La BERD : le redressement au service de la transition
Xavier de Villepin
Commission des Affaire étrangères, de la défense et des forces armées - Rapport 133 - 1996 / 1997
Table des matières
- I. LE FONCTIONNEMENT DE LA BERD : UNE GESTION RESSERRÉE ET UNE STRATÉGIE RECENTRÉE SUR LES PRIORITÉS OPÉRATIONNELLES
- II. LES ACTIVITÉS DE LA BERD : ESQUISSE DE BILAN ET PERSPECTIVES
- III. LA TRANSITION ÉCONOMIQUE : UNE MUTATION HISTORIQUE BIEN AMORCÉE MAIS QUI EXIGERA ENCORE DES EFFORTS CONSIDÉRABLES
- IV. LES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
-
ANNEXE -
AUDITION DE M. JACQUES DE LAROSIERE DEVANT LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES DU SENAT LE 13 NOVEMBRE 1996
introduction
Mesdames, Messieurs,
Créée, à l'initiative de la France, par un accord
signé à Paris le 31 mai 1990, la Banque européenne pour la
reconstruction et le développement (BERD) a pour rôle de
favoriser la transition des économies des pays de l'Est
vers
l'économie de marché et d'y favoriser l'initiative privée
et l'esprit d'entreprise. Il convient d'ailleurs de souligner que cette mission
s'étend géographiquement -contrairement à ce que
suggère le nom même de la Banque- au-delà des seuls
pays
d'Europe centrale et orientale
et que l'activité de la BERD
s'applique également à l'ensemble des
pays issus de l'ex-Union
soviétique,
ce qui lui confère un rôle encore plus
important pour l'avenir.
Le caractère essentiel des missions dévolues à la BERD a
conduit le Sénat -et singulièrement sa commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées-
à attacher une grande attention à l'évolution de ses
activités.
Dès
juin 1990,
notre commission avait autorisé
l'approbation de l'accord portant création de la Banque. Votre
rapporteur avait alors (rapport n° 434, 1989-1990) approuvé la
création d'une banque dont les interventions viseraient
spécifiquement l' " autre Europe " et souligné
l'originalité
de cette dernière-née des
institutions financières internationales, tant sur le plan politique que
technique. De
nombreuses questions
restaient toutefois alors
posées sur l'orientation et l'efficacité des actions de la Banque
et des incertitudes importantes demeuraient sur l'évolution, aussi bien
politique et économique, des pays d'Europe de l'Est ou issus de l'URSS.
Deux ans plus tard, en
juillet 1992,
votre rapporteur (rapport
d'information n° 500, 1991-1992, fait au nom de la
délégation du Sénat pour l'Union européenne) n'ava
it pu qu'exprimer un certain nombre
d'inquiétudes
sur les
débuts de la BERD, installée à Londres et alors
présidée par M. Jacques Attali qui avait été
à l'origine directe de la création de cette nouvelle institution.
Au-delà d'une gestion critiquée, la Banque ne semblait pas
parvenir à résoudre une difficile équation :
concilier
un objectif de développement
-favoriser l'accession des anciennes
économies planifiées à l'économie de marché-
avec le respect des principes bancaires traditionnels et des
impératifs de rentabilité. La dichotomie,
inscrite dans
l'organigramme de la Banque, entre banque d'affaires et banque de
développement apparaissait source de tensions, sinon de contradictions,
dans l'activité de la BERD et risquait de compromettre la
cohérence de son action et, par là, sa crédibilité
et son efficacité.
L'avenir de la Banque et la mission asignée à son nouveau
Président -M. Jacques de Larosière, élu à ce poste
en 1993, après avoir été notamment directeur
général du Fonds monétaire international de 1978 à
1987- imposaient donc de redresser rapidement l'image de la jeune institution
par
une gestion rigoureuse, des objectifs clairement affichés et des
moyens d'intervention adaptés et cohérents.
Chacun sait que ces
objectifs
difficiles ont été, depuis
trois ans,
largement atteints,
ainsi que l'illustre la
crédibilité de la BERD auprès des milieux financiers
internationaux, l'attente croissante qu'elle suscite dans le quelque 25 pays
concernés -regroupant plus de 400 millions d'habitants- et le doublement
de son capital décidé à l'unanimité par son
assemblée générale qui s'est réunie à Sofia
en avril 1996.
L'importance des enjeux
liés à la transition
économique des pays de l'Est -qu'il s'agisse de l'évolution des
pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion
à l'Union européenne ou de la situation économique de la
Russie et des pays de la CEI (Communauté des Etats indépendants)-
justifiait néanmoins de tenter de dresser un nouvel état de la
situation et des activités de la BERD.
C'est dans cet esprit que notre commission a procédé le 13
novembre dernier à une
audition
-élargie aux membres de la
commission des Finances et de la délégation du Sénat pour
l'Union européenne-
de M. Jacques de Larosière
dont on
trouvera ci-joint, en raison de son intérêt tout particulier, le
compte rendu intégral. C'est dans cet esprit aussi que votre rapporteur
a jugé utile d'actualiser dans le présent rapport d'information
quelques données essentielles sur l'organisation et le fonctionnement de
la BERD
-rendue plus rigoureuse et plus opérationnelle- et sur le
bilan actuel de ses activités et ses perspectives d'avenir, avant de
formuler quelques observations sur les avancées, positives mais
inégales, de
la transition
dans les économies des pays de
l'Est, et notamment de la Russie.
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I. LE FONCTIONNEMENT DE LA BERD : UNE GESTION RESSERRÉE ET UNE STRATÉGIE RECENTRÉE SUR LES PRIORITÉS OPÉRATIONNELLES
A. L'ORGANISATION RÉNOVÉE DE LA BANQUE
1. Les structures principales de la BERD
Il convient d'abord de rappeler ici les structures
principales
de la BERD qui est dotée par ses statuts, comme il est de règle
générale dans les organisations financières
internationales, d'un conseil des gouverneurs, d'un conseil d'administration,
d'un président et de vice-présidents, ainsi que d'agents qui en
constituent le personnel.
- Le président et les membres du conseil d'administration sont
désignés par le
conseil des gouverneurs
qui réunit
les représentants des différents actionnaires au niveau
ministériel (en France, le ministre de l'économie et des
finances) et qui se tient en principe une fois par an, lors de
l'assemblée générale annuelle de la Banque.
- Le
conseil d'administration
représente les actionnaires.
Ceux-ci sont aujourd'hui au nombre de 60, regroupés en 23
" constituencies " (ou " bureaux ").
L'organisation de la
BERD présente en effet la particularité de compter un conseil
d'administration
permanent
dont les membres sont installés dans
les locaux de la Banque elle-même et rémunérés par
elle.
Les statuts prévoient que
les pays de l'Union européenne et
l'Union elle-même,
qui est ainsi pour la première fois
actionnaire en tant que telle d'une organisation financière
internationale, doivent détenir la majorité du capital. Leur part
cumulée est aujourd'hui de 55,8 % tandis que les " pays du
champ " sont eux-mêmes actionnaires à hauteur de 10,7 % -dont
4 % pour la seule Russie. La France détient une part substantielle (8,5
%) du capital, égale à celles de l'Allemagne, l'Angleterre,
l'Italie et le Japon. Les Etats-Unis sont le premier actionnaire avec 10 % mais
des pays comme le Maroc ou l'Egypte le sont aussi. Le conseil d'administration
se réunit tous les quinze jours.
- La direction de la Banque est assurée par
le président,
nommé pour quatre ans et entouré de
quatre
vice-présidents
chargés chacun d'un secteur particulier. Le
premier vice-président, américain, dirige le département
bancaire ; les autres vice-présidents sont pour leur part en charge,
respectivement, du département financier, de l'administration et du
personnel, et de l'évaluation des projets. Le
secrétaire
général
s'occupe principalement de la préparation du
conseil d'administration et des relations avec les membres.
Le président est également assisté d'un " chief
economist ", d'un " general counsel " (qui est,
en fait, le chef
du département juridique) et d'un audit indépendant. L'ensemble
de ces personnes, hormis le responsable de l'audit interne qui rapporte
directement au président, constitue le
comité exécutif
qui est l'organe de direction le plus important après le conseil
d'administration.
- La Banque emploie au total (chiffres au 31 mai 1996)
1 062 personnes
dont 132 recrutées localement par les bureaux de résidents
qui ont été ouverts dans la plupart des pays. Sur 930
employés de la Banque -dont 108 à statut spécial- 86
étaient affectés au conseil d'administration. La très
large majorité des personnels réellement employés par les
différents services de la Banque était affectée au
" banking department " : 471 dont 21 résidents. Celui-ci est
donc, de très loin, le plus gros service (le suivant, celui des
finances, ne compte que 136 unités), ce qui confirme la priorité
accordée aux opérations.
M. Jacques de Larosière a précisé devant notre commission
que les
personnels français
représentaient 8,2 % des
effectifs de professionnels de la Banque, ce qui correspond à peu
près à la quote-part de notre pays dans le capital de
l'institution.
2. Une stratégie recentrée
Pour mieux répondre à sa mission de favoriser la
transition économique en promouvant le développement du secteur
privé et en finançant les infrastructures nécessaires, une
équipe a été réunie sous l'autorité de M.
Nick Stern, "
chief economist ",
et chargée de
définir les priorités opérationnelles. Cette " task
force " a procédé à un très grand nombre
d'entretiens tant au sein de l'institution (y compris tous les membres du
conseil d'administration) qu'à l'extérieur dans les
différents pays d'opération et les autres institutions
financières internationales et a débouché en 1994 sur un
certain nombre de conclusions qui constituent autant d'axes pour le
développement de la Banque. Ces principales
priorités
stratégiques
sont les suivantes :
- priorité accordée au développement du secteur
privé jusqu'au niveau des petites et moyennes entreprises ;
- couverture de tous les pays quel que soit leur niveau de développement
;
- prise en compte non seulement du nombre et de la rentabilité des
projets mais aussi de leur qualité et de leur impact sur la transition ;
- importance d'une présence locale dans chacun des pays
d'opération ;
- préservation de l'expertise sectorielle de la Banque ;
- absence de priorités sectorielles rigides mais place
particulière pour le secteur des institutions financières ;
- compte tenu du caractère limité des moyens face à
l'ampleur des problèmes à résoudre, recherche d'un effet
multiplicateur maximal pour les interventions de la Banque à travers, en
particulier, leur " effet de démonstration " et la
mobilisation d'autres ressources à travers des opérations de
cofinancement ou de " syndication " de prêts.
3. Une organisation plus rationnelle
La nouvelle direction a parallèlement apporté
une solution pragmatique et efficace à la séparation initiale
entre banque d'affaires et banque de développement,
génératrice de doubles emplois souvent nuisibles à
l'image de la BERD et à son efficacité.
Une nouvelle organisation dite " matricielle ", peu
hiérarchisée, lui a été substituée dans
laquelle les banquiers sont répartis en trois catégories
d'équipes : par pays (10), par secteurs (12) et par " unités
de soutien " (5).
Si ces structures marquent en réalité l'influence
déterminante prise dans les faits par
la logique bancaire
et le
respect des principes bancaires, cette évolution très
délicate, consistant à
concilier deux cultures
-celle de
l'aide au développement et celle de la banque privée- pour
beaucoup antagonistes, a été conduite sans heurts, de
manière maîtrisée et intelligente. Elle a surtout, sur le
fond, réussi à rendre compatibles les mécanismes bancaires
avec l'objectif d'intérêt général que constitue
l'aide à la transition économique.
Le
recrutement de la Banque
a été orienté dans le
même sens. La plupart de ses agents -majoritairement affectés au
département bancaire- ont une expérience de " merchant
bankers " ou d' " investment bankers " que
l'expression
française " banquier d'affaires " ne traduit
qu'imparfaitement. Leur expérience, acquise le plus souvent dans de
grandes institutions bancaires ou financières de niveau international,
les conduit à privilégier la réalisation de projets
précis dont ils ont la responsabilité du début à la
fin du processus -avec l'aide, le cas échéant et suivant les
circonstances, de banquiers appartenant à d'autres équipes que la
leur. La conciliation entre les différents impératifs de la
Banque se fait donc projet par projet et aux différents stades de
l'élaboration.
4. Une gestion très rigoureuse
L'autre impératif qui s'imposait à la BERD pour
redresser l'image compromise de l'institution concernait le resserrement de sa
gestion interne et le renforcement de sa viabilité financière.
Cet
objectif a été atteint
-au prix d'efforts importants
et à bien des égards exemplaires, qui mériteraient
d'être imités dans d'autres institutions internationales- au cours
des trois dernières années.
Depuis la fin 1993, les
dépenses administratives n'ont connu aucune
croissance en termes réels.
Les seuls recrutements nouveaux ont
été financés grâce aux économies
engendrées par la réduction du coût du conseil
d'administration et la réallocation des locaux qui ont permis, faute de
pouvoir renoncer au bail de location de l'immeuble du siège, à en
sous-louer deux étages sur dix. Symboliquement, le président a
participé à cet effort en renonçant aux luxueuses
installations de son prédécesseur pour s'installer au plus
près des équipes. De nouveaux efforts de productivité sont
à prévoir pour atteindre les objectifs de " croissance
maîtrisée ".
D'importants moyens sont mobilisés pour améliorer sans cesse la
qualité de la gestion
: la vice-présidence chargée
de l'évaluation effectue des analyses a posteriori d'un certain nombre
d'opérations et publie un rapport annuel sur l'ensemble de la gestion de
la Banque. L'amélioration de la productivité s'appuie sur un
système très sophistiqué. L'ensemble des données
sont traitées de manière à évaluer le temps
consacré à chaque projet, quelle que soit la composition des
équipes, et à établir des normes de
référence. Celles-ci tiennent compte de la nature des
tâches et de leur plus ou moins grande difficulté, compte tenu
notamment de l'état de la transition dans le pays concerné. De
même, l'état d'avancement de chaque projet est connu et tenu
à jour en permanence.
Au total, les dépenses administratives n'ont pas augmenté depuis
1993 et
les frais généraux ont sensiblement diminué
-alors que, dans le même temps, le portefeuille de la Banque faisait
plus que doubler.
Cet
effort remarquable de réduction des coûts, d'accroissement
de la productivité et de discipline financière
devra
naturellement être poursuivi dans les années à venir pour
conforter la viabilité financière de la BERD.
Pour l'heure, les
résultats d'exploitation sont satisfaisants.
En
1995, la Banque a dégagé un profit avant provisions de 83
millions d'écus et 7,5 millions d'écus de bénéfices
nets. Pour les trois premiers trimestres de 1996, ces chiffres sont
respectivement de 69,7 et 2,1 millions d'écus.
5. Une présence locale renforcée
Parmi les efforts de gestion accomplis, une des orientations
les plus intéressantes réside incontestablement dans son
organisation très déconcentrée.
Elle apparaît
dans la large initiative personnelle laissée à chaque banquier
dans le cadre des orientations de la Banque et sous l'autorité -qui
s'exerce de manière très précise- du conseil
d'administration. Mais elle s'est surtout traduite par le
renforcement de la
présence locale de la BERD
qui lui a permis d'améliorer son
efficacité tout en réduisant les effectifs du siège.
La BERD dispose ainsi fin 1996 de
23 bureaux résidents
regroupant
environ
200 personnes
(au lieu de 5 bureaux, rassemblant seulement une
vingtaine de personnes, quatre ans plus tôt). En moins de deux ans, ces
effectifs ont doublé tandis que le personnel total de la Banque
s'accroissait de 12 %. Ils ont ainsi accompagné l'extension
géographique des activités de la Banque -qui couvre aujourd'hui
26 pays- en s'appuyant sur un personnel expatrié ou local de haute
qualité qui garantit, en particulier, la fiabilité des
informations, très précises, nécessaires à la BERD
pour élaborer et gérer de manière satisfaisante les
projets qu'elle conduit.
