II. EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 3 AVRIL 2025 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - C'est peu dire que le contexte du vol spatial habité connaît des bouleversements qui pourraient devenir majeurs. Une nouvelle course à l'espace entre grandes puissances est engagée. Les États-Unis prévoient un retour sur la surface de la Lune et élaborent des plans pour exploiter une station orbitale, tandis que la Chine développe un programme spatial ambitieux. De nouveaux acteurs comme l'Inde et les Émirats arabes unis s'intéressent aux vols habités.

L'entrée en fonction de la nouvelle administration américaine pourrait rebattre les cartes. Qu'en est-il de l'Europe, alors qu'un décideur américain envisage la fin de la station spatiale internationale (ISS) deux à trois ans avant son terme prévu ?

L'Europe, grande puissance spatiale historique, ne dispose pas d'un accès souverain à l'espace pour ses astronautes. Elle manque encore d'une stratégie claire sur le vol habité.

C'est pourquoi l'Office a souhaité organiser une audition publique afin d'éclairer les enjeux et les débats associés à cette question, dans la perspective du prochain conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA) qui aura lieu au mois de novembre. Il s'est régulièrement penché sur le domaine spatial, en publiant des notes scientifiques sur les lanceurs réutilisables, les applications des satellites ou les débris spatiaux.

En novembre 2022, à l'issue d'une audition publique préalable au conseil ministériel de l'ESA, l'Office avait recommandé de prendre une décision de principe claire sur le futur du vol et de l'exploration habités, afin d'envoyer un message politique fort et de soutenir la filière industrielle.

Faut-il s'engager dans une politique ambitieuse de vol spatial habité, au regard des sommes considérables nécessaires pour prétendre devenir un acteur majeur ? Les échanges tenus lors de cette audition publique ont questionné l'intérêt de s'engager dans cette aventure. À l'issue de l'audition, nous avons pu brosser un tableau clair des enjeux, des bénéfices et des limites du vol spatial habité.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - Trois conclusions ressortent de cette audition.

La première est que la présence humaine dans l'espace permet de notables retombées scientifiques et technologiques. Il est possible de faire de la science de qualité en orbite. On entend parler du retour de l'homme sur la Lune, voire de voyages habités vers Mars, mais depuis vingt-cinq ans, des stations placées en orbite terrestre basse jouent le rôle d'installations scientifiques. Comme l'ont indiqué plusieurs intervenants, une station spatiale peut être un bon laboratoire de recherche. Une station orbitale se différencie d'un laboratoire terrestre par la micropesanteur. En situation permanente de chute libre, on n'y ressent plus les effets de la gravité, ce qui permet d'observer des phénomènes physiques qui, sur Terre, seraient masqués par la pesanteur. De même, la comparaison entre un phénomène étudié sur Terre et sur orbite peut révéler des différences dont il est utile d'étudier les mécanismes. Bien que beaucoup d'expériences puissent être automatisées, la faculté de l'être humain à s'adapter à l'imprévu est un autre atout. Enfin, puisque le vol habité implique le retour des astronautes, il est possible de faire revenir avec eux des objets témoins des expériences conduites dans l'espace et d'en poursuivre l'étude sur Terre.

La médecine bénéficie pleinement des apports du vol spatial habité. En plus d'être des expérimentateurs, les astronautes sont des cobayes. Grâce aux technologies du XXIe siècle, on peut disposer d'informations de santé très détaillées pour étudier les effets de l'apesanteur et des autres contraintes du vol spatial sur le corps humain. L'obligation de maintenir les astronautes en bonne condition pendant le vol et de leur assurer une récupération correcte au terme d'un long séjour en micropesanteur fait progresser les connaissances en physiologie. De même, les conditions difficiles liées à l'isolement font progresser les connaissances en psychologie. Les astronautes n'ayant d'autre choix que se suffire des moyens du bord, cela stimule l'innovation médicale avec des retombées possibles sur Terre, par exemple, pour la prise en charge des patients dans les déserts médicaux.

