II. ACCÉLÉRER LE RATTRAPAGE : POUR UNE « SOLIDARITÉ RÉELLE »

La loi du 11 février 2005 a été mise en oeuvre plus lentement, voire tardivement dans les outre-mer. En Guyane, à Mayotte, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les retards sont même majeurs.

Toutefois, depuis quelques années, un sursaut est constaté partout qui pose les bases d'un chemin vers un rattrapage structurel. Ceci vaut aussi pour les collectivités du Pacifique, bien qu'elles échappent à la loi du 11 février 2005 et exercent pleinement la compétence dans ce domaine.

L'enjeu est donc de consolider et accélérer cette dynamique, sans modifier les équilibres de la loi du 11 février 2005. Le cadre législatif apparaît globalement adapté aux outre-mer dans leur diversité, sous réserve de quelques ajustements. Le défi principal reste celui de l'application de la loi.

A. MIEUX CONNAÎTRE ET FAIRE RECONNAÎTRE LES SITUATIONS DE HANDICAP OUTRE-MER

La question du handicap est désormais portée politiquement dans les outre-mer et les zones d'ombre s'estompent - tabous, invisibilisation, sous-déclaration. Toutefois, des progrès importants restent possibles et nécessaires pour cartographier précisément les situations de handicap. Ce préalable doit permettre d'apporter des réponses mieux planifiées et coordonnées.

1. Vers une meilleure représentation des outre-mer dans les instances nationales

Lors de son audition, Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), a admis les difficultés à faire émerger la voix des outre-mer dans le débat sur la politique du handicap, et plus encore celle des personnes handicapées ultramarines dans le débat public.

Au sein même de la CNCPH, ce constat est partagé. Jérémie Boroy a notamment expliqué que pour la première fois, la CNCPH a lancé « un grand appel à candidatures pour que les associations gouvernées et administrées par des personnes concernées candidatent et participent à nos travaux. [...] Parmi les centaines de candidatures reçues, une seule venait cependant d'un territoire ultramarin, ce qui nous a interrogés sur les moyens que nous nous étions donnés pour susciter ces candidatures ».

De manière plus générale, la mission constate que les textes précisant la composition du CNCPH ne prévoient aucune représentation garantie des outre-mer, aussi bien au niveau des associations, des collectivités ou des personnalités.

La mission recommande donc de modifier les articles D. 146-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles, afin de prévoir une représentation spécifique des acteurs ultramarins au sein du CNCPH composé actuellement de 160 membres.

Recommandation n° 1 : Assurer une représentation des outre-mer au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées.

Par ailleurs, la création par la CNCPH d'une « nouvelle délégation dédiée au suivi territorial des politiques » doit être encouragée. Une première conférence des territoires a été organisée avec le département des Landes en décembre 2024. Une prochaine conférence devrait être organisée dans un outre-mer fin 2025 ou début 2026. Il faut espérer que cet engagement sera tenu.

2. Fiabiliser les données et les échanges d'information

Comme vu supra (voir I.A.), les données manquent de fiabilité, de précision et sont difficilement consolidées.

Des progrès sont toutefois observés depuis deux ans.

La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) vient de mettre en ligne son portail « Data autonomie » consacré à la diffusion en open data d'indicateurs et à la mise à disposition de données de l'offre médico-sociale22(*).

D'autres outils sont aussi disponibles. L'observatoire de l'offre23(*), les portraits des territoires24(*) et le baromètre maison départementale des personnes handicapées (MDPH)25(*) couvrent les outre-mer. Par ailleurs, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) met à jour et réunit l'ensemble des données actuellement disponibles sur la situation des personnes handicapées en France, y compris dans les outre-mer en y consacrant des développements particuliers.

Par ailleurs, la CNSA soutient actuellement deux recherches sur le handicap via le programme Autonomie IReSP CNSA 2024 sur l'adéquation entre les attentes des personnes concernées et l'offre médico-sociale dans les outre-mer.