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B. UN FONCTIONNEMENT AXÉ SUR LES PRIORITÉS OPÉRATIONNELLES
Le fonctionnement de l'institution repose sur une chaîne efficace de décision sur les projets. Mais cette priorité opérationnelle s'appuie sur la possibilité pour la BERD de recourir à des moyens d'intervention variés et flexibles.
1. Une gamme d'instruments financiers diversifiée
Pour mener à bien les projets qu'elle retient, la
Banque dispose de
modes d'intervention diversifiés
-principalement les
prêts, les prises de participation et les
garanties
- qui lui permettent de répondre de façon
cohérente et adaptée au processus de transition
économique, à la fois complexe et particulier dans chaque pays.
Elle a de surcroît développé, au cours des dernières
années, des
opérations dites " indirectes "
effectuées à travers des intermédiaires financiers.
Au total, la BERD dispose aujourd'hui
d'une panoplie très
complète
d'instruments financiers déjà
expérimentés et transférés du secteur privé,
mais aussi en constante évolution compte tenu de la diversité des
situations auxquelles les services de la Banque se trouvent confrontés.
On comprend dans ces conditions qu'au-delà des missions
générales qui lui sont confiées et des règles de
gestion qu'elle s'impose à elle-même, aucun champ d'intervention
ne soit véritablement interdit à la Banque.
Avant de tenter de dresser le bilan de l'usage fait par la Banque de ces
différents instruments (cf. II ci-dessous), il convient cependant de
rappeler t
rois conditions fondamentales d'intervention
de la BERD qui
constituent autant de critères de sélection de ses projets.
- Il doit d'abord s'agir, car telle est la mission même de la banque, de
projets conformes au
principe de conditionnalité
qui recouvre
lui-même deux éléments. La BERD ne peut en premier lieu
retenir que des
projets qui favorisent la transition économique
et le développement du marché en promouvant l'initiative
privée et l'esprit d'entreprise ; cette condition figure au premier rang
des critères d'éligibilité aux interventions de la Banque.
Mais le principe de
conditionnalité
revêt aussi -et c'est
une originalité essentielle de la BERD- un aspect
politique
très important qui se réfère aux principes de la
démocratie pluraliste. Si ce critère tend heureusement à
passer au second plan compte tenu de l'évolution politique de la plupart
des ex-pays de l'Est, il demeure néanmoins très présent
dans l'élaboration des projets et parmi les éléments de
décision du conseil d'administration de la BERD. Cela est d'ailleurs,
selon votre rapporteur, particulièrement nécessaire dans certains
pays des Balkans ou de l'ex-URSS.
- Les
projets
financés par la Banque doivent ensuite être
rentables,
au moins à terme. Les prêts qu'elle consent
doivent ainsi être remboursés. Son accord institutif fait en effet
obligation à la BERD d'appliquer dans toutes ses opérations les
principes d'une saine gestion financière. Le mandat de la BERD lui
impose donc de fonctionner comme une banque et elle se définit comme une
institution qui doit parvenir à dégager une rentabilité.
Elle n'en est pas pour autant une banque comme les autres.
-
Car le
troisième critère
principal d'intervention de
la Banque réside dans son
caractère additionnel.
Cela
signifie que la BERD intervient en quelque sorte
à titre subsidiaire
pour assurer des financements qui n'auraient pas été
disponibles -à des conditions raisonnables- sans sa participation. Elle
ne doit donc pas se comporter comme une banque commerciale ordinaire, mais
n'intervient que là où le secteur privé n'accepte pas
d'aller. Ainsi la BERD doit-elle intervenir dans le créneau
limité où les perspectives de rentabilité de
l'investissement sont insuffisantes pour les banques privées mais ont
néanmoins une virtualité suffisante pour justifier l'octroi d'un
financement.
Dans le même esprit, la BERD n'agit pas en concurrence mais au contraire
en
complémentarité avec les autres institutions
financières internationales,
notamment la Banque mondiale ou la SFI
(société financière internationale.)
2. Une chaîne efficace de décision sur les projets
Dans ce cadre étroit -qui consiste à financer
des projets rentables sans maximiser ses profits tout en favorisant la
transition économique et la démocratie-, chaque projet suit une
chaîne de décision assez longue mais dont les
éléments constituent autant de garanties pour la
régularité et la "faisabilité" du montage financier, en
même temps qu'elle permet de s'assurer de l'"impact" de chaque projet
sur
la transition. Les
phases d'adoption de projet
sont les suivantes :
La phase d'
identification
consiste dans la prise de contact avec
l'investisseur ou le client potentiel et qui se traduit par la nomination d'un
"responsable d'opération" au sein de la Banque.
L'approbation de l'avant-projet
débouche sur
l'établissement d'
une lettre de mandat
, base d'un accord de
coopération, signé par les deux parties, comportant le rappel des
règles suivies par la Banque et celles qui présideront à
l'établissement des rapports de travail.
La procédure d'approbation interne
est elle-même
divisée en deux phases, l'"examen initial" dans lequel la structure
globale de financement est esquissée et l'"examen final" en vue duquel
l'ensemble des détails financiers et juridiques sont soigneusement mis
au point. Dans ce but, le responsable de l'opération et le client
mettent au point les dernières modalités en signant une
lettre
de financement
. En outre, le client rédige une
lettre
d'information
exposant en détail les bases juridiques de
l'entreprise et les contrats importants pour son avenir.
Ces deux dernières étapes font intervenir une instance
très importante dans le processus de décision : le
comité d'opération
(ou
"opscom"
),
présidé par le premier vice-président et qui examine les
projets de façon très détaillée. Il joue le
rôle de comité de crédit et comprend, outre des
représentants du département bancaire, le " chief
economist ", le " general counsel ", le
vice-président
finances et le directeur du "credit and commercial co-financing
department"
ainsi que plusieurs observateurs en tant que de besoin. Ce comité se
réunit chaque semaine. Il vérifie la faisabilité des
projets non seulement sous l'angle financier mais dans leurs différents
aspects. La préparation de l' " opscom " est
particulièrement soignée, chaque département
concerné étant appelé au préalable à apposer
son paraphe sur le document mis en circulation ou à faire part de ses
objections.
Chaque projet est enfin soumis au
conseil d'administration
qui donne
l'approbation finale avant signature.
Le délai moyen d'aboutissement d'un projet est d'environ un an, ce qui
laisse à penser que le délai peut-être plus long. La
procédure, inspirée par les pratiques de la Banque mondiale, peut
paraître assez lourde, mais offre un maximum de garanties.
Ce processus de décision, particulièrement rigoureux et
professionnel, permet notamment
la vérification d'un certain nombre
de critères d'éligibilité des projets :
. l'engagement de la Banque ne peut excéder 35 % du coût d'un
projet absolument nouveau ou 35 % de la capitalisation à long terme
d'une société déjà créée ;
. des contributions substantielles en capital (qui peuvent prendre la forme
d'apports en nature) sont requises des autres investisseurs, en particulier des
"sponsors" industriels. Une attention toute particulière est
accordée à leurs aptitudes techniques et à leur
expérience du management ;
. les types de financement ne doivent pas dépasser les 2/3 en ce qui
concerne les prises de participation ;
. des financements complémentaires d'autres investisseurs sont
exigés ;
. enfin, la Banque ne doit pas normalement accorder des prêts pour
financer l'achat d'actions.
*
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II. LES ACTIVITÉS DE LA BERD : ESQUISSE DE BILAN ET PERSPECTIVES
A. LES OPÉRATIONS DE LA BANQUE AU 1ER JANVIER 1996 : UN BILAN POSITIF POUR UNE IMAGE RESTAURÉE
En à peine plus de cinq ans, la BERD s'est placée à l'avant-garde du processus d'investissement dans les pays d'Europe de l'Est et est devenue le premier investisseur privé de la région . Elle a recouru pour y parvenir à des opérations , directes ou indirectes, de plus en plus diversifiées .
1. Le premier investisseur privé de la région
Au ler janvier 1996, 368 projets avaient ainsi
été approuvés, soit une augmentation de
25 %
en un
an. Le montant cumulé s'élevait à
7,9 milliards
d'écus (pour 10 milliards de capital) dont 5,9 milliards avaient
été effectivement engagés. La taille moyenne des projets
s'élevait, début 1996, aux alentours de 21 millions, ce qui reste
relativement important.
Au total, la BERD a ainsi été associée à
plus de
15 % des investissements étrangers directs
effectués dans la
région.
a) S'agissant de la
répartition géographique
des
opérations, qui est un des enjeux les plus importants pour la Banque (le
conseil d'administration considère cependant que l'objectif de
diversification est désormais atteint), elle a logiquement
privilégié jusqu'ici les pays les plus avancés : 45 %
contre 33 % pour les pays situés à un stade intermédiaire,
20 % pour la Russie et 8 % pour les pays les moins avancés.
La BERD, en diversifiant ses interventions,
est intervenue dans l'ensemble
des pays du champ
. La Russie est le pays qui absorbe, du fait même de
son immensité, le plus grand nombre de projets (64 depuis l'origine pour
1,7 milliard) devant la Hongrie (44 projets pour un milliard), la Pologne (50
pour 0,8 milliard), la Roumanie et la République tchèque. A
l'autre extrême, se situent les pays du Caucase et les plus petits Etats
d'Asie centrale.
b) S'agissant de la
répartition du portefeuille entre secteur
privé et secteur public
, il s'établissait début 1996
à
74 %
en faveur du secteur privé -au lieu de 50 % en
1993- ce qui marque bien l'orientation de la Banque en faveur du
développement de l'économie de marché. La Banque a donc
dépassé, en termes cumulés, l'
objectif statutaire de 60
%
des opérations en faveur du secteur privé.
Ce taux était cependant variable suivant les pays puisque le taux de 60
% n'était pas encore atteint dans la plupart des pays les moins
avancés (13 pays sur 25). En revanche, ce taux moyen était
largement dépassé dans plusieurs pays : plus de 90 % pour la
Hongrie et la Pologne mais aussi
83 % pour la Russie
, ce qui est un
indice positif de la capacité d'évolution de ce pays.
c)
Sur le plan sectoriel
, enfin, le secteur des
institutions
financières
est, tant en nombre qu'en valeur, le plus important : 28
% (114 projets -dont 43 pour le soutien et le renforcement direct du secteur
financier- pour un montant total de 1,6 milliard). La plupart de ces
opérations ont été de nature interbancaire.
Le développement d'un solide
secteur bancaire local
constitue en
effet l'une des
priorités
essentielles de la BERD qui poursuit en
la matière deux objectifs complémentaires :
- d'une part, améliorer l'efficacité des banques locales
(restructurations, privatisations, formation du personnel, création de
nouvelles banques commerciales) ;
- d'autre part, atteindre le secteur privé et notamment les petites et
moyennes entreprises.
Après le secteur financier, les principales interventions de la BERD
portaient sur le soutien aux industries manufacturières et, surtout, aux
différentes infrastructures nécessaires au développement
de l'initiative privée : transports (14 %), électricité et
énergie (11 %), télécommunications (9 %).
Par ailleurs, 27 % des engagements concernaient le secteur financier local,
illustrant la volonté d'atteindre le milieu des petites et moyennes
entreprises.
d) Au total, les sommes approuvées pendant l'année 1995 avaient
été de 2,86 milliards d'écus, ce qui peut d'ailleurs
paraître faible au regard de la demande estimée (près de 5
milliards par an).
En fait, il apparaît que l'action cumulée de la BERD depuis sa
création a eu
un effet multiplicateur important
(
de l'ordre de
2,2
) pour atteindre un flux de
19 milliards d'écus
environ.
On rappellera cependant que, selon le rapport sur la transition de 1995,
l'ensemble des investissements étrangers directs dans la zone
géographique couverte par la Banque était à peine
supérieur aux investissements étrangers directs dans un pays
comme la Malaisie qui ne compte que 19 millions d'habitants...
L'expansion des activités de la Banque a été d'autant plus
remarquable qu'elle s'est effectuée dans
un contexte de grande
rigueur budgétaire
, qui lui a permis d'obtenir un compte
d'exploitation positif (7,5 millions d'écus) en dépit d'une
politique de provisionnement supérieure aux prévisions (75,3
millions d'écus).
Il est également particulièrement intéressant de noter que
la part des revenus de la BERD provenant de ses opérations bancaires est
passée de 20 % du total des revenus en 1994 à 36 % à
la fin de 1995 et que, pour la première fois, est apparue une
contribution substantielle du portefeuille de participations.
2. La répartition des opérations directes et indirectes
A côté des
opérations directes
"classiques"
, la Banque a développé des
opérations
dites "indirectes"
qui représentent aujourd'hui le quart de ses
engagements.
a) Les 75 % d'
opérations directes
se répartissent en
24
% de prêts au secteur public, 38 % au secteur privé, 10 % en
prises de participation et 3 % en engagements de garanties.
Si les
prêts
constituent l'essentiel des opérations de la
Banque, les
opérations en capital
en représentaient ainsi
à la fin 1995 une part non négligeable appelée encore
à croître dès 1996 (20 % selon les estimations
réalisées en septembre).
La Banque apporte les capitaux sous forme de
prêts ou
de
participations à long terme
que le marché n'offre pas.
Elle permet ainsi d'importantes opérations de restructuration (par
exemple, celle du plus gros constructeur russe de camions Kamaz). Sa
qualité de créancier privilégié fait qu'une
intervention de sa part, même minime, peut inciter des opérateurs
privés à s'engager dans une opération qu'ils auraient
considérée comme trop risquée.
La
prise de participation
au capital donne à la BERD, comme
à tout actionnaire privé, le droit de siéger au conseil
d'administration -où elle possède d'ailleurs souvent une
influence qui va au-delà de sa part dans le capital-. Son
représentant a ainsi la possibilité de suivre au jour le jour
l'évolution de l'entreprise, diffusant progressivement les règles
d'une bonne gestion dans ses aspects les plus élémentaires
(comptabilité, répartition des actifs, réorganisation,
souci du marché et de l'équilibre d'exploitation, etc). La prise
de participation se traduit ainsi par une
action diffuse
, coûteuse
en temps mais qui peut exercer un rayonnement bien au-delà de
l'entreprise ou du secteur. On comprend dans ces conditions
l'intérêt de sélectionner avec soin chaque opération
afin que l'
effet d'exemplarité
soit le plus grand possible.
Le but de la Banque n'est pas cependant de détenir sur le long terme une
fraction du capital d'une entreprise, fut-ce pour l'aider à
évoluer :
il est de faciliter la transition
. La "
sortie du
capital
" est donc l'un des points envisagés dès l'origine du
projet, même si le moment ne saurait être déterminé
avec précision. Très souvent, la Banque s'efface dès
qu'elle a trouvé un "investisseur stratégique" susceptible de
prendre le relais et de s'impliquer dans le secteur. Tel fut le cas par exemple
pour un de ses investissements dans une entreprise du secteur pharmaceutique en
Hongrie.
Les
prêts au secteur public
ne sont pas négligeables mais
ils ont tendance à décroître au fur et à mesure du
développement de l'économie, dans le respect du critère
d'"additionalité". La BERD pèsera donc en direction d'un
financement privé des équipements publics même si, par
définition, il ne pourra s'agir que d'investissements à
très long terme où son engagement sera décisif. Tel est le
cas par exemple du financement de réseaux autoroutiers à
péage où la Banque a permis d'ores et déjà
d'obtenir des résultats concrets (en Hongrie en particulier).
