N° 650

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 mai 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) et de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (2) sur la prévention de la récidive en matière de viol
et d'
agressions sexuelles,

Par Mmes Annick BILLON, Evelyne CORBIÈRE NAMINZO, Catherine DI FOLCO, Audrey LINKENHELD, Marie MERCIER et Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrices et Sénateurs

Tome II - Comptes rendus

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

(2) Cette délégation est composée de : Mme Dominique Vérien, présidente ; Mmes Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Laure Darcos, Béatrice Gosselin, M. Marc Laménie, Mmes Marie Mercier, Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Marie-Laure Phinera-Horth, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Anne Souyris, vice-présidents ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Agnès Evren, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Hussein Bourgi, Mmes Colombe Brossel, Samantha Cazebonne, M. Gilbert Favreau, Mme Véronique Guillotin, M. Loïc Hervé, Mmes Micheline Jacques, Lauriane Josende, Else Joseph, Annie Le Houerou, Marie-Claude Lermytte, Brigitte Micouleau, Raymonde Poncet Monge, Olivia Richard, Marie-Pierre Richer, M. Laurent Somon, Mmes Sylvie Valente Le Hir, Marie-Claude Varaillas, M. Adel Ziane.

COMPTES RENDUS

Audition de représentants de centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs)
(5 décembre 2024)

Présidence de Mmes Muriel Jourda, présidente de la commission des lois et Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Je souhaiterais avant toute chose saluer le démarrage des travaux de la mission du Sénat sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles, qui fait l'objet d'un travail conjoint de la commission des lois et de la délégation aux droits des femmes. Cette formule, qui reste rare sans être inédite, marque l'importance du sujet qui nous réunit ce matin.

Je tiens aussi à remercier les personnes auditionnées de s'être rendues disponibles à bref délai. Mesdames, Monsieur, je ne doute pas que votre témoignage et vos analyses apporteront une contribution précieuse à nos travaux sur ce sujet dont la complexité ne doit pas être sous-estimée.

Je remercie également nos six rapporteures, Catherine Di Folco, Audrey Linkenheld, Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Marie Mercier et Laurence Rossignol, qui représentent la diversité des sensibilités politiques du Sénat. Je sais qu'elles mobiliseront toute leur expertise pour aboutir rapidement à un rapport clair, étayé et pragmatique : la tradition du Sénat est en effet de partir du terrain, et c'est grâce à cela que notre assemblée parvient régulièrement à dégager des conclusions qui dépassent les clivages politiques.

Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Je me réjouis d'ouvrir officiellement ce matin les travaux de notre mission conjointe de contrôle. Je suis convaincue de la pertinence d'une mise en commun de nos expertises et de nos regards sur cette problématique de la prise en charge des auteurs de viols et d'agressions sexuelles.

Chaque année, plus de 55 000 individus - à 97 % des hommes - sont mis en cause pour viols, agressions sexuelles ou atteintes sexuelles sur mineurs et 6 000 individus sont condamnés pour de tels faits. Un quart d'entre eux sont des mineurs. Si nous voulons que ces violences cessent, il faut bien sûr développer la prévention et l'éducation, mais également prendre en charge tous ces individus afin qu'ils ne récidivent pas. Cette prise en charge judiciaire, sociale, médicale et psychologique doit intervenir aussi bien lors de la détention qu'en amont et en aval de celle-ci.

Afin de dresser un premier panorama de la prise en charge aujourd'hui déployée, nous entendons ce matin des professionnels intervenant au sein des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, les Criavs.

Je souhaite la bienvenue à Anne-Hélène Moncany, présidente de la Fédération française des Criavs, psychiatre et cheffe du pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse, Caroline Kazanchi, avocate pénaliste, docteure en droit, auteure d'une thèse sur la médicalisation de la sanction pénale et juriste correspondante pour le Criavs de Provence-Alpes-Côte d'Azur, Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, praticien hospitalier au CHU de Clermont-Ferrand, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes et Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Île-de-France, qui reçoit également, dans le cadre de la consultation externe du groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris Psychiatrie et Neurosciences, des individus soumis à des soins pénalement ordonnés.

Vous nous présenterez la façon dont s'opère aujourd'hui la prise en charge des auteurs de violences sexuelles, les différents intervenants impliqués dans cette prise en charge, ainsi que les outils, dispositifs et méthodes déployés.

Vous nous exposerez bien sûr le rôle des Criavs dans cette architecture et l'appui que vous fournissez aux intervenants. Les Criavs ne prennent pas directement en charge les auteurs, mais vous pouvez bien entendu être amenés, en tant que médecins psychiatres, à recevoir directement en consultation des auteurs de violences. Vous nous expliquerez en particulier quels sont vos liens avec les professionnels qui oeuvrent au sein des centres de détention « fléchés AICS » (auteurs d'infractions à caractère sexuel) ainsi qu'avec les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et les médecins qui interviennent dans le cadre du suivi socio-judiciaire et de l'injonction de soins des auteurs libérés.

Vous nous direz en quoi l'organisation des Criavs diffère selon les régions et si certains services ou intervenants que vous accompagnez ont développé des initiatives qui vous semblent particulièrement intéressantes afin d'améliorer la prévention de la récidive.

Enfin, à la fois en tant qu'experts de Criavs et praticiens, vous pourrez nous faire part de vos retours d'expérience et de vos préconisations pour améliorer la prévention de la récidive.

Avant de laisser la parole à nos intervenants, je précise que cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.

Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs. - Les Criavs ont, depuis 2008, une certaine expérience sur ce sujet, et nous avons vu évoluer les préoccupations et les professionnels qui nous sollicitent. Je commencerai par décrire les missions des Criavs et leur mode de fonctionnement, avant de dire un mot des soins en détention. Je laisserai ensuite mes collègues aborder la question des soins en milieu libre, de la prévention et de l'articulation des différentes interventions en matière de justice, de santé et d'action sociale.

Créés par une circulaire de 2006, les premiers Criavs ont ouvert en 2008. Leur origine remonte à la loi de 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, qui a échafaudé un dispositif de soins pénalement ordonné, conçu à partir d'une recherche de terrain et spécifiquement destiné aux auteurs d'infractions à caractère sexuel : l'injonction de soins. Ce dispositif suppose une articulation étroite entre les professionnels de la justice, de la santé et du social. Avec le recul, il a été néanmoins constaté que ce dispositif ne fonctionnait pas très bien, sans doute parce que les professionnels du soin et de la justice n'étaient pas toujours parfaitement formés à cette prise en charge spécifique et qu'ils n'étaient pas habitués à travailler ensemble. Les centres ressources ont précisément vocation à soutenir ces professionnels et à mieux articuler leurs interventions.

La circulaire de 2006 prévoyait la création d'un centre par région. On dénombre donc aujourd'hui 27 Criavs, un pour chaque ancienne région administrative. J'insiste sur l'enjeu du maintien et du développement de ces centres outre-mer, ces territoires ayant des problématiques spécifiques et des difficultés en lien avec la démographie des professions de santé.

Les Criavs sont pour l'essentiel rattachés à des établissements de santé et financés par le ministère de la santé à hauteur de 320 000 euros. Ils se composent essentiellement de professionnels de santé, mais aussi de juristes, de sociologues, de documentalistes.

Les Criavs ont cinq grandes missions, qu'ils doivent déployer sur l'ensemble du territoire régional.

Ils assurent une première mission de formation en direction des professionnels du soin et de la justice, évidemment, mais aussi du secteur social, de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Nous avons vu un élargissement de nos publics. Dans une optique de prévention, et alors que les violences sexuelles concernent tout le monde, il est important d'élargir autant que possible le champ des acteurs avertis et formés.

Ils assurent aussi une mission d'animation de réseau, qui passe notamment par l'organisation régulière de journées ou de soirées thématiques permettant aux professionnels de ces différents champs de se rencontrer et d'apprendre à mieux se connaître.

Ils mènent également une mission de recherche, en encadrant de nombreux travaux au niveau local, national et international, mais aussi de documentation, par l'intermédiaire du site internet ThèséAS, qui permet à tout un chacun d'accéder à une information actualisée.

Le coeur de la mission des Criavs reste toutefois le soutien aux professionnels de terrain, qui ne doivent surtout pas rester isolés en cas de difficulté. Quand des professionnels rencontrent une situation de violences sexuelles ou doivent prendre en charge des auteurs de violences, nous les rencontrons, nous réfléchissons avec eux à ce qui peut être mis en place et nous suivons avec eux la situation. À l'origine, nous intervenions principalement auprès des professionnels qui prennent en charge les auteurs de violences sexuelles en détention ou en milieu ouvert : médecins, psychologues, CPIP... Aujourd'hui, nous sommes de plus en plus sollicités en cas de situations complexes à l'école ou dans des instituts médico-sociaux. Vous n'ignorez pas l'acuité des problématiques de violences sexuelles chez les personnes en situation de handicap et chez les mineurs - à la fois comme victimes et comme auteurs.

Enfin, nous avons beaucoup soutenu ces dernières années le développement des outils de prévention des violences sexuelles. On parle de prévention primaire pour la population générale, de prévention secondaire pour les publics à risque - les personnes attirées sexuellement par des enfants, par exemple, à destination desquelles nous avons déployé le dispositif d'appel téléphonique Stop (service téléphonique d'orientation et de prévention) afin qu'elles nous appellent et que nous puissions intervenir avant un passage à l'acte - et de prévention tertiaire pour les personnes ayant déjà commis des violences sexuelles.

Quand on s'adresse, en population générale, à une classe dans une école, il faut bien comprendre que l'on parle à des victimes potentielles, mais aussi à des auteurs potentiels. Or c'est bien en priorité les personnes susceptibles de commettre des violences qu'il faut responsabiliser, et auprès desquelles il faut travailler.

Les Criavs se sont réunis en 2009 au sein d'une fédération française, que je préside depuis cinq ans, afin d'unir leurs forces et de coordonner leurs travaux. Nous avons à notre actif la création de ce numéro d'appel Stop dont je viens de parler. Nous travaillons actuellement à l'organisation d'une audition publique sur les mineurs auteurs de violences sexuelles, qui se tiendra en juin 2025 à Paris, parce que ces jeunes représentent une population importante, que l'idée est d'agir le plus précocement possible et que les professionnels sont souvent démunis face à ces violences.

J'en viens maintenant aux soins en détention. La France compte 187 établissements pénitentiaires, une population carcérale en constante augmentation et 22 centres de détention fléchés AICS, qui ne concentrent pas tous les auteurs d'infractions sexuelles, mais qui disposent d'équipes sanitaires et de moyens spécifiques pour les prendre en charge.

Une évaluation récente, menée conjointement par la direction de l'administration pénitentiaire et le ministère de la santé, fait apparaître des réalités contrastées. Certains établissements rencontrent de grandes difficultés en raison du manque de soignants. C'est vrai en psychiatrie de manière générale, mais encore plus en milieu pénitentiaire.

Rappelons que le soin ne constitue pas l'alpha et l'oméga de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles. Il est plus ou moins adapté selon les profils et n'est jamais suffisant pour prévenir la récidive.

Il est sans doute nécessaire de mieux prioriser les soins, ce qui n'est pas suffisamment le cas aujourd'hui, en particulier s'agissant des obligations de soins qui sont prononcées. Il est nécessaire de distinguer les auteurs qui relèvent du soin et de les prioriser ; et de ne pas emboliser les dispositifs de soins avec les auteurs pour lesquels le soin n'est pas la priorité.

Selon les recommandations internationales, la prise en charge médicale des auteurs d'infractions à caractère sexuel repose en premier lieu sur la psychothérapie, et parfois sur un traitement hormonal. Nous travaillons en lien avec les psychiatres exerçant en milieu libre, qui ne connaissent pas toujours très bien ces traitements, sans doute sous-prescrits aujourd'hui.

Enfin, toutes les études montrent que pour diminuer le risque de récidive il est essentiel de prévoir des aménagements de peines et d'éviter à tout prix les sorties sèches de prison. Les facteurs sociaux - hébergement, emploi, réseau social - comptent encore plus que les soins pour protéger du risque de récidive. Or beaucoup de patients sortent encore après de longues peines sans emploi, sans hébergement, sans aucun réseau social, et parfois même sans papiers ni carte vitale... Dans ces conditions, il n'est pas possible pour eux de poursuivre les soins.

Caroline Kazanchi, avocate, juriste correspondante pour le Criavs Provence-Alpes-Côte d'Azur. - Le parcours judiciaire des auteurs d'infractions à caractère sexuel ne diffère pas fondamentalement de celui des auteurs d'infractions classiques, notamment en termes de durée de la garde à vue.

Toutefois, dès ce stade de la procédure, l'institution judiciaire cherche à préserver la présomption d'innocence tout en protégeant la victime présumée et d'autres victimes éventuelles d'un éventuel risque de réitération. L'expertise est obligatoire et le prévenu peut être inscrit par le juge d'instruction au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (Fijais). Cette inscription est obligatoire en matière criminelle, facultative en matière délictuelle. Le procureur de la République a également la possibilité d'alerter les administrations, par exemple l'éducation nationale, là encore dans un souci de prévention.

Le contrôle judiciaire et la détention provisoire font aussi partie de la panoplie des mesures préventives, tout comme le soin. Un auteur présumé d'infraction à caractère sexuel peut être soumis à une obligation de soins lors de son placement sous contrôle judiciaire. Le juge décide seul de cette mesure ; aucun expert n'intervient, aucune coordination n'a lieu et une simple attestation de son médecin traitant suffit pour prouver la bonne exécution de la mesure.

Il s'agit d'une obligation de soin générique, sans prescription médicale, dont l'objectif est de sécuriser le parcours de la personne sous contrôle judiciaire en attente d'être jugée. On se dit qu'une telle obligation ne peut pas faire de mal... Pourtant, en pratique, elle peut se révéler assez stigmatisante pour l'auteur présumé, surtout s'il est par la suite relaxé. On peut aussi s'interroger sur la pertinence d'un soin aussi générique dans le contexte de pénurie de soignants qui a été rappelé.

Formellement, la question de la prévention de la récidive apparaît après la condamnation, principalement au travers de l'injonction de soins et, plus encore, du suivi socio-judiciaire, qui innerve l'intégralité du parcours carcéral et post-carcéral des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Fruit d'une longue et intéressante recherche de consensus entre les sphères médicale et judiciaire, le suivi socio-judiciaire, introduit dans la loi en 1998, peut éventuellement être assortie d'une injonction de soins, dont la pertinence sera obligatoirement évaluée par un expert psychiatre, contrairement à l'obligation de soins.

Initialement, le suivi socio-judiciaire était presque exclusivement destiné aux auteurs d'infractions à caractère sexuel, et même principalement aux auteurs majeurs ayant commis des infractions sur des victimes mineures.

Affirmer cela aujourd'hui serait absolument faux : le suivi socio-judiciaire a été rendu générique, tout comme l'injonction de soins. De fait, il y a eu une sorte de boulimie de soins, avec la volonté de se persuader qu'il s'agissait de la seule solution. La société attendant d'être rassurée, à l'issue de la peine, sur la prévention de la récidive, la loi de 1998 est venue créer ce temps de l'après-peine. Alors qu'il était initialement question d'un suivi médical, le choix, en 1998, du terme même de suivi socio-judiciaire est né de la volonté de la sphère médicale d'alerter sur la nécessité de ne pas faire reposer la récidive sur le soin et d'éviter cet amalgame, à la fois grave et surtout faux pour certains profils d'auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Le suivi socio-judiciaire s'étend donc désormais à l'ensemble des profils, avec une injonction de soins qui s'est elle-même déplacée vers la libération conditionnelle et le sursis probatoire, à tous les stades de la procédure sentencielle. Cette injonction de soins est pourtant lourde puisqu'elle nécessite, à la différence de l'obligation de soins, un médecin coordonnateur, alors que nous connaissons bien la pénurie qui affecte cette profession. Lorsque seulement deux ou trois médecins sont présents pour toute une région, il est difficile d'expliquer que ce soin et ce suivi post-carcéral peuvent être efficaces.

S'y ajoute le fait que le suivi ne s'appliquera jamais en détention et que l'injonction de soins ne pourra trouver un début d'application qu'une fois le détenu sorti de prison. L'exemple le plus typique est celui d'une condamnation à cinq ans d'emprisonnement, assortie d'un suivi socio-judiciaire pour une période de trois ans : le soin pourra commencer mais l'injonction de soins à proprement parler ne débutera qu'à la sortie de détention, ce qui est tout à fait logique puisque l'objectif consiste à assurer un suivi post-carcéral, avec l'espoir d'éviter les sorties sèches et de guider les sorties.

Néanmoins, les attentes placées dans le soin ont été hypertrophiées, en ignorant qu'un suivi s'intègre dans une logique pluridisciplinaire, comme nous l'enseigne la criminologie : le passage à l'acte criminel ne peut être appréhendé au seul prisme d'un trouble psychiatrique - quel qu'il soit -, mais doit également intégrer des critères d'ordre environnemental.

Dès lors que l'infraction pour laquelle vous avez été condamné relève du champ du suivi socio-judiciaire, même si vous n'avez pas été condamné à un tel suivi, tout votre parcours en découlera, avec une incitation aux soins. Dès votre arrivée en détention, le juge de l'application des peines (JAP) vous informera que votre injonction de soins ne pourra commencer qu'à votre sortie de détention, tout en vous recommandant de commencer à recevoir des soins. Même quand une injonction de soins n'a pas été prononcée par le tribunal, le même juge considérera qu'il faudra vous affecter à un établissement fléché et vous incitera à entamer des soins. Pour que cette incitation de soins fonctionne, le juge pourra en faire dépendre les remises de peine auxquelles vous avez droit, en vous expliquant qu'un refus signifierait que vous ne fournissez pas d'efforts sérieux de réadaptation. De la même manière, il pourra décider de retirer le droit à la libération conditionnelle au motif que les soins n'ont pas commencé en détention.

Pour autant, en fin de peine, nous passerons notre temps à corriger les conséquences de l'incarcération, d'où le suivi socio-judiciaire. Le protocole santé-justice mis en place en 2011 portait sur ce parcours fléché, mais a également confié aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) la mise en oeuvre de programmes de prévention extrêmement vastes dans les centres fléchés, en prenant en considération des éléments d'ordre criminologique et en créant des groupes de parole.

Nous disposons donc, en théorie, des dispositifs nécessaires en termes de soins et de suivi, mais sont-ils bien déployés en pratique ? J'en doute : ni le ministère de la santé, ni le ministère de la justice, ni l'administration pénitentiaire - tous trois concernés par la prévention de la récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel - n'ont réellement coopéré, en dépit du fait que la loi de 1998 était le fruit de leur association. Je ne dispose ainsi pas d'éléments chiffrés relatifs à la mise en oeuvre de ce protocole de 2011, en particulier au niveau des Spip, alors que ces services peuvent assurer le relais entre le soin en détention - spécifique - et le soin post-carcéral. Comment faire, en fin de détention, lorsqu'il faut aller consulter un psychiatre traitant ? Ce dernier a-t-il été suffisamment formé et informé ? Si ce rôle revient au médecin coordonnateur dans le cadre de l'injonction de soins, la démarche reste complexe.

En conclusion, je partage l'avis de ma collègue Anne-Hélène Moncany : si vous disposez de ressources, d'un cadre financier et d'un cercle familial, des mesures pourront être prises à votre sortie, mais, dans le cas contraire, vous peinerez à trouver un travail et un logement, qui sont pourtant des éléments importants en matière de prévention de la récidive. Ces facteurs complexes expliquent parfois les sorties sèches qui sont décidées, malgré les dispositifs déployés pour les éviter.

Si l'on entend se concentrer sur le soin, encore faut-il que celui-ci soit spécifique et non pas générique, afin d'être adapté à la population visée. Il importe, une fois encore, d'avoir conscience que le suivi et la prévention de la récidive ne peuvent pas être uniquement basés sur le soin. Des tentatives ont eu lieu pour procéder différemment, mais n'ont pas été mises en oeuvre, ou alors en oubliant d'autres acteurs tels que les Spip, qui se trouvent aujourd'hui isolés.

Lorsqu'on évoque l'enjeu de la pluridisciplinarité, il est ainsi triste de constater, au moment où les juridictions de l'application des peines se prononcent, que les rapports des Spip, des experts et des intervenants sociaux sont isolés les uns des autres. Une prise en charge de la récidive plus solide devrait s'appuyer sur une véritable pluridisciplinarité.

Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes. - Je me concentrerai sur les soins aux auteurs car je suis amenée, dans le cadre de ma fonction professionnelle, à organiser deux fois par an des réunions associant les psychiatres et les médecins coordonnateurs, voire les experts. J'accueille et j'accompagne aussi, dans le cadre de ma consultation, des auteurs ; en outre, j'ai créé une consultation spécifique pour l'évaluation et la mise en place de traitements pour certains auteurs.

L'intérêt du soin n'est globalement pas à remettre en question, comme cela a été relevé précédemment. Nous disposons d'une série de recommandations très précises, dont une recommandation de 2009 de la Haute Autorité de santé (HAS) relative aux bonnes pratiques, plus précisément en matière de prise en charge des auteurs d'agressions sexuelles sur les mineurs de moins de 15 ans, c'est-à-dire des pédocriminels. Je rappelle que cette catégorie compte environ pour moitié des personnes qui vivent avec un trouble pédophilique, pour lesquelles un traitement médicamenteux peut être particulièrement indiqué.

La deuxième recommandation résulte de l'audition publique menée en 2018 par la Fédération française des Criavs, avec des rapports d'experts français et des préconisations précises pour les soins. Nous disposons enfin des lignes directrices de la Fédération mondiale de psychiatrie biologique portant sur la prise en charge des troubles paraphiliques, établies en 2010 et réactualisées en 2020. Lesdits troubles concernent des personnes présentant des fantasmes, des obsessions ou des comportements centrés sur la sexualité qui entraînent des ressentis, de la honte, de la culpabilité, ainsi que des répercussions sur l'entourage. La catégorie comprend la pédophilie, mais aussi d'autres paraphilies telles que le voyeurisme, le fétichisme ou le frotteurisme.