Plus généralement, la présence humaine dans l'espace est un catalyseur d'innovations technologiques. Le vol spatial habité lance des défis auxquels il faut répondre. Dans l'ISS, la quasi-totalité de l'eau est recyclée, ainsi que les plastiques pour fabriquer des pièces de rechange. La vie dans une station, et plus encore dans une base lunaire conduit à innover pour le recyclage des déchets, la production d'énergie, la construction d'habitats, etc.

Toutes ces compétences éminemment utiles sur Terre peuvent être améliorées par et pour l'industrie spatiale. C'est pourquoi même des entreprises industrielles qui ne sont pas partie prenante du secteur spatial, en particulier celles de défense, peuvent être intéressées. Le vol spatial habité n'est pas à la source de toutes ces technologies, puisqu'il réutilise beaucoup d'outils développés pour des usages terrestres, mais il contribue à leur amélioration dans la mesure où l'innovation est poussée par les défis des contraintes spatiales.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Je rappelle que le retour sur Terre d'un équipage américain envoyé vers l'ISS a eu huit mois de retard et qu'il faut être prêt pour un long voyage.

La deuxième conclusion de l'audition publique, qui fait clairement consensus parmi les intervenants, c'est que le moteur premier du vol habité est la volonté politique, comme en témoignent à la fois l'histoire et l'actualité géopolitique de l'exploration spatiale.

Le vol spatial habité est né au cours de la guerre froide, traduisant les rivalités entre les deux grandes puissances d'alors, États-Unis et Union soviétique. Après la course à la Lune, remportée par les Américains, la compétition s'est déplacée vers l'orbite terrestre, sous forme de programmes d'origine militaire, avec les stations Saliout et Mir pour les Soviétiques et la navette spatiale pour les Américains. La fin de la guerre froide a provoqué un changement profond de paradigme. Le développement de la station spatiale internationale a reposé sur une coopération inédite entre Américains, Russes et Européens. Toutefois cette période d'apaisement touche à sa fin et l'on observe le retour d'une certaine conflictualité, cette fois entre les États-Unis et la Chine, engagés dans une nouvelle course folle à la Lune, voire à Mars. La Chine a beaucoup avancé. Elle exploite déjà sa propre station et vise beaucoup plus haut. D'autres puissances émergentes, comme l'Inde, se lancent dans des projets similaires.

Dans le même temps, la station spatiale internationale vit ses dernières années de fonctionnement, théoriquement jusqu'en 2030, avec une possible anticipation de deux ou trois ans. Elle devrait être remplacée par des stations commerciales privées, et certaines coopérations internationales sont menacées. Or, jusqu'à présent, la stratégie spatiale européenne reposait sur ces coopérations internationales. Elles lui ont permis de développer une partie des compétences nécessaires et d'envoyer des astronautes européens dans l'espace, mais elles l'ont aussi mise en situation de dépendance forte vis-à-vis des États-Unis. À elle seule, l'Europe ne peut ni envoyer les astronautes dans l'espace ni concevoir une station orbitale. Si elle veut monter en puissance dans ces deux domaines, il lui faudra consacrer des financements importants et consentir un effort substantiel pendant de nombreuses années.

L'Europe doit donc décider du niveau d'autonomie qu'elle souhaite se fixer pour les prochaines années. La question pourrait figurer à l'ordre du jour du prochain conseil ministériel de l'ESA, organisé à Brême. L'Europe est au pied du mur, forcée de redéfinir une stratégie face aux bouleversements géopolitiques. Elle a cependant des atouts, d'autant qu'elle est reconnue à l'étranger comme un partenaire très fiable. Face au positionnement conquérant des États-Unis et de la Chine, détenir une position de leadership dans le cadre de coopérations internationales futures permettrait à l'Europe de défendre ses propres principes, comme celui d'une exploration spatiale maîtrisée. Le vol spatial habité pourrait être un projet porteur de sens pour l'aventure européenne, qui bénéficie d'un soutien populaire important.

