1er janvier 2015. Malgré sa confirmation solennelle par le Président de la République lors d'une conférence de presse tenue à l'Élysée le 30 octobre 2014, ce « comité impact entreprises » créé au sein du Conseil de la simplification, et rebaptisé « atelier impact entreprises », à partir de novembre 2015, devait se saisir à sa guise des études d'impact des textes nouveaux s'appliquant aux entreprises. Son rôle fut modeste. Quatre avis ont été rendus sur des projets déjà très engagés et dans une grande discrétion.

Le Conseil d'État a, pour sa part, réitéré ses propositions sur les études d'impact dans le cadre de son rapport de 2020 sur l'évaluation des politiques publiques, avec des recommandations générales :

- intégrer à l'évaluation prévisionnelle une revue de littérature portant sur les travaux d'évaluation déjà réalisés, en France comme à l'étranger chaque fois que les expériences étrangères peuvent être pertinentes.

- associer systématiquement et le plus en amont possible les services statistiques ministériels intéressés à l'élaboration des études qui, non seulement, disposent fréquemment de données pertinentes et peuvent aider à réaliser des simulations, mais sont également en mesure de solliciter des contributions extérieures pour documenter les éléments utiles aux décideurs.

- mobiliser des compétences pluridisciplinaires. Une approche aujourd'hui essentiellement juridique, administrative et financière ne permet pas d'apporter aux décideurs un maximum d'éléments d'appréciation sur les effets potentiels et les risques que peut comporter une réforme, au regard notamment de son acceptabilité par le corps social.

- intégrer davantage d'études d'options dans ces évaluations ex ante (recommandation déjà émise en 2016).

La neutralisation des études d'impact par la jurisprudence frileuse du Conseil constitutionnel a contribué par ailleurs à une démobilisation sur l'utilisation de cet outil comme frein à la complexité ou à la nécessité de la norme. Lorsque que la Conférence des présidents du Sénat, en juin 2014, a rejeté, conformément à la nouvelle possibilité ouverte par l'article 39 alinéa 4 de la Constitution, l'inscription à son ordre du jour d'un projet de loi (relatif à la délimitation des régions) au motif que son étude d'impact était insuffisante, le Conseil constitutionnel a débouté le Sénat147(*) en refusant d'examiner la qualité de fond de l'étude d'impact contestée, en se bornant à vérifier la présence formelle des données qui devaient y figurer en application de la loi organique. En d'autres termes, le Conseil constitutionnel a simplement constaté que le Gouvernement avait rempli l'obligation formelle d'établir une étude d'impact, sans prendre en compte son contenu.

Tirant les conséquences d'une telle décision par l'absurde, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) déposa au Sénat une proposition de loi organique supprimant l'essentiel du contenu des études d'impact148(*), modifiée en commission des Lois, puis finalement retirée par son auteur.

Au contraire, une proposition de loi organique relative aux études d'impact des projets de loi n°722 du 28 septembre 2017 de l'ancienne présidente de la délégation aux Entreprises, Mme Élisabeth Lamure, consécutive au rapport d'information de la délégation consacré aux moyens d'alléger le fardeau administratif des entreprises pour améliorer leur compétitivité, a souhaité renforcer la « discutabilité » des études d'impact, comme élément d'une stratégie efficace de réduction des coûts induits par la norme dans d'autres pays européens.

Elle a proposé que l'étude d'impact soit complétée pour préciser :

- l'évaluation des coûts induits par le projet de loi pour les entreprises et les collectivités territoriales, en indiquant la méthode de calcul retenue ;

- l'apport des dispositions envisagées en termes de simplification du droit, y compris en ce qui concerne le choix des dates d'entrée en vigueur ;

- les mesures prévues pour faciliter l'évaluation de la loi dans un délai de cinq ans après son entrée en vigueur.

L'étude d'impact devait par ailleurs être mise à jour, si nécessaire, à l'issue de la première lecture, par chaque assemblée, du projet de loi auquel elle se rapporte.

Dans la même logique constructive, une proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi a été adoptée par le Sénat le 7 mars 2018. Elle réalise une synthèse politique entre une initiative du groupe socialiste et « la conception commune du Sénat sur la réforme du dispositif des études d'impact » issue des réflexions du groupe de travail sur la révision constitutionnelle de 2008149(*).

Elle prévoit de mentionner, dans la loi organique de 2009 :

« - une évaluation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre par l'État et les administrations publiques des dispositions envisagées, en termes de crédits et d'emplois, en indiquant la méthode de calcul retenue, ainsi que de mise à niveau des systèmes d'information, et des délais nécessaires à cette mise en oeuvre ; 

- l'apport des dispositions envisagées en matière de simplification et, en cas de création d'une nouvelle norme, les normes dont l'abrogation est proposée, ainsi que les économies de charges en résultant, en particulier pour les collectivités territoriales et les entreprises ; ».

Elle impose que ces évaluations sont réalisées par des organismes indépendants. Ces évaluations seraient incluses dans les documents rendant compte de l'étude d'impact.

Pour sa part, le Haut-conseil pour le climat propose, depuis son premier rapport annuel en 2019150(*), que les politiques et mesures fassent l'objet d'une évaluation systématique de leurs impacts sur les émissions de gaz à effet de serre, et qu'elles soient incluses dans les études d'impact des projets de lois. Il a réitéré cette demande (« réaliser une étude d'impact complète, avec des quantifications par rapport aux budgets carbones et une qualification de l'apport du projet de loi par rapport aux orientations de la stratégie nationale bas carbone -SNBC- ») en 2021151(*).

Un récent rapport de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat152(*) relatif à la simplification des normes imposées aux collectivités territoriales, propose, pour sa part, de renforcer l'indépendance du Conseil nationale d'évaluation des normes (CNEN) dans la loi, de la rattacher aux services du Premier ministre et de désigner dans chaque ministère un haut fonctionnaire chargé de la simplification, d'annexer ses avis aux études d'impact153(*) et de lui confier la certification des études d'impact des textes applicables aux collectivités territoriales, grâce à une collaboration étroite avec l'INSEE et France Stratégie.

Le Sénat a par ailleurs obtenu, dans le cadre de la loi dite « 3DS », l'obligation de motivation incombant au Gouvernement en cas d'avis défavorable du CNEN sur les textes règlementaires (art. 233 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022). Désormais, lorsque le Conseil national émet un avis défavorable sur tout ou partie d'un projet de texte réglementaire, le Gouvernement transmet un projet modifié ou, à la demande du conseil national, doit justifier le maintien du projet initial (hors cas d'urgence)154(*).

La délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation a ainsi organisé le 16 mars 2023 des États généraux de la simplification des normes au cours de laquelle une charte de bonnes pratiques, à droit constant, a été signée avec le gouvernement, laquelle constate que « non seulement l'inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation, mais qu'elle en augmente significativement le coût, parfois de façon disproportionnée, notamment pour les petites communes ». Cette charte promet que, « afin de s'assurer de l'opportunité de recourir à une nouvelle norme législative, le Sénat et le Gouvernement s'engagent à développer les études présentant les différentes options ».

c) Des expérimentations qui n'ont pas pour objectif de réduire la charge administrative des entreprises

Le programme France Expérimentation s'adresse aux acteurs économiques (personnes morales ou physiques) dont le projet innovant est freiné ou fortement entravé par des dispositions de natures législative ou réglementaire. Sur le fondement l'article 37-1 de la Constitution, France Expérimentation peut conduire à la mise en place de dérogations normatives, à titre temporaire et expérimental, afin de tester sur le terrain, pendant une durée limitée (en général, 3 ou 5 ans), une mesure, un service ou une nouvelle technologie, et d'en mesurer les effets de façon objective.

La mise en oeuvre de ces expérimentations nécessite d'édicter une nouvelle norme juridique. Cela peut se traduire par le fait de déroger à la norme de droit commun (cas le plus fréquent) ou de créer un dispositif normatif entièrement nouveau. À terme, en fonction de l'évaluation de chaque expérimentation, il est procédé à une généralisation, pérennisation, prolongation ou abandon des dérogations.

France Expérimentation ne constitue pas à proprement parler un outil de simplification mais s'apparente davantage à une méthode permettant de bâtir des règlementations agiles favorables à l'innovation.

Un premier appel à projets (juin - décembre 2016) a permis de recueillir 85 projets.

Au printemps 2018, le Gouvernement a décidé de relancer ce dispositif. Depuis lors, le guichet est ouvert en continu pour les dossiers présentant des blocages règlementaires ou législatifs.

Au total, près de 450 demandes de dérogation ont été déposées depuis 2016 au titre de ce dispositif. Elles sont accordées par le cabinet de la Première ministre. Seules 39 expérimentations ont été accordées : 7 ont été abandonnées, et sur les 7 achevées, 2 n'ont pas été généralisées et, en fin de compte, seules 5 ont été généralisées. 14 demandes sont en cours de déploiement (rédaction des textes portants dérogations) et 11 sont en cours d'instruction.

Concernant les demandes écartées, deux catégories peuvent être distinguées : 91 demandes ont été inéligibles (blocages de niveau communautaire, blocage de nature financière...) et 109 ont été considérées comme inopportunes (risques trop importants comparativement aux bénéfices attendus).

A ces 39 décisions d'expérimentations, il convient d'ajouter 11 demandes pour lesquelles une modification définitive du cadre juridique a été décidée, sans phase expérimentale préalable155(*).

2. Une numérisation, prétexte à la non simplification ?
a) Numériser pour simplifier

La simplification administrative constitue, avec l'amélioration de la qualité de services, l'un des chantiers du programme Action Publique 2022.

Le programme Action Publique 2022, lancé par le Premier ministre le 13 octobre 2017, vise à transformer l'administration, « notamment en développant la relation de confiance entre les usagers et les administrations », et avait pour objectif de bâtir un nouveau modèle de conduite des politiques publiques qui prenne en compte la révolution numérique et ses nouveaux usages.

Il semble ainsi que l'État ait décalé son angle d'attaque de la complexité administrative concernant les entreprises en s'attachant moins à simplifier les normes qu'en facilitant leur accès, en s'appuyant sur le puissant mouvement de numérisation de l'administration.

Plusieurs portails numériques destinés à simplifier les démarches des entreprises ont ainsi été créés :

- Démat'ADS, guichet de dématérialisation du processus de traitement des Demandes d'autorisation d'urbanisme (DAU) ainsi que des formalités complémentaires associées156(*) ;

- Le Portail commun du recouvrement, renommé Portail Pro157(*), mis en oeuvre dans le cadre de la démarche d'unification du recouvrement fiscal et social afin de simplifier, pour les professionnels, la collecte de l'ensemble des recettes par les administrations fiscales et sociales (ACOSS, DGDDI, DGFiP). Grâce à un identifiant unique, ce nouveau portail offre aux entreprises un tableau de bord permettant de visualiser les paiements et déclarations à réaliser ou déjà réalisés.

L'État a refondu ses services en ligne aux entreprises en 2022. La qualité de l'information et de l'orientation offertes aux entreprises et la simplicité des formalités publiques sont un enjeu majeur d'accompagnement et de développement du tissu économique. Toutefois, certaines de ces informations et formalités étaient dispersées sur de nombreux sites publics, demeurant parfois trop denses, méconnus ou mal référencés. Afin de poursuivre sa volonté d'accompagner les entreprises dans leurs démarches, le Gouvernement a annoncé le 27 décembre 2021 un plan de simplification des services en ligne dédiés aux professionnels articulé autour de trois nouveaux sites :

- formalites.entreprises.gouv.fr158(*), qui centralise l'ensemble des formalités administratives que doivent accomplir les professionnels pour immatriculer, modifier ou cesser leur entreprise ou encore déposer leurs comptes, quel que soit leur secteur d'activité. Ce « guichet unique » connaît bien des déboires (voir infra).

- entreprendre.service-public.fr159(*) est, depuis début février 2022, le centre d'information et d'orientation de référence dédié aux quelques quatre millions de personnes souhaitant créer ou diriger une entreprise. Il regroupe, autour de ressources fiables, actualisées, personnalisées et gratuites, l'ensemble de l'information utile et des outils pour créer, conduire et développer leur activité économique au quotidien.

Les usagers, citoyens et entreprises, peuvent également témoigner de leur expérience avec l'administration sur « Service public + » plateforme en ligne accessible à tous et contribuer à simplifier les démarches ou les formulaires qu'ils jugeraient particulièrement complexes. Cette démarche s'inspire de l'expérience client, et supposent que les entreprises aient le temps de la renseigner. Après une phase expérimentale, la Première ministre et le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques ont souhaité, dans leur communication au Conseil des ministres du 18 janvier 2023, donner une nouvelle impulsion à ce programme « Services Publics + » et « porter l'amélioration des services publics rendus à nos concitoyens au rang des priorités d'action du Gouvernement ». Il a été annoncé que les enjeux de qualité de service seront « au coeur du prochain Comité interministériel de la transformation publique ». Pourrait être déployée une stratégie « omnicanal » centrée sur l'usager, dans laquelle ce dernier choisit le canal d'accès au service qui lui convient le mieux.

Une commission « Service publics + Entreprises » a été annoncée le 24 février 2021 mais ne s'est réunie qu'une seule fois, en avril 2021.

b) Simplifier n'est pas numériser

Sans mésestimer les efforts entrepris, la simplification en direction des entreprises, qu'il s'agisse des normes ou des procédures, risque se diluer dans un agenda administratif global en se cantonnant à la numérisation des procédures.

Pour l'U2P, le bilan de la dématérialisation des démarches administratives, sociales ou fiscales notamment, est « globalement positif, avec cependant plusieurs points de vigilance » et doit, d'une part, être « conçue dans le cadre d'une véritable démarche utilisateur, tenant compte de la grande diversité des situations territoriales » et, d'autre part, tenir compte de la fracture numérique qui concerne non seulement les différents types d'usagers et de localisation géographique (zones blanches).

Ainsi, « si le numérique permet de combiner « sur mesure » et massification, il n'est pas, ne peut pas être et ne doit pas être LA réponse systématique et systémique. Si les outils numériques permettent une adaptation plus fine à la cible tout en massifiant, l'enjeu de l'accompagnement et du suivi de la cible dans une logique de proximité demeure ».

LES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR LA DÉMATÉRIALISATION EXCLUSIVE
DE CERTAINES OBLIGATIONS SOCIALES

Depuis le 1er janvier 2022, la notification du taux de cotisation accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) qui s'applique aux établissements se fait obligatoirement de manière dématérialisée de la part des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et ce, pour l'ensemble des entreprises du régime général.

Auparavant, les chefs d'entreprise recevaient annuellement un courrier papier avec le taux applicable à leur établissement en matière de cotisation AT-MP.

Désormais, les entreprises, pour bénéficier de cette notification, doivent s'inscrire au compte AT/MP dématérialisé sur le site net-entreprises.fr sous peine de pénalités.

Malgré les alertes de l'U2P, les tiers de confiance des entreprises (experts comptables, centres de gestion, associations ou organismes mixte de gestion agréés) n'ont pas eu la faculté de réaliser cette démarche pour le compte des employeurs. Il en ressort que, selon les chiffres transmis par la branche AT-MP, un nombre relativement réduit d'entreprises de moins de 11 salariés s'est acquitté de cette formalité, ce qui peut conduire ces dernières à être sanctionnées financièrement par l'administration.

En effet, dans le cas où la CARSAT serait amenée à notifier le taux AT-MP au format papier (comme auparavant), pour les entreprises de 1 à 19 salariés, une sanction de 0,5 % du plafond mensuel de la sécurité sociale sera appliquée (soit 18,33 €).

En quelque sorte, l'envoi d'un simple courrier papier de la part de la CARSAT est désormais facturé 18 euros à l'entreprise alors que ce sont les entreprises elles-mêmes qui financent déjà exclusivement la branche AT-MP avec leurs cotisations...

Il apparaît que cette mesure de dématérialisation contrainte d'une information transmise auparavant au format papier conduit dans les faits à se retourner contre les petites entreprises à qui l'on fera potentiellement payer quasiment onze fois le prix d'un timbre le simple envoi d'un courrier papier.

Source : U2P.

Pour le Syndicat des indépendants, la numérisation de l'administration, satisfaisante sur la forme, est sans effet majeur sur le fond. Si 41% des TPE apprécient positivement le mouvement de numérisation des administrations, elles ne sont que 11% à avoir constaté un allégement du temps passé aux tâches administratives à ce titre, compte-tenu des changements fréquents sinon permanents des règles applicables, particulièrement dans le domaine du droit social.

VERBATIM DES TPE SUR LA NUMÉRISATION

Très variable selon les procédures, mais quoi qu'il en soit, il devient terriblement difficile de joindre un interlocuteur et que celui-ci gère de bout en bout le sujet concerné.

Je suis complètement pour la digitalisation, car je suis contre le courrier postal, mais je suis pour avoir de vrais interlocuteurs et non des automates d'appels et des mails avec des personnes compétentes.

Cela n'a rien apporté de plus et n'a fait que déplacer le problème. Certaines tâches administratives prennent effectivement moins de temps, mais elles ont été compensées par de nouvelles obligations à réaliser.

Il y a autant de documents papier qu'avant, mais en plus maintenant il y a le numérique. Il n'a rien apporté, supprimé aucun papier.

À chaque fois qu'une administration se digitalise, c'est un peu de liberté d'entreprendre que l'on perd. Par exemple, seuls les experts-comptables ont le logiciel pour se connecter à l'administration fiscale et effectuer les déclarations et paiements de TVA. Nous ne pouvons pas le faire par nous-même désormais.

Au final, cette numérisation ne représente pas d'allègement de ma charge de travail.

En tant que restaurateur, je n'ai pas d'ordinateur sur mon lieu de travail et je suis donc obligé de faire toutes les démarches administratives sur mon temps personnel.

Comme cela change constamment, on passe plus de temps à essayer de comprendre ce qu'ils veulent.

Le gouvernement légifère constamment sur de nouvelles normes qui complètent,
modifient, remplacent, ajoutent... Sans considérer tous les textes de façon globale.

Dans la réalité, cela demande beaucoup d'efforts en recherche et en appropriation du
logiciel dédié.

Source : enquête réalisée pour le SDI auprès de 1037 TPE du 19 au 5 avril 2023.

3. Un changement de culture administrative qui doit être amplifié

En tirant les leçons du contre-exemple de la mise en place du guichet unique, véritable « cas d'école » d'une transformation profonde des procédures concernant les entreprises, lesquelles n'ont pas été suffisamment associées et dont les alertes ont été ignorées, il est temps d'opérer une révolution culturelle dans l'administration afin que celle-ci s'ouvre à la concertation avec les entreprises.

a) Le guichet unique : quand l'administration n'associe pas suffisamment les entreprises à la définition d'un outil indispensable de simplification

Le guichet unique électronique, prévu par le décret du 18 mars 2021, applique une disposition de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE.

Cette transformation a pour ambition de rassembler la gestion des formalités de création, de modification ou de radiation des entreprises sous un organisme unique en vue d'une simplification. Comme l'avait relevé un précédent rapport de la délégation aux Entreprises, qui avait souligné la complexité de la procédure de création d'entreprise160(*), les Centres de formalités des entreprises ne traitaient que 10 % des créations d'entreprises, contre près de 70 % par Infogreffe, géré par les greffiers des tribunaux de commerce. Ces demandes s'effectuaient auprès de 6 acteurs différents, tels que les chambres de commerce et d'industrie, les greffes des tribunaux de commerce, les chambres d'agriculture ou encore l'URSSAF ou la Direction générale des finances publiques.

Quinze mois après la promulgation de la loi PACTE, le décret du 30 juillet 2020161(*) a désigné l'institut national de la propriété industrielle (INPI) comme opérateur et gestionnaire de ce projet. Il a prévu une mise en oeuvre progressive, jusqu'au 31 décembre 2022162(*). Toutefois, des centaines de milliers d'entreprises ont attendu le dernier moment pour basculer leurs formalités sur la plateforme, découvrant une ergonomie nouvelle, avec le remplacement de 56 formulaires CERFA « papier » par une interface unique dynamique en ligne.

(1) De nombreuses alertes ignorées

À l'automne 2022, les inquiétudes sur le caractère opérationnel de la plateforme se sont multipliées.

Les cabinets d'avocats, d'expertise-comptable et études notariales ont été nombreux à faire remonter à l'INPI des difficultés et des dysfonctionnements rencontrés. Le 2 décembre 2022, CCI France, constatant que certains acteurs économiques ont exprimé des craintes sur de possibles dysfonctionnements du Guichet unique lors des premiers mois de mise en fonction, indique « au regard de ces craintes, le réseau des CCI se mobilise pour pallier les éventuelles difficultés lors du lancement de la plateforme. L'objectif est ainsi d'assurer aux entrepreneurs que leurs formalités de création, de modification ou de cessation de leur entreprise puissent être réalisées en toute fiabilité. Cette mobilisation entraîne le maintien temporaire par les CCI d'effectifs et d'outils techniques des Centres de Formalités des Entreprises au bénéfice des entrepreneurs ». Le 9 décembre 2022, le Conseil national des barreaux a adopté à l'unanimité une résolution portant sur le guichet unique afin de faire état des dysfonctionnements rencontrés sur la plateforme sécurisée accessible par le site de l'INPI et de leurs inquiétudes quant à la résolution de ces dysfonctionnements avant le 1er janvier 2023. Le 19 décembre, l'Institut français des experts-comptables et des commissaires aux comptes demandait un report de l'entrée en vigueur du Guichet unique, qui « se caractérise par une complexification du process et des incertitudes majeurs sur sa fiabilité ».

Deux questions écrites de sénateurs, qui alertaient le Gouvernement sur les difficultés à venir, sont restées sans réponse : celle de Mme Dominique Estrosi-Sassonne du 3 novembre 2022 (n°03635), doutant du « respect des délais fixés par le décret du 18 mars 2021 »163(*) et celle de M. Sebastien Pla (n° 04348) du 15 décembre 2022164(*). Deux tables-rondes organisées par ePacte165(*) et organisées au Sénat grâce au parrainage du sénateur Michel Canévet, le 12 octobre puis le 15 décembre, ont évoqué des « clarifications afin de rassurer les professionnels présents, en matière d'assistance technique et de solutions de repli en cas de blocages, de gouvernance et de dialogue avec les utilisateurs », soulignant que de nombreux points restaient en suspens dont certains qui attendent un arbitrage du Ministère de l'Économie dans les semaines à venir.

Dès le 29 novembre 2022, répondant à une question d'actualité à l'Assemblée nationale, la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme indiquait que : « Comme pour tout nouveau service, nous avons prévu une procédure de secours durant les premiers mois de l'année 2023 ; elle est pré-testée par le ministère, au cas où certaines formalités dysfonctionneraient. Nous avons également prévu une assistance en ligne, non seulement sur internet, mais aussi par téléphone, pour guider les premiers pas des entrepreneurs qui pourraient être déstabilisés par ce nouveau guichet ».

Le président de la délégation aux Entreprises, M. Serge Babary a également interpellé le Gouvernement lors des questions d'actualité du 22 mars166(*) et par une question orale sans débat du 11 mai 2023167(*).

(2) Un dysfonctionnement majeur conduisant à reprendre les procédures papier

Début 2023, une multiplication par 50 du volume à traiter par l'INPI ainsi qu'une cyberattaque ont provoqué un engorgement massif et la mise en oeuvre de la procédure d'urgence prévue par un arrêté du 28 décembre 2022 afin « d'assurer la continuité du service en cas de difficulté grave de fonctionnement de ce guichet unique pour les entreprises, afin de réaliser leurs formalités de création, modification ou cessation de leurs activités », se traduisant par le retour aux formalités « papier ».

Les réseaux consulaires ont décidé, malgré le transfert de compétence à l'INPI, de maintenir leurs services d'accompagnement (payants), avec du personnel dédié et accessible en présentiel, au contraire du guichet unique en ligne. « En clair, les organismes consulaires ont été éjectés de la mission principale mais continuent d'informer. Ils jouent même les pompiers de service face aux bugs du lancement, pas forcément plus simple à décrypter pour les entreprises »168(*).

Pour François Hurel, président de l'Union des auto-entrepreneurs (UAE), ce qui devait simplifier les démarches des entrepreneurs risque de compliquer les choses. « Les entrepreneurs n'ont pas été assez sensibilisés à ce changement qui arrive trop tôt, alors que des améliorations doivent encore être faites », en particulier pour les microentrepreneurs, qui représentent 75 % des créations d'entreprises en France. « Alors qu'une formalité de création d'activité prenait vingt minutes sur le site de l'Urssaf, près de deux heures sont nécessaires sur ce nouvel outil. Le jargon utilisé est complexe. On demande aux utilisateurs de renseigner un ensemble d'informations qui ne correspondent pas à la déclaration de leur activité. Cela risque de créer des confusions, des erreurs, voire de décourager les entrepreneurs »169(*).

Pour l'U2P170(*), « Cela a été mal conçu dès le départ. Un portail unique était envisageable, à condition de prévoir dès le 2e écran, l'orientation des entrepreneurs vers l'interface qui leur correspond. La promesse est celle d'un accès gratuit, mais les accompagnements proposés sont payants. Les premiers, parmi nos adhérents, à donner l'alerte sur le registre ont été les professionnels libéraux, car ils étaient confrontés à un questionnaire long d'une soixantaine d'écrans. Cela ne marche pas : à aucun moment les organisations interprofessionnelles n'ont été associées, intégrées à un comité de pilotage. Cette réforme s'est faite contre les anciens CFE ce qui a été mal vécu par les organisations qui en avaient la charge (CMA pour partie, URSSAF, greffes) ».

Pour David Lacombled, directeur de La Villa Numéris171(*), estime que le guichet unique : « n'offre pas les meilleures garanties de simplicité à ses usagers, loin s'en faut. Mieux vaut s'armer de patience. Une case non cochée ou un champ mal renseigné et c'est le rejet avec peu d'explications à la clé pour tenter de corriger le tir. Le robot conversationnel, dont on espère qu'il sera apprenant, délivre des réponses automatiques. Tout entrepreneur pourtant sensé en arrive à tourner en rond en tentant de jongler avec les numéros de liasse et de Cerfa, certes dématérialisés, plutôt que de se concentrer sur son projet. Si l'État entend se mettre au service des entreprises, il doit se hisser à leur niveau, au risque, sans cela, de doucher l'enthousiasme inhérent à tout projet de création d'entreprise »172(*).

Compte-tenu de ces éléments et de ces alertes, plusieurs sénateurs de la délégation aux Entreprises se sont rendus sur le site de l'INPI173(*), le 8 février, en présence de son directeur général, M. Pascal Faure, ainsi que de 3 de ses directeurs opérationnels, afin d'obtenir des explications sur ces dysfonctionnements.