Pour autant, d'autres actions doivent être conduites pour encore fiabiliser ces données. L'enjeu est essentiel pour mieux planifier les politiques, ajuster les dispositifs aux besoins et renforcer la lisibilité de l'offre de services.

a) La formalisation d'observatoires

Plusieurs territoires ont mis en place des observatoires ou des dispositifs assurant une meilleure remontée des informations du terrain.

La MDPH de La Réunion a été, en 2011, une des premières en France à entreprendre une estimation populationnelle du handicap à l'échelle départementale. Cette mission d'observatoire permet aujourd'hui une cartographie précise de l'ensemble des bénéficiaires d'un droit actif, avec des données détaillées par types de déficiences et une finesse statistique croissante.

La Réunion veut aller encore plus loin. Pour Déva Radakichenin, directeur de la MDPH, « un travail est en cours, nécessitant validation et consolidation, afin d'intégrer des dimensions supplémentaires telles que le mode de vie, le type d'hébergement et les ressources des personnes concernées. Cet approfondissement repose sur l'exploitation du système d'information harmonisé, qui enrichit considérablement la connaissance des publics en situation de handicap ».

En Guadeloupe, la MDPH a conventionné avec le centre de ressources - observatoire des inadaptations et des handicaps (CR-OIH), afin de mieux exploiter les données à sa disposition et faire remonter des informations de terrain. Les premiers résultats devraient bientôt arriver. L'objectif pour Elizabeth Laumord, directrice, est donner aux décideurs les outils pour construire des parcours cohérents, sans rupture, en identifiant et anticipant les besoins.

De manière plus générale, Jérémie Boroy, président du CNCPH, réclame « la mise en place d'un observatoire des besoins, au-delà de la connaissance de la situation déclarée des personnes, quand elle est déclarée, puisque de nombreuses personnes ne déclarent pas leur situation et n'accèdent pas à leurs droits, notamment dans les territoires ultramarins. Des écarts extrêmement importants sont observés dans les territoires ultramarins ».

b) Moderniser et harmoniser les systèmes d'information

Pour les outre-mer, la CNSA pointe trois chantiers en particulier : améliorer l'interopérabilité des différents systèmes d'information du secteur médico-social, déployer les dossiers usagers informatisés (DUI), construire un système d'information (SI) commun aux MDPH.

S'agissant de ce dernier chantier, il s'inscrit dans le déploiement national du programme « système d'information commun des MDPH ». Lancé fin 2015, ce programme était une réponse à l'extrême hétérogénéité des SI utilisés. La loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement a chargé la CNSA de définir des normes permettant de garantir l'interopérabilité, c'est-à-dire, la bonne transmission des informations, entre les systèmes d'information des départements, des MDPH et des partenaires.

Laurent Legendart, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Guadeloupe, observe que les MDPH, conçues comme un lieu unique de gestion des demandes depuis la loi de 2005, ont été créées sans imaginer un SI unique. En fonction des territoires, des logiciels avancés ont été conçus, tandis que dans certains, le tableau Excel a pu longtemps faire office de SI.

Le programme lancé en 2015 par la CNSA doit donc remédier à ce défaut originel.

Toutefois, dans les outre-mer, le déploiement du SI commun se fait en ordre dispersé.

À La Réunion, le logiciel a été déployé il y a cinq ans.

En revanche, à Mayotte, le chantier débute seulement. Pour Ségolène Meunier, directrice de la MDPH de Mayotte, « l'objectif est d'aligner les performances sur celles des autres départements et de permettre l'échange de flux avec nos partenaires comme France Travail ».

Même constat en Guyane. Le SI utilisé reste inadapté avec des interfaces compliquées avec les partenaires et pour les usagers. Par ailleurs, la MDPH de Guyane déplore un SI inadapté aux singularités guyanaises, notamment les tarifs spécifiques permettant le calcul de la prestation de compensation du handicap (PCH). Ces tarifs ne sont pas les mêmes en Guyane et ces derniers ne sont pas intégrés dans le logiciel, ce qui rallonge les tâches des agents.

