B. AUDITION DE M. DAVID KLATZMANN, PROFESSEUR AU LABORATOIRE D'IMMUNOLOGIE DE LA PITIE-SALPETRIERE
M. David KLATZMANN - L'expérience que j'ai dans ce domaine va de la recherche fondamentale au traitement de patients. Je trouve, en général, que tout ce domaine n'a pas de grandes difficultés de fonctionnement et je suis dans le camp des satisfaits.
En ce qui concerne la recherche fondamentale, il y a les moyens dans les laboratoires français de développer une recherche fondamentale de qualité. Les difficultés que nous connaissons sont en fait, lorsque nous souhaitons sortir du laboratoire, de développer un programme de thérapie génique.
Dès 1989, j'ai travaillé sur la thérapie génique du Sida qui se heurte à beaucoup d'écueils, c'est pourquoi nous en sommes à un stade qui ne permet pas d'envisager des essais thérapeutiques. Je me suis ensuite intéressé à la thérapie génique du cancer où, après quelques expériences, sur des rats, des résultats prometteurs se sont développés. De façon tout à fait naïve, j'ai commencé à m'intéresser au processus me permettant d'accéder, peut-être, à la clinique.
J'ai donc appris en faisant, sans a priori, ce qui m'a certainement permis d'avancer.
La première démarche a été de rechercher des avis, des textes, pour savoir quelles difficultés j'allais rencontrer. Ma démarche thérapeutique nécessite l'utilisation de cellules injectées aux patients, cellules manipulées génétiquement, fabriquant des virus transportant un gène d'intérêt.
Le premier problème auquel j'ai été confronté a été de demander quelle était la procédure me permettant d'utiliser cette lignée cellulaire chez l'homme Il était simple de comprendre que ces cellules devaient être cultivées et répondre à des normes de sécurité microbiologique et virale pour pouvoir les utiliser.
Ce que j'ai découvert, c'est que l'ensemble de ce processus est relativement coûteux. Le passage d'une cellule en laboratoire à une cellule utilisée chez l'homme, se chiffre à environ 800.000 francs à 1 million de francs de développement, d'où ma difficulté pour trouver un financement.
En France, nous n'avons pas les structures de financement adaptées à ce développement. Il est aisé de trouver de l'argent pour financer des programmes de recherche auprès des organismes publics, des associations caritatives ; mais lorsque nous déposons un projet de recherche visant à donner une lignée cellulaire à un industriel qui va valider cette dernière, ces mêmes organismes refusent de donner les 500.000 francs nécessaires à ces travaux.
Je me suis trouvé dans une impasse. La seule solution, à travers des contacts avec la mission de valorisation de mon université Pierre et Marie Curie, a été de trouver des subventions de l'ANVAR destinées à ce type de travaux, afin d'assurer un transfert de technologie entre l'université de Paris VI (détentrice de brevets pris sur ces travaux) vers une structure privée créée pour la valorisation de cette étude. Cette structure a plutôt bien fonctionné.
En même temps, je me suis intéressé au développement d'un protocole thérapeutique. Pour moi, les choses se sont passées efficacement, rapidement. Bien sûr, la simplification du nombre des commissions est peut-être souhaitable, mais particulièrement, je n'ai pas de griefs.
Les deux protocoles thérapeutiques de la Salpétrière, développés grâce à la promotion de l'Assistance publique et à son aide au travers de sa structure de recherche clinique le GERMED, et de la motivation du personnel hospitalier notamment celui du service pharmacologie/chimique, ont fonctionné relativement bien. L'essentiel des difficultés ultérieures repose sur le développement technologique et la recherche d'une structure industrielle permettant la fabrication des lots cliniques.
Il a fallu, là encore, s'adresser à des sociétés européennes qui n'ont pas répondu correctement à nos attentes. C'est pourquoi la structure privée de valorisation créée au départ, a pris en charge également le développement des systèmes de production. Encore une fois les difficultés de financement sont grandes. Par exemple, récemment, un appel d'offres a été lancé par les ministères de la santé et de la recherche pour organiser des réseaux de thérapie génique, ouvert au départ aux industriels. La société, mettant en place un réseau offrant à la communauté scientifique un service qui n'existe pas, n'a malheureusement reçu aucun financement.
Le problème majeur que j'ai rencontré personnellement n'a donc pas été celui de l'évaluation du projet, mais de développement réel du projet à travers des structures inexistantes en France.
M. Claude HURIET - Pouvez-vous nous donner une idée de l'histoire de votre projet initial ? Quels ont été les délais en ce qui concerne les démarches administratives et où en êtes-vous aujourd'hui ?
