C. DÉVELOPPEMENTS POLITIQUES RÉCENTS EN POLOGNE

1. L'intervention de M. Jacques le Nay, au nom du groupe ADLE

Merci, Madame la Présidente.

Mes chers collègues,

Je vais m'exprimer au nom de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe.

La situation politique en Pologne et les dérives autoritaires que nous avons constatées ces dernières années ont déjà donné lieu à des inquiétudes et des prises de position de notre Assemblée. Nous avons mis en garde contre les reculs de l'État de droit et contre l'affaiblissement du système judiciaire qui donne lieu à un bras de fer entre la Pologne et la Commission européenne.

Nous avons fait part de nos craintes vis-à-vis des mesures restreignant les conditions d'accès à l'avortement et celles discriminant les personnes. Mais aujourd'hui, alors que se profilent les élections parlementaires à l'automne, on peut craindre une remise (en cause ?) encore plus fondamentale du système démocratique sous couvert de lutte contre les ingérences russes.

Le 31 mai dernier est entrée en vigueur la loi instaurant une commission d'enquête sur l'influence russe entre 2007 et 2022, rejetée par le Sénat polonais et critiquée par de nombreux juristes comme étant inconstitutionnelle. L'objectif de lutter contre les ingérences russes ne peut pas assurément être critiqué.

Nous savons que nos démocraties ont fait l'objet d'ingérences ou de tentatives de déstabilisation de la part de la Fédération de Russie, mais est-ce bien cela qui est en jeu ici ou s'agit-il, au travers de cette loi communément appelée « Lex Tusk », de discréditer le principal opposant politique et de l'empêcher d'accéder à des fonctions exécutives ? La commission d'enquête qui sera composée de neuf membres choisis par la Diète pourra ainsi bannir pendant 10 ans de tout poste public impliquant des accès aux finances publiques ou aux informations classifiées toute personne ayant agi au détriment des intérêts de la République de Pologne en faveur du régime russe.

Le champ d'activité susceptible de tomber sous le coup de la loi est large et inclut notamment les cadres haut placés ou les fonctionnaires ayant participé à la négociation d'un accord international ou aidé à élaborer la position de la République de Pologne dans les forums internationaux. Or, les responsables du parti Droit et Justice accusent Donald Tusk d'avoir entretenu une proximité avec Vladimir Poutine lors de son mandat. La ficelle est grosse et voyante, mais elle est hélas très préoccupante.

Le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, a dénoncé cette loi qui permettrait de priver de leur droit d'être titulaires d'une fonction élective des citoyens, sans qu'il y ait de recours en justice possible, en soulignant qu'on pouvait se poser la question de savoir si on respecte encore les règles d'accès à la justice, les règles d'accès à un juge indépendant lorsqu'on fait l'objet d'une décision administrative. C'est toute la légitimité du scrutin de l'automne qui est potentiellement en jeu.

Le ministère polonais des Affaires étrangères a bien dénoncé la surinterprétation et les doutes, mais les craintes subsistent. Le soutien remarquable apporté par la Pologne à l'Ukraine et le combat légitime qu'elle mène contre les ingérences russes ne doivent pas servir de prétexte pour mettre à l'écart des opposants politiques et miner le système démocratique.

C'est un message d'alerte et j'espère que nos débats contribueront à clarifier la situation et à garantir le respect de la démocratie et de l'État de droit.

Je vous remercie.

2. L'intervention de M. André Vallini

Madame la Présidente,

Mes chers collègues,

Membre de notre Organisation depuis 1991, la Pologne est depuis quelques années régulièrement mise en cause dans cet hémicycle, notamment en raison de la réforme de la justice de 2017.

Notre Assemblée avait adopté en janvier 2021 une résolution qui rappelait les avis de la Commission de Venise ainsi que les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne.

Nous appelions alors à faire cesser le harcèlement de certains juges qui critiquaient cette réforme. Nous demandions aussi aux autorités polonaises de réviser cette loi et de coopérer avec le Conseil de l'Europe sur cette question. Or, le 5 juin dernier, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que malgré des modifications apportées en 2015, cette loi restait contraire au droit de l'Union. Depuis 2015, un véritable bras de fer s'est donc engagé sur ce sujet entre l'Union européenne et la Pologne.

La Cour de justice avait prononcé une peine d'amende contre la Pologne, que celle-ci n'a jamais accepté de régler. En représailles, la Commission européenne a réduit les fonds européens destinés à la Pologne.

