B. LE POINT DE VUE DES ACTEURS ÉCONOMIQUES

Le groupe EDF a insisté sur l'impact financier et les comportements opportunistes liés au relèvement exceptionnel du plafond de l'Arenh en 2022. Ce relèvement représente pour le groupe un manque à gagner de 8,1 Mds€ au principal, dont 4,1 Mds€ pour les volumes supplémentaires - vendus à un prix de 46,2 € / MWh et achetés à un prix 256,98 € / MWh -, et 4,1 Mds€ de moindres recettes commerciales67(*), du fait de la réplication stricte et contrôlée du dispositif sur ses propres offres, qu'il s'agisse des TRVE ou des offres de marchés. Le groupe estime que de tels changements de règlementation en cours d'année l'obligent à acheter ou à conserver des volumes sur le marché de gros de l'électricité dans des conditions parfois très défavorables. S'il admet que le relèvement de l'Arenh a contribué à limiter la hausse du prix de l'électricité à 4 % TTC en 2022, cela s'est surtout traduit par un montant moindre pris en charge par l'État et par un impact positif sur la trésorerie des fournisseurs alternatifs. Dans ce contexte, le groupe a engagé une procédure indemnitaire, le 27 octobre 2022. Il a constaté des comportements opportunistes, voire des situations de défaillance, de la part de certains fournisseurs alternatifs. De plus, il craint des effets d'aubaine, car les prix de marché excèdent très largement les compléments de prix.

C'est pourquoi le groupe EDF a indiqué : « EDF craint que le calcul par la CRE en juin 2023 des compléments de prix pour l'année 2022 entraîne des effets d'aubaine majeurs (compte tenu des prix de marché actuellement très élevés) pour certains fournisseurs alternatifs : en effet, les montants de CP1 sont reversés aux fournisseurs alternatifs alors qu'il est peu probable qu'ils soient ensuite reversés aux clients. »

De leur côté, les fournisseurs alternatifs ont modéré les critiques sur l'impact financier du relèvement exceptionnel du plafond de l'Arenh. L'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (Afieg) a indiqué que le prix d'achat de l'Arenh précité de 256,98 € / MWh est demeuré inférieur au prix de marché de 305 € / MWh et l'Anode que ce relèvement a permis de limiter la hausse des prix à hauteur de 14 à 16 % pour les professionnels peu consommateurs, 20 % pour les autres entreprises et 60 à 100 % pour les industriels électro-intensifs, contre 23, 40, 100 et 130 % en l'absence de relèvement. Les deux associations ont estimé que ce relèvement ne constitue pas une perte pour le groupe EDF.

Pour autant, plusieurs fournisseurs alternatifs interrogés, dont l'ensemble des positions sont présentées dans l'encadré ci-après, ont constaté des comportements opportunistes de la part d'une minorité d'entre eux.

Ainsi, pour l'Afieg, il peut exister de rares cas d'arbitrages ou de reventes, neutralisés ou pénalisés via les compléments de prix : « L'Afieg déplore et condamne vigoureusement la présence (toutefois extrêmement minoritaire) d'acteurs frauduleux sur le marché de fourniture d'électricité. Les comportements incriminés relèvent d'un arbitrage saisonnier aboutissant à une logique de fournisseurs dits "d'été “ s'appuyant de manière dévoyée sur la définition des heures creuses Arenh au détriment d'autres fournisseurs (alternatifs ou historiques) chez qui sont renvoyés les clients concernés pendant l'hiver. [...] Reste que globalement, les reventes d'Arenh sont marginales en volume et simplement liées à des ajustements de prévisions, et par ailleurs neutralisées ou pénalisées par les compléments de prix. »

Dans le même esprit, le groupe TotalÉnergies a relevé des comportements opportunistes, liés à des arbitrages saisonniers, ne devant toutefois pas pénaliser l'ensemble des fournisseurs alternatifs : « Les dispositions retenues par la CRE sur l'encadrement des demandes Arenh, qu'il s'agisse des contrôles en amont du guichet ou en aval, sont satisfaisantes et doivent être soutenues. Elles visent à éviter des comportements opportunistes de fournisseurs qui ne disposeraient pas d'un parc client réel et pourraient pénaliser l'ensemble des fournisseurs alternatifs et consommateurs. Elles doivent en parallèle ne pas restreindre le développement de la concurrence sur le marché de la fourniture, en permettant aux fournisseurs de réaliser leurs demandes d'Arenh dans les meilleures conditions, au bénéfice des consommateurs. »

