C. JUGULER LA SURPOPULATION CARCÉRALE
La surpopulation carcérale atteint des niveaux tragiques ; elle ne saurait être plus longtemps tolérée et appelle des solutions déterminées, mais aussi innovantes, de la part des pouvoirs publics.
La mission propose, à cet égard, un véritable changement de philosophie de la peine de prison ferme.
Les rapporteures n'ont pu que constater que les expériences de régulation carcérale « par les flux » n'étaient efficaces qu'à court terme - voire à très court terme -, et qu'elles ne constituaient en rien une réponse structurelle permettant, à long terme, de retrouver un taux d'occupation normal dans les prisons. En effet, les alternatives existantes à la prison se heurtent désormais, pour reprendre une expression employée par la Cour des comptes, à un « plafond de verre »222(*) : si les magistrats, pourtant bien placés pour mesurer les conséquences dramatiques de la surpopulation carcérale, continuent à prononcer autant de peines d'incarcération, c'est bien parce que les faits ou les prévenus concernés ne peuvent pas donner lieu - en l'état de la répression pénale - à une peine de milieu ouvert.
Au-delà de la régulation carcérale assumée qui s'exerce dans certaines directions interrégionales, les initiatives du législateur pour limiter le recours à l'incarcération ou pour en limiter la durée effective sont, de toute évidence, des échecs. Non seulement les réformes successives n'ont pas permis de mettre fin à la surpopulation, mais elles ont même aggravé le phénomène, dégradant les conditions de vie des détenus - et les conditions de travail des personnels -, nuisant à l'efficacité de leur prise en charge et renforçant le risque de récidive.
Ce diagnostic invite à une réflexion ambitieuse ; il doit pousser le législateur à ne plus se limiter à une gestion quantitative de la détention, mais à proposer une évolution qualitative prenant en compte les besoins de tous les acteurs de la chaîne pénale.
La surpopulation carcérale est, en effet, un élément clé de la réflexion menée par la mission d'information. Sa résorption est, à l'évidence, la principale condition de faisabilité de nombreuses mesures proposées par les rapporteures, notamment en ce qui concerne l'individualisation de l'exécution des peines, la revalorisation de la réinsertion ou encore la mise en place de très courtes peines de prison ferme.
La lutte contre la surpopulation carcérale est ainsi la mère de toutes les batailles : à défaut pour nos prisons de retrouver un taux d'occupation acceptable, le législateur ne pourra garantir ni la dignité des détenus ni leur suivi effectif - ni in fine l'efficacité de la peine ; plus largement, tant que la surpopulation carcérale n'est pas enfin jugulée, la loi restera impuissante à améliorer l'exécution des sanctions pénales. C'est dans cette optique que les rapporteures ont forgé leurs recommandations, en gardant à l'esprit trois objectifs :
- le nécessaire rétablissement d'une cohérence entre la peine prononcée et la peine réellement exécutée, à la fois pour contribuer à renforcer le sens de la peine (voir supra) et pour limiter les stratégies de contournement de la loi qui ont, en pratique, été observées lors de la mise en oeuvre de chaque modification législative récente en matière d'exécution des peines ;
- corrélativement, l'indispensable affirmation d'une pleine confiance envers les magistrats, premiers responsables du choix de la peine et de ses modalités d'exécution, qu'il convient cependant de doter des outils requis pour assumer pleinement ce rôle ;
- enfin et surtout, la remise en cause de la centralité de la peine de prison ferme grâce à un renforcement de la crédibilité des mesures de milieu ouvert, qui passe en priorité par la revalorisation de la probation sous la forme d'une peine autonome.
La mission n'ignore pas que ces choix auront un coût, en particulier en personnel. Elle souhaite que les moyens prévus par la dernière loi d'orientation et de programmation pour la justice du 20 novembre 2023223(*) soient pleinement mobilisés au service de la réforme proposée, et elle rappelle que l'investissement ainsi consenti sera une source d'économies pour l'avenir, tant est grand le coût de la délinquance pour notre pays et tant l'intérêt bien compris de la société dans son ensemble est de mener une lutte résolue contre la récidive et pour la sécurité.
