N° 567

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 avril 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le rapport d'avancement annuel
du
plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet,
MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre,
Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek,
Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

AVANT-PROPOS

Pour la première fois depuis l'entrée en vigueur du nouveau cadre de gouvernance économique de l'Union européenne le 29 avril 2024, le Gouvernement remet à la Commission européenne un rapport d'avancement annuel (RAA) : celui de 2025 portant sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) 2025-20291(*).

Le nouveau cadre de gouvernance économique de l'Union européenne

Engagée en avril 2023 sur le fondement d'une proposition de la Commission européenne, la réforme du pacte de stabilité et de croissance s'est traduite par l'adoption, le 29 avril 2024, d'une directive2(*) et de deux règlements, l'un portant réforme du volet préventif3(*) et l'autre du volet correctif4(*) du cadre budgétaire. Ces règles budgétaires révisées ont en particulier institué un nouvel indicateur de suivi de l'effort de redressement des comptes publics : la dépense primaire nette, définie comme les dépenses publiques, déduction faite des dépenses d'intérêts, des mesures discrétionnaires en matière de recettes, des dépenses relatives aux programmes de l'Union entièrement compensées par des recettes provenant de fonds de l'Union, des dépenses nationales de cofinancement des programmes financés par l'Union, ainsi que des éléments cycliques des dépenses liées aux indemnités de chômage. Après que la Commission leur a proposé une trajectoire de référence, les États membres dont la dette publique est supérieure à 60 % du PIB ou dont le déficit public dépasse 3 % du PIB déterminent, dans le cadre du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) d'une durée de quatre ou cinq ans, leur trajectoire de dépense nette, et celle-ci doit être validée par le Conseil. Cette trajectoire est sous-jacente à une période d'ajustement, de quatre ou sept ans, à l'issue de laquelle le déficit public doit être inférieur à 3 % et la dette publique orientée sur une trajectoire descendante. À l'appui d'un allongement de la période d'ajustement, les États membres détaillent la liste des réformes et des investissements conformes aux priorités communes de l'Union européenne qu'ils comptent déployer sur la durée du plan. Tous les ans, les États membres communiquent avant le 30 avril à la Commission un rapport d'avancement annuel (RAA) qui remplace le programme de stabilité et le programme national de réforme, et vise à assurer le suivi de l'application du PSMT. En cas de déviation ponctuelle ou cumulée trop importante par rapport à la trajectoire de dépense nette - enregistrée dans un compte de contrôle - les États membres, si leur déficit public est par ailleurs supérieur à 0,5 % du PIB et leur dette publique supérieure à 60 % du PIB, se voient appliquer la procédure de déficit excessif. Par ailleurs, il faut noter que, dans le cadre de la procédure de déficit excessif, la trajectoire de dépense nette est également la trajectoire de correction.

Source : commission des finances du Sénat

Le PSMT de la France, adopté en Conseil des ministres le 23 octobre 2024, a fait l'objet d'un débat en séance publique au Sénat le 30 octobre5(*). En cohérence avec les amendements au projet de loi de finances portés par le nouveau Gouvernement, ce dernier avait rectifié la trajectoire de dépenses qu'il contenait sans que le Sénat n'en ait alors eu connaissance et, sur cette base, le PSMT a été validé par le Conseil de l'Union européenne le 21 janvier 2025.

Le RAA est un rapport de suivi du PSMT et n'a pas la vocation prospective (mais non contraignante) qu'avaient le programme de stabilité et le programme national de réforme, qu'il remplace dans le calendrier du semestre européen. Présenté le 16 avril 2025 en Conseil des ministres par le ministre de l'économie et des finances, le RAA doit être transmis avant le 30 avril à la Commission européenne.

Alors que la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) n'a pas encore été actualisée pour tenir compte du remplacement du programme de stabilité par le PSMT et le RAA, le Gouvernement a transmis au Haut conseil des finances publiques ce dernier document en amont de sa transmission au Parlement, comme prévu à l'article 1er K de la LOLF, puis à la Commission européenne. La commission des finances salue ce geste sans en exagérer la portée : la transmission du programme de stabilité était une pratique bien établie et la forte dégradation des finances publiques de notre pays, qui nécessite une transparence accrue, aurait rendu impensable la rétention de ce document par le Gouvernement.

I. LE RENFORCEMENT DES INCERTITUDES DÉGRADE UNE SITUATION ÉCONOMIQUE DÉJÀ MOYENNE ET REND L'EXERCICE DE PRÉVISION DÉLICAT

A. LES PERFORMANCES ÉCONOMIQUES RÉCENTES DE LA FRANCE DEMEURENT INFÉRIEURES À CELLES DE LA ZONE EURO

Si l'on se limite à l'année 2024, l'économie française est, avec une croissance de 1,1 %, très légèrement plus performante que la zone euro dans son ensemble, qui enregistre une hausse de 0,9 %. Cela est principalement dû à la situation de l'économie allemande, qui a subi une récession pour la deuxième année consécutive (- 0,2 % après - 0,3 % en 2023). Si l'économie italienne a connu l'an dernier une croissance médiocre (0,7 %), les économies portugaise, grecque et espagnole se sont montrées particulièrement dynamiques, avec des taux de croissance respectifs de 1,9 %, 2,3 % et 3,2 %6(*), les causes de la croissance espagnole étant principalement à chercher du côté de son secteur touristique diversifié, de l'immigration alimentant un marché de l'emploi dynamique et de la hausse des dépenses publiques liées au plan de relance européen NextGenerationEU.

En revanche, entre la fin 2019 et la fin 2024, le PIB de la France a progressé de près d'un point et demi de moins que celui de la zone euro sur cette même période. La performance française reste supérieure de près de quatre points à celle de l'Allemagne.

Croissance du PIB de quelques pays entre 2019 et 2024, en %

Source : commission des finances du Sénat d'après l'OFCE7(*)

Trajectoire du PIB de quelques pays depuis le début de la crise sanitaire

Source : OFCE8(*)

Ainsi, en comparaison aussi bien des États-Unis que de nos partenaires européens, la performance de l'économie française depuis six ans est médiocre.

B. DES PRÉVISIONS DE CROISSANCE 2025 RÉVISÉES PAR DEUX FOIS À LA BAISSE DEPUIS LA PRÉSENTATION DU PSMT 2025-2029 ET QUI DEMEURENT INCERTAINES EN RAISON NOTAMMENT D'UNE POLITIQUE AMÉRICAINE ERRATIQUE

S'agissant de la croissance du PIB en volume, le Gouvernement revient assez fortement sur le scénario du PSMT 2025-2029 présenté fin octobre 2024.

Pour 2025, le Gouvernement a, en amont de l'examen des lectures des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2025, lors duquel il a modifié les principaux indicateurs de finances publiques, fait évoluer son scénario macroéconomique et revu à la baisse la prévision de croissance initiale de 1,1 %, mettant en avant une prévision de 0,9 %. Par la suite, le ministre de l'économie et des finances a, une semaine avant la présentation du RAA, annoncé une nouvelle révision de la croissance pour 2025 à hauteur de 0,7 %, ce qui met la prévision du Gouvernement en ligne avec les autres prévisions officielles.

Prévisions officielles de croissance du PIB de la France pour l'année 2025

(en %)

Source : commission des finances du Sénat

Ces révisions successives à la baisse témoignent de la hausse des incertitudes, que le Gouvernement impute essentiellement à l'environnement international. Ainsi, malgré un recul de la prévision de croissance de 0,4 point par rapport à octobre 2024, il n'est pas exclu que celle-ci continue à reculer en raison de nombreux aléas négatifs.

Cette orientation à la baisse se manifeste dans les prévisions les plus récentes, légèrement plus pessimistes que celle du Gouvernement. Ainsi, la prévision de croissance du FMI pour la France, en date du 22 avril 2025, est fixée à 0,6 %9(*), de même que la prévision du consensus des économistes d'avril. La prévision de l'OFCE en date du 9 avril10(*) s'élève quant à elle à 0,5 %.

Ainsi, les facteurs de croissance identifiés par le Gouvernement pourraient être légèrement moins porteurs que ce qu'il envisage et les facteurs de recul un peu plus marqués.

Certes, la croissance serait principalement portée par la consommation des ménages, qui augmenterait de 1,2 % selon le Gouvernement, alors que la prévision du consensus et de l'OFCE est de 1 %. Hors administrations, tandis qu'une progression même très limitée était envisagée en janvier par le Gouvernement, l'investissement poursuivrait sa baisse malgré un assouplissement de la politique monétaire engagé au printemps 2024 par la Banque centrale européenne (baisse du taux de dépôts de 1,5 point et du taux marginal de 1,85 point en un an), dont les effets de diffusion sur l'activité sont longs : pour le Gouvernement, l'investissement des ménages reculerait de 0,3 point et celui des entreprises de 0,8 point. Toutefois, pour ce dernier indicateur, le consensus des économistes prévoit une baisse de 0,9 point et l'OFCE une baisse de 1 point, l'investissement des ménages reculant même de 1,2 point selon cet institut. Ainsi, la demande intérieure privée hors stocks contribuerait, selon le Gouvernement, à hauteur de 0,5 point à la croissance du PIB en 2025, en retrait de 0,1 point par rapport à la prévision gouvernementale de janvier. Si l'on suit les prévisions du consensus ou de l'OFCE, elle pourrait contribuer légèrement moins à la croissance, ce qui est cohérent avec la prévision du FMI.

Cet écart peut s'expliquer par une prise en compte limitée, par le Gouvernement, des effets de l'incertitude qui continue à régner au niveau national. Ainsi, selon l'OFCE, celle-ci grèverait la croissance de 0,3 point en 2025 contre 0,1 point en 2024. Conjuguée à une incertitude internationale grandissante, la situation politique toujours instable et le manque de visibilité sur les mesures de politique économique et fiscale à venir qui en découle renforcerait les comportements attentistes des entreprises. Ces conditions, auxquelles s'ajoutent une dégradation du marché de l'emploi due au ralentissement de l'activité et au redressement de la productivité, qui se manifeste par une hausse progressive du taux de chômage approchant les 8 % en 2025 selon la Banque de France11(*) et l'OFCE, après un niveau de 7,4 % en 2024 et de 7,3 % en 2023, n'encourageraient que modérément la reprise d'une consommation des ménages. Cette augmentation du nombre de chômeurs couplée aux comportements de précaution qu'elle entraînerait freinerait le potentiel lié à une augmentation du pouvoir d'achat qui n'est désormais plus concentrée sur les revenus de la propriété, comme l'indique le RAA.

La consommation publique soutiendrait davantage la croissance qu'initialement prévu, du fait d'une consolidation budgétaire moins marquée : au début de la discussion du budget 2025, le Gouvernement de Michel Barnier prévoyait un ajustement structurel primaire de 1,3 point de PIB, lequel a finalement été ramené à 0,8 point de PIB. L'investissement public, en revanche, augmenterait moins qu'initialement envisagé.

Enfin, selon le Gouvernement, la contribution du commerce extérieur à la croissance serait nulle, à la différence de sa prévision de janvier (+ 0,1 point). Elle pourrait même être, selon l'OFCE, légèrement négative (- 0,1 point).

Ce recul est une composante de l'assombrissement global du tableau de l'économie mondiale résultant principalement de la politique commerciale américaine, dont les effets seront globalement négatifs sur l'économie française. Si tant est qu'une réflexion prospective ait un sens en la matière au regard de l'imprévisibilité du président des États-Unis, l'augmentation des droits de douane qu'il a engagée en février 2025, renforcée le 2 avril à grands renforts symboliques avec le « Liberation day » mais finalement contenue le 9 avril pour de nombreux pays dont la France, grèverait selon le Gouvernement la croissance de 0,3 point en 2025 - un chiffre un peu moins élevé que pour d'autres pays européens du fait de la plus faible exposition de l'économie française au marché américain. Au demeurant, cette estimation prend en compte les mesures annoncées jusqu'au 2 avril inclus, et exclut donc l'assouplissement annoncé par Donald Trump le 9 avril. Elle est par conséquent probablement légèrement surévaluée.

La hausse des droits de douane de l'ordre de 10 % subie par la France devrait conduire à une baisse des exportations et affaiblir la contribution du commerce extérieur à la croissance, ainsi que les perspectives d'investissement associés à la limitation des débouchés du marché américains. La baisse du dollar et la hausse concomitante de l'euro enregistrée depuis mars dégraderaient notre compétitivité prix, tandis que la réorientation des exportations chinoises vers l'Europe, soumises à des droits de douane américains de 145 % hors produits high-tech et semi-conducteurs depuis début avril, peut faire craindre une aggravation du déficit commercial. Les mesures et contre-mesures commerciales auraient un effet positif sur les prix, mais en raison de l'appréciation de l'euro et de la baisse des prix du pétrole résultant du ralentissement des échanges et de l'économie mondiale, un recul de l'inflation en deçà de la prévision gouvernementale de 1,4 % paraît le plus probable : la prévision d'inflation pour 2025 est décrite par le Haut Conseil des finances publiques comme « un peu élevée »12(*). Les risques de délocalisation sur le territoire américain, bien qu'ayant rencontré un certain écho médiatique, restent à documenter, tandis que la baisse des valorisations boursières mondiales pourrait venir amputer la consommation des ménages détenant des actifs.

Si le Gouvernement a rapidement modifié son scénario international datant de février en vue de la publication du RAA pour tenir compte de l'évolution la plus récente de la situation internationale - ce qu'il faut saluer -, la prévision de croissance reste soumise à de nombreux aléas, qui peuvent aggraver les facteurs négatifs précédemment décrits. Seul point positif dans ce tableau international, l'expansion budgétaire lancée en mars par l'Allemagne, dont le Parlement a décidé d'assouplir le mécanisme constitutionnel du frein à l'endettement et a approuvé un fonds spécial pour les infrastructures de 500 milliards d'euros sur 12 ans, entraînerait un redémarrage de l'économie allemande mais ne commencerait à avoir un effet manifeste sur l'économie française, à travers nos échanges commerciaux, qu'en 2026.

Ayant vocation à assurer le suivi de l'application du PSMT, le scénario économique du RAA pour les années 2026 à 2029 est peu étayé et repose encore sur le scénario de croissance potentielle du PSMT. Lorsqu'elle avait eu à examiner ce document, la commission des finances l'avait jugé réaliste, mais le faible niveau de croissance effective en 2025 pourrait venir affaiblir le niveau de croissance potentielle, fondé sur des hypothèses d'emploi plus optimistes. Compte tenu de l'ajustement budgétaire plus marqué dans les années à venir qu'initialement prévu dans le PSMT qui envisageait une concentration de l'effort en 2025, les prévisions de croissance sont toutefois révisées à la baisse, ce qui constitue un scénario un peu plus réaliste qu'un maintien pur et simple des prévisions du PSMT.

Prévisions de croissance en volume du PIB de la France
du PSMT 2025-2029 et du RAA 2025, en %

Source : commission des finances du Sénat

OCDE (février)

Banque de France (mars)

Commission européenne (février)

Gouvernement (avril)

FMI (avril)

Au total, le scénario macroéconomique sous-jacent à ce RAA paraît réaliste, même si la multiplication des incertitudes soumet la prévision de croissance à un risque non négligeable de correction supplémentaire à la baisse. Cette moindre croissance, qui générera moins de recettes et plus de dépenses, notamment liées à l'indemnisation du chômage, rendra plus difficile l'atteinte de la cible de déficit pour 2025, même si le point de départ - le déficit de 2024 - est moins élevé que prévu lors de l'adoption du budget 2025.