Anne-Hélène Moncany. - En effet, certains auteurs de violences sexuelles présentent des troubles paraphiliques définis dans la classification des troubles mentaux, le DSM : s'il ne s'agit pas de la majorité d'entre eux, il faut systématiquement déterminer si ces troubles sont présents, et les traiter le cas échéant. Le plus souvent, des traitements médicamenteux sont recommandés.

Hélène Denizot-Bourdel. - Les auteurs de violences sexuelles présentent des profils extrêmement variés, d'où des risques de rechute et de récidive eux aussi très variés. S'il est question d'un père incestueux, les risques de récidive sont très limités une fois que le système familial a explosé ; en revanche, un violeur de femmes opportuniste, parfois stimulé par la pornographie et sous l'emprise de l'alcool, aura davantage besoin de soins addictologiques, voire d'un traitement destiné à traiter son hypersexualité.

Un autre cas de figure est celui d'une personne présentant une préférence quasi exclusive pour les enfants, ou qui est submergée par une obsession, un fantasme ou une pulsion : ces profils requièrent toute notre attention, car les risques de rechute et de récidive sont plus élevés. Je précise qu'il s'agit heureusement d'une infime partie des personnes que nous rencontrons et que le traitement peut être particulièrement recommandé pour cette catégorie, surtout lorsque des pulsions persistent.

Du fait de cette grande diversité de profils, c'est l'évaluation psychiatrique, psychologique, criminologique et sexologique qui va nous permettre d'individualiser les soins, qui comprendront un volet d'éducation à la sexualité - un sujet brûlant à l'heure actuelle -, car nous sommes parfois atterrés par le niveau d'éducation sexuelle des auteurs que nous recevons, d'où l'intérêt d'intervenir sur ces thématiques dans une démarche de prévention.

Le suivi psychothérapeutique, systématique, peut être effectué individuellement ou en groupe ; il nous permet de travailler sur l'histoire de la personne, ses difficultés d'interactions et la gestion de ses émotions, tout en nous focalisant sur sa capacité à changer. Afin de favoriser le changement, l'alliance thérapeutique doit être forte : sa mise en place est la base de tout soin et peut prendre du temps, temps permis par l'obligation ou par l'injonction de soins.

J'en reviens aux traitements médicamenteux, qui peuvent être indiqués pour une minorité d'auteurs présentant des troubles paraphiliques avec un risque de rechute important, notamment ceux qui présentent une préférence sexuelle pour les enfants. Nous disposons d'une littérature conséquente sur le sujet : en 2020, une équipe suédoise a publié dans le Journal of the American Medical Association une étude portant sur une population de personnes pédophiles recrutées via leur ligne d'aide téléphonique. Les trois quarts des participants ont reçu un traitement frénateur et ont relevé un effet positif sur leur sexualité au bout de deux semaines : les auteurs concluent que le traitement injectable réduit le risque de récidive chez les hommes présentant un trouble pédophilique.

Ces traitements hormonaux nécessitent une évaluation et un suivi : ils sont connus pour entraîner des effets secondaires gênants, dont une baisse de la testostérone, une prise de poids ou encore une déminéralisation osseuse. Certains patients appréhendent le traitement, qui nécessite un bilan préalable et une surveillance qui est d'ailleurs bien codifiée.

Pourtant, les patients interrogés expriment plutôt une très bonne acceptabilité de ces traitements : une étude menée par une équipe belge en 2021 a montré que les patients pédophiles prenant un traitement frénateur décrivent un effet positif sur leur bien-être. Ils sont ainsi moins anxieux grâce à la diminution de la fréquence et de l'intensité de leurs fantasmes et de leurs pulsions. Certains auteurs que j'ai reçus en consultation ont d'ailleurs demandé à intensifier leur traitement tant ils se sentaient soulagés de leurs obsessions, résultat auquel ils ne s'attendaient pas avant la mise en place du traitement.

Les soins peuvent donc prévenir la récidive, même si leur mise en place n'est pas toujours très simple. Les auteurs arrivent pour la plupart dans le parcours de soins par la voie judiciaire, soit en obligation de soins - qui peut débuter en contrôle judiciaire -, soit en injonction de soins, en post-peine et en milieu ouvert. Il est à noter que si la personne est incarcérée, l'obligation ou l'injonction de soins devient une incitation aux soins à effectuer contre une remise de peine, ce qui pose parfois le problème de la continuité des soins pour les personnes qui sont réincarcérées, voire entraîner des incohérences lorsque la personne est réincarcérée à la suite d'une inobservation de son injonction de soins.

Dans le cas d'une obligation de soins, l'auteur vient nous rencontrer en consultation, en centre médico-psychologique (CMP) ou en libéral, et nous expose la situation. Nous devons demander le dossier pénal pour avoir des éléments complémentaires, ce qui n'est pas toujours chose aisée. Nous remettons une attestation de suivi qui ne fait pas état de la qualité du soin, l'obligation étant en général d'une assez courte durée, d'un à deux ans. Elle est pourtant très utile, à mon sens, car elle permet de démarrer les soins. Dans le Puy-de-Dôme par exemple, elle est particulièrement prononcée en cas d'attaques sexuelles ou de consultation de contenus à caractère pédopornographique.

L'injonction de soins est, quant à elle, plus récente, spécifique aux auteurs de violences sexuelles et prononcée dans le cadre du suivi socio-judiciaire, avec un travail de concert entre l'administration pénitentiaire et la justice. Créée par la loi de 1998, elle se base principalement sur le rapport Balier, qui est venu rappeler l'importance des soins post-peine et mettre en avant le fait que la volonté de changement des délinquants est particulièrement active durant le temps de la judiciarisation et de la pénalisation de l'affaire.

Le rapport met également en exergue l'importance de l'articulation entre les acteurs qui accompagnent l'auteur de violences sexuelles : il est nécessaire que les professionnels de la justice, de l'administration pénitentiaire et du secteur sanitaire travaillent de concert et avec le même objectif d'un accompagnement cohérent.

La mise en place de l'injonction de soins nécessite une expertise psychiatrique - parfois psychologique - qui est réalisée au moment de l'instruction, et qui permet de statuer sur l'intérêt du soin. En tant qu'expert, il m'arrive de préciser quel type de soin peut être utile, voire nécessaire : il peut s'agir par exemple d'un traitement médicamenteux. Le prescripteur et le médecin coordonnateur peuvent ensuite s'appuyer sur cet écrit.

Nommé par le juge, le médecin coordonnateur reçoit le dossier pénal et sert d'interface entre la justice et le thérapeute. Après avoir reçu l'auteur une première fois, il évalue la situation et valide le dispositif de soins ou, dans le cas contraire, lui conseille un soignant qui pourra l'accueillir. Le médecin coordonnateur contacte ensuite le thérapeute, lui transmet le dossier pénal accompagné des expertises et peut également le conseiller.

Il revoit l'auteur une fois par trimestre afin d'évaluer son implication dans les soins et son évolution ; il établit aussi un rapport destiné au service de l'application des peines une fois par an, rapport qu'il transmet également au Spip. Distinct d'un expert, le médecin coordonnateur n'a donc pas vocation à se prononcer sur la dangerosité psychiatrique ou criminologique de l'auteur, il n'est pas non plus thérapeute traitant. Par ailleurs, le médecin coordonnateur est soumis au secret professionnel par le code de déontologie médicale, mais le code de la santé publique lui permet de transmettre tous les éléments nécessaires au contrôle du respect de la mesure.

Le thérapeute psychiatre et/ou psychologue, pour sa part, va accepter le suivi et informer le médecin coordonnateur dans le cas où le patient interrompt son suivi. Il peut aussi contacter le juge directement s'il existe une inquiétude et si le médecin coordonnateur n'est pas disponible.

L'auteur, quant à lui, a l'obligation de s'impliquer dans des soins adaptés avec un thérapeute et de rencontrer le médecin coordonnateur. Une peine d'emprisonnement est prévue en cas d'inobservation de cette obligation de soins - qui s'interrompra alors pour se transformer en incitation aux soins en cas d'incarcération. Dans le département du Puy-de-Dôme, la quasi-totalité des soins post-peine s'effectue en injonction de soins ; en revanche, dans le département du Cantal où je suis intervenue la semaine dernière, il existe une proportion à peu près équivalente d'obligations de soins et d'injonctions de soins, en raison d'un manque de médecins coordonnateurs. La JAP m'a d'ailleurs indiqué que la récidive était plus fréquente pour les personnes en obligation de soins, du fait du caractère plus lâche de ce dispositif.

J'en reviens à l'accès aux soins : l'enjeu consiste pour nous à mettre en place une alliance thérapeutique afin d'aider la personne à s'engager dans un parcours de soins. Le processus peut se déployer spontanément, exiger un travail considérable d'alliance thérapeutique, ou encore ne pas pouvoir se déployer du tout. Le temps laissé par l'obligation ou l'injonction est suffisant pour mettre en place des soins, dont certains peuvent s'enclencher en toute fin de mesure, au bout de quatre ou cinq ans.

Parmi les difficultés à signaler, le système de santé peine à accueillir les personnes souffrant de troubles psychiques puisqu'il faut parfois six mois pour obtenir un rendez-vous, tandis que les listes d'attente sont démesurées. Les CMP sont, quant à eux, submergés par des personnes souffrant de maladies très aiguës.

En Auvergne-Rhône-Alpes, il existe un dispositif spécifique d'évaluation et de prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel : il s'agit de plateformes mises en place en 2015 sur incitation de l'agence régionale de santé (ARS), avec un cahier des charges précis d'évaluation pluridisciplinaire. Adossées à des CMP, ces structures sont rattachées à des établissements de santé et dotées de crédits spécifiques, donc protégés. Elles présentent l'avantage de pouvoir proposer à l'auteur un rendez-vous dans les quinze jours et un début de l'évaluation dans un délai d'un mois. Ladite évaluation se termine par une réunion pluriprofessionnelle à laquelle peut participer le thérapeute qui a orienté le patient. Ces plateformes proposent également, pour les suivis les plus complexes, des soins individualisés et éventuellement des thérapies de groupe.

Pour aller un peu plus loin, j'ai sollicité les avis de quelques auteurs sur l'injonction de soins, voici quelques-unes de leurs paroles : « la détention ne soigne pas, on est un peu coupés du monde, on n'est pas dans la réalité de la vie » ou « on ne peut pas faire réellement de soins, mais on peut amorcer en détention ». Par rapport aux acteurs de l'injonction de soins : « le juge est plutôt compréhensif », « le conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) fait un bilan sur la vie », « un expert ne peut pas tout voir en un temps aussi réduit », « un psychologue, on va plus aller dans le fond du sujet ». Concernant l'injonction de soins : « ça dépend si on est motivé ou pas », « ça sert à rien », « c'est pas une contrainte, ça m'aide à ne pas récidiver ».

En conclusion, je tiens à souligner que les soins ont prouvé leur utilité en venant prévenir la rechute et donc la récidive. L'injonction de soins et l'obligation de soins permettent d'installer une alliance thérapeutique et des soins de qualité : la première, avec la présence du médecin coordonnateur, permet une articulation spécifique et précieuse de tous les acteurs de la prise en charge pour une posture contenante et cohérente, avec un minimum de rupture.

Les difficultés résident dans l'accès aux soins et dans la mise en place - ou le maintien, parfois - de traitements spécifiques pour une minorité d'auteurs davantage à risque de rechute et de récidive.

Nous apprécierions que la loi nous aide davantage afin de mettre en place des structures spécifiques telles que les plateformes que j'ai évoquées, permettant un accueil et une prise en charge optimale des auteurs par des professionnels formés. Nous aimerions aussi que la loi nous aide tous - thérapeutes, citoyens, femmes, enfants - à rendre obligatoire, dans certains cas, une indication de traitement pour les auteurs multirécidivistes dès lors qu'elle est validée par l'expert ou le thérapeute, voire par le médecin coordonnateur. Enfin, nous souhaiterions que l'obligation de soins se poursuive en milieu carcéral, afin de garantir une logique dans la continuité des soins.

Caroline Kazanchi. - Nous ne sommes pas tous d'accord sur ce dernier point. Lors de l'adoption de la loi de 1998, la sphère médicale a adhéré au principe de l'injonction de soins car le soin imposé ne commençait pas en détention. L'autre problématique a trait à la computation du temps : si vous partez du principe selon lequel le soin commence ou se poursuit en détention, comment faut-il le comptabiliser ? Lorsqu'une personne est condamnée à une peine de suivi socio-judiciaire de cinq ans à l'issue d'une peine d'emprisonnement, il est complexe de déduire de ces cinq années de suivi deux ans d'obligation ou d'injonction de soins qui aurait été entamée dès la détention. N'oublions pas qu'en matière pénale tout a un début et une fin, d'où les difficultés à mêler ce qui est censé être un suivi post-carcéral et ce qui est censé commencer en détention.

Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Île-de-France. - Les Criavs sont en général très fréquentés : au départ, leurs missions étaient centrées sur l'articulation entre la santé et la justice, mais ils sont devenus des structures importantes dans l'animation du réseau des intervenants prenant en charge les auteurs de violences sexuelles.

Pour ce qui concerne la justice, nous travaillons étroitement avec les CPIP, les psychologues du ministère de la justice, les magistrats et avocats, ainsi qu'avec des représentants du champ associatif qui interviennent parfois dans le contrôle judiciaire et dans l'accompagnement des auteurs de violences sexuelles, par exemple au sein de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).

S'y ajoutent des intervenants auprès des mineurs - qui sont même devenus la majorité des intervenants que nous rencontrons - appartenant à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou à l'aide sociale à l'enfance (ASE). Nous intervenons également auprès de la police et de la gendarmerie, de structures sportives ou encore de l'Église catholique.

Pour ce qui est du secteur sanitaire, nous commençons à éprouver des difficultés à mobiliser des acteurs de terrain. Les problèmes vont grandissant, notamment en raison d'un engorgement général du champ sanitaire, dépassé par le manque d'effectifs. Les Criavs, y compris celui de Paris, peinent eux-mêmes à recruter en raison des conditions épouvantables du secteur hospitalier.

En outre, le secteur psychiatrique est débordé et ne trouve pas nécessairement sa place dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles, peut-être en raison d'un manque de formation, mais sans doute aussi en raison d'un élargissement considérable des missions. Mes collègues ne rechignent absolument pas à prendre en charge des auteurs de violences sexuelles lorsqu'ils sont atteints de schizophrénie ou de troubles bipolaires, mais ils ne savent pas forcément quel type de suivi ou d'orientation mettre en oeuvre.

J'ajoute qu'ils sont également fatigués par des obligations et injonctions de soins qui se sont systématisées et qui s'apparentent davantage à des pseudo-mesures de sécurisation sociale qu'à de véritables dispositifs d'incitation à la rencontre et au soin psychique.

L'engorgement est aussi dû à une quasi-absence de sélection et à la faiblesse de l'évaluation mise en oeuvre pour choisir une prise en charge appropriée des différents profils. De nombreuses décisions de justice se basent désormais sur une obligation ou sur une injonction de soins, avec des durées parfois incroyables : je suis ainsi une partie de mes patients depuis cinq ou six ans dans la phase pré-sentencielle, ce qui contribue à congestionner le dispositif.

Par ailleurs, nous manquons d'outils et de consensus d'experts qui nous permettraient de dire que telle problématique relève d'une injonction de soins, et procédons en quelque sorte au doigt mouillé. L'injonction de soins sera ainsi parfois préconisée au motif que la personne présente une pathologie mentale, et dans d'autres cas seulement parce que la personne est dangereuse.

Le manque d'outils se manifeste également en matière d'évaluation du risque de récidive, les mesures les plus draconiennes étant parfois dégainées de manière inadaptée. Cette pratique permet sans doute de satisfaire certains soignants qui se prévaudront de leurs résultats, mais on pourrait leur objecter que des personnes ne disposant pas d'un suivi n'auraient peut-être pas non plus récidivé. Je rappelle d'ailleurs que les auteurs d'infractions à caractère sexuel ne présentent pas les taux de récidive les plus élevés - même si la récidive est synonyme d'énormes dégâts quand elle survient.

Certes, des commissions d'évaluation et des commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté ont été instituées ces dernières années, mais elles restent insuffisamment outillées et procèdent à une évaluation sans échelle valable. Nous utilisons parfois des échelles d'évaluation du risque de récidive bâties dans d'autres pays, car ce travail n'a pas été accompli en France, ce qui est regrettable. L'utilisation d'échelles « actuarielles » permettrait pourtant, par la validation du réel, de déterminer les populations sur lesquelles il conviendrait de concentrer nos efforts.

Certains de mes collègues du champ sanitaire ne comprennent guère mes missions, car ils considèrent qu'ils s'occupent uniquement de patients schizophrènes ou atteints de troubles bipolaires et peinent à investir les espaces dédiés aux auteurs d'infractions sexuelles. L'« affichage » même de ces derniers - et encore plus des soins pénalement ordonnés - représente parfois un frein à l'accès aux soins, les psychiatres n'étant par exemple pas particulièrement intéressés par la prise en charge d'une catégorie de personnes qui souffre d'une très mauvaise réputation. Ils oublient ainsi que les troubles de la sexualité sont des problématiques psychiatriques qui doivent être prises en charge.

Il faut également noter la paupérisation accrue de la population suivie. Des obligations ou des injonctions de soins décidées pour des personnes qui dorment dans la rue n'ont guère de sens, et j'estime qu'il faut arrêter de prendre ce type de décisions. Étant moi-même médecin coordonnateur, j'estime qu'environ 15 % des personnes que je suis ne viennent pas me voir car elles ne disposent ni de téléphone ni d'adresse fixe. S'y ajoute la multiplication des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui ne facilitent pas le travail de réinsertion.

Il me semble que nous avons véritablement besoin de faire un tri dans les mesures et dispositifs que nous mettons en place, et que nous devons construire des outils d'évaluation, ne serait-ce que pour identifier les personnes qui récidivent, ainsi que le cadre dans lequel ces faits se produisent, afin de concentrer nos efforts.

De manière plus générale, nous pourrions nous interroger sur l'importance acquise par le soin. Sur le terrain, les CPIP accomplissent un travail extraordinaire, mais sont confrontés au sous-effectif : tant que chaque conseiller aura 90 dossiers, voire 100 ou 115 dossiers, il sera difficile de rêver à une prise en charge plus solide. Je pense qu'il est temps de construire une filière spécifique « psycho-criminologique » ou « psycho-éducative », dans la mesure où la filière de la santé mentale continuera à se concentrer sur les patients atteints de troubles psychiatriques. De surcroît, la société développe un discours assez particulier en disant que les violences sexuelles sont systémiques et en renvoyant en même temps aux psychiatres la prise en charge individuelle de personnes qui présenteraient des fonctionnements psychiques bizarres.

Menons une réflexion sur les aspects éducatifs et clarifions tout cela, car travailler sur le systémique, c'est travailler sur la prévention et sur les modalités relationnelles dans la société, les programmes de prévention primaire ayant toute leur utilité. La majorité des mineurs auteurs de violences sexuelles que nous rencontrons ne sont pas des grands malades, mais ont pu être poussés par la pornographie, ainsi que par des enjeux interpersonnels qui les dépassent, à faire n'importe quoi. C'est d'ailleurs aussi le cas de certains adultes, le travail éducatif pouvant très bien être effectué au-delà de l'âge de 18 ans, même si cet aspect n'est guère intégré en France.

En conclusion, il faut noter que la loi de 1998 a été construite alors que les CPIP n'existaient pas ; il y avait des éducateurs dans les centres de détention et des assistantes sociales dans les maisons d'arrêt mais c'est seulement par la suite que les CPIP se sont structurés. Parallèlement, c'est sur les psychiatres que reposait la question du soin : il faudrait réinterroger ces aspects alors que la psychiatrie ne dispose plus des mêmes moyens qu'hier. C'est sans doute une erreur de penser que les psychiatres régleront l'ensemble des difficultés. Ils vont régler des choses car quand un patient est malade il a un rapport altéré à l'altérité et au consentement, et cela peut se soigner. Mais pour de nombreuses personnes, la réponse est sans doute davantage à rechercher du côté de l'éducatif, y compris pour les adultes.

Dominique Vérien, présidente. - Il existe actuellement un débat autour de l'éducation à la vie affective et sexuelle. Nous sommes allés visiter le centre de détention de Joux-la-Ville, dont les responsables nous ont expliqué qu'ils démarraient parfois les travaux avec les prisonniers par Le guide du zizi sexuel de la série de bandes dessinées Titeuf, afin de s'assurer que chacun connaisse son corps, ce qui est parfois bien loin d'être le cas.

Une première question : pourriez-vous nous expliquer la différence entre obligation, incitation et injonction de soins, trois termes que vous avez employés dans vos interventions liminaires ?

Catherine Di Folco, rapporteur. - Je souhaitais également vous poser cette question qui me paraît fondamentale. Il me semble comprendre que l'incitation aux soins intervient pendant l'incarcération, l'injonction de soins après l'incarcération...

Anne-Hélène Moncany. - C'est bien cela.

Catherine Di Folco, rapporteur. - L'obligation de soins me laisse en revanche perplexe.

Annick Billon, rapporteure. - Il a été question des 187 établissements pénitentiaires et des 22 établissements pénitentiaires spécialisés dans l'accueil d'auteurs de violences sexuelles qui existent dans notre pays - Dominique Vérien, Marie Mercier, Laurence Rossignol et moi-même avons visité l'un de ces établissements spécialisés, situé dans l'Yonne. Identifiez-vous à l'heure actuelle une volonté accrue de spécialiser les lieux de détention dans les cas de violences sexuelles ? Par ailleurs, quels résultats les établissements spécialisés obtiennent-ils ? Ces résultats justifient-ils les investissements engagés ?

Je m'interroge également sur la différence qui prévaut entre obligation et injonction de soins. S'agit-il de dire que la première concerne les soins, quand la seconde combine soins et justice ? En outre, l'orientation vers l'une ou l'autre de ces mesures est-elle toujours identique quel que soit l'endroit où l'on se trouve en France, ou varie-t-elle, au contraire, en fonction de certains facteurs, tels que la formation ou la prédilection des professionnels ?

Il ressort de vos propos que la récidive en matière de violences sexuelles et sexistes est un sujet complexe en ce qu'il ressort concomitamment aux deux domaines du soin et de la justice, voire à d'autres domaines. Lors du Grenelle des violences conjugales, nous avions vu que ces différents professionnels n'étaient pas habitués à travailler ensemble et qu'ils utilisaient des méthodes de mesure distinctes. Comment contribuez-vous à les rapprocher dans votre propre travail ?