Le vol spatial apparaît à la fois comme un terrain d'expérimentation pour le développement de la science et de la technologie, comme moyen d'affirmation de la puissance et des valeurs, et comme source d'inspiration pour les esprits, les formations et les étudiants. Les astronautes européens jouent un rôle essentiel d'ambassadeur de la science, de la planète et de l'Europe. Ils peuvent servir d'exemple à des générations d'enfants en leur montrant la valeur du travail, de la persévérance, de l'esprit d'équipe. En éveillant leur curiosité scientifique et en soulignant l'importance de la science dans le monde actuel, le vol spatial habité a un pouvoir fort d'attraction de talents. Pour recruter les ingénieurs de demain, il faut donner envie d'exercer ces missions et ces métiers. Cela passe par des programmes ambitieux et visibles.

La présence des femmes dans le corps des astronautes de l'ESA, comme la Française Sophie Adenot, est un atout important pour ce secteur qui peine à se féminiser.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - La troisième conclusion de l'audition publique porte sur l'avenir du vol spatial habité, secteur nécessitant des investissements industriels importants à l'aube de choix majeurs.

L'Europe est impliquée dans plusieurs projets de vol habité, toujours en coopération internationale, principalement avec les États-Unis. Pour améliorer sa position et ses capacités, elle devra agir sur le financement du secteur, le choix des compétences et la stratégie à adopter.

Le financement du vol habité est tiré par la commande publique et les budgets institutionnels. Même les stations commerciales privées auront principalement des clients institutionnels. Cela n'empêche ni les partenariats public-privé ni l'investissement privé. Des start-up européennes obtiennent d'importants financements privés. Le budget de l'ESA pour l'exploration humaine et robotique est comparable à celui du programme de lanceurs et il est plus élevé que celui des programmes de télécommunication, ce qui n'était pas le cas, il y a quelques années. Cependant, l'ESA dépense quinze fois moins que la NASA pour son programme d'exploration, ce qui relativise quelque peu l'ambition européenne. La participation financière de la France est sensiblement moins élevée que celles de l'Allemagne et de l'Italie, ce qui peut s'expliquer par la priorité qu'elle a de longue date accordée aux lanceurs.

La collaboration de l'Europe aux programmes internationaux de vols spatiaux habités repose sur un système d'échanges en nature. Au lieu d'acheter directement des places pour ses astronautes dans des véhicules qu'elle ne sait pas encore concevoir, elle les obtient en échange d'une participation à la construction et à l'exploitation des stations. Ce système est jugé positivement par la plupart des intervenants de l'audition publique. Il permet de mener des projets industriels de haute technologie, de développer des compétences européennes reconnues internationalement et de financer des emplois très qualifiés au sein de l'industrie spatiale. En revanche, il est très dépendant des États-Unis et il n'est pas garanti qu'il soit épargné par les bouleversements de la politique spatiale américaine.

La question de la stratégie à suivre est donc posée. La plupart des intervenants s'accordent sur l'intérêt de disposer d'un cargo spatial performant, levier intéressant pour obtenir une place de choix dans un projet de station internationale, dans la mesure où la logistique et le fret représentent une part importante du coût d'une station. L'Europe a déjà des compétences dans ce domaine. Dans cette perspective, l'ESA développe un nouveau cargo pour l'orbite terrestre basse à destination de l'ISS, puis des futures stations commerciales. Un tel projet permet de soutenir l'industrie européenne tout en gardant une monnaie d'échange pour continuer à envoyer des astronautes dans l'espace.