En Martinique, la dynamique était engagée. Mais Jean-Luc Rilos, directeur par intérim de la maison Martiniquaise des personnes en situation de handicap (MMPH), déplore que la cyberattaque survenue en mai 2023 contre la collectivité territoriale l'ait brutalement interrompue. Hébergée par les serveurs de la collectivité, la MMPH a subi une panne généralisée de son système d'information : tous les accès informatiques ont été bloqués (dossiers, courriels, plateformes de téléservices, etc.), contraignant les équipes à un retour au format papier. Cette régression a profondément désorganisé les services. En 2024, les délais de traitement excèdent de nouveau neuf mois.

Un travail de fond a été entrepris afin de restaurer une gestion électronique efficiente des dossiers. La CNSA continue d'accompagner cette relance, via un avenant à la convention Mission d'appui opérationnel (MAOp) prolongé jusqu'au 31 août 2025. Le nouveau système d'information, désormais hébergé à la collectivité territoriale de Martinique (CTM), impose une réorganisation complète.

Ce besoin d'un SI performant, interfacé avec les partenaires (ARS, Éducation nationale, CAF...), est aussi exprimé par les collectivités du Pacifique.

Selon Karen N'G, conseillère auprès de Thierry Santa, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en charge de la politique du handicap, « une refonte complète des systèmes d'information est prévue, avec la mise en place d'un outil permettant une interconnexion entre les différents acteurs du secteur. Cette approche permettra également de disposer d'une base de données centralisée, indispensable pour un pilotage efficace des politiques publiques. Par ailleurs, le site Handicap.nc fera l'objet d'une amélioration significative, afin d'offrir davantage de contenus sur les parcours « senior » et « handicap » ».

Recommandation n° 2 : Achever d'ici fin 2026 le déploiement du système d'information commun dans les MDPH ultramarines, grâce à une mission d'accompagnement renforcé de la CNSA.

3. Développer le « aller vers »

Les lacunes de la détection précoce et la sous-déclaration des personnes en situation de handicap dans certains territoires ultramarins conduisent les acteurs à développer des stratégies de proximité pour « aller vers » le public.

C'est particulièrement le cas dans les territoires les plus isolés ou en situation de double insularité comme les communes de l'intérieur en Guyane, l'archipel de la Guadeloupe ou les îles polynésiennes.

C'est aussi une nécessité là où le handicap demeure tabou ou caché. En allant vers les publics, au plus près de leurs lieux de vie, l'objectif est de réduire la distance institutionnelle et de banaliser la démarche de déclaration. C'est aussi une manière d'avoir une meilleure cartographie du handicap.

À Mayotte, où le handicap reste souvent caché et pris en charge dans un cadre exclusivement familial et privé, le « aller vers » est un impératif désormais identifié par les acteurs politiques.

Madi Velou, vice-président du conseil départemental de Mayotte, en charge de l'action sociale, observe que dans les quartiers et villages, beaucoup d'adultes et d'enfants ne viennent pas vers les associations et encore moins vers la MDPH pour l'ouverture de leurs droits.

Pour Ségolène Meunier, directrice de la MDPH de Mayotte, la présence de la MDPH sur le terrain a démontré son efficacité dans l'amélioration de l'accès aux droits. Ainsi, l'ouverture d'une antenne à Dembéni, plus au sud, et l'organisation de permanences régulières dans des maisons France services de plusieurs communes éloignées du chef-lieu ont permis de doubler le nombre de dossiers déposés jusqu'alors sur le site de Mamoudzou - il a été porté à près de 2 000.

Pour prolonger et accentuer la présence locale, deux minibus équipés seront mis en service en juin prochain pour devenir des bureaux mobiles de la MDPH, afin d'avoir des chiffres précis dans chaque village. Par ailleurs, une antenne supplémentaire sur Petite-Terre sera ouverte avant la fin de l'année.

En Guyane, une politique d'« aller vers » est aussi enclenchée et produit ses premiers résultats. Le nombre de dossiers déposés chaque année augmente fortement depuis trois ans : 3 851 en 2022, 4 623 en 2023 et 5 017 en 2024.