De même, ces prêts au secteur public ou bénéficiant
d'une garantie souveraine ne signifient pas pour autant que la Banque
s'éloigne de ses objectifs. Ils peuvent être un moyen de
"démarrer" le processus. Telle est la vocation des mécanismes
dits "pyramidaux", utilisés par exemple en Asie centrale. La BERD
prête à une institution publique, par exemple la Banque centrale,
à charge pour celle-ci de rétrocéder les sommes à
des banques locales, choisies selon des critères précis, pour
qu'elles les reprêtent à leur tour selon des règles
également préétablies.
b) Bien que quantitativement moins importantes,
les opérations dites
"indirectes"
sont particulièrement intéressantes car
elles
regroupent toute une série de nouveaux produits
générés par la Banque au cours des dernières
années.
L'idée qui sous-tend ces modes d'interventions est que la BERD ne peut
espérer atteindre les "couches profondes" de l'économie qu'en
recourant à
des intermédiaires financiers
qui
présentent un triple avantage :
- la
démultiplication de ses interventions
(elle peut
prêter par exemple à une ou plusieurs banques à charge pour
celles-ci de prêter à des clients qu'elles auront
elles-mêmes identifiés mais qui n'auraient pu prétendre
à un accès à la BERD). Ces opérations sont aussi un
élément d'amélioration de la productivité de ses
interventions ;
- un
effet pédagogique
car pendant toute la durée de
l'opération, l'intermédiaire financier travaille en quelque sorte
"en double commande" et ainsi peut s'effectuer un transfert
d'expertise
progressif ;
- une
réduction des risques
dès lors qu'elle ne s'engage
pas directement dans un milieu qu'elle connaît mal ou dont les structures
ne sont pas encore stabilisées.
L'engagement peut cependant aller plus loin et consister par exemple dans la
création de fonds régionaux d'investissement -notamment en
Russie- qui permet de choisir les entreprises petites et moyennes qui ont
besoin d'un apport en capital et de l'expertise afférente. Ces fonds
peuvent être des fonds de capital-risque mais aussi des fonds de
restructuration ou des fonds de postprivatisation.
Cette approche indirecte peut d'ailleurs être combinée avec la
mobilisation d'autres ressources publiques, par exemple en provenance du
programme " Phare " de l'Union européenne (opérations
d'économie d'énergie ou d'action sur l'environnement).
La BERD a aussi lancé en 1995 un nouveau produit dit
"multiproject
facility"
qui lui permet de s'engager avec un partenaire privé pour
un ensemble d'opérations, de répartir les risques mais aussi
d'améliorer l'efficacité globale de ses interventions. Ces
"multiprojects facilities" peuvent être l'une des voies d'intervention
pour l'amélioration de la gestion des services publics locaux. Ainsi,
parmi les quatre "multiprojects" signés en 1995, l'un concerne la
gestion de l'eau et des déchets.
Au total, le plus grand nombre des
25 % d'opérations indirectes
s'étaient effectuées début 1996 à travers des
intermédiaires financiers sous forme de
lignes de crédit
(18 %), de
fonds d'investissement
(1 %) et de
financements
destinés au développement du commerce (1 %), tandis que 2 %
servaient à financer des
opérations dites Multi Project
Finance
(MPF) et 2 % de prises de
participation à haut
risque.
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B. LES PERSPECTIVES DE LA BERD : UNE ACTION QUE LE DOUBLEMENT DE SON CAPITAL SOCIAL DOIT LUI PERMETTRE DE POURSUIVRE
1. Le doublement du capital de la Banque
M. Jacques de Larosière a souligné devant notre
commission l'extrême importance de la
décision récente
de porter le capital autorisé de la BERD de 10 à 20 milliards
d'écus.
Les
prochaines années
seront en effet
déterminantes
dans l'édification de la "nouvelle Europe" et, plus
généralement, pour l'avenir de la transition économique
dans tous les pays concernés. Les
services attendus de la BERD
ne
feront ainsi qu'augmenter dans tous les pays où elle opère
puisqu'un nombre croissant de pays abordent ou s'avancent dans le processus de
transition.
Or, les projets approuvés par la Banque représentent
déjà 8,8 milliards d'écus. Dès les premiers
mois de 1997 devrait être atteint le chiffre de 10 milliards
d'écus correspondant à la limite maximale des engagements
possibles au titre du capital initial.
Dès lors, sans augmentation de ce capital, la BERD n'aurait pu
espérer bénéficier que des remboursements sur les
prêts existants. Or, du fait du caractère récent de ses
engagements, la Banque n'aurait pu approuver, d'ici l'an 2000, que des
engagements annuels de l'ordre de 500 à 600 millions d'écus (au
lieu de 2 milliards aujourd'hui).
Seul un doublement de son capital pouvait donc permettre à la BERD de
poursuivre son action à un moment crucial de la transition
et de
maintenir ensuite ses activités.
Ce
doublement du capital social, formulé et accepté lors de la
cinquième assemblée générale de la Banque qui s'est
tenue à Sofia en avril 1996
, correspondait donc à une
nécessité si l'on entendait voir la Banque poursuivre son
rôle. Ce doublement pouvait même paraître comme un minimum au
regard de l'accroissement prévisible de la demande.
Cette demande de doublement du capital s'est appuyée sur une
réflexion stratégique à moyen terme, résumée
dans le rapport sur les priorités institutionnelles et le
scénario à moyen terme dont le conseil d'administration a
examiné récemment une version actualisée (1997-2000).
Il va de soi que l'acceptation de cette augmentation du capital,
répondant à une exigence technique -sauf à remettre en
cause la mission de la BERD elle-même- a été en outre
favorisée par la réorganistion de la Banque, la rigueur de sa
gestion et la discipline budgétaire de l'institution, reconnue par
l'ensemble de ses actionnaires.
2. La poursuite des activités de la Banque
Ce doublement du capital autorisé (dont 22,5 % de parts
appelées dont les paiements s'étaleront sur 8 ans), la BERD
prévoit d'augmenter progressivement le montant des
engagements
annuels
pour atteindre environ
2,5 milliards par an en 1999.
Cette
stratégie repose sur le maintien d'une gestion prudente (dans laquelle
le ratio entre l'emploi des fonds et le capital demeurerait égal
à 1) et une maîtrise très stricte, voire une
réduction des frais généraux.
Il faut à cet égard rappeler que, si les frais de personnel
représentent environ 32,3 % du compte d'exploitation, les frais
généraux proprement dits, hors subvention gouvernementale, qui
comprennent le logement du conseil d'administration, la
rémunération de ses collaborateurs ainsi que la location des
locaux, s'établissent à 24,35 %.
En ce qui concerne les
pays d'opérations
, il est prévu de
maintenir une couverture complète des différentes zones,
même si la part relative de chaque catégorie de pays est
appelée à varier. C'est ainsi que les opérations dans les
pays les plus avancés
devraient passer de 45 % à 33 % de
l'ensemble en l'an 2000. Les opérations dans les
pays
intermédiaires
devraient passer, quant à elles, de 27
à 17 %. En revanche, la
Russie
qui ne représentait que
20 % des opérations en 1995 devrait parvenir aux environs de 30 %
en l'an 2000. La progression pourrait être encore plus forte pour les
pays au
premier stade du développement
(de 8 à 20 %).
Cette évolution devrait s'accompagner d'une réduction de la
taille des projets
(18,3 millions pour les pays les plus avancés,
21 pour les pays intermédiaires, 26,4 pour la Russie, 14,6 pour les pays
les moins avancés). Le
secteur financier privé
devrait
demeurer le principal poste d'investissement de la Banque (41 %) tandis
que l'attention pourrait se porter davantage sur le secteur municipal et de
l'environnement, celui des économies d'énergie et celui des
infrastructures indispensables au développement, plus
particulièrement en matière de transports et d'énergie.
Au-delà de l'an 2000, la progression de la Banque pourrait être
d'environ 5 %, voire 7 % en terme d'engagement annuel, dès lors qu'une
politique active de gestion du portefeuille
et de recherche constante de
productivité pourrait être mise en place. Le plafond de 90 % du
capital devrait être atteint, suivant les hypothèses, vers 2003 ou
2005 pour décroître ensuite.
S'agissant du portefeuille,
la part moyenne du secteur privé
pourrait croître de 73 % en 1995 à
82 % en l'an 2000
. Une
préférence devrait être donnée aux opérations
en capital qui pourraient atteindre 30 % en l'an 2000 Les opérations "de
gros" seraient appelées à croître de 26 % aujourd'hui
à environ 38 % en l'an 2000.
A la fin du siècle, le
nombre de projets
dont il conviendrait
d'assurer le suivi serait de l'ordre de 770, soit pratiquement le double des
projets engagés depuis la fondation de la Banque. L'action de suivi, la
multiplication et la diversification des projets devraient donc conduire
à
renforcer les postes de résidents
au détriment du
siège à Londres.
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III. LA TRANSITION ÉCONOMIQUE : UNE MUTATION HISTORIQUE BIEN AMORCÉE MAIS QUI EXIGERA ENCORE DES EFFORTS CONSIDÉRABLES
A. L'ÉVOLUTION GÉNÉRALE : DES AVANCÉES RAPIDES MAIS INÉGALES ET CONTRASTÉES SELON LES RÉGIONS CONSIDÉRÉES
1. Des perspectives globalement encourageantes
Le dernier "
rapport sur la transition"
,
publié
par la BERD en novembre 1996, dresse un bilan globalement positif de
l'évolution de la transition économique des pays de l'Est et
relève, en particulier, des progrès notables au cours de
l'année écoulée.
Cinq données principales
doivent être principalement
relevées.
a)
Les réformes
accomplies font apparaître
des
avancées considérables
réalisées en quelques
années. Des transformations fondamentales ont été
opérées, qui mettent en cause les fondements mêmes du
fonctionnement des économies concernées, la répartition
des pouvoirs et les structures sociales elles-mêmes.
Des progrès importants ont été accomplis dans le
développement de l'activité du secteur privé, de la
libéralisation des prix et du commerce extérieur, et de la
maîtrise de l'inflation.
Le retour à la
croissance économique
constitue cependant
un élément très important pour la poursuite du processus
de transition économique qui risquerait d'être remis en cause s'il
ne se traduisait de manière positive et concrète pour les
populations concernées. A cet égard (cf. 2. ci-dessous), les pays
d'Europe centrale et orientale et les pays baltes connaissent désormais
une croissance positive, tandis que les pays de la CEI ont connu une
évolution moins rapide, même s'ils semblent aujourd'hui en mesure
d'amorcer une reprise.
b)
En matière d'investissements
, les besoins restent très
importants. A cet égard, le
renforcement des systèmes
bancaires locaux
est appelé à jouer un rôle capital
pour développer l'épargne intérieure qui devra financer
l'essentiel de ces investissements - ce qui justifie la priorité
qu'accorde la BERD au développement de ce secteur.
Les
investissements étrangers
dans l'ensemble de la zone restent
encore -on l'a vu- relativement faibles. Ils progressent néanmoins de
façon très rapide. Ils ont ainsi doublé en un an, passant
de 6 milliards de dollars d'investissements étrangers directs en 1994
à 12 milliards en 1995. Au total, de 1989 à 1995, l'ensemble des
pays de la zone n'a toutefois attiré que 30 milliards de dollars
d'investissements directs étrangers.
La tendance est cependant très positive et favorable au
développement rapide de ces investissements. On doit également
relever un accroissement sensible des
mouvements de capitaux
dans
certains pays. La Pologne et la République tchèque ont ainsi
attiré chacune un milliard de dollars en 1995, et plus encore en 1996
-ce qui constitue un signe encourageant du développement des
marchés de capitaux et des privatisations dans ces pays-.
c)
Le développement d'un secteur financier et bancaire
constitue
-c'est le troisième point-
un véritable défi
,
s'agissant d'un domaine qui était très peu
développé, voire quasi-inexistant, dans les économies
planifiées antérieures.
Si des progrès ont été réalisés, beaucoup
reste encore à faire avant que ces pays puissent s'appuyer sur un
secteur bancaire sain et efficace. Il faudra encore du temps pour
développer les institutions nécessaires et les doter de
l'expérience et de la crédibilité indispensables. Ainsi
que l'a souligné fortement le président de la BERD, "des
problèmes difficiles restent encore à résoudre : bilans
alourdis par des créances douteuses ou irrécouvrables,
insuffisante capitalisation, ressources trop courtes, frais
généraux excessifs, systèmes de contrôle interne
insuffisants... Pour renforcer ce secteur vital, des mesures doivent être
prises sur les trois fronts que sont la stabilisation macro-économique,
l'assainissement des banques et la supervision bancaire. Les progrès
à réaliser ne seront pas faciles. Mais ils sont la clé du
développement de l'épargne et des marchés de capitaux et
permettront de mobiliser des sources considérables de croissance
économique."
d) En quatrième lieu,
l'importance de la restructuration des grandes
entreprises
justifie également une action intensifiée de la
BERD en ce domaine.
Les
besoins
demeurent en la matière
considérables
-y compris après les privatisations- compte tenu de l'ampleur des
problèmes hérités des précédents
régimes. Il faudra, là aussi, beaucoup de temps pour adapter
l'organisation et les méthodes de production aux exigences de
l'économie de marché. Les principaux obstacles aux progrès
de la restructuration sont d'ordre financier et social, mais aussi juridiques.
Les contraintes de la concurrence et de la réduction des subventions
budgétaires provoquent cependant des avancées positives. Ainsi,
la Hongrie, la Pologne et la République tchèque imposent une
stricte discipline financière à leurs entreprises.
Alors que les investisseurs privés hésitent encore à
engager des capitaux à long terme dans ce domaine de la restructuration,
la BERD a développé son action en la matière, notamment en
Russie (avec l'entreprise de poids lourds Kamaz, les usines automobiles Gorki),
en Hongrie (avec les entreprises de produits plastiques Graboplast et Borsod
Chem, l'entreprise pharmaceutique EGIS), en Slovaquie (Slovenida Lodenice :
reconversion d'un constructeur naval militaire) ou encore en Croatie
(entreprise pharmaceutique Pliva)...
e) Enfin, les besoins restent également très importants
en
matière d'infrastructures
. Après des dizaines d'années
de mauvaise gestion et de manque d'entretien, et compte tenu des contraintes
budgétaires actuelles, les investissements nécessaires sont
considérables. Mais, là encore, si leur potentiel s'accroît
à mesure que la transition progresse, les financiers privés
hésitent encore souvent à effectuer seuls les investissements
à long terme nécessaires en la matière.
La BERD s'efforce donc là aussi de jouer un rôle "additionnel"
actif, des infrastructures adaptées étant capitales dans des
domaines aussi variés que les télécommunications,
l'électricité, l'eau ou les ports, pour ne citer que quelques
exemples.
L'ensemble de ces évolutions et l'ampleur des difficultés qui
restent à résoudre appellent
trois observations
:
-
ces évolutions doivent d'abord être restituées dans
une perspective historique
pour faire l'objet d'une juste
appréciation ; ainsi que l'a souligné le Président de
Larosière devant notre commission, des transformations fondamentales ont
été opérées en moins de cinq ou six ans ; "si nous
songeons au temps qu'il a fallu pour que l'Europe occidentale libéralise
son économie après la deuxième guerre mondiale, nous ne
pouvons qu'être frappés par la rapidité des progrès
accomplis par la plupart des pays de la région" ;
- mais il est aussi
essentiel que les avancées enregistrées se
traduisent par des changements positifs pour les populations concernées
(plus de 400 millions d'habitants), car le
coût des
réformes
en cours et des changements engagés est
nécessairement
très élevé sur le plan
social
, et éventuellement politique ; le retour d'une croissance
économique élevée est de ce fait essentiel pour
éviter l'accroissement de la pauvreté dans les pays de la zone et
empêcher le risque d'une interruption du processus de transition ;
- enfin, les traits dominants évoqués ci-dessus ne sauraient
dissimuler
des évolutions très contrastées selon les
pays concernés
, principalement entre les pays d'Europe centrale et
orientale et les pays de la CEI.