1. Créer une véritable peine de probation
Le recours, encore fréquent, aux peines de prison ferme a une origine simple : en l'état du droit, l'incarcération est le seul levier dont disposent les magistrats pour réprimer des infractions graves ou pour garantir la mise à l'écart de profils susceptibles de commettre un nouveau délit.
Ce constat explique les pratiques observées par la mission s'agissant tant de l'aménagement des peines (avec une augmentation sensible, depuis 2020, des peines dont la durée est immédiatement supérieure au seuil en deçà duquel l'aménagement est obligatoire) que des libérations anticipées (avec un taux de mise en oeuvre de la LSC-D qui reste en net décalage avec son caractère théoriquement automatique).
Outre les recommandations spécifiquement relatives à ces deux enjeux, qui feront l'objet de développements ci-après, il convient de tirer toutes les conséquences de cette réalité en offrant aux acteurs de la peine de nouveaux leviers pour traiter le cas des condamnés qui sont aujourd'hui envoyés en prison non pas en raison de leur fort ancrage dans la délinquance ou du risque avéré de récidive, mais parce qu'ils présentent des fragilités sociales ou sanitaires qui pourraient, avec des moyens adaptés, être pris en charge à l'extérieur des établissements pénitentiaires. Il s'agit, en d'autres termes, de mettre en place une mesure plus sévère - mais aussi plus crédible dans ses effets sur le condamné - de milieu ouvert pour, en retour, favoriser son prononcé par les magistrats en lieu et place de la prison ferme, ce en quoi les peines alternatives existantes ont échoué.
Tel est le sens de la peine autonome de probation dont la mission propose la création en remplacement de l'actuel sursis probatoire.
Proposition n° 12
Créer une peine autonome de probation.
Une telle orientation avait déjà été envisagée par la commission des lois du Sénat en 2018. Dans un rapport intitulé « Nature, efficacité et mise en oeuvre des peines : en finir avec les illusions ! », Jacques Bigot et le président François-Noël Buffet plaidaient ainsi pour la mise en place d'une peine de probation permettant le prononcé d'une large palette de mesures (injonction de soins, travail d'intérêt général, accompagnement socio-éducatif renforcé, etc.) et pouvant être assortie d'une peine de prison ferme ; ils proposaient que sa durée soit fixée par le juge du fond, et que les obligations auxquelles le condamné est soumis puissent évoluer au cours de l'exécution de la peine grâce à un suivi étroit et rigoureux permettant de mesurer toute modification dans la situation personnelle, familiale, sociale ou économique du condamné. Ils soulignaient que, pour être efficace, une telle peine devait pouvoir être aisément révoquée (c'est-à-dire donner lieu au placement en détention du condamné), faute de quoi elle se heurterait - comme l'ancienne contrainte pénale, abrogée par la loi d'orientation et de programmation du 23 mars 2019 - à un déficit d'appropriation par les magistrats.
La commission avait maintenu sa position lors de l'examen de la LOPJ précitée : son attachement à la peine de probation l'avait conduite à accepter que ce désaccord - conjugué à d'autres - se traduise par une adoption finale du texte selon la procédure du « dernier mot » donné à l'Assemblée nationale.
Cette peine de probation présenterait des connexités avec le placement à l'épreuve auprès des services sociaux italien, distinct du sursis et qui, déjà ancien, semble faire l'objet d'un « retour d'expérience » positif.
Le placement à l'épreuve auprès des services sociaux (Italie)
L'article 47 [de la loi du 26 juillet 1975] prévoit la mesure alternative de placement à l'épreuve auprès des services sociaux (affidamento in prova al servizio sociale), qui permet à certains condamnés d'exécuter leur peine hors de prison, sous supervision et contrôle. Elle est ouverte lorsque la peine à purger ne dépasse pas trois ans (ou quatre ans dans certains cas), selon une appréciation individualisée visant à favoriser la réinsertion du condamné et à prévenir la récidive. Cette durée s'entend de la peine résiduelle effectivement à exécuter, comme l'a confirmé la Cour constitutionnelle224(*).