Si la situation semble fluide pour les créations d'entreprises, les modifications et radiations se heurtent toujours à des obstacles, de telle sorte que le caractère opérationnel du guichet unique, décalé une première fois au 31 mars, pourrait ne l'être qu'au 30 juin.

Le 16 mars, l'ensemble des présidents des CMA ont adressé un courrier au ministre de l'Économie. Alors que « depuis deux mois, nous avons multiplié les remontées des anomalies et formulé des propositions », « force est de constater, que malgré nos alertes répétées dans la phase préparatoire au lancement de ce nouvel outil, et a fortiori après plus de deux mois d'existence du Guichet Unique, la promesse n'est pas tenue. La situation demeure en effet particulièrement préoccupante », entrainant « des situations ubuesques de traitement des formalités ». Ainsi, les chambres de métiers artisanales sont dans l'incapacité de contrôler la qualification professionnelle artisanale qui est pourtant une obligation légale.

Le 10 mai, le président de la délégation aux Entreprises du Sénat, alerté par la nouvelle présidente du Conseil national de l'ordre des experts-comptables, a de nouveau saisi le ministre de l'Économie de la question du rejet de 95 % des comptes déposés174(*) en raison de nombreuses pièces non obligatoires mais demandées, bloquant cette formalité si elles ne sont pas fournies175(*).

L'impossibilité de réaliser une telle formalité dans les temps prescrits, c'est-à-dire en règle générale avant le 30 juin 2023, emporte des risques juridiques considérables suscitant une nouvelle fois l'inquiétude des entreprises.

(3) Les leçons à tirer des dysfonctionnements du guichet unique

Le guichet unique est emblématique de la situation d'une administration dépassée par la complexité qu'elle a elle-même mise en place. On peut d'ores et déjà souligner :

- Le manque de suivi politique en 2020, reconnu par la ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme lors de son audition du 8 juin176(*).

- Le manque d'anticipation du flux géré par l'INPI à compter du 1er janvier 2023 alors qu'ils auraient pu être connus en additionnant ceux des anciens guichets ;

- Le choix tardif et étrange d'une institution culturellement étrangère à la gestion d'un flux massif de données ;

- La sous-estimation d'une habitude à la complexité compensée par des relations directes entre les entreprises et les interfaces traditionnelles, avec des contacts directs et humains permettant de solutionner les problèmes ;

- Le caractère tardif de la formation du personnel recruté pour l'ouverture de la plateforme (le 15 décembre pour le 1er janvier) ;

- L'absence de prise en considération de l'inéluctabilité des bugs (selon Mme Sabine Zylberbogen, de la plateforme ePacte, « lorsque Microsoft lance une nouvelle application elle sait qu'elle contient en moyenne 10 000 bugs et l'entreprise adopte une stratégie permettant de rectifier ses erreurs avec le concours des utilisateurs, ce qui n'a pas été le cas avec le guichet unique »177(*)) ;

- L'utilisation du langage de l'administration et non celui de l'utilisateur (les entreprises), l'absence de mesures d'accompagnement « en mode expert » (une seule catégorie d'entreprise a été testée -la SAS- alors qu'il en existe de nombreuses autres ; absence de hotline ; absence de visibilité sur le calendrier de déploiement du site ; insuffisance de la FAQ -une dizaine seulement alors que les plateformes en proposent d'habitude plusieurs centaines).

Le guichet unique ne va pas supprimer les intermédiaires professionnels chargés de gérer la complexité à la place des entreprises, lesquelles, et même les plus grandes, ont externalisé leurs relations avec la norme ou l'administration.

Le guichet unique ne va pas davantage permettre d'effectuer toutes les démarches administratives dans les différentes étapes de la vie d'une entreprise. C'est un guichet limité aux opérations de création, de modification, de dépôt de documents, et de déclaration de cessation d'activité. La DGE a également créé le site « Place des entreprises »178(*) qui permet de répondre à des questions des entreprises et de les orienter vers un conseiller en cas de problème.

Il reste donc à construire un véritable guichet unique afin que l'ensemble des procédures administratives soient regroupées sur un même site avec un seul compte de connexion pour chaque entreprise. Et les informations de l'entreprise ne seraient à remplir qu'une seule fois, en fusionnant « Place des entreprises » et le guichet de l'INPI en étendant l'ensemble des procédures qui y seraient regroupées.

Il faudra en tirer les leçons afin de mieux associer à l'avenir les entreprises à une réforme les concernant au premier chef.

b) Une révolution culturelle est nécessaire dans l'administration

Pour 40 % des TPE interrogées par le Syndicat des indépendants (SDI)179(*), l'accompagnement de l'administration concernant les normes à respecter reste à parfaire, et 58 % considèrent qu'il est inexistant ou de mauvaise qualité. La consultation des entreprises conduite par la délégation aux Entreprise en avril 2023 a corroboré ce sentiment, 80 % des répondants souhaitant un meilleur accompagnement.

Le langage administratif est de moins en moins compris par les chefs d'entreprise et les informations de mise en conformité de plus en plus obscures  pour 76 % des TPE :

« Faut-il cocher cette case ? »

« Quelle réponse adaptée à ma situation correspond à cette question ? »

« Que signifient ces acronymes ? »

« Le mode d'emploi du document est encore plus obscur que le document lui-même. »,

sont les questions que se posent les chefs d'entreprise lorsqu'il s'agit de remplir un document administratif, et ce, d'autant plus qu'ils ont conscience qu'une réponse inadaptée peut entraîner de lourdes conséquences. Pour le SDI : « anxieux face à un éventuel impair, ils se sentent d'autant plus perdus que la numérisation a conduit sinon à la suppression totale du moins à une moindre capacité à joindre un interlocuteur humain ».

La politique de simplification doit connaître une révolution copernicienne : elle ne peut plus en effet avoir une démarche descendante, partir des administrations ou des acteurs politiques nationaux, mais adopter une démarche ascendante qui part de l'utilisateur de la norme, que l'usager soit un particulier ou une entreprise. Elle interroge par ailleurs le modèle normatif français fondé sur le principe constitutionnel d'égalité de tous devant la loi qui interdit de traiter différemment les entreprises selon leur taille et conduit à ce que la norme devienne la plus précise possible pour englober toutes les situations concevables.

Le point de vue de l'usager n'est pas assez pris en compte. Or, l'analyse de la complexité doit en effet se fonder d'abord sur la prise en considération de l'effet cumulatif des normes, quels que soient leurs auteurs, qui ont toujours le même destinataire final. S'agissant des entreprises, leur principal objectif demeure la création de valeur, dans le respect des normes certes. L'esprit d'innovation et le risque d'entreprendre demandent même, davantage que la simplicité, la stabilité de la norme car lorsqu'un chef d'entreprise s'engage, investit, il a besoin de visibilité et de s'assurer que les conditions fiscales, sociales, réglementaires, demeurent les plus stables possibles.

Partir du point de vue de l'entreprise est donc une démarche qui commence à être prise en considération par l'État comme en témoigne l'étude en cours au Conseil d'État le dernier kilomètre des politiques publiques. Comme l'a indiqué M. Fabien Raynaud, vice-président de la section du rapport et des études lors de son audition du 9 mars : « Le terme est évolutif mais l'idée est de s'attaquer au problème de la simplification avec une autre logique que celle de nos précédentes études, en partant du point de vue de l'usager. Qu'est-ce qui fonctionne, qu'est-ce qui pose problème ? Quels sont les bons exemples, quelles sont les erreurs à ne pas rééditer ? Etc. Ce travail me semble intéressant par rapport à cette problématique de la simplification, car nous essayons d'aborder le sujet autrement ».

Il a cité, comme exemple de ce regard nouveau, un récent arrêt du Conseil d'État, du 9 décembre 2022, « Commune de Saint-Herblain », qui a renversé une jurisprudence ancienne180(*), dans le domaine de l'urbanisme, pour considérer que, si, au cours de l'instruction, il est demandé au pétitionnaire de transmettre une pièce dont la fourniture n'est pas obligatoire, cette démarche des services instructeurs doit être considérée comme privée de tout effet juridique. Elle ne pourra donc, ni interrompre, ni majorer le délai d'instruction du dossier de sorte que, si aucune décision expresse n'a été notifiée dans ce délai, le pétitionnaire pourra considérer qu'il est devenu titulaire d'une autorisation tacite.

Cette jurisprudence incite l'administration à la vigilance en cas de demande de pièces complémentaires car, si le document demandé ne figure pas parmi ceux prévus par le Code de l'urbanisme, elle prend le risque de faire naître une décision tacite autorisant la réalisation du projet alors qu'au même moment, elle attend l'envoi d'un document qui, peut-être, n'arrivera jamais.

Fondamentalement, l'administration doit faire confiance à ses usagers, particuliers comme entreprises. Or, « nous sommes dans un pays dans lequel le degré de confiance les uns vis-à-vis des autres est assez faible, et par conséquent on veut tout réglementer et tout écrire » a admis M. Fabien Raynaud, conseiller d'État, lors de son audition du 9 mars, et ce en dépit de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 qui proclamait « un État au service d'une société de confiance »181(*).

Ce renversement de perspective permet également d'intégrer le ressenti de la complexité, notion impalpable car subjective, mais qui a le mérite d'intégrer la dimension psychologique des freins à la liberté d'entreprendre et à l'innovation, qui a une réalité objective.

IV. LA SIMPLIFICATION DE LA VIE DES ENTREPRISES EST UNE PRÉOCCUPATION CONSTANTE DANS D'AUTRES ÉTATS EUROPÉENS

A. UNE PRISE DE CONSCIENCE PAR L'UNION EUROPÉENNE DE LA NÉCESSITÉ DE MIEUX LÉGIFÉRER

La force de cette approche de l'Union européenne est la volonté politique constante de simplification, intégrée à toutes les étapes du processus de décision. Elle est également liée aux outils utilisés, avec une méthodologie robuste et un calculateur de charges administratives qui semble particulièrement performant.

1. Le « Mieux légiférer » européen

Depuis deux décennies, les efforts de réduction et de simplification de la réglementation sont intégrés à la production normative européenne. La Commission examine régulièrement dans quelle mesure les charges inutiles peuvent être évitées, en particulier pour les PME.

La simplification est une déclinaison des principes de subsidiarité et de proportionnalité, pierres angulaires des traités de l'Union européenne, systématiquement appliqués aux propositions législatives de la Commission.

La proportionnalité se concentre sur l'incidence financière et administrative de la législation proposée, afin de garantir que les mesures réglementaires n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs législatifs et stratégiques visés. Ces incidences doivent être réduites au minimum et être proportionnées aux objectifs à atteindre. Pour la Commission, cela signifie mettre en oeuvre des politiques ambitieuses de la manière la plus simple et la moins coûteuse possible, en évitant les lourdeurs administratives inutiles.

L'approche de l'Union européenne en matière de réduction de la charge administrative a évolué au fil des ans, avec l'expérience acquise notamment dans le cadre du programme d'action 2007-2012 de réduction des charges administratives. À l'époque, il avait été constaté qu'une approche purement axée sur la réduction des coûts présentait des inconvénients importants. En raison de problèmes de disponibilité, de transparence et de fiabilité des données, l'estimation des charges administratives dans les États membres était un exercice coûteux et complexe. Bien que l'objectif de réduction de la charge ait été fondé sur une vaste collecte de données, ses avantages pour les entreprises sur le terrain n'ont pas pu être démontrés clairement.

La Commission met désormais l'accent sur l'équilibre entre les coûts et les avantages (quantifiés ou autres) qu'entraîne la révision de la législation. Cela garantit que les raisons à l'origine de la législation, à savoir les avantages, entrent dans l'équation. L'approche tient également compte des coûts cumulés pour les particuliers et les entreprises dans un domaine d'action donné et en couvrant de nouvelles initiatives.

HISTORIQUE DES EFFORTS DE L'UNION EUROPÉENNE
EN MATIÈRE DE RÉDUCTION DE LA CHARGE RÉGLEMENTAIRE

2002 -- Le programme «Mieux légiférer» a constitué une première étape vers la simplification et l'amélioration de la législation de l'UE. Il a introduit l'obligation de procéder à des analyses d'impact et de consulter les parties prenantes pour toute nouvelle initiative proposée par la Commission.

2005 -- Un programme glissant de simplification est lancé ; il a couvert 164 mesures durant la période 2005-2009 faisant partie du programme de travail annuel de la Commission.

2007 -- La Commission lance le programme d'action pour la réduction de la charge administrative; un groupe de haut niveau est créé pour la conseiller sur sa mise en oeuvre.

2012 -- A la fin du programme d'action, la Commission a atteint son objectif de réduire de 25 % la charge administrative des entreprises découlant de la législation de l'UE (économies annuelles estimées à 30,8 milliards d'euros). La consultation sur les dix actes législatifs les plus contraignants pour les PME est réalisée. 2012 -- le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT) est lancé.

2015 -- La Commission publie une étude (ABRplus) examinant comment 12 mesures contenues dans le programme d'action ont été appliquées et dans quelle mesure les avantages promis ont été obtenus.

2015 -- La Commission met en place un groupe de haut niveau chargé de la conseiller sur la manière de simplifier la législation (plateforme REFIT).

2017 -- La Commission améliore la plateforme REFIT en intégrant la simplification et la réduction des charges dans chaque évaluation et révision de la législation existante.

2018 -- La Commission publie le premier examen annuel de la charge.

2020 -- La Commission met en place la plateforme « Prêts pour l'avenir » afin de soutenir les travaux sur la simplification et la réduction des charges.

2021 -- La Commission complète REFIT par l'approche « un ajout, un retrait » afin de garder le contrôle sur les charges récurrentes

Source : « Une meilleure réglementation: unir nos forces pour améliorer la législation » ; communication de la Commission au Parlement européen,
au Conseil, au Comité économique et social européen
et au comité des régions du 29 avril 2021 COM(2021) 219 final.

a) La simplification à toutes les étapes du processus normatif européen

La Commission européenne est chargée de planifier, préparer et présenter les nouvelles propositions législatives et politiques de l'UE. Ce travail est guidé par le programme de travail annuel de la Commission. La Commission est également chargée d'évaluer la législation de l'UE et de proposer des améliorations si nécessaire. Lorsqu'elle propose de nouveaux actes législatifs, la Commission doit évaluer leur impact escompté. La prospective est un élément clé de la mise en place de politiques à l'épreuve du temps dans tous les secteurs, l'accent étant particulièrement mis sur les domaines numérique, géopolitique, socio-économique et de l'écologie.

Les objectifs de simplification de l'UE sont les suivants :

- Supprimer les obstacles et les formalités administratives qui ralentissent les investissements et la construction des infrastructures du XXIe siècle, en collaborant avec les États membres, les régions et le niveau local, ainsi qu'avec les principaux acteurs concernés ;

- Simplifier les consultations publiques avec un «appel à participations» sur le portail «  Donnez votre avis »182(*) ;

- Introduire l'approche « un ajout, un retrait » afin de réduire au minimum les charges pour les citoyens et les entreprises en accordant une attention particulière aux conséquences et aux coûts de l'application de la législation, en particulier pour les petites et moyennes entreprises ;

- Intégrer les objectifs de développement durable des Nations unies, afin de veiller à ce que les propositions législatives contribuent au programme de développement durable à l'horizon 2030 ;

- Perfectionner la manière dont l'amélioration de la réglementation aborde et soutient les objectifs de durabilité et la transformation numérique ;

- Intégrer la prospective stratégique dans l'élaboration des politiques afin que celles-ci soient adaptées à l'avenir, par exemple en tenant compte des grandes tendances émergentes dans les domaines écologique, numérique, géopolitique et socio-économique.

L'effort de simplification des recommandations présentées peut cependant être altéré au cours du processus législatif de l'UE et lors de la transposition183(*).

Les efforts de simplification sont donc également attendus de la part du Parlement européen et du Conseil, lesquels sont invités à examiner attentivement les modifications de fond qu'ils proposent, afin de préserver les acquis REFIT des propositions de la Commission. De la même manière, les États membres devraient tenir compte de cette dimension lors de la mise en oeuvre de la législation de l'UE sur le terrain et devrait fournir les données nécessaires pour éclairer les évaluations et les analyses d'impact de la Commission.

Ces efforts déployés par l'Union pour simplifier la législation, éviter une réglementation excessive et réduire les charges réglementaires, sont présentés dans le Annual Burden Survey, dont la dernière édition date de 2021.

Une conférence de haut niveau de décembre 2021 sur l'union des forces pour la prochaine génération d'une meilleure réglementation s'est concentrée en particulier sur le rôle de la réduction et de la simplification des charges pour parvenir à une reprise économique. Les discussions de la conférence ont fortement souligné la nécessité de préserver un équilibre entre les coûts et les avantages de la législation, d'intégrer la prévoyance dans l'ensemble de l'élaboration des lois qu'il s'agit d'améliorer dans un effort conjoint.

Lors d'un entretien à Bruxelles avec M. Luc Hendrickx, directeur de SME united, organisation européenne représentant les petites et moyennes entreprises, le 16 mars 2023, il a été rappelé que : « vouloir exempter les PME d'une réglementation européenne n'est pas une bonne approche. D'une part, cela risque de les mettre hors du marché. D'autre part, cette exclusion est fictive puisque les PME sont dans les chaînes de valeur des grandes entreprises soumises à la réglementation et doivent la répercuter à leur tour. Les PME doivent également, pour accéder aux marchés publics, s'aligner sur les autres entreprises quand bien même elles seraient exemptées du respect d'une réglementation ». Du point de vue de l'organisation européenne, la priorité n'est pas moins de règlementation mais une meilleure règlementation, plus claire avec moins de charges.

b) Le programme REFIT est une supervision générale de l'activité normative de l'UE

Le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT) a été lancé en 2012 afin de simplifier la législation de l'UE et de réduire les coûts inutiles, tout en continuant de garantir son efficacité, tout en préservant les objectifs politiques et des normes élevées, dans l'intérêt à la fois du grand public et des entreprises.

Vos rapporteurs ont rencontré, le 16 mars 2023 à Bruxelles, Mme Antonina Cipollone, cheffe d'unité « Evaluation et analyse d'impact » au sein du Secrétariat général de la Commission européenne, chargée de la plateforme «Prêts pour l'avenir», du programme REFIT et de l'outil « OIOO » (« one it, one out »).

Le programme REFIT permet à la Commission d'examiner systématiquement le potentiel de simplification et de réduction des charges dans toutes les évaluations et dans toutes les propositions de révision de la législation. REFIT est donc une responsabilité partagée entre la Commission, le Parlement européen, le Conseil et les États membres.

Depuis 2017, il exige que toutes les évaluations doivent examiner comment la législation peut être simplifiée et rendu moins lourde et que toutes les études d'impact des révisions législatives doivent analyser le potentiel de réduction et de simplification des charges.

L'UE insiste sur le vecteur de la numérisation pour simplifier : « Aider les particuliers et les entreprises à adopter des solutions numériques en créant un environnement juridique européen propice peut contribuer à réduire la complexité de la législation relative au marché unique et augmenter sa résilience ».

La Commission assure le suivi du programme REFIT par le biais d'un tableau de bord, qui donne un aperçu des initiatives de simplification et de leur statut dans un large éventail de domaines politiques.

Ce processus permet de suivre ces initiatives tout au long de leur cycle de vie. Dans le tableau de bord, l'accent est mis sur les conclusions des évaluations et analyses d'impact, liées aux économies de coûts et possibilités de simplification. Le tableau de bord comprend également des informations sur le résultat du processus législatif, en particulier lors de la modification des amendements introduits par le Parlement européen et le Conseil ayant un impact substantiel sur les objectifs REFIT et les mesures proposées par la Commission.

Depuis 2020, REFIT est également intégré dans le plan de planification et de programmation stratégique de la Commission.

La Commission a incorporé dans son plan stratégique 2020-2024 un indicateur de la proportion de révisions incluant des mesures de réduction des charges. Cet indicateur obligatoire est communiqué par tous les services concernés de la Commission dans leurs rapports annuels d'activité. Ces rapports énumèrent également les initiatives potentiellement significatives de réduction et de simplification des charges.

2. Un souci de la simplification tout au long du cycle de vie d'une initiative normative européenne

La dimension REFIT est prise en considération dès le départ, avec la validation politique d'une initiative. Elle est ensuite suivie dans les évaluations et analyses d'impact. Toutes les évaluations et les bilans de qualité évaluent les coûts et avantages résultant d'une initiative, et tirent les leçons liées à la charge réglementaire potentielle, la complexité ou les inefficacités de la législation. Ces conclusions éclairent les évaluations d'impact ultérieures.

Lorsque la Commission prépare une proposition de révision de la législation, les évaluations d'impact identifient le potentiel de réduction de la charge et de simplification et les quantifient dans la mesure du possible. L'option qui sera préférée sera celle qui prendra compte de la nécessité de simplifier et d'accroître l'efficacité sans affecter les objectifs généraux de la législation.

L'exposé des motifs accompagnant les propositions de la Commission comprend une section REFIT, expliquant les améliorations proposées à la législation d'origine en termes de complexité et de charge réglementaire.

Dans la mesure du possible, des informations quantifiées sont fournies. S'il n'y a pas de proposition pour simplifier ou réduire les coûts réglementaires, les notes explicatives doivent le justifier.

Une bonne qualité de la législation implique également que celle-ci soit claire et facile à respecter. La Commission cherche à supprimer les dispositions obsolètes et à apporter les modifications ultérieures regroupées en un seul acte. Cela se matérialise par des codifications et des refontes de la législation existante, afin d'en faire une législation plus accessible et plus compréhensible.

En 2021, deux propositions de codification de la Commission ont été adoptées par le Parlement et le Conseil, tandis que deux autres déposées par le Commission les années précédentes étaient encore en cours de procédure législative. En 2021, la Commission a également déposé trois nouveaux projets de codification de propositions et 11 propositions de refonte pour le Parlement européen et le Conseil.

Enfin, un principe d'accompagnement des entreprises a été énoncé dans la dernière communication de la Commission sur l'amélioration de la règlementation du 29 avril 2021184(*) : « Pour se conformer à ces normes et bénéficier des avantages qui en résultent, les entreprises doivent souvent investir dans la mise à niveau de leurs chaînes de production, la réduction des dommages environnementaux, l'amélioration de la santé publique ou le relèvement du niveau de protection des consommateurs ou des travailleurs. Si les entreprises ne profitent pas toujours directement de ces changements, elles peuvent néanmoins tirer parti de nouvelles perspectives d'activité, obtenir un avantage concurrentiel ou bénéficier d'avantages indirects, comme l'existence de conditions de concurrence équitables au sein du marché unique. Lorsque les besoins en investissements sont particulièrement élevés et correspondent à des objectifs d'action importants, l'UE et/ou les États membres proposent des instruments spécifiques pour accompagner les adaptations nécessaires ».

Ce dernier principe a toutefois encore été peu mis en pratique.

a) Des outils : l'analyse d'impact et le « test PME »

L'analyse d'impact se fonde sur environ 17 critères d'impacts économiques, sociaux relatifs :

- aux impacts sur le commerce et les investissements internationaux ;

- à l'impact sur le fonctionnement du marché intérieur ;

- à la subsidiarité, à la proportionnalité, ainsi qu'à la valeur ajoutée de l'action communautaire de la proposition ;

- aux impacts sur les petites et les micro-entreprises, etc.

Au fil des ans, les co-législateurs ont ajouté de nouveaux filtres comme :

- un test sur la dimension extérieure de la compétitivité (« competitiveness proofing ») ;

- un test relatif à l'incidence de la proposition sur les petites et moyennes entreprises (Think Small First principle) ;

- un test sur la compatibilité des initiatives de la Commission avec l'économie numérique (« digital proofing »).

Plusieurs pays de l'OCDE se sont cependant inspirés de cette approche185(*), les Pays-Bas étant le pays pionnier qui a introduit la méthode permettant de quantifier monétairement les charges administratives, selon le Standard Cost Model, ce qui a permis de les réduire de 25 % en 5 ans dès 2010.

L'Institut syndical européen186(*) considère toutefois que « l'ensemble des critères qualitatifs (social-emploi, santé et impacts territoriaux notamment) de la toolbox ne sont pas repris de façon systématique et approfondie dans les analyses d'impact » et qu'ils « orientent les initiatives de la Commission européenne, par priorité, vers la prise en compte de la compétitivité au regard des autres objectifs de l'UE (environnement, emploi et protection sociale, santé notamment) et que les indicateurs qualitatifs sont moins valorisés que les facteurs « coûts ». Il regrette que « peu d'informations filtrent sur la méthodologie utilisée pour réaliser les analyses d'impact. Quels organismes ou institutions les réalisent ? Sur la base de quel cahier des charges ? L'intégrité des preuves est-elle assurée ? L'indépendance des contractants est-elle garantie (car il existe un réel marché du conseil) ? Quel est le coût réel de ces études ? ». Au total, comme en France, les analyses d'impact serviraient « plus souvent de justification à la proposition législative que d'exercice préliminaire indépendant ».

Lors de l'Assemblée européenne des PME des 28-30 novembre 2022, réunie à Prague, un atelier a été consacré au « test PME ». À l'initiative des trois organisations européennes SMEunited, Eurochambres et BusinessEurope, 26 analyses d'impact ont été vérifiées sur la base de 4 indicateurs afin d'évaluer si les impacts sur les PME des législations envisagées avaient bien été mesurés et pris en compte. La vérification effectuée fournit un bilan mitigé. Seulement 69 % des analyses d'impact prennent en compte les conséquences sur les PME. Les impacts indirects sont négligés alors qu'ils devraient être également réduits, voire éliminés, par des mesures d'atténuation.

Plusieurs recommandations ont donc été proposées :

· En application du principe « think small first », la Commission européenne doit réfléchir aux besoins des PME dès le début du processus d'analyse d'impact, notamment via une participation systématique et plus inclusive des représentants des PME,

· Les analyses d'impact doivent consacrer des chapitres dédiés à une évaluation approfondie de l'impact sur les PME afin de consolider ces informations de manière claire et transparente,

· Les analyses d'impact doivent faire la distinction entre les différentes catégories de PME (micro, petites et moyennes) afin de permettre une analyse plus granulaire et ciblée de l'impact de chaque initiative,  

· Les analyses d'impact doivent également explorer les « conséquences involontaires » sur les PME.  

