EXAMEN EN COMMISSION

17 OCTOBRE 2024

M. Jean-François Rapin, président. -Notre commission a missionné nos collègues Karine Daniel et Ronan Le Gleut pour tirer un bilan d'une initiative lancée en écho au discours de la Sorbonne prononcé par le président de la République en septembre 2017 : il invitait alors à cimenter l'unité de l'Europe en misant sur le sentiment d'appartenance, au moyen de la culture et du savoir. Je cite : « je propose la création d'universités européennes qui seront un réseau d'universités de plusieurs pays d'Europe, mettant en place un parcours où chacun de leurs étudiants étudiera à l'étranger et suivra des cours dans deux langues au moins. Des universités européennes qui seront aussi des lieux d'innovation pédagogique, de recherche d'excellence. Nous devons nous fixer, d'ici à 2024, en construire au moins une vingtaine. Mais nous devons, dès la prochaine rentrée universitaire, structurer les premières, avec de véritables semestres européens et de véritables diplômes européens. »

L'ambition était grande : qu'en est-il sept ans plus tard, à l'heure où la Commission européenne envisage d'aller plus loin ? Je laisse nos rapporteurs nous présenter le fruit du travail approfondi qu'ils ont mené depuis plusieurs mois pour répondre à cette question.

Mme Karine Daniel, corapporteure. - Il y a près de six ans, la Commission a lancé l'initiative des universités européennes. Ce projet atteint un moment charnière de son développement et nous avons souhaité en dresser un premier bilan. Il s'agit là en effet d'un dossier emblématique pour notre pays, puisque l'idée de créer des universités européennes est née en France en 2017, avant d'être reprise par la Commission européenne en 2018.

En pratique, cette initiative a vocation à permettre aux universités, mais aussi aux instituts et aux écoles supérieures qui le souhaitent de se regrouper en alliance européenne pour développer des projets de coopération communs.

Cela signifie à titre d'exemples : encourager encore davantage la mobilité des étudiants, doctorants, enseignants et chercheurs ; favoriser des programmes d'enseignements communs, ou encore la mise en place de diplômes délivrés conjointement, et cela dans le but de tendre vers la création d'un statut juridique pour la délivrance d'un « diplôme européen » ; développer des projets de recherche plus ambitieux ; renforcer l'attractivité de nos établissements d'enseignement supérieur, mais aussi de nos territoires en développant par la même occasion un écosystème de partenaires locaux et internationaux.

Le rapport dont nous vous présentons aujourd'hui les conclusions est le résultat d'un travail fourni d'environ six mois, alimenté d'une vingtaine d'auditions, d'un déplacement à Bruxelles et des contributions d'environ 50 établissements d'enseignement supérieur français par le biais d'auditions ou de questionnaires écrits.

Globalement, nous dressons un premier bilan très positif de cette initiative ; nos travaux ont mis en exergue l'effet transformateur de ce projet que certains qualifient de « deuxième révolution », après la révolution d'Erasmus dans le domaine de l'enseignement supérieur.

Ce dispositif rassemble aujourd'hui plus de 500 établissements au sein de 64 alliances européennes, représentant les 27 États membres ainsi que 8 pays partenaires dont l'Ukraine. Je voudrais souligner que ces chiffres dépassent d'ores et déjà l'objectif de 60 alliances que s'était fixé la Commission européenne pour mi-2024, et nous ne pouvons que saluer cette réussite.

La France et nos territoires sont extrêmement bien représentés puisque nous totalisons 63 établissements d'enseignement supérieur répartis dans 53 alliances. Nous sommes en 2ème position, derrière l'Allemagne avec ses 66 établissements participants et devant l'Espagne avec ses 55 établissements. Je me félicite de constater que la quasi-totalité de nos territoires, y compris les Outre-Mer, sont représentés : Paris, Poitiers, La Rochelle, Lyon, Aix-en-Provence, Chambéry, Nantes, Pointe-à-Pitre, Le Havre, Tours, Toulouse et encore bien d'autres.

Tous nos interlocuteurs universitaires ont souligné la vertu transformatrice des alliances comme outil unique d'internationalisation et d'européanisation de leur établissement. La participation à une alliance européenne s'est généralement traduite par un renforcement de l'attractivité, tant de la structure, que de l'écosystème territorial local ou européen.