Dans ce contexte, notre Assemblée doit de nouveau appeler au dialogue pour sortir de cette impasse, avec en plus d'autres sujets de préoccupation. Je pense bien sûr - et cela a été évoqué avant moi - à la liberté des médias, alors que des journalistes ont fait l'objet de poursuites judiciaires et que des allégations de pression politique sur des médias indépendants ont été rapportées. Nous le savons aujourd'hui, la liberté de la presse est en danger en Pologne.

Le Gouvernement polonais a également imposé certaines limitations à la liberté d'expression en ligne et, évidemment, la loi Tusk qui a été évoquée avant moi vise à discréditer et à mettre hors du jeu démocratique le principal opposant politique au régime actuel qui sévit en Pologne.

Mes chers collègues,

Le Conseil de l'Europe, nous le savons tous, nous devrions le savoir en tout cas, et je m'adresse particulièrement à notre collègue hongrois qui s'est exprimé tout à l'heure, le Conseil de l'Europe n'est pas un libre-service ; ce n'est pas un club où les États membres pourraient choisir leurs obligations au gré des orientations politiques de leurs dirigeants.

Nos valeurs, nos principes sont des obligations intangibles : c'est pourquoi nous devons rester mobilisés pour les faire respecter en Pologne.

Je vous remercie.

3. L'intervention de Mme Nicole Duranton

Merci, Madame la Présidente.

Mes chers collègues,

Je me réjouis que nous puissions aujourd'hui débattre de la situation politique en Pologne et de ses évolutions.

Depuis quelques années, le dynamisme de l'économie polonaise est incontestable. Le PIB par habitant a considérablement augmenté, atteignant plus de 34 000 dollars en moyenne par habitant. Ces progrès sont liés à l'adhésion à l'Union européenne et aux valeurs fondamentales de notre Organisation, qui favorisent l'initiative individuelle et l'État de droit. En effet, la Pologne a adhéré au Conseil de l'Europe en 1991 et à l'Union européenne en 2004.

À cette époque-là, nous pensions sans doute que les progrès économiques permettraient de consolider l'engagement des États en faveur de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'homme. Pourtant, à mesure que l'économie polonaise progresse, les droits des citoyens, eux, semblent régresser.

C'est le cas tout d'abord des femmes, pour lesquelles les conditions d'accès à l'avortement ont été durcies ; elles comptent désormais parmi les plus restrictives d'Europe et une sixième femme est décédée faute d'avoir pu bénéficier des soins nécessaires, à la suite de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. La semaine dernière, à la suite de ce tragique événement, une manifestation a ainsi réuni plusieurs milliers de femmes à Varsovie pour protester contre ce durcissement.

La situation des personnes LGBT est également particulièrement préoccupante. Certaines régions polonaises ont adopté des résolutions déclarant des « zones sans idéologie LGBT » et ont adopté des règles visant à restreindre la promotion de l'homosexualité. Ces mesures vont à l'encontre des principes fondamentaux de non-discrimination et de respect des droits des citoyens.

La situation des migrants est également préoccupante. Si on a pu observer un véritable élan de solidarité envers les réfugiés ukrainiens, qu'il convient de souligner et de saluer, Amnesty International a dénoncé en 2022 les refoulements illégaux et les violences dont sont victimes certains migrants. La plupart d'entre eux sont aussi refoulés et ceux qui accèdent au territoire polonais sont placés en détention dans des centres de rétention où les mauvais traitements sont fréquents.

Dès lors, j'appelle les autorités polonaises à modifier la loi relative à l'avortement et à revenir sur les mesures discriminatoires aujourd'hui mises en oeuvre dans leur pays.

Enfin, dans la perspective des élections parlementaires prévues à l'automne, je m'inquiète des conséquences de la mise en place d'une commission d'enquête qui pourrait ainsi bannir pendant 10 ans de tout poste public impliquant un accès aux finances publiques ou aux informations classifiées toute personne ayant agi au détriment des intérêts de la République de Pologne en faveur du régime russe. Si la lutte contre les ingérences étrangères, et en particulier russes, est évidemment essentielle, elle ne doit pas être détournée pour pénaliser un opposant politique, en l'occurrence Donald Tusk.

Je forme le voeu que l'action du Conseil de l'Europe permette un meilleur respect des droits de l'homme, de la démocratie et de l'État de droit, dans l'intérêt de la Pologne et de ses citoyens, mais aussi de l'Europe tout entière.

Je vous remercie.

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