Mme Martina Dlabajova, eurodéputée tchèque et co-présidente de l'intergroupe PME du Parlement européen, a considéré en conclusion que :

· Le « test PME » doit s'appliquer au niveau européen mais aussi national,

· Le « test PME » doit être obligatoire,

· Le Parlement européen devrait refuser d'examiner toute initiative législative émanant de la Commission européenne qui ne serait pas passée par le crible du « test PME ».

b) Une règle : « one in, one out »

Comme en France187(*), la présidente de la Commission européenne von der Leyen a défini une approche « one in, one out » (« un ajout, un retrait ») dans la législation de la Commission et de compensation de toute nouvelle charge pour les entreprises et les citoyens (résultant de propositions législatives de la Commission) en réduisant les charges existantes dans le même domaine.

Ce mécanisme nécessite de comparer les coûts découlant des propositions de la Commission pour les citoyens et les entreprises avec les coûts supprimés par propositions dans le même domaine politique.

La communication 2021 « Pour une meilleure réglementation » expose les grands principes de l'approche qui « permet de s'intéresser non plus seulement aux charges résultant d'actes législatifs spécifiques mais plus largement à l'accumulation des charges dans chaque domaine d'action, et d'avoir ainsi un meilleur aperçu des coûts imposés chaque année dans l'ensemble des domaines d'action »188(*). Il s'agit d'une approche « culturelle » de la politique publique européenne qui invite les décideurs non seulement à garantir la réalisation des objectifs stratégiques mais aussi à s'intéresser de plus près à la manière d'y parvenir.

Ainsi, il n'existe pas d'approche mécanique, par exemple en proposant le retrait d'un acte législatif existant pour chaque nouvelle proposition d'acte législatif. La Commission cherche plutôt à compenser les charges que font peser certaines propositions législatives sur les citoyens et les entreprises par des allégements introduits par d'autres propositions relevant du même domaine d'action : « cela ne signifie pas que chaque nouvelle législation nécessitera le retrait d'une loi existante, mais seulement que les charges pesant sur les personnes et les entreprises sont compensées dans toute la mesure du possible. Nous chercherons à réduire la charge en réalisant des économies dans le même domaine politique. Mais cela ne se fera jamais au détriment de nos normes environnementales, sociales ou socio-économiques »189(*).

Cependant, comme la législation au niveau de l'UE vise généralement à remédier à la fragmentation réglementaire dans les différents États membres en se substituant à 27 systèmes nationaux différents, « ces gains d'efficacité seront pris en compte en tant que retraits », ce qui peut contribuer à limiter la portée de l'allégement de la charge administrative, lequel ne peut se réduire à une simple substitution de l'origine, nationale ou européenne, de la charge supplémentaire.

Par ailleurs, la compensation des coûts est assez flexible avec des aménagements « pour rendre le système plus souple » :

· flexibilité à l'intérieur de la période de référence -- si un «retrait» ne peut être désigné dans le programme de travail de la même année, il en sera fait état l'année suivante ;

· échanges entre domaines d'action dans certaines circonstances exceptionnelles -- si la proposition de législation qui impose des coûts («ajout») est jugée nécessaire mais qu'il n'est pas possible de trouver un «retrait» dans le même domaine, la Commission peut décider de puiser le «retrait» dans un autre domaine d'action.

· exemptions dans certaines circonstances exceptionnelles - s'il existe une volonté politique de réglementer mais qu'il n'est pas possible de désigner une compensation dans le même domaine (par exemple lorsqu'une réglementation concerne des domaines d'action émergents dans lesquels il est nécessaire de combler un vide réglementaire), la Commission peut décider de soustraire la réglementation à l'approche «un ajout, un retrait».

La méthodologie est détaillée dans une boîte à outils190(*) de la Commission pour une meilleure réglementation, document de 608 pages qui fournit des orientations pratiques sur la manière d'estimer les coûts et de les déclarer.

Pour soutenir ce processus, le calculateur « un entrant, un sortant » a été conçu pour permettre une agrégation comparable des coûts dans l'ensemble de la Commission.

Outil interne des services de la Commission, pour calculer et enregistrer les coûts administratifs nouveaux et supprimés, ainsi que la charge administrative pour chaque proposition couverte par la simplification et l'exercice de réduction des charges, il utilise la norme européenne du modèle de coût standard, basé sur le temps nécessaire pour effectuer une obligation, multiplié par le coût horaire moyen de la main-d'oeuvre (tarif)191(*).

De même, l'outil permet de calculer la charge sur une base unitaire (par exemple, essai clinique, voyage, etc.). De plus, il permet une évaluation ponctuelle des frais de gestion.

Les initiatives normatives européennes ne se contentent pas d'ajouter des coûts ou de les supprimer. De nombreuses initiatives mènent les deux de front. Ils ajoutent des coûts tout en introduisant en même temps des économies de coûts. Le calculateur répond à ces situations.

c) Un pilote politique : un vice-président de la Commission européenne en charge de la simplification

Vos rapporteurs ont rencontré, le 16 mars 2023 à Bruxelles, M. Carsten Schierenbeck, conseiller chargé de la meilleure réglementation et Mme Camille Hubac, conseillère, au cabinet de M. Maros Sefcovic.

La Commission a en effet créé un groupe d'experts de haut niveau, le « Fit for Future Platform », en mai 2020 pour identifier des opportunités, simplifier et moderniser la législation européenne existante et supprimer les charges inutiles provenant de la législation de l'UE. Ce groupe aide la Commission à améliorer la législation de l'UE, en lui remettant des avis sur les possibilités de simplification, de réduction de la charge et de modernisation en ce qui concerne la législation actuelle.

La Plateforme, présidée par le Vice-président de la Commission responsable des relations interinstitutionnelles et de l'administration, Maro efèoviè, complète l'avis de la Commission avec les opinions et l'expérience de ses membres. Elle est constituée d'experts de haut niveau composé de représentants des administrations nationales, des régions, des employeurs, les syndicats, les petites et grandes entreprises ainsi que les consommateurs, la santé et des organisations environnementales et non gouvernementales, le Comité des régions et le Comité économique et social européen.

Au cours de son mandat de cinq ans, la Plateforme est chargée de soutenir les efforts de la Commission pour :

· réduire les charges et les coûts inutiles ;

· simplifier la législation européenne existante ;

· veiller à ce que les politiques de l'UE soient tournées vers l'avenir et pertinentes à la lumière des nouveaux développements et des progrès technologiques.

Ces objectifs comprennent l'exploitation du potentiel de la numérisation pour la réduction et la simplification des charges.

UN PREMIER PROGRAMME DE TRAVAIL POUR 2021

La plateforme Fit for Future a adopté son premier programme de travail annuel au printemps 2021. Le programme annuel a été établi par Les membres de la plateforme, sur proposition et en accord avec secrétariat général de la Commission. Il comprenait principalement des évaluations majeures de la réglementation et des révisions législatives effectuées par la Commission et pris en compte les contributions fournies par les États membres, celles envoyés par les PME du réseau, le Comité des Régions et RegHub, ainsi que le Comité économique et social européen.

Le programme de travail annuel 2021 s'articule autour de quatre axes clés : numérisation, étiquetage efficace, obligations d'autorisation et simplification de la législation de l'UE. Il comprenait 15 sujets.

La plate-forme a recueilli des preuves tout au long de l'année et a formulé des suggestions lors de diverses rondes de consultation. La force des opinions vient des solutions concrètes que les membres de la Plateforme - représentant différents intérêts et positions - proposent et définissent conjointement.

Malgré les circonstances difficiles (travail à distance), la plateforme a adopté et complété l'ensemble de ses 15 avis du programme de travail pour 2021. Dans l'ensemble des avis, les membres ont soumis plus de 150 contributions, qui ont abouti à la formulation de 90 suggestions précises.

Celles-ci concernent le potentiel de simplification de la législation de l'UE dans des domaines tels que la concurrence, la finance, la santé, l'environnement, les statistiques, les transports, douanes et marché unique.

Tous les avis de 2021 ont été pris en compte dans les travaux préparatoires de la Commission.

Les individus et les organisations peuvent également contribuer aux travaux de la Plateforme en fournissant des commentaires sur la plate-forme « Exprimez-vous : simplifiez ! ». Grâce à ce portail, les parties prenantes peuvent partager leurs points de vue et leurs expériences sur tout élément du programme annuel de la plateforme Fit for Future ou suggérer d'autres sujets à prendre en compte par la Plateforme.

La plateforme collabore en outre avec le « réseau des émissaires des PME », qui fournit des conseils et des contributions, en particulier sur les charges et la complexité de la législation, affectent les petites et moyennes entreprises. Ses travaux bénéficient également de la contribution du Comité du réseau « RegHub » des Régions qui fédère des autorités locales192(*), qui recueillent des expériences sur la mise en oeuvre des politiques de l'UE en consultant les parties prenantes localement.

Dans le cadre du programme de travail annuel de la Plateforme, le Comité du réseau RegHub des Régions a travaillé en 2021 sur les obstacles que rencontrent les administrations locales et régionales dans le déploiement des projets d'infrastructure et des solutions proposées. Cela fait suite à une demande spéciale du président de la plateforme, le Vice-Président Maro efèoviè, étant donné l'importance de cette question pour la maîtrise des transitions, verte et numérique, et la réalisation des objectifs européens du Green Deal. Pour identifier les projets d'infrastructure à fort intérêt, le RegHub a mené deux consultations au printemps et à l'automne 2021. L'analyse du rapport se concentre sur les problèmes liés aux infrastructures de transport, le déploiement du haut débit ainsi que l'impact environnemental des évaluations et infrastructures vertes.

d) Un organe indépendant de contrôle des efforts de simplification

La Commission européenne a créé en 2015 le «  comité d'examen de la réglementation », organisme indépendant193(*), composé de 7 et bientôt 9 membres194(*), qui conseille le collège des commissaires. Vos rapporteurs ont eu un entretien, le 16 mars 2023, avec M. Rytis Martikonis, président de ce Comité.

Il garantit la qualité portant sur les analyses d'impact et les évaluations, dès les premiers stades du processus législatif. Les travaux du comité relatifs aux analyses d'impact renforcent les évaluations ultérieures, et inversement. Il publie des rapports annuels sur les travaux entrepris pour mener à bien sa mission.

Le comité vérifie la qualité des estimations de coûts présentées dans les analyses d'impact. Il vérifie les bilans de qualité et les évaluations importantes de la législation en vigueur, et émet des avis et des recommandations à leur sujet. Il conseille également le secrétariat général de la Commission sur la politique d'amélioration de la réglementation.

Les avis du comité contiennent des recommandations adressées aux services de la Commission sur la manière d'améliorer les projets de rapports. Le comité ne prend aucune décision concernant des initiatives ou des objectifs stratégiques: ce rôle appartient au collège des commissaires.

Les avis émis par le comité sur les analyses d'impact peuvent être « favorables », « favorables avec des réserves » ou « défavorables ». En ce dernier cas, le projet de rapport doit être réexaminé et présenté de nouveau au comité pour que la Commission puisse poursuivre la procédure. Lorsque le comité a rendu deux avis défavorables, seul le vice-président chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective peut soumettre l'initiative au collège des commissaires pour décider s'il y a lieu ou non de poursuivre la procédure. Toutes les analyses d'impact et les avis correspondants du comité sont publiés en ligne, une fois que la Commission a adopté la proposition concernée. Les rapports des évaluations et des bilans de qualité, ainsi que les avis correspondants du comité, sont également publiés en ligne.

Preuve de l'efficacité du processus, selon son président, « si 4 avis doublement défavorables ont été rendus en 2021, dont l'un concernant le projet de directive sur le devoir de vigilance, aucun ne l'a été en 2022. Suite à ces avis, le Conseil a accordé plus d'attention aux estimations de coûts lors de son examen et a également communiqué sur son expérience dans son rapport annuel. Il a plus clairement distingué les différentes catégories de coûts et mieux quantifié les coûts administratifs et les économies. Le pourcentage d'évaluations d'impact qui fournissent au moins une quantification des coûts et bénéfices est passé de 80 % à 90 %, tandis que les évaluations pleinement quantifiées sont passées de 30 % à 50 % »195(*).

L'avis du comité accompagne le projet d'initiative et l'analyse d'impact tout au long du processus décisionnel de la Commission.

Le comité ne se prononce pas en opportunité et n'examine pas toutes les évaluations de la Commission. Seul un certain nombre d'évaluations importantes sont sélectionnées chaque année, sur la base de la pertinence et des priorités politiques de la Commission, soit 70 à 80 par an. En cas d'urgence cependant, l'avis n'est pas sollicité.

Cela a été le cas pour le « Green Deal », présenté le 1er février 2023196(*) comme réponse à l'Inflation Reduction Act américain, qui prévoit un nouvel assouplissement des règles sur les aides d'État jusqu'à fin 2025, une réorganisation de budgets européens existants en faveur du développement de l'économie verte et une accélération des procédures d'autorisation des projets de « clean tech »197(*), ainsi qu'une législation pour le développement de l'industrie décarbonée, ou « Net-Zero Industry Act », visant à accélérer les procédures d'autorisation et à alléger la charge administrative.

e) Un objectif : simplifier pour accélérer la transition écologique

La simplification comme instrument de compétitivité, d'agilité et d'accélération de nos économies dans la transition écologique est en effet l'une des priorités de la Présidente von der Leyen énoncées lors de son discours du 16 mars 2023 à la session plénière du Parlement européen sur la préparation de la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023 : « Avec le règlement pour une industrie à zéro émission nette, il est donc question essentiellement de rapidité et d'assouplissement. Nous sommes en train de simplifier les formalités d'autorisation. Nous travaillons actuellement avec des sas réglementaires. Nous allons mettre en place des régimes d'aide d'État plus simples. Et nous allons autoriser des allégements d'impôts et l'utilisation flexible des fonds européens. Donc, en un mot, le règlement pour une industrie à zéro émission nette garantira non seulement une rapidité et une simplification accrues, mais prévoira aussi un financement ».

La simplification est l'un des outils à la réponse européenne à l'Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l'inflation - IRA), du gouvernement américain réservant les 340 milliards d'euros de subventions et crédits d'impôt pour soutenir les énergies renouvelables, l'hydrogène et d'autres technologies propres aux biens fabriqués aux États-Unis ou utilisant des produits qui le sont, risquant ainsi de conduire à une nouvelle vague de délocalisations des entreprises européennes.

La réponse de l'Europe est l'assouplissement des règles en matière de financement national afin de rendre les aides plus accessibles et la simplification des démarches administratives pour le photovoltaïque et l'énergie éolienne, les pompes à chaleur, le stockage de l'énergie et les électrolyseurs.

Cette stratégie environnementale et sanitaire prévoit de fixer des objectifs environnementaux très ambitieux, associés à un renforcement des exigences en matière sanitaire. Cependant, dans le contexte actuel, aucune entreprise n'a la capacité de réaliser la totalité des exigences qui lui sont demandées. En outre, les dispositifs de soutien public sont assez peu utilisés par certaines entreprises réticentes à s'engager dans un processus d'obligations règlementaires, même « accompagnées », au profit de projets volontaires ou d'anticipation d'obligation règlementaire à venir.

Un travail de priorisation dans le temps de ces nouvelles normes environnementales pourrait être effectué sur la base de deux critères : d'une part, la pertinence de la mesure pour atteindre les objectifs climatiques de décarbonation, d'autre part, le niveau de robustesse scientifique de l'action proposée.

B. L'EXEMPLE NÉERLANDAIS : LE CONTRÔLE DE LA QUALITÉ DES ÉTUDES D'IMPACT

Les Pays-Bas sont souvent présentés comme les pionniers de la simplification du droit en Europe. L'objectif d'une « dérégulation » a progressivement été remplacé au début des années 2000 par celui d'une meilleure réglementation (« better regulation ») afin de réduire les coûts induits, comme l'avait exposé la délégation aux entreprises du Sénat dans son rapport de 2017 rendant compte d'une précédente mission198(*).

Trois enseignements principaux avaient été tirés de l'expérience hollandaise en matière de simplification par le Conseil d'État en 2016199(*) :

1. L'existence d'un consensus social et politique sur l'objectif du processus de simplification qui est de réduire les coûts et les délais d'adaptation des entreprises induits par les nouvelles normes afin de favoriser l'emploi et la croissance dans le cadre d'une économie de marché en compétition sur le marché mondial.

2. Un programme chiffré de simplification législative, sur lequel la coalition parlementaire au pouvoir s'engage en début de législature et dont le sérieux et l'exécution sont régulièrement débattus dans les médias. Ceci crée une émulation vertueuse entre les ministres qui doivent se justifier si leurs projets créent de la complexité administrative et réglementaire.

3. Une méthode pour mesurer de façon homogène et objective les coûts induits par l'adoption de toute nouvelle norme pour les entreprises. L'évaluation faite par l'administration est contrôlée par une autorité indépendante qui jouit d'une réelle autorité morale, le comité consultatif pour l'évaluation de la charge réglementaire (ATR).

L'objectif de meilleure réglementation a été réaffirmé dans par le gouvernement Rutte IV de janvier 2022, qui accorde la priorité au soutien du développement et de l'innovation des PME, s'engage pour ce faire à déployer une nouvelle approche mesurable de la charge réglementaire, en systématisant le recours aux « tests PME » (mkb-toets) pour vérifier, dans le cadre des procédures législatives, l'applicabilité des règles pour les PME.

À l'été 2022, la ministre de l'Économie, Mme Micky Adriaansens, a présenté son nouveau programme pluriannuel de réduction de la pression réglementaire sur les entreprises et entrepreneurs, conformément à un engagement pris devant la Chambre basse en février 2022. Ce programme - reposant sur une approche plus qualitative et sectorielle pour identifier plus facilement les difficultés et élaborer des programmes sectoriels de réduction - répond également à de nombreuses sollicitations et motions déposées par certains parlementaires, dont celle du député Van Haga du 13 avril 2022200(*) qui invitait le gouvernement à déployer une approche mesurable de la charge réglementaire assortie d'objectifs de réduction pour 5 secteurs activités conformément à la proposition de l'association néerlandaise des PME (MKB-NL), préconisant notamment le recours aux « PME-types » (MKB-Indicatorbredijven) comme instrument d'analyse.

a) Un « test PME » systématique

Vos rapporteurs se sont donc rendus à la Haye le 17 mars 2023 afin de rencontrer Mme Ramona van den Bosch, attachée pour les PME, entrepreneurs, financements, pression normative et délais de paiements au VNO-NCW, organisation du patronat néerlandais, puis avec M. Rudy van Zijp, directeur de l'ATR et enfin avec M. Marco Commandeur, Conseiller senior du département pour l'entrepreneuriat du Ministère de l'économie et du climat (EZK). Ce déplacement s'est effectué le lendemain d'élections provinciales et donc au Sénat néerlandais, qui ont vu le succès inattendu du BBB (BoerBurgerBeweging, mouvement agriculteur-citoyen), un nouveau parti créé en 2019 en réaction aux réglementations européennes sur l'azote, jugées excessivement contraignantes et pour contester les plans de réduction des émissions d'azote du gouvernement néerlandais qui comprennent une réduction du cheptel et envisagent des expropriations à proximité de zones naturelles protégées.

Le « test-PME », dispositif déployé en mai 2019, permet de garantir pour les nouvelles lois et réglementations (dont des charges réglementaires substantielles pour les PME sont escomptées), que les petites entreprises sont impliquées à un stade précoce dans les travaux législatifs et réglementaires. Dans la pratique, ce « test PME » permet une discussion avec des entrepreneurs de PME, pour s'assurer que les nouvelles lois et réglementations sont réalisables et praticables / applicables pour les PME et qu'elles impliquent la charge réglementaire la plus faible possible.

Le « test-PME » peut aussi s'appliquer aux réglementations existantes, grâce au « livre noir de la pression réglementaire » (zwartboek Regeldruk), créé et présenté en 2021 par l'association des PME. L'objectif est de réaliser un contrôle un an après l'entrée en vigueur de règles, pour procéder à des ajustements rapides de la mise en oeuvre ou de la supervision sur la base des plaintes des entrepreneurs.

Ce test utilise des « PME-types » (MKB-indicatorbedrijven), proposées par l'association professionnelle des PME, sorte de portrait-robot de la PME type par 6 secteurs d'activité201(*), construit à partir 5 entreprises réelles par secteur. Pour cette « PME-type », toutes les obligations applicables sont identifiées, les goulets d'étranglement recensés et le coût annuel total du respect des obligations évalué. Cela permet d'obtenir une image qualitative et quantitative complète de la charge réglementaire à laquelle les PME peuvent être confrontées dans un secteur donné. Sur cette base, des programmes de réduction sont ensuite élaborés pour chaque secteur. Cette approche théorique est complétée par une consultation concrète d'un panel de 5 à 10 chefs d'entreprises par secteur dix à vingt fois par an.

L'évaluation du caractère opérationnel et le coût permettra d'identifier les obligations, par secteur, qui sont les plus « urgentes » à réduire, permettant ainsi l'élaboration de programmes de réduction de la charge réglementaire en partenariat avec les associations professionnelles, les régulateurs et les administrations.

b) Un tableau de bord de la charge normative

La « mesure » de la charge réglementaire s'effectuera par la création d'un « tableau de bord sur la charge réglementaire » conçu en concertation avec le MKB-NL (association des PME) et l'ONL (association des entrepreneurs/indépendants). Il permettra de suivre les progrès de la politique du gouvernement sur l'amélioration de la réglementation et des services pour les entrepreneurs. Il devra suivre l'évolution de la charge réglementaire totale des nouvelles lois et réglementations et montrera les effets réels des mesures de réduction prises. A cet effet, il interroge les entrepreneurs, avant et après l'adoption d'une mesure, sur le temps ou les coûts qu'ils consacrent aux tâches administratives liées à cette mesure et sur l'évaluation qu'ils en font. « L'allègement de la charge ne se limite pas à l'importance du coût financier. Le ressenti, l'irritation et l'agacement sont également à prendre en considération. Cependant, identifier la source de l'irritation n'est pas toujours aisée pour l'administration » a ainsi estimé M. Mario Commandeur.

Par ailleurs, un « livre noir de la pression réglementaire » élaboré par l'association des PME en 2021 a été présenté à la commission de l'économie du Parlement néerlandais. Ce recueil de goulets d'étranglement rencontrés par les entrepreneurs dans les réglementations existantes de six secteurs202(*) relatifs à quatre thématiques203(*). Sur la base de ce recensement, les autorités ont recensé 84 goulets d'étranglement. La plupart des goulets d'étranglement (59) ont été traités ou résolus, les 25 résiduels étant considérés comme peu clairs ou incorrects, ou, si identifiés comme tels, ne peuvent ou ne veulent pas être traités pour diverses raisons.

À la suite de cette publication, le ministère de l'Économie doit commander une analyse annuelle de la pression réglementaire qui collectera les signalements et avis des entreprises sur les difficultés suscitées par le respect des réglementations, en étroite collaboration avec la MKB-NL et l'ONL.

Les Pays-Bas utilisent l'approche « life events » qui s'inspire de la méthodologie du « parcours client » et des moments clés de la vie de l'entreprise, pour réduire sensiblement la charge réglementaire perçue autour des changements majeurs dans le cycle de vie d'une entreprise, tels que l'embauche de personnel, les débuts à l'export ou en cas de faillite. Les deux premiers chantiers de cette approche concrète de la vie de l'entreprise sont « obtenir un financement » et « demander la reconnaissance des qualifications professionnelles ».

c) Une autorité indépendante donne son avis sur toutes les normes qui ont un impact sur les entreprises.

L'l'Autorité consultative de contrôle de la pression normative (Adviescollege toetsing regeldruck, ACTAL) a été remplacée depuis le 1er juin 2017 par l'ATR, comité mentionné dans les précédents développements, avec un mandat élargi. Elle comprend un collège de trois personnes qui sont d'anciens responsables des principales formations politiques, après appel public à candidature. Sans se prononcer sur l'opportunité des mesures, ses avis sont consultatifs mais ses recommandations sont reprises à hauteur de 60 à 70 %. Lorsqu'elle rejette une norme204(*), une nouvelle version lui est proposée et elle rend un nouvel avis. Elle utilise le modèle des coûts standards.

L'ATR peut également se prononcer sur des initiatives parlementaires et a rendu 4 avis en 2022 sur des propositions de lois. Ses membres sont auditionnés deux fois l'an par les commissions parlementaires. Elle demande au gouvernement néerlandais d'élargir son mandat à la règlementation européenne à compter du 1er janvier 2024.

Une enquête récente commandée par l'ATR a montré que 89 % de ses avis font l'objet d'une réponse dans l'exposé des motifs des propositions de règlement : dans 66 % des cas, les avis sont adoptés ou conduisent à des modifications, dans 23 % des cas, les avis ne sont pas adoptés mais sont bien argumentés. Dans environ 10 % des cas, l'avis de l'ATR n'est pas développé.

La ministre de l'économie et du climat s'est engagée devant la chambre basse en mars 2022 à pérenniser définitivement l'ATR.

Au total, la charge règlementaire pesant sur les entreprises a été réduite de 2,5 milliards d'euros entre 2012 et 2017.

Outre l'existence d'une autorité indépendante, la clé du succès néerlandais est le dialogue constant avec les entreprises.

C. L'EXEMPLE ALLEMAND : L'INDICE AGRÉGÉ DU COÛT DE LA NORME POUR LES ENTREPRISES

Pour améliorer le processus législatif, le gouvernement fédéral allemand a demandé à tous les ministères voulant présenter une loi de répondre à dix questions simples, parmi lesquels : « faut-il vraiment faire quelque chose ? », « faut-il faire une loi », « les bénéfices attendus sont-ils à hauteur des coûts engagé ? ». Ces critères sont actuellement au nombre de 37. Toutefois, sans mécanisme pour sanctionner leur non-respect, il a été proposé à partir de 2006 de renforcer le dispositif avec un responsable politique (ministre adjoint auprès de la Chancellerie fédérale) et l'analyse des coûts de mise en conformité, au-delà d'un million d'euros afin que, « sans remplacer la politique par les mathématiques, que la politique soit rendue plus efficace grâce aux mathématiques »205(*).

Cette politique rigoureuse de simplification a porté ses fruits puisque « entre 2006 et 2011, les coûts administratifs pour l'économie ont baissé de plus de 12 milliards d'euros ».

a) Un indice national du « coût de la bureaucratie »

Depuis 2012, la réduction des coûts administratifs des entreprises est représentée de manière transparente et claire dans l'indice des coûts de la bureaucratie (BKI) qui calcule le coût des obligations à la charge des entreprises en Allemagne. Les coûts administratifs des entreprises au 1er janvier 2012 correspondent à la base de départ de l'indice 100. En 2015, le BKI est passé pour la première fois en dessous de sa base de départ de 100 et s'élevait à 99,49 points fin 2018. Cette amélioration s'explique essentiellement par seulement trois projets législatifs.