La mesure est accordée sur la base d'un rapport d'observation de la personnalité, effectué en détention ou, pour les personnes libres, par le bureau d'exécution pénale externe (ufficio di esecuzione penale esterna - UEPE). Le placement peut aussi être accordé aux personnes ayant déjà exécuté une partie de leur peine en détention ou sous contrôle judiciaire (§3-bis), ainsi qu'aux condamnés à des peines substitutives de semi-liberté ou de détention à domicile (§3-ter).
La demande est présentée au juge de surveillance (magistrato di sorveglianza) - équivalent du juge d'application des peines français. En cas d'urgence, celui-ci peut accorder l'application provisoire. Si la mesure est acceptée, un protocole est établi, définissant les obligations : lieu de résidence, emploi, interdictions de fréquentation, engagement envers la victime et obligations familiales. Ces prescriptions peuvent être adaptées en cours d'exécution.
Les services sociaux assurent le suivi du condamné, rendent compte de son comportement, et l'accompagnent dans sa réinsertion. En cas de manquement grave, la mesure est révoquée. À l'inverse, son bon déroulement entraîne l'extinction de la peine et des effets pénaux (hors peines accessoires perpétuelles), avec une possible remise complémentaire de peine en cas de réinsertion effective.
Source : étude de législation comparée ( voir annexe 1)
Parce qu'elle suppose la mise en place d'une véritable « police de la probation », dotée tant d'une culture de la réinsertion que d'une composante répressive en cas de manquement et s'appuyant sur des moyens matériels et humains correctement dimensionnés (voir infra), la peine autonome de probation suppose un effort financier que les rapporteures ne sauraient sous-estimer. Elles considèrent néanmoins que cet effort est justifié par les multiples avantages que présente une telle évolution.
Tout d'abord, la peine de probation permettra, lorsqu'elle est prononcée en assortiment d'une peine de prison ferme, de penser la fin de peine dès le début de la détention. Les obligations auxquelles le condamné sera soumis à l'issue de son incarcération seront, en effet, fixées dès le prononcé du jugement par le tribunal correctionnel, ce qui donnera enfin une visibilité au juge du fond sur l'ensemble du parcours d'exécution de la peine : cette continuité ne pourra que rassurer les magistrats sur la crédibilité de la mesure.
Pour aller encore plus loin, les rapporteures estiment que le juge du fond devrait également être en charge de la définition des modalités de mise en oeuvre des obligations qu'il impose au condamné, y compris lorsque la peine de probation n'est pas conjuguée avec une peine de prison ferme : le tribunal correctionnel pourrait ainsi avoir la responsabilité, s'il dispose des éléments requis, de fixer le rythme du suivi exercé par le service de probation et de prévoir, s'il le souhaite, un accompagnement complémentaire du condamné par des structures associatives habilitées225(*).
Crédible pour les magistrats, la peine de probation doit également l'être pour les condamnés grâce à une procédure souple de révocation et à des dispositions légales assumant les pleines conséquences des manquements constatés. Ainsi, alors que le droit en vigueur prévoit une simple faculté de révocation du sursis probatoire en cas de commission d'une nouvelle infraction ou de non-respect des obligations imposées au condamné, la loi pourrait faciliter l'incarcération de ceux des condamnés qui manquent à leurs devoirs et, surtout, qui ne témoignent pas d'une volonté réelle de sortir de la délinquance et commettent au cours de la probation un nouveau délit. Cette modification crédibilisera le milieu ouvert en tant que forme effective de répression, étant rappelé qu'aujourd'hui, les manquements ne donnent que rarement lieu à des sanctions sérieuses : à titre d'illustration, selon les études conduites par les services du Sénat, les condamnations à une peine de prison ferme prononcées pour une « évasion » dans le cadre d'un placement sous surveillance électronique présentaient à la fois un volume limité (on en dénombre 40 entre 2012 et 2024 sur plus de 1 500 infractions enregistrées - soit seulement 2,6 % d'infractions ayant effectivement mené à une peine de prison ferme) et une faible durée (la moitié d'entre elles étaient inférieures à trois mois, ce qui suggère un faible taux de placement effectif en détention).