2. Des évolutions encore très contrastées
a)
Les pays d'Europe centrale et orientale
, auxquels
il
est possible d'ajouter les Etats baltes, bénéficient d'une
croissance positive
depuis trois ou quatre années. Cette
croissance a même dépassé 5 % en moyenne en 1995 et devrait
encore être proche de 4 % en 1996.
D'autres facteurs apparaissent également dans ces pays très
encourageants :
- l'amélioration de la gestion budgétaire et monétaire a
permis
une forte diminution de l'inflation
qui, fin 1995, était
dans tous ces pays inférieure à 40 % et même à 10 %
dans certains d'entre eux (Albanie, Macédoine, Croatie, Slovaquie,
République tchèque et Slovénie) ;
- les fondements de l'économie de marché ont été
solidement implantés dans la plupart de ces pays grâce en
particulier à la liberté des prix, du commerce extérieur
et des régimes de change, et aux privatisations ; ces évolutions
fondamentales -et remarquablement rapides- trouvent en particulier leur
traduction dans
l'accroissement de la part du secteur privé
dans
les économies nationales concernées : elle dépasse ainsi
70 % dans des pays comme l'Estonie, la Hongrie, la Slovaquie et la
République tchèque et est à peine inférieure en
Pologne.
b)
Les pays issus de l'ex-Union soviétique
n'ont pas connu une
évolution aussi rapide. Les
premières étapes
du
processus de transition y ont été
plus lentes et plus
tardives
. Des éléments très positifs de transformation
apparaissent toutefois depuis 1994 :
- après cinq années de
récession
souvent
dramatique, la BERD estime ainsi que plusieurs pays de la CEI pourraient
renouer avec la
croissance
en 1997 ;
- en même temps que l'interruption de la chute de la production,
l'inflation a considérablement diminué
, notamment en
Russie (800 % en 1993, 27 % d'octobre 1995 à octobre 1996) ;
- des progrès, quoique inégaux, ont été aussi
accomplis en matière de
privatisations,
tandis que les
règles du marché et de la concurrence se répandaient dans
de nombreux pays en même temps que la libéralisation des prix et
du commerce extérieur.
Néanmoins, de graves facteurs de préoccupation demeurent et
soulignent que la transition économique n'en est qu'à ses
débuts :
- des
éléments de fragilité
très
inquiétants persistent, comme les retards de paiement des salaires ou
l'importance des dettes interentreprises,
- des
réformes centrales
, complexes et exigeant du temps,
restent à accomplir ou ont été à peine
amorcées
: mise en place d'un système fiscal moderne,
réforme du secteur financier et bancaire, privatisations et
restructurations de grandes entreprises ...
- enfin, si ces Etats sont conscients de la nécessité de
poursuivre avec constance les réformes indispensables, leur
rythme
et la
volonté politique
de les conduire restent encore
très différents d'un pays à l'autre.
c) Ces évolutions très contrastées entre pays ont conduit
la BERD à répartir les économies de 25 pays de l'Est en
trois catégories
, aux frontières au demeurant mouvantes,
selon le degré d'avancement du processus de transition auquel il sont
parvenus :
- les
pays les plus avancés
au regard des principaux
éléments de la transition (privatisations, restructurations,
liberté des prix et du commerce extérieur, réforme du
secteur bancaire), à savoir
la République tchèque, la
Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie et les trois
Etats baltes ;
-
les pays intermédiaires
, qui rassemblent à la fois les
autres pays d'Europe centrale et orientale -
Albanie, Bulgarie,
Macédoine et Roumanie-
et une partie des pays de la CEI dans
lesquels il faut compter
la Russie
ainsi que
l'Arménie, la
Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Moldova, l'Ukraine et
l'Ouzbékistan ;
- enfin,
les pays les moins avancés
dans le processus de
transition, où le secteur public demeure dominant et où le
secteur privé représente moins de 20 % du PIB :
l'Azerbaïdjan, le Bélarus, le Tadjikistan et le
Turkménistan.
Cette
classification rejoint la
question
plus
générale dite
de la " graduation "
qui est
encore débattue au sein de la BERD. Votre rapporteur estime à cet
égard devoir formuler deux observations :
- la répartition des pays en catégories, selon le degré
d'avancement du processus de transition, ne vise pas à dresser un
quelconque " tableau d'honneur " des pays concernés ; elle
permet en revanche d'apprécier de manière plus précise et
synthétique l'évolution de la situation dans chacun d'eux ; elle
permet surtout à la BERD d'
élaborer, dans chaque cas, les
modalités d'intervention les plus efficaces
qui ne sont
naturellement pas les mêmes dans les pays les plus avancés et dans
les pays les moins avancés : dans le premier cas, la priorité
pourra être donnée à des formes de partenariat plus
élaborées, notamment avec des industries locales
privatisées confrontées à des problèmes de
restructuration ; dans le second cas, l'accent devra être mis sur des
actions d'infrastructure ou sur le développement d'un secteur financier
naissant ;
-
la " graduation "
pose ensuite plus largement la
question de
l'évolution à venir des activités de la BERD et,
singulièrement, celle de savoir si la Banque devra continuer à
intervenir dans les pays les plus avancés lorsque ceux-ci pourront avoir
recours à des financements de marché à des conditions
raisonnables. Certains souhaitent donner corps à cette notion de
" graduation " par la définition d'un ensemble de
critères économiques et financiers
permettant
d'évaluer, de manière aussi objective que possible, les
progrès de la transition. Mais la plupart des observateurs soulignent
qu'en tout état de cause la BERD devra rester active dans
différents domaines -comme la restructuration des grandes entreprises,
les systèmes financiers ou l'environnement- où
beaucoup reste
à faire
et qu'il est politiquement difficile et techniquement peu
souhaitable d'imaginer dès maintenant une cessation des activités
de la Banque dans certains pays.
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B. LE CAS DE LA RUSSIE
Au-delà même du rôle de la BERD, l'importance intrinsèque de la transition économique en Russie a conduit votre rapporteur à estimer utile de rassembler ici quelques données sur l'évolution de la situation économique russe qui donne encore lieu à des appréciations contrastées, les investisseurs privés étrangers -et notamment français- semblant encore réticents à s'engager sur ce marché malgré les encouragements qui leur sont prodigués et la volonté politique de soutien à l'économie russe affichée par la plupart des gouvernements et les institutions financières internationales- particulièrement avant les dernières élections présidentielles en Russie ...
1. Une situation économique très préoccupante malgré des acquis incontestables
La Russie a incontestablement accompli
des progrès
sur la voie de l'instauration d'une économie de marché et de
la transition économique. Des signes de meilleure stabilité
économique ont été enregistrés depuis 1995 :
- le principal acquis de cette politique de stabilisation demeure
la
maîtrise de l'inflation
; grâce à des politiques de taux
de change et d'émission rigoureuses, le taux d'inflation a
été continûment réduit : plus de 800 % en 1993, 215
% en 1994, 130 % en 1995 et, selon certaines prévisions, environ 25 % en
1996 ;
- les résultats du
commerce extérieur
continuent
également d'être honorables avec un excédent de 13,6
milliards de dollars pour le premier semestre 1996, malgré certains
signes de fléchissement par rapport à 1995 (25 milliards
d'écus d'excédent).
Les tendances macroéconomiques globales demeurent néanmoins,
à bien des égards, négatives et font apparaître
trois motifs de préoccupation majeurs.
- En premier lieu,
la récession
de ces dernières
années
n'a pas été surmontée
. Contrairement
aux prévisions optimistes -qui ont dû être
révisées à la baisse- qui prévoyaient une
croissance de plus de 2 % pour 1996, le PIB russe a connu une nouvelle chute,
évaluée à 6 % pour les huit premiers mois de
l'année. Certains experts voient dans cette évolution un
rôle accru de l'économie informelle au détriment de
l'économie officielle.
Des améliorations constatées en 1995 dans certains secteurs
clés, qui auraient pu tirer l'économie russe vers une croissance
positive, ont connu une nouvelle dégradation (industries
pétrolières, chimiques et métallurgiques notamment). De la
même manière, les investissements restent très insuffisants
pour constituer un facteur de croissance à moyen terme et ont connu une
nouvelle chute, de l'ordre de 10 %, au cours du premier semestre 1996.
- La
crise budgétaire et fiscale
constitue un autre
élément essentiel de la persistance des difficultés
économiques de la Russie. Alors que la situation s'était
sensiblement améliorée en 1995 -le
déficit
budgétaire
passant de 6 % à 4 % du PIB-, ce déficit
s'est à nouveau accru au premier semestre 1996 pour atteindre 6,6 % du
PIB et les prévisions pour l'ensemble de l'année ne sont
guère meilleures.
Cette situation a pour cause principale
une collecte fiscale
très
insuffisante et très inférieure aux objectifs. Les recettes
fiscales n'ont ainsi atteint que 13 % du PIB en 1995 et pourraient être
encore plus faibles (12 % du PIB) en 1996. La situation est de surcroît
aggravée par la priorité donnée au paiement des
arriérés de salaires, conduisant le gouvernement à
emprunter sur le marché intérieur au détriment de la
relance des investissements.
- La
situation sociale
-qui est la dernière traduction, la plus
préoccupante par ses conséquences potentielles, des
difficultés actuelles- est en effet caractérisée par la
persistance des
impayés de salaires.
Ces retards de paiement, ou leur absence totale, s'élevaient à 30
ou 40 milliards de roubles fin septembre 1996 et constituent l'un des
problèmes les plus pressants, dans l'armée, dans le secteur
d'Etat, mais aussi dans les entreprises.
Le
chômage
, pour sa part, continue de s'aggraver de façon
régulière : 7,1 % en 1994, 8,2 % en 1995 et 9,1 % en août
1996 selon la définition du Bureau international du travail. Ce taux de
chômage reste pourtant relativement faible au regard de la chute de la
production, ce qui illustre le faible niveau de restructuration du secteur
productif.
Au total, selon le ministère du travail russe, plus de 20 % de la
population -soit plus de 30 millions de Russes- disposent aujourd'hui de
revenus inférieurs au seuil minimum de subsistance.
2. La nécessité de profondes réformes pour assurer le succès de la transition
Cette situation économique et sociale appelle
naturellement
des mesures urgentes
pour réduire le déficit
budgétaire et améliorer la collecte fiscale. Dans ce contexte
difficile et alors que la stabilisation financière n'est pas
achevée, les résultats en termes de croissance économique
restent inquiétants.
Mais il faut aller au-delà et mettre en oeuvre ou poursuivre des
réformes en profondeur
pour assurer le succès de la
transition.
Les difficultés persistantes ne sauraient d'abord conduire à
mésestimer
les progrès accomplis
, notamment en termes de
gestion (politique budgétaire, gestion bancaire). De même, la BERD
a pu conduire avec succès un certain nombre d'opérations sur le
terrain -ce qui justifie, sur le plan micro-économique, une vision plus
optimiste des possibilités qui s'offrent en Russie que celle qui
résulte de l'analyse macro-économique générale.
L'évidence du chemin qui reste à parcourir conduit toutefois
à souligner ici, parmi d'autres, l'importance de deux orientations
majeures pour l'avenir :
- d'abord la nécessité de
conforter le système bancaire
russe : si, là aussi, certaines avancées ont
été constatées, et si la probabilité d'une crise
semble s'être estompée, un secteur bancaire solide et efficace
constitue, là comme ailleurs, une priorité ; or, dans un
environnement général dégradé, les grandes banques
du pays risquent d'être elles-mêmes menacées et souffrent
d'une sous-capitalisation importante, tandis que le système bancaire
dans son ensemble demeure déficient ;
- ensuite la nécessité de
renforcer la sécurité
juridique
, et plus généralement l'Etat de droit, en Russie :
ainsi les règles juridiques en matière de droit de
propriété ou de droit de la faillite doivent atteindre un
degré de sécurité plus important ; de même les
privatisations qui ont été effectuées ont souvent
donné une place prédominante aux dirigeants et " conseils
ouvriers " anciens, sans assurer l'indispensable amélioration de la
gestion.
C'est à ces conditions, aux yeux de votre rapporteur, que la Russie
pourra avancer sur la voie de la transition et que pourront notamment
progresser les investissements étrangers dans ce pays dont la
stabilisation -économique, mais aussi politique- est
l'intérêt de tous.
*
* *
IV. LES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
Au terme de cette rapide analyse, votre rapporteur souhaite, en guise de conclusion, formuler trois observations principales sur les activités de la BERD et l'avenir de la transition économique dans les économies est-européennes.
A. SUR LE DÉROULEMENT DE LA TRANSITION ET SON ACCOMPAGNEMENT PAR LA BERD
1. L'enjeu historique de la transition
La transition -vers l'économie de marché mais
aussi vers la démocratie politique- dans les pays d'Europe centrale et
orientale et dans les Etats issus de l'ex-Union soviétique constitue
un enjeu historique
pour l'avenir de notre continent. Cette
extraordinaire mutation représente un double défi pour
l'Europe :
- le défi de l'élargissement
de l'Union européenne
aux
pays d'Europe centrale et orientale candidats, avec l'empressement
que l'on sait, à l'adhésion ; or il va de soi que le
succès de cet élargissement très difficile -même si
chacun le considère aujourd'hui comme un objectif incontournable-
suppose une profonde transformation des économies en cause pour que ces
pays soient en mesure de satisfaire aux exigences de l'appartenance à la
Communauté ; des progrès ont été accomplis,
considérables dans certains pays, plus modestes dans d'autres, mais pour
tous beaucoup reste à faire ; la tâche ne sera pas facile et
prendra du temps ;
-
le défi,
ensuite,
de favoriser
le formidable
bouleversement que constitue
l'adaptation des Etats de l'ancienne URSS
à l'économie de marché après des
décennies de collectivisme ; car l'Europe de demain doit être
ouverte sur l'extérieur et assumer ses responsabilités
régionales et mondiales ; elle doit mettre en place un partenariat
solide avec ces pays, et d'abord avec la Russie, car il y va de la
stabilité géopolitique de notre continent.
Pour l'heure, ces paris ne sont pas gagnés. Certes,
l'ensemble de la
région évolue dans un sens globalement positif.
En moins de
six ans, des avancées considérables et des transformations
profondes, parfois radicales, ont été réalisées.
Les bases mêmes du fonctionnement de l'économie ont
été modifiées. L'évolution va dans le bon sens,
quoiqu'à des rythmes très différents, et est à cet
égard encourageante.
Mais
l'essentiel du chemin reste à parcourir,
au moins pour les
pays de la CEI. Les réformes qui doivent y être encore mises en
oeuvre sont les plus complexes et exigeront beaucoup de temps, qu'il s'agisse
de la mise en place d'un système juridique sûr et moderne, de
l'indispensable réforme du secteur financier et bancaire ou des
privatisations et restructurations nécessaires.
Ces bouleversements ont ensuite un
coût social élevé.
Et on ne peut aujourd'hui exclure, au moins dans certains pays qui ne sont
pas encore parvenus à sortir de la récession, que des
réactions sociales qui pourraient être compréhensibles
n'affaiblissent la volonté politique d'aller de l'avant et finalement
compromettent, voire interrompent, le processus de transition dans son ensemble.
