DEUXIÈME PARTIE
À LA RECHERCHE DES FINANCEMENTS PERDUS

I. L'OBSCURE CLARTÉ DES MODALITÉS DE RÉPARTITION DES FINANCEMENTS ORE

La mise en place du plan Étudiants puis de la loi ORE devait aller de pair avec un renforcement des moyens accordés aux universités, étalé sur la période 2018-2022. Ces crédits supplémentaires devaient essentiellement permettre d'ouvrir des places et de créer des postes dans les filières en tension. Ce point fait l'objet d'une analyse détaillée plus bas.

Ces crédits devaient également financer l'indemnisation des personnels impliqués dans la mise en oeuvre de la loi, les dispositifs d'aide à la réussite et plus largement l'ensemble des investissements aux objectifs ORE.

A. DES MONTANTS CONSÉQUENTS EN JEU CONCENTRÉS SUR LE FINANCEMENT DE NOUVELLES PLACES EN LICENCE

1. Quels financements pour quels dispositifs ? La difficile évaluation des montants accordés

Loin d'être un simple exercice de contrôle, l'analyse des financements liés à la loi ORE se révèle d'une grande complexité.

La première difficulté, et non la moindre, consiste à déterminer précisément le montant total des crédits accordés. Les chiffres varient en effet fortement selon le périmètre concerné.

Au sens le plus strict, les crédits ORE se rapprochent de ceux mis en avant lors des annonces du plan Étudiant en 2017. À l'époque, il avait été annoncé un montant de près de 500 millions d'euros sur l'ensemble du quinquennat. Ce montant a été atteint, voire dépassé, dès lors que les documents transmis par le ministère indiquent que 582 millions d'euros ont été accordés aux universités dans le cadre du plan Étudiants.

La loi ORE datant de 2018, les crédits accordés en LFI 2018 ne sont pas véritablement des crédits ORE. Mais l'essentiel des crédits du plan Étudiants ont été accordés après le vote de la loi ORE sur les quatre années 2018-2022 et pour des dispositifs répondant aux objectifs de la loi. Ces crédits ont été ouverts sur le programme 150 - Enseignement supérieur de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

Toutefois, dans les réponses au questionnaire budgétaire, le ministère indique que « les moyens suivants ont été alloués aux établissements depuis 2018 au titre du « plan étudiants »9(*) :

Moyens accordés au titre du plan Étudiants

selon le questionnaire budgétaire

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire pour le PLF 2023

Il semble qu'il s'agisse d'une confusion avec les moyens accordés au titre du grand plan d'investissement pour l'année 2022, les montants sur 2018-2021 recoupant ceux accordés au titre du plan Étudiants. L'articulation entre les crédits budgétaires ORE et les crédits relance est cependant loin d'être limpide, comme cela sera développé plus bas.

Par ailleurs, dans certains documents, le ministère intègre comme faisant partie des crédits ORE l'ensemble des moyens accordés aux établissements lors du développement du dialogue stratégique de gestion (DSG), soit 235 millions d'euros supplémentaires. Le total des financements ORE s'élèverait alors à 833 millions d'euros.

Montants ouverts en LFI pour financer des dispositifs ORE
en incluant la montée en charge du dialogue de gestion

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire fourni par la DGESIP

Si le renforcement du rôle du rectorat constitue en effet un des objectifs et des effets de la loi ORE, le rapporteur spécial considère que ces crédits ne peuvent à proprement parler être considérés comme rattachés au dispositif de la loi ORE. En conséquence, la lecture selon laquelle les crédits du plan Étudiants recoupent ceux accordés au titre de la loi ORE semble plus pertinente. Les montants accordés sont en tout état de cause loin d'être anodins.

Cette lecture est la même que celle effectuée par la Cour des comptes en 2020, qui aboutissait à 268 millions d'euros sur les trois premières années de mise en oeuvre.

Ventilation par dispositif et sous-dispositif
établie par la Cour des comptes en 2020

(en euros)

Source : Cour des comptes, Un premier bilan de la loi ORE, 2020

En revanche, France Universités estime le coût des dispositifs de la loi ORE à 220 millions d'euros, sans que le rapporteur spécial n'ait réussi à expliciter l'origine de cette différence de montants.

La deuxième difficulté d'analyse, au-delà des seules questions de périmètre, est celle de la ventilation par dispositif de ces crédits. Les crédits ORE sont intégrés à la subvention pour charges de service public (SCSP) versée à chaque établissement par le biais du programme 150 et ne font donc pas l'objet d'une ligne spécifique dans les documents budgétaires.