II. UN DÉFICIT PUBLIC TROP ÉLEVÉ MAIS UNE TRAJECTOIRE DE DÉPENSE NETTE TENUE

A. SI TANT EST QUE L'OBJECTIF DE DÉFICIT DE 2025 SOIT ATTEINT, IL NE FERAIT QUE REVENIR À SON NIVEAU DE 2023, BIEN TROP ÉLEVÉ

Héritier d'une dérive budgétaire inédite et placé dans une situation politique complexe du fait de la dissolution décidée par le président de la République le 9 juin 2024 et la motion de censure du 4 décembre 2024, le Gouvernement actuel n'a pour l'instant pas réussi à redresser franchement les comptes publics.

Après un dérapage majeur du déficit en 2023, avec 5,4 % du PIB, ce dernier a continué à se dégrader avec un niveau de 5,8 % en 2024 au lieu des 4,4 % prévus dans la loi de finances initiale et dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027, pour des raisons détaillées en juin et novembre 2024 par la mission d'information de la commission des finances sur la dégradation des finances publiques13(*). La cible de 3,7 % de déficit public en 2025 fixée par la LPFP, adoptée il y a à peine un an et demi, est définitivement hors d'atteinte. Pour l'année en cours, le Gouvernement prévoit en effet un déficit public de 5,4 % du PIB.

A-t-on réellement fait 50 milliards d'euros d'économies en 2025 ?

Pour justifier la mise en place d'actions suivies d'effets dans le cadre de la procédure de déficit excessif engagée contre la France, le Gouvernement souligne que la réduction du déficit s'explique par la réalisation d'un effort de 50 milliards d'euros d'économies, dont 20 milliards d'euros pour les dépenses de l'État « par rapport au tendanciel ». Or, contrairement à ce qui était prévu dans le plan d'action pour améliorer le pilotage des finances publiques présenté le 3 mars, aucune précision n'est encore fournie à propos de cette notion de tendanciel. Il faut ainsi noter qu'en dehors des dépenses sociales, qui sont des dépenses de guichet liées à des tendances sur lesquelles le législateur n'a que faiblement prise, même s'il s'attache à organiser une régulation des dépenses de santé à travers l'Ondam, la notion de « tendanciel » interroge puisqu'elle touche des dépenses autorisées par le politique, que ce soit par les collectivités ou par le Parlement dans le cadre de l'examen du budget. Elle nécessite donc absolument d'être clarifiée et documentée pour pouvoir être utilisée.

Source : commission des finances du Sénat

L'ambition d'un retour du déficit à son niveau de 2023 est par ailleurs fragilisée par l'assombrissement des perspectives économiques, ainsi que par le caractère sans doute un peu optimiste des prévisions de recettes, mais reste atteignable. Il faut ainsi préciser que, lorsque le Gouvernement s'est fixé pour cible un solde public de - 5,4 % du PIB en 2025 avec une croissance de 0,9 % du PIB, l'estimation du déficit pour 2024 s'élevait encore à 6,0 %. L'amélioration modérée du solde 2024 par rapport aux dernières prévisions s'explique par un redressement des recettes en fin d'année ce qui, par un effet base, se traduirait toutes choses égales par ailleurs par des prévisions de recettes meilleures qu'attendu en 2025. C'est ainsi que s'explique la révision à la hausse de 2 milliards d'euros de la prévision d'impôt sur les sociétés, malgré la situation économique et les difficultés de prévision liées au 5ème acompte, la hausse de près de 1 milliard d'euros de la prévision d'impôt sur le revenu et la prévision « un peu haute » de cotisations sociales selon le HCFP. Force est toutefois de constater, avec ce dernier, que ces révisions éliment la marge de prudence que s'était octroyée avec raison le Gouvernement en janvier dernier en amendant le PLF. En tout état de cause, l'annulation de 2,7 milliards d'euros en crédit de paiements par le décret n° 2025-374 du 25 avril 2025 portant annulation de crédits et la mise en réserve complémentaire d'un « montant comparable » évoquée dans le rapport accompagnant ce décret et « mise en oeuvre pour reconstituer des marges de manoeuvre visant à sécuriser le bon déroulement de la gestion budgétaire » en 2025, est une raison supplémentaire de penser qu'un déficit de 5,4 % du PIB en 2025 est possible.

B. UNE TRAJECTOIRE DE FINANCES PUBLIQUES RAISONNABLE, MAIS QUI RESTE NON DOCUMENTÉE

La trajectoire de finances publiques contenue dans le RAA n'est pas imposée par le droit européen, qui se limite à prévoir que le RAA rend compte des progrès accomplis en ce qui concerne la mise en oeuvre de la trajectoire des dépenses nettes et la mise en oeuvre des réformes et investissements prévus dans le PSMT pour justifier le rallongement de la période d'ajustement.

Elle est toutefois précisée et se traduirait par un effort de l'ordre de 110 milliards d'euros à horizon 2029 - dont 40 milliards d'euros pour la seule année 2026 - pour maintenir l'objectif d'un passage du déficit public sous le seuil de référence de 3 % du PIB cette année-là. Cet effort se partage, entre 2026 et 2029, entre un ajustement structurel primaire de 3,1 points de PIB, minoré par une charge de la dette en augmentation d'un point induisant un ajustement structurel de 2,1 points de PIB, et une amélioration de 0,4 point de PIB du solde conjoncturel du fait d'une croissance effective supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2029.

En raison d'un déficit supérieur en 2025 et légèrement plus marqué en 2027 et 2028, ainsi que de la révision des prévisions de croissance du PIB, l'endettement public prévu dans le RAA serait encore plus élevé que ce qu'il était dans le PSMT en s'approchant dangereusement des 120 % en 2027, mais suivrait, comme indiqué dans ce document, une trajectoire descendante à partir de 2028. Cette trajectoire est par ailleurs conditionnée à l'élection présidentielle française, qui peut se traduire par une révision du PSMT comme l'autorise le nouveau cadre de gouvernance économique européen.

Trajectoires d'évolution du déficit public (graphique de gauche)
et de la dette publique (graphique de droite), en pourcentage de PIB

 

Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPFP 2023-2027, le PSMT 2025-2029 et le RAA 2025

La trajectoire de déficit public, bien qu'assez alarmante au regard de son point de départ extrêmement dégradé, est cohérente avec celle prévue par le PSMT et paraît soutenable. Les mesures d'économies sous-jacentes à cette trajectoire ne sont pas documentées mais le RAA est un rapport de suivi et non de prospective, qui n'a pas pour objet de les documenter. Les décisions nécessaires pour respecter la trajectoire de dépense nette, la seule vraiment contraignante et actuellement tenue, devront être prises en temps et en heure, sous peine de sanction dans le cadre de la procédure de déficit excessif.

Si le catalogue de l'avancement des investissements et réformes justifiant la prolongation de la période d'ajustement est correctement renseigné, on peut toutefois déplorer le manque de précision et des explications un peu rapides concernant la prévision d'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB, dont les erreurs d'estimation ont pourtant constitué l'une des causes des dérives majeures enregistrées en 2023 et 2024 et dont il est simplement indiqué qu'elle serait en 2025 « proche de l'unité », alors que les précédents programmes de stabilité avançaient un chiffre précis.

C. MALGRÉ UN MINCE ÉCART À L'OBJECTIF, LA TRAJECTOIRE DE DÉPENSE NETTE, LA SEULE VRAIMENT ENGAGEANTE, EST TENUE

Seul critère véritablement engageant au niveau européen, la trajectoire de dépense primaire nette (DPN), qui est également notre trajectoire de correction dans le cadre de la procédure de déficit excessif, est pour l'instant tenue. Celle-ci a évolué depuis l'été 2024, lorsque la Commission européenne présentait à la France une première trajectoire de référence. Ainsi, du fait de la dégradation de la prévision de solde public pour 2024 au cours de l'année, le Gouvernement de Michel Barnier a proposé, dans le PSMT, une trajectoire plus ambitieuse que celle de la Commission : pour chaque année entre 2025 et 2029 hors 2028, la DPN évoluait moins que ce que prévoyait la trajectoire de référence. Comme le précise le RAA, la trajectoire de DPN recommandée à la France par le Conseil, le 21 janvier 2025, a fait l'objet d'une modification par rapport au PSMT pour tenir compte de la révision de l'objectif de solde public pour 2025 du Gouvernement - sans pour autant que le Parlement en fût informé14(*). C'est pourtant cette trajectoire qui est contraignante pour la France.

Trajectoires de dépense primaire nette de la France
entre 2024 et 2029, évolution en %

Source : commission des finances du Sénat d'après le PSMT 2025-2029 et le RAA 2025

Le RAA signale qu'en 2025, l'évolution de la DPN, prévue à + 0,9 % serait de 0,1 point supérieure à ce que recommande le Conseil, ce qui constitue un écart inférieur au maximum de 0,3 point prévu par les nouvelles règles. En cumulé sur les années 2024-2025, la France ferait mieux, à hauteur de 0,4 point, que la recommandation du Conseil, fixée à 4,6 % du fait d'un niveau initial en 2024 dont la prévision était initialement supérieure. C'est de bon augure puisque le seuil maximal de déviations cumulées enregistrées dans le compte de contrôle est de 0,6 point de PIB. Cette bonne orientation ne doit toutefois pas faire perdre de vue que la vigilance et le volontarisme doivent demeurer les maîtres mots de l'action publique en matière de finances publiques pour les années à venir.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 30 avril 2025, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur le rapport d'avancement annuel du plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cette communication va faire écho à la présentation que vient de nous faire le Premier président de la Cour des comptes. En effet, je vais vous livrer mon analyse du rapport d'avancement annuel (RAA) pour 2025, qui porte sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) 2025-2029.

Ce rapport a été présenté il y a deux semaines en conseil des ministres et doit être transmis aujourd'hui à la Commission européenne, pour la première fois depuis l'entrée en vigueur du nouveau cadre de gouvernance économique de l'Union européenne le 29 avril 2024.

Je vous rappelle que les règles du pacte de stabilité et de croissance ont été fortement modifiées l'année dernière. Un nouvel indicateur de suivi de l'effort de redressement des comptes publics a ainsi été instauré : la dépense primaire nette (DPN). Désormais, la Commission propose aux États membres dont la dette publique dépasse 60 % du PIB ou dont le déficit public est supérieur à 3 % du PIB une trajectoire de référence. Puis, les États membres déterminent, dans le cadre de leur PSMT portant sur une période de quatre ou cinq ans, leur trajectoire de dépense nette, qui doit être validée par le Conseil. Cette trajectoire est sous-jacente à une période d'ajustement de quatre à sept ans, à l'issue de laquelle le déficit public doit être inférieur à 3 % et la trajectoire de la dette publique doit être descendante.

Pour obtenir un allongement de la période d'ajustement de quatre à sept ans, les États membres doivent détailler la liste des réformes et des investissements conformes aux priorités communes de l'Union européenne qu'ils comptent déployer. C'est ce qu'a fait la France. Les États membres doivent ensuite communiquer chaque année à la Commission, avant le 30 avril, un rapport d'avancement annuel qui remplace le programme de stabilité et le programme national de réforme. Cette démarche a vocation à assurer le suivi de l'application du PSMT. Le texte que nous examinons aujourd'hui est donc le rapport d'avancement annuel 2025, qui vise à faire le point sur l'application du PSMT 2025-2029.

En cas de déviation ponctuelle ou cumulée trop importante par rapport à la trajectoire de dépense nette, les États membres dont le déficit public est supérieur à 0,5 % du PIB et la dette publique supérieure à 60 % du PIB se voient appliquer la procédure pour déficit excessif. Pour les États qui sont déjà en procédure de déficit excessif, comme la France, la trajectoire de dépense nette fait figure de trajectoire de correction : une déviation par rapport à cette trajectoire doit entraîner des actions suivies d'effets et, à défaut, des sanctions financières.

Le PSMT 2025-2029 de la France, adopté en conseil des ministres le 23 octobre 2024 et dont le Sénat a débattu en séance publique le 30 octobre 2024, a été validé par le Conseil de l'Union européenne le 21 janvier 2025. Sa trajectoire de dépense avait au préalable été rectifiée au cours du mois de janvier 2025 pour prendre en compte l'évolution de la cible du déficit 2025 entre les gouvernements Barnier et Bayrou. Je précise que le Sénat n'avait alors pas eu connaissance du détail de cette révision.

Alors que la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) n'a pas encore été actualisée pour tenir compte du remplacement du programme de stabilité par le PSMT et le rapport annuel d'avancement, le Gouvernement a tout de même transmis au Haut Conseil des finances publiques (HCFP) ce dernier document, en amont de sa transmission au Parlement. Je salue ce geste, sans en exagérer la portée : la transmission du programme de stabilité était une pratique bien établie et la forte dégradation des finances publiques de notre pays, qui exige une transparence accrue, aurait rendu impensable la rétention de ce document par le Gouvernement.

J'en viens à mon analyse du rapport à proprement parler, en débutant par un point sur la situation économique.

Entre la fin 2019 et la fin 2024, le PIB de la France a progressé de près de 1,5 point de moins que celui de la zone euro. Si l'on peut tenter de se rassurer en constatant qu'il a augmenté de près de quatre points de plus que celui de l'Allemagne, j'estime à titre personnel que les performances économiques de la France depuis six ans ont été relativement médiocres.

S'agissant des prévisions de croissance, le Gouvernement revient assez fortement sur le scénario du PSMT 2025-2029 présenté il y a six mois.

Pour 2025, le Gouvernement a fait évoluer son scénario macroéconomique et a revu à la baisse sa prévision de croissance initiale : de 1,1 %, elle était tombée à 0,9 % au moment de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi de finances (PLF). Par la suite, une semaine avant la présentation du rapport annuel d'avancement, le ministre de l'économie et des finances a annoncé une nouvelle révision de la prévision de croissance pour 2025, en l'établissant à 0,7 %, s'alignant ainsi sur les autres prévisions officielles.

Ces révisions successives à la baisse témoignent d'une intensification des incertitudes, que le Gouvernement impute essentiellement à l'environnement international. Aussi, malgré un recul de 0,4 point de la prévision de croissance par rapport à octobre 2024, il n'est pas exclu que celle-ci soit de nouveau revue à la baisse en raison des nombreux aléas qui pourraient nuire à notre économie.

Cette orientation à la baisse se manifeste dans les prévisions les plus récentes, légèrement plus pessimistes que celle du Gouvernement. Ainsi, dans leurs projections du mois d'avril, le Fonds monétaire international (FMI) et le consensus des économistes prévoient une croissance de 0,6 %, tandis que l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) l'estime à 0,5 %.

Les facteurs de croissance identifiés par le Gouvernement pourraient être légèrement moins porteurs qu'il ne le prévoit et les facteurs de recul un peu plus marqués. J'emploie le conditionnel, car il convient de rester prudent.

La croissance serait principalement portée par la consommation des ménages, qui augmenterait de 1,2 % selon le Gouvernement. Hors administrations, alors qu'une progression - certes très limitée - était envisagée en janvier dernier par le Gouvernement, l'investissement poursuivrait sa baisse malgré l'assouplissement de la politique monétaire que la Banque centrale européenne (BCE) a engagé au printemps 2024, dont les effets mettent du temps à se produire. L'investissement des ménages reculerait ainsi de 0,3 point et celui des entreprises de 0,8 point.