C'est pourquoi
votre rapporteur hésite pour sa part à partager
l'optimisme relatif
exprimé par les institutions financières
internationales et par la BERD elle-même, particulièrement en ce
qui concerne la situation économique en Russie.
Ce constat et ces incertitudes elles-mêmes ne font toutefois que
renforcer l'importance de la mission et du rôle confiés à
la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.
2. La BERD : une action très positive avec des moyens limités
Dans ce contexte difficile, la BERD conduit aujourd'hui, sous
l'impulsion de son Président, une action très positive, compte
tenu de ses moyens qui restent très limités, pour accompagner ce
processus de transition dans l'ensemble des 25 pays de la zone. Trois points
essentiels méritent à cet égard d'être
rappelés.
- D'abord, le fait que la crédibilité et l'efficacité de
la Banque supposaient
la restauration de son image.
Cet
objectif,
qui passait par une gestion très rigoureuse, par une
stratégie recentrée et par une organisation interne plus
rationnelle, a été
atteint
. La viabilité
financière de la BERD a été renforcée. Le
mérite en revient en premier lieu -chacun le sait- à l'action
déterminée, maîtrisée et courageuse conduite depuis
plus de trois ans par le Président de Larosière.
- Ensuite, le fait que
la BERD est une institution originale.
C'est une
banque mais ce n'est pas une banque comme les autres. Elle est une institution
publique porteuse d'un mandat politique qui doit s'assurer, à ce titre,
aussi bien de l'état d'avancement de la démocratie que de la
transition vers l'économie de marché tout en promouvant un
développement durable, respectueux de l'environnement.
Si son propre développement implique qu'elle obtienne des
résultats positifs -ce qui est, en soi, un paramètre de
succès qu'on aurait tort de négliger- son objectif n'est pas de
maximiser ses profits. Il y a là un équilibre difficile à
tenir. Son succès même est le signe qu'elle doit bientôt se
retirer d'une opération (ainsi, par exemple, de la sortie du capital).
Elle doit aussi travailler " à la marge " dans un milieu
mouvant et diversifié. Elle est donc obligée en permanence de
veiller à sa propre vertu et tenue de défricher sans cesse de
nouveaux terrains d'intervention.
- Troisième observation, la plus importante en pratique :
la BERD
joue désormais un rôle de premier plan dans le processus
d'investissement de la région.
Elle y est devenue le premier
investisseur et a été associé à
plus de 15 % des
investissements étrangers directs
qui y ont été
effectués.
Intervenant dans l'ensemble des pays du champ, les projets qu'elle a
déjà approuvés dépassent
8 milliards
d'écus.
Et son effet d'entraînement est plus important encore
puisque la valeur totale des projets dépasse 21 milliards d'écus.
Ses moyens sont néanmoins strictement limités par le capital dont
elle dispose. Le
montant
global de ses interventions reste ainsi
relativement modeste
et ne permet évidemment pas de combler la
très grande insuffisance des investissements étrangers dans la
zone par rapport à ceux attirés par des régions en
développement comme l'Asie du sud-est.
L'action remarquable conduite par la BERD ne saurait dès lors, faute
de moyens suffisants, être surestimée.
Sa capacité
d'intervention n'est pas, aux yeux de votre rapporteur, à la mesure du
problème posé par la transition économique dans une zone
de 400 millions d'habitants, ni même dans le seul immense pays qu'est la
Russie.
o
o o
B. SUR LA CULTURE ET LE MODE DE FONCTIONNEMENT DE LA BANQUE
1. Une logique bancaire confirmée
Votre rapporteur avait souligné en 1992 (rapport
d'information n° 500, 1991-1992) que, dès sa mise en place, la
BERD avait reproduit assez fidèlement les méthodes de travail et
la culture anglo-saxonnes qui caractérisent les institutions
financières internationales et notamment le groupe de la Banque mondiale.
Cet
état d'esprit
a été
confirmé et
renforcé
au cours des dernières années. La
clarification nécessaire des structures de la Banque a permis de mettre
un terme aux tensions résultant de la dichotomie initiale entre banque
d'affaires et banque de développement. Il en est résulté
une organisation plus rationnelle et plus efficace, mise en place de
façon pragmatique et maîtrisée,
qui réussit
à concilier au mieux les deux cultures de l'aide au développement
et de la banque privée et à rendre compatibles les
mécanismes bancaires avec l'objectif d'intérêt
général d'aide à la transition. Mais il est clair que
cette évolution souligne l'influence déterminante prise dans les
faits par le respect des principes bancaires et les méthodes de travail
des banquiers d'affaires.
Cette évolution a fait la preuve de son efficacité et n'appelle
donc pas de critiques de votre rapporteur même si elle a pu
décevoir ceux qui, surtout en France, avaient imaginé à
l'origine faire de la BERD une véritable banque de développement.
Il n'est pas sûr au demeurant qu'une meilleure conciliation entre les
objectifs généraux de la Banque et les impératifs de
rentabilité aurait été obtenue par une organisation plus
inspirée par les structures administratives françaises telle que
l'a été, au moins à ses débuts, l'Union
européenne.
On observera de surcroît que
le profil retenu
était en fait
contenu dans le choix, dès l'origine, d'un instrument léger et
tenu d'intégrer les règles bancaires de base et
constitue
aujourd'hui un des éléments incontestables de la
crédibilité de la Banque,
non seulement auprès des
milieux financiers internationaux mais aussi auprès des interlocuteurs
de la Banque dans les pays d'opération.
Il apparaît enfin somme toute naturel de la part d'une institution dont
le but est de valoriser l'économie de marché d'adopter ces
mêmes règles dans sa propre gestion face à des
interlocuteurs qui en ont reconnu le bien-fondé et sont engagés
dans un processus difficile pour s'y adapter.
Pour ces raisons, le tropisme anglo-saxon de la BERD n'est pas contesté
en soi par votre rapporteur à la condition naturellement qu'il
préserve l'influence française dans le fonctionnement de la
Banque.
2. L'influence française au sein de la BERD
Votre rapporteur souhaite à cet égard formuler
deux éléments de relative satisfaction et un
élément de préoccupation.
-
La France bénéficie d'abord d'une représentation
assez satisfaisante au sein de la BERD.
Notre pays est, rappelons-le, l'un
des principaux actionnaires de la Banque (8,52 % du capital). Ses deux
présidents successifs ont été français. Nos
concitoyens y occupent une place non négligeable dans le personnel :
7,5 % des effectifs totaux et 8,2 % des cadres de haut niveau, banquiers ou
juristes,
sachant qu'il est assez naturel que le personnel de
secrétariat soit recruté à Londres et que les recrutements
de professionnels privilégient moins une nationalité qu'une
connaissance des méthodes anglo-saxonnes et une expérience des
techniques bancaires et financières.
-
La France bénéficie ensuite des activités de la
Banque.
Les entreprises françaises occupent une place très
significative dans les investissements réalisés avec le soutien
de la BERD (16 projets représentant 15 % du total des financements
alloués par la Banque en association avec le secteur privé).
Elles ont obtenu, depuis 1993, à la suite d'appels d'offres
internationaux, des contrats pour un montant de 157 millions d'écus,
représentant 10 % du total des contrats accordés dans le cadre
des projets de la Banque dans le secteur public.
Enfin, les banques françaises ont été actives dans les
opérations organisées par la BERD puisque, depuis sa
création, huit banques françaises ont participé à
33 projets représentant 150 millions d'écus.
- En revanche,
le rôle de la langue française au sein de la
BERD n'est pas à la hauteur de ce que l'on pourrait espérer.
Certes, le français fait partie des quatre langues autorisées
(avec l'anglais, l'allemand et le russe) et les travaux du conseil
d'administration -instance dirigeante principale de la Banque- ont
effectivement lieu dans ces quatre langues. Mais la langue de travail quasi
exclusive est bien l'anglais.
On peut y voir la conséquence naturelle de l'installation -qui n'est
d'ailleurs pas sans avantages- du siège de la BERD à Londres, au
coeur de la City. On peut voir aussi dans l'impossibilité
d'accroître les coûts de traduction et d'interprétariat
l'une des conséquences de l'effort -au demeurant exemplaire- de rigueur
financière poursuivi par la Banque dans sa gestion pour redresser son
image après les critiques dont elle avait fait l'objet.
Au-delà des principes,
votre rapporteur regrette néanmoins que
des documents essentiels de la Banque
-tels que le rapport annuel sur la
transition qui constitue un document de référence-
ne soient
pas diffusés en français,
et éventuellement d'ailleurs
dans d'autres langues. Car, au-delà de ses opérations
concrètes, la BERD est devenue un lieu d'expertise très
précieux pour la connaissance de l'évolution économique de
l'ensemble des pays en transition. Il est important qu'elle se dote des moyens
nécessaires pour informer de la manière la plus large possible
l'ensemble des investisseurs potentiels sur la situation des pays
concernés.
o
o o
C. SUR LE RÔLE À VENIR DE LA BERD
La
question centrale pour la stratégie de la BERD
est celle du rôle qui lui sera assigné pour l'avenir à
moyen et à long terme, dès lors que sa mission est d'accompagner
le processus de
transition
-par définition temporaire- dans son
champ de compétences et que le
caractère
" additionnel "
de ses interventions lui impose de
n'intervenir
que dès lors que le secteur privé ne peut le faire lui-même
à des conditions raisonnables et d'envisager de se retirer d'une
opération dès lors qu'elle a réussi.
Deux observations, au demeurant liées entre elles, peuvent être
à cet égard formulées sur l'évolution
géographique des actions de la BERD et sur l'accroissement de son
capital.
1. L'évolution de la répartition géographique des interventions de la Banque
Si la BERD envisage de maintenir dans les prochaines
années une couverture complète des différentes
catégories de pays, la part relative de chaque catégorie de pays
est appelée à subir une double évolution :
-
la réduction du pourcentage d'opérations consacrées
aux pays les plus avancés,
-
et la progression des opérations en Russie et dans les pays les
moins avancés.
La première évolution tient compte des progrès importants
accomplis par le processus de transition économique dans les pays les
plus avancés (notamment les pays de Visegrad) et de l'expansion soutenue
que connaissent désormais la plupart d'entre eux (en particulier la
Pologne, la République tchèque, la Hongrie et la Slovénie).
Elle pose, en revanche, à plus long terme, la question de
savoir si
ces pays sont appelés à disparaître de l'horizon de la BERD
dans la perspective de leur adhésion à l'Union européenne.
Il est à cet égard clair que, dans les années qui vont
précéder leur entrée dans l'Union, la situation de ces
pays justifiera encore une action substantielle de la BERD. Beaucoup
d'améliorations restent en effet à accomplir, notamment en
matière de restructuration d'entreprises, dans le secteur financier et
bancaire, ou dans le domaine de l'environnement dans lequel la Banque a, de par
ses statuts, une mission spécifique à accomplir. Le
Président de Larosière a, par ailleurs, souligné devant
notre commission que la BERD prêtant au taux du marché pour toutes
les opérations privées, ses interventions n'étaient pas de
nature à créer une quelconque distorsion.
L'accroissement programmé des opérations de la BERD en Russie
(20 % des opérations de la Banque en 1995, environ 30 % en l'an
2000) est d'autre part, selon votre rapporteur, d'autant plus
nécessaire
que l'évolution économique dans ce pays
reste très préoccupante, malgré un certain optimisme
officiel.
L'essentiel du chemin reste à accomplir pour progresser dans le
processus de transition économique, notamment pour renforcer
l'infrastructure et la sécurité juridiques, accompagner les
privatisations, améliorer la gestion des entreprises et conforter le
système bancaire. Les difficultés sont considérables
compte tenu de l'ampleur du problème et de la dimension du pays, sans
parler du caractère douteux, selon certains observateurs, de certains
groupements industriels et financiers apparus en Russie.
Mais il va de soi qu'accompagner la transition en Russie doit désormais,
en raison de sa mission même, figurer au premier rang des
priorités de la BERD, pour conduire effectivement ce pays sur la voie
d'une économie concurrentielle et pluraliste. Encore faut-il qu'elle
dispose de moyens à la hauteur de l'enjeu...
2. Les moyens de la BERD et l'efficacité de ses interventions
Le doublement du capital
de la Banque,
décidé en avril 1996, correspondait -pour les raisons
évoquées ci-dessus- à
une évidente
nécessité
pour lui permettre de poursuivre son action dans
les prochaines années, dès lors qu'elle aurait atteint dès
1997 le chiffre d'engagements correspondant à son capital initial (10
milliards d'écus).
Mais l'ampleur des défis de l'avenir et l'accroissement
prévisible de la demande conduisent à formuler quelques
interrogations ou suggestions :
- en premier lieu,
le passage de 10 à 20 milliards d'écus du
capital de la Banque suffira-t-il ?
Le Président de la BERD a
estimé que cet accroissement lui permettrait de ne pas solliciter
à nouveau ses actionnaires. Mais force est de constater que, si tel
était le cas, la Banque ne pourrait guère accroître le
montant de ses engagements annuels au-delà de 2,5 milliards
d'écus au tournant du siècle. Cela signifie, à titre
d'exemple, que, si la Russie est destinataire de 30 % de ses interventions,
elle bénéficiera au maximum de 750 millions d'écus
d'engagements annuels. Quel que puisse être l'effet d'entraînement
et le rôle mobilisateur de la BERD,
on peut craindre que ses
interventions restent finalement relativement marginales au regard de l'ampleur
des besoins ;
- faut-il ensuite considérer a priori que la BERD n'aura plus aucune
vocation à intervenir dans les pays d'Europe centrale et orientale
dès lors qu'ils auront adhéré à l'Union
européenne ?
C'est naturellement la logique dès lors que la
BERD a pour mission d'accompagner et de favoriser la transition. Plusieurs
questions se posent néanmoins qui paraissent de nature à
justifier une réflexion approfondie sur le sujet : la signature d'un
traité d'adhésion à l'Union -qui devra au demeurant
prévoir des périodes importantes de transition- signifiera-t-elle
ipso facto que le processus de transition économique sera achevé
dans les pays concernés ? Une telle perspective n'est-elle pas
d'ailleurs de nature à retarder l'entrée de certains pays ? La
BERD n'a-t-elle pas des actions spécifiques et de longue haleine
à conduire dans ces pays qui ne seront pas achevées dans quelques
années ? Enfin, les interventions de la Banque dans les pays les plus
avancés renforcent désormais son bilan : leur arrêt brutal
déséquilibrerait le portefeuille de la BERD et, de ce fait
même, affaiblirait paradoxalement ses capacités vis-à-vis
des pays moins avancés ;
-
ne peut-on enfin améliorer l'efficacité de l'action de la
BERD par une meilleure coordination de ses interventions avec l'Union
européenne et les institutions financières internationales ?
S'agissant de ces dernières, il y a certes, au plan des principes,
complémentarité des actions ; ne pourrait-on toutefois sur
le terrain mieux coordonner les interventions ? En ce qui concerne surtout les
relations avec l'Union européenne,
les relations entre la Banque et
la Commission de Bruxelles,
qui met en particulier en oeuvre les programmes
Phare et Tacis, paraissent parfois se heurter à des lenteurs
bureaucratiques qu'il serait sans doute possible de corriger. Une clarification
paraît également nécessaire sur
les rôles
respectifs de la BERD et de la BEI
(Banque européenne
d'investissements) à l'égard des pays d'Europe centrale et
orientale candidats à l'adhésion à l'Union
européenne.