Permettez-moi d'insister sur l'impact extrêmement positif de cette initiative pour les universités françaises dont les capacités et le rayonnement sont les plus modestes. L'insertion dans un réseau européen entraîne un effet de rattrapage pour ces établissements, dont l'offre académique se voit enrichie ; elle leur donne également l'occasion d'accentuer leur spécialisation académique. Je parle d'alliances d'universités européennes qui se sont réunies autour de leur spécialisation sur les études d'agronomie, d'ingénierie ou bien de transformation verte des territoires par exemple, pour se transformer en pôle d'excellence - par exemple l'alliance NeuroTechEU dont fait partie l'université de Lille et six autres universités européennes qui se sont rassemblées pour former un pôle d'excellence en matière d'enseignement supérieur dans les neuro-technologies.

L'appartenance à une alliance européenne offre également la possibilité aux établissements d'enseignement supérieur de mutualiser leurs ressources, leurs bonnes pratiques, ou encore le catalogue de leurs formations, tout en développant de nouvelles opportunités de coopération scientifique. En somme, de quoi rivaliser avec les meilleures universités du monde entier.

Ne perdons pas de vue, en parallèle, que tout ceci participe également à la promotion des valeurs et de l'identité européenne.

La Commission européenne, les États membres et nos territoires, jouent un rôle crucial dans l'accompagnement et le financement du développement de ces partenariats. Les alliances ont bénéficié d'un soutien financier européen en provenance des fonds Erasmus + à hauteur de presque 850 millions d'euros depuis 2019, mais peuvent également compter, en France, sur un financement national complémentaire de l'ordre de 100 millions d'euros sur la période 2018 -2030 dans le cadre du 3ème programme d'investissements d'avenir (PIA) et de France 2030. Cet abondement national se révèle absolument essentiel dans le déploiement des alliances. Nous avons enfin relevé, lors de nos travaux, que certaines collectivités territoriales jouaient un rôle majeur dans l'accompagnement de ces projets, y compris sur le plan financier.

Ce premier bilan que nous qualifions de positif, ne doit pas occulter les risques et obstacles auxquels les alliances font face aujourd'hui. Nous avons dressé au fil du rapport cinq obstacles majeurs à surmonter.

Premièrement, le financement des alliances reste incertain et questionne à long terme leur modèle économique, c'est le risque principal du projet. Il y a un réel enjeu de pérennisation des financements des alliances sur la durée, ce d'autant que le Conseil de l'Union européenne a récemment indiqué vouloir réduire le budget alloué à Erasmus + dans le budget européen pour 2025. Cette perspective est d'autant plus alarmante que le succès du projet entraîne une augmentation du nombre d'établissements participants et d'alliances année après année. La pérennité des fonds européens et nationaux sera cruciale pour assurer l'acte II des universités européennes. Cette question se pose avec encore plus d'acuité dans le contexte budgétaire actuel, qui risque de resserrer l'étau financier dans lequel sont pris les universités. Les auditions des universités françaises ont aussi fait remonter les limites du mode de financement qui fonctionne par appels à projet répétés et concurrentiels. En effet, ce mode de financement court-termiste leur donne une perspective de l'ordre de 3 à 4 ans environ par projet, alors même que la pérennité de l'initiative dépend d'une vision de long terme.

Deuxième obstacle, il n'existe pas à ce jour de structure juridique adaptée aux alliances. Actuellement, chaque alliance rattache son secrétariat à la législation nationale d'un pays donné, alors que ses universités membres proviennent de différents États européens. Cet état de fait crée des déséquilibres compte tenu de cadres juridiques nationaux très hétérogènes et entraîne, selon les pays, plus ou moins de lourdeurs administratives supplémentaires.

Troisièmement, la mise en oeuvre des programmes et diplômes conjoints se heurte à de nombreuses difficultés, à commencer par une insuffisante reconnaissance de l'enseignement dispensé au sein des établissements d'une même alliance. Nous avons eu des cas très concrets dans les auditions avec les universités de Montpellier et de La Rochelle qui butent sur la création et la reconnaissance de diplômes conjoints au sein de leur alliance.

Quatrièmement, la recherche est le parent pauvre de cette initiative, alors même que tous les éléments sont en théorie sur la table pour permettre aux alliances de mener des projets communs en matière de recherche et d'innovation.

Enfin, d'autres obstacles peuvent mettre en péril le développement des alliances s'ils se cumulent, par exemple l'asymétrie du niveau d'engagement des établissements d'enseignement supérieur au sein d'une même alliance, la barrière de la langue ou encore les entraves résultant des législations nationales.

Les réponses à ces obstacles sont décisives pour que cette initiative puisse s'inscrire dans le temps et devenir un programme européen phare et couronné de succès dans le domaine de l'enseignement supérieur, comme a pu le devenir le programme Erasmus +.

M. Ronan Le Gleut, corapporteur. - Tout l'enjeu du rapport était donc de formuler des recommandations pertinentes à la suite des auditions des différents acteurs des alliances européennes, afin de répondre aux obstacles et risques que nous avons identifiés.