L'évolution de l'indice des coûts de la bureaucratie en Allemagne 2011-2020

Cet indice, limité aux coûts des formalités que doivent remplir les entreprises, est toutefois pas connu et peu utilisé dans le débat public.

Par ailleurs, trois lois de simplification de la bureaucratie (Bundesgesetzes zum Bürokratieabbau) ont été adoptées depuis 2016 mais le faible impact de la dernière a conduit le gouvernement fédéral à proposer une nouvelle loi qui devrait être adoptée d'ici fin 2023.

LES LOIS SUR L'ALLÈGEMENT DE LA BUREAUCRATIE I, II ET III
DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL206(*)

La première loi sur l'allègement de la bureaucratie de 2016 visait des allègements rapides et notables, surtout pour les PME et les jeunes entreprises à fort potentiel de croissance. Dans ce cadre, un plus grand nombre de petites entreprises qu'auparavant ont été exemptées des obligations de comptabilité et d'enregistrement et les créateurs d'entreprises ont été dispensés pendant les premières années à fournir des données pour les statistiques économiques et environnementales. Par ailleurs, la valeur du seuil applicable aux statistiques des échanges intracommunautaires a été élevée. Un autre ensemble de mesures d'allègement concerne le droit fiscal et le secteur de l'énergie. Le volume des allègements pour l'économie se chiffre à un montant annuel de 704 millions d'euros.

Les mesures de la deuxième loi sur l'allègement de la bureaucratie de 2017 visaient des allègements en particulier pour les petites exploitations comptant deux à trois salariés. Les grands axes furent la poursuite de la réduction de la bureaucratie du droit fiscal et la numérisation de la procédure administrative, la modernisation du code de l'artisanat, la création de « guichets uniques » et de l'administration en ligne, la consultation en ligne des lois et règlements. Elle simplifie par ailleurs le calcul des cotisations de sécurité sociale. L'allègement pour l'économie représente au moins 135 millions d'euros par an.

La troisième loi sur l'allègement de la bureaucratie de 2019 allège la charge des PME à hauteur de plus de 1,1 milliard d'euros par an, avec le relèvement du seuil des impôts sur le chiffre d'affaires pour les petites entreprises de 17 500 à 22 000 euros, du seuil de forfaitisation de l'impôt sur le salaire pour les emplois de courte durée et de la forfaitisation de l'impôt sur le salaire pour les travailleurs contribuables partiellement assujettis. Elle prévoit la numérisation de la déclaration d'incapacité de travail et dans le secteur de l'hôtellerie, la simplification des systèmes de traitement de données à des fins fiscales pour les créations d'entreprise (déclaration trimestrielles et non mensuelles), la création d'alternatives numériques aux formulaires d'enregistrement papier et l'introduction d'un registre de base des entreprises avec un numéro 'identification unique.

b) Une autorité indépendante qui contrôle la qualité des études d'impact

Créé par la loi du 14 août 2006207(*), un Conseil national de contrôle des normes (Nationaler Normenkontrollrat, NKR), constitué de dix membres des milieux économiques, scientifiques et administratifs, a pour mission de conseiller le Gouvernement fédéral dans son objectif de « mieux légiférer ». Dans le cadre, son mandat a été étendu en 2011 au contrôle de la qualité des études d'impact des projets de réglementation et au contrôle des coûts d'information, découlant d'une loi, d'un règlement, de statuts ou de dispositions administratives, et obligeant une entreprise à collecter, mettre à disposition ou transmettre des données et autres informations aux autorités ou à des tiers. Ces coûts sont mesurés avec le modèle des coûts standard (MCS). Sont calculés les coûts unitaires, le temps individuel requis par une obligation résultant de la loi, leur fréquence et le nombre d'entreprises concernées.

Son champ de compétence s'étend aux lois et décrets fédéraux mais également aux mesures préparatoires et d'exécution du droit de l'Union européenne en droit allemand. Il exclut donc les normes des Länder affectant les entreprises. Trois Länder se sont dotés d'un organisme comparable (Bayern, Sachsen, Thüringen) et le Baden-Württemberg dispose d'une task-force dédiée à la simplification au niveau du gouvernement régional.

Le Conseil vérifie, avant leur présentation au Bundestag (i) l'objectif et de la nécessité de la réglementation, qui doivent être compréhensibles, (ii) la prise en considération d'autres solutions possibles, (iii) la date d'entrée en vigueur, la limitation dans le temps et l'évaluation, (iv) les explications sur la simplification juridique et administrative, (v) les éventuelles raisons d'une surtransposition (« dispositions supplémentaires prévues en plus de leur prescription ») d'une directive ou d'autres actes juridiques de l'Union européenne. Son avis consultatif est public et transmis au Bundestag avec les réponses du gouvernement fédéral sur les observations qu'il a émises.

Le NKR peut être saisi par une commission parlementaire, un groupe parlementaire ou des députés et peut être consulté par les commissions permanentes du Bundestag ou du Bundesrat.

Il publie un rapport annuel qui doit répondre à la question suivante : « dans quelle mesure les objectifs du gouvernement fédéral en matière de réduction de la bureaucratie et d'amélioration de la réglementation ont été atteints ?». De son côté, le gouvernement fédéral présente chaque année au Bundestag un rapport sur (i) l'état d'avancement de la réduction de la bureaucratie dans le cadre des objectifs existants, (ii) l'estimation de l'impact des charges sur les entreprises, (iii) l'évolution des charges administratives dans les différents ministères et (iv) les résultats et l'évolution dans le domaine de l'amélioration de la réglementation.

Afin de remplir sa mission, le NKR, qui dispose de 23 agents, peut utiliser la base de données que le gouvernement fédéral a créée pour les données recueillies lors de l'évaluation des coûts bureaucratiques, procéder à ses propres auditions, commander des expertises, et solliciter l'aide des autorités fédérales.

Depuis 2014, l'Office fédéral de la statistique (DESTATIS) apporte son concours au NKR avec l'analyse de l'expérience usager fondée sur 10 situations du quotidien des entreprises à travers 1 865 entretiens dans 1 572 entreprises choisies de manière représentative. Il chiffre, à la demande des administrations centrales, les coûts de mise en conformité, pour les usagers, dont les entreprises, des projets de lois.

Un « guide pour le test PME » du gouvernement fédéral sert à standardiser et à systématiser le test PME, obligatoire depuis le 1er janvier 2016, afin de contrôler à un stade précoce d'éventuelles alternatives de réglementation dans le processus législatif et de décrire les impacts financiers d'un projet législatif sur les PME afin « d'éviter là où cela est possible des charges bureaucratiques pour les PME » selon le ministère allemand de l'Economie208(*).

Les rapporteurs ont eu un entretien avec Mme Sabine Kuhlmann, vice-présidente du NKR, le mardi 12 juin 2023. Elle a insisté sur le périmètre de son action, limitée au chiffrage de « l'obligation d'informer l'administration », qui représente une partie des « coûts de conformité ». Ce chiffrage exclut les investissements que les entreprises doivent consacrer pour respecter les normes. Par ailleurs, le NKR ne travaille pas sur les normes des Länder, les directives européennes ou sur le stock. Elle juge « difficile de mesurer l'impact du NKR, tant les entreprises ont le sentiment que la bureaucratie ne diminue pas » même avec la dématérialisation des procédures, qui concerne davantage les relations entre citoyens et administrations que celles entre entreprises et administrations. On constate même depuis 2011 une augmentation de la charge de la bureaucratie.

D. L'EXEMPLE SUISSE : « PENSER EN PREMIER LIEU AUX PME ».

« Une politique qui réduit les coûts de la réglementation pour
les quelque 500 000 PME sera beaucoup plus efficace qu'une politique qui s'applique aux 1 000 grandes entreprises
 ».

Source : Méthodologie du test de compatibilité PME,
secrétariat d'État à l'économie (SECO) de la Confédération suisse.

a) Un « test PME » systématique

Par décision du 21 octobre 1998, le Conseil fédéral a donné les premières impulsions en vue de l'introduction du test de compatibilité PME («test PME»). Depuis 1999, dans la procédure législative suisse, il doit être tenu compte des conséquences économiques et administratives de toute nouvelle loi sur les PME. Ses conséquences sont exposées de manière analogue à l'exposé des effets financiers pour la Confédération.

Le « test PME » doit fournir des informations « pour s'assurer que les entreprises ne soient pas surchargées par des surcroîts de tâches administratives, pour leur épargner des investissements supplémentaires ou des entraves à la gestion et pour réduire aussi peu que possible leur liberté de manoeuvre »209(*). Dans ce but, l'administration doit consulter une douzaine de PME « soigneusement sélectionnées. Les résultats n'ont pas de caractère statistique représentatif, mais doivent être conçus dans le sens d'études de cas servant notamment à mettre en évidence les problèmes qui peuvent se présenter dans l'exécution ».

Depuis 2013, les tests PME sont être réalisés par les offices fédéraux dans le cadre de l'analyse d'impact de la réglementation (AIR) car les autorités suisses se sont « rendu compte que le rôle des tests PME et leur impact pouvaient être renforcés notablement s'ils étaient menés plus tôt dans le processus législatif et s'ils étaient directement réalisés par les offices responsables des projets de réglementations en question ».

Dès un stade de précoce, un « quick check », ou examen sommaire, est réalisé pour déterminer si des analyses plus poussées sont nécessaires.

Le test de compatibilité PME est obligatoire pour tous les projets de loi touchant au minimum 10 000 entreprises en Suisse. Il est recommandé lorsque plus de 1 000 entreprises, ou qu'une branche ou une région, sont touchées. Il est qualitatif210(*) et non quantitatif. Une douzaine d'entreprises est choisie, le panel devant être « proche de la structure des PME qui seront concernées par la règlementation » pour réaliser des entretiens individuels.

b) Des lois de simplification régulières

Depuis 2006211(*), une commission extraparlementaire « Forum PME », composé en majorité de chefs d'entreprise, doit « analyser les réglementations existantes qui occasionnent une charge administrative importante aux entreprises » et « proposer aux unités administratives compétentes des simplifications et des réglementations alternatives ». Plus de 70 % de ses recommandations sont suivies d'effet et représentant plusieurs centaines de millions de francs suisses d'économies pour les PME concernées. De plus, et depuis 2011, ce Forum PME vérifie que l'administration a procédé à l'analyse du coût de la réglementation et de son impact sur les PME.

Selon MM. Nicolas Wallart, chef du secteur Analyse et politique de réglementation du secrétariat d'État à l'économie (SECO), et Pascal Muller212(*), le seul allègement relatif à la règlementation comptable a généré des économies d'un montant de plus de 750 millions de francs suisses directement et 1,5 milliard indirectement, au bénéfice de 20 000 PME suisses.

En février 2020, le Forum PME s'est toutefois inquiété de la dégradation de la compétitivité des conditions-cadre. Classée en 15ème position en 2007, la Suisse a chuté au 36ème rang en 2020 faute de « réformes de grande envergure » et en raison « d'une augmentation nette des coûts de la réglementation »213(*). Au vu de ces résultats alarmants, le Forum PME a recommandé d'adopter des mesures supplémentaires en matière d'allègement administratif et notamment « qu'un organe de contrôle des analyses d'impact de la réglementation soit créé et qu'un objectif contraignant de réduction des coûts induits par les réglementations en vigueur soit prévu dans la future nouvelle loi sur la réduction de la densité réglementaire ».

Le SECO a donc mandaté en 2022 une enquête auprès d'entreprises implantées en Suisse sur le thème des « charges administratives liées aux réglementations dans les entreprises suisses », sollicitant 4 818 entreprises, 1 525 y répondant. L'objectif était de « mesurer la charge des entreprises résultant des prescriptions légales à tous les niveaux (réglementations de la Confédération, des cantons, des communes et internationales) et identifier les domaines et prescriptions légales jugés particulièrement contraignants »214(*).

D'après ce « monitoring de la bureaucratie » publié en février 2023, « la charge subjective a plutôt diminué par rapport à 2018, tandis que la charge effective (en heures) n'a pas connu d'évolution significative ». Invitées à calculer les charges administratives mensuelles externes sur la base des coûts mensuels effectifs en francs suisses, l'enquête a démontré « qu'aucun changement n'a été observé dans ce domaine par rapport à 2018. Après extrapolation aux quelques 206 000 PME qui emploient au moins trois personnes en Suisse, on obtient un résultat d'environ 525 millions de francs de coûts mensuels externes occasionnés par les charges administratives en lien avec la réglementation, soit un total de 6,3 milliards de francs par an ».

La charge effective liée aux prescriptions légales agrégée sur l'ensemble des domaines n'a que très peu augmenté depuis 2018. Alors que les entreprises interrogées l'évaluaient à l'époque à 19 heures par mois (médiane), elle était de 20 heures par mois en 2022. La charge administrative interne (en heures par mois) occasionnée a diminué par rapport à 2018. En 2022, un nombre significativement supérieur d'entreprises ont indiqué que leur charge administrative interne représentait moins de cinq heures par mois.

La Suisse souhaite néanmoins approfondir ses efforts pour alléger les coûts de la réglementation sur les entreprises avec un projet de loi fédérale sur l'allégement des coûts de la réglementation pour les entreprises (« LACRE »)215(*), présenté par le Conseil fédéral le 9 décembre 2022, en cours d'examen parlementaire au premier semestre 2023.

Ce projet contient le principe général selon lequel « les actes fédéraux fixant des règles de droit soient efficients pour l'économie dans son ensemble et entraînent une faible charge pour les entreprises » en respectant les cinq principes suivants :

1. retenir l'option qui offre le meilleur rapport coût-utilité pour l'économie dans son ensemble ;

2. procéder à un stade précoce à une analyse, présentée de manière transparente, de la charge que font peser les coûts de la réglementation sur les entreprises (charge réglementaire) et ne pas faire peser une charge disproportionnée sur les petites et moyennes entreprises par rapport aux grandes ;

3. concevoir une réglementation qui soit favorable à l'innovation et technologiquement neutre ;

4. concevoir une réglementation qui soit neutre du point de vue de la concurrence et qui évite les distorsions de concurrence, effectives ou potentielles, entre les entreprises ;

5. formuler les actes de façon adéquate, claire et compréhensible.

L'exécution des actes fédéraux fixant des règles de droit devra s'effectuer « de façon à limiter le plus possible la charge administrative pour les entreprises », avec six objectifs :

1. limiter autant que possible le nombre d'interlocuteurs auxquels les entreprises doivent s'adresser ;

2. communiquer aux entreprises les règles applicables de façon adéquate, claire et compréhensible ;

3. exécuter simplement et rapidement les procédures de première instance de droit de l'économie et limiter leur durée par des délais d'ordre ;

4. exploiter pleinement les possibilités qu'offrent les moyens électroniques dans les interactions avec les autorités ;

5. concevoir des formulaires simples et uniformes ;

6. contrôler les entreprises sur la base des risques.

La loi prévoit une évaluation régulière « en vue d'identifier les allègements possibles des coûts de la réglementation pour les entreprises ».

L'administration fédérale suisse devra vérifier lors de l'élaboration des actes fédéraux fixant des règles de droit les quatre points suivants :

1. si les petites et moyennes entreprises peuvent être soumises à des règles simplifiées ou engendrant moins de coûts;

2. si la réglementation n'impose pas des exigences plus élevées aux entreprises que les réglementations comparables à l'étranger;

3. si des moyens électroniques peuvent simplifier l'exécution de la réglementation;

4. si la charge réglementaire peut être allégée par l'abrogation d'autres réglementations dans le même domaine.

Le ministère fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche devra fournir les bases méthodologiques pour procéder à l'estimation des coûts uniques et des coûts récurrents que les entreprises « doivent assumer parce qu'elles sont contraintes à agir, à tolérer une action ou à s'abstenir d'une action ». Dans la mesure du possible, ces coûts seront rapportés à l'utilité attendue de la réglementation, chiffrables et mis à jour pendant le processus législatif.

Une entité sera désignée par le Conseil fédéral suisse pour suivre l'évolution de la charge réglementaire pour les entreprises.

Tous les ans, trois à cinq domaines qui sont soumis à une évaluation externe en vue de déterminer le potentiel d'allègement des coûts de la réglementation pour les entreprises. Les domaines de ces études sectorielles seront choisis par le gouvernement fédéral ou proposées par les cantons ou les organisations patronales.

Enfin, un rapport sur l'allégement des coûts de la réglementation pour les entreprises sera remis tous les quatre ans par le Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale.

À bien des égards, les efforts de la Suisse en ce domaine sont exemplaires.

E. L'EXEMPLE BRITANNIQUE : MALGRÉ LE BREXIT, UN CLIMAT NORMATIF FAVORABLE AUX ENTREPRISES

En Grande-Bretagne, la volonté d'alléger les normes pesant sur les entreprises se heurte à une complexification liée à la mise en oeuvre juridique du Brexit.

Les représentants des PME, rencontrés à Londres le 2 juin 2023, ont ainsi estimé que les conséquences du Brexit et de la transition présentaient « un moment opportun pour l'introduction de propositions de réforme réglementaire pour réduire considérablement le fardeau réglementaire des petites entreprises en minimisant le volume des exigences réglementaires pour les entreprises », car les PME britanniques, qui comptent entre 50 et 249 employés consacrent en moyenne plus de 22 jours de travail par mois à la réglementation. Ils regardent avec intérêt l'expérience de la province canadienne de la Colombie-Britannique au Canada où un ministre a été désigné pour superviser les progrès du Ministère vers un objectif de réduction de la réglementation d'un tiers en trois ans, au motif que « lorsque les performances des entreprises sont entravées par un ralentissement économique, les entreprises deviennent encore plus conscientes de la nécessité d'une réforme de la réglementation », ce qui a été le cas avec la crise du COVID.

Cependant, les entreprises britanniques ont manifesté leur préférence pour la stabilité de la complexité si la simplification s'accompagne d'incertitudes.

1. La complexité de l'abrogation de la législation européenne

La thématique du « take back control », au coeur du Brexit, se traduit par une volonté de se débarrasser aussi vite que possible de l'héritage normatif hérité de l'Union européenne afin que le Royaume-Uni puisse retrouver son identité juridique basée sur la common law et gagner en compétitivité à travers une « agilité normative » accrue, mais aussi d'une vision politique, cherchant à rendre visible les changements promis par le Brexit dont les effets négatifs sont de plus en plus documentés.

Ainsi, le gouvernement britannique a lancé en 2021 une consultation sur la réforme du cadre pour une meilleure réglementation (Framework for Better regulation) qui vise à prévoir une réglementation plus souple et adaptable, reposant davantage sur la Common Law et l'action des régulateurs sectoriels. Ce travail faisait suite à un rapport de la Taskforce on Innovation, Growth and Regulatory Reform (TIGRR) de juin 2021 et a été retranscrit dans un rapport, début 2022, sur les «  bénéfices du Brexit ».

Ces travaux proposent un encadrement réglementaire beaucoup plus souple et adaptable, conférant des pouvoirs étendus aux régulateurs, qui seraient en mesure de favoriser la concurrence et l'innovation, notamment à travers l'expérimentation de « bacs à sable réglementaires » (regulatory sandboxes). En contrepartie, la responsabilité de ces régulateurs devant le Parlement serait accrue pour s'assurer de leur efficacité et de l'atteinte de leurs objectifs. La mise en oeuvre de ces principes s'applique progressivement, dans les secteurs tels que la finance ou le numérique notamment.

Dans un premier temps, le recensement du corpus législatif hérité de l'UE a conduit à identifier 2 417 textes, présentés dans un tableau de bord et publiés en juin 2022. Cependant, postérieurement, plus de 1 400 textes supplémentaires ont été identifiés.

Le projet de loi « Retained EU Law Bill »216(*) présenté au Parlement le 22 septembre 2022 doit opérer le basculement vers ce nouvel univers juridique. Or, ses délais très contraints217(*) et sa mécanique implacable, avec une clause d'extinction (« sunset clause »), n'ont pas manqué pas d'inquiéter les acteurs économiques notamment en raison du risque élevé de double insécurité juridique qui serait créé, d'une part, par le vide juridique lié à la disparition de la norme, et, d'autre part, par le risque de jurisprudences contradictoires émanant des juges britanniques. Par ailleurs, un abaissement des standards en vigueur sur le marché britannique pourrait créer des coûts supplémentaires pour les entreprises déjà confrontées à un contexte économique difficile. Enfin, le Committee of Public Accounts de la Chambre des communes a récemment publié un rapport dans lequel il souligne que les régulateurs britanniques « luttent pour recruter et conserver les compétences dont ils ont besoin pour réglementer efficacement » dans leurs rôles nouveaux et élargis après la sortie de l'UE.

Dans ce contexte, le nouveau gouvernement de Rishi Sunak a revu à la baisse ce projet de « dénormalisation européenne » massive d'autant plus irréaliste que le Gouvernement entend supprimer des dizaines de milliers d'emplois de fonctionnaires alors qu'il faudrait 400 personnes au sein du seul ministère en charge des affaires, de l'énergie et de la stratégie industrielle (BEIS) pour passer en revue les 300 textes législatifs hérités de l'Union européenne. Une approche moins systémique et plus stratégique et sectorielle de la législation, centrée sur les secteurs clés pour la croissance (numérique, sciences de la vie, industries « vertes », services financiers, industrie de pointe), devrait conduire à ralentir le processus de révision.

2. Deux instances pour simplifier la norme britannique
a) Une instance de simplification ex ante

Le Better Regulation Executive (BRE) est une structure administrative du ministère des affaires et du commerce, qui dirige le programme de réforme réglementaire au sein du gouvernement et est responsable de l'amélioration de la réglementation dans l'élaboration des politiques commerciales218(*). Il s'agit notamment de :

- la publication d'orientations sur la manière de mettre en oeuvre le cadre pour une meilleure réglementation, le suivi de l'objectif d'impact sur les entreprises et la publication d'un rapport annuel ;

- l'objectif d'impact sur les entreprises (Business Impact Target) et la publication d'un rapport annuel, ainsi que la fourniture de conseils et de soutien aux Better Regulation Unit (BRU). Chaque ministère dispose d'une unité chargée de l'amélioration de la réglementation (BRU), qui supervise ses processus d'amélioration de la réglementation et donne des conseils sur la manière de respecter les exigences transversales.

Par ailleurs, le Comité de politique réglementaire (RPC) fournit une évaluation indépendante du coût de la nouvelle réglementation sur les entreprises et examine les évaluations ministérielles d'impact pour s'assurer qu'elles sont adaptées à l'objectif.

Les départements ministériels sont tenus de suivre les directives de meilleure réglementation et les exigences légales, de préparer des évaluations d'impact en indiquant le coût de la nouvelle réglementation sur les entreprises, lequel doit être validé par le RPC.

Les administrations sont assistées par le Better Regulation Executive pour mettre en oeuvre les principes d'amélioration de la réglementation. Organe de contrôle indépendant, il fournit un contrôle externe, transparent et en temps réel sur la qualité de l'argumentation et des analyses prônant les changements réglementaires qui affectent les entreprises et la société civile. Il émet des avis, contribue à garantir que les décisions sur les propositions législatives reposent sur une solide base de données factuelles, donne aux entreprises et au public l'assurance que les revendications du gouvernement sur la réforme réglementaire sont crédibles. Il ne se prononce pas sur l'opportunité du projet de norme.

Il n'est obligatoirement saisi que si le projet de norme a un coût direct net annuel sur les entreprises supérieur à 5 millions de livres sterling. En deçà, son avis est facultatif.

Il organise des consultations publiques ouvertes, y compris de la part d'acteurs internationaux, et équitables visant à maximiser la transparence et à solliciter les points de vue des parties prenantes à un stade précoce, selon les « Principes de consultation du gouvernement » (publiés en 2012, révisés en 2018), qui incluent l'obligation de prendre en considération les observations des parties prenantes. La consultation est en ligne et régulièrement publiée (sur gov.uk).

La méthode d'évaluation de l'impact de la réglementation (AIR) est utilisée pour toutes les propositions réglementaires importantes (sous réserve d'un seuil) afin de s'assurer que les décisions politiques sont prises sur la base de preuves solides, que les alternatives (y compris les possibilités non réglementaires) ont été examinées, que les impacts sociaux, environnement, commerce, risques, impacts spécifiques sur les petites et micro-entreprise, ont été étudiées.

L'impact sur les PME est particulièrement prise en considération. L'étape du « small and micro business assessment » (SaMBA) pour les entreprises de moins de 10 salariés, obligatoire depuis 2015, encourage les départements et les régulateurs à réfléchir à l'impact que la mise en oeuvre d'une réglementation donnée aura sur les petites ou micro-entreprises. Si l'impact est disproportionné, les PME sont exemptées ou la norme leur est appliquée de façon différenciée219(*).

Enfin, 5 ans après l'édiction de la norme, celle-ci est, depuis 2015, systématiquement passée en revue (« Post Implementation Review », PIR) afin de déterminer son prolongement, son amendement, son retrait, ou son remplacement.

b) Une instance de simplification ex post

La Law Commission, organisme statutaire indépendant, est composée de 5 commissaires, dont le président est un juge (pour un mandat de 3 ans), les 4 autres membres, juristes, étant nommés pour un mandat de 5 ans, lesquels sont assistés de 50 fonctionnaires.

Son objectif est de :

- veiller à ce que le droit soit aussi équitable, moderne, simple et rentable que possible ;

- mener des recherches et des consultations afin de formuler des recommandations systématiques à l'attention du Parlement ;

- codifier le droit, éliminer les anomalies, abroger les textes obsolètes et inutiles et réduire le nombre de lois.

Le collège des 5 commissaires doit statuer à l'unanimité pour proposer l'abrogation de lois devenues obsolètes, mais aussi de nouvelles lois, de manière à moderniser et simplifier la législation, d'éviter des coûts inutiles et que les gens soient induits en erreur par des lois qui ne sont plus applicables.

Elle présente ses recommandations au gouvernement sous la forme de rapports d'abrogation de lois, publiés avec un projet de loi, ou de « législation secondaire », qui recouvre, en France, le domaine réglementaire. Elle intervient sur le stock mais non sur le flux (sur les projets de lois du gouvernement).

La mise en oeuvre de ses recommandations d'abrogation se fait par le biais de projets de loi spéciaux, qui peuvent faire l'objet d'une procédure d'examen accélérée s'ils sont jugés « non controversés ».

Depuis 1965, 19  projets de loi de ce type ont été adoptés, abrogeant plus de 3 000 lois dans leur intégralité.