Quant à la société Vattenfall, elle a aussi constaté des comportements opportunistes, ne devant cependant pas être généralisés, le marché de l'électricité fonctionnant, tout comme sa régulation : « Bien que nous désapprouvions fermement les comportements opportunistes de certains fournisseurs minoritaires, nous déplorons aussi l'amalgame qui est fait sur l'ensemble des fournisseurs et l'ouverture du marché de la fourniture d'énergie à la concurrence. Il faut cesser cette présomption de culpabilité des fournisseurs suspectés à tort d'être des " voyous “. Le système fonctionne : la CRE effectue correctement son travail de contrôle car elle dispose de tous les outils à sa disposition pour le faire. »

Ne partageant pas l'analyse des fournisseurs alternatifs, ni d'ailleurs celle de la CRE, l'association Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV) a indiqué évaluer la surestimation de l'Arenh à 24 TWh en 2022 et 12 TWh en 2023. Pour 2022, cette surestimation aurait un impact de 16 points sur les TRVE. L'association a indiqué avoir été saisie d'un grand nombre de plaintes et avoir alerté la CRE et la DGCCRF dès janvier, ce qui n'a abouti qu'en septembre. Elle a précisé que certains comparateurs d'offres, dont celui du MNE, ont mis en avant des fournisseurs qui se sont relevés opportunistes. Dans ce contexte, l'association a formé un recours devant le Conseil d'État, à l'encontre du guichet de l'Arenh pour 2023.

La position de différents fournisseurs alternatifs

Les rapporteurs ont entendu différents fournisseurs d'électricité alternatifs, qui leur ont indiqué leur point de vue sur le relèvement exceptionnel du plafond de l'Arenh en 2022.

Engie a estimé que ce relèvement a un impact bénéfique sur les TRVE. Elle a précisé avoir attribué la totalité des bénéfices de l'Arenh aux consommateurs et n'avoir fait l'objet d'aucun contrôle supplémentaire, ni d'aucune sanction.

Eni a considéré que ce n'est pas ce relèvement, mais les difficultés de la production d'électricité nucléaire, du fait du phénomène de CSC notamment, qui pénalisent EDF. La société perçoit un volume d'Arenh stable et une part importante de ses clients sont protégés par un contrat fixe. Elle n'a fait l'objet d'aucun contrôle supplémentaire, ni d'aucune sanction.

Green Yellow a stoppé son activité de fourniture, à raison du manque de synergie avec ses autres activités et de la volatilité des prix des énergies. Elle a attribué la totalité des bénéfices de l'Arenh aux consommateurs. Elle n'a fait l'objet d'aucun contrôle supplémentaire, ni d'aucune sanction.

Iberdrola n'a pas demandé de volumes additionnels d'Arenh pour 2022, compte tenu de la hausse des prix des énergies. Elle a fait l'objet d'un contrôle, mais d'aucune sanction.

Mega Énergie a renoncé aux volumes additionnels d'Arenh pour 2022, compte tenu de la hausse des prix des énergies. Elle a fait l'objet d'un contrôle, mais d'aucune sanction.

Mint Énergie a acquis et revendu des volumes additionnels d'Arenh, conformément selon elle au cadre légal et règlementaire mis en place à cet effet. Elle a attribué la totalité des bénéfices de l'Arenh aux consommateurs. Elle a fait l'objet d'un contrôle, mais d'aucune sanction.

Ohm Énergie est l'objet d'une enquête de la CRE, à raison de l'évolution de son portefeuille de clients. Elle a indiqué avoir transmis les éléments démontrant selon elle la conformité de ses demandes d'Arenh avec les projections de son portefeuille.

TotalÉnergies a attribué la totalité des bénéfices de l'Arenh aux consommateurs. Le groupe n'a fait l'objet d'aucun contrôle supplémentaire, ni d'aucune sanction. Cependant, il a constaté des comportements frauduleux, avec des logiques de « fournisseurs d'été ».

Pour Vattenfall, le relèvement tardif de l'Arenh a mis les fournisseurs, alternatifs comme historiques, en difficulté. Il a été neutre pour les consommateurs résidentiels, compte tenu du « bouclier tarifaire », mais protecteur pour les consommateurs industriels. La société a attribué la totalité des bénéfices de l'Arenh aux consommateurs. Elle n'a fait l'objet d'aucun contrôle supplémentaire, ni d'aucune sanction. Elle a observé des comportements opportunistes de la part de certains fournisseurs, sans pour autant les généraliser.


* 67 En mars 2022, l'impact du bouclier tarifaire sur le groupe EDF avait été estimé à 10,2 Mds€ par le groupe EDF, entre 8 et 9 Mds€ par la Commission de régumation de l'énergie (CRE) et 8 Mds€ par la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).

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