Vous nous indiquez manquer de données chiffrées. Quelles sont celles dont vous auriez besoin pour que nous progressions sur le sujet de la récidive ?

Vous nous dites que l'inscription au Fijais est possible dès l'engagement de la procédure pénale. Compte tenu de notre attachement en France à la présomption d'innocence, correspond-elle à une réalité ou à une simple possibilité, peu utilisée en fait ? La fréquence du recours à cette mesure est-elle par ailleurs à géométrie variable en fonction des intervenants judiciaires ?

Pensez-vous que la formation des acteurs engagés dans la prévention de la récidive, tant dans le domaine de la justice que dans celui de la santé, soit aujourd'hui suffisante ?

Vous évoquez un déficit de moyens des Criavs en ce qui concerne le personnel de santé ; d'autres moyens, humains ou financiers, vous font-ils défaut ?

Enfin, pourquoi le fonctionnement de vos structures n'atteint-il pas le même niveau de résultat d'un territoire à l'autre ?

Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Monsieur Albardier, vous pointez la paupérisation des personnes suivies en raison de violences à caractère sexuel. S'y associe-t-il un risque de rupture de traitement, notamment du traitement injectable, et, dans l'affirmative, quelles mesures spécifiques prenez-vous ? Vous relevez par ailleurs les lacunes de la politique éducative à l'égard de ces publics et évoquez la création d'une filière psycho-éducative qui réponde mieux à leurs besoins. Disposez-vous déjà d'une ébauche de ce qu'elle pourrait être ?

Par rapport à la clarification que nous sollicitons sur la distinction entre obligation, incitation et injonction de soins, pourriez-vous préciser quels outils, au-delà du seul champ de la loi, vous permettraient d'orienter au mieux votre choix dans la réponse aux besoins de ceux que nous appelons les auteurs, mais qui sont plutôt pour vous, professionnels de santé, des patients ?

Vous soulignez le fait que faire reposer la prévention de la récidive des violences sexuelles sur les seuls professionnels de santé ou les CPIP ne suffit sans doute pas. Quels corps professionnels devraient selon vous rejoindre vos équipes, afin que vous soyez en mesure de proposer un suivi plus adapté ?

Laurence Rossignol, rapporteure. - Merci, docteur Albardier, d'avoir clarifié la contradiction entre la dimension systémique des violences sexuelles et la psychiatrisation de leurs auteurs, ainsi que d'avoir distingué entre les auteurs atteints de paraphilie et le « tout-venant » du violeur, qui présente d'abord un problème de respect de l'altérité et de limites morales. Si je vous entends bien, ces derniers ne requièrent pas automatiquement votre intervention de psychiatre. Or la loi de 1998, si elle offre un socle intéressant, souffre néanmoins, outre d'un manque d'effectifs, d'une pratique judiciaire qui tend à multiplier les injonctions de soins. On retrouve une attitude analogue dans d'autres domaines avec le recours aux expertises, en particulier en droit civil dans la pratique des juges aux affaires familiales (JAF) qui, en présence d'un conflit parental, n'hésitent pas à faire appel à un expert.

Aucune culture de l'évaluation n'existe à la Chancellerie, et je doute qu'un état des lieux de la loi de 1998 ait été entrepris. Or les pistes d'amélioration ne reposent peut-être pas sur des solutions législatives. C'est ce qu'il nous faut déterminer.

Différentes difficultés que vous soulevez, telles que l'absence de pluridisciplinarité ou une forme de laisser-aller entre les décisions des juges et leur mise en oeuvre effective, se retrouvent également dans d'autres secteurs du travail socio-judiciaire, par exemple dans celui de la protection de l'enfance.

Je vous soumets deux questions.

D'une part, quand on parle de récidive, s'agit-il de récidive d'infraction criminelle ou intègre-t-on dans cette notion les infractions délictuelles ? Considérera-t-on ainsi comme récidiviste une personne condamnée une première fois pour délit sexuel, qui commettrait par la suite un crime sexuel ?

D'autre part, l'émergence du mouvement #MeToo et l'essor du débat public sur les violences sexuelles ont-ils eu des conséquences sur votre activité ? Êtes-vous davantage ou différemment sollicités et, dans l'affirmative, vos moyens ont-ils suivi cette évolution ?

Dominique Vérien, présidente. - Vous parlez de conduire une étude en vue de mieux identifier ceux qui relèvent véritablement de vos services. Qui réaliserait ce travail ? Ne reviendrait-il justement pas aux Criavs de s'en occuper ?

Ces centres ont une compétence régionale. Ne sont-ils cependant pas déjà trop éloignés des praticiens qui interviennent auprès des auteurs de violences sexuelles, en particulier dans les établissements pénitentiaires ? Je pense notamment à la localisation du Criavs à Dijon alors que l'établissement fléché AICS de la région se situe à Joux-la-Ville, dans l'Yonne.

Walter Albardier. - Il y a plus d'auteurs de violences sexuelles en dehors de ces établissements que dedans...

Dominique Vérien, présidente. - Mais on ne les laisse pas toujours à la rue, comme vous le dites, on les reloge parfois autour de la prison.

Walter Albardier. - En effet. Cependant, davantage de personnes qui se sont rendues coupables de violences sexuelles se trouvent à l'extérieur plutôt qu'à l'intérieur des lieux de privation de liberté, et ce, un peu partout en France. Certes, nous observons des endroits de plus fortes concentrations, parfois autour des structures spécialisées.

Ces dernières sont apparues il y a plus de dix ans. Elles n'ont pas tout à fait permis d'atteindre les taux de non-récidive que l'on visait. Leur implantation ne correspond pas non plus toujours aux régions où l'on constate le plus d'agressions sexuelles et il importe qu'elle soit reconsidérée.

La loi de 1998 n'a jamais fait l'objet d'une véritable évaluation. Une tentative de recherche quantitative, qualifiée d'état des lieux d'un dispositif de soins pénalement ordonnés, avait impliqué les Criavs. Le travail, réalisé à partir de 2 000 dossiers d'injonction de soins, s'était cependant avéré éminemment complexe, en dépit de la contribution de l'administration pénitentiaire, et n'avait pas réellement abouti.

À ce jour, nous sommes incapables en France de savoir immédiatement combien d'injonctions de soins sont en cours d'exécution. L'absence de données nous met en difficulté et une étude ne suffirait pas ; il faudrait, à l'instar de ce qui existe à l'étranger, accumuler et conserver les informations, pendant dix ou quinze ans, pour disposer ensuite d'éléments concrets d'appréciation sur les profils des récidivistes et leurs divers déterminants socio-économiques, psychologiques, etc. Les Criavs n'ont pas accès aux ressources de données nécessaires à la réalisation d'un tel travail. Celui-ci ne pourrait s'élaborer qu'à partir des données pénitentiaires et judiciaires.

Les seuls chiffres de la récidive nous font déjà défaut, par manque de clarté dans notre approche de la notion. Entre récidive légale pour des faits similaires de violences sexuelles sur une période donnée, et récidive générale - où par exemple un auteur de violences sexuelles se retrouve poursuivi pour un délit routier -, on ne parle jamais de la même chose.

Anne-Hélène Moncany. - Trois modalités de soins pénalement ordonnés par la justice coexistent en France. Elles s'appliquent aux personnes reconnues responsables de leurs actes et s'ajoutent à la sanction pénale qui, par ailleurs, est prononcée à leur endroit.

La plus ancienne, l'obligation de soins, date de 1954 et concernait à l'origine les alcooliques dangereux. Elle a ensuite été très largement étendue, les magistrats la préconisant désormais dans la grande majorité des cas de violences en estimant qu'elle ne saurait nuire. C'est, d'une part, discutable du point de vue individuel ; c'est, d'autre part, assurément préjudiciable sous l'angle systémique puisque cela sature nos dispositifs de soins de situations qui ne devraient pas en relever. Les magistrats partent du présupposé que les psychiatres leur signaleront, le cas échéant, l'inutilité de la mesure prescrite ; or ces derniers considèrent qu'ils ne peuvent la remettre en question puisqu'elle a été prononcée par un juge. L'articulation santé-justice pâtit de son absence de structuration.

Introduite en 1970, l'injonction thérapeutique concerne les personnes avec des problèmes d'addiction.

L'injonction de soins remonte à la loi de 1998 et s'intègre dans le suivi socio-judiciaire des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Deux grandes avancées devaient l'accompagner : d'une part, l'expertise psychiatrique, afin de déterminer qui a besoin de soins et qui n'en a pas besoin, mais celle-ci fonctionne assez mal, faute de consensus en France sur les critères à retenir - les associations d'experts commencent à y réfléchir - ; d'autre part, le médecin coordonnateur, qui occupe une place intermédiaire entre santé et justice.

L'incitation aux soins est rattachée à l'injonction de soins et au suivi socio-judiciaire.

Caroline Kazanchi. - L'incitation aux soins correspond à des méthodes utilisées en milieu carcéral à l'usage des personnes pour lesquelles un suivi socio-judiciaire a été prononcé ou qui encouraient une décision en ce sens. De fait, leur parcours en détention est marqué par l'incitation aux soins : dès leur entrée en détention, le JAP les incite à recourir à des soins par divers moyens plus ou moins coercitifs, le plus souvent fondés sur la promesse d'une contrepartie, telle que l'obtention d'une libération conditionnelle ou d'un crédit normal de réduction de peine.

L'incitation aux soins est ainsi non pas une mesure supplémentaire, mais une méthode prévue par le code de procédure pénale, qui supplée à l'absence d'obligation judiciaire d'entamer des soins en détention.

Dominique Vérien, présidente. - Cette incitation ne tient-elle pas au fait qu'un certain nombre de psychiatres refusent de rencontrer une personne qui ne serait pas volontaire ?

Anne-Hélène Moncany. - Actuellement, notre système pénal n'impose en principe aucun soin pendant la période de détention. Par exception, les seules personnes à qui des soins peuvent être prodigués sans leur consentement, y compris en détention, sont celles qui présentent un trouble psychiatrique grave ou un trouble délirant, à la condition toutefois qu'elles fassent l'objet d'une hospitalisation.

Les soins pénalement ordonnés reposent sur le principe du consentement de la personne, même si ce consentement peut être « orienté », par exemple par la menace d'une remise en détention quand la personne est en milieu ouvert ou par celle du refus d'une remise de peine. On considère que ces personnes, parce qu'elles sont responsables de leurs actes, le sont aussi de ce qu'elles mettront en oeuvre en vue d'éviter la récidive.

En pratique, l'incitation aux soins est efficace : les moyens employés sont suffisamment incitatifs pour que la grande majorité des personnes en détention acceptent de se soigner.

Caroline Kazanchi. - La juridiction pénale qui condamne le mis en cause à un suivi socio-judiciaire avec injonction de soins doit aussitôt l'avertir qu'aucun soin ne saurait être engagé sans son consentement, mais que, en cas de refus de sa part, une peine d'emprisonnement spécifique lui sera appliquée.

Walter Albardier. - La problématique à l'origine des différences que l'on constate entre les régions tient à ce que, dans certaines d'entre elles, les personnes incitées à suivre des soins ne peuvent guère obtenir autre chose, y compris auprès d'établissements fléchés ou de structures extérieures spécialisées comme les CMP, que la preuve qu'ils sont inscrits sur une liste d'attente. Les pratiques varient selon les régions en fonction des contraintes qui y prévalent. Par endroits, des injonctions de soins interviennent sans médecin coordonnateur faute d'un tel spécialiste. Ailleurs, les Spip et les JAP doivent se satisfaire d'un document qui atteste d'une démarche pour obtenir des soins auprès d'un psychologue ou d'un psychiatre, à défaut de disponibilité de ces professionnels.

Anne-Hélène Moncany. - Une précision : les soins ne figurent pas directement dans les missions des Criavs, même si certains d'entre eux se sont adossés à des dispositifs de soins spécifiques. Ils y consacrent cependant des moyens distincts, ce qui est indispensable, en considération des sollicitations dont ils peuvent alors être l'objet.

À cet égard, le mouvement #MeToo a été très intéressant dans le revirement des mentalités qu'il a opéré. En 1998, nous assistions à une forme de dépolitisation de la problématique des violences sexuelles, laissant la place à leur pathologisation ; celle-ci explique que le soin ait pris tant d'importance. Mais nous avons vu les écueils d'une telle approche et #MeToo a mis en exergue le fait que le violeur n'est pas uniquement un malade mental ou un monstre. De notre côté, nous le soulignions depuis longtemps, car les chiffres des violences sexuelles - nous en avons malgré tout quelques-uns - nous apprennent que ces violences sont bien souvent le fait de personnes de l'entourage de la victime qui ne souffrent pas de troubles mentaux.

Nous soutenons qu'il faut accompagner ce revirement des mentalités en reconnaissant que le soin n'est pas l'alpha et l'oméga de la prévention des violences sexuelles. Il faut d'abord, en matière sociétale, rééduquer les esprits et circonscrire les systèmes de domination - de l'adulte sur l'enfant, de l'homme sur la femme, du supérieur hiérarchique sur son subordonné -, ce qui ne relève nullement du soin. Le soin ne revêt un intérêt qu'après, et seulement dans certains cas. Paradoxalement, nous en avons à ce point élargi l'acception des soins que nous ne parvenons plus à soigner ceux qui en ont réellement besoin.

Quant à la disponibilité des psychiatres, reconnaissons qu'elle est pour tout un chacun en bien des endroits des plus limitée, voire inexistante, y compris pour la prise en charge d'une dépression. C'est, bien plus que la réticence de certains professionnels - travailler avec des personnes qui ne sont pas forcément volontaires pour se soigner est notre quotidien en psychiatrie -, cette réalité qui explique que les personnes sortant de prison avec une injonction de soins à la suite d'une condamnation pour viol éprouvent autant de mal à obtenir l'aide d'un professionnel. Nous ne progresserons pas sans soutenir et étoffer notre système de soins psychiatriques.

Walter Albardier. - Le mouvement #MeToo a également conduit à une modification des profils auxquels nous sommes confrontés. Avec la loi de 1998, les soins étaient conçus à partir de la représentation d'un auteur de violences sexuelles qui était celle du violeur en série. Désormais, dans notre activité médicale, nous rencontrons parfois des gens qui ont reçu une injonction de soins pour avoir regardé des images pédopornographiques, alors que ces dernières viennent « contenir » leur sexualité pédophile...

Dominique Vérien, présidente. - Ou la développer.

Walter Albardier. - Peut-être, bien qu'il n'y ait encore aucun consensus sur la question au sein même de l'Académie nationale de médecine. Je ne cherche pas à excuser certains comportements. Je souligne le fait que nous rencontrons maintenant des personnes aux profils très variés, certaines nous étant adressées pour des violences non plus sexuelles, mais sexistes.

Par ailleurs, l'échelle n'est pas du tout la même entre l'injonction de soins et l'obligation de soins. La seconde est bien plus habituelle que la première. Pour Paris, j'évoquerai une proportion approximative de 200 contre 6 000. Les obligations de soins se rapportent à tout type de délinquance et à tout stade de la procédure pénale, en dehors de l'incarcération. Elles engorgent les structures de soins, dont elles mobilisent les professionnels de la psychiatrie qui les distinguent mal des injonctions de soins.

Dominique Vérien, présidente. - À défaut de psychiatre disponible, le traitement par injection peut-il être délivré par un médecin généraliste ?

Hélène Denizot-Bourdel. - Oui, il est possible de consulter un généraliste afin de recevoir le traitement injectable, pour un renouvellement d'ordonnance. Cependant, l'initiative du traitement revient normalement à un psychiatre. En pratique, ce type de traitement concerne un nombre très restreint d'auteurs d'infractions sexuelles. Lorsqu'il est mis en place en cours de détention, un lien est nécessairement établi avec un prescripteur extérieur, afin que les soins puissent se prolonger au terme de la détention. Dans des situations problématiques, il peut être associé à un système de soins sous contrainte, c'est-à-dire sans le consentement de l'intéressé, avec un contrôle renforcé de la mesure.

Walter Albardier. - De quoi parlons-nous ? Il y a deux types d'injection. Vous vous référez sans doute au traitement inhibiteur de la libido, ou castration chimique, qui existe également sous forme de comprimés. Ce traitement, bien distinct des traitements classiques de la psychiatrie fondés notamment sur les neuroleptiques, ne peut être administré qu'avec l'adhésion de la personne.

Outre qu'il n'est pertinent que dans un nombre très limité de cas, avec une indication extrêmement complexe, il ne peut être prescrit qu'associé à une psychothérapie, à l'instar du traitement de substitution des opiacés (TSO) - une autre classe de traitement. Il faut de plus l'administrer avec mesure et savoir y mettre un terme tant ses effets secondaires sont importants, en particulier sur l'ossature.

J'y recours uniquement dans des situations où le contrôle de soi pose chez la personne de grandes difficultés et à la condition de l'assortir de toute une série de mesures d'accompagnement. À son sujet, la solution de s'adresser aux médecins généralistes me paraît marginale ; ils ne sont en effet, pour la plupart d'entre eux, que peu formés à la prise en charge de psychothérapies de la nature de celle que j'évoque.

Anne-Hélène Moncany. - Du reste, les personnes qui sortent de prison peinent aussi à obtenir des rendez-vous auprès des médecins généralistes.

Quant à l'évaluation des outils de prévention de la récidive, des études existent, y compris en France. La vice-présidente de notre fédération, Ingrid Bertsch, a ainsi consacré sa thèse de doctorat à l'évaluation standardisée du risque de récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Aucun outil n'offre évidemment de solution miraculeuse, mais certains outils semi-structurés s'avèrent particulièrement intéressants. À l'étranger, les soignants ne sont pas les seuls à les utiliser et les travailleurs sociaux y recourent également. La difficulté, aujourd'hui, consiste à les implanter dans la pratique française. Le Centre national d'évaluation (CNE) pourrait par exemple en faire usage. Nous y travaillons.

J'insisterai sur la désistance, autrement dit sur le processus de sortie des parcours de délinquance - en l'occurrence d'agressions sexuelles - qui permet d'éviter la récidive, ce qui conduit à mettre en évidence les facteurs protecteurs davantage que les facteurs de risque. Les études internationales sont claires : le soin y contribue dans une certaine mesure, mais l'hébergement, le travail ou le réseau social jouent également. Des outils ont été mis en place, par exemple les cercles de réseau et de soutien. Outils de justice restaurative, ils consistent à instaurer, avec l'aide de bénévoles formés, un réseau social pour ceux qui n'en ont pas - un film récent en donne une illustration : Je verrai toujours vos visages. La loi de 2014 les préconise et nous savons qu'ils donnent des résultats probants. Ils demeurent cependant marginaux en pratique et il conviendrait de les soutenir.

Catherine Di Folco, rapporteur. - Lorsqu'un auteur d'infraction sexuelle pénalement condamné, suivi pendant sa détention et recevant une injonction de soins à son terme, récidive par un acte criminel, la situation donne-t-elle lieu à une analyse circonstanciée de ce qui n'a pas fonctionné, à une forme de retour d'expérience, afin de prévenir tout nouvel échec ?

Walter Albardier. - Rien de systématique n'est mis en place. Pour autant - et j'ai personnellement déjà suivi des récidivistes -, les structures les plus spécialisées ne restent pas indifférentes et analysent ce type de situations, au moins sous l'angle sanitaire. Cependant, nous voyons parfois arriver les choses sans pouvoir les empêcher, particulièrement en présence de personnes en situation de grande précarité, quand les différents acteurs des sphères sanitaire, judiciaire et sociale ne parviennent pas à créer autour d'elles un cadre plus favorable. Les analyses existantes de ces situations ne sont à ce jour pas répertoriées. Peut-être faudrait-il s'en occuper, sous réserve du respect du secret professionnel.

Catherine Di Folco, rapporteur. - Quand une analyse des causes de la récidive est conduite, il faudrait pouvoir en profiter. Ces analyses ne sont-elles donc pas transmises par les structures qui en sont les auteurs ?

Caroline Kazanchi. - Nous partons ici du postulat que l'analyse des causes de la récidive reposerait sur un retour d'expérience du milieu soignant. Or la récidive représente un échec global et la réflexion à son sujet ne saurait être elle-même que globale. La réflexion qui amène un tribunal de l'application des peines à se prononcer sur une libération conditionnelle s'appuie sur l'interdisciplinarité, avec la saisine du CNE, plusieurs expertises psychiatriques, voire des expertises psychologiques, et le recueil de l'avis des Spip.

Dominique Vérien, présidente. - Dans l'hypothèse que nous évoquons, le soin psychiatrique n'est pas nécessairement en cause.

Anne-Hélène Moncany. - La question s'avère extrêmement importante. Dans des affaires dramatiques, des professionnels de santé se sont en effet sentis désavoués, ce qui a eu des répercussions majeures sur le terrain, certains préférant renoncer à la prise en charge de ces personnes. Le poids de leur responsabilité peut aussi les conduire à s'en remettre à la solution de l'enfermement et à des mesures strictement sécuritaires, dont nous savons qu'elles sont contre-productives. Les retours d'expérience sont précieux dès lors que nous les concevons comme un outil d'amélioration à l'usage de tous, mais n'omettons pas de soutenir les praticiens concernés.

Dominique Vérien, présidente. - Il ne s'agit pas de lier ces outils à une obligation de résultat, laquelle n'existe pas en matière médicale. Les retours d'expérience dont j'ai pu prendre connaissance sur des cas de féminicides interrogeaient toute la chaîne des intervenants, afin de pointer l'écueil. Leurs résultats se révèlent utiles. À la suite de l'affaire de Bordeaux, le travail a conduit à ce que l'on prévienne dorénavant les victimes de violences sexuelles de la sortie de prison de leur agresseur.

Anne-Hélène Moncany. - Remarquons que, dans le domaine de la récidive, on identifie plus aisément les dysfonctionnements que les succès, alors que ces derniers représentent la majorité des cas de figure ; et jamais un soignant ou un Spip ne s'attribue le mérite du succès de la prise en charge d'un délinquant sexuel. Dans les retours d'expérience, analysons aussi ce qui marche.