Au total, la demande intérieure privée hors stocks contribuerait à hauteur de 0,5 point à la croissance du PIB en 2025, en retrait de 0,1 point par rapport à la prévision gouvernementale de janvier. Si l'on suit les prévisions du consensus ou de l'OFCE, elle pourrait contribuer légèrement moins à la croissance, ce qui est cohérent avec la prévision du FMI.

Cet écart peut s'expliquer par le fait que le Gouvernement ne tient compte que de manière limitée des effets de l'incertitude qui continue de régner à l'échelle nationale. Selon l'OFCE, l'incertitude nationale grèverait la croissance de 0,3 point en 2025, contre 0,1 point en 2024. Celle-ci se conjugue à une incertitude internationale grandissante et à une situation politique toujours instable, qui implique un manque de visibilité sur les mesures de politique économique et fiscale à venir. Ces facteurs sont de nature à renforcer le comportement attentiste des entreprises.

S'ajoute à ce contexte une dégradation du marché de l'emploi due au ralentissement de l'activité et au redressement de la productivité, qui se manifeste par une hausse progressive du taux de chômage. Selon la Banque de France et l'OFCE, celui-ci approcherait les 8 % en 2025, contre 7,4 % en 2024 et 7,3 % en 2023. Cette situation n'encouragerait que modérément la reprise de la consommation des ménages.

En revanche, la consommation publique soutiendrait davantage la croissance qu'initialement prévu du fait d'une consolidation budgétaire moins marquée entre la mouture du budget 2025 du gouvernement Barnier et la cible actuelle du gouvernement Bayrou.

Enfin, le Gouvernement anticipe une contribution nulle du commerce extérieur à la croissance, alors qu'il prévoyait à l'origine une contribution de 0,1 point. Pour l'OFCE, elle pourrait même être légèrement négative, à - 0,1 point.

Ce recul s'explique par l'assombrissement du tableau de l'économie mondiale causé par la politique commerciale américaine, dont les effets seront globalement négatifs sur l'économie française. Le Gouvernement s'est risqué à une réflexion prospective sur l'impact de l'augmentation des droits de douane engagée en février 2025 par le président américain, malgré le caractère imprévisible de ce dernier, qui est revenu à deux reprises sur cette augmentation. Il estime qu'elle grèverait la croissance de 0,3 point en 2025. Ce chiffre est un peu moins élevé que pour d'autres pays européens du fait de la moindre dépendance de l'économie française au marché américain. Au demeurant, cette estimation se fonde sur les mesures annoncées jusqu'au 2 avril inclus, ne tenant donc pas compte de l'assouplissement annoncé par Donald Trump le 9 avril dernier. Par conséquent, elle est probablement légèrement surévaluée.

La hausse des droits de douane de l'ordre de 10 % subie par la France devrait conduire à une baisse des exportations et affaiblir la contribution du commerce extérieur à la croissance. La baisse du dollar et la hausse concomitante de l'euro enregistrée depuis mars dégraderaient notre compétitivité prix, tandis que la réorientation des exportations chinoises vers l'Europe - celles-ci sont soumises à des droits de douane américains de 145 % hors produits high-tech et semi-conducteurs depuis début avril - peut faire craindre une aggravation du déficit commercial.

Les mesures et contre-mesures commerciales auraient un effet positif sur les prix, mais en raison de l'appréciation de l'euro et de la baisse des prix du pétrole résultant du ralentissement des échanges et de l'économie mondiale, un recul de l'inflation en deçà de la prévision gouvernementale de 1,4 % paraît assez probable : la prévision d'inflation pour 2025 est décrite par le HCFP comme « un peu élevée ».

Les risques de délocalisation sur le territoire américain, bien qu'ayant rencontré un certain écho médiatique, restent à documenter, tandis que la baisse des valorisations boursières mondiales pourrait venir amputer la consommation des ménages détenant des actifs.

Les prévisions de croissance contenues dans le rapport annuel d'avancement pour les années à venir sont légèrement révisées à la baisse, ce qui constitue un scénario un peu plus réaliste qu'un maintien pur et simple des prévisions du PSMT, même si elles pourraient être amenées à être encore une fois reconsidérées à la baisse à cause de la multiplication des incertitudes. Cette moindre croissance nous compliquerait la tâche pour atteindre notre cible de déficit pour 2025.

Après un dérapage majeur en 2023, lorsqu'il a atteint 5,4 % du PIB, notre déficit public a continué de se dégrader et s'élevait en 2024 à 5,8 %, au lieu des 4,4 % prévus dans la loi de finances pour 2024 et dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027. La cible de 3,7 % de déficit public en 2025 fixée par la LPFP il y a seulement dix-huit mois est définitivement hors d'atteinte. Pour l'année en cours, le Gouvernement prévoit en effet un déficit public de 5,4 % du PIB, soit un écart de l'ordre de 50 milliards d'euros par rapport à la cible de la LPFP.

Si l'ambition d'un retour du déficit à son niveau de 2023 est fragilisée par l'assombrissement des perspectives économiques et par le caractère sans doute un peu optimiste des prévisions de recettes, le décret du 25 avril dernier est une raison supplémentaire de penser qu'elle reste atteignable. En effet, celui-ci annule 2,7 milliards d'euros de crédits en crédits de paiement et prévoit, selon le rapport qui lui est associé, qu'« une mise en réserve complémentaire, d'un montant comparable à la présente annulation, sera mise en oeuvre pour reconstituer des marges de manoeuvre visant à sécuriser le bon déroulement de la gestion budgétaire tout au long de l'année 2025 ».

J'en viens maintenant à la trajectoire de finances publiques pour la période 2026-2029. Celle qui est contenue dans le rapport annuel d'avancement n'est pas contraignante, le droit européen se limitant à prévoir que ce document doit rendre compte des progrès accomplis. Mais tant qu'à faire, autant donner tous les éléments dont nous disposons, tant en matière de trajectoire que d'objectifs.

La trajectoire est utilement précisée par le RAA 2025, qui prévoit un effort de l'ordre de 110 milliards d'euros, dont 40 milliards d'euros pour la seule année 2026 pour atteindre notre objectif de ramener le déficit à 3 % du PIB à l'horizon 2029. La réduction prévue par le RAA serait portée par, d'une part, « un ajustement structurel cumulé de 2,1 points de PIB potentiel, malgré un renchérissement du coût de la charge d'intérêt de la dette de 1 point, soit un ajustement structurel primaire de 3,1 points » ; et, d'autre part, « une amélioration de 0,4 point de PIB du solde conjoncturel, la croissance effective étant supposée être plus dynamique que la croissance potentielle jusqu'en 2029 ».

En raison de cet ajustement et de la croissance faible dans les années à venir, l'endettement public augmenterait encore plus que prévu dans le PSMT jusqu'en 2027, pour s'approcher des 120 % du PIB, avant de suivre une trajectoire descendante à partir de 2028.

Cette trajectoire, même si elle part d'un point de départ alarmant, est cohérente avec celle qui est prévue par le PSMT et paraît soutenable. Les décisions nécessaires pour respecter la trajectoire de dépense nette, la seule vraiment contraignante et actuellement tenue, devront de toute façon être prises en temps et en heure.

Je déplore au passage des explications un peu rapides, ou tout du moins pas assez précises sur la prévision d'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB. Après les erreurs d'estimation de 2023 et 2024, ce n'est pas pleinement satisfaisant.

Seule véritablement engageante au niveau européen, la trajectoire de dépense primaire nette (DPN), qui est également notre trajectoire de correction dans le cadre de la procédure pour déficit excessif, est pour l'instant tenue.

Le rapport annuel d'avancement signale que, en 2025, l'évolution de la dépense primaire nette, prévue à + 0,9 %, serait de 0,1 point supérieure à ce que recommande le Conseil, ce qui constitue un écart inférieur au maximum de 0,3 point prévu par les nouvelles règles. Cette bonne orientation ne doit toutefois pas faire perdre de vue que la vigilance et le volontarisme doivent demeurer les maîtres mots de l'action du Parlement en matière de finances publiques dans les années à venir.

En conclusion, je voudrais me réjouir de l'amélioration de la qualité de la documentation dont nous disposons désormais, même si elle reste perfectible. En remettant ce rapport annuel d'avancement, le Gouvernement s'est montré davantage respectueux du Parlement et bien plus rigoureux qu'il ne l'avait été par le passé, notamment dans le cadre du programme de stabilité 2024-2027. Je rappelle que nous avions intitulé notre rapport, d'une manière quelque peu prémonitoire, Programme de stabilité 2024-2027 : chronique d'une dérive budgétaire annoncée. Dans l'océan d'incertitudes dans lequel nous sommes plongés, cette transparence accrue mérite d'être soulignée.

M. Grégory Blanc. - Je m'interroge sur la trajectoire du déficit public. Aux dires du rapporteur général, l'objectif d'une baisse de 0,4 point du déficit en 2025 semble atteignable. Celui-ci passerait ainsi de 5,8 % du PIB en 2024 à 5,4 % en 2025. En revanche, nous savons que l'effort sera considérable pour le ramener de 5,4 % en 2025 à 4,6 % en 2026. Il est question d'un redressement de 40 milliards d'euros en tendanciel, mais nous savons que le chiffre est beaucoup plus faible en structurel.

Sauf erreur de ma part, les ponctions sur les agences de l'État représentent environ 10 % de l'effort en 2025. L'année prochaine, cela ne sera pas le cas. Existe-t-il une estimation des économies qui pourraient encore être réalisées ? Il n'est pas neutre de faire reposer 10 % à 15 % de l'effort sur une ponction des trésoreries. Nous ne pourrons certainement pas reproduire un tel effort l'année prochaine.

Mme Florence Blatrix Contat. - Je partage la satisfaction du rapporteur général sur le fait de disposer de prévisions plus fiables, notamment sur la croissance. Toutefois, je tiens à exprimer mes inquiétudes sur les incertitudes liées au contexte international. Nous espérons davantage de consommation grâce à un reflux de l'inflation, mais les inquiétudes risquent de pousser les ménages à épargner plutôt qu'à dépenser.

Dans le même temps, nous constatons que les entreprises investissent peu. La réindustrialisation promise ne se concrétise pas. Nous observons même plutôt une poursuite de la désindustrialisation, ce qui est inquiétant.

Par ailleurs, le PSMT est relativement peu documenté sur les années à venir. Nous voyons mal comment financer nos besoins d'investissement très importants, tout en respectant la trajectoire proposée. Nous en débattrons cet après-midi en séance publique.

Mme Christine Lavarde. - Mes propos s'inscriront dans la continuité de ceux de Florence Blatrix Contat, avec qui je travaille sur le cadre de gouvernance économique européen, qui a été modifié, et a conduit à la production de ce nouveau document.

Certes, grâce à ce rapport annuel d'avancement, la Commission va nous donner son feu vert sur le PSMT alors que ce n'était pas garanti en janvier. Mais quid de la suite ?

Nous sommes passés du programme de stabilité et du programme national de réforme (PNR) au rapport annuel d'avancement. La partie prospective est désormais optionnelle. Le Gouvernement l'a incluse, mais il aurait pu ne pas le faire. Je me suis amusée à regarder les PNR précédents et rien n'a changé, à part le titre. On nous dit toujours la même chose.

Il est cocasse de lire que les réformes des gouvernements précédents seront poursuivies quand on voit à quel point elles ont bien fonctionné, nous conduisant au niveau de dette et au déficit actuel, qui sont structurels.

Nous devons nous poser la question de l'avenir. Oui, ce document est un quitus pour aujourd'hui, car la trajectoire d'évolution du déficit public qu'il fait figurer est conforme aux attentes des instances européennes. En revanche, qu'avons-nous à proposer à nos concitoyens ? Je ne suis pas sûre que l'évolution de la dépense primaire soit très évocatrice à leurs yeux...

M. Vincent Delahaye. - Je me réjouis des améliorations constatées par le rapporteur général en matière de transparence. Toutefois, j'aimerais que nous profitions tous de ces avancées, car je me pose encore de nombreuses questions.

La prévision de croissance est en baisse. Elle était de 1,1 % au moment où nous avons adopté la partie recettes du PLF ; elle est désormais à 0,7 %, voire moins. Or, nous avons l'impression que cela ne change rien aux recettes. Le Premier président de la Cour des comptes estime atteignable la trajectoire malgré presque un demi-point de croissance de moins que prévu, sauf mauvaise surprise. En réalité, il se couvre en évoquant de potentielles mauvaises surprises, car il pourra toujours dire qu'il nous avait prévenus si tel était le cas - ce qui me semble le plus probable.

J'ai râlé ces dernières années sur le fait qu'on ne distingue pas les dépenses exceptionnelles et les dépenses courantes, ce qui constituait un manque de transparence. A priori, nous n'avons plus de dépenses exceptionnelles, puisque nous sommes sortis de la crise. Cela facilite donc la comparaison. Néanmoins, je m'étonne que l'on nous ait présenté à l'automne 2024 un document prévoyant 0 % de croissance de la dépense nette primaire et que l'on prévoie aujourd'hui 0,9 %. Que s'est-il passé depuis l'automne ? Ces 0,9 % incluent-ils les 5 milliards d'euros de dépenses qui ont été annoncés en faveur de la défense ? Je n'ai pas trouvé la réponse en lisant le rapport.

Nous avons eu une bonne surprise relative en 2024, le déficit s'élevant à 5,8 %, alors que nous redoutions qu'il atteigne 6 %, voire 6,1 %. Dès lors, pourquoi ne modifions-nous pas notre trajectoire pour faire un effort supplémentaire dès 2025 et réduire les marches à franchir les années suivantes ? Cela me semblerait logique et de bonne gestion.

Je suis étonné que la trajectoire change si peu et que les économies nécessaires soient aussi peu documentées, que ce soient les 40 milliards d'économies annoncées ou les 8 milliards d'euros de crédits gelés. J'y reviendrai en séance, mais je veux bien travailler avec le Gouvernement, à condition de le faire en toute transparence. Lorsqu'il nous annonce des chiffres, j'attends de sa part qu'il nous les explique. Aujourd'hui, je suis dans une forme de flou artistique.

M. Claude Raynal, président. - Je suis d'accord avec la dernière remarque de Vincent Delahaye. Pourquoi, malgré le déficit meilleur que prévu en 2024, rien ne se passe-t-il en matière de prospective ? Pourquoi ne pas faire évoluer l'objectif de cette année pour rendre plus facilement atteignable celui des années suivantes ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je donnerai simplement mon point de vue, car mon rôle n'est pas de répondre à la place de l'exécutif. Il y a quelques mois, Laurent Saint-Martin disait espérer que le déficit se limite à 6 % du PIB. Or il a finalement été contenu à 5,8 % - cela, je le répète, n'est tout de même pas glorieux. Cette différence de 0,2 point représente tout de même 6 milliards d'euros ; ce n'est pas l'épaisseur du trait !

Selon moi, en réalisant les efforts nécessaires et en ayant de bonnes surprises, il est possible d'obtenir un résultat meilleur que la prévision. J'entends une bonne partie des sénateurs appeler à trouver 40 milliards d'euros d'économies, mais le dire est une chose, l'obtenir en est une autre. Cela exige du volontarisme.

L'exercice budgétaire est devenu un tunnel dont on ne sort plus. On ne fait que s'accorder quelques pauses.