La Law Commission est tenue de soumettre au gouvernement des « programmes pour l'examen de différentes branches du droit en vue d'une réforme ». Tous les trois ou quatre ans, elle procède ainsi à une large consultation, en demandant des suggestions de projets appropriés à inclure dans ses programmes. La décision d'inclure ou non un projet se fonde sur les éléments suivants :

- la nécessité de réformer le droit,

- l'importance des questions qu'il couvrira,

- la disponibilité des ressources en termes d'expertise et de financement,

- l'aptitude du projet à être traité par la Commission.

Plus des deux tiers des propositions de la Commission en matière de réforme du droit ont été mises en oeuvre. Lorsque la Law Commission publie un rapport, le ministre concerné doit fournir une réponse, provisoire dès que possible (au plus tard six mois après la publication du rapport), puis une réponse finale, dans un délai maximal d'un an à compter de la publication du rapport.

Le processus est très transparent. Quand un projet concerne les entreprises, les parties prenantes (dont les clients) sont consultées afin de trouver des recommandations acceptables par tous. La méthode de consultation permet de faire évoluer le projet de simplification en fonction des sollicitations.

La méthode est consensuelle et si les parlementaires conservent un droit d'amendement sur les projets issus des travaux de la Law Commission, le gouvernement fait en sorte qu'ils ne dénaturent pas le processus en y associant l'opposition.

À titre d'exemple, la Law Commission se penche actuellement sur la révision de lois vieilles de plusieurs décennies concernant les locataires professionnels, utilisées par les entreprises qui louent des magasins, des bureaux et d'autres locaux commerciaux220(*).

La Law Commission permet à l'administration de travailler sur des sujets complexes et chronophages ou intéressant peu les politiques. Ses recommandations aident les entreprises ou la société en mettant à l'agenda des réformes auxquelles il ne serait pas procédé sans son intervention.

V. COMMENT SIMPLIFIER DURABLEMENT POUR CONFORTER LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES FRANCAISES ?

L'arrêt définitif de l'inflation normative est une illusion dans le domaine économique, compte-tenu de la survenance toujours possible de chocs exogènes et d'un pilotage toujours plus complexe d'une activité économique mondialisée. En tout état de cause, la simplification normative n'est pas la première des priorités pour les entreprises. Elles préfèrent, et de loin, la stabilité normative, comme l'a indiqué l'AFEP221(*).

Au demeurant, aucun pays européen ne poursuit un tel objectif et tous se sont ralliés à l'idée de « meilleure régulation », préoccupation que l'on retrouve au sein de l'administration française dès un rapport de 2004 « Pour une meilleure qualité de la réglementation », dont l'auteur, M. Bruno Lasserre, a présidé le Conseil d'État de 2018 à 2022.

Au préalable, il convient de relever que simplifier et stabiliser le droit peuvent constituer deux objectifs potentiellement contradictoires. « Toute mesure de simplification ne saurait être par principe bonne en soi, en particulier si elle porte une atteinte trop forte à la sécurité juridique des actes des entreprises », avaient considéré, à juste titre nos collègues Michel Delebarre et Christophe-André Frassa, dans un rapport de 2015 de la commission des Lois du Sénat :

Le maintien d'une règle imparfaite mais bien connue des acteurs est dans certains cas préférable à un changement déstabilisant au nom de la simplification. Une mesure authentique de simplification est une mesure qui supprime une charge administrative inutile ou une procédure complexe qui n'apporte aucune protection substantielle aux entreprises, sans perturber d'aucune manière les relations de l'entreprise avec les tiers dans le cadre de son activité économique.

Vos rapporteurs attirent l'attention sur les effets pervers potentiels de certaines mesures présentées comme des mesures de simplification, dans le cas où des procédures peu contraignantes ou peu coûteuses sont remises en cause, alors qu'elles garantissent aux entreprises concernées un niveau élevé de sécurité juridique.

Dans ces conditions, vos rapporteurs appellent à une méthode qui se fonderait sur une théorie du bilan, c'est-à-dire une comparaison entre les avantages attendus d'une mesure de simplification et les inconvénients qui pourraient en résulter, en termes de moindre sécurité juridique ou de risque d'atteinte aux droits des tiers ou des différentes parties prenantes de l'entreprise. Un meilleur équilibre est ainsi à trouver entre la stabilité des normes protectrices et la simplification des normes inutilement complexes.

Par ailleurs, les représentants des entreprises entendues par votre commission ont appelé de leurs voeux une meilleure association des acteurs économiques dans la préparation et la programmation des travaux législatifs et des réformes à réaliser concernant les entreprises, tant de la part du Gouvernement que de la part des assemblées parlementaires.

Forts des méthodes de travail de votre commission, vos rapporteurs estiment utile d'associer de façon plus permanente les acteurs économiques dans l'élaboration et la discussion des textes législatifs les concernant, tout en rappelant l'arbitrage nécessaire qui appartient au seul législateur entre les intérêts des entreprises et la recherche de l'intérêt général, qui peut conduire à s'en éloigner.

Source : « Droit des entreprises : enjeux d'attractivité internationale, enjeux de souveraineté », rapport d'information n°395 du 8 avril 2015.

La simplification ne doit donc être opérée que lorsque les avantages (complexité inutile) l'emportent sur les coûts (instabilité). C'est le point sur lequel l'AFEP a également insisté lors de son audition222(*).

Le droit de l'entreprise est par nature de plus en plus complexe, et doit englober des réalités économiques très diverses, appliquant la même norme à la multinationale ou à la très grande entreprise et à la TPE de moins de dix salariés, voire à l'autoentrepreneur.

A. UNE POLITIQUE DE SIMPLIFICATION INDISPENSABLE À LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES FRANÇAISES

1. Un lien établi entre fardeau normatif et compétitivité

Quel que soit le coût financier de la charge administrative pesant sur les entreprises, il est incontestable qu'elle handicape leur compétitivité.

Du point de vue macroéconomique, le poids de la réglementation est l'une des composantes de l'indice de compétitivité mondiale223(*) calculé régulièrement à l'occasion du Forum économique mondial. Le classement en 2018 plaçait la France au 107ème rang sur 140 pays pour le fardeau administratif. En 2019224(*), Singapour était considérée comme l'économie la plus compétitive, la France se classant 15ème, avec un score de 79/100, mais seulement 65ème pour performance du secteur public en raison du « fardeau de la réglementation » avec un score de 42,8/100.

Une note de France Stratégie de novembre 2019 a souligné que « si la France n'avait pas révisé son environnement réglementaire depuis 1998, le taux de chômage serait aujourd'hui plus élevé d'environ 2 points de pourcentage et le PIB plus faible d'environ 2,5 points ». Au-delà de sa contribution au plein emploi, « une réglementation mal calibrée peut créer des situations de rente pour les entreprises, avec pour conséquence des prix en hausse et une moindre qualité des biens et services. D'où l'importance d'améliorer la réglementation de manière à ne pas entraver la concurrence afin de contribuer à une baisse des prix, donc à une augmentation du pouvoir d'achat, et à une hausse de la production donc de l'emploi », comme l'a estimé, lors de son audition du 4 avril, M. Vincent Aussiloux.

« Une meilleure qualité du droit favorise l'initiative économique ainsi que le développement des petites et moyennes entreprises. Une baisse des charges administratives peut en outre avoir des effets significatifs sur la croissance et l'emploi. Un effort en ce domaine est également nécessaire pour renforcer l'attractivité de notre territoire, surtout dans un contexte d'exacerbation de la concurrence entre systèmes juridiques par les classements internationaux de compétitivité. Plus généralement, le poids de la France et de ses entreprises dans l'économie mondiale et la vie des affaires dépend de l'influence de son droit et de la tradition juridique continentale par rapport à celle des pays de common law » : ce constat du Conseil d'État, dressé en 2016, est toujours valable

La simplification est un instrument de défense de la compétitivité de notre pays.

Une injonction de la stratégie nationale d'orientation de l'action publique, annexée à la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance doit être constamment mise en avant dans le champ de la vie des entreprises :

« Toute décision publique prend en compte le coût qu'elle implique pour son auteur, ses destinataires et les tiers ainsi que la complexité des règles particulières qu'ils doivent appliquer et respecter. Ce coût et ces règles doivent être limités au strict nécessaire et proportionnés aux objectifs à atteindre ».

Bien que non normatifs, trop nombreux pour constituer de véritables principes généraux et se contentant parfois de reprendre des principes innervant déjà l'activité administrative (« Ce serait, en outre, faire ombrage, à l'ensemble des agents publics que de considérer le rôle de conseil loyal vis-à-vis de l'usager comme un principe neuf pour l'administration » avait estimé le rapport de la commission spéciale du Sénat qui avait examiné ce texte225(*)), ces principes doivent être constamment à l'esprit des producteurs de normes en direction des entreprises.

La complexité administrative pèse en effet davantage sur les PME et les TPE qui sont moins armées que les grandes entreprises et les grandes ETI pour l'affronter et la gérer.

Le double préalable nécessaire est :

- d'une part, une méthode de calcul de la charge administrative et des autres coûts directs qui, tout en s'inspirant des méthodes retenues par la Commission européenne et les institutions internationales (OCDE notamment), serait adaptée aux particularités françaises, cette méthode devant permettre d'estimer les coûts et les charges induits par toute nouvelle norme selon les catégories de destinataires (PME et TPE) ;

- d'autre part, d'en faire une politique publique à part entière claire, globale et stable sur la dur ée d'une législature.

Dans cet objectif, il convient de :

- former spécifiquement les producteurs de normes à la simplification et à la qualité du droit en enseignant le principe suivant lequel la prise en charge de la complexité revient à l'administration et non à l'usager ;

- étendre les dispositifs de guichet unique et « dites-le nous une fois » à un plus grand nombre de démarches incombant aux usagers et aux entreprises.

2. Agir à droit constitutionnel constant

Le Parlement a sa part de responsabilité dans l'inflation législative, tant par les lois qu'il adopte que par les décrets d'application rendus nécessaires.

Des mesures d'autodiscipline ont été activées.

Depuis 2015, l'irrecevabilité peut être soulevée à l'encontre de toute proposition de loi, de tout amendement qu'il soit parlementaire ou gouvernemental et des modifications apportées par les commissions saisies du texte, dès lors que ces initiatives n'appartiennent pas au domaine de la loi. Alors que l'irrecevabilité était du monopole gouvernemental depuis 1958, la procédure a été « parlementarisée » et peut être également invoquée à l'égard des amendements du gouvernement, corrigeant le déséquilibre de 1958 entre les deux initiatives226(*).

Il s'agit d'une contrainte forte sur l'initiative parlementaire.

Peut-on aller plus loin au niveau constitutionnel ? Poursuivant cet objectif, une proposition de loi constitutionnelle visant à lutter contre la surréglementation a été rejetée le 4 avril 2019 par l'Assemblée nationale.

Elle aurait complété l'article 37-1 de la Constitution pour poser le principe selon lequel tout texte de niveau législatif ou réglementaire qui introduit une norme contraignante pour les entreprises doit corrélativement en supprimer une. La mise en oeuvre de cette règle devrait s'entendre d'un point de vue qualitatif (des normes de même valeur doivent être concernées) et quantitatif (la règle supprimée doit entraîner une diminution des coûts administratifs ou globaux identique ou proche de celle créée). Elle devrait en outre s'accompagner d'une amélioration significative de la qualité des études d'impact qui accompagnent les projets de textes. Par ailleurs, elle aurait instauré la règle selon laquelle aucune loi ou règlement ne peut poser, en droit interne, des exigences qui vont au-delà de celles définies par le texte européen.

Lors des débats, le Gouvernement a mis en avant le flou des notions de norme « contraignante », de « surtransposition », de « compensation » pour s'y opposer.

La voie constitutionnelle, comme la voie organique, difficilement praticables, ne peuvent apporter une réponse urgente et concrète à l'objectif de simplification des normes applicables aux entreprises.

3. Objectiver pour se doter d'objectifs

Avant de lancer une politique de simplification, il convient au préalable de se doter d'une méthodologie rigoureuse et partagée entre toutes les parties prenantes de l'évaluation, pour, en priorité :

- Identifier les « normes » applicables aux entreprises, en reprenant l'étude du Conseil d'Etat de 2016, aux « droits », « codes », « régimes », « règles », « dispositions », « dispositifs », s'ajoutent les « conditions d'accès »,« obligations », « procédures », « démarches », « formalités », « formulaires », « pièces justificatives », « contrôle administratif ».

Cela implique de se placer du point de vue de l'entreprise, qui doit appliquer cet empilement de règles et de procédures.

- Recenser le stock exact de normes actuellement applicables aux entreprises, ce qui suppose de ne pas tenir compte des normes obsolètes.

Cela implique de partir des entreprises, de leur vécu administratif, dans une démarche ascendante.

- Construire un agrégat227(*) du coût des normes applicables aux entreprises, sur le modèle allemand élaboré par le NKR.

Cela permettrait, à partir d'un « moment zéro », par exemple le 1er janvier 2025, de mesurer son évolution, de permettre des comparaisons européennes, et de fixer un objectif d'allégement du poids de normes sur les entreprises.

Par ailleurs, une méthodologie rigoureuse de l'évaluation devrait pouvoir être élaborée à l'issue d'états généraux de l'évaluation de la politique de simplification, afin d'adopter des règles communes à tous les évaluateurs.

B. SEPT RECOMMANDATIONS POUR CONSTRUIRE UNE POLITIQUE PUBLIQUE DE SIMPLIFICATION AFIN D'ALLÉGER LE FARDEAU ADMINISTRATIF PESANT SUR LES ENTREPRISES FRANÇAISES

1. Engager une politique de long terme, partagée par tous les pouvoirs publics
a) Inscrire dans la durée une simplification des normes applicables aux entreprises

La politique de simplification doit d'abord être pérenne, survivre aux alternances, sanctuarisée et transpartisane.

Le rapport du Sénat sur la loi de simplification du droit de 2007228(*) soulignait déjà que : « La simplification du droit doit être une démarche permanente. Pour ce faire, il est donc nécessaire que des organes d'impulsion et de suivi pérennes et efficaces puissent assurer la coordination des démarches de simplification du droit dans l'ensemble des administrations ».

Il est tout autant regrettable que la loi de simplification de mai 2011 ait supprimé le conseil d'orientation de la simplification administrative (COSA), créé en 2003 par la première loi de simplification du droit, au motif qu'il ne se réunissait plus depuis plusieurs années, et que le Conseil de simplification pour les entreprises, expérimenté en 2014-2017, n'ait pas été pérennisé, en dépit de la proposition de loi de septembre 2017 issue des travaux de la délégation aux Entreprises.

Pour donner l'impulsion politique nécessaire à l'atteinte des objectifs du choc de simplification annoncé en 2014, un Secrétaire d'État auprès du Premier Ministre à la Réforme de l'État et à la Simplification est nommé, à compter de juin 2014. Cependant, trois personnalités se sont succédés et la volonté simplificatrice s'est rapidement diluée. L'organisation de l'administration centrale en matière de simplification a été également instable.

Cette démarche de simplification doit s'inscrire dans le temps long. Elle n'est pas sans rappeler la planification qui tendait à s'affranchir du court terme, en insistant sur le caractère interministériel et pluriannuel de l'action publique, sachant que « l'action publique, telle qu'elle est aujourd'hui conçue et mise en oeuvre, se passe d'un « plan d'ensemble » qui intégrerait la totalité des enjeux et des dimensions, misant plutôt sur des outils de programmation thématiques, reliés entre eux par un cadre général centré sur les enjeux budgétaires et sur la régulation plus ou moins rigide des initiatives privées »229(*).

Puisqu'il existe une programmation pluriannuelle des finances publiques, il peut y avoir une programmation pluriannuelle de la simplification au bénéfice des entreprises.

Ce temps long est aussi celui de l'évaluation, qui doit devenir un « véritable outil de débat démocratique et de décision », selon le rapport que le Conseil d'État lui a consacré en 2020. Or, « le temps de l'évaluation n'est pas celui de l'action politique. Le temps de la décision politique s'accélère, alors que le temps de l'évaluation n'est pas compressible à l'infini ». C'est la raison pour laquelle la politique de simplification doit être cyclique, avec des allers-retours permanents entre le programme d'action et son évaluation.

Un maximum de normes doit être englobé dans ce programme de simplification qui doit être le plus large possible en prenant en considération l'ensemble de la hiérarchie des normes. Les autorités indépendantes régulant des secteurs économiques doivent être invitées à présenter leurs recommandations de simplification, y compris en matière de « droit souple ».

Avant de lancer une politique de simplification, il convient au préalable de se doter d'une méthodologie rigoureuse et partagée entre toutes les parties prenantes de l'évaluation, pour, en priorité :

ü Identifier les « normes » applicables aux entreprises, aux « droits », « codes », « régimes », « règles », « dispositions », « dispositifs », auxquelles s'ajoutent les « conditions d'accès », « obligations », « procédures », « démarches », « formalités », « formulaires », « pièces justificatives », « contrôle administratif ».

ü En se plaçant du point de vue de l'entreprise, recenser le stock exact de normes actuellement applicables aux entreprises.

ü Construire un agrégat des normes applicables aux entreprises, permettant, à partir d'un « moment zéro », par exemple le 1er janvier 2025, de mesurer son évolution, facilitant les comparaisons européennes, afin de fixer un objectif d'allégement de leur poids.

Recommandation  : évaluer le poids des normes.

b) Faire partager la politique de simplification par tous les acteurs de la fabrication de la norme

La démarche de simplification pour les entreprises doit ensuite être portée au plus haut niveau de l'État, non partisane, et être partagée par tous les auteurs de la norme :

Le Parlement, avec le vote, tous les 5 ans, d'une loi de programmation de la simplification des normes applicables aux entreprises.

Les lois de programmation constituent une catégorie particulière de normes. Elles ont pour objectif d'associer le Parlement à la définition des objectifs de l'action du Gouvernement dans tous les domaines. Elles doivent comporter un catalogue d'objectifs, qualitatifs ou quantitatifs. Elle permet la consultation du Conseil économique, social et environnemental, obligatoire pour les avant-projets de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental. Leur objectif doit être une réduction de 25 % des coûts de la charge administrative pesant sur les entreprises d'ici 2035, soit en dix ans. La première loi devra donc être votée avant le 1er janvier 2025.

Par ailleurs, afin de mobiliser l'ensemble du Parlement, seraient présentés, en début de chaque législature à l'Assemblée nationale comme au Sénat, les objectifs, missions et le programme de simplification par le Conseil national de simplification pour les entreprises, avec des indicateurs de suivi. Cette présentation pourra être déclinée dans les commissions parlementaires concernées afin de diffuser une culture partagée de la simplification.

Le gouvernement et le Président de la République, avec la discussion, tous les 6 mois, de l'état d'avancement du programme de simplification en Conseil des ministres, en s'inspirant du pilotage « de la mise en oeuvre effective des réformes prioritaires du Gouvernement et de la diffusion dans les administrations du pilotage par l'impact et la culture du dernier kilomètre » 230(*).

Ces points d'étape réguliers permettront d'impliquer le Président de la République et d'associer l'ensemble du Gouvernement. L'exécutif pourra ainsi donner une impulsion politique forte au programme de simplification dans tous les départements ministériels et les administrations.

Seul l'engagement constant du Président de la République et son attention continue sont, dans notre système institutionnel, les gages de réussite de cette politique de simplification qui doit s'inscrire dans le temps long.

Le Conseil d'Etat, la Cour de cassation, la commission supérieure de codification, tout comme les autorités indépendantes, doivent émettre régulièrement des propositions de simplification des normes dans leurs domaines respectifs, lors de la publication de leurs rapports annuels.

Les entreprises et les salariés doivent être associés, avec la discussion, tous les 2 mois, de l'état d'avancement du programme de simplification, au sein du Conseil économique social et environnemental puis au sein du le Conseil national de simplification pour les entreprises, permettant d'instituer une concertation permanente avec toutes les parties prenantes avec la participation des organisations représentatives des entreprises (MEDEF, CPME, METI, U2P, CCI France) mais également des organisations représentatives des salariés. Elles pourraient ainsi présenter leurs demandes et recommandations de simplification.

L'administration doit se mobiliser en faveur de la simplification des normes applicables aux entreprises, avec la création d'un Haut-commissaire à la simplification, directement rattaché au Premier ministre, et collaborant étroitement, d'une part, avec le Secrétaire général du Gouvernement et, d'autre part, avec le Secrétaire général pour les affaires européennes, pour la prévention des surtranspositions de directives européennes.

Recommandation  : engager une politique publique de long terme associant tous les acteurs de la norme :

ü Voter une loi de programmation de la simplification des normes applicables aux entreprises d'une durée de cinq ans, pouvant être ajustée à mi-parcours ;

ü Discuter en Conseil des ministres, tous les 6 mois, de l'état d'avancement du programme de simplification ;

ü Débattre au sein du Conseil national de simplification pour les entreprises, tous les 2 mois, de l'état d'avancement du programme de simplification entre les parties prenantes. Les autorités indépendantes, le Conseil d'État, la Cour de cassation et la Commission supérieure de codification, seront incités à présenter leurs recommandations de simplification.

2. Créer un Conseil national de simplification pour les entreprises

Suite au précédent rapport de la délégation aux Entreprises consacré à la simplification, une proposition de loi organique231(*) avait été déposée en 2017 afin de « durcir » le contenu des études d'impact en ajoutant :

- l'évaluation des coûts induits par le projet de loi pour les entreprises et les collectivités territoriales, en indiquant la méthode de calcul retenue ;

- l'apport des dispositions envisagées en termes de simplification du droit, y compris en ce qui concerne le choix des dates d'entrée en vigueur ;

- les mesures prévues pour faciliter l'évaluation de la loi dans un délai de cinq ans après son entrée en vigueur,

- et en l'étendant aux projets de loi tendant à la transposition d'un acte législatif européen qui excèdent les exigences minimales de cet acte et en prévoyant son actualisation, après la première lecture par chaque assemblée, du projet de loi auquel il se rapporte.

Le contrôle de la qualité de l'étude d'impact était abordé par une proposition de loi232(*), qui entendait reconduire le Conseil de la simplification pour les entreprises, mais en renouvelant ses missions et sa composition, afin qu'il assure une contre-expertise indépendante des études d'impact produites par l'administration.

La délégation aux Entreprises du Sénat renouvelle cette recommandation, en proposant la création d'une agence, autorité indépendante, distincte, d'une part, du Conseil national d'évaluation des normes, et d'autre part, du Conseil national parlementaire d'évaluation dont la création est envisagée par l'Assemblée nationale233(*).

Le CNEN aurait pu être doté d'un collège distinct, afin de traiter les normes applicables aux entreprises en plus de la mission qu'il conduit depuis 2013 en direction des normes applicables aux collectivités locales. Cependant, les deux champs relèvent de problématiques spécifiques, avec une dimension davantage économique que juridique s'agissant des normes applicables aux entreprises, dans un rapport d'autonomie entre des émetteurs de normes publiques et des acteurs privés chargés de les appliquer.

Par ailleurs, la simplification des normes relève moins de l'évaluation que de l'action publique. Les temporalités sont différentes. La simplification doit intervenir ex ante alors que l'évaluation est ex post. L'indépendance de l'évaluation, amenée à juger les études d'impact des projets de loi ou d'amendements du Gouvernement, serait par ailleurs difficilement compatible avec le fait majoritaire. C'est la raison pour laquelle le choix a été fait de proposer une nouvelle autorité indépendante.

Son président sera nommé en conseil des ministres, au titre de l'article 13 de la Constitution, permettant ainsi au Parlement, lors des auditions en vue de sa confirmation, d'être sensibilisé au programme de simplification dès le processus de sa nomination. Pour asseoir son indépendance, il serait nommé pour cinq ans dans la foulée de l'élection présidentielle.

Le Conseil national sera composé de chefs d'entreprise, qui y seront majoritaires, et de fonctionnaires, pour un mandat de 5 ans non renouvelable.

Pour élaborer son programme de simplification, elle sera épaulée par un conseil scientifique comprenant les parties prenantes de l'administration et de l'évaluation234(*).

Le rôle du Conseil national serait le suivant :

4. assurer le dialogue avec le monde économique et contribuer à la participation des entreprises à la conception et à la mise en oeuvre des mesures de simplification ;

5. proposer au gouvernement des axes prioritaires de simplification et le conseiller sur toute solution innovante ou mesure nouvelle de nature législative, réglementaire ou administrative qui lui semblerait devoir être retenue ;

6. suivre les réalisations du programme de simplification pour les entreprises et réaliser, directement ou indirectement, l'évaluation de ses résultats ;

7. contribuer à faire connaître les résultats obtenus auprès des entreprises, des organisations professionnelles et du grand public235(*) ;

8. donner un avis236(*) pour chaque projet de loi (y compris les projets de lois de transposition de directive), d'ordonnance ou de décret créant une charge nouvelle significative (avec un seuil à déterminer : 10 millions ?) pour les entreprises. En cas d'avis négatif, le Gouvernement devra « transmettre un projet modifié ou des informations complémentaires en vue d'une seconde délibération »237(*). L'avis sera rendu public en étant annexé à l'étude d'impact.

Le Conseil national ne pourra se prononcer sur la finalité et l'opportunité de la norme.

Il disposera de moyens humains et budgétaires conséquents.

Il disposera, en tant que de besoin, de l'assistance de la Cour des comptes, de l'INSEE et de France Stratégie. Il pourra mener des études conjointes avec ces derniers, ainsi qu'avec le Conseil économique, social et environnemental.

Il devra également travailler en étroite collaboration avec le Délégué interministériel aux normes, lequel fixe, par délégation du Ministre chargé de l'industrie, les grandes directives générales de la normalisation et exerce la tutelle du Ministre de l'industrie sur les activités de l'AFNOR.

Il disposera du pouvoir d'autosaisine et pourra être également saisi par les commissions parlementaires ainsi que par les organisations patronales et syndicales, pour évaluer l'impact économique des propositions de lois, sur les entreprises.

S'agissant du Conseil national d'évaluation des normes, une proposition de résolution du Sénat238(*) propose de le rattacher aux services du Premier ministre, de le rapprocher de l'INSEE et souhaite également que ses avis soient inclus dans les études d'impact.

Si la quantification des coûts de conformité supportés par les entreprises était réalisée par l'INSEE, les moyens de ce dernier devraient être substantiellement renforcés afin de recruter des agents supplémentaires.