La création d'une peine de probation conduira, en outre, à une réévaluation de l'échelle des peines. Sanction d'une nature nouvelle, à la croisée de la prison et du milieu ouvert, elle permettra :
- d'atténuer la place centrale de l'emprisonnement comme peine de référence du droit pénal français ;
- de limiter le prononcé des peines de prison ferme - et notamment celles qui sont aujourd'hui promises à l'aménagement du fait de leur courte durée, attestant que le juge du fond souhaite à la fois donner une chance au milieu ouvert mais se doter d'une « corde de rappel » en milieu fermé en cas d'échec - et, partant, de lutter contre la surpopulation carcérale ;
- de promouvoir une individualisation renforcée des peines, le juge disposant dans ce cadre d'une palette particulièrement large d'obligations susceptibles d'être imposées au condamné : le Sénat avait ainsi souhaité, dès 2019, que la peine de probation puisse obliger le condamné à répondre aux convocations du JAP et à recevoir les visites des CPIP, mais aussi à se soigner, à exercer un emploi, à établir sa résidence en un lieu déterminer, à justifier qu'il contribue aux charges familiales, à réparer les dommages causés par l'infraction, à s'abstenir d'exercer certaines activités ou de paraître en certains lieux, ou encore à accomplir un stage pénal ou un travail d'intérêt général ;- de favoriser la plus grande intégration, par ailleurs souhaitée par la mission, des SPIP au stade pré-sentenciel, puisque leur concours sera indispensable à l'identification des prévenus susceptibles d'être soumis à la probation comme à la définition des obligations associées (voir infra) ;
- de mieux traiter le cas de condamnés actuellement soumis à des peines de prison ferme pour des motifs qui ne tiennent pas à leur dangerosité objective, mais à leur situation personnelle fragile et qui rendent aujourd'hui leur suivi à l'extérieur difficile, voire impossible : absence de garanties de représentation (logement, attaches sociales ou familiales, etc.), troubles addictifs ou psychologiques, grande précarité, etc.
2. Faire enfin de la peine de prison ferme une sanction efficace et dissuasive
Rendue à sa juste place sous l'effet de la création d'une peine de probation, la peine de prison ferme restera essentielle pour les condamnés fortement ancrés dans la délinquance comme pour les infractions les plus graves et les moins tolérables pour la société - violences contre les personnes, infractions sexuelles, trafics... Il faut donc la rétablir comme une sanction efficace et réellement dissuasive.
L'accomplissement de cet objectif passe par la mise à niveau des capacités opérationnelles du parc pénitentiaire française, dont l'insuffisance est attestée par le caractère à la fois pérenne et ancien de la surpopulation carcérale. La mission souhaite, dans ce contexte, que le « plan 15 000 » soit mené à bien dans les plus brefs délais, donc sans nouveau retard d'ici à 2031.
Au-delà du calendrier, le coût de l'opération est un enjeu d'importance dans une période de raréfaction des deniers publics. Pour ne pas obérer le bon achèvement du programme, il appartiendra au Gouvernement, en lien avec les propositions de la mission sur la nécessaire orientation des condamnés au sein des établissements selon leurs besoins et leurs profils, d'évaluer l'étendue des économies budgétaires qui pourraient être permises par la construction de prisons « à sécurité allégée » destinées aux détenus qui présentent un risque sécuritaire modéré au cours de leur incarcération : auteurs de violences intrafamiliales, d'atteintes simples aux biens, etc.
Proposition n° 13
Mener à bien le « plan 15 000 », en s'interdisant tout nouveau retard et en tenant compte de la nécessaire diversification des établissements en fonction des profils des détenus.