Pour Aminata O'Reilly, directrice de la MDPH Guyane, la dispersion des populations, en particulier le long des fleuves et dans les communes de l'intérieur, oblige à développer une stratégie fondée sur des partenariats locaux et des équipes mobiles. Il n'y a pas d'autres solutions, mais ces solutions mobiles avec des temps de trajet sans commune mesure avec ceux d'un département hexagonal, impactent la disponibilité des agents pour d'autres fonctions essentielles, comme l'évaluation, l'instruction des droits ou l'accompagnement administratif.

Gildas Le Guern, directeur général de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) Guyane, a cité le projet de Centre de Ressources Multihandicap, porté par l'APAJH Guyane depuis 2011. Ce centre, à caractère expérimental, propose sur l'ensemble du territoire des actions d'accueil, d'information et d'orientation pour tous publics et tous types de handicap. Il délivre des conseils pour l'adaptation du logement des personnes en situation de handicap (PSH) ou en perte d'autonomie, ainsi que des prestations de soutien à l'insertion ou au maintien dans l'emploi.

Blaise Joseph-François, directeur général de l'Association départementale de parents et d'amis des personnes handicapées mentales (Adapei) Guyane, a lui aussi mis en avant la nécessité d'équipes mobiles pour intervenir directement au sein des zones les plus reculées, parfois accessibles uniquement par voie fluviale ou aérienne.

En Martinique, où les contraintes géographiques sont pourtant moins aigües, l'objectif de proximité est aussi au coeur des projets. Pour Jean-Luc Rilos, directeur par intérim de la MMPH, une politique de proximité volontariste est conduite : conventions signées avec la quasi-totalité des centres communaux d'action sociale, les mairies, le régiment du service militaire adapté (RSMA), ainsi qu'avec le centre de gestion. Cette stratégie territoriale repose sur trois leviers principaux : la formation des agents partenaires, la désignation de référents identifiés, et le renforcement de l'accessibilité aux démarches administratives.

En Guadeloupe, la délégation a constaté les contraintes particulières des déplacements au sein de l'archipel, notamment vers Terre-de-Bas. Ce constat vaut aussi pour la Désirade, Marie-Galante ou Terre-de-Haut. La tournée régulière d'équipes mobiles est la solution pour offrir un accès à des prestations de qualité.

Dans les collectivités du Pacifique, la problématique est identique.

Marie-Laure Mestre, directrice de la direction des affaires sanitaires et sociales (DASS) de la Nouvelle-Calédonie, a regretté l'abandon du projet d'Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) au bénéfice des jeunes présentant des troubles du comportement. L'idée d'un ITEP mobile, souple et déployé au plus près des territoires, notamment dans les provinces, avait suscité un intérêt marqué. Faute de moyens humains et du fait des départs dans le secteur sanitaire et social, ce projet n'a pu avancer comme prévu en 2024, mais reste une priorité inscrite à l'agenda des prochaines actions de la DASS.

En Polynésie française, le défi est encore plus grand compte tenu des distances entre les îles de l'archipel. Nathalie Salmon-Hudry, déléguée interministérielle au handicap et à l'inclusion du gouvernement de la Polynésie française, a confié qu'à l'occasion d'un déplacement sur l'île d'Anaa, l'une des plus éloignées de l'archipel, aucune personne handicapée n'est venue : « Pourtant, je disposais des chiffres : quarante personnes y sont officiellement reconnues comme handicapées. Là-bas, la honte reste profondément ancrée ».

Recommandation n° 3 : Prioriser le « aller vers » et le déploiement d'équipes mobiles, en particulier à Mayotte et en Guyane, ainsi que dans les territoires archipélagiques.

4. Lutter contre le tabou du handicap

Comme évoqué supra, la perception du handicap demeure sur certains territoires ultramarins complexe et tabou, notamment à Mayotte, en Polynésie française ou en Guyane.