Une réponse satisfaisante à ces questions serait, aux yeux de
votre rapporteur, de nature à conforter le rôle pivot que joue la
BERD dans l'action des organisations internationales vis-à-vis des pays
de l'Est. Le déroulement harmonieux de la transition économique
dans ces pays constitue une extraordinaire mutation, décisive pour
l'avenir du continent européen. C'est l'intérêt bien
compris de la France et de ses partenaires que de se donner les moyens
nécessaires pour contribuer à sa réussite.
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ANNEXE -
AUDITION DE M. JACQUES DE LAROSIERE DEVANT LA
COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES DU SENAT
LE 13 NOVEMBRE 1996
M. Xavier de Villepin, président
- Mes
chers collègues, la commission des affaires étrangères,
élargie à la délégation du Sénat pour
l'Union européenne et à la commission des finances, est heureuse
de recevoir M. Jacques de Larosière.
M. Jacques de Larosière, qui a été directeur du
trésor, directeur général du FMI, puis gouverneur de la
Banque de France, est aujourd'hui président de la Banque
européenne pour la reconstruction et le développement, la BERD.
Il a depuis trois ans brillamment géré cet organisme très
important, dont on a choisi de laisser le siège à Londres, mais
avec un président français, ce qui est fort important pour notre
pays.
Monsieur le Président, nous sommes heureux de vous recevoir, car nous
sommes extrêmement intéressés par l'évolution de la
transition économique dans les pays d'Europe centrale et orientale, ces
deux adjectifs dissimulant de très nombreux pays, dont certains
très importants, comme la Russie. Je vous écouterai avec un grand
intérêt sur la situation complexe de ce pays si important pour
l'Europe, comme tous les pays qui l'entourent -l'étranger proche comme
on disait en géostratégie.
M. Jacques de Larosière
- Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs, je voulais vous remercier très vivement de la
chance que vous me donnez de partager avec vous quelques réflexions sur
l'évolution des pays de l'est et de vous exposer le rôle de la
BERD dans ce processus.
Au cours de l'année passée, des progrès importants ont
été réalisés dans toute cette région. Ils se
sont accompagnés d'une stabilisation accrue des marchés, d'une
stabilisation de la production. Ces faits sont décrits dans notre
" rapport annuel sur la transition ", qui a été
publié le 4 novembre dernier.
Dans l'ensemble, sur le plan économique, on peut dire que la
région continue d'évoluer dans un sens positif.
Il faut aussi mettre les évolutions en perspective. Ces réformes
ont été engagées voici à peine cinq ans, et
pourtant, des avancées considérables ont été
réalisées, s'agissant tout particulièrement de la
libéralisation des économies et de la structure de la
propriété. Des transformations fondamentales ont
été opérées : la structure sociale, la
répartition des pouvoirs, les bases du fonctionnement de
l'économie ont changé.
Si l'on songe au temps qu'il a fallu pour que l'Europe occidentale
libéralise son économie après la deuxième guerre
mondiale, on ne peut qu'être frappé par la rapidité des
progrès accomplis dans la plupart de ces pays.
Mais ces changements sont difficiles et ils s'accompagnent souvent, comme on
peut s'y attendre, de réactions sociales et politiques. Ce qui me
paraît important, c'est que ces changements soient compris par les
populations -ce qui n'est pas toujours le cas- comme une source de
progrès social.
Si la transition ne peut apporter l'espoir d'un avenir meilleur, et si les
faibles ne reçoivent aucune protection, je crains que le processus sinon
s'interrompe du moins connaisse des aléas sérieux. Il est donc
essentiel qu'apparaissent aux populations, dès que possible, de
manière sensible, des changements positifs.
A cet égard, le retour à la croissance économique
constitue à mon sens un test décisif. Certains pays connaissent
déjà une expansion soutenue, tandis que d'autres, plus à
l'est, sont seulement sur le point d'amorcer une reprise.
Ce n'est qu'à partir de la fin 1993 que l'on a commencé à
connaître dans les pays d'Europe centrale et orientale et les Etats
baltes des croissances positives. Elles se sont maintenant installées
depuis avec des taux de croissance de l'ordre de 5 % par an.
C'est un phénomène extrêmement encourageant qui se joint,
en Pologne, en République tchèque, en Slovénie et dans les
pays baltes, à une stabilisation de la situation
macro-économique, une amélioration du budget et une relative
stabilisation de l'inflation...
M. le président
- ... Ce qui suppose que vous avez
confiance dans les statistiques de ces différents pays...
M. Jacques de Larosière
- Dans une certaine mesure, oui...
Toutefois, dans d'autres pays, la dépression des premières
années, après le démantèlement du système
communiste, a été d'abord plus profonde, et l'on a atteint des
chiffres de récession de 20 % dans les années 1991-1992. Ce n'est
que depuis 1995 que ces pays commencent, en moyenne, à rejoindre les
niveaux de PNB qui existait auparavant. On peut espérer qu'en 1997, ces
pays connaîtront une évolution positive.
La part du secteur privé dans le produit intérieur brut des pays
d'Europe orientale et centrale représente maintenant plus de 50 % de
l'économie de ces pays. Ainsi, en 1996, la part du secteur privé
dépassait 70 % en Estonie, Hongrie, République slovaque et
République tchèque.
La rapidité avec laquelle l'ensemble des réformes de
libéralisation et de stabilisation ont été mises en oeuvre
est tout à fait remarquable.
Plus à l'est, le processus de réforme a été
beaucoup plus tardif, mais il faut dire que le rôle des marchés va
grandissant et que la concurrence entre les entreprises commence à
s'intensifier. De nombreux pays ont libéralisé les prix et le
commerce extérieur, et leur politiques en matière de subventions
et de crédit sont devenues plus rigoureuses. Même au niveau de
privatisation des grandes entreprises, nombre de pays de la CEI ont fait des
progrès remarquables.
En outre, la chute de la production s'est arrêtée et l'inflation a
considérablement baissé. En Russie, l'inflation est tombée
de 2 300 % en 1992 à 130 % en 1995 et à 27 % pour la
période allant d'octobre 1995 à octobre 1996.
Le FMI a joué à cet égard un rôle important. Ces
politiques ont imposé des sacrifices rigoureux. Il faut aussi noter que
les résultats de la politique anti-inflationniste en Russie cachent un
certain nombre de phénomènes malsains, comme les retards de
paiements de salaires et l'importance des dettes interentreprises.
On commence cependant à observer les effets positifs de ces
réformes sur le taux de croissance, après cinq années de
chute dramatique de la production. La Russie et l'Ukraine, qui ont de
très fortes pondérations, devraient retrouver une croissance
positive en 1997, mais ce n'est pas encore sûr...
Les besoins en investissements sont évidemment considérables et
l'épargne intérieure devra en financer l'essentiel. C'est ce qui
rend si importants la stabilisation du cadre macro-économique et le
renforcement des systèmes bancaires locaux, sans lesquels le
développement de l'épargne intérieure ne saurait se
concevoir.
L'investissement étranger est en train de progresser. Après un
démarrage extrêmement lent, de 1990 à 1994, les choses ont
assez sensiblement progressé au cours de 1995, notamment en liaison avec
la privatisation de masse qui est intervenue en Pologne et la privatisation
individuelle beaucoup plus prononcée en Hongrie.
Mais ces chiffres sont cependant encore modestes. En 1995, il s'agit de 12
milliards de dollars à peu près. Comparés à
l'ensemble des investissements directs étrangers, notamment ceux qui
vont vers l'Asie du sud-est ou l'Amérique latine, ces chiffres sont
modestes.
De 1989 à 1995, si l'on cumule les chiffres d'investissements directs
étrangers sur toute la zone, on arrive à une trentaine de
milliards de dollars, ce qui représente à peu près ce qu'a
reçu la Malaisie sur trois ans. L'investissement étranger est
donc encore relativement modeste...
L'établissement d'un secteur financier efficace dans ces pays constitue
un défi très particulier. Parmi tous les secteurs de
l'économie de marché, c'est sans doute le secteur bancaire qui
était le moins développé dans l'ancien système, au
point que dans la plupart des pays de la région, les banques telles que
nous les connaissons n'existaient pas. Il s'agissait plus de réceptacles
d'épargne privée allocatrices de crédits en fonction du
plan, que de banques...
Des problèmes très difficiles restent à résoudre
dans ce domaine. Les bilans de ces banques sont alourdis par des
créances douteuses, voire irrécouvrables. Elles sont souvent
insuffisamment capitalisées. Leurs ressources sont trop courtes, leurs
frais généraux excessifs. Elles se sont engagées dans des
investissements de spéculation et les systèmes de contrôle
interne sont insuffisants.
Pour renforcer ce secteur, des mesures doivent être prises sur les trois
fronts que sont la stabilisation macro-économique, l'assainissement des
banques et la supervision bancaire. Nous nous y employons...
*
* *
La Banque européenne pour la reconstruction et le
développement, institution internationale qui comprend 60 actionnaires,
européens, mais aussi américains, japonais, australiens,
canadiens, etc., et bien entendu les pays de notre région
d'opérations, a été fondée en 1991. C'était
une réponse au défi de la transition et de l'effondrement du
communisme.
La paix et l'unité de l'Europe dépendront à mon sens pour
beaucoup de la manière dont se réalisera le passage de
l'économie dirigée à l'économie de marché.
La Banque européenne a reçu un mandat clair et s'est dotée
d'une stratégie recentrée. L'objectif est de favoriser la
transition vers l'économie de marché dans les 26 pays de l'Europe
centrale et orientale et de l'ancienne Union soviétique. Elle a
été conçue pour promouvoir le développement du
secteur privé en finançant aussi certaines infrastructures
nécessaires.
Cinq ans après sa création et sur la base de l'expérience
acquise dans la région, la BERD a développé une
activité importante dans ces pays. Nos objectifs et nos priorités
sont simples mais essentiels : encourager le développement du secteur
privé, notamment du secteur privé local des PME. Il faut
être actif dans tous les pays d'opérations et non seulement dans
ceux qui ont décollé. Il faut donner de l'importance aux
opérations des intermédiaires financiers locaux et avoir une
approche plus active concernant les prises de participation en capital.
Nous disposons d'instruments variés et flexibles pour investir dans les
projets. Nous disposons en effet de prêts, de prises de participation, de
garanties. Cette gamme d'instruments et le fait que la Banque peut
opérer aussi bien dans le secteur public, étatique, que dans le
secteur privé, nous donne une grande flexibilité par rapport aux
autres organisations internationales, et cette flexibilité est
indispensable.
La transition est en effet un processus complexe, dont nous apprenons chaque
jour à mieux saisir les exigences. Chaque pays est confronté
à des besoins, à des défis particuliers, même si
l'on peut dégager des principes et des lignes de solutions
générales.
Mais le mandat de la BERD lui impose aussi de fonctionner comme une banque et
les projets qu'elle finance doivent être rentables et nos prêts
remboursés. C'est un des défis de cette Banque : il faut aider la
transition et prendre des risques là où le secteur privé
ne les prendrait pas et, en même temps, nous comporter comme une banque
et que nous gérions correctement nos affaires.
Contrairement aux banques commerciales, nous appliquons deux critères
supplémentaires dans la sélection de nos projets : en dehors de
la rentabilité, notre apport doit avoir un caractère additionnel
car nous ne devons pas nous substituer à des financements bancaires
disponibles à des conditions raisonnables sans notre participation. En
second lieu, nous devons spécifiquement rechercher des projets
favorisant la transition et le développement du marché.
Nous avons réalisé des investissements très importants.
Nous sommes en fait devenus le premier investisseur privé de la
région.
Cette année, nous avons engagé environ 2 milliards d'écus
comme l'année dernière, et 1,7 milliard l'année d'avant.
Il s'agit là des chiffres annuels de contrats signés. Ce sont
donc des opérations réelles.
Les autorisations données par le conseil d'administration sont
évidemment plus importantes mais il faut du temps entre le moment
où le conseil d'administration approuve un projet et la signature
définitive.
En 1996, nous aurons déboursé 1,5 milliard d'écus. Il y a
toujours une hystérésis entre la signature des projets et les
déboursements, ces projets s'exécutant souvent sous forme de
tranches. Nous devons donc vérifier l'exécution des
différentes conditions avant de procéder aux déboursements.
Au total, la Banque a décollé et son activité se situe sur
un étiage de nouveaux prêts de l'ordre de 2 milliards
d'écus par an.
Notre conseil d'administration a approuvé depuis la création de
la Banque pour 8 milliards d'écus de projets, ce qui équivaut
à 80 % de notre capital initial de 10 milliards d'écus, montant
que nous ne saurions dépasser, en fonction du ratio d'engagements sur
capital de un pour un.
Si on ajoute à ces chiffres les ressources obtenues au titre de nos
cofinancements, on constate que la BERD a été associée
à plus de 15 % des investissements étrangers directs
effectués dans la région. Nous sommes, ainsi, devenus en quatre
ans environ le plus gros investisseur ou attracteur d'investissements
privés dans la région.
La part des projets réalisés dans le secteur privé a
considérablement augmenté depuis 1993-1994 dans le total de nos
engagements. Nous sommes maintenant sur un étiage de 70 %. Nous
atteindrons probablement 76 % en 1997. Notre charte veut que l'on fasse au
moins 60 % de nos opérations dans le secteur privé : cet objectif
est maintenant dépassé.
La part des prises de participation par rapport aux prêts a, elle aussi,
beaucoup augmenté dans le total de nos engagements. Alors qu'en 1992 les
prises de participation ne représentaient que 10 à 12 % du
portefeuille, ce pourcentage a atteint 24 % l'an dernier. Nous réalisons
un quart de nos opérations sous forme de prises de participation. Ceci
est important pour la transition, car les entreprises privées qui
s'établissent ont besoin moins de se charger en dettes que de se doter
en capital, ce qu'elles trouvent très difficilement.
Les seuls engagements de la Banque donnent une idée incomplète de
la situation, car les fonds que nous mobilisons et les financements que nous
encourageons des tiers à effectuer constituent un aspect essentiel de
notre action. A cet égard, il est intéressant de noter que la
valeur totale des projets auxquels la BERD s'est intéressée
s'élève à 24 milliards environ soit, pour un écu
apporté par la Banque, à peu près 2 écus en
complément.
La Banque a, par ailleurs, resserré sa gestion et fait apparaître
des résultats positifs. Il n'importe pas seulement de croître, il
faut aussi renforcer la viabilité financière de la BERD. C'est ce
que nous nous sommes attachés à faire depuis trois ans. Pour
obtenir ce résultat, il fallait augmenter la productivité de
notre Banque et réduire ses coûts. De fait, notre portefeuille a
quadruplé depuis la fin de 1993, sans aucun accroissement en termes
réels, voire une légère régression des frais
administratifs.
Nous ne pourrons être pris au sérieux et bénéficier
de crédibilité auprès des Parlements qui votent les
ressources accordées à la BERD que si nous pouvons montrer que
nous resserrons nos frais de gestion qui sont financés par l'argent du
contribuable.
Les résultats financiers sont encourageants. La BERD a
réalisé un profit opérationnel avant provisions de 83
millions d'écus en 1995. Après une politique de provisionnement
prudente, nous avons dégagé un bénéfice net de 7,5
millions d'écus. Pour les neuf premiers mois de 1996, nous avons environ
78 millions de profits opérationnels, et après provisionnement,
un profit net de l'ordre de 2 millions. L'année dans son ensemble
devrait être bonne.
Les dépenses de personnel ont très légèrement
augmenté, mais à l'intérieur d'un budget en croissance
nulle. Les frais généraux structurels ont été
réduits de manière significative, puisqu'ils sont passés
de près de 30 % à 22,5 %. Ceci est le résultat d'un effort
acharné de la part de la direction générale qui a
consisté à resserrer l'utilisation de l'immeuble, à
sous-louer les étages ainsi dégagés à des banques
londoniennes, à éliminer les "salles à manger
exécutives ", à voyager en seconde classe, parce qu'il
n'existe malheureusement pas de troisième classe... ! J'insiste un peu
sur cet aspect des choses, car je considère que la question d'image est
essentielle surtout pour une institution multilatérale financée
sur fonds publics.