Ce serait aussi la première brique technologique d'une éventuelle station européenne indépendante. Si l'Europe veut exercer un leadership dans le vol spatial habité, il lui est possible d'envisager le développement de sa propre station spatiale en orbite terrestre, seule ou en tant que leader d'une coopération internationale. Elle pourrait exploiter ses cargos et concevoir certains modules de la station, laissant à d'autres pays le soin de fournir les véhicules pour l'équipage. Les États membres de l'ESA ont demandé à l'Agence d'étudier la faisabilité d'un tel projet. L'Europe pourrait néanmoins décider de relancer le développement de son propre véhicule de transport d'équipage.

Il faut à cette occasion démentir une idée reçue : un lanceur n'a pas besoin de certification particulière additionnelle pour le vol habité. Si Ariane 6 démontrait sa fiabilité grâce à un nombre suffisant de lancements de satellites réussis, elle pourrait être adaptée facilement au transport d'équipage sans nécessiter une refonte totale. C'est ainsi qu'a procédé SpaceX avec le lanceur Falcon 9. Le reste de la sécurité serait assuré par la capsule, brique technologique importante dont l'Europe n'a pas la maîtrise.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Les enseignements de cette audition publique nous ont conduits à proposer cinq recommandations.

La première recommandation porte sur la préparation du prochain conseil ministériel de l'ESA, en novembre. Nous proposons que l'Office demande aux autorités françaises de promouvoir la définition d'une stratégie claire en matière de vol spatial habité. Cette stratégie devrait reposer sur la valorisation des acquis scientifiques et techniques européens et l'acquisition progressive de nouvelles briques technologiques.

La deuxième recommandation rappelle la nécessité de concevoir globalement la souveraineté spatiale européenne. Nous estimons que la stratégie en matière de vol habité ne doit pas mettre en péril les autres domaines vitaux que sont les lanceurs, les télécommunications et la défense.

La troisième recommandation demande que la politique spatiale européenne soit inscrite résolument dans un cadre coopératif international, car l'Europe doit être à la pointe de cette importante diplomatie scientifique, qui pourrait donner un nouvel élan à l'Union européenne. Il faut éviter de placer l'Europe en position de dépendance vis-à-vis d'un seul partenaire, si avancé soit-il.

Dans le droit-fil de la précédente, la quatrième recommandation appelle à soutenir la filière industrielle et les start-up au moment où certains projets pourraient être menacés par les récentes orientations américaines.

La cinquième recommandation tend à promouvoir les valeurs et les compétences européennes dans le domaine spatial, notamment pour attirer les jeunes vers les métiers de ce secteur, avec un effort particulier en direction de femmes.

Telles sont les conclusions de cette audition publique du 13 mars dernier, que nous vous présentons une quinzaine de jours seulement après sa tenue.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Le mot « conquête » n'est pas anodin, chaque État cherchant à valoriser ses avancées dans le domaine spatial pour marquer sa puissance. Après quoi, de façon presque anecdotique, des expérimentations scientifiques fournissent des apports non décisifs.

Je m'étonne que les astronautes soient considérés comme des cobayes et que l'on fasse des expérimentations sur des embryons, eu égard au fait que la division cellulaire ne s'opère pas de la même manière en apesanteur. Ceci montre que nous sommes de pauvres petits Terriens inféodés à leur planète et entièrement dépendants de la pesanteur. Enfin, si les vols en orbite terrestre sont intéressants, au regard des contraintes budgétaires, aller sur Mars ne me semble pas être une priorité.

M. Arnaud Saint-Martin, député. - Il est rare d'avoir une discussion contradictoire sur le vol habité. Souvent présenté comme une évidence - on peut dire que le vol habité est la « tête de gondole » du secteur spatial -, justifié de multiples façons, y compris par le rêve, il n'est pas, selon des ingénieurs du CNES, indispensable pour les sciences spatiales. Tout le monde admet, y compris les directeurs de programme et d'agence, que le vrai moteur est politique, mais ceci est rarement dit. Ceci justifie une délibération politique sur les fins et les moyens de cette activité.