Des progrès ont néanmoins été réalisés, comme dans l'Hexagone. En Guadeloupe ou à La Réunion, l'invisibilisation régresse et les personnes en situation de handicap et leurs proches sont de plus en plus actifs pour faire évoluer les politiques et l'accessibilité, et faire valoir leurs droits.

En Polynésie française, où l'invisibilisation est encore prégnante, Nathalie Salmon-Hudry est un modèle inspirant pour les personnes en situation de handicap (PSH) de ce territoire. Elle contribue à réaliser le voeu de Jérémie Boroy d'une participation démocratique et citoyenne active des PSH.

L'évolution de la perception du handicap passe par une politique globale et ne peut se résumer à quelques mesures. En répondant au défi très large de l'accessibilité (voir infra), la visibilité des PSH progressera automatiquement et cette normalisation contribuera à abattre les tabous.

Toutefois, à côté de cette politique de moyen-long terme, des actions plus immédiates peuvent accélérer le processus.

Outre des modèles inspirants, des actions de communication restent indispensables. Ces dernières doivent se faire dans les différentes langues locales.

En Guyane notamment, tous les supports de communication doivent être traduits dans les différentes langues représentées en Guyane et s'appuyer sur des figures d'autorité, au premier rang desquelles les chefs coutumiers.

La stratégie du « aller vers » participe également à cette stratégie pour éroder les tabous et la perception honteuse qui entoure le handicap.

La hausse remarquable des demandeurs auprès des MDPH ou des bénéficiaires de la PCH constatée dans plusieurs territoires est aussi le résultat d'une évolution des mentalités. À La Réunion, entre 2022 et 2024, les demandes de PCH ont ainsi augmenté de 16 %. En Martinique, depuis la création de la MMPH, on observe une amélioration sensible des représentations et une augmentation du nombre de demandes et de droits attribués, malgré la baisse démographique. Le constat est similaire en Guadeloupe.

5. Communiquer dans les langues régionales et locales

Pour lutter contre le tabou du handicap sur certains territoires, la communication dans les langues locales est indispensable.

Mais de manière plus générale, pour mieux informer, détecter les situations de handicap, les évaluer et y apporter des réponses pertinentes, la question linguistique est une dimension de l'action publique incontournable.

À Saint-Martin où la langue anglaise est parlée plus couramment que le français, la mission a pris la mesure de cet enjeu à l'occasion de la visite d'une classe unité localisée pour l'inclusion scolaire (Ulis) au lycée Daniella Jeffry. La participation à un cours et les échanges avec l'équipe éducative et les élèves ont été très riches d'enseignements.

Pour Azeddine Frahetia-Kebabi, inspecteur de l'Éducation nationale (IEN) - adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés (ASH), le contexte allophone n'est pas assez considéré, au point de fausser des diagnostics. Des enfants se retrouvent dans la mauvaise case, ce qui ne peut que nuire à leur accompagnement.

Au coeur du projet éducatif de l'île, un important travail de bilinguisme est mené à Saint-Martin avec des classes bilingues depuis quelques années. Mais il ne peut suffire à mieux détecter et évaluer correctement les élèves ayant des besoins spécifiques.

La qualité des tests psychométriques est affectée par la question allophone et rend plus délicate la distinction entre échec scolaire et handicap.

Il est impératif que le contexte allophone des outre-mer, très prégnant à Saint-Martin, mais aussi en Guyane ou à Mayotte, et à des degrés variables dans les autres territoires, soit pleinement appréhendé.

Recommandation n° 4 : Pour les populations allophones, penser la politique du handicap au regard de cette réalité, en particulier dans les phases de détection et d'évaluation.

6. Soutenir la détection précoce

La détection précoce reste très fragile, notamment du fait d'un manque de personnels qualifiés. S'y ajoutent parfois les longs délais pour obtenir une évaluation véritable du handicap.

À Saint-Martin, des parents rapportaient le cas de leur fils de 7 ans : détecté à 2 ans, 5 ans après, un vrai diagnostic n'a toujours pas été posé, en raison notamment du manque de professionnels qualifiés sur l'île.

