B. LE STATUT JURIDIQUE DES PRODUITS DE THÉRAPIES GÉNIQUE ET CELLULAIRE EST INCOHÉRENT
Tant qu'un statut convenable n'aura pas été fixé pour ces produits, la France court le risque de perdre sa place dans ce qui constituera peut-être la révolution thérapeutique de demain.
Elle risque, une fois de plus, d'être en avance pour les premiers essais mais de prendre beaucoup de retard lorsqu'il s'agira véritablement de fabriquer les produits.
C'est en effet aujourd'hui que se prennent les décisions de localisation des sites et des équipes nécessaires à la préparation des produits de thérapies génique et cellulaire.
C'est un euphémisme de dire que, tant les risques sanitaires encourus que l'inadaptation et la complexité de la législation nationale n'incitent donc pas les opérateurs à demeurer en France...
1. Les régimes juridiques actuellement applicables présentent de graves carences
Les régimes juridiques des produits de thérapies génique et cellulaire présentent de nombreuses carences, qui traduisent les hésitations, les contradictions puis les remords du législateur.
a) Première carence : la complexité.
Il existe actuellement, non pas un, mais trois régimes juridiques applicables aux thérapies génique et cellulaire.
Dans le droit en vigueur, les régimes juridiques applicables aux thérapies génique et cellulaire sont fixés, puisqu'il y en a plusieurs, par les articles L. 672-11 et L. 666-8 du code de la santé publique tels qu'ils ont été respectivement adopté ou modifié par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.
L'article L.672-11 dispose ainsi que:
« Le prélèvement, le traitement, la transformation, la manipulation et la distribution des produits cellulaires destinés à la mise en oeuvre de greffes, d'immunothérapie, de thérapie cellulaire somatique ou de thérapie génique somatique sont régis par les dispositions du titre Ier du présent livre dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat.
« Lorsque ces produits cellulaires constituent des médicaments, ces activités sont régies par les dispositions du livre V.
« Lorsqu'ils ne constituent pas des médicaments, leur prélèvement, leur transformation, leur conservation et leur distribution sont réalisés par des établissements ou organismes remplissant des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et autorisés par l'autorité administrative compétente.
« Les décrets en Conseil d'Etat visés aux articles L.666-8 (4°), L.672-10 1 ( * ) et au présent article garantissent l'unité du régime juridique applicable au prélèvement, à la transformation, à la manipulation et à la distribution des produits cellulaires destinés à la mise en oeuvre de greffes, d'immunothérapie, de thérapie cellulaire somatique ou de thérapie génique somatique ».
Tel qu'il a été modifié par la loi du 29 juillet 1994, l'article L. 666-8 du code de la santé publique dispose désormais que peuvent être préparées, à partir du sang humain, « des préparations cellulaires réalisées, à partir du prélèvement de cellules souches hématopoïétiques et de cellules somatiques mononuclées, par des établissements ou organismes remplissant des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et autorisés par le ministre chargé de la santé, sur proposition de l'Agence française du sang lorsque la demande est présentée par un établissement de transfusion sanguine. »
b) Deuxième carence : l'insuffisance
A la complexité s'ajoute l'insuffisance.
L'article L. 672-11, qui distingue les deux premiers régimes juridiques, indique que « lorsque ces produits constituent des médicaments, ils sont soumis aux dispositions du livre V », ce qui revient à dire que : lorsque ces produits sont des médicaments, ils sont soumis au droit du médicament...
Cette disposition tautologique ne dit malheureusement pas quand ces produits sont des médicaments.
L'on peut en déduire facilement qu'elle est inapplicable.
Si l'on voulait considérer qu'elle a pourtant un sens, il faut la traduire comme: « lorsque ces produits correspondent à la définition du médicament, ils sont soumis au droit du médicament ».
Il faut alors de se reporter à l'article L. 511 du code de la santé publique qui indique que l'on entend par médicament.
Cet article définit le médicament comme :
- les substances ou compositions présentées comme possédant des propriétés curatives à l'égard des maladies humaines;
- les produits pouvant être administrés à l'homme en vue d'établir un diagnostic ou de restaurer, corriger ou modifier ses fonctions organiques.