Chacun en convient, la vision prospective est le principal point d'amélioration. Certes, il existe déjà une loi de programmation des finances publiques, mais il convient de tirer les conséquences des erreurs commises et de la dégradation vertigineuse des comptes publics. Il faut dresser un état des lieux et fixer des objectifs et des trajectoires pour redresser la situation. Il y aura toujours une part d'aléas, mais il est possible de solidifier les trajectoires avec les bons outils et la bonne documentation. Ce travail ne doit pas être optionnel. Nous devrons trouver un moyen de l'imposer.

Monsieur Delahaye, en ce qui concerne les perspectives de croissance, on ne peut pas dire qu'il ne se passe rien. La publication rapide d'un décret d'annulation de crédits me semble tenir compte des alertes que nous avons formulées. Je suis disposé à recevoir la ministre des comptes publics pour évoquer ce sujet.

À ce stade, je pense pouvoir affirmer que l'augmentation des dépenses en matière de défense n'est pas incluse dans les données que je viens de vous présenter.

Enfin, pour répondre à votre dernière question, le Gouvernement chiffre à + 0,15 % l'effet positif sur le solde en 2025 de l'amélioration du solde en 2024 (- 5,8 % du PIB au lieu de - 6,1 %). Toutefois, cette amélioration risque d'être neutralisée par les mauvaises nouvelles sur la croissance et l'emploi.

La commission a autorisé la publication de cette communication sous la forme d'un rapport d'information.

ANNEXE
AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES ET PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (LE 30 AVRIL 2025)

Réunie le mercredi 30 avril 2025, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques, sur le rapport sur le budget de l'État en 2024 et sur la certification des comptes de l'État pour l'exercice 2024 ainsi que sur les avis du Haut Conseil des finances publiques sur le projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024 et sur le rapport d'avancement annuel du plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029.

M. Claude Raynal, président. - Nous procédons ce matin à l'audition de M. Pierre Moscovici, tant en sa qualité de Premier président de la Cour des comptes que de Président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), puisqu'il vient nous présenter deux rapports de la Cour des comptes - l'un sur le budget de l'État en 2024 et l'autre sur la certification des comptes de l'État pour l'exercice 2024 - et deux rapports du HCFP, l'un sur le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024, connu sous l'ancien terme de « loi de règlement », et l'autre sur le rapport d'avancement annuel du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) 2025-2029. Autant dire que cette audition sera substantielle !

Monsieur le Premier président, s'agissant du rapport sur le budget de l'État (RBDE), vous revenez sur le niveau massif du déficit budgétaire en 2024, lié, selon vous, à des prévisions optimistes sur les recettes, à un manque d'ambition sur les dépenses et à l'ombre portée des très mauvais résultats de 2023, ce que nous avions cherché à mettre en avant dans nos travaux sur la dégradation des finances publiques.

Nous avions aussi dit et répété au printemps dernier qu'un projet de loi de finances rectificative (PLFR) était nécessaire, avant d'identifier, dans le cadre de nos travaux, que l'absence de PLFR avait été l'une cause du niveau désastreux du déficit en 2024. Je me réjouis que vous rejoigniez nos analyses.

Je me permets de vous citer longuement : « Il eût été logique qu'une fois connus ces résultats [ceux de 2023] un PLFR soit soumis au Parlement en février ou en mars 2024 pour en tirer les conséquences et, par de nouvelles mesures en recettes comme en dépenses, essayer de préserver la crédibilité de l'objectif de déficit qui venait d'être adopté. Le Gouvernement ayant fait le choix de ne pas déposer un tel PLFR pendant l'hiver 2024 s'est privé du seul vecteur qui eût permis un ajustement des recettes et a déployé, à défaut, une stratégie de gestion serrée et sous tension des crédits des ministères. » Le constat est sévère, mais juste, et le résultat de cette mauvaise gestion réside dans l'augmentation de l'encours de dette de l'État.

Il faut bien sûr remédier à cette situation : vous évoquez quelques pistes en matière de prévisions des recettes fiscales, vous recommandez encore de limiter les reports de crédits et, de façon nouvelle, d'indiquer au niveau de chaque mission les montants respectifs de l'évolution tendancielle des dépenses, des dépenses nouvelles et des économies proposées dans le cadre du projet de loi de finances (PLF). Vous nous direz plus largement quelles solutions vous identifiez pour améliorer la gestion des finances de l'État, anciennes comme nouvelles, et si celles que vous prônez de longue date ont, ou non, été suivies.

Vous nous présenterez également le rapport de certification des comptes de l'État, sur lesquels vous émettez une opinion « avec réserve » justifiée par cinq anomalies significatives et l'absence d'éléments probants pour fonder votre opinion sur onze postes des états financiers.

Enfin, vous nous présenterez les avis du HCFP sur la loi de règlement pour 2024 et sur le rapport d'avancement annuel 2025.

Le HCFP, dans son avis sur la loi de règlement 2024, identifie un écart « important » de 1,5 point de PIB entre la prévision de solde structurel de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) et son exécution. Dès lors, vous avez déclenché le mécanisme de correction. Vous pourrez peut-être nous rappeler précisément les conséquences de ce mécanisme de correction.

Du fait de la nouvelle mouture de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), vous rendez également pour la première fois un avis sur les écarts entre les prévisions macroéconomiques de recettes et de dépenses de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) et leur réalisation. La loi du 6 décembre 2021 portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques confère par ailleurs au HCFP le pouvoir d'examiner, tous les quatre ans, s'il existe une importante distorsion affectant les prévisions macroéconomiques sur une période d'au moins quatre années consécutives. À cet égard, sur la période que vous étudiez (2004-2024), vous observez, hors crise, un biais optimiste en faveur de la croissance en volume de 0,4 point en moyenne - 0,5 point avant la création du HCFP et 0,3 point après. En incluant l'inflation, vous obtenez un écart moyen de 0,3 point sur la croissance en valeur.

Vous invitez dans ce cadre le Parlement et le Gouvernement à « considérer toute disposition complémentaire permettant d'assurer l'absence de biais dans l'établissement des prévisions » et, à défaut, à « renforcer l'accès à l'information et à détendre les délais d'instruction » fixés au HCFP, « ainsi qu'à étudier la mise en place effective d'un mécanisme de type "appliquer ou expliquer" ».

Vous semblez donc appeler de vos voeux une révision de la Lolf, dont vous nous direz peut-être ce qu'elle pourrait contenir selon vous.

Enfin, vous nous présenterez l'avis du HCFP sur le premier exemplaire du rapport d'avancement annuel, issu de la réforme du pacte de stabilité et de croissance entrée en vigueur l'an dernier. Ce rapport vise à assurer le suivi du plan budgétaire et structurel de moyen terme 2025-2029 que nous avions déjà étudié en octobre dernier. Votre analyse est bien moins sévère que celle qui portait sur le dernier programme de stabilité (PStab), même si vous soulignez des conditions de saisine dégradée. Vous notez, dans le langage propre au HCFP, que la prévision de croissance « n'est pas hors d'atteinte » et que la prévision de déficit public pour 2025 « peut être tenue, mais est loin d'être acquise ».

Avant de vous céder la parole, je rappelle que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques. - Les différents travaux que je m'apprête à vous présenter ont été publiés le 16 avril dernier et ont tous en commun d'expliquer la situation de nos finances publiques et leurs perspectives. La publication de ces rapports est chaque année un moment important pour nous et un moment significatif dans le débat public et citoyen sur les finances publiques. Cependant, le contexte international et la dégradation sévère des finances publiques donnent un caractère particulier à notre discussion cette année.

Il y a deux semaines, le ministre de l'économie a annoncé une révision à la baisse de la prévision de croissance pour 2025, passant de 0,9 point à 0,7 point de PIB. Les turbulences au niveau international pourraient engendrer de nouvelles évolutions, comme l'a signalé le Premier ministre. Ces éléments s'ajoutent aux fragilités initiales de notre trajectoire de moyen terme, déjà soulignées par la Cour, le HCFP et votre commission. Cependant, il est impératif de respecter le PSMT, à commencer par l'objectif de réduction du déficit à 5,4 % du PIB en 2025. C'est une question fondamentale de soutenabilité, de crédibilité et de souveraineté.

Je souhaite remercier les artisans de ce très gros travail, notamment la présidente de la première chambre de la Cour des comptes, Carine Camby, les rapporteurs généraux du rapport sur l'exécution du budget de l'État, Lionel Vareille et Claire Falzone, le rapporteur pour la certification des comptes, Emmanuel Giannesini, le rapporteur général Denis Soubeyran et leurs équipes qui ont travaillé sur les 61 notes d'analyse de l'exécution budgétaire, les fameuses NEB, qui accompagnent le RBDE. Je remercie également Nicolas Carnot, le nouveau rapporteur général du HCFP, ainsi que les membres du Haut Conseil et la petite équipe qui compose son secrétariat : ils produisent des travaux de grande qualité dans des conditions qui ont tendance à se dégrader.

Je commencerai par vous présenter le rapport sur le budget de l'État en 2024.

Avant toute chose, je voudrais rappeler que, comme son titre l'indique, ce rapport analyse uniquement le budget de l'État. Son champ est donc plus étroit que celui des rapports de la Cour consacrés aux finances publiques dans leur ensemble, comme le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques (RSPFP), qui intègre aussi les finances des administrations de sécurité sociale et celles des administrations publiques locales. Cette distinction est d'autant plus importante que ces trois niveaux d'administration publique ne présentent pas les mêmes dynamiques de recettes et de dépenses au cours des dernières années, en particulier en 2024.

En février dernier, je vous avais présenté un rapport sur la situation d'ensemble des finances publiques, qui qualifiait l'année 2024 comme celle d'une « dérive inédite des finances publiques », principalement en raison d'une forte dynamique des dépenses des collectivités locales, et aussi des dépenses sociales, le propos étant plus nuancé au sujet des dépenses de l'État, du fait des efforts fournis ces dernières années, ce que nous confirmons aujourd'hui.

Le RBDE revient sur le déficit budgétaire toujours très élevé de l'État, qui accroît le besoin de financement et la dette au terme d'un exercice 2024 que je qualifierai de « chaotique ». Dans ce contexte, le déficit budgétaire de l'État a atteint 156 milliards d'euros en 2024. C'est un mauvais résultat, qui est supérieur de 9 milliards d'euros à l'objectif fixé en loi de finances initiale (LFI) pour 2024. Le montant du déficit s'améliore certes de 17,1 milliards d'euros par rapport à 2023, mais de manière très minimale, puisque la quasi-extinction des mesures exceptionnelles prises pour faire face à la hausse des prix de l'énergie représente une moindre dépense de 17 milliards d'euros. Le niveau du déficit reste par ailleurs très éloigné de celui d'avant la crise sanitaire, à hauteur de 92 milliards d'euros en 2019. Il est aussi supérieur à celui de l'année 2022, qui a pourtant été marquée par le déclenchement de la guerre en Ukraine et la montée de l'inflation. Le plateau reste très haut, et sans doute donc beaucoup trop haut.

Ce niveau de déficit toujours élevé a plusieurs causes, mais il est principalement imputable à la conception même du projet de loi de finances pour 2024, établi sur des bases peu réalistes, comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises.

En effet, lorsque je vous avais présenté l'avis du HCFP, à la fin de l'année 2023, nous avions jugé la prévision initiale de croissance de 1,4 % élevée, le consensus des économistes estimant alors la croissance à 0,8 % du PIB. Cet écart est en réalité considérable. La partie de la LFI portant sur les recettes reposait sur cette prévision de croissance, qui a été abaissée de 0,4 point dès février 2024. Le Parlement a donc voté un projet de loi de finances en décembre 2023 avec une prévision de croissance qui a été révisée deux mois après, ce qui est pour le moins chaotique. En outre, les prévisions élaborées à l'été 2023 étaient nettement trop optimistes quant à l'évolution spontanée des grands impôts, créant un écart majeur avec la réalisation.

La LFI manquait également d'ambition dans sa partie consacrée aux dépenses. Hormis l'extinction de quelques mesures exceptionnelles, elle ne prévoyait aucune réforme structurelle, en dépit des revues de dépenses qui avaient commencé dès le début de l'année 2023.

À ces deux faiblesses de la LFI s'est ajoutée l'ombre portée des très mauvais résultats de l'exercice 2023. La dégradation de 2023 n'a été pleinement mesurée qu'en toute fin d'année, ce qui explique que l'effet de base qu'elle a engendré ne pouvait être que partiellement anticipé. Cela a eu un effet clair : les objectifs de la LFI pour 2024 sont devenus inatteignables avant même que commence l'exercice.

Dans ces conditions, il eût été non seulement logique, mais même nécessaire, de prévoir une loi de finances rectificative en février ou en mars 2024 pour tirer les conséquences des résultats de 2023 et « sauver », en quelque sorte, le solde de 2024, ainsi que la crédibilité de notre trajectoire. Le Gouvernement, en faisant le choix de ne pas déposer de projet de loi de finances rectificative, s'est privé du seul vecteur qui eût permis un ajustement des recettes. À la place, il a mis en oeuvre une stratégie de gestion serrée et sous tension des crédits des ministères, notamment en annulant 10 milliards d'euros de crédits en février 2024 et en reportant 16 milliards d'euros de crédits en mars 2024 - deux décisions contradictoires.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous considérons que l'année 2024 se caractérise par une « gestion erratique » et un « pilotage à vue » en matière de crédits budgétaires - je ne fais que reprendre les termes du rapport sans céder au goût de la formule. Par la suite, la succession de reports, de gels, de surgels et de coups de rabot a permis d'obtenir des résultats visibles en matière de maîtrise de la dépense publique, mais in fine l'économie réalisée n'est pas pérenne. Il s'agit de mesures de gestion au fil du temps.

Le maintien d'un déficit élevé entraîne un besoin de financement important, avec une dette de l'État qui continue d'augmenter et atteint un niveau toujours plus préoccupant. Le besoin de financement de l'État s'élève à 305 milliards d'euros en 2024, soit 85 milliards d'euros de plus qu'avant la crise sanitaire.

Dans ce contexte, l'encours de la dette de l'État continue mécaniquement d'augmenter, atteignant 2 602 milliards d'euros à la fin de l'année 2024. Cela représente une progression de 1 075 milliards d'euros en dix ans, dont près de 780 milliards d'euros depuis 2019. Il est vrai que nous n'avons pas eu de budget en équilibre depuis cinquante ans, ce qui explique cette augmentation de la dette. Mais il y a eu des phases de relatif ralentissement et des phases de forte accélération, et nous sommes actuellement dans un cycle long de très forte accélération, comme le montrent les chiffres.

Au second semestre 2024, l'instabilité gouvernementale a été sanctionnée par les marchés, avec une augmentation des intérêts décaissés de près de 5 milliards d'euros pour atteindre 46,5 milliards d'euros. Je rappelle à cet égard que la dernière mesure des taux français à dix ans était de 3,23 % et que le spread avec l'Allemagne atteint toujours près de 72 points de base, alors que nos voisins allemands ont pourtant renoncé au frein à la dette ce qui entraîne un relâchement budgétaire. J'y insiste : nous ne sommes plus dans la décennie miraculeuse des années 2010, 2012, ou 2019, quand les taux baissaient tellement que la dette augmentait sans que son coût se ressente. C'est tout l'inverse aujourd'hui et cela risque d'aller en s'accélérant. D'ici à 2030, l'État devra avoir renouvelé 50 % de son encours de dette, soit 1 300 milliards d'euros, avec un taux d'intérêt très supérieur à celui auquel il a été émis dix ans plus tôt. L'effet de rebond sera très marqué.