Dans le même temps, nous avons intensifié notre présence
locale et avons maintenant quelque 23 bureaux locaux résidents qui
regroupent environ 200 personnes, jusqu'à Vladivostok. Nous recrutons de
plus en plus de banquiers provenant des pays eux-mêmes.
Nous avons diversifié géographiquement nos activités en
augmentant le nombre des pays dans lesquels nous opérons. En très
peu de temps, nos bureaux de représentation sont devenus pleinement
opérationnels. Ce sont des segments de la Banque très actifs dans
la génération, la négociation et le suivi des projets.
Alors que nous avions à l'origine quelques bureaux de
représentation, nous avons maintenant dans presque tous les pays des
banquiers de plein exercice qui travaillent localement.
Un cinquième de nos opérations passe par des
intermédiaires locaux. En effet, nous ne pouvons pas procéder
à Londres à l'examen de projets individuels de petite taille pour
des PME locales. Nous ne les connaissons pas et la taille modeste des projets
ne justifierait pas notre intervention directe.
Nous avons donc décidé, fin 1993, d'intensifier notre action en
vue d'améliorer la situation de banques locales, souvent fragiles, de
les recapitaliser, de leur assurer une formation de gestion et, à
travers ces banques, d'atteindre la réalité économique
locale et en particulier les PME locales.
*
* *
Enfin, s'agissant de la collaboration avec les entreprises
françaises, la France est l'un des principaux actionnaires de la Banque.
Depuis la création de la BERD, la France a souscrit à 8,52 % du
capital, dont 30 % de la première tranche de 10 milliards d'écus
ont été appelés.
Le Gouvernement français a accordé également des dons pour
plus de 160 millions de francs à des fins de coopération
technique pour aider la préparation et la mise en oeuvre de projets.
De plus, dans le cadre d'initiatives conjointes des pays du G-7, la France
finance l'assistance technique d'un fonds de capital-risque en Russie du sud,
dans la région de Rostov sur le Don, Krasnodar et Stavropol, ainsi qu'un
fonds pour les petites entreprises de Russie.
Enfin, la France est l'un des principaux contributeurs du compte de
sûreté nucléaire qui finance des investissements dans
certaines centrales atomiques particulièrement dangereuses, avant leur
fermeture.
La France bénéficie aussi des activités de la BERD. Dans
l'ensemble des projets que la Banque a réalisés avec des
investisseurs étrangers, les entreprises françaises se placent
dans le peloton de tête : seize projets représentent un coût
total de 249 millions d'écus, dont 167 millions provenant de la BERD,
soit 15 % du total des financements alloués par la Banque.
C'est ainsi, notamment, que nous avons apporté une part du capital de la
BNP-Dresdner Bank créée en Bulgarie. Nous avons également
signé des projets d'investissements avec une large gamme d'entreprises
françaises, allant des plus importantes -France Télécom,
Bouygues, CGC, Lyonnaise des Eaux, Danone, Compagnie générale des
Eaux- à d'autres, moins grandes, mais très impliquées dans
nos pays d'opérations -Sucreries et Distilleries de l'Aisne, Seribo,
Faure et Machet...
De plus, suite à des appels d'offres internationaux, les entreprises
françaises ont obtenu depuis 1993 157 millions d'écus de contrats
représentant 10 % du total des contrats accordés dans le
cadre des projets pour le secteur public.
Finalement, dans le cadre de nos projets de coopération technique, les
consultants français ont obtenu plus de 180 contrats pour une valeur de
plus de 21 millions d'écus.
Les banques françaises ont été très actives dans
les syndications et cofinancements organisés par la Banque. Depuis la
création de la BERD, 95 banques internationales ont participé au
financement de 105 projets, pour un montant total de 3,6 milliards
d'écus. Huit banques françaises ont participé à 33
projets pour 150 millions d'écus.
*
* *
En guise de conclusion, permettez-moi de rappeler que le
conseil des Gouverneurs de la BERD a adopté, lors de notre
Assemblée annuelle de 1996 à Sofia, en avril dernier, une
résolution portant le capital autorisé de notre Banque de 10
à 20 milliards d'écus, dont 22,5 % de parts appelées dont
les paiements s'étaleront sur une période de 8 ans au lieu de 5
ans au titre de la constitution du capital initial. Cette résolution est
l'aboutissement d'un processus d'examen approfondi entamé dès
1994. Les membres de notre conseil avaient demandé à la Banque
d'analyser son capital du point de vue du futur de ses opérations. Cette
analyse a été présentée aux gouverneurs en 1995, et
a fait l'objet en avril dernier de cette décision de doublement.
Tout au long de ce processus d'examen, nous avons été
guidés par la position exprimée par les actionnaires début
1994, à savoir que la Banque n'obtiendrait une augmentation de capital
pour la deuxième moitié des années 1990 et le début
du siècle prochain que si elle parvenait à démontrer son
efficacité opérationnelle et sa viabilité
financière.
Les deux questions qui m'ont été constamment posées au
cours de notre travail ont porté sur le fait de savoir si la Banque
avait besoin d'une augmentation de capital et si elle le méritait.
La Banque a-t-elle besoin d'une augmentation de capital ? Comme je l'ai dit,
les approbations de projets représentent plus de 8 milliards
d'écus. Dans les premiers mois de 1997, nous atteindrons le chiffre
fatidique de 10 milliards d'écus d'approbations. Après cela, nous
ne pourrions, compte tenu de notre ratio de un pour un, continuer à
travailler de manière significative.
Sans augmentation nouvelle, nous serions, en effet, contraints de recourir
exclusivement, pour les prochaines opérations, aux repaiements sur les
prêts existants. Mais étant donné le caractère
récent de nos engagements et l'importance des périodes de
grâce que nous accordons, qui vont souvent jusqu'à cinq ans, voire
plus, nous ne pourrions en fait approuver au cours des 3 ou 4 prochaines
années que des engagements annuels modestes. En 1997-1998, nous
chuterions à moins de 500 millions d'écus par an, contre 2
milliards. C'est très progressivement, vers l'an 2004, que nous
arriverions à un chiffre de l'ordre de 1.700 millions d'écus
environ, encore nettement inférieur à ce que nous
réalisons aujourd'hui.
Autrement dit, nous aurions manqué les années décisives de
la transition. Seul un doublement de capital nous permettra de poursuivre notre
action à un moment crucial de la transition, tout en nous permettant de
ne plus recourir à l'avenir à de nouvelles augmentations de
capital. Les repaiements et les cessions de participation permettront alors
à la Banque de fonctionner sur ses propres ressources.
Or, la demande pour nos services augmente dans tous les pays
d'opérations et, selon nos analyses, elle ne fera que s'intensifier,
puisqu'un nombre croissant de pays abordent et commencent à parcourir
les étapes intermédiaires de la transition, notamment dans les
pays les plus à l'est de notre région.
Selon nos prévisions, la demande de services éligibles au type de
soutien que nous accordons atteindra annuellement au moins 5 milliards
d'écus dans les années à venir -et probablement deux fois
plus...
Pour répondre à cette demande, sans soumettre la Banque à
un rythme de croissance excessif, nous avons mis au point ce que j'ai
appelé une "stratégie de croissance maîtrisable". En vertu
de cette stratégie, nos opérations pourront ainsi continuer
à croître jusqu'à 2,5 milliards en 1999 et au-delà.
Cette progression, jointe aux besoins de suivi des projets et de surveillance
d'un portefeuille en forte expansion, requerra des gains de productivité
considérables.
La deuxième question était : " La Banque
mérite-t-elle une augmentation de capital ? " Les actionnaires ont
donné leur réponse, et je crois que vous disposez maintenant de
quelques éléments justificatifs...
Nous sommes aujourd'hui à un point décisif de notre jeune
histoire. L'augmentation de capital de notre Banque est essentielle pour que
nous puissions continuer à nous acquitter de notre mandat et mettre en
oeuvre notre stratégie dans le cadre d'une stratégie de
"croissance maîtrisable".
*
* *
M. le président
- Nous vous remercions
des informations très précieuses que vous nous avez
apportées.
La parole est aux commissaires...
M. Michel Caldaguès
- Monsieur le Président, vous
avez certainement une échelle de notation des risques afférents
à chaque pays de l'ancien bloc de l'Est. Cette échelle est-elle
communicable, aussi bien quant à sa situation actuelle que quant
à sa tendance ?
M. le Président
- Je ne sais si la question est
indiscrète, mais la réponse m'intéressera beaucoup !
M. Jacques de Larosière
- Les questions ne sont jamais
indiscrètes : ce sont les réponses qui le sont !
Il faut distinguer les risques-pays et les risques-projets.
Nous avons décidé de ne pas publier une échelle de risques
par pays car c'est toujours très délicat dans une institution
multilatérale. Tant que l'ensemble des pays membres honorent leurs
obligations et se comportent comme de bons actionnaires de la Banque, nous ne
souhaitons pas introduire et faire apparaître de différenciation
dans le traitement de ces pays.
Quand nous finançons une opération avec la garantie d'un Etat
souverain, nous respectons ce principe dans toutes ses conséquences,
c'est-à-dire que nous appliquons un taux de marge unique de 1 %
au-dessus du LIBOR
1(
*
)
qui constitue une
approximation du coût de nos ressources.
Nous avons donc décidé, pour les opérations avec garantie
souveraine, d'avoir un taux de marge unique quel que soit le pays emprunteur
(que ce soit la République tchèque ou un pays difficile d'Asie
centrale).
C'est une politique que l'on peut contester mais qui a un avantage : elle met
sur le même plan les pays souverains membres de notre Banque tant qu'ils
se comportent comme de bons actionnaires et remboursent sans retard ce qu'ils
nous doivent. Nous n'avons pas de raisons a priori de les traiter
différemment.
Nous avons bien entendu notre idée des risques-pays et de la valeur des
garanties souveraines qui nous sont accordées mais nous ne la diffusons
pas.
Lorsqu'il s'agit d'un projet privé, comme une sucrerie en Pologne ou une
banque privée dans un pays du Caucase -deux risques-pays assez
différents- nous procédons à une cotation de nos risques
privés, en fonction de la qualité du projet lui-même et de
la qualité de l'environnement économique dans lequel ce projet
s'insère. Nous introduisons donc d'une certaine manière un
élément risque-pays dans l'appréciation du risque-projet.
Cette cotation des projets privés est établie par un
département indépendant et distinct du département
bancaire. Tous les trois mois, l'ensemble de notre portefeuille est
revisité. Les cotations vont de 1 à 10. La cote 10 est
attribuée à un projet qui est hors d'état de rembourser,
les chiffres les plus faibles étant les plus favorables. La cote 7 est
importante, car c'est celle à partir de laquelle nous plaçons le
projet " sous surveillance spéciale ".
Nous fournissons ces cotations d'une manière régulière et
transparente aux membres de notre conseil d'administration mais nous ne les
faisons pas paraître pour des raisons de confidentialité ; les
entreprises en question dépendent souvent des marchés
internationaux.
M. Jean Clouet
- Monsieur le Président, un grand homme
d'Etat français disait que l'Europe s'arrêtait à l'Oural.
Or, vous vous intéressez à l'Europe, mais j'ai le sentiment que
la plus grande surface géographique concernée par votre Banque se
situe en Asie. C'est presque une remarque de sémantique plus qu'autre
chose.
Par ailleurs, vous avez parlé d'engagements, d'autorisations et de
décaissements. Par souci de symétrie, j'aurais pensé aux
encaissements que vous appelez "repaiements". Pouvez-vous dire
quelque chose
à ce sujet ?
Enfin, dans les pays dans lesquels vous agissez, il existe des bourses de
valeurs. Vous arrive-t-il d'intervenir sur celles-ci ?
M. Jacques de Larosière
- Il est vrai que l'Asie est la
partie dominante de notre région. En effet, nous sommes une Banque
européenne, mais nous nous occupons aussi de l'ancienne Union
soviétique.
Historiquement, avant la dislocation de l'Union soviétique, la Banque
s'adressait en priorité aux pays d'Europe centrale et orientale et
à la Russie, car la Russie jusqu'à l'Oural, c'est encore
l'Europe. Lorsque le système soviétique s'est effondré et
a donné naissance à 15 républiques distinctes, nous en
avons hérité et il y a eu en quelque sorte un déplacement
du centre de gravité de la Banque vers l'Est. C'est une question
essentielle au développement de l'activité de la BERD...
En 1995, 38 % des opérations ont été
réalisées dans la partie la plus occidentale de l'Europe mais la
Russie (avec 20 %) a gagné du terrain, ainsi que les pays d'Asie
centrale ou du Caucase. On constate donc un déplacement
géographique de nos opérations vers l'Est et la Russie.
Cela était indispensable. La Russie représente en effet
près de 150 millions d'habitants, l'Ukraine 50 millions, et il aurait
été impossible de conserver un esprit de solidarité et de
cohésion au sein de la Banque si celle-ci ne s'était pas
occupée davantage de ces pays. Si l'on faisait le rapport de ce qui a
été engagé par habitant, on s'apercevrait d'ailleurs que
la Russie et les pays dits " intermédiaires " sont
sous-représentés.
Par ailleurs, vous auriez souhaité voir apparaître une colonne
"encaissements". Je puis vous rassurer : les encaissements et les
retours ne
sont pas négligeables. Sur une année de revenus, ceux qui
proviennent de nos opérations bancaires représentent 40 % du
total. Il y a trois ans, c'était de l'ordre de 10 ou 12 %. Il y a donc
eu une montée en puissance -normale du reste- les prêts
s'accroissant et les périodes de grâce, pour les plus courtes,
commençant à toucher à leur fin.
Si les revenus de nos opérations bancaires représentent
maintenant 40 % du total, les 60 % restants proviennent des placements que
nous réalisons sur nos liquidités elles-mêmes,
essentiellement représentées par les apports en capital souscrits
par les Etats membres. Comme je l'ai dit, si nous comptions exclusivement sur
nos repaiements et sur nos revenus en trésorerie (sans augmentation de
capital), nous ne pourrions dégager qu'environ 500 millions
d'écus pour nos opérations au cours des années à
venir.
Sommes-nous actifs sur les bourses de valeurs ? Oui. Nous assistons ces pays
techniquement. Mais nous sommes aussi un acteur assez décisif, en ce
sens que nous participons aux privatisations. La BERD a en effet souscrit des
actions de sociétés en cours de privatisation, en
général sous forme d'augmentation de capital. Nous ne souhaitons
pas, en règle générale, nous borner à acheter ses
parts à l'Etat -ce qui est la manière la plus simple de
procéder. Transférer de l'argent à l'Etat est sans doute
bon pour son budget, mais ce n'est pas là le rôle de la BERD. Ce
que nous cherchons c'est à acquérir des actions tout en apportant
des ressources nouvelles à l'entreprise.
Notre objectif est donc d'intervenir dans les privatisations sous forme
d'émissions d'actions nouvelles. Nous pouvons acheter des blocs de
titres ou nous pouvons participer à une émission en bourse en
garantissant une part du placement ce qui aide au succès de
l'opération et aussi au développement des bourses. Ainsi,
lorsqu'une société lance, de façon aléatoire, pour
150 millions d'écus des actions en bourse, la BERD peut en prendre 40
millions à son compte et l'émission, par sa seule
présence, devient un succès. C'est un stimulant décisif.