Consultées le 30 mai, les organisations représentatives des entreprises se sont déclarées favorables à cette orientation, de même que la CFDT qui s'est également prononcée pour : « un processus qui permette non seulement d'évaluer les normes en aval, mais également de les co-construire en amont, afin de viser un « mieux de normes ». La question de créer une instance ad hoc ou de confier cette mission aux différentes instances compétentes selon les champs doit être expertisée »239(*).

3. Nommer un Haut-commissaire à la simplification pour les entreprises

Pour animer l'esprit et diffuser la culture de la simplification économique dans les ministères et leurs administrations, un Haut-commissaire à la simplification économique doit être créé.

Deux options sont envisageables :

- soit il a un rang ministériel, afin de lui permettre de participer aux conseils des ministres. Cependant, l'action de simplification doit s'inscrire dans la durée, indépendamment de l'action politique de court terme ;

- soit, sans faire partie du gouvernement, il occupe une place singulière et éminente dans l'administration, en étant placé auprès du Président de la République afin d'être l'interlocuteur régulier, d'une part, du Secrétaire général du Gouvernement et, d'autre part, du Secrétaire général pour les affaires européennes, pour la prévention des surtranspositions de directives européennes

Le dispositif doit s'inspirer du décret n°2020-1101 du 1er septembre 2020 instituant un Haut-commissaire au plan240(*), en s'inscrivant dans la logique de la deuxième option.

Il pourrait être épaulé par un réseau de correspondants dans chaque ministère, chaque autorité indépendante ou agence de l'État.

Le Haut-commissaire sera responsable :

- de la coordination interne en vue de la production des études d'impact, en mobilisant les compétences des corps de contrôle,

- de la revue périodique du stock de normes et de procédures d'autorisation afin d'en vérifier la pertinence,

- de la construction d'un agrégat du coût des normes pour les entreprises,

- de l'évaluation ex-post des normes créées afin de déterminer si leur application est conforme à l'objectif initial.

Il devra pouvoir disposer du concours de France Stratégie et des administrations et services de l'État susceptibles de contribuer à l'accomplissement de sa mission. Il sera rattaché, pour sa gestion administrative et financière, au Secrétaire général du Gouvernement . Les moyens de fonctionnement liés à sa mission, notamment les crédits de personnel, seront inscrits au budget du Premier ministre. Ses services, dirigés par un secrétaire général, comportera une structure centrale légère, et des correspondants à la simplification économique dans les principaux ministères concernés241(*).

Le Haut-commissaire assurera par ailleurs le secrétariat du Conseil national de la simplification pour les entreprises.

Recommandation  : conduire une politique de simplification au sein de l'administration d'État associant les entreprises :

ü Créer, par la loi, un Conseil national de simplification pour les entreprises ;

ü Nommer un Haut-commissaire à la simplification pour les entreprises, pour cinq ans, en conseil des ministres, et désigner dans les ministères, établissements publiques et agences de l'État concernés un correspondant à la simplification.

4. Renforcer l'association des entreprises aux normes les concernant en instaurant un principe de différenciation
a) Mieux consulter les entreprises

L'État doit davantage consulter les représentants des organisations patronales et syndicales sur les réformes et les normes d'une ampleur significative ayant un impact sur les entreprises.

Un engagement comparable a été pris par les instances européennes depuis le paquet « Mieux légiférer » présenté en mai 2015. L'accord interinstitutionnel qui en découle, du 13 avril 2016, prévoit ainsi de renforcer les consultations publiques : « La Commission mènera, avant l'adoption d'une recommandation, des consultations publiques d'une manière ouverte et transparente, en veillant à ce que les modalités et les délais dont elles seront assorties permettent une participation la plus large possible. La Commission encouragera en particulier la participation directe des PME et des autres utilisateurs finals aux consultations. Il s'agira notamment de consultations publiques sur l'internet. Les résultats des consultations du public et des parties intéressées sont communiqués sans tarder aux deux colégislateurs et rendus publics. »

L'appréciation des conséquences économiques d'une réglementation pose toutefois une double difficulté : celle de sa temporalité et celle de la capacité de l'administration à l'effectuer.

D'une part, l'évaluation ex ante du coût pour les entreprises d'une norme requiert en effet un temps peu compatible avec les processus de décision. D'autre part, les services juridiques des administrations qui écrivent la norme sont parfois dépourvus des ressources et des compétences pour évaluer son impact économique. Le rapport de Bruno Lasserre de 2004, avait parfaitement analysé cette double difficulté :

« La première tient à la capacité actuelle des administrations productrices de normes à y procéder. Si ces capacités existent dans certains ministères, dotés de services d'évaluation ou de services statistiques, ce n'est pas le cas général et dans ceux qui en sont dotés le recours à ces services pour procéder à des études ex ante n'est pas une étape habituelle dans le processus réglementaire. Par ailleurs, des études économiques sont évidemment effectuées en dehors de l'administration (universités, structures privées) pour éclairer, voire justifier des réglementations de nature économique mais elles ne sont pas toujours accessibles, soit qu'elles restent confidentielles, soit qu'elles interviennent trop tard (pour les études ex ante à une étape du processus de réglementation qui ne permet plus à l'auteur de la norme d'en tenir compte) ou ne répondent pas toujours à des préoccupations de l'administration. En résumé, le temps des études économiques n'est aujourd'hui, en France, pas le même que celui de la réglementation ».

Quant à la seconde difficulté, « qui tient aux controverses que ces études économiques sont susceptibles de faire naître dans l'opinion, ce qui n'incite guère, en contrecoup, les administrations à y procéder et à les mettre sur la place publique », elle constitue, au contraire, la principale faiblesse de l'étude d'impact, à savoir sa « non-discutabilité ». C'est la raison pour laquelle la commission des Lois du Sénat, récemment saisie d'une proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi242(*) a émis, à juste titre, des « réserves fondamentales persistantes » sur le régime actuel des études d'impact, récusant « l'idée d'une évaluation neutre, technique et objective de l'impact d'une loi, alors que l'initiative d'une loi est d'abord un acte politique par excellence et que l'on peut considérer que l'impact d'un projet de loi est précisément l'objet du débat parlementaire. La nécessité de légiférer ne peut pas être dictée de façon systématique par des arguments techniques, sauf à priver le débat politique et parlementaire de toute utilité, au motif qu'une loi qui présenterait un impact présenté comme étant positif ne pourrait être qu'approuvée ». L'étude d'impact ne peut alimenter « un discours positif qui surplomberait voire transcenderait toutes les oppositions politiques pour présenter de manière totalement objective des vérités qui s'imposeraient à tous ».

Le rapport Lasserre de 2004 tirait donc la conséquence logique des difficultés recensées en enjoignant l'administration « d'admettre que la réalisation d'études de coûts demande du temps (et a elle-même un coût) et a donc nécessairement comme conséquence d'allonger le processus de décision, quelle qu'en soit l'issue ». La culture administrative doit évoluer profondément en acceptant de s'ouvrir davantage au monde économique afin de mieux tenir compte de ses contraintes. Il n'est plus possible de construire des politiques publiques, de proposer des réformes globales ou des mesures ponctuelles qui auront un impact sur les millions d'entreprises sans consultation préalable de leurs représentants ou sans la constitution de panels représentatifs.

La concertation, qui a succédé à l'économie dirigée243(*), doit être systématique, car le droit négocié est plus efficace dans le domaine économique qu'un droit imposé, comme le succès de la normalisation l'a montré. Elle doit se réaliser au stade de l'élaboration même de la décision, au niveau global (aspect macroéconomique), de la branche d'activité (aspect sectoriel) et de l'entreprise (aspect microéconomique).

La consultation des intérêts privés doit participer à la construction de l'intérêt général pour créer les conditions d'une organisation efficace et efficiente de l'économie.

b) Mieux différencier les normes applicables aux entreprises

L'article premier de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale a intégré dans le code général des collectivités territoriales le principe suivant :

« Art. L. 1111-3-1.-Dans le respect du principe d'égalité, les règles relatives à l'attribution et à l'exercice des compétences applicables à une catégorie de collectivités territoriales peuvent être différenciées pour tenir compte des différences objectives de situations dans lesquelles se trouvent les collectivités territoriales relevant de la même catégorie, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit proportionnée et en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. »

La loi reconnaît désormais que les règles relatives à l'attribution des compétences des collectivités territoriales et à leur exercice, applicables à une catégorie de collectivités territoriales, peuvent être différenciées dans le respect du principe d'égalité.

En s'inspirant de cette avancée, et en s'appuyant sur l'avis du Conseil d'Etat du 6 mai 2021, selon lequel « la différenciation ne peut être le fait d'un seul texte particulier. Elle relève bien davantage d'un processus et d'une action au long cours, qui touche à l'élaboration des normes législatives et règlementaires », le principe de différenciation des normes selon la taille de l'entreprise doit être reconnu et intégré dans toute l'action normative.

Recommandation  : renforcer l'association des entreprises aux normes les concernant et mieux différencier les normes selon la taille de l'entreprise :

ü La concertation doit être systématique, car le droit négocié est plus efficace dans le domaine économique qu'un droit imposé. Elle doit se réaliser au stade de l'élaboration même de la décision, au niveau global (aspect macroéconomique), de la branche d'activité (aspect sectoriel) et de l'entreprise (aspect microéconomique).

ü La norme doit être différenciée selon la taille de l'entreprise, en s'inspirant du droit à la différenciation reconnu aux collectivités territoriales par la loi « 3DS » n° 2022-217 du 21 février 2022.

5. Expérimenter, tester, évaluer
a) Faire de l'étude d'impact un moyen de renforcer, dans l'administration, l'analyse des coûts économiques des normes applicables aux entreprises

Les études d'impact devant pouvoir présenter les résultats de cette concertation qui doit se traduire par une approche plus qualitative, à savoir l'impact de la future norme sur l'organisation des entreprises.

C'est la raison pour laquelle l'évaluation du coût d'une norme pour les entreprises doit débuter dès l'annonce d'une politique publique, qui doit être systématisée lors de la communication du ministre concerné, en partie C du compte-rendu du conseil des ministres, afin de réaliser également les concertations nécessaires et de procéder au « test PME » déjà évoqué. Dans l'idéal, cette communication pourrait donner lieu à un débat d'orientation au Parlement, afin de discuter des options proposées par l'étude d'impact qui serait présentée oralement par le Gouvernement lors de la première lecture du projet de loi devant chaque assemblée et serait actualisé, en tant que de besoin, au cours de la navette parlementaire.

L'autre difficulté des études d'impact est liée au fait que l'analyse des coûts économiques d'une norme peut difficilement être réalisée par le service juridique de l'administration concernée. Le rapport Lasserre de 2004 proposait en conséquence de mutualiser les ressources disponibles autour d'un « pôle de compétences » économiques.

Lors de son audition du 9 mars, M. Charles Touboul maître des requêtes au Conseil d'État, rapporteur pour l'étude du Conseil d'État de 2016, a convenu que : « Pour être meilleurs, il nous faudrait de meilleurs outils de mesure de cette charge administrative. Si le travail n'a pu être mené au Conseil d'État, en toute franchise, c'est aussi parce que nous sommes plus loin de nos bases. Mesurer l'impact économique, social et parfois environnemental d'une norme n'est plus du droit. Nous sommes de bons contrôleurs, mais pas des « faiseurs », et de ce fait, sommes moins armés pour faire des préconisations dans ce domaine ».

Le pôle de compétence, évoqué dans le rapport Lasserre de 2004, aurait été chargé :

- d'apporter un appui technique pour l'évaluation économique (coopération au cas par cas avec les services d'évaluation, élaboration de guides méthodologiques par type d'analyse ou par secteur) ;

- d'assurer, à la demande, le contrôle de qualité des études d'impact. Les expériences étrangères montrent que la légitimité de ce pôle de compétence repose sur trois piliers : (1) sa capacité d'expertise (expertise juridique et économique), (2) sa neutralité vis-à-vis des autorités réglementaires et (3) sa proximité du centre décisionnel. Ces contraintes s'avérant assez souvent incompatibles entre elles, notamment les deux dernières, les pays précurseurs ont en général adopté une attitude pragmatique, retenant une solution de second rang par rapport à ce schéma idéal.

L'enjeu à ce stade étant de construire un dispositif rapidement opérationnel, la solution suivante pourrait être envisagée : le SGG agirait comme une tête de réseau et déléguerait ses missions d'appui méthodologique et de contrôle de qualité à un pôle économique. La certification de la qualité de l'étude serait assurée à la demande du SGG ou du ministère. Le principe d'unicité du pôle doit être rappelé dans la mesure où il permet une normalisation des études d'impact ainsi qu'une accumulation d'expérience. Le critère de choix de ce pôle doit clairement être le professionnalisme, ce qui implique pour l'expertise économique le recours à des micro-économistes ayant une pratique transsectorielle de l'évaluation.

Avant qu'un véritable pôle soit créé, le SGG et les ministères seraient autorisés à faire directement appel et sans formalisme particulier, au cas par cas, à ces experts, qui pourraient être choisis au sein de la direction de la Prévision et de l'Analyse économique et qui, progressivement, contribueraient à sa création.

Source : Rapport « Pour une meilleure qualité de la règlementation », 1er mars 2004.

Cependant, cette voie interne à l'administration n'est pas susceptible d'assurer un contrôle efficace de l'évaluation du coût de la norme, car ce coût, évalué par l'administration sur le plan théorique, doit être confronté à la réalité de la vie des entreprises et donc soumis à l'appréciation concrète des parties prenantes de l'entreprise. Toute norme ayant des conséquences sur la vie de l'entreprise doit pouvoir être évaluée par les organisations patronales, tout comme « toute norme ayant des conséquences sur les droits, garanties et conditions de travail des salariés devrait pouvoir être évaluée par les syndicats »244(*).

L'étude d'impact doit :

- être engagée au plus tôt, dès l'annonce d'une réforme législative ou d'une politique publique ayant un impact significatif sur les entreprises, d'un montant supérieur à 10 000 euros pour les PME, 100 000 euros pour les ETI et 1 million pour les grandes entreprises ;

- être étendue aux amendements du Gouvernement, déposés au cours de la navette parlementaire et ayant un impact significatif sur les entreprises ;

- être réalisée par un service mutualisé, interministériel, placé auprès du SGG, pour appuyer les administrations centrales dans cet exercice et principalement pour évaluer la charge des normes pour les entreprises. L'analyse doit être économique et non juridique ;

- être complétée par une évaluation régulière du stock des normes, des procédures et des autorisations administratives, aux moments clés de la vie des entreprises, par les administrations principalement concernées.

b) Développer l'expérimentation dans le champ économique

L'expérimentation doit être davantage utilisée pour tester des innovations, accélérer et simplifier les procédures et évaluer la pertinence de la réglementation. Celle-ci devrait être adaptée pour ne pas bloquer la diffusion d'une innovation performante pour contribuer de manière conséquente à atteindre un ou plusieurs des objectifs de développement durable.

L'adaptation au changement climatique, l'impératif de décarbonation, le rétablissement de la biodiversité constituent des enjeux structurels fondamentaux pour la préservation de notre société et des niveaux de vie. Ils exigent des innovations fondamentales. Il est indispensable que les innovations puissent être vite testées en levant des réglementations qui les bloquent.

Or, selon M. Vincent Assilloux, de France Stratégie245(*) : « Nous n'avons pas une utilisation du concept de « Bac à sable » aussi fréquent et simple que dans les autres pays. Il est très long et complexe de pouvoir avoir l'autorisation d'expérimenter une innovation et pour cela d'exonérer l'entreprise de certaines réglementations qui sont bloquantes ou qui freinent la mise en oeuvre de l'innovation. Bien entendu, nous avons la procédure France Expérimentation, mais elle est longue : plus d'un an pour faire valider l'exonération d'une réglementation et par ailleurs c'est encore plus long lorsque c'est une norme législative ».

En effet, « la culture juridique française, empreinte d'égalité, de centralisation, de cartésianisme et de légicentrisme, a pu se montrer réticente au développement d'un droit expérimental qui est par nature temporaire, inégal, tâtonnant » a pu constater le Conseil d'État dans son étude de 2019 consacrée à l'expérimentation246(*). Par ailleurs, comme l'a fait remarquer Mme Laure de la Raudière, ancienne députée247(*), « les entreprises ayant besoin de prévisibilité, l'expérimentation pourrait être utilisée davantage afin de permettre des dérogations ».

La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 a donné un ancrage constitutionnel aux expérimentations avec un nouvel article 37-1 précisant que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».

Sa méthodologie repose sur les principes suivants :

- la définition précise des hypothèses et des objectifs poursuivis,

- la fixation d'un délai suffisant pour dégager des résultats probants,

- la constitution éventuelle d'un échantillon, et, ou la collecte de données permettant des comparaisons pertinentes,

- la détermination, en amont de l'expérimentation, de ses critères de succès et de ses modalités d'évaluation.

Entre 2003 et le 29 juin 2019, 269 expérimentations248(*) ont été réalisées, dont 153 sont en cours en 2019, avec une accélération depuis 2017 puisque la période 2017-2019 compte 30 % du nombre total d'expérimentations. S'agissant des suites données, 28 d'entre elles ont été généralisées à l'ensemble du territoire ou de la population et 23 ont été abandonnées, à l'issue ou non d'une évaluation. En revanche, pour 65 expérimentations, aucune information sur leurs issues n'est disponible ou n'a pu être transmise249(*).

Si la très grande majorité des politiques publiques a fait l'objet d'au moins une expérimentation trois domaines de l'action publique représentent 75% des expérimentations fondées sur cet article : les politiques sociales, l'action régalienne et l'éducation nationale. L'économie, avec seulement 14 expérimentations, n'arrive qu'en 8ème position.

Le champ économique a été particulièrement frileux puisqu'il faut attendre la création en 2016 de France Expérimentation250(*) pour que soient réalisées trois expérimentations entre 2016 et 2018. Élargi en 2018251(*), il faut attendre la loi PACTE du 22 mai 2019 pour autoriser cinq nouvelles expérimentations issues du deuxième appel à projet de France Expérimentation. Le Conseil d'État relevait que, en 2019, « la technique expérimentale pourrait être davantage utilisée en matière de fiscalité, s'agissant des éléments incitatifs de la fiscalité, qui n'ont, semble-t-il, jamais fait l'objet d'une expérimentation ».

Comme le souligne cette dernière étude, la montée récente des expérimentations pourrait même s'analyser comme un renoncement à s'attaquer de manière déterminée à la complexité normative : « ce recours accru est aussi un symptôme de la complexité et de la rigidité de notre système normatif. Parce que les lois et règlements sont trop nombreux, trop détaillés, trop complexes, laissent une place insuffisante aux objectifs, au pouvoir règlementaire local, l'action publique et privée, particulièrement quand elle est innovante, se heurte fréquemment à une norme. On recourt à l'expérimentation pour trouver une voie de dérogation dans l'optique, à terme, d'améliorer le cadre normatif. Ce n'est pas toujours la bonne voie : mieux vaut parfois simplifier directement que multiplier les dérogations ».

Pourtant, s'agissant de la vie des entreprises, l'expérimentation apparaît particulièrement justifiée pour lever une incertitude sur la pertinence, l'efficacité ou les modalités de mise en oeuvre d'une mesure. Elle permet d'acquérir les données nécessaires pour prendre la décision finale et de s'assurer que toutes les dimensions d'un problème et conséquences d'une réforme auront bien été prises en compte.

c) Rendre obligatoire le « test PME »

Le recours au « test entreprise » doit être systématisé.

Expérimentation et « test entreprise » sont distincts et complémentaires :

- le « test entreprise » devrait être systématisé pour toutes les normes créant une charge importante pour les entreprises, dans l'objectif de confronter l'étude d'impact théorique de sa mise en oeuvre concrète avec une évaluation « grandeur nature » sur un panel de textes concernant directement les entreprises ;

- l'expérimentation devrait être utilisée dans l'objectif de simplifier, de « faire mieux avec moins ».

Alors que la méthode du « test PME » était considérée comme rodée en 2014252(*), elle n'a pas réellement prospéré.

Expérimenté début 2013 sur les décrets d'application relatifs à la banque publique d'investissement (BpiFrance), le « test PME » avait permis, par la suite, de simplifier plusieurs projets d'actes réglementaires et d'observer des éléments qualitatifs que la simple évaluation théorique ne faisait pas ressortir. Il offre la possibilité d'affiner les projets de textes réglementaires et de prévoir la mise en place, dès le début, de mesures d'accompagnement permettant d'atteindre les objectifs assignés.

Comme l'avait préconisé la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la simplification administrative en 2014, il peut être rendu obligatoire, pour les textes législatifs, et selon l'objet de la réforme envisagée, de réaliser un « test entreprises », ce type de test ne devant pas concerner les seules PME. Il doit également permettre de tester, au-delà du coût de la norme, sa compréhension par les entreprises.

Cette orientation s'est heurtée précédemment à de fortes réticences administratives, empêchées par notre culte de l'égalité : « C'est compliqué, cela met en en cause le principe d'égalité, on va entendre les usagers demander pourquoi on peut bénéficier du guichet unique en Seine-et-Marne et pas en Haute-Loire. Ce qui nous manque, très souvent, c'est l'idée qu'avant de généraliser un système, avant de faire (...) le grand soir de la simplification, il faut plus modestement commencer par des expérimentations, des tâtonnements et apparemment, c'est ce qui a été réalisé avec succès lors de la mise en place du prélèvement à la source. Il faudrait plus systématiquement montrer qu'on a expérimenté ou au moins testé concrètement un dispositif sur le terrain. (...) Il faudrait faire rentrer dans notre culture administrative l'idée qu'avant de généraliser, on teste et on essaye de voir ce qui marche et ce qui marche pas » a ainsi estimé M. Fabien Raynaud, conseiller d'État, lors de son audition du 9 mars.

Le « test PME » doit être développé afin de contribuer à renverser la perspective de la construction des normes applicables aux entreprises. En effet, notre tradition juridique conduit à penser la norme comme applicable à tous les destinataires, donc à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, pour ensuite, éventuellement, les alléger pour les ETI ou les PME puis exempter de leur application les petites PME ou les TPE. Une démarche ascendante est préférable, afin de construire la norme économique en ciblant prioritairement les PME puis en les complexifiant en fonction de la taille de l'entreprise.

Deux moyens sont envisageables ; soit la consultation régulière d'un panel de chefs d'entreprises, mais cela suppose une forte disponibilité, soit la construction, comme aux Pays-Bas, de modèles d'entreprises fictives, constitués à partir d'éléments éprouvés, de différentes tailles et de différentes branches industrielles.

Une méthodologie rigoureuse doit être utilisée. Elle demandera des moyens conséquents si l'on se réfère à un exercice de l'Union européenne de 2015253(*) car il faut :

1/ mesurer l'effet cumulatif des différentes normes, lié à l'existence de plusieurs niveaux d'administration, et la temporalité, l'impact d'une norme différant avec le temps ;

2/ combiner plusieurs méthodes et ne pas se fonder uniquement sur des enquêtes auprès des entreprises, en particulier des PME car elles n'ont pas, de manière générale, une assez bonne connaissance de la législation ou de la réglementation ;

3/ garantir un programme d'entretiens approfondis, lequel demande une pré-sélection à grande échelle, afin de disposer de contacts de PME en nombre suffisant, car des entretiens, même approfondis, peuvent comporter des biais lorsqu'ils ne sont pas assez nombreux. Lors de l`évaluation opérée en 2014-2015 par l'Union européenne, 16 000 PME ont été contactées pour au final ne retenir que 250 entretiens ;

4/ distinguer les entreprises selon leur taille (TPE, PME et ETI) ;

5/ évaluer les coûts des effets cumulatifs de l'impact de la règlementation dans le temps et non pas uniquement sur le moment, compte tenu des processus de décision d'investissements qui s'inscrivent dans le temps long ;

6/ prendre en considération les coûts « psychologiques » de la réglementation constitutives de freins à l'innovation, sans qu'il existe, pour le moment, de méthodologie robuste concernant les réponses comportementales à la norme (boucles de réaction).

d) Évaluer l'efficacité de la norme ex post

Enfin, l'élaboration d'un programme d'évaluation ex post concerté, commun entre le Parlement et d'autres instances d'évaluation254(*) et structuré autour d'échéances régulières d'évaluation des textes et sur la base d'une méthodologie elle-même concertée doit être engagé.

La référence en la matière demeure incontestablement le General Account Office (GAO), ou « Office général de compatibilité » du Congrès des États-Unis255(*). Cet organe d'évaluation performant lui permet d'orienter efficacement l'action publique grâce à quatre leviers256(*) :

- la crédibilité des méthodes employées : fort de ses quarante ans d'expérience, le GAO est conscient que les politiques ne manqueront pas de contester les résultats de l'évaluation si ceux-ci ne les satisfont pas,

- l'indépendance et l'objectivité des évaluateurs : ce besoin d'indépendance et d'objectivité vient du fait que l'évaluateur doit résister aux multiples efforts faits par l'administration pour perturber l'évaluation ;

- la rapidité des réponses faites par les évaluateurs : si l'évaluation peut exiger deux ou trois mois de travail, si celle-ci prend trop de temps, elle peut devenir obsolète ;

- la capacité des parlementaires à poser des questions justes : pour que l'évaluation soit efficace, il faut tout d'abord que les parlementaires posent des questions qui, potentiellement peuvent être embarrassantes ou polémiques et qu'ils prennent ensuite les mesures législatives nécessaires.

L'évaluation de la norme est utile pour comprendre la façon dont elle s'est effectivement déployée (en termes de décrets ou autres documents
d'application, de jurisprudence, mais aussi d'interprétation et d'appropriation par les acteurs), pour mesurer les effets positifs attendus comme les effets négatifs qui n'étaient pas prévus, pour apprécier son efficacité, son efficience, son utilité (c'est-à-dire l'ensemble de ses conséquences, y compris non voulues), sa pertinence et sa cohérence.

Mais l'évaluation nécessite du temps, requiert l'intérêt des parlementaires, de l'État ou de la société civile. Par ailleurs, la norme n'a pas de durée de vie préprogrammée ou d'échéance qui constituerait un moment
précis prévu pour l'évaluation avant son éventuel renouvellement ;
son périmètre est difficile à saisir : les lois font souvent partie d'un paquet ou d'une politique plus large. Parfois, au contraire, une loi comporte de nombreux articles ayant des conséquences pour de nombreuses politiques différentes ; les objectifs de la norme, ses cibles, et la façon dont elle est supposée les atteindre (c'est-à-dire sa logique d'intervention) sont rarement très clairs et ils ont pu changer à travers le processus de mise en oeuvre, ce qui est amplifié par l'absence ou la faible qualité des analyses
d'impact ex-ante ; enfin, il est très rare qu'une norme intègre des cibles chiffrées à atteindre et encore moins un système de suivi et d'évaluation, conséquence de la faiblesse des analyses d'impact257(*).