Notre rapport analyse ensuite plus finement les composants de ce solde. Les recettes fiscales augmentent légèrement en 2024, mais sont très inférieures aux prévisions. Les dépenses sont en diminution, mais sans que soient engagées des économies structurelles et pérennes.

Après avoir diminué de plus de 7 milliards d'euros en 2023, les recettes augmentent légèrement en 2024, à hauteur de 325,7 milliards d'euros, mais cette progression reste très modeste et même inférieure à la croissance du PIB. Elle est tirée uniquement par des hausses d'impôts et pas par une dynamique d'ensemble. L'évolution spontanée des prélèvements obligatoires les tire même plutôt à la baisse. En réalité, aucun des grands impôts n'a été dynamique en 2024, malgré une croissance positive, maintenue de manière assez convenable, Jeux Olympiques aidant, à 1,1 % du PIB pour l'année.

Au-delà de cette relative progression par rapport à 2023, les recettes fiscales en 2024 sont très nettement inférieures aux prévisions de la loi de finances. Depuis cinq ans, des écarts importants sont constatés entre prévision et exécution des recettes fiscales. Les mauvaises surprises en matière de recettes ont été très marquées lors de ces deux dernières années.

Lorsque je vous avais présenté le RBDE l'an dernier, j'avais précisé que l'écart de 5,3 milliards d'euros entre la prévision et l'exécution de recettes en 2023 était « extraordinairement rare ». Or, cet écart en 2024 est plus de quatre fois plus élevé que l'an dernier.

Les recettes fiscales sont inférieures en exécution de 22,8 milliards d'euros par rapport à la prévision de la loi de finances initiale. Cet écart, considérable en 2024, provient de multiples facteurs. Il s'explique, pour deux cinquièmes, par l'effet de base des mauvais résultats de 2023 et, pour les trois cinquièmes restants, par l'optimisme des prévisions pour 2024. L'évolution spontanée, plus faible que prévu, a pesé sur la recette fiscale nette à hauteur de 19,2 milliards d'euros, dont 10,2 milliards d'euros sur le seul impôt sur les sociétés.

Encore une fois, il est inconcevable de conserver de telles incertitudes dans les prévisions qui sous-tendent la trajectoire des finances publiques. Il faut impérativement revoir notre façon d'élaborer les prévisions, parce que nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir de tels écarts, qui nous mènent dans un mur. Une exigence de réalisme doit guider les prévisions macroéconomiques. Nous n'avons plus de marge pour absorber les mauvaises surprises. C'est une question de lucidité et de volonté politique.

La volonté politique semble avoir fait défaut pour réduire durablement les dépenses de l'État en 2024. La normalisation du contexte économique à l'automne 2023 aurait dû conduire à une action résolue pour retrouver des marges de manoeuvre budgétaires. Elle aurait dû intégrer des économies structurelles inspirées par la revue de dépenses commandée par le Gouvernement, mais il n'en a rien été.

Les dépenses de l'État ont certes diminué de 11,3 milliards d'euros en 2024, pour s'établir à 444,3 milliards d'euros, mais cette baisse s'explique principalement par la résorption du dispositif exceptionnel de soutien pour faire face à la hausse des prix de l'énergie - pour 17,3 milliards d'euros - et par de bonnes surprises, notamment sur la charge de la dette, qui diminue facialement grâce à la baisse de l'inflation. En parallèle, les autres dépenses ont augmenté de 10,6 milliards d'euros, soit presque autant qu'en 2023, dont 8 milliards d'euros de dépenses supplémentaires pour le personnel.

Au-delà de ces grandes masses, le pilotage à vue et la gestion erratique des dépenses ont permis d'annuler 17,8 milliards d'euros de crédits, mais ces annulations ont en partie servi à compenser le dépassement de certaines dépenses, à hauteur de 8 milliards d'euros. Seule la différence, soit près de 10 milliards d'euros, a permis de limiter l'ampleur du dérapage sans toutefois pouvoir l'empêcher. Surtout, les économies réalisées correspondent à des solutions ponctuelles qui sont peu ou pas reproductibles sur les années suivantes.

Ces décisions ont d'ailleurs été difficiles à comprendre pour les usagers, comme pour les ministères. Il faut trouver d'autres outils que la tronçonneuse ou le rabot pour parvenir à faire des économies intelligentes. Par exemple, sur les 37 programmes qui ont bénéficié d'une ouverture de crédits en loi de finances de fin de gestion pour un total de 4,7 milliards d'euros, 31 programmes avaient subi une annulation au mois de février précédent pour un total de 3,4 milliards d'euros. Autrement dit, il y a eu un stop-and-go qui est incompatible avec l'exigence d'une dépense de qualité et avec des économies de long terme.

L'ensemble de nos analyses converge donc vers un impératif, toujours le même, que je ne cesserai de marteler et de répéter jusqu'à ce qu'il soit pris en compte. Il est urgent que l'exercice de revue de dépenses engagé en 2023 prenne enfin l'ampleur et la portée nécessaires pour enclencher une véritable révolution de la dépense publique. Cela permettra de renforcer la qualité de la dépense, et la quantité en découlera. Dans notre rapport, nous recommandons, dans le contexte du plan d'action pour améliorer le pilotage des finances publiques annoncé par le Gouvernement en mars, d'inclure dans les documents budgétaires, pour chaque mission, un tableau récapitulant l'évolution de la dépense entre la loi de finances initiale et le projet de loi de finances pour l'année suivante, en tenant compte de l'évolution tendancielle des dépenses, des dépenses nouvelles et des économies proposées.

J'en viens au rapport sur la certification des comptes de l'État pour l'exercice 2024. Cette mission, qui nous a été confiée dans le cadre de la Lolf, consiste pour la Cour à émettre une opinion sur la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes. Il s'agit d'une prérogative de puissance publique qui est déterminante pour apprécier la situation financière réelle de l'État et de la sécurité sociale. Je présenterai d'ailleurs prochainement les résultats de la certification sociale à vos collègues de la commission des affaires sociales. La Cour consacre des moyens significatifs à cette mission, qui donne l'assurance au Parlement et, plus largement, à l'ensemble de nos concitoyens que les comptes de l'État sont réguliers, sincères et fidèles, comme l'exige l'article 47-2 de la Constitution.

Sans exprimer ma colère aussi vivement que je l'ai fait à l'Assemblée nationale, je suis désolé et agacé de constater que, pour la dix-neuvième année consécutive, les comptes de l'État ne sont pas en mesure d'être certifiés sans réserve très significative. Notre rapport mentionne cinq anomalies significatives - des points sur lesquels nous estimons que les comptes sont surévalués ou sous-évalués à hauteur de plusieurs milliards d'euros - et onze insuffisances d'éléments probants, de sorte que, sur certains points, il n'est pas possible de réconcilier les chiffres qui figurent dans les comptes et ce que nous savons par ailleurs des finances de l'État. Deux incertitudes ont disparu par rapport à 2023, mais deux nouvelles sont apparues, ce qui explique le même nombre de points de réserve.

Ces points peuvent se répartir en deux catégories : ceux pour lesquels la fiabilisation des chiffres requiert d'importants travaux de l'administration et ceux qui correspondent à un refus persistant de l'administration d'appliquer les principes et les normes comptables communément acceptés. Il est compréhensible que l'administration ne puisse pas mener de front tous les travaux importants qui permettent d'améliorer la fiabilité des chiffres. Mais il est anormal qu'elle se refuse à corriger des anomalies de comptabilisation qui sont relevées depuis plusieurs années par la Cour. J'ai exprimé ma mauvaise humeur, voire ma très mauvaise humeur, à ce sujet. Les réserves formulées par la Cour ne sauraient être prises à la légère ou contestées ; elles devraient au contraire faire l'objet de toute l'attention de l'administration pour les faire disparaître.

J'ai d'ailleurs écrit au ministre pour lui dire que la Cour s'interrogeait sur la possibilité de faire évoluer sa position pour la certification des comptes de 2025. Si un plan n'est pas engagé pour résorber les réserves que la Cour a exprimées, celle-ci pourrait en tirer les conséquences dans son opinion, en cohérence avec les normes d'audit auxquelles elle se réfère, c'est-à-dire qu'elle pourrait ne pas certifier les comptes de l'État. Imaginez une entreprise dans laquelle le commissaire aux comptes viendrait dire que les comptes ne sont pas certifiés, ou certifiés avec réserve, et où la gouvernance répondrait : « On s'en fiche ! ». C'est un peu ce que fait l'État, et ce n'est pas acceptable.

Après avoir vivement exprimé ma colère à l'Assemblée nationale, j'ai eu quelques échanges avec les ministres concernés et il me semble que nous devrions parvenir à un plan raisonné de résorption des réserves de la Cour, mais j'attends de voir. L'administration semble avoir pris conscience qu'il fallait lever les points sur lesquels elle refusait jusque-là d'avancer. J'espère revenir devant vous l'an prochain avec un acte de certification qui marquera des progrès résolus. Si ce n'est pas le cas, je reviendrai avec un refus de certification.

J'en viens maintenant à la présentation des avis du HCFP en commençant par l'avis relatif au projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024.

Trois messages se distinguent particulièrement dans cet avis. Premièrement, l'aggravation très préoccupante de nos finances publiques en exécution 2024 après une très mauvaise année 2023. J'ai qualifié ces années 2023-2024 d'« années noires » pour nos finances publiques. Nous avons rarement vécu deux années avec de telles conséquences pour l'avenir, dans un contexte qui était pourtant hors crise, sans inflation, sans crise sanitaire ni financière et avec une croissance convenable. Deuxièmement, le déclenchement du mécanisme de correction prévu par la Lolf, et je reviendrai sur ce point. Troisièmement, certains biais optimistes de prévision, notamment sur la croissance, qui doivent nous conduire à renforcer et à modifier la gouvernance de la provision.

L'ampleur de la dégradation des comptes publics de 2024 est préoccupante. Le déficit, non pas de l'État, mais de toutes les administrations, a continué de se creuser l'année dernière, augmentant de 0,4 point de PIB par rapport à 2023, pour s'établir à 5,8 % du PIB, soit presque 170 milliards d'euros à la fin de l'année 2024. Pour mémoire, il était de 5,4 % en 2023 et de 2,4 % du PIB avant la crise sanitaire en 2019. Logiquement, nous aurions dû sortir du « quoi qu'il en coûte » et, depuis la fin de la crise covid, les déficits devraient se réduire fortement, mais ils ne cessent d'augmenter. Nous subissons donc une évolution contracyclique par rapport à nos partenaires.

Les dépenses publiques ont connu une hausse de 3,9 % en valeur et la croissance des prélèvements obligatoires de 2,4 % est moins forte et moins rapide que la croissance du PIB. In fine, la dette augmente de 3 points, pour s'établir à 113 % du PIB, alors qu'elle diminue chez nos partenaires. Notre alerte, car c'en est une, tient en quelques mots : le PLF 2024, qui avait vocation à commencer d'amortir cette dégradation, est une cible manquée. Encore une fois, l'année 2024 n'est pas une année blanche, ou une année perdue, mais une année noire où le solde public a été dégradé de 1,4 point de PIB par rapport à la prévision de la LFI 2024, et tout cela hors crise !

Le Haut Conseil a examiné les différents facteurs qui expliquent cet écart considérable. Celui-ci tient d'abord et avant tout aux prélèvements obligatoires.

En effet, l'écart avec la prévision en matière fiscale est de 40 milliards d'euros, dont plus de 20 milliards d'euros pour les recettes fiscales nettes de l'État. Il est particulièrement marqué pour l'impôt sur les sociétés, à hauteur de 15 milliards d'euros, et pour la TVA, à hauteur de 12 milliards d'euros. Ces écarts reflètent en partie des hypothèses de départ trop optimistes. L'ampleur du recul de l'impôt sur les sociétés pouvait difficilement être anticipée. En revanche, le HCFP avait alerté sur les hypothèses optimistes en matière de TVA. Il avait aussi alerté sur le caractère très élevé de l'hypothèse de croissance et des hypothèses en matière de consommation des ménages. Cela fait des années que l'on nous annonce que la croissance va bénéficier de l'augmentation de la consommation des ménages et que notre taux d'épargne va reculer. Or nous constatons tout le contraire, année après année.

Le second facteur d'explication tient aux dépenses plus élevées qu'anticipées, avec un écart de plus de 13 milliards d'euros par rapport au PLF 2024. Sur cet écart, plus de 7 milliards d'euros de dépenses résultent du dynamisme des collectivités locales et sont en grande majorité des dépenses de fonctionnement. Le Haut Conseil souligne à nouveau la difficulté des administrations publiques locales à tenir des objectifs en dépenses, en l'absence de mécanisme incitatif ou contraignant.

Sur l'écart restant de 6 milliards d'euros, 5 milliards d'euros découlent des dépenses de l'assurance chômage ou de l'assurance maladie, les dépenses de l'État restant contenues dans l'ensemble.

En résumé, nous constatons une aggravation très préoccupante de nos finances publiques qui nous retarde dans le redressement de notre trajectoire, malgré la gravité de la situation et l'entrée de la France en procédure pour déficit excessif au titre de l'année 2023.

Venons-en au déclenchement du mécanisme de correction prévu dans la Lolf. Lorsque le déficit structurel au cours de l'exercice est supérieur de plus de 0,5 point de PIB à la cible prévue par la LPFP, l'écart est considéré comme important au sens de la Lolf et le mécanisme de correction doit être activé. Cela a été le cas pour l'exercice 2024, puisque l'écart entre le déficit structurel réalisé, à 5,2 points de PIB potentiels, et le déficit structurel prévu dans la LPFP, à 3,7 points de PIB, s'élève non pas à 0,5 point, mais à 1,5 point.

Par ailleurs, en 2024, les circonstances exceptionnelles reconnues par le pacte de stabilité et de croissance qui prévalaient post-crise ne s'appliquaient plus, ce qui explique que la France soit entrée en procédure pour déficit excessif en 2023. Dès lors, nous devions déclencher le mécanisme de correction.

L'activation de ce mécanisme contraint en théorie le Gouvernement à présenter des mesures pour réduire de façon significative le déficit structurel et pour revenir aux objectifs de la LPFP. Cependant, la trajectoire de la LPFP est devenue obsolète dès sa première année d'entrée en vigueur. Depuis cinq ans que je viens devant vous, le feuilleton des LPFP a été pour le moins intéressant : faut-il qualifier leur trajectoire de virtuelle, d'optionnelle ou rapidement d'obsolète ? En tout cas, il faut une sémantique particulière.

Les effets du mécanisme de correction risquent d'être artificiels, ce qui démontre une faille dans la gouvernance, ou s'ils sont effectifs, ils pèseront lourdement sur la croissance. Il serait utile, en théorie, que le Gouvernement présente une nouvelle loi de programmation, conforme à la trajectoire du PSMT. En effet, vous observerez qu'il existe en réalité deux trajectoires, celle de la LPFP et celle du PSMT, qui ne se rejoignent pas. Est-ce vraiment logique ?

Enfin, le HCFP a examiné pour la première fois la présence de biais dans la prévision macroéconomique et dans la prévision des finances publiques. Notre premier constat a porté sur l'existence d'un biais positif dans les prévisions de croissance du Gouvernement ainsi que dans celles qui portent sur la consommation des ménages. En moyenne, si l'on exclut les années de crise en 2009, 2020 et 2021, la prévision de croissance du Gouvernement est supérieure de 0,4 point de PIB à la croissance réalisée. Ce biais est réduit depuis 2014, grâce à la création du HCFP, mais la prévision du Gouvernement reste quand même légèrement optimiste, en moyenne. On ne peut donc pas en rester là.