Dominique Vérien, présidente. - Je vous remercie pour vos explications.

Je note que votre première préconisation consiste à mieux identifier qui doit ou qui ne doit pas être dirigé vers le soin, afin d'éviter l'engorgement du système de prise en charge sanitaire.

Cette table ronde a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de représentantes d'associations féministes
(17 décembre 2024)

Présidence de Mmes Annick Billon, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mme Annick Billon, vice-présidente, rapporteure. - La présidente Dominique Vérien étant retenue par un autre rendez-vous, elle ne pourra nous rejoindre que dans quelques minutes. Je suis donc chargée d'ouvrir cette réunion et de prononcer son intervention liminaire.

Après avoir entendu des juristes, des psychiatres et une sociologue, nous poursuivons cet après-midi nos travaux consacrés à la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles avec une table ronde rassemblant des représentantes d'associations et d'organisations féministes.

Chaque année, plus de 55 000 individus, dont 97 % d'hommes, sont mis en cause pour viol ou agression sexuelle ou pour des atteintes sexuelles sur mineurs, et 6 000 sont condamnés pour de tels faits. Un quart d'entre eux sont des mineurs.

Si nous voulons que ces violences cessent, nous devons développer la prévention et l'éducation, mais également prendre en charge tous ces individus, afin qu'ils ne récidivent pas. Cette prise en charge doit être à la fois judiciaire, sociale, médicale et psychologique ; elle doit intervenir non seulement dans le cadre de la détention, mais aussi en amont et en aval.

Compte tenu du faible taux de plaintes, de poursuites et de condamnations en matière d'infractions sexuelles, se pose également la question de la prévention de la récurrence et de la reproduction des violences sexuelles. C'est à dessein que le terme de « réitération » n'est pas employé : il est courant dans le langage commun, mais il a un sens précis en droit pénal.

Cette question, bien plus vaste que celle de la prévention de la récidive légale des délinquants sexuels condamnés, engage la société dans son ensemble. Elle s'inscrit plus largement dans une réflexion qui doit être menée sur l'acceptation et la banalisation des violences sexuelles, véhiculées notamment par la diffusion massive de la pornographie.

Le mois dernier, une coalition féministe a formulé 140 propositions pour une loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles, notamment en ce qui concerne la prise en charge des auteurs de violences et la prévention de la récidive.

La présente audition a pour but d'examiner ces préconisations, les motivations qui les sous-tendent et la façon de les traduire, non seulement d'un point de vue législatif et réglementaire, mais aussi d'un point de vue opérationnel.

Je souhaite la bienvenue à Mme Yseline Fourtic-Dutarde, coprésidente d'Ensemble contre le sexisme et porte-parole de la Coalition féministe pour une loi intégrale, à Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des femmes, et aux maîtres Violaine de Filippis-Abate et Isabelle Steyer, avocates et respectivement cofondatrice et membre du collectif Action Juridique Féministe.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat.

Mme Yseline Fourtic-Dutarde, coprésidente d'Ensemble contre le sexisme et porte-parole de la Coalition féministe pour une loi intégrale. - Je commencerai par vous présenter notre coalition et la raison pour laquelle nous avons formulé 140 propositions. Je reviendrai ensuite plus précisément sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui, à savoir la prise en charge des auteurs de violences sexuelles et sexistes.

La Coalition féministe pour une loi intégrale a été montée par plus de 60 organisations et associations féministes. Elle a formulé de nombreuses préconisations à l'issue d'un travail commun qui a débuté au début de l'année 2024. En raison de leur expertise propre, ces associations avaient déjà travaillé chacune de leur côté dans des domaines variés, aussi bien dans celui du sport que de la culture. Elles se sont ensuite réunies dans le cadre d'une démarche pluridisciplinaire.

Ces associations sont toutes parties du même constat : on ne parvient pas à endiguer l'explosion et la réitération des violences sexuelles et sexistes - viols, agressions sexuelles, féminicides -, malgré la mise à l'agenda permanente de ces sujets et la volonté affichée par le Président de la République de faire de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son premier quinquennat.

Il était donc nécessaire de mener une initiative coordonnée et cohérente pour formuler des recommandations stratégiques, l'objectif étant de s'attaquer de manière intégrale aux violences sexuelles et sexistes, ainsi qu'à la culture du viol. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de plaider pour une « loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles et sexistes », qui regroupe un ensemble de mesures législatives et réglementaires. Certaines d'entre elles sont également d'ordre financier, dès lors que nous avons chiffré le montant nécessaire pour éradiquer les violences sexuelles et sexistes.

À nos yeux, il est essentiel de regarder nos travaux comme un cadre global et de ne pas privilégier une mesure plutôt qu'une autre.

Les violences sexuelles et sexistes donnent lieu à un contentieux qui, en raison de son ampleur, touche tous les secteurs de la population et nécessite une réponse cohérente, ambitieuse et spécialisée.

Il nous semble en effet nécessaire de spécialiser toute la chaîne juridique, notamment pénale et médico-sociale, afin d'accompagner les victimes et d'assurer leur dignité. Il s'agit également de veiller à ce que les auteurs de violences ne récidivent pas avec leur conjointe actuelle, leur ex-conjointe ou leur conjointe future.

Vu l'aspect massif du contentieux, il nous est apparu que l'expertise du mouvement féministe était indissociable d'une réflexion en matière de politique de sécurité globale. La violence masculine qui s'exerce à l'égard des femmes est un signal faible de dangerosité accrue que l'on retrouve dans d'autres pans du contentieux. C'est un élément qu'on doit absolument garder à l'esprit lorsqu'on réfléchit à la mise en sécurité des victimes.

Le nombre de féminicides décomptés chaque année n'est que la partie émergée de l'iceberg : il faut y ajouter les suicides et tentatives de suicide forcées des victimes, mais aussi les infanticides. En outre, certains auteurs de violences mettent fin à leurs jours après avoir attenté à la vie de leur conjointe ou ex-conjointe.

En additionnant les meurtres liés aux violences sexuelles et sexistes à la centaine de féminicides commis chaque année, on approche davantage du millier de victimes. Il ne faut pas invisibiliser les féminicides, bien sûr, mais il faut aussi garder à l'esprit qu'ils ne représentent pas la totalité des décès liés à la violence masculine.

Je le répète, l'expertise féministe dans la lutte contre la réitération des violences sexuelles et sexistes est absolument indispensable, tant sur le plan stratégique que sur celui de la coopération avec les structures chargées du suivi socio-judiciaire des auteurs de violences.

Le contentieux des violences sexuelles et sexistes est tellement massif qu'il doit être pris en charge de manière spécialisée : c'est ainsi qu'il pourra être traité correctement. Par ailleurs, il faut assurer davantage de cohérence entre les contentieux civil et pénal pour améliorer la protection des femmes et des enfants, et mieux évaluer la dangerosité des auteurs de violences. À cet égard, on peut citer l'expérimentation menée par la cour d'appel de Poitiers, qui a veillé à articuler ces deux contentieux et à rendre ses décisions au même moment.

La spécialisation du contentieux est également nécessaire eu égard à la persistance des stéréotypes qui pèsent sur les mères protectrices. La mère protectrice est encore trop souvent considérée comme une mère aliénante. Elle en subit donc les conséquences dans les décisions définitives, les décisions de non-prise en charge ou les décisions de classement sans suite. Une telle assimilation a de même des conséquences s'agissant du harcèlement judiciaire vécu par ces mères.

Le caractère particulier des violences sexuelles et sexistes se manifeste également au travers du mécanisme de contrôle coercitif. Il est donc indispensable que les personnels et les magistrats soient formés à ces problématiques, sans quoi il leur est impossible de détecter les actes commis et d'assurer une protection efficace.

La spécialisation du contentieux permet en outre de renforcer son attractivité pour les professionnels de la justice. Elle envoie un signal clair aux auteurs de violences : celui de la fin de l'impunité. Du reste, elle empêche le système judiciaire de renforcer les traumatismes vécus par les victimes.

La cohérence de la politique menée en ce domaine est essentielle. Nous attendons encore qu'elle soit évaluée. Il existe des pôles spécialisés, mais nous ignorons leur impact sur les décisions judiciaires.

Dans l'attente de cette évaluation, la Coalition féministe pour une loi intégrale a formulé un certain nombre de recommandations, dont la création d'un juge des violences sexuelles et sexistes et d'un juge d'instruction spécialisé. En outre, elle suggère d'instituer un parquet national de lutte contre les violences faites aux femmes, qui serait décliné à l'échelon territorial par des juridictions spécialisées, dans le ressort de chaque tribunal judiciaire et de chaque cour d'appel. Enfin, pour aller jusqu'au bout de la chaîne judiciaire, il conviendrait de mettre en place une chambre spécialisée au sein de la Cour de cassation.

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser mon retard. Il me revient désormais de reprendre la présidence de cette réunion.

Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des femmes. - La mesure n° 54 proposée par la Coalition féministe pour une loi intégrale, dont la Fondation des femmes fait bien évidemment partie, consiste à interdire systématiquement l'exercice de toute activité susceptible de mettre un individu condamné pour violences sexuelles en contact avec des personnes vulnérables. On sait en effet combien les personnes en situation de handicap et les enfants, entre autres, sont susceptibles d'être particulièrement exposés aux violences.

La mesure n° 55 prévoit d'assurer un meilleur suivi des auteurs de violences, décliné en deux branches : d'une part, l'augmentation des moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) - cela améliorera le suivi des auteurs par les services socio-judiciaires et assurera la coordination de leurs actions - et, d'autre part, un programme commun délivré à l'intégralité des auteurs de violences sexistes ou sexuelles.

En prévision de cette table ronde, j'ai échangé avec l'association Dans le Genre Égales. Depuis 2015, en lien avec les Spip, elle organise des stages de responsabilisation destinés aux auteurs de violences sexuelles et sexistes. Elle a également développé un programme de travail en quatre jours sur les masculinités et la prévention de la récidive.

Cette association manque de données de la part du ministère de la justice et d'outils pour comprendre l'impact de son action sur le parcours judiciaire des auteurs de violences. Le ministère décompte les récidivistes en additionnant des délits identiques, mais il ne prend pas forcément en compte la commission d'autres violences ou infractions sexuelles.

Par ailleurs, les associations déplorent l'éclatement et la compartimentation de la politique de suivi des auteurs de violences. En parallèle des stages de responsabilisation organisés par les Spip, les centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA), mis en place après le Grenelle des violences conjugales, et les fédérations d'associations ont vocation à intervenir. Or l'association Dans le Genre Égales, par exemple, n'a pas du tout accès aux CPCA, alors même qu'elle organise des stages de responsabilisation. On constate donc qu'il n'existe pas de politique coordonnée du suivi des auteurs de violences sexuelles et sexistes.

Cinq ans après le lancement du Grenelle des violences conjugales, nous disposons d'outils dont nous ne connaissons pas l'efficacité. Aussi, nous ne saurions qu'insister sur la nécessité de mettre en place des mesures d'évaluation, notamment pour les CPCA et les stages de responsabilisation, dont la durée et les modalités diffèrent, dès lors qu'ils sont organisés par une multitude d'acteurs.

Dans le questionnaire que vous nous avez adressé en vue de cette table ronde, vous nous posiez la question de la pathologisation ou de la psychologisation des auteurs de violences. On ne peut nier la prévalence d'un trouble psychique chez ces individus mais, d'un point de vue féministe, il ne peut être considéré comme la cause de telles violences.

Mme Dominique Vérien, présidente. - J'avais moi-même alerté le ministre démissionnaire chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes sur le besoin d'évaluer toute la politique de suivi des auteurs de violences sexuelles et sexistes. Il existait quelques réticences en la matière, mais les choses semblent avoir évolué.

Mme Yseline Fourtic-Dutarde. - J'ajoute que les statistiques relatives aux violences faites aux femmes, qui relèvent du ministère de l'intérieur, paraissent chaque année de plus en plus tard. Les associations ont donc du mal à faire des bilans et à mener une évaluation.

Maître Violaine de Filippis-Abate, avocate, cofondatrice du collectif Action Juridique Féministe. - La récidive est un sujet qui fait écho à celui de l'impunité : si un auteur récidive, c'est parce que la justice, les institutions, les politiques et les acteurs judiciaires ne lui font plus peur ou le laissent indifférent. Cela en dit long sur les défaillances de notre système judiciaire.

Le collectif Action Juridique Féministe, qui est devenu une association, est membre de la Coalition féministe pour une loi intégrale. Nous sommes experts en plaidoyer parlementaire et médiatique et agissons également sur le terrain. Ainsi, nous accompagnons les femmes victimes, mais aussi les hommes victimes pour les violences subies dans l'enfance - je pense notamment à l'inceste. Nous travaillons actuellement à une levée de fonds pour 2025 qui doit permettre aux victimes d'être assistées lors du dépôt de plainte et pendant les enquêtes préliminaires.

Pour récidiver, il faut avoir été condamné une première fois - ce qui est déjà rare dans la mesure où 94 % des plaintes pour viols et 86 % des plaintes pour agressions sexuelles sont classées sans suite - puis condamné une seconde fois, ce qui est d'autant plus rare.

Nous considérons qu'il faut lutter contre la récidive dès le stade du dépôt de plainte, dès que l'auteur présumé des violences est convoqué et entendu par la justice, et même si la procédure n'aboutit pas.

La récidive est un sujet particulièrement éprouvant pour l'avocate de terrain que je suis. Hier, j'ai reçu les parents d'une jeune fille qui s'était suicidée après l'annonce du classement sans suite de sa plainte, pendant l'instruction. L'enquête a été mal conduite : les délais étaient incroyablement longs ; le dossier a été transmis de commissariat en commissariat ; un des policiers avait jugé qu'il ne pouvait pas faire avancer l'enquête à cause du Tour de France et était parti en congés. Il s'agissait pourtant d'un viol commis sur une mineure de 14 ans et demi au moment des faits !

On voit le problème que pose l'impunité du jeune homme accusé dans cette affaire. Une chose est sûre, il se moque du fait que nous soyons en train de parler des lois que nous pourrions prendre afin de mieux lutter contre ces violences. Après que les parents de la victime sont allés déposer plainte - elle était hospitalisée à ce moment-là et souffrait d'une dépression , le prévenu n'a pas été auditionné tout de suite. D'ailleurs, c'est le cas dans la plupart des enquêtes relatives à ce genre de crimes, aucune norme n'obligeant les parquets à entendre la personne accusée dans un délai raisonnable.

Il est clair que nous manquons de moyens. Les forces de l'ordre sont de plus en plus formées à ces questions et sont souvent de bonne composition. Leur efficacité dépend donc du budget qu'on veut bien leur donner, donc de la volonté politique - la lutte contre la récidive commence là.

Bien sûr, la présomption d'innocence continue à s'appliquer. Cependant, si les hommes accusés de violences savaient qu'ils vont être convoqués par la police dans un délai raisonnable, cela démontrerait que la société et les institutions se mobilisent contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

Je préconise donc l'instauration d'un certain nombre de mesures.

Premièrement, il faudrait introduire, au moment du dépôt de plainte, l'obligation d'auditionner la personne accusée dans un délai raisonnable, qui pourrait correspondre à un délai maximal de deux mois.

Deuxièmement, la police, après avoir entendu l'accusé, devrait pouvoir saisir son matériel informatique et téléphonique. Cette saisie n'est toujours pas obligatoire, elle relève du libre arbitre des enquêteurs. Or, il est toujours opportun de saisir le matériel informatique et téléphonique de l'auteur présumé de violences. Au pire, que pourrait-il se passer ? Les policiers auront simplement perdu du temps... Le fait de ne trouver aucune preuve renforce la confiance en la justice, car la personne accusée sera mise hors de cause au moins pour quelque chose. Dans le même temps, on vient confirmer que la parole de la victime a été entendue : en effet, avec ces fouilles, les policiers auront fait leur travail jusqu'au bout.

Troisièmement, il faudrait pouvoir conduire une enquête d'entourage dans un délai raisonnable. Cela dit, dans l'affaire de viol que j'évoquais tout à l'heure, les camarades de classe de la plaignante avaient bel et bien été entendus, mais on leur avait tellement mal expliqué la procédure et les enjeux que leurs témoignages n'avaient finalement servi à rien. Ils s'étaient même retournés contre la victime, laquelle avait été harcelée à l'école. Les parents avaient d'ailleurs déposé plainte, mais celle-ci a été égarée.

On peut toujours discuter du nombre de personnes entendues dans le cadre de l'enquête d'entourage - quatre ou cinq, par exemple - et il convient de laisser une marge d'appréciation au parquet.

Lors d'une audition que vous avez réalisée, une personne a prétendu que les expertises psychologiques des hommes mis en cause étaient systématiques : c'est faux ! Il n'y a aucune obligation formulée en ce sens dans le cadre des enquêtes préliminaires. Il faudrait donc l'ajouter à la liste des mesures précitées. L'établissement d'une liste des mesures qui devraient être prises par le parquet dans le cadre des enquêtes préliminaires fait partie des préconisations de la Coalition féministe pour une loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles.

Tout cela enverrait un signal fort, à savoir que si une femme victime de violences parle, on est sûr qu'il y aura des actes d'investigation. Même mes confrères et consoeurs qui interviennent en défense sont presque tous d'accord avec le fait de rendre les enquêtes préliminaires systématiques, car cela permet aux prévenus d'être innocentés lorsqu'ils doivent l'être et de redonner confiance en la justice. Encore faut-il pouvoir les financer.

J'en terminerai en vous donnant quelques données statistiques. L'Institut des politiques publiques (IPP) a publié cette année une excellente note intitulée Le traitement judiciaire des violences sexuelles et conjugales en France, que vous avez peut-être eu l'occasion de consulter. Pour produire ce rapport, la chercheuse Maëlle Stricot a extrait les données du logiciel Cassiopée sur la période 2012-2022. Celle-ci relève un taux de récidive de 5 % en matière de violences sexuelles, tout en notant que ce chiffre ne veut rien dire, dans la mesure où seulement 1 % des viols donnent lieu à une condamnation. Autrement dit, nous ne disposons actuellement d'aucune donnée pour savoir qui récidive. Ce rapport chiffre à 94 % les classements sans suite des plaintes pour viols et pointe le manque d'investigation dans les enquêtes. Comme il s'appuie sur des chiffres officiels, on ne saurait dire que cette affirmation sort directement des bouches des féministes !

Maître Isabelle Steyer, avocate, membre du collectif Action Juridique Féministe. - Je cautionne évidemment tout ce qui a été dit par les précédentes oratrices ; nous sommes toutes les quatre parfaitement d'accord.

Depuis peu, les avocats des victimes sont convoqués à des commissions d'application des peines. Pour une avocate telle que moi, il s'agit d'une nouveauté que de me rendre à ce type d'audiences et d'en voir le fonctionnement : à quel moment remet-on en liberté un prévenu ? Dans quelles conditions ? À quelles obligations sera-t-il astreint ? Pendant combien de temps ? Où place-t-on la victime pour la protéger, sachant qu'une libération conditionnelle constitue également une exécution de peine, mais en liberté ?

J'ai assisté à ma première commission d'application des peines en détention la semaine dernière. Ayant mal regardé la convocation, j'ignorais que les victimes n'étaient pas convoquées. Je me suis donc rendue dans une maison d'arrêt avec les parties civiles d'un féminicide, pour examiner le cas du complice de l'auteur, qui avait été condamné à huit ans de détention. Nous sommes entrés librement dans la maison d'arrêt, car personne n'a compris sur le moment que j'étais accompagnée non pas d'avocats, mais de la famille de la victime.

Le fait de nous retrouver à cette audience devant un homme et son frère de 30 ans, qui avait tué une jeune femme de 21 ans alors que son bébé se trouvait à côté, fut une expérience assez incroyable. Vous allez comprendre pourquoi nous sommes toutes d'accord sur la nécessaire spécialisation du juge de l'application des peines (JAP). Celle qui officiait dans ce cas précis a interrogé l'auteur sur ses liens avec la famille de la victime et avec le bébé, lui demandant s'il pensait avoir un droit de visite et dans quelles conditions, alors qu'un retrait d'autorité parentale avait été prononcé. Autrement dit, la JAP, qui est la dernière roue de la protection de la victime, n'était absolument pas formée à la problématique des violences conjugales. J'ai alors pris conscience de l'ampleur du travail qu'il nous reste à faire sur l'exécution des peines.

L'homme qui était entendu nous disait vouloir rentrer chez lui, c'est-à-dire dans la petite ville de 10 000 habitants où les faits ont été commis, à quelques centaines de mètres du domicile de la soeur de la victime et de celui de leurs parents, comme si de rien n'était... La JAP était quelque peu surprise, mais sans plus. J'ai dû intervenir pour lui dire que cela reviendrait à conserver la configuration familiale dans laquelle les faits ont été commis.

Lorsque nous disons qu'il faut former les magistrats, cela vaut jusqu'aux JAP. Cela fait trente-deux ans que j'exerce en tant qu'avocate, et je défends quasi exclusivement des victimes. Je vois désormais des cas de récidives importantes. Dans l'exemple que je décris, si l'auteur des faits revenait vivre dans la même ville et qu'il croisait le père de la victime, la seule envie de ce dernier serait de le tuer ! Il a fallu que je dise que nous nous exposions à une affaire qui pourrait être un petit Grégory bis pour faire sursauter l'assistance !

Il convient de former les JAP et le milieu carcéral au phénomène des violences faites aux femmes, car ce sont les premiers à délimiter les interdictions pour qu'un auteur de violences ne puisse pas se rendre, par exemple, dans les lieux où travaille sa victime. Au bout du compte, ce sont les parties civiles qui sont les plus à même de contrôler les juges.

Je peux décliner cet argument sur toute la chaîne de la procédure. Commençons par les contrôles judiciaires : ils sont constamment violés ! Dans la moitié des cas, un contrôle judiciaire ne sert à rien. Il appartient à la victime de prouver que celui-ci a été violé et est inefficace, en allant parfois jusqu'à filmer son agresseur qui rôde, qui l'épie, voire qui la filme. On pourrait pourtant penser que lorsqu'une instruction est en cours, une sorte de plan « Bison futé » du mis en examen est déployé pour assurer un contrôle judiciaire réel, avec un pointage au commissariat, mais ce n'est pas le cas.