D'un point de vue global, nos recommandations visent à institutionnaliser les alliances européennes dans la durée, que ce soit sur le plan de la gouvernance ou du financement. Dans leur réponse à notre questionnaire, les universités françaises impliquées dans des alliances ont systématiquement pointé les problématiques liées à la pérennité des financements et à la gouvernance, relevant qu'il s'agissait là de leur préoccupation principale. Nos préconisations s'articulent donc autour de cette problématique phare, tout en veillant à conserver la souplesse de la mise en oeuvre et le caractère volontaire de l'initiative.

Il s'agit finalement de lancer un acte II des alliances européennes, couvrant l'ambition de départ de faire des universités européennes le terreau d'un espace européen de l'enseignement et de la recherche.

Nous avons choisi de regrouper ces recommandations en 4 grands axes thématiques, relatifs : au financement des alliances ; à une meilleure prise en compte de la recherche et de l'innovation en leur sein ; à leur gouvernance et la création d'un statut juridique européen dédié et à la mise en place d'un diplôme européen.

S'agissant de la question des financements, les universités soulignent que le financement à long terme est la clef de voûte de la pérennité des alliances et de l'ambition du projet de la Commission européenne en lui-même. Comme dans toute structure, la projection budgétaire est essentielle à la poursuite d'une activité dans le temps long.

Dès lors, il est prioritaire de consolider le modèle économique des alliances et de mettre fin à la fragmentation des financements dont souffrent les parties prenantes. Pour cela, nous proposons dans le rapport que les financements européens et nationaux soient allongés et calqués sur la programmation budgétaire pluriannuelle d'Erasmus +. Concrètement, il s'agirait de passer d'un financement à horizon 3-4 ans à un financement alloué sur une période d'environ 7 ans, qui s'alignerait sur la durée de financement des projets d'excellence français.

C'est pourquoi nous sommes favorables à ce que l'objectif d'un financement dans la durée soit porté lors des négociations autour du prochain cadre financier pluriannuel européen pour la période 2028-2034. Il irait de pair avec une sanctuarisation du budget alloué au programme Erasmus +, qui constituerait un premier jalon vers un regain de compétitivité et d'innovation en Europe. C'est pourtant un coup de rabot sur les crédits Erasmus + que les États membres ont décidé le 13 septembre dernier... Cela met en cause la « pleine réalisation des espaces européens de l'éducation et de la recherche » qu'appelle de ses voeux le rapport d'Enrico Letta d'avril dernier sur l'avenir du marché intérieur. Cette refonte pourrait également donner l'opportunité aux alliances de faire grandir durablement un écosystème de partenaires économiques.

La recherche, ensuite, demeure le parent pauvre des alliances, alors que la recherche et l'innovation figurent pourtant parmi les priorités essentielles affichées par la nouvelle Commission européenne pour relancer la compétitivité de l'UE et atteindre les objectifs du Pacte vert européen. La disjonction entre les appels à projet Erasmus + et ceux d'Horizon Europe ne facilite pas l'intégration des aspects de recherche dans les activités de l'alliance. Nous proposons d'y mettre fin, pour que les établissements d'enseignement supérieur puissent se constituer en centres d'excellence attirant des talents du monde entier, et jouent ainsi pleinement leur rôle dans le développement de l'espace européen de la recherche.

S'agissant des questions de gouvernance, il faut définir un mode de gouvernance qui puisse convenir à chaque alliance, lui permettant de développer ses activités selon son rythme et ses ambitions. Cette problématique soulève la question de la création d'un statut juridique européen qui soit propre aux alliances, et ne découlerait pas du droit national d'un établissement qui en serait membre. Cela permettrait aux alliances de réaliser des achats communs d'infrastructures ou encore de postuler aux financements directement et non pas par l'intermédiaire de l'un de leurs membres, comme c'est le cas aujourd'hui.

Cependant, il n'y a pas de statut juridique parfait, compte tenu de la diversité des établissements supérieurs, des ambitions différentes de coopération des alliances et des spécificités nationales. La création d'un nouveau statut reste indispensable pour pérenniser les actions des alliances et leur permettre de réaliser un bond qualitatif en matière de moyens et de force d'action. Ce statut se doit donc d'être le plus agile possible pour s'adapter aux stratégies et objectifs de chaque alliance et ne pas en compliquer la gestion administrative.

En tout état de cause, nous appelons dans le rapport à ne pas imposer de statut unique aux alliances, et à leur laisser le choix de ce dernier. Nous estimons enfin la représentation étudiante indispensable au sein des instances gouvernantes des alliances ; elle semble aujourd'hui faire défaut dans beaucoup d'entre elles.