J'ai trouvé le casting très orienté. Philippe Lugherini, ancien d'ArianeGroup, ayant près de 40 ans d'expérience industrielle, qui fait partie des rares personnes qui affichent publiquement leur opposition au vol habité, apportait un léger dissensus. Lionel Suchet, PDG du CNES par intérim, a travaillé sur les vols habités durant toute sa carrière. Il aurait été étrange que Claudie Haigneré, ambassadrice historique du spatial, soit hostile au vol habité. Il aurait été bon d'élargir le spectre. De nombreux sociologues, historiens et philosophes se sont penchés sur le sujet. Il existe une littérature considérable en sciences sociales et en histoire, à même de remettre en perspective la rationalité du vol habité - la NASA conduit même depuis ses débuts un programme d'histoire spatiale. Inviter des experts en ces domaines aurait permis de dépayser le regard.

Quant au prochain conseil ministériel, pour les membres de la direction de l'ESA, le vol habité est loin d'être la priorité ; il est même anecdotique. La priorité, c'est la défense. L'ESA veut se positionner pour l'Europe spatiale de la défense. Par ailleurs, l'idée d'une souveraineté spatiale européenne n'a aucun sens si elle est soutenue par l'ESA, et l'UE n'a pas de pied dans le vol habité. Il faudra donc se demander qui pilote l'avion spatial européen...

En matière de budget, le CNES pourra apportera sa capacité de lobbying en faveur de la cause, mais il passera au second plan parce que le vol habité n'intéresse personne en Europe. Après l'histoire contrariée du programme Hermes, nous n'avons pas eu de station en propre et nous ne sommes pas encore sortis de cette séquence. Les recommandations favorables au vol habité relèvent de l'incantation et sont très éloignées des thèmes de discussion du prochain conseil ministériel. Les enjeux principaux y seront l'espace de la défense, la relance de programmes d'observation de la Terre, les télécommunications, le programme IRIS2 dans lesquels l'ESA est entièrement partie prenante.

Je ne peux donc valider des conclusions qui me paraissent accessoires au regard des enjeux du projet spatial européen en discussion.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - La deuxième recommandation rappelle « la nécessité de concevoir la souveraineté spatiale européenne de façon globale », ce qui n'est pas contradictoire avec votre propos. La stratégie européenne en matière de vol habité ne doit pas mettre en péril les autres domaines que sont les lanceurs, les télécommunications, la défense, également vitaux. Nous voulons juste y voir un peu clair pour définir une conception globale de la souveraineté spatiale européenne. Le vol habité ne doit pas empiéter sur les autres domaines vitaux que sont les lanceurs, les télécommunications, la défense.

La troisième recommandation demande que la politique spatiale européenne soit résolument inscrite dans un cadre coopératif international. Nous sommes conscients que nous n'arriverons pas seuls à agir rapidement. Néanmoins, l'Europe ayant joué un rôle historique dans le domaine spatial, nous disons qu'elle doit être à la pointe de la diplomatie scientifique. Nous savons que les besoins commerciaux en matière de télécommunication connaissent une croissance exponentielle. Nous demandons uniquement de fixer un cadre européen. Nous considérons qu'on ne doit pas négliger ce qui a fait la force de l'Europe et ce qui est devenu un peu moins le cas, parce que des acteurs puissants agissent vite. Nous recommandons seulement de rester présents sur ce champ, nous ne disons pas que le vol spatial habité doit écraser tout le reste.