Pour les années 2021 à 2024, le HCFP observe que la prévision de croissance a tendance à excéder les réalisations, mais avec des différences, puisque le début de la période a été marqué par la crise sanitaire, puis par la crise énergétique, qui justifiaient le maintien de la clause exceptionnelle. Nous n'en sommes plus là.

Les prévisions en matière de finances publiques montrent des écarts moins marqués avec la réalisation sur la longue durée. Les prévisions de solde public du Gouvernement se situent en moyenne à un niveau proche de la réalisation hors années de crise. Si on les inclut, l'écart moyen correspond à 0,6 point de PIB.

Face à ces constats, nous devons être plus lucides, plus responsables et plus réalistes dans l'établissement des prévisions. L'exercice est difficile, mais nous devons ouvrir le capot des mécanismes utilisés et nous interroger sur leur performance et leur adaptation au contexte particulier des dernières années.

Il faudrait engager rapidement des études pour consolider les modèles de prévision, non seulement en matière d'impôt sur les sociétés, d'impôt sur le revenu et de TVA, mais aussi sur les autres recettes fiscales de l'État. Cependant, les améliorations techniques ne suffisent pas, et pour le dire comme je le pense, l'indépendance des prévisions en France doit être mieux garantie, de manière systémique, pour éviter le volontarisme excessif du Gouvernement, quel qu'il soit. Nous rendrons ainsi à l'administration sa capacité à travailler de façon sereine et objective.

À l'échelle de l'Union européenne, cette tâche relève des institutions budgétaires indépendantes. En France, il revient au HCFP de garantir la qualité des prévisions et de les tenir éloignées de l'« hubris du politique », qui reste toujours une tentation plus ou moins forte. Je préconise donc de renforcer le rôle et le mandat du HCFP pour rendre ses avis plus effectifs et contraignants. Un éventail de solutions existe. Je reste convaincu qu'il faut instaurer un processus de validation des prévisions macroéconomiques et de finances publiques du Gouvernement par le HCFP, qui fonctionnerait selon le mécanisme du « appliquer ou expliquer » (« comply or explain ») pour permettre au Gouvernement de rectifier ses prévisions ou d'expliquer pourquoi il ne les modifie pas, en cas de réserve émise par le Haut Conseil. Le processus devra être compatible avec le débat parlementaire, le HCFP exerçant en l'occurrence une fonction d'information et d'éclairage du débat parlementaire.

Par exemple, si le Gouvernement prévoit un taux de croissance à 1,4 %, alors que le consensus des économistes se prononce plutôt pour 0,8 %, le HCFP fixera la prévision à 1 %. Soit le Gouvernement révise sa prévision à 1 %, ce qui évitera de le faire deux mois après que la loi aura été votée, soit il maintient sa prévision à 1,4 %, mais alors, il devra expliquer les arguments sous-jacents, et cela sera difficile parce que le sous-jacent est politique.

On pourrait même envisager de confier au HCFP un rôle direct dans la réalisation de certaines prévisions macroéconomiques, voire de finances publiques, utilisées dans les textes financiers, comme c'est le cas dans de nombreux grands pays, comme le Royaume-Uni, l'Autriche ou la Belgique.

En tout état de cause, il est impératif d'améliorer les conditions de fonctionnement du HCFP, en particulier en matière d'accès à l'information. En effet, il ne va pas de soi, aujourd'hui, que le Haut Conseil puisse demander des informations en dehors de la période très courte des saisines. Il convient aussi de supprimer son interdiction d'auto-saisine et de lui laisser des délais plus raisonnables, qui peuvent être actuellement réduits à cinq ou six jours ce qui est trop peu, pour rendre ses avis.

Je plaide, par ailleurs, depuis plusieurs années, pour étendre le mandat du HCFP à une compétence d'analyse de la soutenabilité de la dette, ce qui contribuerait à renforcer la crédibilité du cadre des finances publiques.

Je termine par notre quatrième publication du 16 avril. Le HCFP a été saisi pour la première fois du rapport d'avancement annuel du plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029, qui a été adopté par le Conseil de l'Union européenne le 21 janvier 2025, le PSMT ayant remplacé l'ancien PStab. Je salue le choix du Gouvernement d'avoir saisi le Haut Conseil pour avis sur ce rapport, car les règles européennes ne l'imposaient pas. C'est un progrès, notamment en matière de transparence.

Toutefois, je regrette les conditions dégradées dans lesquelles nous avons été sollicités pour rendre cet avis, le délai ayant été réduit à six jours, avec des changements de calendrier de dernière minute, ce qui a fragilisé l'exercice du mandat du Haut Conseil, pourtant crucial pour la transparence de nos finances publiques.

Avant d'aborder les messages du Haut Conseil dans cet avis, je veux rappeler les principales différences entre le PSMT et le PStab. Tout d'abord, l'indicateur de suivi utilisé dans le cadre du PSMT est la trajectoire des dépenses primaires nettes, alors que le PStab recourait à différents indicateurs. Ensuite, le PSMT fixe cette trajectoire pour toute la période 2025-2029, contrairement aux programmes de stabilité qui entérinaient année après année les déviations constatées, ce qui nuisait à leur crédibilité.

Notre avis s'articule autour de quatre grands messages. Premièrement, la prévision de croissance à 0,7 % du PIB n'est pas hors d'atteinte dans un environnement macroéconomique international incertain, même si nous soulignons l'accumulation de risques à la baisse. Le réalisme des prévisions du Gouvernement doit bien évidemment être apprécié au regard du haut niveau d'incertitude pour 2025, en raison notamment des annonces tarifaires du président des États-Unis et de l'escalade possible entre la Chine et les États-Unis. Les effets de ces mesures commerciales sont estimés par le Gouvernement à un recul de 0,3 point de PIB pour la croissance en France en 2025, ce qui apparaît plausible.

Dans ce contexte, le Gouvernement a révisé sa prévision de croissance pour 2025 à la baisse, à 0,7 % contre 0,9 % précédemment, en tenant compte de la conjoncture internationale. Cela dépasse les prévisions de certains organismes, comme Rexecode ou l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), ainsi que celles du consensus des économistes qui sont plutôt à 0,5 % ou 0,6 %. Ce matin, l'Insee a publié les chiffres du premier trimestre, où la croissance atteint 0,1 % du PIB, ce qui, sans être élevé, indique un acquis de croissance de 0,4 %. Atteindre la cible de 0,7 % n'est pas hors de portée mais la croissance est un peu languissante.

Notre deuxième message porte sur les prévisions de finances publiques pour 2024. Le HCFP estime que l'objectif de dépenses publiques à 5,4 % du PIB, s'il peut être tenu, est loin d'être acquis.

En ce qui concerne les prélèvements obligatoires, le Gouvernement prévoit une hausse de recettes de 2,1 points en 2025, qui repose pour près de la moitié sur des mesures nouvelles, instaurées cette année, à hauteur de 23 milliards d'euros, mais dont certaines sont réputées temporaires. L'autre moitié de cette hausse repose sur une prévision d'évolution spontanée des recettes un peu élevée et sur l'abandon de certaines hypothèses de prudence concernant le rendement de certains prélèvements.

Les marges de prévision en recettes sont donc limitées et le rendement des prélèvements obligatoires serait directement exposé en cas de concrétisation des risques macroéconomiques ou de mauvaise surprise.

Quant à la prévision de dépenses, elle table sur une progression de 1,3 % en volume, moins élevée qu'en 2024, qui ne permettrait pas de réduire le poids des dépenses publiques dans le PIB. Les dépenses ne seraient réellement contenues que pour l'État et les administrations publiques centrales à 0,5 % en volume, avec un effet renforcé de 5 milliards d'euros par rapport à la loi de finances avec de nouvelles mesures de gel puis d'annulation de crédits. Mais l'ajustement du déficit de 5,8 % à 5,4 % du PIB requiert une stricte maîtrise des dépenses directement pilotables par l'État et des dépenses sociales. Il impose aussi de trouver des moyens pour que le ralentissement observé des dépenses locales se poursuive.

En conséquence, la dette publique augmenterait encore de 3 points de PIB en 2025 pour atteindre un ratio de plus de 116 % du PIB, dépassant ainsi le point haut atteint lors de la crise sanitaire. Le niveau du ratio pourrait même être plus élevé que ce que prévoit le Gouvernement.

Dans un troisième message, le HCFP souligne le non-respect de la trajectoire de croissance de la dépense primaire nette, prévue à 0,9 % en 2025, alors que le Conseil de l'Union européenne l'avait plafonnée à 0,8 % du PIB.

Enfin, le Haut Conseil a examiné les trajectoires prévues par le PSMT et le rapport d'avancement pour les années 2026-2029, malgré des informations limitées. Compte tenu des incertitudes que j'ai mentionnées, l'exercice de projection pour les prochaines années appelle à la modestie, et cela est encore plus vrai pour un horizon fixé à moyen terme. Le scénario d'une augmentation potentielle du PIB de 1,2 point jusqu'en 2028 et de 1 point en 2029 apparaît raisonnable, à condition - et c'est crucial - que les réformes favorables à la croissance et au plein emploi soient suivies.

Nous n'avons d'ailleurs pas le choix. Ces réformes sont la condition de certaines flexibilités dont la France bénéficie pour son PSMT actuel, notamment la période étendue à sept ans pour lisser les efforts à fournir. À plus court terme, l'hypothèse de croissance retenue pour 2026 est abaissée de 0,2 point par rapport au PSMT pour être fixée à 1,2 %. Là encore, c'est possible, surtout si la situation internationale se stabilise. Mais cela suppose une nette accélération de la dépense privée qui n'est pas acquise, compte tenu des effets de contraction liés à l'ajustement budgétaire.

S'agissant du scénario de finances publiques, le déficit continuerait de baisser jusqu'à moins de 3 % du PIB en 2029. En revanche, le ratio d'endettement continuera de s'accroître en 2026 et 2027, avant de commencer à s'infléchir en 2028. Ce scénario prévoit les conditions minimales qui nous permettront de maintenir le contrôle des finances publiques tout en finançant les investissements prioritaires, sans affecter notre potentiel de croissance. Cela signifie que les marches à franchir dans les années à venir seront plus élevées que celle de cette année. Notre déficit passera, si tout va bien, de 5,8 % à 5,4 % du PIB. Pour rester sur la piste des 3 % du PIB, il faudrait atteindre un taux de 4,6 % l'an prochain.

Le HCFP réitère donc ses alertes pressantes. Les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif restent à préciser et à crédibiliser. Étant donné l'ampleur des économies nécessaires, les efforts doivent être continus et renouvelés chaque année. Ils porteront sur l'ensemble des administrations. Je le répète et je le martèle : nous n'avons pas le choix. Cette trajectoire est exigeante et fragile, mais elle est le résultat d'une accumulation et d'une superposition de difficultés. Les années 2023 et 2024 ont plus que doublé l'effort à faire pour atteindre l'objectif d'un déficit public à 3 % de PIB. Telle est la réalité. L'effort à fournir est passé de 50 milliards d'euros à 110 milliards d'euros, ce qui justifie que je parle d'« année noire ». Notre dette totale est de plus de 3 300 milliards d'euros, la dette de l'État est de plus de 2 600 milliards d'euros et la charge de la dette a presque triplé depuis 2021. Elle va continuer d'augmenter pour dépasser vraisemblablement 100 milliards d'euros, ce qui risque de poser un problème de souveraineté, car nous n'aurons alors plus d'argent pour investir dans la transition écologique, dans la défense ou l'innovation.

Nous sommes en démocratie et ce n'est pas à une institution indépendante comme la nôtre de fixer les objectifs, les voies et les moyens, mais c'est à vous de le faire. Toutefois, je voudrais rappeler quelques principes qui devraient guider notre action collective.

Tout d'abord, nous devons faire preuve de lucidité sur la situation. Le HCFP a pour mission non pas de porter des jugements, de perturber ou de critiquer, mais de garantir une certaine lucidité. Ensuite, la nécessaire volonté politique de traiter la situation doit être confirmée. La pédagogie est indispensable pour guider les efforts d'économies. Il faut allier le réalisme et la prudence en matière de prévisions économiques. Enfin, une révolution de la dépense publique s'impose, qui requiert des économies intelligentes et structurelles, sans coups de rabot, car ceux-ci sont rarement efficaces et jamais constructifs, comme nous l'avons encore constaté en 2024.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions de ce rapport très complet.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Le Premier président de la Cour des comptes est un président révolutionnaire !

Je salue vos équipes, notamment le nouveau rapporteur général et je lui souhaite d'être à la fois une force d'analyse et de proposition dans le travail qu'il aura à mener.

À vous entendre, monsieur le Premier président, la Cour des comptes est la chambre d'écho des travaux que la commission des finances du Sénat mène depuis quelques années - ou l'inverse d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, nous souscrivons en grande partie aux analyses et au diagnostic que vous venez de faire sous la forme d'une alerte solennelle au sujet d'un état d'extrême urgence. Vous avez employé à dessein des formules fortes en mentionnant « une gestion erratique » et « un pilotage à vue ». Il y a treize mois seulement, je m'étais permis de faire une visite à Bercy. En vous écoutant égrener les rapports, les difficultés et les alertes, j'ai presque eu l'impression que vous faisiez le bilan du quinquennat présidentiel. Tout cela donne le vertige.

Vous avez rappelé à juste titre que la loi de programmation des finances publiques était déjà presque obsolète un an après avoir été votée. Il faudrait tirer la sonnette d'alarme. En effet, nos concitoyens perçoivent que la situation est intenable, mais tout comme les élus et un certain nombre d'entre nous - personne n'y échappe -, ils ont développé une capacité de résistance qui leur fait refuser que l'on touche à leur budget. Au gré des renoncements, la dégradation de la situation se poursuit. L'un des moyens dont l'exécutif et le Parlement pourraient se saisir serait de prévoir une nouvelle LPFP. Cela aurait le mérite de tirer les conséquences de la situation passée et d'en établir un bilan clair. Pour que nos concitoyens acceptent de participer à l'effort pour redresser la situation alarmante et dramatique de nos comptes publics, il faut avoir un point d'appui solide.

Vous défendez l'idée que le HCFP, qui est une autorité indépendante, soit saisi en matière de prévisions. J'ai bien entendu votre démonstration, pour ne pas dire votre plaidoyer, mais nous avons entendu en audition, dans le cadre de nos travaux sur la dérive des comptes publics, l'ancien ministre de l'économie et des finances, qui nous a affirmé que, s'agissant des prévisions, jamais le politique n'intervenait. Selon lui, l'étanchéité est totale. Je ne sais donc plus qui croire, même si je vous accorde ma confiance et que nous avons émis quelques doutes en entendant ces propos du ministre - je le dis avec une certaine ironie.

Il y a quelques jours, le Premier ministre faisait sien le slogan selon lequel « la vérité permet d'agir ». J'espère que quand nous aurons établi la vérité, nous pourrons agir, car nous avons le devoir de le faire.

Sur le RBDE et les notes d'exécution budgétaire, il est vrai que, à peine la loi de finances votée, il y a eu des annulations de crédits. Nous avons dit à la ministre des comptes publics combien cette situation était désagréable, car cela revient à piétiner les décisions issues du travail parlementaire, en concertation d'ailleurs avec le Gouvernement. Or l'objectif est que ce travail soit fluide et constructif.