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsqu'un contrôle judiciaire est décidé pour des faits de violences, y compris de viol conjugal, une ordonnance de protection est inutile, car elle ferait double emploi. Sauf que le procureur de la République ou le juge des libertés et de la détention (JLD) ne se demande pas où travaille la victime, où elle va faire du sport et où ses enfants vont à l'école, car il s'intéresse à la gestion de la peine de l'agresseur. L'objet et la précision d'un contrôle judiciaire ou d'une ordonnance de protection ne sont absolument pas les mêmes ! Sans protection de la victime dans sa vie quotidienne, le risque de récidive de l'auteur est très fort.

Notre système repose sur une interprétation a minima de tout ce qui est supposé protéger les femmes. Cela vaut également pour les peines de sursis avec mise à l'épreuve. Combien de fois un bracelet antirapprochement (BAR) doit-il sonner pour que la libération conditionnelle soit révoquée ? Dans l'un de mes derniers dossiers, il a sonné 99 fois sans que soit révoquée la liberté conditionnelle de l'agresseur, qui en était à sa troisième condamnation.

Nous savons donc très bien que les mesures existantes ne sont que peu appliquées. Nous sommes dans une situation où les interdictions ne fonctionnent pas, y compris lorsque les agresseurs sont détenus. En effet, les détenus ont tous des téléphones portables et s'appellent entre eux pour coordonner leurs dépositions et évoquer leurs affaires. Je m'interroge donc sur les mesures de protection.

Autre problème : un homme peut bénéficier de dix classements sans suite dans des juridictions différentes sans qu'aucun lien soit établi. De même, il n'existe pas de répertoire des ordonnances de protection, alors que celles-ci existent depuis quatorze ans. Il s'agit d'interrogations récurrentes.

De plus, les affaires de violences sexuelles font toujours l'objet d'une correctionnalisation : dans tous mes dossiers, on me propose que le procès ait lieu dans un tribunal correctionnel et non dans une cour criminelle. Dans les cas de viol par pénétration digitale, la correctionnalisation est systématique.

Par ailleurs, lorsque l'agresseur exerce une profession réglementée, notamment médicale, il serait souhaitable d'en informer le conseil de l'ordre concerné pour qu'il ne puisse pas reprendre son activité ou exercer une autre activité similaire, dans laquelle il continuerait d'avoir accès au corps des femmes, par exemple un psychiatre qui se reconvertirait en psychothérapeute.

Des stéréotypes monstrueux perdurent, y compris parmi les magistrats, notamment celui qui veut qu'un escroc ne soit pas un violeur. Or les mesures de protection dépendent d'appréciations à l'aune de ces stéréotypes : si l'on estime qu'un agresseur n'est pas dangereux, on ne protège pas la victime à la hauteur du danger. Dans les cas de violences sexuelles ou conjugales, l'évaluation du danger par le magistrat, quel qu'il soit, me semble déterminante, depuis le dépôt de plainte jusqu'au JAP.

Avant de correctionnaliser un dossier et de requalifier un viol en agression sexuelle, il convient d'examiner le profil de l'agresseur. Si celui-ci a attaché sa victime, est en possession de vidéos pornographiques dans lesquelles sont commis des actes de torture et de barbarie ou a filmé sous les jupes des femmes dans un fast-food, on peut considérer qu'il a un profil particulier. L'étude de ces profils me semble déterminante pour évaluer la dangerosité de la personne.

Il serait souhaitable d'adopter des procédures d'enquêtes menant à des perquisitions pour évaluer effectivement le danger. De même, j'aimerais que les psychiatres chargés d'évaluer la dangerosité examinent réellement ce que contient le dossier. Une expertise psychiatrique ne saurait se limiter à un tête-à-tête : elle doit également tenir compte de ce qui a été trouvé lors des perquisitions et des antécédents de la personne étudiée.

Maître Violaine de Filippis-Abate. - On sait le faire en cas de trafic de stupéfiants.

Maître Isabelle Steyer. - Nous savons le faire dans tous les autres domaines. Comme vous l'avez brillamment expliqué, il nous faut un parquet spécialisé, s'appuyant sur des professionnels formés.

En ce qui concerne les groupes de parole d'hommes violents, nous manquons de recul sur l'efficacité de ces dispositifs. Il est très à la mode de distribuer ce type de sanction. Pour ma part, je suis intervenue dans de tels groupes, mais je n'en ai pas vraiment perçu l'utilité, si ce n'est de rassurer le juge. En effet, ce dernier apporte ainsi une réponse judiciaire, mais il convient de s'interroger sur la valeur de cette réponse.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je n'étais pas loin de penser que l'idée de créer des pôles réellement spécialisés n'était valable que pour Paris, mais les faits m'ont donné tort : la cour d'appel la plus efficace n'est pas celle de Paris, mais celle de Poitiers ; le tribunal judiciaire de Sens travaille bien, alors qu'il est l'un des plus petits du ressort de la cour d'appel de Paris. Malgré la volonté de bien faire à Paris, il reste des progrès à réaliser.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Je vous remercie de vos témoignages, qui sont assez inquiétants. Je suis particulièrement préoccupée par le côté inopérant des mesures que vous décrivez. Nous aurons beau donner des préconisations et voter des lois, nous n'avancerons pas si elles sont inapplicables...

À cet égard, que pensez-vous du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) ? Les individus qui y sont inscrits sont soumis à une contrainte importante : ils doivent aller pointer, sans quoi ils font l'objet d'un rappel. Considérez-vous également ce dispositif comme inopérant ?

Maître Isabelle Steyer. - Actuellement, une personne est inscrite au Fijais dès lors qu'elle est condamnée définitivement. Or cela prend de huit à dix ans pour qu'un homme soit condamné définitivement, ce qui est extrêmement long.

Mme Marie Mercier, rapporteure. - Il me semblait qu'une personne mise en examen pouvait être inscrite au Fijais.

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Ce que dit ma consoeur est tout à fait juste. Il existe d'autres fichiers, tels que le traitement d'antécédents judiciaires (TAJ), mais ils ne sont pas systématiquement consultés. Nous en revenons à la question d'instaurer des procédures d'enquête solides. Le TAJ est censé avoir été amélioré ces dernières années. En tant qu'avocates, nous n'y avons pas accès, mais les commissaires de police que j'ai interrogés sur le sujet me donnent tous des réponses différentes. Alors que l'un me dit que les mains courantes sont centralisées à l'échelle de la région, un autre me dit que ce n'est pas le cas...

Quoi qu'il en soit, la police a accès à ce fichier, qui leur permet de savoir si un individu a fait l'objet d'une plainte. Il serait souhaitable qu'elle puisse également savoir si cet individu a fait l'objet d'une main courante et prendre connaissance de tous les documents de procédure. Aussi, il convient de créer un fichier centralisant toutes les données et d'en rendre la consultation systématique lorsqu'une plainte est déposée.

J'abonde dans le sens d'Isabelle Steyer : les magistrates et les magistrats sont humains et ont donc des biais. Pour que notre machine judiciaire gomme ces biais au maximum, nous devons élaborer une feuille de route des enquêtes à laquelle nous ajouterions, en plus de l'audition de la personne mise en cause, de la perquisition de son téléphone et de son ordinateur, de l'expertise psychiatrique et de l'enquête d'entourage, une consultation des fichiers pour effectuer les éventuels croisements avec d'anciens signalements. Cela éviterait le classement de la quasi-totalité des affaires.

De même, cela éviterait certaines remarques de la part de policiers. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est d'ailleurs saisie de plusieurs requêtes pour des dysfonctionnements judiciaires de ce type. Dans l'affaire dont je vous ai parlé précédemment - pour laquelle les parents devraient attaquer l'État en justice -, un policier a tout de même répondu au père de cette jeune femme que la plainte serait classée, car il s'agissait d'une « erreur de jeunesse »... C'est inaudible ! Cela montre à quel point les policiers, même s'ils sont formés et essayent de bien faire, reviennent à leurs biais dès lors qu'ils ont terminé de dérouler le protocole.

Je vous donne un autre exemple : j'ai assisté à un dépôt de plainte pour inceste d'un homme qui a désormais la trentaine et a été agressé et violé par le conjoint de sa grand-mère quand il était petit. Si l'audition s'est déroulée correctement, ce n'est le cas ni de ce qui a précédé ni ce qui a suivi. En effet, le policier a utilisé les bons mots durant l'audition - « dites les mots comme ils viennent », « nous ne sommes pas là pour vous juger »... -, ce qui est important. En revanche, il a haussé le sourcil et a dû appeler le parquet pour savoir s'il devait prendre la plainte, car nous étions samedi et lorsque je l'ai ensuite remercié d'avoir pris le temps de le faire, car je savais qu'il devait être débordé, il m'a répondu : « Je ne vous le fais pas dire », et de déplorer que, le week-end précédent, une femme était venue déposer plainte pour viol alors qu'elle avait fait des mélanges d'alcools... J'ai dû lui dire qu'on pouvait avoir fait des mélanges d'alcool et être violée pour qu'il se reprenne !

Nous voyons donc les limites de la formation : malgré le bon respect de la procédure, les biais du policier reviennent dès qu'il sort de son rôle. Voilà pourquoi il me semble nécessaire d'adopter une feuille de route rigoureuse et précise, quand bien même cela ne plairait pas aux syndicats de magistrats.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Vous avez publié 140 propositions, dont certaines figuraient déjà dans certains des travaux menés par la délégation aux droits des femmes ou dans le rapport Plan rouge VIF, qui a été coécrit par Dominique Vérien. Qu'attendez-vous de la présentation de ces propositions ? À qui les avez-vous déjà présentées ? Quelles suites espérez-vous pour cette loi-cadre intégrale ?

Vous avez décrit des enquêtes à géométrie variable selon la juridiction et l'appétence des professionnels accueillant les victimes. J'ai interrogé le Gouvernement sur les unités médico-judiciaires (UMJ) il y a quelques années, déplorant un déficit considérable de personnel. Ces unités traitent à 80 % des cas de violences sexuelles et sexistes. Ont-elles progressé ces dernières années ? Les UMJ ne sont mobilisées que sur réquisition judiciaire. Ne serait-il pas souhaitable de généraliser le recours à ces structures, qui semblent les plus à même de recueillir des preuves utilisables au cours d'une procédure ?

Mme Yseline Fourtic-Dutarde. - Nous avons déjà eu l'occasion de présenter nos propositions aux parlementaires à la fin du mois de novembre dans le cadre de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Nous poursuivrons nos travaux de plaidoyer auprès du Gouvernement dès que nous aurons des interlocuteurs.

Nous appelons réellement à ce qu'une loi d'orientation et de programmation de lutte contre les violences sexuelles et sexistes soit mise à l'ordre du jour du Parlement, qui comprendrait à la fois les mesures d'ordre législatif que nous proposons et un engagement clair du Gouvernement d'appliquer les autres, le cas échéant, par voie réglementaire.

En ce qui concerne les UMJ, nous en saurons plus lorsque nous aurons davantage de recul sur la possibilité de prendre les plaintes directement au sein des hôpitaux - une possibilité que nous souhaitons étendre à tous les départements. Cela nous donnera des éléments d'éclairage sur l'efficacité de ces unités pour faire condamner les agresseurs. Quoi qu'il en soit, il est absolument nécessaire de permettre le recueil de preuves même en l'absence de dépôt de plainte.

Mme Floriane Volt. - Notre objectif était de regrouper dans un document un ensemble de propositions. Vous y retrouverez en effet des recommandations issues du rapport d'information sénatorial sur l'industrie de la pornographie ou des travaux de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).

La prise de conscience de la prévalence des violences sexuelles a été particulièrement forte cette année, entre la prise de parole de Judith Godrèche et le procès dit des viols de Mazan. Notre coalition composée de soixante-trois organisations, associations et syndicats vise à prôner un ensemble de mesures dont certaines sont défendues depuis très longtemps par des associations spécialisées.

En ce qui concerne les UMJ, l'amélioration du parcours judiciaire des victimes commence par l'accès aux preuves. La possibilité de prélever et de conserver les preuves sans plainte est primordiale, et les UMJ constituent pour cela un atout essentiel.

Par ailleurs, d'autres méthodes pour réaliser de tels prélèvements sont envisageables, par exemple par des infirmières scolaires ou des sages-femmes. Des kits pourraient être mis à disposition, comme le propose l'association de lutte contre la soumission chimique de Caroline Darian, #MendorsPas. L'accès aux preuves participe de l'amélioration globale du parcours judiciaire des victimes.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Des maisons des femmes commencent à se déployer, notamment dans de petits départements, et travaillent conjointement avec les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped) pour pouvoir accueillir toutes les victimes de violences sexuelles. Mais, là aussi, il y a de grandes inégalités selon les territoires.

Mme Olivia Richard. - Maître Steyer, vous avez indiqué que la Cour de cassation estimait l'ordonnance de protection incompatible avec une condamnation. Dans ces conditions, quels mécanismes envisagez-vous après une condamnation, lors de la remise en liberté ?

Maître Isabelle Steyer. - Le problème est que, en matière pénale, le contrôle judiciaire intervient en général depuis la saisine du juge d'instruction ou du tribunal jusqu'à la condamnation. L'ordonnance de protection est supposée protéger au moment de la séparation et, le cas échéant, plus tard, lors de la remise en liberté ou de la levée du contrôle judiciaire. Or, compte tenu de la jurisprudence, il n'y a pas d'ordonnance de protection si les faits initiaux ont eu lieu depuis longtemps et s'il n'y a pas eu de récidive ou de faits nouveaux. Si le pénal ne prend pas le pas à la suite d'une condamnation, le civil interprète l'ordonnance de protection de manière restrictive. Nous avons constamment des rejets d'ordonnance de protection lorsque le couple est séparé.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Vous pourrez vous appuyer sur nos discussions relatives à l'ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI). Nous avons dit et répété qu'il est possible d'avoir une ordonnance de protection lorsque le couple est séparé.

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Il n'y a pas de suivi après l'ordonnance de protection. Si celle-ci n'est pas respectée, la femme doit le signaler. Une ordonnance de protection, ce n'est pas comme un bracelet antirapprochement ; c'est simplement un papier.

Pour beaucoup d'hommes, ce papier n'est pas suffisamment dissuasif. Il faudrait donc un suivi des ordonnances de protection. Lorsqu'une condamnation n'a pas d'effets, on n'a plus confiance en la justice. Le sentiment d'impunité des agresseurs et le fait que les femmes hésitent à porter plainte en découlent.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Est-il possible d'avoir une interdiction de paraître une fois que l'on sort de prison ? Dans le cas que vous avez mentionné, l'individu pourra-t-il retourner vivre dans la maison concernée une fois qu'il sera libre ?

Maître Isabelle Steyer. - Pendant un délai, l'accès lui sera interdit. Mais une fois le délai de la libération conditionnelle passé, ce ne sera plus le cas. Or ce délai, qui est fixé par le juge de l'application des peines, ne dépasse jamais trois ans. Et ensuite ? Il arrive de plus en plus souvent que ce soit à la victime de déménager...

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Face aux carences du suivi, nous avons une application, The Sorority. C'est une chance qu'elle existe, mais elle met en lumière ce qui constitue, me semble-t-il, un grave manque de la part de l'État. Elle permet une géolocalisation : une personne qui se sent en danger peut envoyer un signal de détresse, et une citoyenne ou un citoyen vient à la rescousse. En d'autres termes, les femmes se sentent tellement en danger qu'il faut recourir à une application dans laquelle les citoyens deviennent de facto des policiers !

Mme Dominique Vérien, présidente. - De telles applications sont utilisées dans l'attente d'un téléphone grave danger, dont nous souhaitons faciliter l'obtention, ou d'une ordonnance de protection.

Mme Yseline Fourtic-Dutarde. - Nous demandons que la condition cumulative de violences et de danger - exigée pour l'octroi d'une ordonnance de protection - soit retirée du code civil. Elle constitue une entrave aux ordonnances de protection, dont les disparités d'octroi sont très importantes selon les territoires.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Les chiffres qui m'ont été communiqués illustrent bien ce phénomène. Dans certains départements, comme le Gers, il n'y a aucune ordonnance de protection. Il faut de toute évidence renforcer la formation et l'acculturation des acteurs concernés, à commencer par la police et la justice.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - En tant qu'avocates de terrain, que pensez-vous des peines qui sont prononcées en matière de viols ou d'agressions sexuelles ?

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Je pense qu'elles ne sont pas forcément dissuasives. Certes, il ne s'agit pas de parler d'« exemplarité » ; chaque personne doit être jugée en fonction du cas d'espèce. Mais l'impression qui se dégage est que les violences sexuelles ne sont pas vraiment prises au sérieux. Cela envoie un signal favorable à la récidive.

À mon sens, les auteurs ont en réalité peu peur de la justice. Ils craignent davantage les effets sur leur réputation, le fameux « tribunal médiatique », que la peine en elle-même. Il est très rare que l'on arrive à une peine et, lorsque c'est le cas, elle n'est pas très élevée. D'aucuns prétendent que les victimes cherchent avant tout des dommages et intérêts, mais les sommes versées sont en réalité très faibles.

Maître Isabelle Steyer. - J'observe un alourdissement des peines. Voilà une vingtaine d'années, un féminicide, c'était six ou sept ans de prison. Aujourd'hui, c'est vingt, vingt-cinq ou trente ans. Les peines ont désormais du sens : retrait de l'autorité parentale, peine de sûreté des deux tiers, qualifications d'« assassinat », d'« actes de torture et de barbarie », etc. En matière de viols, il y a assez peu d'acquittements. C'est plutôt satisfaisant.

Ce qui me gêne en revanche, c'est que les relaxes sont nombreuses en matière de violences conjugales. La durée du sursis est courte : il ne dépasse jamais six mois ou un an. En outre, il y a une discrimination : plus on monte dans l'échelle sociale, moins les peines sont élevées. Le magistrat pense que quand on est intelligent ou diplômé, on n'est pas forcément violent.

En outre, cela a été dit, les sommes versées au titre des dommages et intérêts sont très faibles. Les agresseurs sont toujours très bien défendus. Ils ont même régulièrement deux avocats, quand la victime n'en a qu'un. Obtenir 8 000 euros pour une correctionnelle simple, c'est hors du champ de pensée d'un tribunal correctionnel. Certes, le fait que des incapacités temporaires de travail (ITT) soient validées résonne parfois dans la tête du magistrat. Pour autant, l'évaluation du traumatisme est très aléatoire.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice psychologique des enfants victimes de violences conjugales, c'est la grande nébuleuse ! J'ai une cliente qui, comme ses deux soeurs, a été violée par leur père. Leur petit frère, qui n'osait pas ouvrir la porte, n'a jamais été pris en charge. Et lui-même, devenu adulte, a agressé sexuellement sa fille !

La prise en charge des témoins victimes est, pour moi, essentielle.

Maître Violaine de Filippis-Abate. - Je partage totalement ce qui vient d'être indiqué sur la discrimination sociale. Le caractère faiblement dissuasif des peines, que je dénonçais tout à l'heure, est particulièrement marqué s'agissant des classes les plus favorisées. Peut-être les magistrats se projettent-ils dans certains accusés... Certes, lorsqu'ils sont amenés à juger des personnes qu'ils considèrent non comme leurs semblables, mais comme des « monstres » - je pense à des auteurs de féminicides ou des viols -, ils peuvent décider de condamnations plus importantes. Mais dans le cas des violences conjugales, les peines ne sont, à mon sens, pas assez dissuasives.

Mme Floriane Volt - Dans notre proposition de loi intégrale, nous avons repris la proposition de Mme Rossignol sur l'autorisation du cumul des circonstances aggravantes, non permis pour le crime de viol mais prévu pour d'autres crimes. L'affaire de Mazan, avec un nombre important d'auteurs présumés, nous interroge sur le choix d'une cour criminelle départementale - statistiquement majoritaire pour les affaires de viols et pour celles dont les victimes sont des femmes - au lieu d'une cour d'assises.

Il y a un véritable plafond en matière de viol, en raison de ce non-cumul des circonstances aggravantes et de l'absence de certaines circonstances aggravantes. Nous proposons de rajouter des circonstances aggravantes, comme la séquestration. Les viols sont jugés devant une cour criminelle départementale si le quantum de peines est de vingt ans et non de trente ans. Dans des affaires de pornographie, le choix de ne pas retenir certaines circonstances aggravantes comme la barbarie permet peut-être d'éviter les assises. Cette sorte de nouvelle correctionnalisation des viols nous interroge...

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - J'ai cru comprendre que vous estimiez que le quantum de peines n'était pas suffisamment dissuasif. Crime, condamnation, peine de prison.... Que fait-on pendant la peine de prison pour éviter la récidive ? Il y a la question du quantum, mais aussi celle de la qualité de la prise en charge durant la détention pour essayer de limiter la récidive. Une personne condamnée à vingt ans de prison peut sortir à 50 ans, encore en capacité de récidiver s'il n'y a pas eu de traitement...

Mme Violaine de Filippis-Abate. - Je suis entièrement d'accord.

Maître Isabelle Steyer. - Nous avons le même problème pour les mises à l'épreuve avec obligation de soins : dans ce cas, les agresseurs n'ont pas fait un jour de détention, mais il faut des soins et un suivi approprié. Nous n'avons pas de soins appropriés ni de contrôle des soins. Les délais de prise en charge sont trop courts - deux ou trois ans - pour détricoter un mal profond.

Mme Violaine de Filippis-Abate. - La prison ne joue plus son rôle, selon l'Observatoire international des prisons. Il faudrait repenser les peines. Mettre quelqu'un en prison ne changera pas son rapport au monde ni son rapport aux femmes.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - C'est une punition et non un traitement.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Au risque de vous surprendre, j'estime que les peines sont trop élevées.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Les peines sont effectivement élevées. Le travail dans les prisons spécialisées est très différent de celui effectué dans les prisons « de base ». Mais il y a peu de telles prisons, et il faut aussi se pencher sur la question des personnes qui y interviennent...

Mme Yseline Fourtic-Dutarde. - Nous insistons sur la nécessaire articulation entre les structures opérant le suivi socio-judiciaire des auteurs et les associations expertes dans le mouvement féministe. On peut faire d'immenses progrès, à condition d'avoir des moyens et de repenser la sortie de détention. Actuellement, il y a beaucoup trop de sorties sèches : les auteurs sortent parfois du jour au lendemain, sans projet d'insertion, ce qui facilite la réitération des violences.