Ces marchés bancaires, pour le moment très modestes, se
développent avec la privatisation.
M. André Dulait
- Monsieur le Président, on
relève une forte implantation de la BERD dans les PECO, qui frappent
à la porte de l'Europe de l'ouest. Comment envisagez-vous de
gérer la sortie de la BERD de ces pays, à relatif court terme -on
parle de l'an 2000 pour certains- afin de ne pas créer de
disparités dans le financement des entreprises intérieures
à l'Europe, au fur à mesure de son évolution ?
M. Jacques de Larosière
- Cette question est centrale pour
la stratégie de la Banque. En effet, un certain nombre de pays parmi les
plus actifs dont nous nous occupons, se sont engagés dans le processus
qui va sans doute les conduire à entrer dans l'Union européenne
au début de la décennie prochaine.
Cela veut-il dire que ces pays vont disparaître de l'horizon de la
BERD ? Personnellement, je ne le crois pas, car je pense que, dans la
période qui va précéder leur entrée dans l'Union,
il y aura beaucoup de chemin à faire, beaucoup de rattrapage, notamment
sur les plans institutionnel, des bourses de valeurs et du renforcement des
banques.
Il y aura beaucoup de travail en matière de restructuration
d'entreprises, car en dépit du succès des privatisations de
certains de ces pays, beaucoup de sociétés sont encore
gérées selon l'ancienne manière, et ne sont pas vraiment
très compétitives.
D'autre part, ces pays sont très en retard dans le domaine de
l'environnement, où nous avons un mandat très fort, et nous
allons donc continuer à les aider dans ce domaine.
Vous craignez par ailleurs certaines distorsions. Ce serait vrai si l'on
prêtait à des taux d'intérêt au-dessous du
marché. En fait, nous prêtons au taux du marché pour toutes
les opérations privées, c'est-à-dire au taux auquel nous
empruntons, à quoi nous ajoutons la marge nécessaire pour
financer nos opérations.
Certes, ces pays seront un jour pleinement membres de l'Union européenne
et auront, plus tard, entièrement accès aux financements de
marchés pour leurs investissements. Il faudra alors que la Banque
s'efface, car nous ne sommes pas faits pour durer indéfiniment !
M. Christian de La Malène
- Quel écho a
rencontré la décision du conseil d'administration de passer de 10
à 20 milliards d'écus, en particulier chez nos amis
américains et auprès de la Banque mondiale ? Ont-ils
trouvé que c'était une décision justifiée et
également estimé que la BERD méritait le doublement de ses
moyens ?
M. Jacques de Larosière
- La réponse est
affirmative. Les Etats-Unis ont voté cette résolution qui a
été adoptée à l'unanimité en avril dernier,
et cela dans un contexte pourtant difficile. En effet, c'était une
année d'élection présidentielle, le Congrès et
l'administration mettant l'accent sur la lutte contre le déficit
budgétaire et la réduction des dépenses publiques. L'aide
internationale était, comme on le sait, un élément
sensible du débat. Une décision positive sur la BERD au mois
d'avril 1996 n'était donc pas évidente ...
Je suis allé au Congrès en mars dernier, un mois avant la
décision, et j'ai pu m'entretenir avec un certain nombre de
parlementaires et leurs collaborateurs. Sur la base des performances
réalisées par la BERD en matière d'activités et de
gestion, j'ai recueilli au Congrès des réactions favorables.
Les Etats-Unis ont maintenant réglé leurs arriérés,
qui s'étaient accumulés depuis 1993, époque à
laquelle ils avaient décidé de couper les crédits à
la BERD.
Mme Danielle Bidard-Reydet
- Monsieur le Président,
exercez-vous des contrôles sur les fonds que vous prêtez, la presse
faisant état de situations mafieuses assez préoccupantes ?
Par ailleurs, vous nous avez dit que le bien-fondé social de votre
action n'était pas perçu, au contraire. Je suis pour ma part
convaincue que les populations souffrent déjà et risquent
même de souffrir davantage. Le volet social est-il pris en compte dans
vos investissements ?
Enfin, qu'en est-il de la souveraineté nationale des pays en fonction
des activités qui sont les vôtres ?
M. Jacques de Larosière
- Nos fonds sont
contrôlés depuis le départ puisque nous finançons
des projets. Il ne s'agit pas d'une aide à fonds perdus. Nous
finançons des kilomètres d'autoroutes, des ports, des quais, des
terminaux, des sucreries, des marchés de gros dans des villes, etc.
L'argent que nous mettons à la disposition de ces projets -et non des
pays- est par définition contrôlé. Nous ne
déboursons que lorsque nous sommes certains que l'état
d'avancement des travaux le justifie. On peut cependant imaginer que des
groupes mafieux puissent en tirer avantage. C'est pourquoi il est
extrêmement important de savoir avec qui nous travaillons et qui sont nos
partenaires. Je dois dire que nous sommes devenus absolument intransigeants sur
la qualité de nos partenaires locaux.
Ainsi, nous n'accceptons de financer aucun projet qui localiserait ses fonds
dans des paradis fiscaux à l'encontre des réglementations
fiscales et de change des pays hôtes. Si l'on nous le demande, nous
refusons et suggérons à nos partenaires de soumettre la
requête au Ministre des Finances ...
Nous travaillons avec des consultants locaux qui ont développé
une assez bonne connaissance des tenants et des aboutissants de nombre
d'investisseurs. Nous avons refusé de financer des projets après
avoir reçu de mauvais renseignements sur certains participants. Je ne
vous dirai pas que nous sommes sûrs à 100 % de ne pas nous engager
sur un mauvais terrain, mais nous sommes très vigilants et conscients du
danger.
Par ailleurs, s'agissant du volet social, la réponse est non, car notre
structure financière ne nous le permet pas. Nous sommes une Banque et
devons financer des projets rentables, cela est une obligation statutaire. Nous
avons, certes, une très bonne signature, mais il nous faut cependant
emprunter l'argent au taux du marché, et nous ne pouvons subventionner
nous-mêmes certaines de nos opérations.
Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas un impact social. Lorsque nous
examinons un projet, nous considérons comme un élément de
notre décision la création d'emplois. D'autre part, nous
n'acceptons pas de financer un projet avec une main d'oeuvre sous-payée
par rapport aux normes du marché.
S'agissant de la souveraineté nationale, chaque projet que nous
finançons, même dans le secteur privé, est soumis à
l'approbation des autorités nationales, lesquelles sont
représentées au conseil d'administration de la BERD. Sans leur
accord, il n'y a pas de financement possible. En aucun cas un projet
financé par la BERD ne saurait s'opposer aux choix politiques d'un
Gouvernement.
M. Claude Estier
- Monsieur le Président, pouvez-vous nous
rappeler quels sont les principaux participants au capital initial de la BERD
et de quelle manière se fera le passage de 10 à 20 milliards ?
Par ailleurs, selon vous, quels sont les pays les mieux placés pour la
prochaine adhésion à l'Union européenne, et estimez-vous
que la République tchèque, qui est considérée comme
l'un des meilleurs candidats, puisse adhérer à l'horizon de l'an
2000 ?
M. Jacques de Larosière
- Le capital de la Banque se
répartit entre 60 pays membres. Les plus gros actionnaires individuels
sont les Etats-Unis, avec 10 %, puis viennent les pays d'Europe
occidentale, comme la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie, qui ont
tous la même participation de 8,52 %, ainsi que le Japon. Les
participations s'étagent ensuite en fonction de la richesse des pays,
jusqu'à des décimales pour les pays les plus petits.
Le passage de 10 à 20 milliards d'écus se fera selon les
mêmes proportions. Il n'y aura pas de changement, puisque chaque pays a
accepté de garder sa quote-part. Les conditions de libération du
capital seront plus douces dans la seconde augmentation que dans la
première.
En effet, dans la première souscription de capital de 10 milliards
d'écus, 30 % devaient être versés en 5 années.
Cette fois-ci, il s'agira de 22,5 %, parce qu'on a estimé que la
BERD avait dégagé un certain niveau de réserves, et on a
étalé les paiements sur 8 ans. Certaines modalités de
souscription sont également plus favorables, en ce sens que l'on peut
payer la souscription en partie en bons du trésor mobilisables sur une
période de 5 ans.
Par ailleurs, vous me demandez quels sont les meilleurs candidats à
l'adhésion à l'Union européenne. Vous avez bien fait de
citer la République tchèque. J'aurais personnellement
ajouté la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie et les
pays baltes...
Je crois que les choses vont s'enclencher à partir de l'an 2000.
Peut-être y aura-t-il, pour certains, un début de
négociation en l'an 2000 et mise en oeuvre en 2002 ou 2003 ? Ce sont en
tout cas les ordres de grandeur que j'ai présents à l'esprit pour
les tout premiers du peloton de tête...
M. le président
- Pour terminer, Monsieur le
Président, combien employez-vous de Français à la BERD ?
D'autre part, la langue française constitue-t-elle la langue
véhiculaire ou l'anglais domine-t-il la BERD ?
Par ailleurs, les Balkans rentrent-ils dans votre zone géographique ?
J'ai beau y regarder de près, je n'y aperçois pas que de
démocrates !
Ma troisième question porte sur la Russie. Il me semble qu'avant
l'élection présidentielle, le FMI a été
généreux dans son approche vis-a-vis de la Russie, et qu'il
commence maintenant à froncer les sourcils, tout l'argent prévu
n'étant pas pour le moment définitivement accordé. Qu'en
pensez-vous ? Parallèlement, beaucoup de salaires restent
impayés, ce qui provoque une légitime irritation.
En outre, il apparaît en Russie des "groupements industriels et
financiers" qui rassemblent un certain nombre d'entreprises. Ces
groupements,
qui ne sont pas nouveaux, ne dissimulent pas à votre avis des
activités critiquables ?
M. Jacques de Larosière
- On compte 57 Français
à la BERD, soit 7 % du personnel. Mais si l'on veut regarder les
choses de manière plus significative, il faut surtout prendre en compte
les cadres. En effet, s'il est assez normal que le personnel de
secrétariat soit recruté à Londres, banquiers et juristes
français sont au nombre de 42, soit 8,2 % de l'effectif, pour une
participation française en capital de 8,5 %. On peut donc
considérer que la France est bien représentée à la
BERD.
Certes, quelques pays sont mieux représentés : c'est le cas de la
Grande-Bretagne pour des raisons géographiques assez évidentes.
En revanche, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et d'autres sont moins bien
représentés et en conçoivent quelque souci. Nous nous
efforçons de corriger ces déséquilibres.
Quant à la langue, quatre sont autorisées au conseil
d'administration : le français, l'anglais, l'allemand et le russe. Les
débats du conseil d'administration ont lieu dans ces quatre langues,
avec une interprétation simultanée. Un certain nombre de
documents sont mis à la disposition des pays dans ces langues, mais
l'essentiel des documents de travail sont en anglais. Ce serait trop cher de
tout traduire systématiquement en quatre langues et l'on ne pourrait pas
le faire. La langue de travail est l'anglais.
Quant aux Balkans, vous n'y voyez pas suffisamment de démocratie... Il y
a une certaine liberté d'expression. Je reviens ainsi de Croatie. C'est
évidemment un Gouvernement exécutif et fort, mais il y a beaucoup
de journaux d'opposition. On y trouve des éléments de
démocratie, mais je reconnais avec vous que la réalité de
la situation générale dans les Balkans pose problème.
Que pouvons-nous faire ? ... L'article 1er de notre charte dit que nous devons
nous efforcer de favoriser la transition, non seulement vers l'économie
de marché, mais aussi la transition démocratique, et nous y
sommes très attentifs, en étroite liaison avec le Conseil de
l'Europe, la CSCE et l'Union européenne, notamment dans le cadre de la
Bosnie. Nous ne prêterions pas à un pays dont le processus
démocratique serait enrayé.
Nous sommes assez bien informés de ce qui se passe, mais nos pouvoirs
sont relativement limités. Il m'arrive d'écrire ou de dire
à des chefs d'Etat de la région que le conseil d'administration
s'émeut de la situation.
J'ai effectué des démarches personnelles qui ont eu des effets
concrets notamment en Asie centrale. Nous sommes actifs sur le terrain dans la
mesure où nous le pouvons. Notre crédibilité est plus
grande maintenant que nous sommes devenus plus actifs. Je pense qu'on nous
écoute davantage, mais tout ceci est relatif.
En Russie, en effet, le FMI a été très engagé
puisqu'il a mis à la disposition de la Russie une dizaine de milliards
de dollars. Il est vrai que le processus de stabilisation économique,
qui est apparemment sur la bonne voie puisque l'inflation se réduit et
que la tendance à la production est meilleure, recouvre beaucoup de
choses, comme le non-paiement des salaires.
Bien évidemment, il est problématique de respecter les
critères du FMI en suspendant les paiements, car c'est une
manière artificielle et non soutenable de comprimer la dépense
publique, et vous avez raison de dire qu'il y a des problèmes
considérables derrière tout cela.
Nous n'aimons pas plus que vous, Monsieur le Président, ces groupements
industriels et financiers. C'est une des particularités du pays. Je sens
dans ces groupements d'une part le retour à des positions dominantes et
à des monopoles et, d'autre part, le risque de l'institutionnalisation
d'une certaine vision clanique de la société et de
l'économie dans ce pays.
Je ne manque jamais l'occasion, quand je suis en Russie, de dire à mes
interlocuteurs qu'ils sont à la croisée des chemins entre une
société pluraliste, où les entreprises peuvent se
développer et se faire concurrence sur un véritable marché
libre mais doté des contrôles nécessaires et d'un autre
côté une économie de clans, où le système
s'organise de manière dirigiste entre groupes de pouvoir. Nous les
mettons en garde contre les dangers de cette deuxième voie, qui est de
nature à retarder leur développement et leur intégration
dans l'économie mondiale.
Compte tenu de l'histoire et de la longue période d'économie
centralisée, on conçoit que les choses prennent du temps et qu'il
y ait encore beaucoup de chemin à faire.
Néanmoins, le fait pour la BERD de promouvoir l'investissement
privé et les "joint ventures" avec les investisseurs étrangers
est une manière de changer les choses. En effet, les grandes entreprises
internationales ne jouent pas le jeu des clans, mais veulent se
développer, gagner de l'argent et des parts de marché et
travailler comme on travaille chez nous. Il y a donc une interaction entre ces
investisseurs individuels et le système qui est en train de se mettre en
place. Cette interface est salutaire.
Il existe maintenant en Russie un Conseil Consultatif en matière
d'investissements étrangers, composé des plus grandes entreprises
internationales françaises, allemandes, anglaises, américaines,
espagnoles, italiennes, néerlandaises, suisses, scandinaves ....
Celles-ci ont fait des investissements et font face à des
problèmes d'application fiscale et juridique aux plans national et
local. Ces entreprises ont donc créé un Groupement consultatif
avec la Russie et nous sommes la seule institution internationale à
avoir été invitée dans ce groupe. Ayant un accès
direct au Premier ministre et à son gouvernement, nous exposons des cas
concrets de problèmes à résoudre. C'est une excellente
manière de collaborer pour favoriser l'investissement étranger et
l'amélioration du cadre juridique et fiscal du pays.
J'ajoute que notre activité de prêts et de participations en
capital dans les PME russes, qui a pris une grand ampleur dans toute une
série de régions est extrêmement positive et encourageante.
C'est là que se développe une nouvelle génération
d'entrepreneurs privés.
M. le président
- Monsieur le Président, merci
beaucoup de cet exposé passionnant.
M. Jacques de Larosière
- Merci infiniment de m'avoir
écouté.
1
taux d'intérêt interbancaire
offert à Londres.