Plus de la moitié des financements ont été fléchés vers des ouvertures de places supplémentaires dans les établissements afin d'augmenter les capacités d'accueil dans les filières en tension. Environ un quart des crédits a financé le développement des dispositifs d'aide à la réussite (« oui si »), et le quart restant la valorisation de l'investissement pédagogique et le financement de projets d'investissements.

Répartition par dispositif des crédits ORE 2018-2022

Source : commission des finances

Ainsi, d'après les documents fournis au rapporteur spécial, 342 millions d'euros auront été consacrés depuis 2018 à la création de places dans les établissements, 140 millions d'euros aux financements des dispositifs « Oui si » et environ 50 millions d'euros pour les frais liés aux commissions Parcoursup et à la mise en place de directeurs des études. La ventilation plus complète et son évolution par année figurent dans le tableau ci-dessous.

Ventilation des crédits liés au plan Étudiants

(en millions d'euros)

 

2018

2019

2020

2021

2022

2018-2022

Création de places

19,3

46,3

76,5

94

105,6

341,7

Étude des dossiers, directeurs des études, accompagnement pédagogique

5,8

11,1

11,1

11,1

11,1

50,2

Rémunération indemnitaire des personnels

5,1

2,0

2,0

2

2

13,1

Dispositifs et parcours d'accompagnement « oui si »

7,8

25,9

31,9

36,2

38,2

140

Investissement - fonctionnement

7

12,8

7,6

4

4,6

36

Total alloué aux établissements

45

98,1

129,1

147,9

161,5

581,6

Source : commission des finances d'après les tableaux transmis par la DGESIP

S'il n'existe plus à proprement parler de crédits ORE ouverts depuis le PLF 2023, la mise en place de la loi a engagé directement les finances publiques sur le long terme. En effet, l'ensemble des financements ORE a été pérennisé dans la subvention pour charges de service public accordée (et soclée) aux établissements d'enseignement supérieur sur le programme 150 et devrait donc continuer à être versée au cours des prochaines années.

2. Une absence de données sur la consommation des crédits qui doit alerter sur les modalités de gestion

Les montants initiaux accordés au titre de la loi ORE n'étant pas faciles à isoler et à suivre, il n'est pas surprenant qu'il en aille de même s'agissant de la consommation de ces crédits en gestion.

Les développements des documents budgétaires sur les financements ORE sont très succincts, en particulier s'agissant de l'analyse de l'exécution des crédits. La direction du budget a reconnu devant le rapporteur spécial que les données étaient « très parcellaires » et qu'elle-même ne disposait pas d'une répartition territorialisée de la consommation des crédits.

Les seules indications publiques sur la consommation des crédits ORE figurent dans les notes d'exécution budgétaire de la Cour des comptes. Or la Cour indique dans le même passage sur l'exécution 2020 et 2021 que « compte tenu des éléments transmis par le ministère dans le cadre de l'élaboration de la présente note d'analyse de l'exécution budgétaire, la Cour rappelle la nécessité déjà exprimée de disposer d'un suivi, en particulier pour être en capacité d'établir un lien direct entre le nombre d'emplois créés et l'augmentation des capacités des filières en tension ».

Le ministère n'a pas été en capacité de fournir au rapporteur spécial une ventilation par dispositif de la consommation des crédits année par année. Selon la DGESIP, cette opacité s'explique par le fait que les montants ORE ont été accordés dans le cadre du dialogue stratégique de gestion (DSG) effectué par les rectorats. Toutefois, au vu des montants en jeu, le rapporteur spécial ne peut que s'étonner que l'administration ne dispose pas d'une vision consolidée des moyens alloués dans le cadre du DSG.

Concernant toutefois les crédits accordés pour les créations de places, le ministère a transmis au rapporteur spécial des données qui vont dans le sens d'une large sous-exécution des crédits. Ainsi, près de 215 millions de crédits ouverts sur le programme 150 entre 2019 et 2022 n'auront pas été utilisés. En intégrant les crédits du plan de relance, plus de 262 millions d'euros n'auront finalement pas été utilisés pour des créations de places.

La difficulté à disposer de données consolidées rejoint les problématiques de suivi des moyens accordés qui seront développées plus bas.


* 9 Réponse au questionnaire budgétaire pour le projet de loi de finances 2023.

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