En Guadeloupe, le délai pour un rendez-vous avec un orthophoniste peut atteindre deux ans. Heureusement, ce délai devrait diminuer avec la création récente d'une école d'orthophonie sur ce territoire.

Ces délais encore insupportables, malgré les progrès réalisés, sont des pertes de chance terribles pour les enfants.

Dans le cadre de la Conférence nationale du handicap (CNH) en avril 2023 et du plan « 50 000 nouvelles solutions » médico-sociales à l'horizon 2030, la création du service de repérage, de diagnostic et d'intervention précoce pour les enfants de 0 à 6 ans devrait améliorer la situation, y compris en outre-mer. Prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, le décret est paru.

Cette réforme intervient à la suite de celle des plateformes de coordination et d'orientation (PCO), qui sont un premier niveau de réponses dans l'attente d'une prise en charge plus spécialisée et individualisée après diagnostic par la MDPH, qui ont été élargies aux enfants de 0 à 12 ans, au lieu de 0 à 6 ans.

Sur les 115 millions d'euros dédiés à ce nouveau service de détection précoce, 7 seraient alloués aux outre-mer.

Ce service public doit se traduire notamment par un partenariat renforcé entre les centres de protection maternelle infantile (PMI), les hôpitaux et l'Éducation nationale, ainsi que par l'augmentation des places en centre d'action médico-sociale (CAMS), pour poser un premier diagnostic sans attendre la MDPH.

Toutefois, cet effort budgétaire ne paraît pas encore à la hauteur du rattrapage indispensable, eu égard aussi à la faiblesse des services de PMI dans certains outre-mer, notamment à Mayotte ou en Guyane qui sont les départements les plus jeunes de France.

On saluera néanmoins la priorité donnée à la détection précoce dans le cadre des conventions conjointes signées progressivement entre chaque département ultramarin, les ARS et le ministère chargé du handicap. La convention conclue en Guadeloupe le 10 avril dernier fixe une feuille de route précise pour concentrer des moyens nouveaux sur cet enjeu.

Par ailleurs, il est impératif de faciliter encore l'intervention des professions libérales dans les écoles, notamment pour les orthophonistes ou les psychomotriciens. Le « aller vers » se joue là aussi en mettant à profit ce temps captif dans les écoles pour accompagner les élèves en besoin. C'est d'autant plus indispensable outre-mer que ces professionnels manquent souvent et que les familles précaires peinent à se déplacer. En Guadeloupe, le rectorat a aussi développé depuis trois ans des consultations d'orthophoniste en téléconsultation dans les îles de l'archipel. À Terre-de-Bas, le Centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), à l'initiative du principal du collège, a organisé pour la première fois en avril dernier une mission sur place pour faciliter les déclarations et la détection auprès des familles. Cette expérience devra être rééditée pour s'inscrire dans la durée et aider à briser les tabous en rapprochant les professionnels des enfants.

Les enseignants doivent aussi être plus sensibilisés à cet enjeu de détection, non pas pour porter un diagnostic, mais déclencher l'intervention des professionnels. Lors de la visite du collège des Saintes, le principal a relevé ce rôle de détection. Sans être des experts à même de poser un diagnostic, les enseignants sensibilisés discernent les enfants qui devraient faire l'objet d'une évaluation.

Recommandation n° 5 : Prioriser les outre-mer dans la mise en oeuvre du nouveau service de repérage, de diagnostic et d'intervention précoce et faciliter l'intervention des professions libérales (orthophonistes, psychomotriciens...) dans les établissements scolaires.


* 22  https://data-autonomie.cnsa.fr

* 23  https://data-autonomie.cnsa.fr/pages/observatoire/

* 24  https://cnsa-apps.shinyapps.io/portraits-des-territoires/

* 25  https://cnsa.suadeo.com/Layouts/dashonic/Applications/DashboardPage.aspx?Key=mRhf9Vbd&Plateform=false&OverrideConnection=false&customAppKey=4nloMAqQ#

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