B. LA SITUATION POLITIQUE NÉO-ZÉLANDAISE
1. Le paysage politique néo-zélandais
a) La reconfiguration du panorama politique
Marquée par l'expansion économique et par
l'urbanisation -notamment de la population maorie-, la Nouvelle-Zélande
de l'après-guerre n'a pas échappé ensuite aux crises de
années 1970 et 1980 qui ont notamment provoqué une profonde
modification des orientations économiques du pays dans les années
1980.
Traditionnellement caractérisée par un
bipartisme
à
la britannique fondé sur le parti national et le parti travailliste, le
gouvernement conservateur de M. Robert Muldoon (national) dut alors
céder la place à un
gouvernement travailliste
qui -sous
l'impulsion du Premier ministre, M. David Lange, et dans un premier temps, de
son ministre des finances, M. Roger Douglas- mit en oeuvre,
à partir
de 1984
, dans un renversement des rôle politiques habituels, une
restructuration radicale de l'économie
fondée sur le
libéralisme économique, les privatisations et la
déréglementation.
Les conséquences sociales -notamment en termes de chômage- de cet
ultra-libéralisme et ses retombées politiques aboutirent à
la démission de M. Lange en 1989 puis au très net
succès du
parti national,
dirigé par M. Jim Bolger, aux
élections de 1990, succès renouvelé d'extrême
justesse en 1993 (avec une marge de 0,35 % sur le parti travailliste)
malgré des résultats économiques flatteurs.
Dans le même temps, un
nouveau mode de scrutin
incluant pour la
première fois une dose importante de proportionnelle (55 sièges
sur 120 dans le cadre d'un système du double vote baptisé MMP
pour " mixed member proportional ") a été introduit par
voie référendaire en 1993 et a favorisé, à travers
la prolifération des formations politiques, une certaine
reconfiguration du paysage politique néo-zélandais
-même si le parti national et le parti travailliste demeurent les
plus importants.
Si le
parti national
est parvenu à gérer avec
modération et habileté une situation délicate en
s'appuyant sur les résultats économiques du gouvernement, le
parti travailliste,
aujourd'hui dirigé par Mme Helen Clarke, a
décliné et s'efforce de surmonter une double crise
d'identité et de stratégie qui lui impose de dépasser la
contradiction apparente entre ses aspirations sociales traditionnelles et les
principes libéraux.
Constituée en décembre 1991,
l'Alliance
-composée
de cinq partis distincts- a effectué rapidement une percée
spectaculaire sur la scène politique néo-zélandaise avant
de perdre beaucoup de son élan en raison de l'imprécision de son
programme et de l'annonce du retrait de la vie publique de son chef, M. Jim
Anderton, qui est ensuite revenu sur sa décision.
L'Alliance
pourrait toutefois jouer un rôle dans l'avenir dans le cadre d'une
coalition gouvernementale, aux côtés vraisemblablement du parti
travailliste.
Mais c'est surtout la montée en puissance du parti populiste et
nationaliste
" New Zealand First "
qui est venu, tout
récemment, modifier la donne politique néo-zélandaise sous
l'impulsion de son leader, M. Winston Peters, transfuge du parti national,
d'origine partiellement maorie, réputé pour son abattage et son
éloquence, et qui a remis au premier plan la question de l'immigration.
b) Les élections législatives du 12 octobre 1996 et la nécessaire constitution d'un gouvernement de coalition
Dans ce contexte, les élections législatives du
12 octobre dernier ont donné les résultats suivants :
-
le parti national
au pouvoir sous la direction de M. Bolger est
arrivé en tête mais n'a obtenu que 33,8 % des voix et 44
sièges à la Chambre des représentants sur 120 ;
-
le parti travailliste
n'a pas profité du recul gouvernemental
et a également sensiblement reculé avec 28,2 % des voix et 37
députés ;
- il en est allé de même de
l'Alliance
qui n'est
arrivée qu'en quatrième position avec 10 % des voix (au lieu de
18 % en 1993) et 13 députés ;
-
" New Zealand First "
est ainsi apparu comme le
principal
bénéficiaire de la consultation en obtenant 17 sièges de
députés et 13,3% de voix, lui octroyant un rôle clé
dans la formation de toute coalition ;
- une cinquième formation
" Act New Zealand "
est
enfin représentée au Parlement avec 8 sièges et 6,1 %
des voix.
Le parti national ayant ainsi perdu la majorité absolue au Parlement
-tout en devançant les travaillistes-
le nouveau mode de scrutin a
imposé la formation d'un gouvernement de coalition
et a fait de
" New Zealand First ",
trois ans après sa
constitution,
l'arbitre de la situation politique
et un acteur désormais majeur
de la scène néo-zélandaise.
Cette formation populiste, un moment tentée d'appuyer une coalition de
gauche rassemblant le parti travailliste et l'Alliance, a finalement choisi,
fin 1996, de soutenir, à l'issue de deux mois d'intenses tractations, un
gouvernement de coalition avec le parti national.