Les dommages et intérêts font partie du sujet de l'accès des victimes à la procédure judiciaire et de leur volonté de s'inscrire dans ce type de parcours. Il est difficile, pour une femme, de porter plainte en raison de certains signaux envoyés : cela ne servirait à rien, il y a une forme d'impunité... Si nous arrivions à mieux communiquer sur les condamnations et sur le fait que le coût d'une procédure judiciaire n'est pas écrasant pour les victimes, nous parviendrions à lutter efficacement contre l'impunité. C'est pour cela que nous proposons un barème pour lisser les indemnisations pour cause de violences sexuelles et sexistes et de violences conjugales, sur le modèle de la nomenclature Dintilhac. Si nous réussissions à réaliser cette nomenclature et à la faire connaître, nous pourrions convaincre les femmes qu'engager une procédure judiciaire ne mettrait pas en péril leur survie matérielle à court ou moyen terme.

Mme Olivia Richard. - On m'a dit qu'il serait difficile d'accéder à une aide juridictionnelle pendant toute la procédure, et de façon suffisamment précoce pour qu'un seul et même avocat désigné assiste la victime. Le confirmez-vous ?

Mme Violaine de Filippis-Abate. - Oui, je le confirme sans ambiguïté. Je me suis spécialisée, malgré moi, dans les enquêtes préliminaires. Je vois cela chaque semaine. Je tiens une permanence le mercredi avec la Maison de la vie associative et citoyenne de Paris. Il est difficile de prendre attache avec une ou un avocat, encore aujourd'hui : la personne a peur, et elle ne sait pas si l'appel sera facturé... Certaines personnes n'ont pas les moyens de payer un avocat, même si elles sont au-dessus du barème de l'aide juridictionnelle. Les avocats et les avocates ont encore du mal à communiquer clairement sur les conventions d'honoraires, pourtant obligatoires avec les particuliers depuis 2015. Ce n'est pas suffisamment appliqué.

On observe une véritable crainte financière d'être assisté. Une femme s'est effondrée en larmes devant moi en entendant que ma permanence était bénévole : professeure à Saint-Denis, où un collègue l'avait violée, elle faisait des heures supplémentaires car on lui avait dit qu'un avocat lui coûterait 10 000 euros.

Il faut régler en urgence cette carence : comment faire pour que les victimes soient assistées gratuitement dès le stade de l'enquête préliminaire, au-delà des questions de revenus ? Certes, on peut entendre que quelqu'un gagnant très bien sa vie peut payer son avocat. C'est aussi une question philosophique. Après une agression sexuelle, ce serait à l'État d'assurer la défense, et non aux victimes de payer leur avocat : il ne s'agit pas de porter plainte pour un bien matériel, un produit qui ne marche pas ou un conflit sur une maison... Il faut lever des budgets suffisants pour garantir un accès à un avocat dès le dépôt de plainte.

Malheureusement, la police ne nous aide pas : souvent, au moment du dépôt de plainte, on nous dit : « Maître, vous n'étiez pas obligé de venir pour un dépôt de plainte », alors qu'être au commissariat est très impressionnant pour une victime. Notre présence évite de petites réflexions...

Une victime non accompagnée aura du mal à suivre l'enquête préliminaire et à savoir où en est l'enquête. Lors de ma permanence, la semaine dernière, nous avons ressorti des tiroirs du parquet deux dossiers : les femmes avaient écrit pour savoir où en étaient leurs dossiers. Il a fallu que j'écrive moi-même pour obtenir une réponse et leur dire que les enquêtes étaient classées, l'une depuis trois mois, l'autre depuis plus longtemps encore. Le parquet n'avait pas pris la peine de les en avertir... Idéalement, il faudrait une plateforme en ligne sur laquelle la victime pourrait suivre, avec son numéro de plainte, où celle-ci en est. On sait le faire pour les courriers, pourquoi pas dans ce cas ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci de votre venue. Nous poursuivrons nos travaux et devrions publier notre rapport durant le premier trimestre 2025. Entre-temps sera nommé un ministre auquel nous pourrons le remettre...

Cette table ronde a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Table ronde sur l'expertise psychiatrique et psychologique des délinquants sexuels
(6 février 2025)

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Nous poursuivons ce matin nos travaux sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles, avec une table ronde consacrée à l'expertise psychiatrique et psychologique des auteurs de violences sexuelles.

Chaque année, plus de 55 000 individus - à 97 % des hommes - sont mis en cause pour viols, agressions sexuelles ou atteintes sexuelles sur mineurs, et 6 000 individus sont condamnés pour de tels faits. Un quart d'entre eux sont des mineurs. Il est évidemment nécessaire d'organiser une prise en charge efficace de ces individus, sur le plan judiciaire, sanitaire et socio-éducatif, afin de diminuer le risque de récidive et, dans les cas les plus inquiétants, de prendre les mesures de sûreté complémentaire appropriées.

Des psychiatres et psychologues interviennent à plusieurs stades en la matière. Ils procèdent à des examens de personnalité et de dangerosité lors de l'enquête judiciaire afin de fournir des éléments aux enquêteurs et aux magistrats, mais aussi lors de l'arrivée en détention, puis avant la sortie de détention. Ils interviennent également dans la prise en charge sanitaire des individus condamnés, en détention comme en milieu ouvert, notamment dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire avec injonction de soins.

L'objectif de cette audition est d'examiner plus précisément le rôle des experts psychiatres et psychologues au cours des procédures pénales, les éléments sur lesquels ils fondent leur appréciation de la personnalité du prévenu et les difficultés qu'ils rencontrent dans leur pratique. Au cours de nos précédentes auditions, la pénurie d'experts psychiatres et psychologues a été mise en avant par de nombreux interlocuteurs, qu'ils soient magistrats, policiers ou représentants de l'administration pénitentiaire.

Il s'agit également pour nous, à partir de l'expérience de ces experts, de mieux appréhender les profils criminologiques des auteurs de violences sexuelles, le taux de troubles psychiatriques parmi ces individus, les déterminants de leur passage à l'acte, et donc in fine la façon de lutter contre la récidive en fonction de ces différents éléments, sachant que tout ne relève peut-être pas de la psychiatrie.

À cette fin, je souhaite donc la bienvenue à M. Christian Ballouard, expert psychologue, président de la Compagnie nationale des experts psychologues (Cnepsy) au sein du Conseil national des compagnies d'experts de justice (CNCEJ) ; au Dr. Roland Coutanceau, expert psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (Snepp) ; au Dr. Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatriques près les cours d'appel (CNEPCA) ; au Dr. Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP) ; et à M. Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP).

Je vais vous laisser la parole, messieurs, pour une intervention liminaire, vous permettant de mettre en avant les points les plus saillants. Puis nous procéderons à un échange de questions-réponses.

M. Christian Ballouard, expert psychologue, président de la Compagnie nationale des experts psychologues (Cnepsy) au sein du Conseil national des compagnies d'experts de justice (CNCEJ). - L'expertise est un avis technique sollicité pour s'assurer que la personne est responsable de ses actes, pour contribuer à personnaliser la peine d'une personne mise en cause et pour évaluer le préjudice psychologique d'une personne plaignante. Il s'agit de repérer des troubles mentaux, des troubles ou des traits de la personnalité. Les missions sont quelque peu similaires entre psychiatres et psychologues, même si les régimes de l'enquête et de l'instruction ne sont pas identiques. Il nous arrive également de réaliser des expertises conjointes dans le post-sentenciel.

Une expertise est spécifique, mais pas spécifique au regard de l'infraction. Elle doit être complète et minutieuse. Par conséquent, il y a peu de spécificités en ce qui concerne les infractions sexuelles. Les outils sont les mêmes : observations, entretiens cliniques approfondis, tests au besoin. Les interrogations sont fréquentes sur l'échelle actuarielle, une évaluation qui se pratique notamment outre-Atlantique. Il n'y a pas de consensus en France à cet égard, d'autant qu'elle s'applique au système judiciaire anglo-saxon, très différent du nôtre. Nous pourrons y revenir.

L'injonction de soins, elle, a fait ses preuves. Néanmoins, je pense qu'il est important de distinguer la santé et la justice. Le bon sens pourrait conduire à considérer que le temps de la détention est un temps propice au soin, mais cela peut occasionner une discrimination en milieu pénitentiaire et accentuer la méfiance des auteurs à l'égard de cette approche psychologique. Or la confiance est fondamentale pour qu'une relation clinique se mette en place.

Dr. Roland Coutanceau, expert psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (Snepp). - L'analyse des actes nous apprend qu'il y a l'homme indépendamment des faits. Ce qui fait que quelqu'un est transgresseur dans le domaine de la sexualité, nous pouvons le trouver dans l'exploration de sa vie sexuelle. L'expertise, qu'elle soit psychiatrique ou psychologique, est par nature pluridisciplinaire. Le discours de la plaignante est également pris en compte. Comment peut-on analyser quelqu'un si l'on n'a pas en contrepoint le discours de la plaignante, puisque l'on est souvent en présence de la négation ou de la minimisation classique sur l'autorisation sexuelle ?

Pour évaluer un risque, il faut analyser d'abord l'homme, puis les faits.

Une analyse statistique effectuée en Amérique du Nord permet d'évaluer la récidive à 5 ans, 10 ans, 15 ans. On note, et c'est heureux, que contrairement à ce que pense parfois l'opinion publique, nombre d'auteurs d'agressions sexuelles ne récidivent pas. Pourquoi ? Parce que la réalité de l'interpellation, la honte sociale, le fait de passer devant un tribunal dissuadent de recommencer. Cette étude distingue différents groupes, par nature d'infractions : les viols sur adultes, les incestes, les viols sur petites filles, ainsi que ceux sur petits garçons en dehors du cercle familial. Il y a deux groupes où la récidive est plus significative. Ce sont en premier les agresseurs sur jeunes garçons en dehors du cercle familial, tout simplement parce que, cliniquement, l'intensité quasi exclusive chez certains de l'attirance pour les petits garçons est déterminante. C'est le groupe le plus récidivant en termes statistiques. Le deuxième groupe est celui des violeurs sur adultes : la récidive atteint 14 % à 5 ans, 21 % à 10 ans, 24 % à 15 ans.

En tant que vieux compagnon de route de la pénitentiaire, je préconise de mieux utiliser le temps de peine pour travailler avec ces deux groupes en vue d'éviter la récidive. Les agresseurs sexuels extra-familiaux sur petites filles ou les incestueux sont peu récidivants. Dit autrement, l'auteur d'inceste judiciarisé récidive peu. Cet outil statistique est un premier apport intéressant.

En ce qui concerne les auteurs de viols sur adultes, trois critères d'ordre criminologique sont souvent présents dès la première agression chez ceux qui récidivent : victime inconnue, donc moins de risques d'être dénoncé ; utilisation d'une arme ; séquestration de la victime, que l'on a sous sa coupe pendant un temps. Dès le premier acte, lorsque les victimes sont adultes, ces trois éléments sont des alertes pour le juge d'application des peines, qui doit prescrire un suivi en milieu carcéral et une injonction de soins.

Si les statistiques nous montrent que les auteurs d'actes incestueux récidivent peu, ils peuvent néanmoins faire l'objet d'un dépistage précoce. Dès qu'un enfant ne va pas bien, qu'il se plaint de quelqu'un ou a l'air un peu méfiant par rapport à un proche, il y a trois questions simples à lui poser : est-ce qu'il t'embête ? Est-ce qu'il te touche ? Est-ce qu'il te touche là ? Dans 90 % des cas, les victimes révèlent qu'elles auraient parlé plus tôt si quelqu'un avait deviné. Il faut encourager les gens à parler, mais pas de façon anarchique. Avec ces trois questions, souvent, les enfants avouent ce qu'ils rêvaient d'avouer. On retrouve dans les témoignages le travail psychique d'hésitation, d'ambivalence, de réticence.

Un autre élément de prévention relève du champ social. On retrouve souvent la drogue, l'alcool, les médicaments dans ce type d'affaires. Il y a aussi ce que j'appelle des histoires sans parole : il n'y a pas de demande, d'échange, de dialogue, et le consentement est considéré comme allant de soi. Nous sommes là dans le domaine de la communication sociale. À cet égard, je conseille un excellent message à diffuser le plus largement possible : quand une personne ne dit pas oui, c'est non ! Il s'agit de faire entrer dans la tête des gens la nécessité de verbaliser, de dialoguer et de se méfier de ses intuitions. Il faut au besoin diffuser des vidéos mettant en scène ce type de situations et marteler qu'une personne alcoolisée ou droguée ne peut pas être consentante, car cette dimension n'est pas intégrée chez beaucoup de transgresseurs. Les magistrats ont parfois du mal avec ce genre d'affaires pour établir en toute rigueur juridique l'absence de consentement. Pourtant, l'abus de faiblesse est évident.

Dr. Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatriques près les cours d'appel (CNEPCA). - Quand l'expert psychiatre intervient-il ? Il intervient à tous les stades de la procédure, mais aussi en pré-sentenciel et en post-sentenciel. Les problèmes posés sont différents selon le moment où il intervient.

En pré-sentenciel, il y a le stade de l'enquête préliminaire, c'est-à-dire avant les poursuites. Le problème est que nous sommes de plus en plus confrontés à des affaires anciennes : il est très compliqué de se pencher sur l'état mental d'un individu 15 ou 20 ans après les faits.

Lors de l'expertise en garde à vue en cas de flagrance, il n'y pas consensus sur les questions à poser : est-ce une expertise psychiatrique classique, ou doit-on dire d'emblée si l'individu est malade et doit être hospitalisé ?

Ensuite, il y a le rôle de l'expert plus classique lors de la phase d'instruction, une période plus confortable, car nous avons accès au dossier et du temps pour la réflexion.

Alors que, dans le pré-sentenciel, il est plutôt demandé à l'expert psychiatre de dire si l'individu est malade, s'il présente des troubles psychiatriques, et s'il y a un lien entre les troubles psychiatriques et la dynamique du passage à l'acte, on insiste plutôt en post-sentenciel sur la question de la dangerosité et du risque de récidive.

Aujourd'hui, les experts psychiatres ne sont pas mauvais pour diagnostiquer les pathologies ; ils sont même plutôt bons, contrairement à ce que l'on peut penser. Là où nous péchons un peu plus, c'est sur le lien entre un éventuel diagnostic psychiatrique et la notion de discernement, c'est-à-dire sur l'interprétation criminologique. Nous sommes encore moins bons sur la question de la dangerosité.

En effet, le concept de dangerosité est plus difficile à manier que celui de risque, qui a une connotation plus statistique. Le danger renvoie à quelque chose de plus lourd et de plus grave. Cela demande une évaluation à l'instant T, mais aussi une projection dans le futur, ce qui est beaucoup plus compliqué pour les experts psychiatres.

J'insisterai sur un point que je trouve aujourd'hui assez regrettable dans les procédures. L'idée est répandue chez les magistrats que les auteurs d'infractions doivent être analysés par des experts psychiatres et que les victimes sont plutôt réservées à des experts psychologues. Pourquoi ? Cela n'a aucune base scientifique. Dans une même affaire, un expert peut expertiser tout à la fois l'auteur et la victime. Cela peut même être extrêmement riche au niveau de la dynamique criminologique. En effet, quand on parle de relations d'emprise, il est difficile de se faire une idée avec un seul des protagonistes. L'image du psychologue étant plus douce que celle du psychiatre, on considère qu'il convient de lui confier la victime. Mais il ne s'agit pas de soins. Je pense qu'il faut dépasser ce clivage délétère.

Je me dois également de tirer la sonnette d'alarme sur la démographie des experts psychiatres. Aujourd'hui, nous sommes 300 à 320 inscrits sur les listes des cours d'appel. Il y a une quinzaine d'années, nous étions plus de 800 ! La structuration de la pyramide des âges va encore aggraver le problème. L'aspect positif, c'est qu'il y a un effet de concentration et d'aguerrissement. L'aspect négatif, c'est une charge de travail énorme, avec une pression insurmontable. Il importe de former de nouveaux psychiatres experts. Les autorités universitaires commencent à s'intéresser au problème. Ils ont d'ailleurs inclus la psychiatrie légale comme spécialité à part entière au sein de la psychiatrie. Il y a maintenant la pédopsychiatrie, la psychiatrie du sujet âgé, l'addictologie et la psychiatrie légale. La situation va donc s'améliorer, mais il faudra du temps.

Aujourd'hui, le plus urgent est de développer le compagnonnage. Lors d'une première expertise, vous avez besoin de travailler avec quelqu'un qui pratique depuis des années et qui vous montre le chemin.

Comment analyse-t-on quelqu'un qui a commis des infractions à caractère sexuel ? Il y a des éléments cliniques - Est-ce qu'il est malade ? Est-ce qu'il a des troubles psychiatriques ? - et des éléments plutôt psychopathologiques, à savoir les traits de personnalité, le niveau d'impulsivité, la capacité à gérer et contrôler les émotions, autant d'éléments que l'on ne retrouve pas dans la psychiatrie classique.

Par ailleurs, on ne peut pas faire une expertise psychiatrique digne de ce nom si on ne connaît pas les déviances sexuelles et si on n'est pas capable de les diagnostiquer.

Au-delà de cette évaluation clinique et psychopathologique, il y a une évaluation criminologique. Il s'agit de se pencher sur le passage à l'acte, en revenant sur le contexte, sur le passé judiciaire ou victimaire de l'auteur. A-t-il subi lui-même des agressions sexuelles ? A-t-il été mis en cause dans d'autres actes violents ? Nous devons également analyser le mode opératoire - emprise, sédation, etc. -, ainsi que le profil de la victime - âge, niveau de vulnérabilité, etc. Ces éléments extrêmement riches peuvent nous renseigner sur la dynamique du passage à l'acte, mais aussi nous aider à nous projeter dans l'avenir pour évaluer le risque de récidive.

J'en viens à l'analyse de la dangerosité. Aucun expert psychiatre ne peut prédire la récidive. On met en évidence des critères et des facteurs de risque de récidive, mais il y a aussi des facteurs de risque de mauvais pronostic...

Nous distinguons, d'une part, les facteurs de risque statiques, que l'on recherche dans le passé - antécédents judiciaires, âge de la première infraction, nature des faits - et, d'autre part, des facteurs de risque dynamiques, qui peuvent varier au cours du temps - consommation de substances, insertion sociale, professionnelle ou sentimentale. L'analyse du niveau de dangerosité n'a de valeur qu'à l'instant T, d'où la difficulté de prévoir la récidive.

S'y ajoutent les facteurs environnementaux, comme le soutien familial. Pour cela, nous disposons aujourd'hui d'un certain nombre de questionnaires validés, par exemple le HCR 20. Ce n'est pas la panacée, mais ils peuvent constituer une trame d'analyse clinique.

Enfin, la dernière question que tout le monde se pose est celle de savoir si tous les auteurs d'infraction à caractère sexuel (AICS) présentent des maladies psychiatriques ou des déviances sexuelles. Absolument pas ! La présence de troubles psychiatriques, pris au sens large - troubles de la personnalité, psychopathes, personnalités borderline -, est de l'ordre de 40 % à 60 %. Environ la moitié des auteurs ne présente donc aucun trouble. La déficience mentale, surtout en institution, ainsi que les états dépressifs passagers et les conduites addictives peuvent également se retrouver dans le passage à l'acte.

L'analyse porte également sur des facteurs environnementaux et sociaux. Plus de la moitié des auteurs d'infraction à caractère sexuel ont évolué dans un environnement familial que l'on appelle dysfonctionnel : violence, abus, négligence. Cependant, il n'y a pas de relation de cause à effet : quelqu'un qui a été victime d'agression sexuelle ne deviendra pas forcément agresseur sexuel, mais il y a des facteurs de transition, c'est-à-dire que le fait d'avoir été victime de négligence, d'avoir été témoin de violence ou d'avoir été victime directement de violence sexuelle est un facteur de risque supplémentaire de devenir auteur.

Enfin, le contexte et les circonstances doivent nécessairement être mis en évidence. L'alcool et les drogues se retrouvent dans 30 % à 60 % des passages à l'acte. L'accès facilité aux victimes est aussi à prendre compte.

Dr Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP) - Mon expertise est celle d'un pédopsychiatre de terrain. J'essaye de comprendre le fonctionnement des enfants ainsi que des adultes. Je vais essayer de vous dresser un état des lieux de la psychiatrie dans le département où je travaille, le Jura.

Je travaille dans un centre hospitalier spécialisé (CHS) où nous manquons cruellement de moyens humains, que ce soit dans les services pour adultes, en pédopsychiatrie ou en gérontopsychiatrie. C'est le cas un peu partout en France. Le peu de psychiatres présents se partagent des tâches croissantes : nombre de patients important, charges administratives diverses et chronophages. Je parle des certifications, des protocoles, des grilles à remplir, qui nous éloignent du soin. Deux facteurs inquiétants s'y ajoutent : la diminution du nombre de psychiatres formés et un vieillissement des praticiens. L'âge moyen des psychiatres à l'hôpital est ainsi de 52 ans, quand l'âge moyen des pédopsychiatres est de 61 ans ; en outre, 40 départements en France sont dépourvus de pédopsychiatres.

Comment se déroule une expertise dans un CHS dans le cadre d'une garde à vue ? Une réquisition du juge est adressée au directeur du centre, qui doit désigner un psychiatre pour effectuer l'expertise. En l'absence d'expert officiel dans le département, cela retombe sur un praticien hospitalier. Ce sont des expertises « flash » qui comportent différentes questions : discernement, compréhension du sens de la peine éventuelle, compatibilité de l'état avec une garde à vue.

Le premier problème est la disponibilité, puisque cela tombe souvent sur le praticien de garde sur 24 heures. Ensuite, la liste des éléments à fournir au juge de la détention et des libertés est importante : prescriptions de contention, d'isolement, etc.

Malheureusement, à ce jour, beaucoup d'entre nous n'avons pas eu de formation spécifique, même si, comme mon collègue vient de le dire, l'université semble vouloir s'ouvrir à la psychiatrie légale.

La question de la rémunération doit aussi être soulevée. Le système Chorus Pro, qui doit nous permettre d'être remboursés de nos frais, est tellement complexe qu'il décourage toutes les bonnes volontés.