M. David KLATZMANN - En 1989, j'ai développé un programme de thérapie génique sur le VIH financé par l'ANRS, puis mes travaux se sont étendus à la thérapeutique du cancer vers 1991, toujours avec le même financement. En effet, il y a une intrication très grande des recherches. On veut détruire les cellules infectées par le VIH, tout comme les cellules tumorales ; les systèmes sont les mêmes et les progrès que je ferai dans le domaine du cancer seront applicables pour le Sida plus tard, je l'espère.
Un problème également en France est la durée trop courte du financement qui est de un à deux ans. Nous passons notre temps à rédiger des rapports pour trouver des sources de financements. Si la durée du financement pouvait être comme aux USA de quatre, cinq ans, de temps en temps, cela serait utile. Une partie du financement provient du CNRS, une autre des universités mais l'essentiel vient de l'ANRS.
En 1991, nous commençons notre expérimentation ; en décembre 1992, paraît notre premier compte rendu, la deuxième publication se situant en 1993. Les résultats ont été très rapides. Il se trouve que nous étions en concurrence avec une société américaine liée au National Institute for Health qui avait une stratégie similaire. Alors que dans la thématique de recherche, en terme de publication, nous n'avons eu que six mois de retard, les américains sont passés à l'essai clinique un an et demi avant nous. La chance que nous avons eue, c'est qu'ils ont fait une erreur technologique qui nous a permis de revenir à peu près au même niveau qu'eux pour les essais. Ce fut un avantage pour nous.
Pour le développement de la lignée cellulaire, j'ai demandé un financement à la Ligue Nationale contre le Cancer, à l'ARC, au ministre, qui n'ont pas accepté. Nous avons continué les recherches sur les ressources propres du laboratoire pendant ce temps là, tout en réfléchissant au lancement du protocole.
Le passage devant la commission s'est déroulé en 1993, avec un démarrage des essais en mars 1994 pour le premier protocole. Les délais entre le dépôt des dossiers et la réponse ont été relativement courts (décembre 1992 à mars 1994).
En thérapie génique, le passage entre la recherche expérimentale et le traitement des patients est extrêmement rapide.
Aux USA, certains se sont interrogés sur la brièveté de cette phase, car il y a encore un grand nombre d'inconnues dans ce domaine. Est-il opportun de lancer aussi rapidement des essais cliniques ?
En ce qui nous concerne, ce qui a peut-être facilité ce développement, c'est que nos patients cancéreux dont le pronostic vital est très péjoratif. Le CCPPRB de la Salpétrière n'a fait aucune objection à nos recherches.
Mme Marie-Paule SERRE - Avez-vous obtenu des financements européens ?
M. David KLATZMANN - Je pourrai vous répondre dans quelques mois car nous avons déposé des dossiers dans le cadre de collaborations.
Il se trouve que dans le cas présent, nous avions un problème spécifique très français, sur lequel la communauté scientifique est unanime : je trouve qu'il est dommage, que, faute de structure, le financement ne se fasse pas. En Angleterre, il y a au moins deux structures privées qui assurent ce service et qui, maintenant, sont totalement débordées. C'est une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas été très contents de ces services. Ces petites entreprises ont vu une possibilité de marché et ont dit oui à tout le monde.
Notre projet a été évalué comme tout à fait correct, correspondant à l'attente de la communauté scientifique mais il a été rejeté financièrement.
M. Claude HURIET - Quelles sont vos réflexions au sujet de la brevetabilité en France et ailleurs ?
M. David KLATZMANN - J'ai travaillé sur le Sida dès 1981 et participé à un certain nombre de brevets initiaux sur la découverte du virus... donc j'ai été assez sensibilisé sur les problèmes de brevets.
Il y a une énorme lacune au niveau de l'enseignement en médecine, en sciences, sur la valorisation de la recherche.
Je me souviens, en 1986, on me faisait signer des papiers multiples à l'Institut Pasteur, cédant pour un dollar mes droits de ceci au Canada... Membre de Paris VI, j'ai cherché à contacter le responsable de la valorisation de l'université ; il n'y avait personne, aussi un des vice-présidents m'a rencontré. Aujourd'hui ce service de valorisation a été créé.
Lors des développements de ma recherche en thérapie génique, j'ai constamment déposé des brevets. Sans eux, on ne peut pas récupérer les financements, en particulier les contrats de recherches des gros industriels capables de financer ces travaux.
M. Richard LERAT - Pouvez-vous donner des éléments concernant votre stratégie de brevetabilité ? Que brevetez-vous ?
Mme Marie-Paule SERRE - Avez-vous rencontré des difficultés particulières liées à des insuffisances de la législation des brevets ?
M. David KLATZMANN - Dans les brevets que nous avons déposés, aucun n'a encore été accordé. Le processus est extrêmement long pour la thérapie génique. On brevette toute amélioration possible d'un système.