En comparant les annulations de crédits par le décret de février 2024 et les ouvertures de crédits dans la loi de finances de fin de gestion à l'automne 2025, vous avez parlé de « stop and go incompatible avec l'impératif d'une dépense de qualité ». Diriez-vous la même chose de l'exercice en 2025, même si les montants sont certes moins élevés ?

Sur la certification des comptes de l'État, nous sommes dans le même dilemme que vous. Vous exprimez une insatisfaction, et même un agacement, face aux nombreuses réserves que le Gouvernement n'a pas levées concernant la qualité des comptes. Quelles pourraient être les conséquences d'une non-certification ? Ne faudrait-il pas donner une plus grande portée juridique à la non-certification des comptes de l'État ou des administrations de sécurité sociale par la Cour des comptes ?

M. Claude Raynal, président. - Je vous propose, monsieur le Premier président, de répondre de manière synthétique aux questions du rapporteur général. Pourquoi vouloir qu'une autorité indépendante étudie les prévisions macroéconomiques alors que l'administration est censée travailler de manière indépendante ?

M. Pierre Moscovici. - J'ai occupé le poste de ministre des finances il y a une douzaine d'années et, pendant deux ans, j'ai eu la responsabilité de préparer le budget. Puis, pendant cinq ans, à la Commission européenne, j'ai été chargé de suivre les budgets nationaux. Je ne sais pas si le ministre a vraiment utilisé le mot d'« étanchéité totale ». Si c'est le cas, soit les choses ont énormément changé, soit je suis devenu amnésique. En effet, l'exercice de prévision n'est jamais totalement soustrait aux politiques, sans être non plus totalement politique. C'est une interaction entre l'administration et le politique. Il n'est pas exact de dire que la décision n'est pas in fine politique. Le politique peut être plus ou moins réaliste, ou prudent, mais la tentation de l'hubris existe toujours. C'est la raison pour laquelle je propose de changer cet état de fait.

Le HCFP est une institution budgétaire indépendante. J'étais ministre des finances à l'époque de sa création et nous avions pris la décision, qui s'est révélée sage, de le rattacher à la Cour des comptes. Il est composé du Premier président, de membres de la Cour des comptes et d'économistes indépendants, ce qui garantit une grande pluralité.

Il faut à la fois empêcher la tentation de l'hubris et rendre à l'administration sa sérénité, et pour cela, il est nécessaire de recourir à un tiers. C'est le sens du mécanisme « comply or explain » : je vous ai expliqué qu'il devrait fonctionner en interaction avec le Parlement, puisque c'est vous qui trancherez le débat entre le HCFP et le Gouvernement. Le Gouvernement devra expliquer ses choix non pas devant le HCFP, mais au fil du débat parlementaire. Cela permettra d'éviter le genre de situation absurde que nous avons connue en 2024, où une prévision de croissance a été modifiée de 0,4 point de PIB en février, alors que le PLF avait été voté au mois de décembre. Encore une fois, il aurait fallu un PLFR pour rétablir la situation.

Voilà pourquoi j'ai fait cette proposition qui, loin d'être pro domo, est surtout très pragmatique. D'autres solutions sont possibles, plus ambitieuses : ainsi, au Royaume-Uni, l'Office for Budget Responsibility est chargé d'établir les prévisions. C'est un peu plus lourd et ne correspond pas forcément à notre tradition : je ne le demande pas, même si cela peut être envisagé pour avoir des prévisions de recettes et de dépenses publiques plus solides. Mais il est indispensable de soustraire l'exercice des prévisions au seul dialogue entre le politique et l'administration. Car pour l'instant, c'est ainsi que cela fonctionne : c'est une vérité objectivement établie.

J'ai lu le plan d'action pour améliorer le suivi et la transparence des prévisions de finances publiques et l'ai trouvé bienvenu, car cela permettra à Bercy de mieux fonctionner. Mais l'ouverture sur l'extérieur reste faible et il faut aller plus loin. Il ne peut s'agir que d'une première étape.

Il est trop tôt pour parler de 2025. Nous avons rendu un avis sur ce qui pourrait se passer. Quelques leçons semblent avoir été tirées de 2024. Certains risques sont à la baisse et quelques prévisions ne sont pas hors d'atteinte. Nous n'avons pas l'impression que l'exercice soit aussi irréaliste ou volontariste que celui de 2024 qui a entraîné un résultat catastrophique. Le Gouvernement semble tenir compte des enseignements de ce dérapage massif de 2024 dans les décisions qu'il prend et dans les prévisions qu'il établit. Est-ce que cela se vérifiera in fine ? L'exercice le dira. Mais il n'y aura pas eu les mêmes erreurs de conception initiale, car en 2024, le ver était dans le fruit.

Sur la certification, ma réponse sera à double détente. Premièrement, si aucun effort n'est fait pour améliorer les réponses à nos demandes en matière de certification, je n'hésiterai pas à proposer à la Cour des comptes de refuser de certifier le budget des comptes de l'État en 2025. Je l'ai écrit au Gouvernement et j'espère que celui-ci a reçu le message. Deuxièmement, les conséquences seront réputationnelles. Cela changerait le regard que l'on porte sur la France si la Cour des comptes refusait de certifier les comptes de l'État, et ce serait très malvenu, car la France est observée, notamment à Bruxelles et sur les marchés, par ses créanciers qui analysent la qualité de notre gestion publique, ou encore par les agences de notation.

Faudrait-il aller plus loin ? Je vous laisse apprécier cela dans le cadre des discussions que vous pourrez avoir sur l'évolution de la Lolf.

M. Vincent Delahaye. - La présentation de quatre rapports aussi importants aurait mérité qu'on y consacre plusieurs réunions, car les sujets abordés sont fondamentaux, de sorte que nous devrions prendre le temps d'en débattre.

Je ne suis pas opposé au dialogue entre le politique et l'administration, mais l'urgence pour nous, c'est la transparence et la prudence. La transparence nécessite que les prévisions soient documentées, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Les documents dont nous disposons, en tant que parlementaires, sur les prévisions de recettes sont indigents. Quant à la prudence, elle est nécessaire, car mieux vaut avoir de bonnes surprises que de mauvaises.

Les prévisions de recettes dans la loi de finances de 2025 me semblent optimistes, même si vous considérez qu'elles sont raisonnables. Il me semble qu'elles sont basées sur la loi de finances initiale de 2024, sans reprise des réalisations de 2024. Par conséquent, ne risquons-nous pas d'avoir la même surprise en 2025 que celle que nous avons eue en 2024 ?

De plus, quelque 53,5 milliards d'euros de crédits sont inscrits pour les intérêts de la dette en 2025 alors que, en 2024, ils ont coûté 57 milliards d'euros et que l'on estime aujourd'hui qu'ils représentent entre 63 milliards et 67 milliards d'euros. Est-ce qu'il manque dans le budget de la France 10 milliards d'euros de crédits, ou un peu plus, pour couvrir les intérêts de la dette en 2025 ?

Enfin, on nous annonce que le gel des crédits portera sur un montant de 8 milliards d'euros, qu'il y aura 5 milliards d'euros d'annulations de crédits et qu'il faudra prévoir 40 milliards d'euros d'économies, mais nous ne savons pas comment ces montants sont calculés. La Cour des comptes le sait-elle ? Si je demande des détails à la ministre chargée des comptes publics ou au ministre des finances, ils répondront certainement que c'est pour atteindre l'objectif d'une réduction du déficit à 5,4 % du PIB. Certes, mais que l'on nous donne le détail de l'addition ! Quels sont les facteurs qui nous empêchent de parvenir à remplir cet objectif ? S'agit-il de mauvaises surprises concernant les recettes, ou bien les dépenses ? Pourquoi faut-il prévoir un gel de crédits portant sur 8 milliards d'euros et pas sur 20 milliards ou 15 milliards d'euros ? Et comment sont calculés les 40 milliards d'économies à réaliser que l'on nous annonce ?

M. Thierry Cozic. - Vous avez évoqué la possibilité d'externaliser les prévisions. Vous avez également eu des mots forts devant nos collègues députés, à l'Assemblée nationale, sur le dérapage du déficit public.

Vous préconisez que le HCFP, qui est une autorité indépendante, ait des pouvoirs élargis. Est-ce que cet élargissement doit se faire uniquement sur les prévisions ou bien le Haut Conseil devrait-il avoir un pouvoir contraignant sur le Gouvernement en cours d'exercice budgétaire ?

M. Grégory Blanc. - Vos constats sont clairs, précis et dramatiquement lucides. Ils correspondent à ceux que nous avons pu faire également au sein de cette commission.

Vous avez mentionné le fait que le Gouvernement, en refusant de prévoir une loi de finances rectificative, s'était mis dans l'impossibilité de tenir la trajectoire de 2024. Par conséquent, nous sommes confrontés à un contournement de l'esprit du fonctionnement de nos institutions.

L'an dernier, vous nous disiez que si, sans loi de finances rectificative, il y avait impossibilité de tenir la trajectoire, alors il faudrait que l'on soit capable de qualifier cela d'insincérité budgétaire. Autrement dit, s'il y a sans doute un travail à conduire sur la justesse de la prévision, il est également nécessaire de poser des actes de contrôle eu égard au respect de la loi budgétaire de façon à ce que nous puissions contraindre le Gouvernement à remettre sur le chantier le budget.

Par ailleurs, le Gouvernement a publié un PSMT qui n'est pas documenté, ou très peu. Cela correspond au principe de ce texte qui vise à garder le plus de souplesse possible. N'y figurent donc que quelques annonces d'axes de réforme. Or depuis l'adoption du PLF, nous constatons l'absence de réformes structurelles, le maintien d'un pilotage à vue et le manque de mesures de correction significatives autres que la technique du rabot.

Le PMST est examiné par la juridiction financière en France, mais c'est aussi un engagement vis-à-vis de l'Europe. Par conséquent, comment la Cour des comptes ou le HCFP pourraient-ils travailler davantage avec les institutions indépendantes à l'échelle européenne ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Vous avez évoqué à juste titre la question de l'exercice de prévision. Avant d'envisager l'intervention d'un tiers de confiance dans l'élaboration de l'exercice, ne faudrait-il pas s'interroger sur l'exercice même de la construction des prévisions ?

Il fut un temps où cette construction obéissait au principe du contradictoire, puisque deux exercices de prévision concomitants étaient menés. L'un - voire deux à l'époque où la direction de la prévision n'avait pas été absorbée par la direction du Trésor - était basé sur des données macroéconomiques et l'autre, indépendant du premier, reposait sur des approches microéconomiques à la main des directions concernées (direction du budget, direction générale des finances publiques et direction de la sécurité sociale). Ces deux exercices de prévision étaient construits sur des approches différentes et aucun n'était juste à 100 %. On organisait donc ensuite un débat contradictoire entre ces deux exercices.

Cette dimension contradictoire est, à mon avis, indispensable pour garantir la qualité des prévisions. Est-ce-que ces méthodes se sont bien maintenues, même depuis que la direction du Trésor a le monopole de l'exercice de prévision ?

Il serait opportun de se réinterroger sur la construction même des exercices de prévision en organisant l'indépendance, au sein même de l'État, de plusieurs logiques de prévision. Cela éviterait des erreurs importantes comme celles que nous avons connues, notamment en 2024.

M. Vincent Capo-Canellas. - Vous avez fait preuve d'un sens de la formule remarquable et d'une certaine alacrité dans votre analyse de l'exercice 2024, dont vous avez dit qu'il se caractérisait par une exécution « chaotique », par une « gestion erratique » des dépenses, un « pilotage à vue » et des prévisions de croissance surestimées.

Lorsque j'examine l'avis du Haut Conseil sur 2025, je reste dubitatif. En effet, le sens de la litote et de la prudence ainsi que les talents de rédaction diplomatique font perdre la teneur du propos. Ainsi, quand je lis que « la prévision de croissance pour 2025 n'est pas hors d'atteinte, malgré l'accumulation de risques à la baisse », et que « cette prévision est en ligne avec celles présentées par certains organismes, mais dépasse celles avancées par d'autres », je ne perçois plus le message d'alerte qui est le vôtre. Par conséquent, je m'interroge : est-ce que le HCFP valide la prévision ? La valide-t-il avec réserve ? En demande-t-il une autre ? En établit-il une autre ou bien établit-il une fourchette ? Pour que le propos soit efficace, pourriez-vous formuler une alerte claire ?

En outre - je vous pose cette question avec infiniment de respect - n'est-il pas difficile, dans la mesure où vous devrez aussi juger l'exécution 2025, de porter les deux casquettes de Premier président de la Cour des comptes et de président du HCFP ?

Pour en revenir à l'exercice 2025, la question que nous nous posons tous est de savoir si nous parviendrons à tenir l'objectif d'un déficit à 5,4 % du PIB et s'il faudra un projet de loi de finances rectificative. En effet, vous nous avez dit que, l'an dernier, la correction de la prévision de croissance à hauteur de 0,4 point de PIB le justifiait. Or nous sommes déjà à 0,2 point de PIB de correction de croissance, avant l'effet des taxes Trump. La Banque de France se prononcera sur le sujet en juin, ainsi que les différents instituts, mais je crains que l'on n'atteigne 0,4 point de PIB de correction de croissance. Faudra-t-il donc élaborer rapidement un projet de loi de finances rectificative ?

M. Christian Bilhac. - Monsieur le Premier président, nous nous doutions que les nouvelles de ce matin ne seraient pas réjouissantes et nous n'avons pas été déçus. Toutefois, je vous trouve presque optimiste. Car si vous avez expliqué que les marches à franchir seraient plus élevées dans les années à venir, vous avez évoqué la nécessité d'abandonner le rabot pour une révolution de la dépense publique. Est-ce une idée que vous jugez réalisable ou un voeu pieux ? À ce stade, je n'en vois pas l'ébauche.

L'élaboration du PLF 2025 a été particulièrement ardue. Nous avons adopté le volet recettes en novembre selon les prévisions de croissance de l'époque. Lorsque nous avons examiné les dépenses, après les divers épisodes politiques qu'a connus le pays, ces prévisions étaient tout à fait différentes, mais nous n'avons pas pu revenir sur les recettes.

Il est question de réduire nos dépenses de 40 milliards d'euros. Mais nous savons très bien que les économies risquent d'entraîner une raréfaction des recettes. Par exemple, si nous réduisons les dotations du ministère du logement, qui a un effet de levier très fort sur la vie économique du pays, nous nous priverons de cotisations et de recettes fiscales importantes. Il en va de même pour les collectivités locales. Celles-ci représentant 70 % de l'investissement public, une baisse de leurs dotations entraînerait une baisse de l'investissement, une baisse de l'activité et une baisse de la fiscalité des entreprises. Et cela, nous ne le mesurons jamais ! Aussi allons-nous, me semble-t-il, au-devant de graves désillusions.

Monsieur le Premier président, nous devrions goûter le bonheur qui est actuellement le nôtre, parce que nous allons certainement passer à plus de 4 000 milliards d'euros de dette avant la fin du PSMT 2025-2029. Pensez-vous que nous pouvons inverser la tendance avant d'atteindre les 5 000 milliards d'euros ?

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le président, je me permets de vous poser à mon tour quelques questions.

La première a trait à la précaution dont il convient de faire preuve lorsque l'on fait des prévisions. Sur certains sujets, on ne sait pas sur quoi celles-ci se fondent. Je pense notamment au cinquième acompte de l'impôt sur les sociétés, ou à la demande de remboursement de TVA par les entreprises, qui peut être plus ou moins forte et a été très amplifiée en 2024.