Dans le même ordre d'idées, les rapporteures n'ont pu que constater que les quartiers destinés aux profils les plus « durs » (radicalisés, condamnés pour terrorisme, membres de réseau de délinquance ou de criminalité organisée...) pouvaient être un facteur d'aggravation de la surpopulation carcérale, car ils sont en général largement sous-occupés. La recherche d'une juste modularité, mais aussi l'impératif consistant à garantir des conditions dignes de détention aux condamnés incarcérés en maison d'arrêt ou en QMA ne peuvent que conduire à réclamer l'évaluation régulière du nombre de détenus susceptibles de relever de ces quartiers « sécuritaires », afin de libérer des places pour les autres détenus et de réduire la pression qui pèse aujourd'hui sur les quartiers « classiques ».
Toujours dans la même optique, les auditions conduites par les rapporteures ont permis de montrer qu'une partie non négligeable de la surpopulation carcérale découlait du phénomène de « purge des situations pénales », c'est-à-dire découle de sursis dont le juge du fond n'avait pas connaissance au moment du prononcé de la peine et qui « tombent », sans anticipation, au début de la mise à exécution. Sollicité par la mission, le ministère de la justice fait savoir qu'il n'était pas en mesure de quantifier - même approximativement - la prégnance statistique de ce phénomène, ni même de définir avec précision la proportion des emprisonnements résultant d'une révocation de sursis au prononcé d'une nouvelle peine.
Quelle que soit l'ampleur effective de ces situations, il
n'est ni cohérent, ni justifiable que le tribunal correctionnel ne
dispose pas d'outils lui permettant de peser, avec autant de précision
que de certitude, les conséquences de ses jugements. Pour mettre
fin à cette anomalie, la mission d'urgence sur l'exécution des
peines a recommandé la mise en place
d'un « plateau technique
pluridisciplinaire » plus largement chargé de
l'évaluation du condamné au stade pré-sentenciel,
et qui serait notamment compétent pour reconstituer
l'intégralité de sa situation pénale à jour (voir
supra). La mission d'urgence souligne ainsi que la purge des
situations
pénales, « partie
intégrante » de l'évaluation du condamné,
est au coeur de « la cohérence du parcours
d'exécution de peine et doit être réalisée à
tous les stades de la procédure », donc dès le
début de celle-ci.
Les rapporteures s'associent à cette suggestion pertinente, déjà évoquée à l'occasion des développements relatifs au sens de la peine. À défaut de voir un tel plateau mis en place à court terme, elles estiment indispensable qu'un outil technique, même limité au suivi en temps réel des situations pénales, soit rapidement déployé et mis à la disposition de tous les acteurs du prononcé et de l'exécution de la peine.
Non moins essentielle est la nécessité de doter les magistrats d'un instrument de suivi des places de détention disponibles dans leur ressort par nature de quartier ou d'établissement, afin d'affermir l'anticipation du déroulé de la peine dès son prononcé et d'orienter au mieux les condamnés dès le début de l'exécution de leur peine. Couplée à la sanctuarisation des places de réinsertion, que les rapporteures appellent par ailleurs de leurs voeux, cette amélioration permettrait au surplus de limiter la pratique des transfèrements de détenus à des fins de régulation carcérale, déstabilisatrice pour les intéressés226(*) et particulièrement consommatrice en effectifs pour l'administration pénitentiaire.
3. Ne plus utiliser la fin de peine comme un levier de régulation carcérale
Les travaux menés par la mission ont montré que l'utilisation des dispositifs de fin de peine comme un levier de régulation carcérale s'étaient avérés non seulement inefficaces, mais aussi néfastes à la lisibilité de l'exécution - et, partant, défavorables à la prévention de la récidive.
Dans ce contexte, les rapporteures jugent indispensable d'opter pour un bouleversement de la philosophie qui guide notre droit et de redonner aux magistrats les marges de manoeuvre requises pour maîtriser, de manière effective, le parcours de détention des condamnés.