M. Jean-Paul CANO - Comment sortir de l'impasse dans laquelle se trouve la recherche publique ? Doit-on laisser des associations caritatives monter des petites entreprises, ont-elles les moyens financiers ou doit-on fédérer les moyens financiers et les compétences des grands organismes, est-ce aux ministères de la recherche et à celui de l'industrie de monter une structure pour produire les vecteurs nécessaires aux essais cliniques ?
M. David KLATZMANN - En la matière, mon point de vue est ultra libéral. La communauté scientifique française est petite, le nombre des experts est restreint, et à vouloir trop centraliser un système de production... on va courir le risque de créer une structure peu souple. Je pense qu'il faut un système dans lequel quand un chercheur a une stratégie thérapeutique intéressante, il puisse bénéficier d'une évaluation correcte, c'est-à-dire proche de la réalité du développement.
En termes de structures, il vaut mieux des petites structures extrêmement souples.
Aux Etats-Unis, les structures de biotechnologies sont très changeantes, car elles portent sur des projets qui ont une chance de réussite infime.
Il faut aussi que les universités puissent, comme aux Etats-Unis, participer à la création de structures de valorisation, car, en principe, ce sont les universités qui doivent en récolter les fruits.
Je trouve qu'actuellement, d'une manière générale, et même si je ne me plains pas, nous rencontrons beaucoup de difficultés et devons recourir à des « bricolages » financiers.
M. Dominique MARANINCHI - Vos difficultés sont de caractère financier, et concernent notamment le financement du développement précoce ; souhaitez-vous que l'organisme public assure dans le cadre d'un appel d'offre unique, à un seul guichet, et quels que soient les partenaires financiers qui investissent, une part de développement précoce (« orphelin » en terme de débouchés possibles de valorisation), comme le fait le NIH, ou souhaitez-vous plus de financements, un autre système de capital risque ?
M. David KLATZMANN - En France, il n'y a pas de capital-risque pour ce type de projet, c'est vrai. Il y a le système américain de subventions attribuées par le NIH spécifiquement destinées aux entreprises de biotechnologie de petite taille.
Leur attribution comporte deux phases : la première est un projet de recherche à écrire très brièvement, sur laquelle les décisions sont prises rapidement (environ 50.000 $). Au bout de six mois, un rapport doit être établi sur le projet de recherche, aboutissant ou non à l'attribution d'une subvention de 0,5 à 1 million de $. Beaucoup de petites entreprises vivent de ces subventions. C'est de l'argent public destiné à des projets très compétitifs.
La création d'un système du même type en France ne serait pas une mauvaise chose.
Pour les maladies génétiques qui n'ont pas de débouchés industriels, je pense qu'il faut sensibiliser les industriels par de l'aide publique et se tourner vers les associations.
M. Dominique MARANINCHI - Souhaitez-vous que l'Etat intervienne plus pour favoriser le développement de sociétés de biotechnologie, indépendamment de l'aide qu'il apporte à la recherche publique ?
M. David KLATZMANN - Nous avons aussi, en France, le problème des étudiants qui veulent intégrer des organismes de recherche publics, qui, souvent, sont déçus en raison du peu de places et se tournent vers le privé.
Je souhaite, effectivement, qu'il y ait des subventions publiques destinées aux entreprises de biotechnologie et que les universités aient des facilités pour créer des structures de valorisation de la recherche ; par ailleurs les subventions de la recherche au développement pourraient permettre l'installation à l'hôpital d'un centre de manipulation, de production de cellules... Mais je ne suis pas sûr que de telles structures auraient une pleine utilisation.
Il y a un certain immobilisme en France, aussi bien de la recherche que des hôpitaux.
M. Dominique MARANINCHI - L'Etat est-il prêt à développer la recherche précoce ?
M. David KLATZMANN - C'est encore un secteur neuf en France, ce qui explique certains tâtonnements.
M. Claude HURIET - Quand on consulte des financeurs, ils peuvent avoir honnêtement des réserves sur le bien-fondé coût/bénéfices car ces projets font appel à des données qu'ils n'ont pas l'habitude de manier.
M. David KLATZMANN - Par exemple, un de mes amis qui travaille sur la thérapie génique du cancer a déposé un projet auprès d'un grand organisme non public de recherche sur le cancer pour une somme de 300.000 francs, consistant à étudier très pragmatiquement l'amélioration d'une procédure que l'on utilise aujourd'hui chez nos patients. Ce projet n'a pas été financé alors qu'il y a des projets qui ont été financés à hauteur de 1 à 1,5 million de francs et qui n'ont pas d'application directe rapide.