J'ai tendance à dire que, par prudence, il vaut mieux ne rien prévoir lorsque l'on ne sait pas. Dans la mesure où notre déficit est très élevé, pourquoi ne pas nous fonder sur des valeurs nulles, notamment pour le cinquième acompte ? De la sorte, si celui-ci nous apportait des recettes supplémentaires, ce serait une bonne nouvelle et nous pourrions les mobiliser pour alléger notre dette. On me répond qu'en faisant cela, nous manquerions de sincérité, car nous ne ferions plus de prévisions. Mais est-il plus sincère d'effectuer des prévisions sur des choses que nous ne connaissons pas ? J'estime que nous devrions être beaucoup plus précautionneux sur les prévisions.

Concernant les remboursements des entreprises, comme nous connaissons le montant maximal que celles-ci pourraient être amenées à demander, nous pourrions nous fonder sur une valeur maximale. J'ai conscience que cela limiterait un peu la marge de manoeuvre pour élaborer le budget, mais cela ferait du bien par la suite. Lorsque je dis cela, je ne suis bien reçu ni par l'administration ni par les ministres, qui estiment que cela reviendrait à mentir que de se fonder sur une prévision fausse. Quel est votre avis sur cette question ?

Par ailleurs, ne serait-il pas plus sincère de nous fournir un montant prévisionnel de consommation des crédits reportés dès la loi de finances initiale ? Cette suggestion ne suscite pas non plus un grand enthousiasme au sein d'une certaine administration que vous avez bien connue.

Enfin, la ministre chargée des comptes publics a publié samedi dernier un décret d'annulation de crédits. Elle explique que les montants annulés étant mis en réserve en début d'exercice et donc non disponibles, cette annulation ne remet pas en cause l'exercice des politiques publiques tel que présenté lors de l'examen du budget. Dès lors, le montant de la réserve de précaution ne devrait-il pas être indiqué pour chaque programme dans les documents budgétaires du PLF ? S'il n'y a pas de conséquences sur l'exécution des crédits, pourquoi s'en priver ? Cela nous offrirait une vision plus claire des politiques publiques qui doivent être menées. D'un côté, on annule des crédits, c'est-à-dire qu'on supprime des politiques publiques, et d'un autre côté on nous dit que ce n'est pas le cas car on a indiqué que les politiques publiques en question étaient rabotées dès le départ.

M. Pierre Moscovici. - Monsieur Delahaye, je suis moi aussi respectueux du dialogue entre l'administration et les responsables politiques. Quand je parle de tiers de confiance, il s'agit de faire en sorte d'éclairer et d'objectiver ce dialogue.

En ce qui concerne le dérapage des recettes, il n'y a pas de garantie que les recettes pour 2025 soient tout à fait alignées sur les prévisions, mais nous ne sommes pas pour autant dans la situation de 2024. Vous voyez, monsieur le sénateur, Nicolas Carnot vient de l'Insee, il n'a pas été recruté au sein du Quai d'Orsay, car il n'y a pas de diplomates au HCFP. Aussi, lorsque nous n'avons pas envie d'être diplomates, nous ne le sommes pas !

Lorsque je suis venu vous présenter notre avis sur le programme de stabilité 2024-2027 il y a un an, nous l'avons qualifié d'incohérent et de non crédible. Quand nous devons être sévères, nous le sommes ! Le message pour 2025 est centré sur la situation actuelle. Oui, le Gouvernement actuel a tenu compte de la situation de 2024. Cela écarte-t-il totalement les mauvaises surprises ? Non. Notre expression modérée correspond très exactement à ce que nous pensons et à ce que nous observons.

Il en va de même pour les recettes. Certains facteurs doivent être pondérés. Le point de départ est moins dégradé qu'en 2024. Les hypothèses économiques sont certes un peu élevées, mais, je le redis, elles ne sont pas hors d'atteinte. Si nous ne savons pas ce qu'il va se passer dans le monde, à l'heure où je vous parle, une croissance de 0,7 % en 2025 n'est pas hors d'atteinte, alors que les 1,4 % anticipés pour l'année dernière n'ont jamais été crédibles. C'est une très grosse différence !

Enfin, les hypothèses concernant le rendement de certains prélèvements sont à peu près « centrées », pour employer un vocabulaire propre aux finances publiques. C'est pourquoi nous jugeons cohérentes les prévisions de prélèvements obligatoires, bien qu'un peu élevées. Nous estimons qu'il n'y a pas de risque de dérapage massif, alors que nous l'avions anticipé pour 2023 et 2024.

Bien heureusement, les différentes alertes, qu'elles soient formulées par vous, mesdames, messieurs les sénateurs, par nous, ou par des tiers, ont été entendues par le Gouvernement, ce dont je me réjouis.

Pour ce qui est des intérêts de la dette, il s'agit d'une conséquence technique de la prise en compte non plus de la dette du seul État, mais de celle de toutes les administrations publiques (APU) confondues. Ainsi, si les intérêts de la dette de l'État représentent plus de 50 milliards d'euros, ils s'élèvent toutes APU confondues à 67 milliards d'euros en 2025, et ce chiffre pourrait atteindre les 100 milliards d'euros dans quelques années.

En ce qui concerne la double casquette Cour des comptes et HCFP, elle ne me semble pas problématique, car il s'agit de deux institutions différentes. Le HCFP est présidé ès qualités par le président de la Cour des comptes, celui-ci incarnant une institution respectée dans le débat public, mais il est également composé d'économistes et s'appuie sur un secrétariat qui fournit un travail technique. Cela donne, croyez-moi, des débats très vivants, et je joue avant tout un rôle de porte-parole, bien que mon rôle ne se limite pas à cela.

Vous m'avez posé une excellente question sur le tendanciel. Les 40 milliards d'euros d'économies dont il est question sont chiffrés par rapport à du tendanciel, ce qui implique que l'exercice est ambigu et non documenté. Lorsque j'ai présenté mon avis sur le PLF 2025 version Barnier, le Gouvernement disait vouloir réaliser un effort de 60 milliards d'euros, dont les deux tiers reposeraient sur des économies et l'autre tiers sur les prélèvements. Nous indiquions pour le ratio inverse : un tiers d'économies et deux tiers de prélèvements. Si la base n'est pas claire, cela ne peut pas fonctionner. Je me demande toujours pourquoi nous ne prenons pas des indicateurs un peu plus simples, par exemple une croissance en volume des dépenses, qui est un chiffre assez stable. Cela donnerait une référence plus éclairante que celles qui sont actuellement mises en avant.

Cela rejoint l'une de vos questions, monsieur le président de la commission. En effet, il serait souhaitable de simplifier les documents pour faire figurer pour chaque mission le tendanciel, les mesures nouvelles et les économies prévues. Sinon, les chiffres que nous donnons sont à la fois extrêmement anxiogènes - 40 milliards d'euros ! - et pas forcément exacts.

Monsieur Cozic, je préconise en effet que le HCFP joue un rôle dans l'élaboration des prévisions. Je vais même plus loin, et je réponds par là même à la question de Mme Carrère-Gée : la version basse de ce que nous proposons, c'est le principe du « comply or explain », appliquer ou expliquer ; la version haute, c'est de confier les prévisions à un HCFP redimensionné. Pour cela, il faudrait sortir de la direction générale du Trésor ce qui fut la direction de la prévision et confier sa mission à un organisme externe, à l'image de l'Office for Budget Responsibility britannique.

Je comprends que cette seconde option heurte notre tradition administrative. En revanche, le comply or explain est un minimum ! Dès lors, il convient, monsieur Blanc, d'améliorer nos conditions de fonctionnement. L'accès à l'information doit être développé ; nous devons pouvoir nous autosaisir ; il faut nous laisser des délais plus raisonnables ; et je plaide pour que nous ayons une compétence d'analyse de la soutenabilité de la dette et un accès plus réaliste aux prévisions en matière de recettes et de dépenses publiques.

En réalité, en demandant que le Haut Conseil soit correctement dimensionné, je préconise tout simplement qu'il ait un mandat comparable aux organismes similaires d'autres pays de l'Union européenne.

Pour ce qui est de nos engagements européens, nous relevons que l'évolution de la dépense primaire nette en 2025 serait légèrement supérieure à celle qui est requise : le plafond est à 0,8 %, nous sommes à 0,9 %. Le Gouvernement devrait respecter strictement la limite d'évolution annuelle en 2025 en s'octroyant un léger dépassement prévisionnel. Alors que cette évolution a déjà été assouplie, il réduit sa marge de précaution à l'égard de nouvelles règles.

De manière générale, l'ensemble des prévisions du Gouvernement pour 2025 sont, comme le diraient des psychanalystes, borderline : elles ne sont pas hors d'atteinte, mais le risque d'un léger dérapage existe. Nous sommes loin de la chronique d'une catastrophe annoncée, par vous comme par nous, l'année précédente, mais le Gouvernement ne s'est pas doté d'une marge de précaution.

Nous avons des échanges techniques avec la Commission européenne, qui devrait tenir compte de nos avis dans ses recommandations. Les institutions budgétaires indépendantes sont d'ailleurs une création européenne, à l'image du European Fiscal Board (EFB).

Le déficit public risque-t-il de déraper comme cela a été le cas en 2023-2024 ? Selon nous, l'objectif n'est pas impossible à atteindre, mais il n'est pas acquis. Nous penchons toutefois plutôt pour l'hypothèse d'un léger dérapage que pour celle d'une amélioration substantielle.

Faut-il un projet de loi de finances rectificative en 2025 ? Le PLF 2024 n'intégrait pas les mauvais résultats de 2023. La situation actuelle est différente. D'une certaine façon, le projet de loi de finances ayant été voté plus tard, il intègre de fait les résultats de 2024. Il y a donc objectivement moins de risques de dérapage. Aussi, sans parler du fond, que je n'ai pas à commenter, un pilotage des crédits paraît à ce stade plus adapté qu'un PLFR. Si une guerre commerciale devait nous percuter, peut-être que la donne changerait, mais nous n'en sommes pas là.

Monsieur le président, il faut bien sûr être prudent. Vos propositions me semblent pertinentes mais je ne peux y répondre à brûle pourpoint. Elles rejoignent, me semble-t-il, celles que nous avons formulées dans notre rapport sur le budget de l'État. Il convient avant tout de nous montrer réalistes, c'est-à-dire d'écarter tout optimisme, même léger. Comme le disent les techniciens, il faut être centré. Nous le sommes davantage en 2025 que nous ne l'étions en 2024, mais nous pouvons aller encore plus loin.

En ce qui concerne le cinquième acompte d'impôt sur les sociétés, la Cour des comptes a demandé dès 2024 que l'administration contacte les grandes entreprises, ce qui a été repris dans le plan d'action du Gouvernement.

Sur les crédits de TVA, de nombreux mouvements sont liés à des besoins de trésorerie. À cet égard, le plan d'action gouvernemental est plutôt bienvenu, car nous avions perdu le contact avec nos recettes. Nous ne voyions plus comment évoluaient nos impôts.

Monsieur Bilhac, je ne sais pas si nous pouvons éviter d'atteindre les 4 000 milliards d'euros de dette, mais j'ai envie de dire que nous n'atteindrons pas les 5 000 milliards d'euros. En effet, l'alternative qui se présente aux responsables politiques est extrêmement claire : faire des efforts maintenant ou subir l'austérité plus tard. Pour ma part, j'ai toujours été hostile à l'austérité, car il s'agit de mesures extraordinairement brutales, aux effets destructeurs sur la qualité de l'action publique, qui peuvent nous être imposées par l'extérieur.

Vous vous demandez si une révolution de la dépense publique est possible. Objectivement, je ne la vois pas se dessiner moi non plus. J'ai le sentiment, après avoir pris du recul par rapport à l'action publique et politique, dont j'ai été un acteur pendant trente ans, que nous manquons de bon sens, voire que nous marchons sur la tête. En effet, nous ne sommes pas en train de traiter les vraies questions.

Pourtant, nous disposons de nombreuses marges de manoeuvre sur les dépenses publiques. Les revues de dépenses qui ont été faites tant par les inspections que par la Cour des comptes le montrent bien. Nous avons récemment montré comment nous pouvions économiser 20 milliards d'euros en cinq ans sur l'assurance maladie, de manière relativement indolore. Les assurés ne seraient touchés qu'à hauteur de 300 millions d'euros, pour les cures thermales. Si elles sont précieuses, nous sommes presque les seuls en Europe à les rembourser...

Nous sommes face à un choix : engager cette révolution des dépenses en faisant dès maintenant des efforts volontaires, intelligents et raisonnés, ou subir l'austérité plus tard. La situation de la France n'est pas catastrophique. Nous sommes bien loin d'une mise sous tutelle. Néanmoins, il ne faut pas aller trop loin. Certains scénarios pessimistes montrent que nous pourrions aisément atteindre 120 % ou 130 % de dette publique. Si nous allons trop loin dans cette direction, la confiance en la France finira par s'effriter et l'austérité nous sera imposée de l'extérieur.

Voilà pourquoi je pense que nous ferons en sorte de ne pas atteindre les 5 000 milliards d'euros de dettes. L'austérité nous ferait beaucoup de mal, et c'est quelqu'un qui a été commissaire européen chargé du suivi du programme grec pendant cinq ans qui vous le dit.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le Premier président, je vous remercie de vos réponses, et je remercie également ceux qui vous accompagnent, madame la présidente de la première chambre, mesdames, messieurs les conseillers maîtres et membres de la Cour des comptes.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.


* 1 Plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029, publié le 23 octobre 2024.

* 2 Directive (UE) 2024/1265 du Conseil du 29 avril 2024 modifiant la directive 2011/85/UE sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres.

* 3 Règlement (UE) 2024/1263 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2024 relatif à la coordination efficace des politiques économiques et à la surveillance budgétaire multilatérale et abrogeant le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil.

* 4 Règlement (UE) 2024/1264 du Conseil du 29 avril 2024 modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs.

* 5 Voir le compte-rendu de la séance du 30 octobre 2024 sur le débat sur le plan budgétaire et structurel national à moyen terme et l'orientation des finances publiques.

* 6 Données Eurostat.

* 7 « France : l'incertaine croissance. Perspectives 2025-2026 pour l'économie française ». Policy brief n° 144, 9 avril 2025, Observatoire français des conjonctures économiques.

* 8 « Climats hostiles. Perspectives 2025-2026 pour l'économie mondiale. Policy brief n° 143, 9 avril 2025, Observatoire français des conjonctures économiques.

* 9 FMI, Perspectives de l'économie mondiale, avril 2025.

* 10 « France : l'incertaine croissance. Perspectives 2025-2026 pour l'économie française ». Policy brief n° 144, 9 avril 2025, Observatoire français des conjonctures économiques.

* 11 Projections macroéconomiques intermédiaires - mars 2025, Banque de France.

* 12 Avis n° HCFP-2025-3 relatif au rapport d'avancement annuel 2025 du plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029.

* 13 Rapports d'information n° 685 (2023-2024) du 12 juin 2024 et n° 153 (2024-2025) du 19 novembre 2024).

* 14 Malheureusement, malgré un effort de pédagogie à souligner compte tenu de la complexité des nouvelles règles budgétaires européennes, les indications fournies par le Gouvernement dans le RAA pour calculer l'évolution de la dépense primaire nette ne contiennent pas les mesures nouvelles en matière de recettes, que le lecteur est obligé de déduire des données fournies.

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