Pour ce faire, elles proposent tout d'abord de supprimer la LSC de plein droit, dont elles ont déjà décrit la portée contre-productive et déstabilisatrice. Rare mesure à avoir été recommandée à la quasi-unanimité des personnes auditionnées, cette suppression permettra d'éviter l'érosion des peines de prison ferme, source d'incompréhension pour les condamnés comme pour les citoyens. Elle permettra, de plus, de revenir sur une mesure source de difficultés insurmontables dans le suivi des détenus et dans la gestion de la fin de peine.
La mission ne souhaite pas, pour autant, un retour au droit ex ante, c'est-à-dire aux réductions automatiques de peine qui, bien que moins décriées par les praticiens, posent comme la LSC-D le problème de l'érosion mécanique de la peine. Elle prône à l'inverse un système de réductions de peine exclusivement fondé sur des critères individuels, tenant compte à la fois du comportement du condamné et de ses efforts de réinsertion.
Sans autre changement législatif, la probabilité serait élevée de voir cette recommandation se traduire par un surcroît de surpopulation carcérale. Pour éviter un tel effet de bord, la mission propose de faciliter l'octroi des réductions de peine, mais aussi des aménagements, conversions et placements en semi-liberté en fin de peine.
L'objectif est, comme en matière de probation, de faire confiance aux magistrats et de leur permettre d'investir pleinement leur office en faisant en sorte que, sauf exception, la durée réellement exécutée corresponde à la durée prononcée. Il s'agit là d'une révolution copernicienne qui, loin de répondre à une logique strictement répressive, doit inciter les juges du fond à prononcer des peines moins artificiellement sévères, car reposant sur l'assurance qu'elles seront exécutées dans les formes et conditions qu'ils ont prescrites.
Pour que soit respectée la philosophie des rapporteures, il conviendra que le bénéfice de telles mesures soit accordé par le juge de l'application des peines au cas par cas, sur une base individuelle. Il semble toutefois possible de modifier les conditions d'octroi des réductions de peine dans un double sens.
Premièrement, le Sénat avait légitimement plaidé, lors de l'examen de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire du 22 décembre 2021, pour qu'il soit tenu compte du risque de récidive dans toute décision d'octroi ou de refus d'une libération anticipée. Ce principe, aujourd'hui absent du code de procédure pénale s'agissant des réductions de peine227(*), gagnerait à être affirmé.
Deuxièmement, il semble possible d'envisager une libéralisation des conditions dans lesquelles les réductions de peine sont octroyées, selon une double orientation.
Sur le fond, ces réductions reposent en l'état du droit sur deux critères cumulatifs : les efforts d'insertion du condamné et son bon comportement. Il serait judicieux que ces critères soient rendus alternatifs, notamment parce qu'ils sont en partie redondants.
Sur la forme, les réductions sont octroyées selon des procédures strictes, voire lourdes qui, en particulier, prévoient l'intervention de la commission d'application des peines (saisie pour avis) et obligent à ce que les réductions soient octroyées en une seule fois pour les peines de moins d'un an. Il paraît pertinent d'envisager que les réductions de peine puissent être octroyées par le seul juge de l'application des peines, sans avis collégial, lorsque leur quantum est limité ; on peut, de même, raisonnablement envisager que les réductions de peine puissent faire l'objet de plusieurs examens successifs, y compris pour les peines courtes, permettant au JAP de tenir compte de l'évolution de la situation des condamnés.
Proposition n° 14
Mettre fin à la libération sous contrainte de plein droit pour privilégier des mécanismes individuels, tenant compte des efforts accomplis par le condamné pendant sa détention.
En contrepartie, faciliter les aménagements, conversions, placements en semi-liberté en fin de peine par les JAP, ainsi que l'octroi des réductions de peine, sur une base individuelle.
Les rapporteures considèrent que cette mesure ne supposera pas mécaniquement la création de nouveaux postes de JAP. Elles rappellent à ce titre que la LSC-D, loin de permettre des gains de temps, est un facteur d'alourdissement de leur office228(*) et que son cumul avec le nouveau régime des réductions de peine complexifié la préparation et l'enrôlement des commissions d'application des peines : la suppression de la LSC-D permettra donc de dégager des marges pour une plus forte personnalisation des réductions de peine. Contribuera aussi à rééquilibrer la charge de travail des JAP, l'évolution de la répartition des missions entre ces magistrats et les SPIP par ailleurs proposée par la mission d'information229(*).