L'augmentation du nombre de professionnels est indissociable de la question du numerus clausus de première année de médecine, sachant que dix à douze années sont nécessaires pour former un psychiatre.

Par ailleurs, la psychiatrie a une image très dégradée parmi les étudiants en médecine. C'est une des spécialités choisies en dernier au concours de l'internat, les premières étant la chirurgie esthétique et la radiologie. Il y a cette représentation qui voudrait que si l'on fait psychiatrie, c'est que l'on a soi-même un problème.

S'agissant du passage à l'acte des AICS, nous sommes en quasi-permanence confrontés au meurtre et à l'inceste dans le cadre de notre pratique. Si depuis plusieurs années la parole se libère, nous sommes bien souvent les premiers dépositaires de cet indicible. Vous avez rencontré Mme Marie Romero, qui a fait deux rapports très intéressants. Comme elle le souligne, l'agresseur est à rechercher en premier lieu dans le cercle proche familial ou auprès de personnes dépositaires symboliques de la fonction parentale. Je parle là des professeurs, des éducateurs, des gens à qui les parents peuvent déléguer. Nous connaissons aussi des agressions sexuelles de mineurs sur mineurs, mais les changements inhérents à l'adolescence n'en font pas des personnes à profil pervers irrévocable. Nous avons pu voir, grâce au travail conjoint des équipes de soins, en hospitalisation comme en ambulatoire, des évolutions reflétant un réel travail d'introspection et de remise en question des auteurs, notamment adolescents.

Cependant, nous ne pouvons éluder la question de l'identification des adolescents. Ils peuvent être conduits à la reproduction ou la répétition de gestes incestueux dont eux-mêmes ont été l'objet. Nous avons reçu un jeune homme de 15 ans qui nous a été adressé parce qu'il avait violé son frère cadet âgé de 8 ou 9 ans. C'est pendant l'hospitalisation dans mon service qu'il a pu nous dire qu'il avait en fait reproduit sur son frère ce que son père avait fait sur lui, pensant que c'était la seule manière de transmettre une idée de la sexuation ou de la sexualité au sein d'une même fratrie. Quelque temps plus tard, le frère cadet a reproduit le même schéma sur leur jeune soeur. Tous deux pensaient que c'était normal, que les choses se passaient toujours ainsi.

Le docteur Arthur Devaud en a fait son travail de thèse en 2021. Il rappelle que les études sur le sujet semblent valider la théorie de l'abusé-abuseur et confirme que le taux de violences sexuelles subies dans l'enfance est plus élevé chez les agresseurs que dans la population générale. Cependant, les auteurs des études insistent aussi sur le fait que la grande majorité des victimes ne deviendront pas agresseurs. Avoir été agressé sexuellement dans l'enfance n'est une condition ni nécessaire ni suffisante pour devenir agresseur à son tour. Il s'agit d'un facteur de risque. Il est important de le repérer, dans le but d'agir par des stratégies de prévention centrées sur la victime.

Nous constatons aussi dans les services de pédopsychiatrie l'exposition de plus en plus précoce aux écrans et à la pornographie, qui est un miroir déformant pour l'identification d'adolescents accédant à la sexuation et la sexualité.

Au fil de l'accompagnement d'adolescents autant victimes qu'auteurs, nous constatons l'émergence et la croissance des actes d'agression à caractère sexuel au sein des lieux substitutifs de vie, dans les maisons d'enfants à caractère social (Mecs), dans les familles d'accueil. Je rappelle à cet égard que le secteur médico-social, comme la psychiatrie, est en pleine crise. Je ne sais si vous comptez rencontrer certains de ses représentants...

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - C'est un travail que nous avons déjà mené. J'étais corapporteure, avec Marie Mercier, d'une mission d'information sur les violences sexuelles sur les mineurs dans les institutions.

Dr. Charles-Olivier Pons. - Je travaille avec des maisons d'enfants, où, faute de pouvoir recruter des éducateurs formés, nous avons accueilli un ancien croupier de casino, un vigile de supermarché, bref, des gens qui n'ont pas cette formation pour approcher l'enfant, l'adolescent autour de ces questions.

On le sait, lorsqu'une structure dysfonctionne, la loi de l'interdit n'est plus identifiée par les acteurs de cet accompagnement. La perte du sens du travail éducatif, voire la présence de personnes non qualifiées est aussi un facilitateur de la transgression.

Quand il s'agit de démontrer le caractère irréaliste des films pornographiques, beaucoup d'adolescents considèrent qu'il s'agit d'une représentation fidèle de la réalité, puisque c'est sur internet. Cela peut être conjugué avec des attitudes et positionnements parentaux incestueux, car le visionnage de la pornographie peut se faire avec les parents. Il peut également arriver que les ébats sexuels de parents aient lieu devant leurs enfants.

Il n'est absolument pas question d'administrer de traitement chimique « antisexuel » à ces adolescents déjà en proie à un remaniement hormonal important. Il s'agit plutôt d'accompagner une histoire fracassée par le passage à l'acte et marquée par la transmission transgénérationnelle.

Je considère qu'en pédopsychiatrie, nous tricotons du sur-mesure en permanence. Dans ces conditions, il n'existe pas de facteur de prédictivité. On va travailler une histoire, et non pas des symptômes, avec les enfants et les adolescents.

Pour terminer, je tiens à saluer l'excellent travail mené par les centres de ressources pour les intervenants auprès des violences sexuelles (Criavs). Ce sont de véritables facilitateurs de l'accompagnement.

S'agissant enfin du besoin de formation des psychiatres et psychologues, mais, encore une fois, la pénurie de personnel et la crise de la psychiatrie en général nous empêchent de prendre sur notre temps d'exercice pour nous former.

M. Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP) - Le syndicat national des psychologues, fondé en 1950, est l'une des plus anciennes organisations de psychologues. Nous couvrons l'ensemble des champs d'exercice de la profession, de la fonction publique hospitalière à l'exercice libéral, en passant par l'éducation nationale ou le champ de l'expertise. Chaque champ d'exercice est couvert par une commission spécialisée. Mon propos sera donc le produit d'un triple ancrage : notre commission « experts », notre commission « justice », le bureau national du SNP.

Comprendre et prédire la récidive est bien sûr difficile, puisqu'il s'agit de tenter de prévoir ce qui par définition ne peut pas l'être. L'humain n'est soluble ni dans les chiffres ni dans les modèles statistiques. Ces derniers ne peuvent donc constituer qu'un indicateur parmi d'autres. Ensuite, on observe une multiplicité de profils et de trajectoires, ainsi qu'une grande diversité de situations, que ce soit le contexte de passage à l'acte, l'histoire familiale, les traumatismes passés, les addictions, etc. Pour nous, la multiplicité des profils et des contextes implique en retour une pluralité des approches et des méthodes, au niveau à la fois de l'évaluation et du soin.

Dans le cadre de l'expertise, la mission principale du psychologue consiste à évaluer le fonctionnement psychique global de l'individu, à établir un profil psychologique et à apporter un éclairage sur ce qui a conduit au passage à l'acte. Il s'agit également d'estimer les possibilités de réinsertion ou d'adhésion à un suivi psychologique. Ces différents éléments permettent de répondre aux questions posées par le magistrat.

Notre profession ne rencontre pas de difficultés en matière démographique. Néanmoins, les experts rencontrent plusieurs difficultés dans l'exercice de leur mission. Tout d'abord, les délais sont souvent extrêmement contraints. Ensuite, ils doivent traiter un nombre très élevé de dossiers, avec, surtout, une rémunération tout à fait insuffisante, rarement à la hauteur du temps passé pour un travail fouillé et sérieux. Une déposition aux assises, quels que soient le temps et le nombre de dossiers, est rémunérée 104 euros. Cela explique le faible nombre de candidats aux fonctions d'expert.

L'évaluation est nécessairement multifactorielle quand il s'agit d'infractions à caractère sexuel. Elle implique un entretien clinique, un retour sur le parcours judiciaire, ainsi que la passation de tests de différentes natures, dont l'échelle HCR 20 précédemment citée, qui est effectivement un outil intéressant. Dans tous les cas, il importe de prendre un temps suffisant.

Il nous semble essentiel de conserver une diversité des outils auxquels les psychologues ont recours. Je peux prendre l'exemple des échelles actuarielles, qui sont tout à fait intéressantes, facilement réplicables, mais qui ne peuvent pas être l'alpha et l'oméga de l'évaluation. Elles sont plutôt une aide à l'évaluation, dont les résultats doivent être analysés et confrontés aux données cliniques. L'idée est bien d'aboutir à un examen global qui prenne en compte la complexité des processus pour comprendre vraiment ce qui s'est passé.

Concernant les auteurs, assez peu d'entre eux sont atteints de troubles psychiatriques. Dès lors, il ne semble pas totalement pertinent de penser la notion de récidive sous l'angle unique de la psychopathologie ou de la psychiatrie. On constate également, même si nous sommes loin d'une règle automatique, qu'un certain nombre d'auteurs ont eux-mêmes subi des agressions sexuelles ou des viols. C'est particulièrement fréquent chez les AICS sur victimes mineures dans le milieu familial. Je résumerai en disant - comme mes confrères - que les auteurs ont souvent été victimes, mais les victimes ne sont pas forcément auteurs.

Il est nécessaire de mener un véritable travail autour de la prévention et de porter une attention particulière aux mineurs auteurs. Selon un récent rapport de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), aujourd'hui, en France, les mineurs représentent la moitié des mis en cause dans les affaires de viols et d'agressions sexuelles sur mineurs : 92 % sont des garçons avec une surreprésentation des moins de 13 ans, qui représentent près de 30 % des auteurs, là où dans la population globale des délinquants, cette catégorie d'âge ne représente que 8 % des auteurs.

Concernant le passage à l'acte et sa compréhension, une perspective multifactorielle est indispensable : quels sont les éléments qui font que, ce jour-là, cette personne-là a commis cet acte-là ? Quel est l'état clinique de la personne au moment des faits ? Y a-t-il des troubles sexuels, des traumas non dépassés ? Y a-t-il un contexte de prise de produits ou d'alcool ? Le contexte a-t-il participé au passage à l'acte, par exemple lors d'un rassemblement public, lors d'un événement ? Ces facteurs sont déterminants pour la compréhension du passage à l'acte, car ce dernier a forcément une explication, qui peut être d'ordre interne ou externe.

De manière générale, nous souhaitons insister sur le fait que cette phase d'évaluation constitue un moment clé. Pour nous, il ne s'agit pas tant d'harmoniser les méthodes que d'en favoriser la diversité afin de mieux identifier les besoins et les actions à mettre en place.

Je souhaite conclure en évoquant le soin. Nous constatons que, lorsque les personnes détenues sont investies dans leur suivi, les dispositifs existants sont plutôt adaptés et efficaces. En revanche, ils ne le sont pas pour les détenus qui demandent la mise en place d'un suivi sans pour autant y mettre du sens et qui le font pour bénéficier des remises de peine, lesquelles peuvent aller jusqu'à trois mois par an.

Nous pensons que des moyens supplémentaires permettraient d'accroître le suivi en groupe - un outil de soins qui est particulièrement intéressant dans ce domaine -, mais aussi de renforcer certaines équipes en postes de psychologue et d'avoir un meilleur relais entre la détention et la sortie. Par exemple, il serait intéressant que l'injonction de soins pour les AICS commence dès la sortie de détention, et non à la fin de la peine en cas d'aménagement, puisqu'il y a un hiatus entre les deux.

Concernant les soins hors détention, c'est-à-dire le recours aux structures de droit commun, la situation est très difficile : ces lieux sont saturés et imposent des délais d'attente extrêmement longs. Dans le Grand Est, en centre médico-psychologique, un enfant ou un adulte peut attendre une année, sans compter parfois le manque de formation spécifique des professionnels sur ces thématiques.

Pour conclure, je vous engage à réfléchir à quatre problématiques. Tout d'abord, il y a un manque de prévention et d'information sur les violences sexuelles et les risques liés à la pornographie. Ensuite, l'accompagnement après la détention devrait pouvoir faciliter l'insertion, en sortie conditionnelle ou en sortie définitive. En outre, il faut assurer une réelle continuité du suivi qui prenne en compte le suivi psychologique ou psychiatrique et les ateliers socio-éducatifs. Enfin, il est urgent de renforcer le service public et les établissements pénitentiaires en postes de psychologues et de soignants, voire de créer des centres spécialisés dans les violences sexuelles.

Les comparaisons avec les autres pays trouvent souvent leurs limites, pour tout un ensemble de raisons, mais il pourrait être intéressant de s'inspirer de certains d'entre eux. Nous pensons ici au Canada, à la Suisse, au Danemark ou encore à l'Espagne, qui sont précurseurs en matière de prévention de la récidive.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Je porte à votre connaissance que la délégation aux droits des femmes a publié, en septembre 2022, un rapport intitulé : « Porno, l'enfer du décor », et qui a largement traité le sujet des mineurs, dont l'âge moyen d'accès à la pornographie est de 11 ans. Cela signifie que certains peuvent commencer très tôt, puisque d'autres n'iront peut-être jamais. Nous allons d'ailleurs porter ce sujet auprès d'ONU Femmes dans le cadre de la 69e session de la Commission des Nations-Unies consacrée à la condition des femmes (CSW).

Quelles sont vos relations avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ? Nous sommes allés à Migennes, dans l'Yonne, visiter le service d'accompagnement des victimes et des auteurs d'infractions sexuelles (Savi), qui prend en charge les mineurs, aussi bien auteurs que victimes. Comment peut-on dire qu'il n'y a pas de profil « type », quand on constate que dans 80 % des cas traités par ce service, les auteurs mineurs ont également été victimes ?

Mme Annick Billon, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Je viens d'apprendre que les auteurs étaient orientés vers les psychiatres et les victimes vers les psychologues. Nous avons bien noté que les deux professions subissaient des pénuries et un déficit d'attractivité certain. Existe-t-il un dialogue et un partage d'informations entre elles ? La volonté de mettre fin à ce mode de suivi est-elle partagée, à la fois, par les psychologues et par les psychiatres ?

J'ai également appris que 40 départements étaient dépourvus de pédopsychiatres. Est-ce une situation nouvelle, qui tient à un problème de formation ponctuel, ou est-ce un mouvement plus profond, comme celui qui touche d'autres spécialités ?

Sur la formation des psychiatres, quels changements envisagez-vous ? Faut-il créer des passerelles ?

Enfin, le docteur Coutanceau a évoqué les auteurs d'infractions sexuelles sur personne inconnue avec arme ou séquestration, qu'il ne fallait pas laisser sortir sans suivi carcéral préalable. Est-ce à dire que les autres peuvent être libérés sans suivi préalable avec un risque de récidive proche de zéro ?

Dr. Laurent Layet. - Deux documents - l'un est déjà sorti et l'autre sortira prochainement - sont susceptibles de répondre à beaucoup de vos questions. Je vous renvoie d'abord au rapport de l'audition publique sur les auteurs de violences sexuelles réalisé en juin 2018, qui compile de façon extrêmement sérieuse toutes les données recollées sur deux ans par un panel d'experts. Par ailleurs, l'audition publique sur les auteurs mineurs de violences sexuelles aura lieu le 25 juin 2025. Ce travail permettra d'établir un certain nombre de recommandations. Avec ces deux documents, vous aurez à peu près la compilation de toutes les données actuelles sur la question de la délinquance sexuelle en France.

Ensuite, je prendrai un exemple concret pour illustrer mon propos. J'ai participé en tant qu'expert à l'affaire dite des viols de Mazan. L'idée initiale de la juge d'instruction était qu'un seul expert psychiatre allait expertiser tout le monde.

J'ai été désigné au début des investigations et j'ai vu l'auteur présumé lorsqu'il s'est fait arrêter dans un magasin. Je ne pouvais pas deviner l'ampleur du dossier, mais j'ai tout de même décelé un certain nombre de facteurs de risque que j'ai signalés à l'officier de police judiciaire en lui conseillant de creuser l'affaire.

Ensuite, j'ai été désigné au stade de l'instruction. J'ai revu deux fois l'auteur, puis j'ai été désigné par la juge pour voir la victime. Les avocats ont déposé un recours pour que le même expert ne voie pas l'auteur et la victime, imaginant sans doute que j'allais manquer d'objectivité envers celle-ci. C'est une vue totalement archaïque de notre métier, une sorte de fantasme.

En revanche, j'ai commencé à expertiser d'autres accusés, puis, leur nombre augmentant, j'ai dû réclamer l'assistance d'autres experts. La victime, elle, a été vue par un expert psychologue qui n'a pas vu l'auteur. Il aurait sans doute fallu des expertises communes de psychiatres et de psychologues, ce qui aurait aidé à la compréhension de cette affaire.

Sur la démographie, plus il y aura de médecins, plus il y aura de spécialistes ; et plus il y aura de spécialistes, plus il y aura de psychiatres. Cependant, il y a un véritable manque en matière de formation à la psychiatrie médico-légale. Les universitaires se sont désintéressés du sujet pendant 50 ans : ils doivent apprendre des experts auprès des tribunaux pour mettre au point les formations. Il faut de surcroît une homogénéisation sur tout le territoire pour que les évaluations ne diffèrent pas selon les ressorts de tribunaux.

Dr. Charles-Olivier Pons. - Le compagnonnage rencontre aussi des limites. Tout d'abord, les internes ne se déplacent pas toujours dans les centres médico-psychologiques (CMP) de périphérie. Et lorsqu'ils viennent, ils constatent que je peux faire 700 kilomètres par semaine pour visiter toutes nos structures et que je suis submergé par des tâches diverses et variées. Cela les dissuade de venir dans les petits départements, mais ce n'est pas propre à la psychiatrie. C'est une question d'approche globale de nos métiers du soin par les jeunes générations.

M. Christian Ballouard. - L'attribution en fonction du métier relève surtout de la culture policière. Dans le monde judiciaire, on a compris qu'il était plus intéressant d'avoir un expert commun au plaignant et au mis en cause.

Pour former un bon expert psychologue, l'expérience est déterminante. On ne lui demande pas de se prendre pour un juge, un policier ou un avocat. Il est formé pour prendre connaissance d'un contexte.

M. Florent Simon. - Il n'y a pas nécessairement de lien entre psychologues et psychiatres au moment des expertises, la décision de recourir à une expertise psychologique ou à une expertise psychiatrique relevant surtout de la décision du magistrat, avec, en pratique, de choix assez variables. Un travail en binôme pourrait être intéressant, en ce qu'il donnerait une vision beaucoup plus complète des choses.

Dr. Roland Coutanceau. - En matière d'expertises psychiatriques et psychologiques, il existe des pratiques diverses.

Le contenu des expertises a évolué depuis la fin du XXe siècle : tant chez les psychiatres que chez les psychologues, ceux qui interviennent le plus dans le champ médico-légal mettent davantage l'accent sur les aspects psycho-criminologiques. Dans les années 1980, les expertises psychiatriques restaient concises et les expertises psychologiques n'abordaient pas la question du passage à l'acte. Notre génération est celle qui a progressivement intégré dans le champ de l'expertise l'analyse de l'acte, lequel ne se résume pas à une structure de personnalité. Mais, aujourd'hui encore, la propension à se pencher sur l'acte est variable.

Se fondant sur le nombre élevé des expertises qu'il avait vues dans sa carrière d'avocat, l'ancien ministre de la justice Éric Dupond-Moretti nous disait un jour que l'expertise psychiatrique était assez homogène, mais quelque peu « tristounette », n'abordant pas toujours les aspects psycho-criminologiques et de personnalité, quand l'expertise psychologique était très hétérogène.

Dans les années 1980, l'expertise était systématiquement duale dans les affaires criminelles. Sans doute le législateur considérait-il alors plus prudent de recueillir l'avis de deux professionnels. Au cours de la décennie suivante, la recherche d'économies budgétaires a prévalu. L'idée d'une double expertise, psychiatrique et psychologique, est récemment revenue à l'ordre du jour, quoiqu'elle ne soit pas une obligation, avec, de plus, une dimension psycho-criminologique qui s'accentue.

En pratique, il est courant que les psychologues s'occupent davantage des victimes. Peut-être est-ce dû au fait que certains d'entre eux ne souhaitent pas s'occuper des auteurs. Cependant, un autre élément, plus subtil, intervient ici. Certains avocats pensent en effet qu'une expertise approfondie, bien menée, par un psychiatre ou un psychologue qui rencontre à la fois l'auteur et la victime, et qui aborde le problème de l'acte, ne leur laisse ensuite plus beaucoup de marge de manoeuvre.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Évoquez-vous les avocats de la défense ou de la partie civile ?

Dr. Roland Coutanceau. - Ce sont principalement les premiers qui ne souhaitent pas une analyse approfondie de la relation entre les deux protagonistes d'une affaire, pourtant considérée par ailleurs, dans le courant criminologique, comme apportant une plus-value. Les magistrats eux-mêmes ne sont pas unanimes sur la question.

Sur le risque, il faut reconnaître que l'on vient de loin. J'ai appartenu dans les années 1990 et 2000 au centre national d'observation (CNO) de l'administration pénitentiaire, devenu le centre national d'évaluation (CNE). Nous avions observé que de nombreux délinquants sexuels figuraient parmi les condamnés à de longues peines et nous avions suggéré auprès du ministère de la justice que nous pourrions utiliser leur temps de peine pour travailler au plus près d'eux. Une magistrate nous avait alors répondu qu'il était exclu d'orienter les délinquants sexuels vers une prison plutôt qu'une autre en fonction de l'acte qu'ils avaient commis.

Nous savons aujourd'hui que ce n'était qu'un faux problème. Certains centres de détention comprennent à présent une forte proportion d'auteurs d'agressions sexuelles et la tendance tend à se renforcer, car l'administration pénitentiaire reconnaît la pertinence sociale d'y réaliser une expérimentation systématisée des propositions de suivi de ces individus et surtout de la corréler avec les éléments d'une analyse statistique et probabiliste sur les facteurs de risque de récidive. Il y a, statistiquement, des gens plus inquiétants que d'autres et peut-être une bonne politique sociale de prévention consiste-t-elle à s'en occuper prioritairement. Je pense qu'il est possible, à l'intérieur de centres pénitentiaires spécialisés, de progresser dans notre travail pendant le temps de peine des délinquants les plus préoccupants.