Et l'on est malheureusement en droit de se demander, au vu de cette définition, quels produits de thérapie génique ou cellulaire ne sont pas des médicaments et seront soumis au deuxième régime juridique.
Et l'on ne comprend pas non plus pourquoi, même si l'on avait répondu à cette dernière question, l'origine ou la nature des cellules utilisées (cellules hématopoïétiques ou mononuclées, par exemple) pourrait justifier l'existence d'un troisième régime juridique.
L'article L. 511, en effet, définit les médicaments d'abord par leur propriétés. Et l'on ne conçoit pas, au vu de ses dispositions, pourquoi deux thérapies géniques ou cellulaires qui auraient les mêmes propriétés bénéficieraient de deux régimes juridiques différents au motif que les cellules qui en sont le support ont été prélevées dans deux parties différentes du corps humain.
c) Troisième carence : la sécurité sanitaire n'est pas garantie
Les articles L. 672-11 et L. 666-8 qui fixent les règles applicables aux produits de thérapies géniques et cellulaire ne garantissent pas la sécurité sanitaire.
En premier lieu, le champ d'application de ces articles n'est pas clair et il est incomplet .
• La définition actuelle n'est pas claire .
En effet, les termes de « thérapie cellulaire » et de « thérapie génique » ne sont pas précisés par la loi.
En outre, elle distingue « greffes cellulaires » et « thérapie cellulaire », ce qui semble bien mystérieux et en tous les cas, inexpliqué.
• Elle est de surcroît très incomplète .
Ainsi, elle ne couvre pas tout le champ des thérapies géniques, en ne retenant que celles qui sont réalisées à partir de « produits cellulaires ». Elle concerne donc uniquement la thérapie génique ex vivo , laissant sans cadre juridique l'ensemble de la thérapie génique in vivo qui ne fait pas appel à des préparations cellulaires et dont on peut penser qu'il constitue l'avenir des thérapies géniques.
Faudrait-il donc instituer un quatrième régime juridique pour les thérapies géniques in vivo ?...
Cette définition ne couvre pas non plus toutes les méthodes pouvant être utilisées dans le cadre des thérapies géniques: ainsi, les organoïdes ou les éléments génétiquement modifiés de certains dispositifs médicaux ne sont pas concernés par l'article L. 672-11 du code de la santé publique.
En deuxième lieu, si les articles fixant le statut juridique des produits de thérapies génique et cellulaire prévoient que des autorisations ministérielles seront nécessaires pour la fabrication des produits, ils ne prévoient pas :
- d'autorisation de protocoles d'essais cliniques . Or, on le sait, ces thérapies en sont à l'heure actuelle dans une très large mesure à un stade expérimental et les essais de thérapies génique et cellulaire présentent des risques spécifiques, beaucoup plus importants que ceux des essais de médicaments « classiques »;
- d'autorité chargée d'inspecter les établissements ayant obtenu une autorisation de préparer ces produits ;
- de précautions particulières pour le prélèvement des cellules destinées à la mise en oeuvre des thérapies génique et cellulaire considérées comme des médicament (le livre V du code de la santé publique auxquels sont théoriquement soumis ces produits, ne prévoit rien pour les prélèvement des cellules...);
- de précautions particulières pour l'administration des produits de thérapie génique in vivo , qui ne bénéficie d'aucun cadre juridique;
- d'autorité responsable du bon déroulement , du point de vue sanitaire, de l'ensemble de la chaîne thérapeutique constituée par chacune des thérapies génique et cellulaire.
En troisième lieu, dans la mesure où le régime juridique du médicament, prévu comme possible pour certains produits, est dans les faits inapplicable tant que l'on n'aura pas dit quels produits sont des médicaments, le respect des bonnes pratiques de fabrication n'est pas, dans les faits, obligatoire .
Dans un domaine comme celui de la santé, le risque zéro ne peut jamais être atteint. Mais il serait opportun que la législation ne soit pas, en elle-même, un facteur de risque.
d) Quatrième carence : l'incohérence
La séparation entre les trois régimes juridiques des produits de thérapies génique et cellulaire obéit à des critères hétérogènes. A la complexité, à l'insuffisance et au risque sanitaire s'ajoute donc l'incohérence.