En Grande-Bretagne, l'examen rétrospectif (Post-implementation reviews, PIR) évalue les effets d'une réglementation gouvernementale sur la base de preuves recueillies avant/pendant/après la mise en oeuvre (généralement après 5 ans) afin de savoir si la norme a atteint les objectifs prévus de la législation et d'évaluer les possibilités de simplification supplémentaire. Cette évaluation est même obligatoire pour les décrets en application de la loi de 2015 sur les petites entreprises.

Le Conseil national pourra réaliser, avec le concours des administrations concernées et des représentants des entreprises, une revue régulière du stock de normes législatives et règlementaires ou de procédures applicables aux entreprises aux moments clés de la vie des entreprises, afin de proposer des mesures de simplification. Il pourra également se saisir de toute norme afin de rechercher si les moyens juridiques, administratifs ou financiers mis en oeuvre permettent de produire les effets attendus de cette politique et d'atteindre les objectifs qui lui sont assignés. Il disposera de la grille d'analyse suivante :

Renouveler

Modifier*

Supprimer

Remplacer

La politique est en voie d'atteindre la plupart ou la totalité de ses objectifs

Les principaux objectifs ont été remplis

Les coûts sont proportionnels aux avantages 

L'intervention de la norme est toujours nécessaire

Il n'y a pas d'alternative moins contraignante pour les entreprises.

Obtenir d'autres avantages

Réduire les coûts ou les charges pour les entreprises

Simplifier le processus de mise en oeuvre

Améliorer la conformité 

Réduire les effets indésirables ou négatifs

Les niveaux de conformité sont insuffisants pour soutenir la réalisation de ses objectifs

Les coûts sont disproportionnés par rapport aux avantages

L'intervention de la norme n'est plus nécessaire (soit parce que les objectifs initiaux ne sont plus pertinents, soit parce qu'il est clair que si la norme était retirée, le problème ne reviendrait pas)

Les niveaux de conformité sont insuffisants pour soutenir la réalisation de ses objectifs

Les coûts sont disproportionnés par rapport aux avantages

Le même objectif pourrait être atteint avec une réglementation qui coûte moins cher, crée moins d'impacts négatifs ou augmente les avantages

* En tenant compte des coûts de transition et en consultant les parties concernées

Le Conseil national pourra s'appuyer, pour cette évaluation, sur les indicateurs d'impact associés aux mesures phare des projets de loi. La circulaire du Premier ministre du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail prévoit qu'au moins cinq indicateurs doivent figurer dans les études d'impact des projets de loi et être présentés en Conseil des ministres258(*).

Recommandations  : expérimenter, tester et évaluer les normes applicables aux entreprises :

ü Engager l'étude d'impact dès l'annonce d'une norme ou d'une politique publique ayant un impact significatif sur la vie des entreprises et mettre à jour l'étude d'impact au cours de la navette parlementaire ;

ü Étendre l'étude d'impact aux amendements du Gouvernement ayant un impact significatif sur les entreprises ;

ü Créer, auprès du SGG, un service mutualisé (interministériel) consacré à l'appui des administrations centrales pour évaluer la charge des normes pour les entreprises ;

ü Développer les expérimentations dans le domaine économique et fiscal ;

ü Recourir obligatoirement au « test PME », pour les normes ayant un impact significatif sur les entreprises ;

ü Procéder régulièrement dans les administrations à une revue du stock des normes, des procédures et des autorisations administratives, aux moments clés de la vie des entreprises.

6. Mieux accompagner les entreprises dans la compréhension de la norme

L'administration doit produire moins de circulaires et éditer davantage d'informations sur la norme, dans un langage accessible et compréhensible.

Les coûts de mise en conformité avec les normes ont tendance à diminuer lorsque les PME se familiarisent avec leurs exigences.

Par ailleurs, à de nombreuses occasions, les entreprises renoncent à demander une aide publique car elles ne comprennent pas le vocabulaire utilisé et/ou les procédures exigées par les administrations.

La circulaire du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail a estimé, à juste titre, ce flux « beaucoup trop important ». Son examen détaillé fait ressortir que, par les circulaires, l'administration se parle à elle-même259(*). La nouvelle instruction du Premier ministre a été de centrer exclusivement cet outil « sur l'objectif d'améliorer l'accompagnement et le suivi de l'exécution des réformes et des transformations de l'action publique ». Par ailleurs, constatant que « les circulaires de commentaires ou d'interprétation de la norme [étaient] des outils du passé inadaptés aux nécessités de notre époque marquées par la transparence et l'accès immédiat et partagé à l'information », le chef du Gouvernement a demandé de remplacer ces circulaires par la mise à disposition d'une documentation, régulièrement tenue à jour, sur les sites internet des ministères.

Cette orientation doit être encouragée car l'usager de la norme, citoyen ou chef d'entreprise, est désormais bien souvent dans l'incapacité de la comprendre, tellement sa lecture est complexe, en raison notamment de la codification. Les chefs d'entreprise ne sont pas des lecteurs assidus des circulaires ou du site Légifrance. En revanche, leur réflexe naturel est la consultation du site internet des ministères qui les concernent. Ainsi, pendant la crise de la COVID-19, les aides aux entreprises ont pu être plus facilement consultées, comprises et sollicitées grâce aux « Foires aux questions » (mises en ligne après le 20 mars 2020 sur le site du ministère de l'Économie), que la délégation aux Entreprises a, pour sa part, également simplifié et synthétisé avant de les diffuser à l'ensemble des sénateurs. Pendant la crise énergétique de l'hiver 2022-2023, il en a été de même avec le dispositif d'amortisseur électricité260(*).

Une telle démarche doit être systématisée. Les grandes lois et réformes économiques impactant les entreprises doivent faire l'objet de la publication sur les sites internet des administrations d'une FAQ permettant leur explication simple.

Le statut juridique de ces informations est prévu par l'article L.312-2 du code des relations entre le public et l'administration, depuis la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance261(*). Il s'agit de donner un « mode d'emploi » sans toutefois ajouter à l'ordonnancement juridique un élément nouveau. Ces éléments de « doctrine administrative » peuvent être, le cas échéant, opposés à leurs auteurs pour contester une de leurs décisions postérieures ou solliciter une indemnisation du fait du préjudice occasionné par une application erronée des lois et règlement fondée sur les renseignements délivrés par l'administration dans ce cadre262(*). Les cotisations et contributions sociales bénéficient d'un régime propre d'opposabilité263(*).

La pédagogie de la norme est un élément indissociable de son acceptabilité. Cette pédagogie doit accompagner systématiquement les réformes affectant la vie des entreprises.

Cet effort de pédagogie doit être complété par une véritable « révolution culturelle » de l'administration dont l'attitude décrite par les chefs d'entreprise s'inscrit trop souvent dans le contrôle et la sanction. La délégation aux Entreprise, dans son rapport de 2016 : « Droit du travail : ce dont les entreprises ont besoin »264(*), avait déjà pointé du doigt ce problème concernant les inspecteurs du travail (proposition n°4 du rapport). Il est essentiel de changer la donne.

L'administration doit avoir le devoir d'accompagner et de conseiller les entreprises, avec la création d'indicateurs de performance, aux côtés de ceux qui existent, afin d'évaluer la mise en oeuvre de cette obligation de conseil.

Recommandation  : simplifier le langage administratif et obliger l'administration à accompagner les entreprises

ü Accompagner toute réforme impactant significativement la vie des entreprises d'un mode d'emploi sur les sites internet des acteurs concernés, en simplifiant le langage administratif ;

ü Rendre obligatoire l'accompagnement et le conseil aux entreprises avec la création d'indicateurs de performance, afin d'évaluer la mise en oeuvre de cette obligation de conseil.

7. Mieux articuler norme et normalisation

Dans le domaine économique, le « droit souple », issu tant de la normalisation volontaire co-construite par les entreprises, que des actes règlementaires émanant des autorités indépendantes de régulation économique265(*), doit alléger le « droit dur », issu des lois et décrets s'imposant aux entreprises.

En 2013, le Conseil d'État recommandait de « doter les pouvoirs publics d'une doctrine de recours et d'emploi du droit souple pour contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation ». Pour Jean-Marc Sauvé, alors vice-président du Conseil d'État, « le droit souple contribue à oxygéner notre ordre juridique. Par un emploi raisonné, il peut pleinement contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation ». Le droit souple devait être à même de « favoriser la rédaction de textes législatifs et réglementaires plus brefs en ménageant la possibilité pour les autorités chargées de leur application de préciser leur portée par voie de lignes directrices ou de recommandations et en renvoyant explicitement au droit souple, par exemple à des normes techniques, le soin d'assurer leur mise en oeuvre ».

Dix ans après, ces recommandations sont toujours d'actualité. Elles seraient toutefois particulièrement bienvenues en matière d'aides aux entreprises comportant une part d'appréciation discrétionnaire266(*), ou pour accompagner un pouvoir de dérogation ou d'adaptation de la règle de droit.

La normalisation pourrait faire partie du programme national d'intelligence économique, évoquée dans une récente proposition de loi du Sénat267(*), qui fait l'objet, depuis le 9 mars 2023, d'une mission d'information de la commission des affaires économiques du Sénat devant présenter ses conclusions d'ici l'été.

Le droit souple peut contribuer à enrayer la tendance au droit bavard s'il permet de recentrer le « droit dur » sur les dispositions qui doivent vraiment relever de lui. En matière de RSE, il pourrait permettre de rationaliser et faire converger les différentes obligations de compte-rendu incombant aux entreprises.

La normalisation garantit :

- une association des entreprises et notamment des PME à l'élaboration de la norme qui la concerne ;

- la compétitivité des entreprises françaises, puisqu'elle est partagée au niveau international ;

- la pertinence de la norme puisqu'elle prévoit un mécanisme de péremption si elle n'est pas utilisée par les entreprises, car non pertinente ou obsolète (qui concerne 10 % des normes ISO chaque année).

La DGE reconnaît ainsi que268(*) : « Les normes volontaires permettent également de simplifier la réglementation. La référence aux normes volontaires dans la réglementation peut en effet aider les administrations à traiter plus simplement les contraintes techniques nécessaires pour atteindre les finalités de leur réglementation. De très nombreuses réglementations utilisent cette complémentarité, que ce soit au plan européen ainsi qu'au plan national. C'est ce qu'on appelle la « présomption de conformité »269(*) qui permet ainsi de ne pas graver les détails techniques dans la réglementation, et de laisser de la souplesse aux entreprises qui innovent ».

L'option entre le droit dur et le droit souple doit donc être envisagée dès l'étude d'impact afin de choisir la procédure la plus pertinente entre la norme obligatoire et la normalisation volontaire. En s'inspirant de la « nouvelle approche » mise en oeuvre au niveau européen le recours à la normalisation volontaire devrait, pour les administrations chargées de rédiger des textes juridiques, constituer une option et, à ce titre, être proposé par le guide de légistique établi par le Secrétariat
général du Gouvernement.

La politique de simplification des normes applicables aux entreprises devant intégrer cette dimension, le Délégué interministériel aux normes ainsi que l'AFNOR doivent être des partenaires réguliers du Conseil national de la simplification pour les entreprises.

L'État doit décliner la stratégie européenne de normalisation présentée en 2022 et reprendre la main sur le processus de normalisation, en particulier dans des domaines stratégiques, en développant l'influence de la France pour soutenir la souveraineté technologique européenne et redevenir un leader dans l'établissement de normes internationales.

Recommandation  : mieux articuler norme et normalisation :

ü Intégrer le recours au droit souple comme option dès l'étude d'impact ;

ü Associer le Délégué interministériel aux normes et l'AFNOR aux travaux du Conseil national de la simplification pour les entreprises.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Jeudi 15 juin 2023

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux Entreprises. - L'ordre du jour appelle désormais l'examen du rapport de nos collègues Olivier Rietmann, Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga, qui ont eu la lourde tâche de mener à bien une mission d'information sur la simplification des normes et des règles applicables à nos entreprises.

Cette mission s'inscrivait dans la continuité des premiers travaux de la délégation, conduits en 2017 par Elizabeth Lamure et Olivier Cadic. Les difficultés liées à la charge administrative sont si nombreuses et l'impact pour nos entreprises si ample, que nous continuerons à nous attaquer à ce sujet, tant qu'il existera des voies de progrès pour soutenir l'emploi et la croissance. C'est d'ailleurs l'une des missions principales confiées à notre délégation par le Bureau du Sénat.

Nos rapporteurs ont travaillé quatre mois, réalisé de nombreuses auditions et effectué de très instructives comparaisons européennes. Une consultation publique des entreprises a été ouverte sur le site du Sénat en avril dernier et près de 800 réponses ont permis d'enrichir la réflexion.

La France semble très en retard dans la mise en oeuvre d'outils d'endiguement du flux normatif qui pénalise la compétitivité de nos entreprises. Ce dernier est déploré par tous, mais la volonté politique d'alléger ce fardeau est intermittente. C'est dans ce contexte que nos collègues nous présentent ce matin leurs conclusions.

M. Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur. - Tout rapport parlementaire commence par des constats et un état des lieux. Le premier constat est celui de la prolifération des normes et de leur coût pour les entreprises. Ensuite, si ce constat est largement partagé, su et connu depuis trente-cinq ans, il est toujours sans solution, bien que différentes méthodes aient été utilisées. Enfin, la démarche pragmatique empruntée depuis 2017 connaît certes quelques réussites mais elle laisse largement les PME au bord du chemin.

Le premier constat est le suivant : il existe une accumulation de normes contraignantes auxquels s'ajoutent des normes volontaires, sans même évoquer le droit souple des régulateurs économiques, que nous avons laissé hors du périmètre de nos investigations. Dans une large part, ce processus est le reflet de notre organisation administrative et des attentes toujours plus complexes de la société. Mais si la complexité de la demande de norme est toujours croissante, rien n'interdit d'y répondre par des mesures simples.

Les chiffres donnent le vertige. En vingt ans, entre 2002 et le 1er avril 2023, le stock d'articles législatifs a augmenté de 76 % pour atteindre 93 959 ; et celui des articles règlementaires s'est accru de 56 %, pour s'établir à 253 118. La norme est surtout devenue plus bavarde puisque le nombre de mots utilisés par la loi a crû de 165 % pour culminer à 8 391 807 et celui des décrets de 114 % pour atteindre 5 753 107 mots.

Nul chef d'entreprise n'est censé ignorer les 11 176 articles du code du travail, les 7 008 du code de commerce ou encore les 6 898 du code de l'environnement ! L'adage « nul n'est censé ignoré la loi » est désormais une fiction juridique. Ce dénombrement ne prend pas en compte la lenteur administrative, celle des autorisations, angle mort de l'analyse de la complexité ; ou le coût psychologique de la norme, qui souvent dissuade la création de valeur. La peur de la sanction pénale, très, trop, présente dans le droit de l'entreprise, entrave en effet psychologiquement l'esprit d'innovation. Il n'intègre pas non plus la normalisation volontaire, qui est un atout pour l'entreprise en créant un avantage comparatif.

Le fardeau normatif représenterait chaque année 60 milliards d'euros soit 3 % du PIB. Il existe donc incontestablement un gisement de productivité à notre portée et au bénéfice des entreprises et principalement des PME, car la complexité normative est une entrave à la concurrence et une rente pour certaines professions. La complexité handicape plus lourdement la PME que la grande entreprise, qui a les moyens de la gérer ; elle entrave la croissance de l'ETI.

Deuxième constat : ce fardeau normatif est identifié et dénoncé depuis au moins 35 ans mais sans solution définitive, ce qui pourrait conduire à être modeste dans les préconisations. Nous serons au contraire ambitieux car il faut être radical. Chacun se souvient de l'apostrophe célèbre du président Pompidou enjoignant, en 1966, son gouvernement « d'arrêter d'emmerder les Français ». De même, tout le monde a oublié que chaque Premier ministre a, depuis lors, indiqué dans sa déclaration de politique générale une promesse de simplifier la vie des entreprises.

Le Conseil d'État a joué un rôle de lanceur d'alerte dès 1991, et dans son rapport de 2016, il qualifiait la complexité normative de « menace pour l'Etat de droit », sans que ses avertissements ne portent réellement. Depuis 2012, l'OCDE recommande elle aussi régulièrement d'alléger le stock. Naturellement, alléger la norme ne doit pas être synonyme de recul des garanties pour les salariés ou offrir un blanc-seing à l'entreprise pour faire n'importe quoi. Chaque norme possède sa légitimité et sa justification. Il faut cependant qu'elle soit claire et applicable car si elle ne l'est pas, elle est inutile et ne protège personne.

Depuis ces alertes, on a tout essayé, ou presque :

· avant 2007, des ordonnances pour simplifier le droit européen, pour adopter le droit outre-mer, pour codifier ;

· entre 2007 et 2012, des propositions de lois de simplification ;

· en 2013-2014, un choc de simplification au bilan mitigé, posant une méthode interrompue avant de déployer ses effets ;

· en 2018 et 2022, des lois d'abrogation des lois obsolètes, à l'initiative du Sénat ;

· en 2018, des tentatives de lutte contre la surtransposition des directives.

Le troisième constat a trait à ce qui a été fait depuis 2017 et à ce qui reste à faire. Depuis 2017, une démarche pragmatique est privilégiée, une simplification au fil de l'eau ou plutôt en fonction de certaines priorités : le déploiement des énergies renouvelables (avec la loi du 10 mars 2023), pour relancer le nucléaire (devant le Conseil constitutionnel), pour accélérer les implantations industrielles. On peut citer la simplification inachevée des seuils par la loi PACTE, ou la loi de 2018 pour un État au service d'une société de confiance, la réforme de la Déclaration Sociale Nominative (DSN), celle du Kbis ou encore la facturation électronique.

Mais à côté, que de complexité, par exemple la loi Climat et résilience de 2021 ! On peut également évoquer le « tsunami » des obligations de rapportage en matière de RSE, que redoutent même les grandes entreprises, avec la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), les aides à l'énergie -qui avaient laissé les boulangers désemparés car ils ne rentraient pas dans la bonne case, l'index senior (censuré) qui aurait demandé aux entreprises de récolter des données dont l'administration dispose déjà ou encore la formation des salariés au français (dans le projet de loi immigration pour le moment suspendu), dont l'étude d'impact mesurant la charge pesant sur les entreprises est indigente. Mais notre administration peut faire simple quand elle le veut : les aides pendant la Covid l'ont prouvé.

Pour aller plus loin et simplifier vraiment, nous pointons trois faiblesses. Premièrement, les études d'impact ne jouent pas leur rôle. Conçues initialement pour empêcher la norme, elles la justifient désormais. Le calcul du coût réel pour l'entreprise est méthodologiquement fragile : il n'est jamais corroboré à la réalité, par des enquêtes de terrain. Et personne ne contrôle la qualité de l'étude d'impact qui est souvent dramatiquement insuffisante.

Deuxièmement, la numérisation constitue parfois un prétexte pour ne pas simplifier. Je ne reviendrai pas sur le guichet unique, emblématique de la situation d'une administration dépassée par la complexité qu'elle a elle-même mise en place. Mais des leçons doivent être tirées dans leur dimension d'association des entreprises, sans parler de la nécessité de tenir compte des alertes émanant des acteurs de terrain.

Enfin, la dernière faiblesse concerne une culture administrative insuffisamment à l'écoute des entreprises et qui ne se met pas suffisamment à la place de l'entreprise. Les entreprises et les citoyens voient le nombre de normes augmenter, alors même que le processus cumulatif est ignoré, comme sa dimension psychologique, l'effet « ras-le-bol », perçu par le président Pompidou.

M. Jean-Pierre Moga, co-rapporteur. - Il me revient de présenter brièvement le parangonnage, autrement dit quelques comparaisons européennes qui montrent qu'il est bien possible de mettre en place des politiques de simplification des normes applicables aux entreprises qui sont efficientes, et donc permettre de diminuer considérablement cette charge.

En premier lieu, nous pouvons évoquer l'Europe, car l'Union européenne a très tôt pris conscience du coût de la norme pour les entreprises. De 2007 à 2012, la charge administrative des entreprises découlant de la législation de l'UE a ainsi été réduite de 25 %, soit des économies annuelles estimées à 30,8 milliards d'euros. Aujourd'hui, il existe un pilotage politique de la simplification avec un vice-président de la Commission européenne en charge de ce dossier. Lancé en 2012, le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT) vise à simplifier et réduire les coûts inutiles. L'Union européenne entend appliquer la compensation de toute charge nouvelle par la diminution d'une charge existante, avec un calculateur de charges administratives. L'analyse d'impact entend tester ses propositions sur les PME, bien que l'UE ne reconnaisse pas, et cela est regrettable, la catégorie des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Un organe indépendant contrôle la qualité des études d'impact. Ce mouvement de simplification devrait être encore amplifié pour accélérer la transition écologique.

Aux Pays-Bas, la simplification fait l'objet de programmes sectoriels à des moments clés de la vie des entreprises, en ayant recours à des PME types. La systématisation du test PME depuis 2019 permet de s'assurer du caractère réalisable et praticable de la norme nouvelle par cette catégorie d'entreprise. Une autorité indépendante donne son avis sur toutes les normes qui impactent les entreprises.

L'Allemagne, en suivant fidèlement les préconisations de l'OCDE, a baissé de plus de 12 milliards d'euros par an les coûts administratifs pour l'économie entre 2006 et 2011. C'est d'ailleurs à ce moment que le modèle économique allemand a décollé. Lorsqu'un ministre veut « faire une loi », le gouvernement fédéral allemand lui demande : « Faut-il vraiment faire quelque chose ? », « Faut-il faire une loi ? », « Les bénéfices attendus sont-ils à hauteur des coûts engagés ? ».

Depuis 2012, un indice du coût de la bureaucratie y est calculé en additionnant le coût de toutes les normes, et trois lois de simplification ont été adoptées. Celles-ci ont néanmoins eu un faible impact, le caractère fédéral de l'État amortissant le processus de simplification. Un Conseil national de contrôle des normes, créé par la loi en 2006, veille à la qualité des études d'impact des normes fédérales et européennes, avec le concours de l'office fédéral de la statistique. Le test PME est obligatoire depuis le 1er janvier 2016.

En Suisse, les tests PME ont été introduits en 1998 et réalisés depuis 2013 par des offices fédéraux. Ils sont obligatoires pour tout projet de loi concernant au moins 10 000 entreprises. Un forum PME, composé en majorité de chefs d'entreprises, analyse tout projet de réglementation occasionnant une charge administrative importante aux entreprises. Un « monitoring de la bureaucratie » publié en février 2023 a conduit le gouvernement suisse à présenter un projet de loi sur l'allégement des coûts de la réglementation pour les entreprises, contenant des prescriptions générales limitant la charge administrative pour les entreprises et prévoyant la création d'une entité de suivi de celles-ci.

En Grande-Bretagne, se débarrasser des normes européennes après le Brexit semble particulièrement complexe et perturbant pour les entreprises, qui ont interrompu le projet, radical d'effacement de la législation européenne : elles préfèrent parfois la complexité à l'insécurité juridique. Si l'on fait abstraction de cette dimension, deux instances oeuvrent à la simplification, depuis 2015. Ex ante, le Better Regulation Executive évalue l'impact de la norme sur les PME et peut conduire à son application différenciée si elle est disproportionnée. Elle les évalue après cinq ans d'application. Ex post, la Law Commission, propose des lois de simplification techniques et consensuelles.

La France est jugée pour sa part comme un très mauvais élève. Ainsi, le Forum économique mondial, qui calcule un indice de compétitivité mondiale particulièrement scruté, plaçait la France au 107ème rang sur 140 pays pour le fardeau administratif dans son dernier classement, en 2018.

De ce tour d'horizon, on peut retenir trois éléments structurants. En premier lieu, la simplification est une politique de long terme mais, pour réussir, elle ne doit pas être un enjeu partisan. Il faut donc établir un consensus partagé entre toutes les parties prenantes. Ensuite, la conception de la norme destinée à l'entreprise doit être constamment inspirée d'un principe simple : comment la PME va-t-elle pouvoir appliquer la norme que j'entends édicter ? ;

Enfin, l'étude d'impact crédible est celle qui est validée par une autorité indépendante. C'est la seule méthode pour contraindre l'auteur de la norme à justifier sa nécessité, à chiffrer son coût avec rigueur, et à expliquer le fait que le bénéfice attendu est supérieur à sa mise en oeuvre dans l'entreprise.

La France est encore loin de ces exigences minimales et notre collègue Olivier Rietmann va désormais vous indiquer les pistes que nous préconisons pour les atteindre.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Après ce panorama européen et cet état des lieux en France, il me revient de vous présenter les sept recommandations issues de ces quatre mois d'auditions, de ces déplacements et visioconférences, sans oublier l'exploitation de la consultation publique ouverte sur le site du Sénat et qui a recueilli environ 800 témoignages d'entreprises. Le verbatim des exemples demandés de l'impact organisationnel des normes sur l'entreprise évoque une « furie administrative » entraînant toujours davantage de « complexité », des « normes complexes, coûteuses et inutiles » créant une inévitable « anxiété permanente » en même temps qu'une « perte de chiffre d'affaires ». Parfois « inapplicables », ces normes démontrant le « fossé -présent entre l'administration - et la réalité ».

La politique de simplification doit donc conduire l'administration à effectuer une profonde révolution culturelle : elle ne peut plus en effet être une démarche descendante, partant des administrations ou des acteurs politiques nationaux, mais doit au contraire être une démarche ascendante qui part de l'utilisateur de la norme pour en faire un « bénéficiaire ». Fondamentalement, l'administration doit faire confiance à ses usagers, particuliers comme entreprises. La sanction ne doit concerner que la fraude, et ne plus être considérée comme un objectif de réussite ou d'efficacité pour l'administration qui contrôle. Ce renversement de perspective permet également d'intégrer le ressenti de la complexité et a le mérite de prendre en compte la dimension psychologique des freins à la liberté d'entreprendre et à l'innovation, qui a une réalité objective.

Notre première recommandation est la suivante : avant de lancer une politique de simplification, il convient au préalable de se doter d'une méthodologie rigoureuse et partagée entre toutes les parties prenantes de l'évaluation, pour identifier et recenser le stock exact de normes actuellement applicables aux entreprises. Cet exercice permettrait de construire un agrégat, afin de mesurer son évolution, facilitant les comparaisons européennes et permettant de fixer un objectif d'allégement de leur poids.