Je conclurai en abordant la perspective d'un diplôme européen. L'idée n'est pas de remplacer le diplôme national, mais de matérialiser, que ce soit pour les étudiants, la communauté éducative ou les universités, l'européanisation que constitue la mise en place de coopérations ou de programmes communs au sein d'une alliance. Parallèlement à la création d'un statut juridique des alliances, la mise en place d'un diplôme européen ouvrirait la voie à des résultats bien plus ambitieux en matière de coopération. Plébiscité par les universités auditionnées, le diplôme européen constituerait un véritable marqueur, un gage de clarté et d'attractivité à destination du recrutement des entreprises, un signal d'excellence pour les universités et enfin un outil de renforcement du sentiment européen pour les États membres.

Dans sa communication du 27 mars 2024 destinée à faire progresser la coopération transnationale entre les établissements d'enseignement supérieur, la Commission a proposé une approche graduelle, avec deux étapes vers le diplôme européen commun : tout d'abord, la création d'un label européen présenté comme préparatoire à un diplôme européen et décerné par les autorités compétentes chargées de l'accréditation ; ensuite, l'instauration d'un diplôme européen, délivré conjointement par plusieurs établissements d'enseignement supérieur européens, à l'issue d'un programme commun, fondé sur des critères européens et reconnu automatiquement dans l'Union.

Nous sommes favorables à cette approche graduelle. Le chemin vers un diplôme européen passe nécessairement par les États, qui devront adapter leurs législations, dans le respect du principe de subsidiarité et de leurs spécificités nationales. Avant de tendre vers cet objectif du diplôme européen, un travail important doit être réalisé en amont, pour lever au sein des législations nationales les différents obstacles qui entravent aujourd'hui la délivrance de diplômes communs au sein d'une alliance. Notre pays est hautement concerné par cette problématique, bien qu'il ne soit pas le seul. Nous avons ainsi relevé au cours de nos auditions que certaines universités se voyaient empêchées de délivrer un diplôme conjoint. L'exemple de l'université de Montpellier, membre de l'alliance CHARM-EU, est emblématique : en raison de contraintes règlementaires françaises, l'université a dû se résoudre à délivrer un diplôme d'établissement conférant un grade de master au lieu d'un diplôme national, ce qui n'a pas été le cas de ses homologues européens.... Cette situation est préjudiciable, vous en conviendrez.

Il est donc nécessaire de prévoir des assouplissements. Notre rapport montre les efforts positifs consentis par l'Espagne, la Grèce ou encore la Roumanie à ce sujet. L'exemple de l'Espagne est régulièrement cité, car ce pays a modifié sa législation pour reconnaître automatiquement, à l'échelle nationale, tout diplôme délivré par un pays faisant partie d'une alliance européenne comprenant une université espagnole. La France doit faire de même, pour s'ériger aussi en exemple et emmener les autres États membres avec elle. Un assouplissement des réglementations françaises ne doit pas être vu comme une fragilisation du modèle français. Les spécificités nationales sont à respecter, ce qui implique de conserver des préceptes fondamentaux comme celui de la sauvegarde et de la promotion de la langue française dans l'enseignement supérieur.

Voilà les recommandations les plus saillantes de notre rapport. Vous y trouverez une présentation approfondie de l'initiative des alliances d'universités européennes, ainsi que le détail des établissements qui y participent sur tout le territoire.

Pour conclure, je voudrais souligner que cette initiative ne concerne encore que 10 % des établissements d'enseignement supérieur européens. Nous plaidons donc en faveur d'une généralisation de ce modèle, sur la base du volontariat des établissements, afin que ces derniers puissent se saisir de cette opportunité unique en termes d'internationalisation et de rayonnement.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour ce travail approfondi, le sujet est complexe, vous montrez qu'il y a encore beaucoup d'écueils et qu'il faut persister pour avancer. Il y a des choses très simples à améliorer, par exemple le fait que les diplômes français ont l'obligation d'être imprimés par l'Imprimerie nationale sur un papier particulier, c'est un détail significatif...

Mme Karine Daniel, corapporteure. - Le Ministère de l'enseignement supérieur conduit un travail de son côté, et pourrait intégrer notre rapport à ses conclusions. Nous allons aussi envoyer nos résultats aux universités françaises concernées. La question du financement est décisive, et nous soulignons par exemple que la faible rémunération des enseignants chercheurs français se traduit par un faible taux de retour des financements vers les universités françaises membres d'alliances ; ce biais est à prendre en compte.

La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page