Il convient, au surplus, que l'évolution du droit redonne au JAP, à l'administration pénitentiaire et aux SPIP une visibilité sur la date effective de remise en liberté des personnes incarcérées, sans quoi aucune politique crédible de suivi des détenus ne pourra être mise en oeuvre.
Pour ce faire, les rapporteures estiment nécessaire :
- d'une part, d'assurer un examen plus régulier des réductions et aménagements de peine dont les condamnés sont susceptibles de bénéficier, selon un rythme qui ne peut qu'avoir vocation à varier en fonction de la durée de la peine prononcée ;
- d'autre part, de permettre au JAP d'anticiper au mieux les modalités de mise en oeuvre des aménagements de fin de peine en mettant à sa disposition des outils de suivi des moyens disponibles dans son ressort en semi-liberté, en DDSE, en placement extérieur, etc.
4. Se donner les moyens d'un diagnostic objectif de l'état du milieu fermé et de l'efficacité des peines qui s'y accomplissent
Selon une tradition dont le caractère à la fois ubuesque et frustrant n'empêche pas qu'elle soit désormais bien établie, la mission a eu les plus grandes difficultés à obtenir des statistiques de nature à éclairer ses réflexions. La faute n'en revient pas aux services du ministère, pleinement investis et eux-mêmes victimes de cette insuffisance, mais à des applicatifs vieillissants, incomplets, peu exploitables, voire vétustes pour nombre d'entre eux, qui interdisent toute vision globale et dynamique de l'exécution des peines de prison ferme230(*).
Les rapporteures veulent croire que l'ambitieux projet « procédure pénale numérique » (PPN) viendra, à terme, combler cette immense lacune. D'ici là, elles souhaitent vivement que la pleine information du Parlement et, au-delà, des citoyens, soit mieux assurée.
Deux leviers pourraient être mobilisés à cette fin.
Il est, en premier lieu, indispensable que les assemblées parlementaires soient dûment informées du taux d'occupation des prisons et, surtout, des causes supposées de son évolution.
En second lieu, le ministère de la justice doit établir, puis rendre publiques, des statistiques permettant de mesurer les effets des modes d'exécution des peines de prison ferme (ou de milieu fermé, pour les mineurs) sur le parcours pénal des condamnés dans le temps long. La définition étroite des notions de « récidive » et de « réitération » limite, en effet, la pertinence analytique des chiffres disponibles, et seules des études thématiques ponctuelles s'intéressent à l'impact de la peine sur la commission d'une nouvelle infraction : il doit être mis fin à cette carence, qui contribue à l'opacité de la matière et, plus encore, au manque de rationalité qui marque trop régulièrement les débats sur la prison et sur le sort que la France entend réserver à ses détenus.
Proposition n° 15
Garantir la pleine information du Parlement et du grand public sur l'occupation des prisons, les causes de son évolution et l'effet de l'emprisonnement sur le parcours pénal des condamnés.
* 222 Rapport précité sur la surpopulation carcérale et l'exécution des peines.
* 223 Loi n° 2023-1059 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 du 20 novembre 2023.
* 224 Corte costituzionale, sent. n. 386/1989 ; n. 22/1992.
* 225 Dans cette hypothèse, le suivi ne pourrait être modulé par le JAP qu'à la hausse, en réponse à une évolution négative de la situation du condamné, les modulations à la baisse ne pouvant intervenir qu'à l'expiration d'un délai initial minimal.
* 226 En termes de suivi, d'accès à l'emploi, de liens personnels et familiaux, etc.
* 227 Article 721 du code de procédure pénale.
* 228 Le taux d'octroi de la LSC-D, qui s'établit à 63 % en dépit de son caractère théoriquement automatique, atteste d'un réexamen au cas par cas par les JAP et du caractère chronophage de cet exercice.
* 229 Proposition n° 7.
* 230 Voir supra, partie 1, A, d.