Ainsi, les deux premiers régimes juridiques, définis par l'article L. 672-11, se distinguent par le rattachement ou le non rattachement des produits de thérapie génique ou cellulaire au régime du médicament.
Or, le troisième, défini par l'article L. 666-8, est fondé, non pas comme les deux précédents, par leur position par rapport à un régime juridique, mais par la nature des cellules traitées.
On a donc la situation suivante:
Si des produits de thérapies génique ou cellulaire sont préparés à partir de cellules souches hématopoïétiques ou de cellules souches mononuclées, ils relèvent du troisième régime qui l'emporte, on peut le penser, sur les deux précédents. Il n'est donc pas utile, dans ce cas, de se demander si ces produits sont ou ne sont pas des médicaments.
Si ces produits ne sont pas préparés à partir de telles cellules, il faut alors savoir s'ils relèvent ou non du médicament et appliquer, alors le premier ou le deuxième régime juridique.
2. Elles sont la conséquence des hésitations et des remords du législateur sur un sujet neuf et technique
Les dispositions de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 concernant les thérapies génique et cellulaire ne figuraient pas dans le projet de loi tel qu'il avait été soumis à l'examen du Parlement par le Gouvernement.
C'est donc tout à l'honneur du Parlement de s'être saisi du sujet, bien qu'il soit très neuf et très technique.
Les conclusions du rapport rédigé par MM. les Pr. Cano et Fisher sur la thérapie génique n'étaient pas connues. Le ministre de la santé n'avait pas encore non plus demandé à M. le Pr. Maraninchi de rédiger un rapport sur la thérapie cellulaire.
Le Parlement travaillait donc sans proposition d'experts, sur un sujet dont les enjeux sont difficiles à maîtriser.
S'il a souhaité traiter ce sujet, c'est bien parce qu'il a vite compris que, bien que ces thérapies sont très nouvelles et, dans l'immense majorité des cas, au stade expérimental, les questions de sécurité sanitaire posées dès la phase des essais méritaient de faire l'objet d'une législation.
Parallèlement, soucieux de légiférer sur certaines thérapies cellulaires présentant des enjeux sanitaires graves et immédiats, le gouvernement a présenté au Parlement un amendement concernant exclusivement les préparations cellulaires réalisées à partir de cellules souches hématopoïétiques ou de cellules souches mononuclées.
Cet amendement prévoyait que leur fabrication ne pouvait être réalisée que par des organismes ou établissements agréés par le ministre de la santé, sur proposition de l'Agence française du sang lorsque la demande est présentée par un établissement de transfusion sanguine.
Le Sénat, soucieux de couvrir l'ensemble du champ des thérapies génique et cellulaire, a cependant proposé un article régissant l'ensemble des produits destinés à la mise en oeuvre des thérapies génique et cellulaire en les plaçant sous le régime du médicament.
Cette proposition n'a pas été acceptée par l'Assemblée qui estimait que l'on ne pouvait agir ainsi pour des thérapies qui ne concernent souvent qu'un seul malade.
Le texte adopté (art. L. 672-11), proposé par les députés en commission mixte paritaire, tient compte des aspirations du Sénat sans les satisfaire, puisqu'il donne naissance à deux nouveaux régimes juridiques sans dire quand les produits de thérapie génique ou cellulaire sont des médicaments...et qu'il maintient un troisième régime.
Conscient tout de même de la bizzarerie juridique qu'il s'apprêtait à adopter et de l'empilement de régimes qu'il allait instituer, la commission mixte paritaire a eu des remords.
Ils se traduisent par le dernier alinéa de l'article L. 672-11 qui confie au pouvoir réglementaire le soin d'unifier les trois régimes juridiques nouvellement créés, mission que celui-ci ne peut évidemment accomplir tant elle est contradictoire avec l'esprit comme la lettre de la loi.
* 1 L'article L. 672-10 fixe le régime juridique des produits cellulaires qui ne sont pas destinés à mettre en oeuvre des thérapies cellulaire ou génique...