Est-ce à dire que certains détenus sont moins préoccupants que d'autres ? Non, bien sûr, et les facteurs de risque de récidive identifiés par les statisticiens n'autorisent aucune certitude. Cependant, l'intelligence sociale peut s'en inspirer pour inciter certains profils de détenus à accepter un meilleur suivi et un accompagnement. Cet effort n'est néanmoins pas aisé dans un pays où l'on n'aime finalement guère flécher les choses.

En matière d'inceste, par exemple, la judiciarisation assortie d'un bon accompagnement conduit, statistiquement, à réduire presque à néant la récidive. J'avais créé un groupe interdisciplinaire au sein du centre hospitalier Philippe-Pinel dans les années 1990. Une équipe de psychologues réunis en association prenait ainsi en charge des familles qui vivaient de nouveau ensemble après la condamnation du père pour inceste.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Quelle est votre opinion sur la justice restaurative ?

Par ailleurs, lors de notre récente visite du centre pénitentiaire historique de Caen, qui héberge 80 % d'AICS, mes collègues de la mission conjointe de contrôle et moi-même avons constaté que les profils étaient de plus en plus jeunes. On peut certainement lier la recrudescence de ces comportements à quantité de facteurs, dont l'influence de la pornographie et des réseaux sociaux. Comment la société peut-elle s'en défendre ? De tels comportements vont en effet totalement à rebours de l'évolution naturelle de notre civilisation, qui tend à l'égalité hommes-femmes, à la moindre acceptation et à la pénalisation des violences, en particulier des violences sexuelles.

Vous évoquiez, pour l'inceste, une forme de prévention passant par des messages à destination du grand public. N'y aurait-il pas aussi, à l'égard des plus jeunes, des messages à faire passer ? Comment les leur transmettre ? Faut-il utiliser ces mêmes réseaux sociaux qui diffusent des messages inverses, afin que la jeunesse se rappelle que la norme, c'est le consentement, la non-violence et l'égalité entre hommes et femmes ?

Dr. Laurent Layet. - La justice restaurative représente indéniablement une avancée. Elle est une autre manière d'aborder la question de la transgression. Nous la voyons aujourd'hui s'ébaucher et elle a encore besoin de se structurer. Les pays anglo-saxons, notamment le Canada, beaucoup plus avancés que nous sur le sujet, nous l'ont inspirée.

En ce qui concerne les jeunes auteurs de violences sexuelles, jusqu'à présent, dans l'analyse des risques de récidive, nous identifiions deux ensembles distincts. D'un côté, les auteurs d'infractions à caractère sexuel sur des femmes adultes, présentant plutôt des profils antisociaux, caractérisés par des actes de transgression, dont la transgression sexuelle. De l'autre, les auteurs de violences sexuelles sur mineurs, avec deux sous-groupes : les auteurs de violences sexuelles sur mineurs incestueux à l'intérieur de la famille et les auteurs de violences sexuelles à l'extérieur de la famille, le second étant le plus préoccupant sous l'angle de la récidive.

Désormais, il s'y ajoute la question de l'âge d'auteur, dont on s'aperçoit en effet qu'il tend à diminuer. Le phénomène renvoie, me semble-t-il, à la notion très large de transgression, dont la traduction en actes infuse la délinquance en général et ne se résume pas à la seule sexualité.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - L'âge de la transgression diminue-t-il ?

Dr. Laurent Layet. - Oui, cet âge diminue, en même temps qu'augmente le phénomène de la transgression adolescente, que l'on prend désormais en compte, après l'avoir quelque peu passé sous silence.

Dr. Roland Coutanceau. - L'aspect social de la question est le plus important. Les films pornographiques mettent en scène une sexualité qui n'est pas la sexualité relationnelle réelle. Je me souviens d'avoir entendu un jour dans un groupe un homme me dire : « Mais où sont ces femmes que l'on voit dans les films pornographiques ? Je n'en rencontre jamais aucune. » Je n'affirmerai pas que tous les hommes sont inconséquents, mais leur rapport à la sexualité reste quand même assez primaire.

Il y a une nocivité, une pathogénie pour nos adolescents à regarder des films pornographiques sans médiation par l'adulte. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils ignorent que ces représentations de la sexualité et de la féminité ne sont pas vraies. Mais nos sociétés ont mis à la disposition des hommes une visualisation extraordinairement sombre de la violence physique, de la violence sexuelle, avec des mises en scène qui ne correspondent pas à la réalité relationnelle de l'être humain. Et cette représentation touche le plus directement les jeunes hommes.

Nous nous situons là au coeur de votre mission. Il faut renforcer les messages sur le consentement et le sens de ce mot, car mon expérience de psychiatre m'a appris que la plupart des gens peuvent dériver dans un contexte où ils sont seuls avec un autre être humain, et plus souvent encore en l'absence de verbalisation. Rappelons par ces messages que c'est toujours un minimum que de demander : « Tu veux ou tu ne veux pas ? », et qu'un être humain alcoolisé ne peut pas être consentant. Ces messages sont des antidotes au rapport de nos jeunes avec la pornographie.

Dr. Charles-Olivier Pons. - La diminution de l'âge de la transgression s'enracine dans un phénomène bien antérieur à l'accès à la sexualité et à sa désinhibition. Nous sommes passés de la figure de l'enfant roi à celle de l'enfant tyran, et nous avons désormais des enfants dieux auxquels on adresse des prières pour la moindre chose. Les violences et agressions dont nous traitons sont ainsi également la projection néolibérale d'objets à posséder et d'images qu'il faut donner de soi.

Nous assistons à l'émergence de générations d'enfants qui ne comprennent pas que des fonctions de surmoi puissent se mettre en place pour limiter le rapport à l'autre, pour accéder à l'empathie et pour comprendre les conséquences de ses actes sur autrui.

M. Florent Simon. - Je suis bien sûr favorable à la justice restaurative, pour autant qu'elle soit possible, puisqu'elle requiert l'accord de la victime. Et c'est tout l'enjeu, particulièrement chez les mineurs. Surtout, la question se pose de son périmètre, de sa mise en place et de savoir qui la mène.

Un mot sur les messages relatifs au consentement. Il est très important de les marteler. Ils constituent d'ailleurs l'une des composantes, avec la protection des victimes et la création de juridictions spécialisées, du programme que l'Espagne applique en matière de prévention de la récidive des violences et agressions sexuelles. Dans ce pays, de tels messages ont fait l'objet de tout un travail de communication et des sondages ont servi à en mesurer l'écho dans la population. Jusqu'à 90 % des personnes interrogées les avaient entendus du fait de leur répétition. Cette approche peut être une option assez intéressante.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure de la commission des lois. - Vous nous avez expliqué que, si la récidive s'avère extrêmement difficile à prédire, un certain nombre de facteurs peuvent néanmoins aider à déterminer l'existence de risques de récidive chez un AICS. Vous avez ainsi évoqué des analyses probabilistes et statistiques. Alors que s'ouvre à Paris le sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle (IA) et que nous nous interrogeons sur le caractère éthique de ses algorithmes, ne pensez-vous pas possible que des biais existent dans les tests que vous utilisez, lesquels recourent également aux outils informatiques ? Une partie des tests qui proviennent des pays anglo-saxons sont justement pointés du doigt pour de tels biais. Vous êtes-vous enquis de cette question dans vos structures respectives ? Et devrions-nous la prendre en compte dans les recommandations que nous pourrions formuler au terme de nos propres travaux ?

Dr. Laurent Layet. - Les échelles d'évaluation sont en effet des outils statistiques algorithmiques et il faut indéniablement reconnaître qu'elles ont progressé.

Auparavant, des cliniciens de l'ancienne école s'en tenaient, pour l'évaluation de la dangerosité d'un patient, à une rencontre en tête-à-tête d'une à deux heures. La pratique a montré la totale inefficacité de cette approche, avec un taux d'erreur de l'ordre de 60 %.

Il a ensuite été proposé de détacher l'évaluation de l'évaluateur, en s'en remettant cette fois à une check-list que tout un chacun pouvait remplir pour déterminer un taux de dangerosité. Le résultat n'a pas non plus été probant.

On a donc essayé de croiser les deux approches, en utilisant des échelles qui prennent en compte une dimension clinique et que seuls des cliniciens peuvent remplir. Certains critères pourront ainsi être déterminés par une IA, mais nécessiteront toujours une appréciation clinique.

Prenons l'exemple de l'impulsivité. On ne peut affirmer qu'une personne est ou n'est pas impulsive, car la réalité s'avère plus nuancée que cela. Le niveau d'impulsivité est en fait gradué, et il peut varier en fonction de facteurs tels que la consommation de substances toxiques. Le déterminer suppose non seulement d'utiliser des items connus et référencés dans la littérature criminologique, mais de coter et de pondérer chacun d'entre eux.

En l'état, je ne pense pas qu'une IA atteigne une telle finesse de l'analyse, qui prenne en compte tous les critères et éléments, verbaux ou non verbaux, d'un dossier. C'est pourquoi, à mon avis, la vision d'un clinicien reste absolument indispensable.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure de la commission des lois. - Ce n'est pas tout à fait ma question et je ne doute guère du fait que, dans vos métiers comme dans d'autres, les outils numériques sont une aide à l'évaluation et à la décision qui ne dispensent pas du travail humain d'analyse.

J'évoquais la possibilité de biais, dont certains dénoncent la présence dans les algorithmes, parce que ce n'est pas vous qui les construisez. Ces biais peuvent être liés notamment au genre, à l'origine ou à l'âge. En tenez-vous compte ?

Dr. Laurent Layet. - Assurément. Cependant, ces échelles d'évaluation, constituées d'un ensemble de critères validés, permettent elles-mêmes d'éliminer un certain nombre de biais inhérents aux rapports humains qui s'établissent entre le professionnel et la personne qu'il évalue. Selon la qualité de la relation qui s'établit entre eux, le risque existe toujours que le premier surévalue ou, au contraire, sous-évalue la dangerosité de la seconde.

Pour autant, une part d'appréciation clinique demeure et celle-ci est une appréciation humaine, avec ce que cela comporte de possibilité d'erreur, comme dans toutes les disciplines médicales. La psychiatrie n'y échappe pas.

Dr. Roland Coutanceau. - Ces échelles ont apporté des données statistiques, fruits de travaux factuels et approfondis, au clinicien et celui-ci peut les utiliser de manière souple, en en pondérant les critères. J'évoquais trois facteurs statistiques de risque de récidive après un premier passage à l'acte sur une victime adulte. Leur conjonction signifie non que l'on stigmatisera davantage l'auteur, mais qu'un suivi plus attentif en milieu carcéral est opportun.

Nous nous sommes aperçus, à partir d'une expérience menée aux États-Unis, que des évaluations purement cliniques conduisaient, quelle que soit la spécialité professionnelle, à des surévaluations du risque de récidive.

M. Christian Ballouard. - Les biais sont majeurs et d'origine essentiellement culturelle, avec le passage d'une culture à une autre. Nous pouvons nous inspirer de ces échelles d'évaluation uniquement lorsqu'elles servent de guide pour un entretien clinique classique.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Il a été question du passage de l'état de victime à celui d'auteur. Pouvez-vous nous en dire plus sur les facteurs de transition que vous avez identifiés ?

Quelles sont par ailleurs vos propositions de formations pour le métier de la psychologie légale ainsi que pour sa reconnaissance ?

Pensez-vous que l'expertise systématique des AICS soit justifiée ? L'expertise est-elle de même automatique pour d'autres types d'infractions ?

M. Christian Ballouard. - Oui, l'expertise est obligatoire pour certains crimes et délits.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Constatez-vous comme moi, et comme l'observe la Chancellerie elle-même, un développement, en matière de justice civile, du recours aux expertises psychiatriques ou psychologiques ? Les juges aux affaires familiales (JAF), en particulier, les utilisent de plus en plus fréquemment lorsqu'ils ne parviennent pas à démêler une séparation et à trancher la question de la garde des enfants. N'en est-il alors pas fait un usage quelque peu excessif, d'autant qu'elles mobilisent des ressources humaines déjà assez rares ?

À l'attention de M. Pons, je précise que nous ne négligeons pas de travailler, au sein de la mission conjointe de contrôle, sur les aspects médico-sociaux de la prévention de la récidive. J'ai personnellement exercé, par le passé, des fonctions dans ce secteur.

Quant aux Mecs, où l'on constate des agressions sexuelles de mineurs sur mineurs, on observe parfois qu'il y préexistait des agressions sexuelles commises par des adultes qui n'avaient été dénoncées. Du reste, notre difficulté actuelle, quand nous essayons de quantifier les faits de violences sexuelles, spécialement dans des institutions où une chape de plomb était de mise, tient à savoir si c'est leur nombre qui augmente ou celui de leurs dénonciations et l'intérêt que l'on y porte.

Enfin, il existe une catégorie de violences sexuelles sur mineurs que vous n'avez pas abordée, mais qui me paraît importante. Elle renvoie aux agresseurs qui ont choisi des métiers impliquant la fréquentation régulière d'enfants, comme les ecclésiastiques ou les éducateurs sportifs.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - Nous avons entendu en audition des procureurs de la République et des procureurs généraux. L'un d'entre eux nous a indiqué qu'il leur arrive fréquemment de ne pas engager de poursuites, faute de disposer de preuves matérielles suffisantes. D'après vos explications, une expertise, psychologique ou psychiatrique, a dû être menée pour les personnes concernées. Lorsqu'elles récidivent, l'expert initialement missionné en est-il averti ? Dans l'affirmative, procède-t-il à une évaluation de son analyse ?

Dr. Laurent Layet. - Si l'expertise est systématique en matière criminelle dans la pratique des juges d'instruction, qui désignent un expert psychiatre, un expert psychologue ou un enquêteur de personnalité, les textes ne la prévoient pas. Quand vous évoquez l'intervention des procureurs de la République, nous nous trouvons non au stade de l'instruction, mais plutôt à celui de l'enquête, et notamment de l'enquête de flagrance.

Les facteurs de transition de victime à auteur sont les troubles de l'attachement et les expériences adverses. Il faut aujourd'hui être capable d'accepter qu'un auteur ait pu être victime sans que cela n'atténue sa responsabilité. Toutes les victimes ne deviennent en effet pas auteurs. Mais plus on a été confronté tôt à la violence physique ou sexuelle, soit comme témoin soit comme victime directe, plus le risque du passage au statut d'auteur est fort. Et moins on bénéficie d'un support familial solide, moins on peut se rattacher à des schémas protecteurs, et plus grand est le risque du passage à l'acte. Ces facteurs de transition sont aujourd'hui connus et permettent une analyse assez fine du risque. Les spécialistes parlent à présent de cycle de violences, dans lequel une même personne peut être tour à tour victime et auteur. L'approche permet de mieux comprendre les situations, mais comprendre ne signifie pas excuser.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Nombre d'AICS disent avoir eux-mêmes été victimes de ce type d'infractions.

Dr. Charles-Olivier Pons. - Les Mecs sont des institutions aujourd'hui dévastées, où la Loi, celle de l'interdit, n'est plus transmise, mais où le secret prévaut encore en cas d'agressions sexuelles entre enfants ou d'adultes sur des enfants. Nous recevons dans les CMP des adolescents qui nous expliquent ce qu'ils endurent dans les Mecs ou dans des familles d'accueil censées les protéger de ce qu'ils ont déjà enduré dans le milieu d'origine et qui a provoqué leur placement.

À Lons-le-Saunier, j'ai dernièrement accompagné en CMP plusieurs adolescentes agressées par un éducateur sportif qui s'est suicidé au moment où les faits ont été dévoilés. Il n'y aura donc pas de procès et il ne nous reste qu'à les féliciter de leur courage d'avoir osé parler. Le dépôt de plainte permet que les faits ne se reproduisent pas, en protégeant d'autres jeunes filles ou garçons.

Le travail d'accompagnement dans les Mecs ou dans d'autres structures nécessite aussi que ses artisans, confrontés à l'effraction de l'intime d'autrui, soient en permanence dans ce que l'on appelle l'analyse du transfert et du contre-transfert. Je m'inscris personnellement dans le courant de la psychothérapie institutionnelle, pour lequel il importe de nommer et de parler de toutes les transgressions.

M. Florent Simon. - La formation des psychologues est une question quelque peu complexe. Il existe en France à peu près 199 parcours de master différents. C'est dire l'émiettement de cette formation. Certains parcours traitent certes de l'expertise, du travail en administration pénitentiaire, au service de la PJJ ou de l'aide sociale à l'enfance (ASE), mais aucun n'est parfaitement calibré pour l'exercice de la psychologie légale. Quant aux diplômes d'université (DU), ils restent assez rares et s'avèrent parfois éloignés des préoccupations du terrain.

Le SNP prône le passage à un doctorat d'exercice pour tous les psychologues, ce qui renforcerait les pratiques cliniques de terrain, sur le modèle québécois. Néanmoins, l'expertise des professionnels s'enrichit aussi de la diversité de leurs parcours respectifs.

M. Christian Ballouard. - Il a été question de relever la formation des psychologues au niveau du doctorat, les professionnels des secteurs paramédicaux étant désormais titulaires de masters.

Les expertises décidées par les JAF ne sont, c'est exact, pas toutes pertinentes. En matière criminelle, les expertises sont systématiques au stade de l'instruction et, en amont, les procureurs de la République recourent également aux services d'experts.

La sous-évaluation des situations de violences et d'agressions sexuelles apparaît manifeste, à la faveur de l'augmentation du nombre des dénonciations dans un contexte sociétal qui évolue.

Enfin, on estime à un tiers la proportion des AICS qui ont eux-mêmes été victimes d'infractions de la même nature.

Dr. Roland Coutanceau. - Dans les expertises que nous réalisons, nous constatons que, le plus souvent, les personnes abusées qui deviennent agresseurs sont celles qui n'ont pas parlé de l'agression sexuelle qu'elles ont subie. Et elles ne la reconnaissent qu'au moment de leur interpellation. Dans un objectif de prévention, la société a tout intérêt à favoriser plus tôt leur parole.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - N'obtiendrai-je pas de réponse à ma question sur l'évaluation par les experts de leur analyse en cas de récidive ?

Dr. Roland Coutanceau. - Vous surestimez le rôle de l'expert psychiatre dans les affaires où il est nommé par le procureur de la République au stade de la garde à vue. Sa première expertise n'évalue alors pas à proprement parler la dangerosité criminologique du mis en cause ; elle indique au procureur s'il est ou non malade mental et en précise la personnalité.

Les procureurs conservent cependant la possibilité de recourir à une expertise différée de six à huit semaines. Le professionnel intervient alors dans de meilleures conditions et l'on peut être plus exigeant sur son travail.

M. Christian Ballouard. - L'expert est déchargé dès lors qu'il rend son rapport et n'est pas tenu informé de ce qui se passe après.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - Il n'y a pas de retour d'expérience en cas de réitération ? Et le même expert peut-il être désigné une seconde fois ? Est-ce d'ailleurs souhaitable ?

Dr. Laurent Layet. - Il n'y a pas de règle, mais il est certain que plus l'expert bénéficiera d'éléments objectifs - lesquels lui sont souvent difficiles à obtenir, y compris en cas d'expertise différée -, plus son évaluation sera pertinente.

M. Christian Ballouard. - Quel que soit l'âge, si l'on repère une structure perverse, qu'il s'agisse d'un violeur de rue ou d'un autre type de délinquant, on va être plus vigilant sur une éventuelle récidive.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - Quel est le taux de féminisation de votre profession ?

Dr. Laurent Layet. - Les femmes réussissent mieux dans les études médicales, donc, mécaniquement, il y a plus de femmes dans notre profession. Cependant, la question de la pénurie reste prégnante.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois. - Je pense que les femmes n'analysent pas ces phénomènes de la même façon. La mixité serait, me semble-t-il, intéressante dans les équipes pluridisciplinaires.

Dr. Laurent Layet. - C'est même indispensable !

Dr. Charles-Olivier Pons. - On retombe sur le problème de la pénurie de praticiens. Il m'est arrivé de refuser une expertise pour une femme violente à la maison, car je suivais sa propre fille en CMP.

M. Florent Simon. - Les femmes représentent 85 % des psychologues.

Mme Laure Darcos. - Je voulais revenir sur les très jeunes délinquants sexuels. J'ai eu l'occasion de visiter le centre éducatif fermé (CEF) de l'Essonne. Les professionnels que j'y ai rencontrés m'ont rapporté des propos effarants d'un adolescent de 14 ans ayant participé à un viol en réunion. S'il n'est pas pris en charge dès son plus jeune âge, je pressens que la suite sera dramatique. Est-ce que vous intervenez également dans les CEF ?

Dr. Roland Coutanceau. - Soyons optimistes pour terminer. Tous les psychiatres vont être formés à l'expertise. Les psychologues se forment aussi au psycho-légal et à la psycho-criminologie.

La rémunération s'est améliorée. Rien à voir avec l'époque où l'on allait aux assises pour 40 euros.

La pénitentiaire a consenti un important effort de formation pour ses personnels. La PJJ est plus timide, mais elle se met aussi à la psycho-criminologie et à la psycho-sexologie. Il me semble important de mieux travailler dans les CEF. Les choses se sont améliorées depuis 20 ans, mais il reste des efforts à faire pour mieux utiliser le temps où l'adolescent est cadré, avec des psychologues de plus en plus formés. Il y a d'ailleurs un centre de ressources en région parisienne.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Le Savi à Migennes prend justement en charge les mineurs auteurs, mais aussi les mineurs victimes. Beaucoup d'entre eux sont les deux et, une fois qu'ils prennent conscience qu'ils ont été eux-mêmes victimes, ils se rendent compte de la gravité de ce qu'ils ont fait.

Dr. Charles-Olivier Pons. - Le CEF peut aussi être un lieu d'apprentissage d'autres formes de délinquance, ce qui fait hésiter les juges à prononcer le placement, d'autant que le jugement arrive parfois 65 mois après le passage à l'acte. Dans le Jura, nous essayons de recevoir très tôt les agresseurs et les agressés dans des salles « Mélanie » pour commencer le travail bien avant la décision.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - La réforme du code pénal des mineurs a permis de réduire les délais.

Cette table ronde a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

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