La deuxième recommandation consiste à engager une politique publique de long terme, associant tous les acteurs de la norme : le Parlement, avec une programmation pluriannuelle de la simplification ; le gouvernement avec la discussion de son état d'avancement tous les six mois en conseil des ministres, ce qui permettra au Président de la République de donner l'impulsion nécessaire à cette politique de simplification. Nous proposons de lui rattacher un Haut-commissaire à la simplification, collaborant étroitement, d'une part, avec le Secrétaire général du gouvernement et, d'autre part, avec le Secrétaire général pour les affaires européennes, pour la prévention des surtranspositions de directives européennes. Ce Haut-commissaire sera doté d'un correspondant dans chaque ministère, autorité indépendante ou agence de l'État. Il veillera à la simplification dans l'administration.

Sans associer étroitement les premiers concernés, la simplification n'a aucune chance de réussir. Notre troisième recommandation consiste à associer étroitement les entreprises au sein d'un « Conseil national de la simplification pour les entreprises », où elles seront majoritaires. Autour d'un effectif restreint, cette instance pourra donner un avis public pour chaque projet de loi, d'ordonnance ou de décret créant une charge nouvelle significative pour les entreprises. En cas d'avis négatif, le gouvernement devra transmettre un projet modifié ou des informations complémentaires en vue d'une seconde délibération.

La quatrième recommandation vise à renforcer l'association des entreprises aux normes les concernant. La concertation doit être systématique, car le droit négocié est plus efficace dans le domaine économique qu'un droit imposé, comme le succès de la normalisation volontaire l'a montré. Elle doit se réaliser au stade de l'élaboration même de la décision, au niveau global (aspect macroéconomique), de la branche d'activité (aspect sectoriel) et de l'entreprise (aspect microéconomique).

L'étude d'impact doit pouvoir être discutée, et ce débat nécessite du temps. C'est pourquoi elle doit pouvoir être engagée dès l'annonce d'une norme ou d'une politique publique ayant un impact significatif sur la vie des entreprises. L'étude d'impact doit également concerner les amendements du gouvernement ayant un impact significatif sur les entreprises et être mise à jour au cours de la navette parlementaire.

Un service mutualisé, interministériel, consacré à l'appui des administrations centrales, doit être créé pour évaluer la charge des normes pour les entreprises, et mesurer leurs impacts. Il doit être procédé régulièrement dans les administrations à une revue du stock des normes, des procédures et des autorisations administratives, aux moments clés de la vie des entreprises.

La cinquième recommandation a pour objet d'expérimenter, de tester et d'évaluer les normes applicables aux entreprises. Ex ante, l'expérimentation apparaît particulièrement justifiée pour lever une incertitude sur la pertinence, l'efficacité ou les modalités de mise en oeuvre d'une mesure. Par ailleurs, le recours au « test PME » doit être systématisé pour toutes les normes créant une charge importante pour les entreprises, dans l'objectif de confronter l'étude d'impact théorique de sa mise en oeuvre concrète avec une évaluation grandeur nature sur un panel de textes concernant directement les entreprises. Notre tradition juridique conduit en effet à penser la norme comme applicable à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, pour ensuite, éventuellement, les alléger pour les ETI ou les PME puis exempter de leur application les petites PME ou les TPE. Une démarche ascendante est préférable, afin de construire la norme économique en ciblant prioritairement les PME puis l'adaptant à la taille de l'entreprise. Ex post, une revue régulière du stock des normes pesant sur les entreprises doit être réalisée aux moments clés de leur cycle économique et l'efficacité des normes les plus contraignantes doit être évaluée de façon indépendante.

Selon notre sixième recommandation, l'administration doit produire moins de circulaires et éditer davantage d'informations sur la norme, dans un langage accessible et compréhensible. En effet, les coûts de mise en conformité avec les normes ont tendance à diminuer lorsque les PME se familiarisent avec leurs exigences. Par ailleurs, à de nombreuses occasions, les entreprises renoncent à demander une aide publique car elles ne comprennent pas le vocabulaire utilisé et/ou les procédures exigées par les administrations. La pédagogie de la norme constitue donc un élément indissociable de son acceptabilité. L'administration doit avoir l'obligation d'accompagner et de conseiller les entreprises, avec la création d'indicateurs de performance. Cette pédagogie doit accompagner systématiquement les réformes affectant la vie des entreprises. Les grandes lois et réformes économiques impactant les entreprises doivent faire l'objet de la publication sur les sites internet des administrations d'une Foire aux questions (FAQ), en simplifiant le langage administratif.

Enfin, la septième recommandation est la suivante : dans le domaine économique, le « droit souple » doit alléger le « droit dur ». Le droit souple peut contribuer à enrayer la tendance au droit bavard s'il permet de recentrer le droit dur sur les dispositions qui doivent vraiment relever de lui. Le droit souple ou la régulation garantissent une association des entreprises, et notamment les PME, à l'élaboration de la norme qui les concernent. En conséquence, il améliore la compétitivité des entreprises françaises, puisqu'elle est partagée au niveau international et garantit la pertinence de la norme en prévoyant un mécanisme de péremption de la norme volontaire si elle n'est pas utilisée par les entreprises, car non pertinente ou obsolète. L'option entre le droit dur et le droit souple doit donc être envisagée dès l'étude d'impact, afin de choisir la procédure la plus pertinente entre la norme obligatoire et la normalisation volontaire.

Chers collègues, si vous suivez ces propositions de recommandations, nous pourrons élaborer et déposer rapidement une proposition de loi qui reprendra cette architecture, sachant que l'essentiel des recommandations relève de bonnes pratiques administratives, qui doivent être impulsées par le Premier ministre dans l'ensemble des administrations.

Avec le soutien du président de la délégation aux Entreprises, cette proposition de loi pourra être discutée lors de la prochaine session parlementaire. Il faut donner cette opportunité à nos entreprises d'améliorer leur compétitivité en allégeant un fardeau que nous avons tous contribué à créer.

M. Serge Babary, président. - Je vous remercie.

M. Vincent Segouin. - Ces normes ont le don de m'agacer, particulièrement lorsque je constate qu'elles coûtent 60 milliards à l'économie française. Avez-vous réalisé une évaluation de l'action du Conseil national d'évaluation des normes qui a été mis en place ? Quels résultats a-t-il permis d'obtenir, notamment à la lumière de ses objectifs initiaux ?

Ensuite, ne pensez-vous pas qu'il est inefficace de demander à l'administration de réduire et de simplifier les normes ? En effet, elle a au contraire tendance à les développer. Enfin, je partage votre souhait de mener de vraies études d'impact, afin d'estimer les coûts afférents à une future décision. Malheureusement, nous avons beau le répéter lors de l'examen de chaque loi, elles ne voient jamais le jour. Ne pensez-vous pas que la Cour des comptes serait l'institution la plus indiquée pour gérer l'ensemble de ces questions ?

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Le Conseil national d'évaluation des normes qui a été mis en place en 2013 s'attache aux normes concernant les collectivités territoriales, mais non celles s'appliquant aux entreprises. En son sein, on n'y retrouve que des élus, mais pas des chefs d'entreprise. De notre côté, nous appelons la création d'une instance spécifique pour les entreprises.

M. Vincent Segouin. - Ce Conseil national a-t-il preuve de son efficacité ? Si tel est le cas, ne faut-il pas l'étendre aux entreprises ?

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Il faudrait poser la question à la délégation aux Collectivités territoriales, qui a d'ailleurs publié un rapport récent sur la prolifération des normes applicables aux collectivités territoriales.

Ensuite, quand bien même la volonté de simplification existe, elle n'a aucune chance de se matérialiser si elle n'est pas impulsée au plus haut niveau de l'État. Nous préconisons donc la création d'un poste de Haut-commissaire à la simplification, directement rattaché au Président de la République. Nous favorisons donc une politique publique de simplification, dont l'état d'avancement serait discuté tous les six mois en Conseil des ministres. En effet, lorsque nous avons auditionné Mme Holder, l'ancienne présidente du Conseil de la simplification pour les entreprises, elle nous a expliqué que tant que ce Conseil a eu un lien direct avec le Président de la République, les démarches avançaient rapidement. Mais à partir du moment où il a été placé sous la tutelle d'un ministère ou de Matignon, cela n'a plus été le cas.

Enfin, il ne semble pas forcément pertinent de confier l'évaluation des études d'impact à la Cour des comptes. Ainsi, les exemples européens montrent que les succès ont été liés à la création d'une instance indépendante dédiée. Celle-ci examine tous les projets de loi et de décrets avant de transmettre son avis (favorable, favorable avec réserves, défavorable) aux producteurs de la nouvelle norme, mais aussi au Parlement. En outre, cet avis doit être public. La composition de ce type d'instance est réduite : d'une seule personne en Suisse à un collège de dix personnes en Allemagne. Selon les pays, les avis de l'instance indépendante sont opposables ou non, mais à chaque fois qu'un avis est défavorable, la copie doit être revue par le Gouvernement. Autre exemple, la Commission européenne a mis en place un comité d'évaluation des normes, qui réalise à chaque fois des « tests PME » et des études d'impact avant de rendre son avis.

La semaine dernière, j'ai posé des questions à Olivia Grégoire avec des exemples précis. On considère ainsi que l'étude d'impact est obligatoire pour un projet de loi en France. Néanmoins, l'étude de l'impact, pour les entreprises, de l'index senior, introduit dans la loi sur la réforme des retraites a été qualifiée de « sans objet ». Comment peut-il en être ainsi ?

En résumé, l'instance doit être indépendante, composée d'un collège et d'un service administratif et elle doit disposer d'un réel pouvoir. En général, les personnes y sont désignées ou élues pour quatre à six ans, avec possibilité de renouveler le mandat. Les entreprises doivent y être représentées fortement, au même titre que l'administration.

M. Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur. - Nous n'avons pas d'autre choix que de passer par l'administration, puisque cette autorité n'existe pas et qu'elle doit donc être créée. Cependant, il ne faut pas tout mettre sur le dos de l'administration, qui ne fait qu'appliquer les normes votées par le législateur. C'est la raison pour laquelle les études d'impact sont primordiales.

Ensuite, il existe effectivement un certain état d'esprit dans l'administration, qui pourrait être revu au cours de la formation des fonctionnaires. Il s'agit de faire en sorte que l'administration et ses agents se mettent à la place de leurs interlocuteurs, qu'il s'agisse des entreprises ou des citoyens. Durant ma carrière, j'ai dû m'occuper pendant quatorze mois du fonds régional d'aide au transport, au moment où les entreprises françaises devaient mettre en place les normes ISO. Un de mes collègues avait la charge du fonds régional d'aide au BTP et il passait beaucoup trop de temps sur des dossiers, alors même que les subventions en jeu étaient très modestes. Pour ma part, je procédais différemment : issu d'une culture de gestion analytique, j'avais calculé le coût de l'instruction d'un dossier pour déterminer le temps que je devais y consacrer, afin de ne pas dépenser plus en coût que le montant de la subvention.

Dans le domaine de la simplification, l'Europe du Nord progresse plus vite que l'Europe du Sud. Quand je me suis rendu sur place, j'ai bien compris que les Néerlandais souhaitaient que la France adopte la même organisation qu'aux Pays-Bas ou en Allemagne, afin de susciter un effet d'entraînement pour les pays du sud de l'Europe. Aujourd'hui, le système hollandais est très perfectionné, au point de pouvoir porter une évaluation non seulement sur leurs propres lois, mais aussi sur les réglementations issues de l'Union européenne.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Je confirme la nécessité de disposer d'une instance indépendante dédiée. Il faut à la fois travailler sur les flux, mais aussi sur les stocks. Aujourd'hui, 400 000 normes pèsent sur les entreprises ou les citoyens. Il faut faire le ménage.

M. Jean-Pierre Moga, co-rapporteur. - Les commissions que nous avons étudiées sont assez légères. Elles arrivent à travailler rapidement et émettre des avis qui peuvent entraîner une réécriture des propositions, lorsqu'ils sont défavorables.

Il est vrai qu'en tant que législateur, nous contribuons à l'alourdissement des normes, lorsque nous multiplions les amendements. Tout le monde doit donc balayer devant sa porte. J'ai le sentiment que si l'administration est tout à fait consciente du problème, elle ne met pas en place les remèdes pour le moment.

Mme Annick Billon. - Je siège à la délégation aux Entreprises depuis 2014. Depuis cette date, nous parlons toujours de ce sujet, sans réussir véritablement à proposer des mesures de nature à inverser la tendance. Vos constats méritent d'être largement partagés : on n'a pas conscience de la profusion de textes dont nous sommes en partie à l'origine. Certains ont quand même intérêt à ce que la norme progresse : dans les secteurs des collectivités ou des entreprises, des cabinets prospèrent sur cette inflation normative. Il serait donc intéressant que la culture de lutte contre cette inflation soit partagée par les politiques, les entreprises, l'administration et le grand public.

Comment, selon vous, opérer cet électrochoc ? Ensuite, vous recommandations portent essentiellement sur des bonnes pratiques, en dehors de ce Haut-commissaire. Pensez-vous que certaines mesures pourraient être inscrites dans la loi afin d'influencer ce changement de comportement ? Parmi vos recommandations, quelles sont les trois mesures clefs qui permettront enfin de mener à bien la simplification de la norme ?

M. Michel Canévet. - Je souhaite m'assurer que l'autorité indépendante envisagée ne soit pas une autorité administrative indépendante supplémentaire, dont nous déplorons le nombre croissant et qui conduisent à dédouaner l'administration de l'exercice de ses propres responsabilités. Ensuite, à l'heure ou l'une des louables priorités porte sur la décarbonation, ne craignez-vous pas que des normes supplémentaires viennent entraver le fonctionnement des entreprises ?

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - La multitude d'auditions que nous avons menées montre qu'il ne faut pas attendre pas un « Grand Soir » de la simplification. La simplification est un travail de fond, qui se mène au quotidien, sur le long terme. La mise en place de ce Haut-commissaire et l'établissement d'un point d'étape tous les six mois en Conseil des ministres permettraient précisément d'assurer un suivi régulier. Il ne s'agit pas de mettre en place une administration supplémentaire, mais d'impulser une volonté politique.

Ensuite, il est exact que nous participons tous à cette complexité. Par exemple, il m'est déjà arrivé d'aller voir un collègue dans l'Hémicycle pour lui dire que son amendement allait entraîner une plus grande complexité pour les entreprises sans pour autant générer plus de richesse.

Par ailleurs, dans le registre du bon sens, le vocabulaire employé par l'administration doit être compréhensible. Pour y parvenir, cette administration doit être familiarisée avec le monde de l'entreprise, pour éviter les suspicions et les a priori.

Enfin, l'entreprise doit être associée à toutes ces instances et toutes les décisions, afin d'améliorer l'acceptabilité de la norme. En quelque sorte, l'entreprise doit être co-constructrice de la norme et nous devons décloisonner le travail en silo, ici comme ailleurs.

M. Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur. - Il faut associer l'entreprise, mais au-delà, l'ensemble des acteurs. C'est la raison pour laquelle nous évoquons la création d'un Haut-commissaire qui pourra agir en ce sens. En outre, la clarification du langage employé doit effectivement être au coeur des préoccupations. Par exemple, le langage de la justice n'est pas toujours intelligible.

Hier, je suis intervenu au sujet de la pollution aux alkyls perfluorés et polyfluorés (ou PFAS selon l'acronyme anglais), des molécules toxiques et persistantes, identifiée autour de sites chimiques dans la région lyonnaise. Plus de 100 000 personnes sont ainsi empoisonnées en ce moment par ce produit. Le directeur de l'usine Arkema nous répond qu'il n'y a pas de normes à ce jour. Il faudrait donc bien en établir, dans ce cas précis.

Je souhaite également revenir sur la question de la décarbonation. Dans mon secteur, je suis agréablement surpris de la vitesse à laquelle nos entreprises intègrent cette nécessité, pour des raisons économiques, mais aussi culturelles, générationnelles. Je pense par exemple aux ciments Vicat et aux entreprises de Vallée de la Chimie du département du Rhône. Le système que nous proposons consiste bien à discuter de la norme au préalable avec les premiers intéressés plutôt que de l'imposer.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Les chefs d'entreprises ne sont pas allergiques à la norme quand elle permet de développer des marchés et de générer de la richesse. En revanche, ils sont allergiques à la norme pour la norme, à la norme « normative ».

M. Jean-Pierre Moga, co-rapporteur. - Je partage les propos de mes deux collègues. Cependant, nous nous rendons compte des modifications du climat : tout le monde comprend qu'il faut changer les habitudes et pratiques. Pour y parvenir, de nouvelles normes doivent être établies et elles seront d'autant plus acceptées qu'elles seront partagées. Dans ce domaine, la pédagogie est essentielle. D'ores et déjà, les entreprises que je rencontre en sont conscientes et certaines d'entre elles mettent en place leurs propres normes avant même qu'on ne leur impose. Les études d'impact doivent également se concentrer sur l'acceptabilité des normes par les petites entreprises. En effet, si les petites entreprises peuvent les mettre en oeuvre, les grandes le pourront également.

Mme Marie-Christine Chauvin. - Les entreprises ne sont pas opposées aux normes mais elles sont allergiques aux surtranspositions. Il faut donc que les services de l'administration soient aux côtés et au service des entreprises, pour les aider à concrétiser leurs projets, dans le respect des normes.

Je souhaite également revenir sur notre mission parlementaire de contrôle. Certes, la loi votée est parfois très bavarde, mais les décrets d'application viennent rajouter une couche de complexité supplémentaire. Il faudrait contrôler le respect, par les décrets, de la volonté du Parlement.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Nous partageons totalement ce point de vue. Nos préconisations prônent ainsi un contrôle ex ante et ex post. Ensuite, une meilleure communication est également essentielle. Par exemple, 85 % des chefs d'entreprise ne connaissent pas le « pacte Dutreil », de même que de nombreux experts-comptables qui les conseillent.

Il existe depuis huit ans le service appelé « France expérimentation », un dispositif qui permet de lever des blocages juridiques entravant la réalisation de projets innovants, grâce à la mise en place de dérogations, à titre expérimental, pendant trois ans. Ces dérogations font l'objet de contrôles.

Nous avons échangé avec un directeur de France Stratégie, structure dépendant de Bercy, qui partage notre point de vue sur la mise en place d'une instance indépendante de contrôle, d'évaluation et d'étude d'impact. Malheureusement, il n'a pas réussi à convaincre son ministère de tutelle et il en appelle au législateur pour modifier la donne. Nous devons donc agir et nous aurons besoin du soutien de tous sur ce sujet.

M. Serge Babary. - Je remercie chacun pour les travaux et commentaires effectués. Vous avez évité l'écueil qui consistait à s'attaquer au stock et qui aurait conduit à une tétanie. La mise en place d'instances pour réguler le flux permettra ensuite, à terme, de s'attaquer au stock.

Il s'agit désormais de porter le message. Une conférence de presse est organisée à 14 heures 30 cet après-midi et nous devrons ensuite porter le sujet auprès des ministres. Nous avons reçu une écoute attentive de la part d'Olivia Grégoire. Nous allons également contacter le ministre de l'Industrie et alerter le Président du Sénat, qui sera intéressé pour faire le point sur ce sujet, à l'issue de la parution de votre rapport.

Il me revient de vous soumettre son adoption.

Le rapport est adopté à l'unanimité.

Je vous demande maintenant votre accord pour permettre sa publication.

En l'absence d'opposition, la publication du rapport est décidée..

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Jeudi 26 janvier 2023

Table ronde sur l'état des lieux de la complexité normative :

- CCI France : Mme Stéphanie Tondini, élue à la CCI Paris-Île-de-France

- CPME : M. Bruno Dondero, président de la Commission juridique

- MEDEF : Mme Christine Lepage, directrice générale adjointe en charge de l'économie

- METI : M. Olivier Schiller, vice-président

Mardi 7 février 2023

- M. Claude Immauven, président, auteur du rapport « Mise en place d'un guichet unique pour l'investissement productif ».

- Iseor : M. Henri Savall, président-fondateur de l'Institut, professeur émérite de sciences de gestion de l'Université Jean Moulin Lyon 3, Mme Véronique Zardet, directrice générale de l'Institut, professeur de Sciences de Gestion, IAE Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3

Mardi 14 février 2023

- Barreau de Paris : Mme My-Kim Yang-Paya, présidente de la commission nationale droit des sociétés ; M. Thierry Aballéa, co-président de la commission nationale droit des sociétés

Mardi 28 février 2023

Table ronde : l'exemple de la simplification pour la réindustrialisation :

- MM. Laurent Guillot, Charles Murciano, co-auteurs du rapport « Simplifier et accélérer les implantations d'activités économiques en France » (janvier 2022)

- M. Simon-Pierre Eury, chef de la mission interministérielle pour l'accélération des implantations industrielles

Mardi 7 mars 2023

- Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : Mme Anna Pietikainen, cheffe de division pour la politique de la réglementation ; M. Miguel Amaral, analyste politique senior pour la Coopération réglementaire internationale

- Fondation IFRAP : Mme Agnès Verdier-Molinié, directrice

Jeudi 9 mars 2023

- Conseil d'Etat : M. Fabien Raynaud, président-adjoint de la section du rapport et des études, et M. Charles Touboul, maître des requêtes au Conseil d'État, rapporteur pour l'étude annuelle 2016 du Conseil d'État : « Simplification et qualité du droit »

- M. Laurent Grandguillaume, expert des mutations du travail et de l'emploi, des stratégies des organisations et de la gestion de crise, ancien député, ancien co-président du Conseil de simplification pour les entreprises

- M. Thierry Mandon, vice-président du Conseil national du commerce, ancien secrétaire d'État à la simplification

Mardi 14 mars 2023

- Ministère de l'économie et des finances - Direction générale des entreprises : M. Benjamin Delozier, chef du service de la compétitivité, de l'innovation et du développement des entreprises (SCIDE) ; M. Thomas Gouzenes, sous-directeur de la politique industrielle

- Direction interministérielle à la transformation de l'action publique : M. Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique

Mardi 21 mars 2023

- Conseil de la simplification pour les entreprises : Mme Françoise Holder, administratrice de Holder SAS, ancienne co-présidente du Conseil de la simplification pour les entreprises

- Secrétariat général du Gouvernement : Mme Claire Landais, Secrétaire générale du Gouvernement

- Union des entreprises de proximité (U2P) : M. Pierre Burban, secrétaire général

- CMA France : M. Samuel Deguara, directeur des affaires publiques et des relations institutionnelles, M. Gérard Bobier, trésorier et président de la CMA 37

Mardi 28 mars 2023

Table ronde sur la simplification des seuils :

- METI : Mme Florence Naillat, adjointe au délégué général

- CPME : M. Jean-Michel Pottier, vice-président en charge des Affaires sociales

- Institut des politiques publiques : M. Vladimir Pecheu, Post-Doctorant à la Paris School of Economics, co-auteur de la note « Les entreprises sous-déclarent-elles leur effectif à 49 salariés pour contourner la loi ? »

Mardi 4 avril 2023

- France Stratégie : M. Vincent Aussilloux, directeur du département économie-finances

Mardi 11 avril 2023

- M. Guillaume Poitrinal, président de Woodeum, ancien co-président du Conseil de simplification pour les entreprises

- Mme Laure de la Raudière, ancienne députée

- AFNOR : M. Franck Lebeugle, directeur des activités de normalisation

Mardi 9 mai 2023

- Secrétariat d'État à l'économie SECO de la Suisse : M. Nicolas Wallart, chef du secteur « Analyse et politique de la réglementation », M. Pascal Muller, collaborateur scientifique du département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche

Lundi 15 mai 2023

- Association ePacte : Mme Sabine Zylberbogen, présidente

Mardi 30 mai 2023

Table-ronde : quelles pistes de simplification ?

- MEDEF : Mme Christine Lepage, directrice générale adjointe en charge de l'économie, M. Antoine Portelli, chargé de mission affaires publiques

- CPME : M. Bruno Dondero, président de la commission juridique, M. Lionel Vignaud, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales, M. Adrien Dufour, chargé de mission affaires publiques et organisation

- METI : Mme Florence Naillat, adjointe au délégué général

Jeudi 8 juin 2023

- Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Mardi 13 juin 2023

- Conseil national allemand de contrôle des normes : Mme Sabine Kuhlmann, membre du Conseil national allemand de contrôle des normes (NKR).

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES DANS LE CADRE DES DÉPLACEMENTS

Mercredi 8 février 2023

COURBEVOIE

Institut National de la Propriété Industrielle : M. Pascal Faure, directeur général

Jeudi 16 mars 2023

BRUXELLES (Belgique) Commission européenne

- SMEunited, (organisation européenne représentant les petites et moyennes entreprises) : M. Luc Hendrickx, directeur

- Comité d'examen de la réglementation de la Commission européenne : M. Rytis Martikonis, président

cabinet du Vice-président de la Commission européenne, responsable des relations interinstitutionnelles et de l'administration, Maro efèoviè : M. Carsten Schierenbeck, conseiller chargé de la meilleure réglementation et Mme Camille Hubac, conseillère

- Secrétariat général de la Commission européenne : Mme Antonina Cipollone, cheffe d'unité « Évaluation et analyse d'impact », chargée de la plateforme «Prêts pour l'avenir», du programme REFIT et de l'outil « OIOO » (« one it, one out »)

Vendredi 17 mars 2023

LA HAYE (Pays-Bas)

- VNO-NCW : Mme Ramona van den Bosch, attachée pour les PME, entrepreneurs, financements, pression normative et délais de paiements

- Advisory Board on Regulatory Burden (ATR) : M. Rudy van Zijp, directeur

- Ministère de l'économie et du climat (EZK) : M. Marco Commandeur, conseiller sénior, département pour l'entrepreneuriat,

Vendredi 2 juin 2023

LONDRES (Royaume-Uni)

- Law Commission : M. Matthew Jolley et Mme Laura Burgoyne

- CCEF : Mme Diane Mullenex, avocate française et solicitor britannique

- Better Regulation Executive : M. Thomas Wroblewski, Miles French et Sacha Yates (ministère de l'économie)

- Federation of Small Businesses : Mme Kate Foster, senior International Affairs advisor, et Mme Kristina Grinkina, policy lead on regulation

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES REÇUES

- Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

- Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

- Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI)

- Union des entreprises de proximité (U2P)

- Fédération des entreprises productrices ou distributrices d'ingrédients alimentaires de spécialité (SYNPA)

- Chambres de commerce et d'industrie (CCI France)

- Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA)

- Confédération générale du travail (CGT)

- Confédération française démocratique du travail (CFDT)

- Institut national de la statistique et des ét