Peut-être n'avons-nous pas suffisamment distingué le vol spatial habité en orbite et l'exploration ou la conquête spatiale. Le premier pas sur la Lune procédait d'un rapport de force engagé entre les deux super-puissances de l'époque. Vouloir retourner sur la Lune, voire sur Mars ou ailleurs, relève d'une volonté hégémonique de certains pays et nous sommes beaucoup plus réservés sur le sujet.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - J'ai été frappé par le niveau relativement modeste du financement des programmes du vol habité européen : 1,60 euro par habitant, Grande-Bretagne et Canada inclus. Nous sommes dans une stratégie d'entre deux. L'ESA y participe en grande partie afin de permettre des expérimentations scientifiques en orbite, mais il n'y a pas de plan stratégique. Une des particularités de l'ESA, c'est qu'elle traite beaucoup en bilatéral avec chacun des partenaires et, même dans l'écosystème du CNES, elle est parfois affaiblie par des partenariats avec des pays ayant des ambitions industrielles.

La définition de cette stratégie est un sujet important que nous intégrons dans la première recommandation en indiquant que la stratégie globale n'est pas suffisamment claire. À titre personnel, je considère qu'on devrait consacrer bien plus de moyens à l'exploration, car elle est un vecteur d'attrait pour la formation et l'engagement dans les filières scientifiques. L'enjeu est culturel. On le voit dans l'industrie du cinéma, ultra-dominée par les États-Unis. Une volonté européenne en ce sens permettrait d'établir un écosystème bien plus tourné vers l'exploration que vers la conquête et très lié aux enjeux expérimentaux et de connaissances scientifiques. Mais il est difficile de faire une bonne analyse de cette structuration, quand on sait que l'ESA traite surtout en bilatéral.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - La troisième partie du rapport traite du financement du vol en orbite. Il est très peu question de la conquête. L'OPECST a déjà produit une note intéressante sur l'exploration de Mars. Catherine Procaccia, qui s'était fortement investie dans les problématiques relatives à l'espace, recommandait plutôt une exploration robotique. Un robot peut vivre plus facilement huit mois en autonomie qu'un humain. Pour effectuer des prélèvements et mieux connaître les structures, une exploration robotique est envisageable.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - On est déjà sur Mars. Des instruments réalisent des forages et récupèrent des matériaux présentant des formes de vie prébiotique. Mais la récupération des échantillons coûtera très cher, et si on les récupère, les humains ne servent à rien.

Didier Schmitt a présenté la feuille de route de l'ESA jusqu'à 2040. Je ne suis pas un grand fan de l'ESA, mais elle a fait un effort de prospective en alignant les communautés scientifiques européennes. Au-delà des considérations politiques que vous avez évoquées, le processus décisionnaire est complexe et parfois arbitraire, mais il y a déjà une vision et je m'étonne que l'on parte du principe qu'elle n'existe pas encore, même si elle est discutable.

Enfin, consentir un effort budgétaire significatif pour le vol habité se ferait nécessairement au détriment d'autres engagements de l'ESA. Ceci veut dire que l'on doit s'accorder pour augmenter les budgets au prorata du PIB ou en passant par des lignes annexes ou additionnelles. Je me méfie des bonnes intentions exprimées par des acteurs dont les objectifs sont industriels et commerciaux. Thales Alenia Space qui veut vendre une station est très intéressé, sachant que cela pourrait ne pas se faire sans décision forte. Il faut assumer un arbitrage politique et c'est à la représentation parlementaire d'inviter à en discuter.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Ma réserve porte sur la quatrième recommandation : « L'Office appelle à soutenir la filière industrielle et les start-up ». Les start-up représentent souvent une captation de financements publics pas toujours utilisés à bon escient.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office, rapporteur. - Il est difficile d'exclure les start-up du champ de l'innovation. Certes, il y a un investissement public, mais ce sont aussi de puissants leviers d'investissement privé. Beaucoup périclitent et n'arrivent pas à maturité mais l'encouragement des start-up fait partie de l'écosystème de la recherche. Le plan France 2030 en a subventionné un certain nombre. Toutes n'atteindront pas leurs objectifs mais si on était sûr d'attendre les objectifs, cela ne s'appellerait plus de la recherche.

L'Office adopte les conclusions de l'audition publique sur le vol spatial habité et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l'audition et de ces conclusions.

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