M. Bolger, malgré le revers qu'ont constitué les élections
de 1996 pour le parti national, a ainsi finalement pu constituer, le 11
décembre dernier, un nouveau gouvernement, M. Winston Peters devenant
vice-Premier ministre et ministre de l'économie.
c) Une coalition à la cohésion incertaine
La constitution du gouvernement de coalition -qui comprend 5
membres de " New Zealand First " sur les 20 membres du
Cabinet-
appelle trois observations :
- elle est d'abord fondée sur un accord de gouvernement qui laisse
présager
un certain infléchissement de la politique
économique ultra-libérale
du gouvernement
néo-zélandais : augmentation des dépenses publiques
(l'excédent budgétaire pour 1999 devrait être réduit
à 2,4 % du PIB au lieu de 5,5 % dans les prévisions initiales),
élargissement à 3 % (au lieu de 2 %) de l'objectif assigné
à la Banque centrale en matière d'inflation, limitation de la
concurrence dans certains services publics (santé, logement),
- la
cohésion
de la nouvelle coalition apparaît à
bien des égards
fragile
: d'abord en raison des
divergences
profondes
entre ses deux composantes et de l'opposition ancienne entre MM.
Bolger et Peters -qui avait été évincé du
gouvernement en 1991 par le Premier ministre ; ensuite parce que la
cohésion interne de New Zealand First
pourrait elle-même
souffrir de son alliance avec le parti national alors que la majeure partie de
ses électeurs souhaitaient un rapprochement avec la gauche, notamment au
sein de l'électorat maori (10 % de la population) ; enfin,
naturellement, du fait des
critiques de l'opposition
et notamment du
parti travailliste qui pourrait profiter de l'association de New Zealand First
à la gestion gouvernementale ;
- toutefois, certaines informations recueillies par votre
délégation peuvent aussi bien laisser croire à une
coalition moins chaotique que prévu dans la mesure où les deux
partenaires ont naturellement intérêt au succès de leur
" réconciliation " : M. Bolger, au pouvoir depuis 1990, peut
bénéficier de son alliance avec M. Peters pour conduire
une
politique plus sociale et favoriser un désamorçage du contentieux
maori ;
quant à New Zealand First, son avenir dépend
désormais directement du succès de l'expérience qui est
désormais engagée.
2. Les grands thèmes de la vie politique néo-zélandaise
a) Les orientations économiques et sociales du gouvernement
L'un des atouts politiques de la coalition pourrait en effet
résulter du
léger infléchissement
donné par
l'accord de gouvernement
au dogme ultra-libéral
qui a
fondé jusqu'ici l'action du gouvernement de M. Bolger.
Ainsi le salaire minimal est augmenté et doit passer en mars 1997 de
6,37 à 7 dollars de l'heure. De nouvelles dépenses publiques sont
prévues dans le secteur de la santé et dans le système
éducatif. Dans le domaine des entreprises publiques, les compagnies
d'électricité, la poste et des chaînes de
télévision doivent être écartées du processus
de privatisations.
En contrepartie, les réductions d'impôts prévues par le
parti national pour l'été 1997 ont été
repoussées d'un an et l'objectif en matière d'inflation a
été assoupli.
Malgré les critiques inhérentes à tout compromis et les
incertitudes qui demeurent, le programme économique et social du
gouvernement peut être ainsi considéré comme de nature
à correspondre aux aspirations de l'opinion néo-zélandaise
en maintenant une politique économique d'essence très
libérale tout en essayant de gommer les plus fortes
inégalités.
Mais bon nombre d'autres sujets sont susceptibles de confronter le gouvernement
à des difficultés, à commencer par la question maorie qui
n'est pas réglée par l'accord de gouvernement et constituera sans
doute un élément déterminant de la solidité de la
coalition.
b) La résurgence de la question maorie
Après une longue période de calme apparent,
après les incidents sporadiques des années 1970, la
contestation maorie
est réapparue fin 1994 à l'occasion de
manifestations ponctuelles de violences visant notamment des symboles de la
" domination pakeha ",
c'est-à-dire des
Néo-Zélandais blancs d'origine anglo-saxonne. Ainsi, la
fête nationale du 6 février -qui commémore le
traité de Waitangi de 1840
entre les tribus maories et la
couronne britannique- a-t-il été marqué en 1995 par des
violences qui ont provoqué une nouvelle prise de conscience du
problème qui en a fait un des enjeux forts de la dernière
campagne électorale et constitué un des thèmes
privilégiés de M. Peters.
Dans son expression extrême, la contestation maorie remet en cause les
institutions néo-zélandaises et
revendique la
souveraineté maorie,
à commencer par les
terres
spoliées
par les colons britanniques au cours du siècle
dernier. De son côté, le gouvernement estime que le traité
de Waitangi consacre un partenariat et non un quelconque droit à
l'auto-détermination, encore moins au séparatisme, sous peine de
remettre en cause l'unité du pays.
Cette question maorie appelle deux remarques principales :
- la question maorie, si elle ne doit pas être surestimée, est
évidemment préoccupante pour la Nouvelle-Zélande dans la
mesure où elle
altère l'image du modèle
d'intégration néo-zélandais,
conduit et défendu
par les gouvernements successifs depuis des décennies ; par les
réalités sociales
qu'elle souligne, la question
apparaît ainsi révélatrice dans la mesure où la
communauté maorie fait figure de laissée-pour-compte -même
si les activistes maoris restent marginalisés au sein de leur propre
communauté ;
- la façon dont
la nouvelle coalition
gèrera, dans ces
conditions, le dossier maori fait encore l'objet de grandes incertitudes ;
l'accord de gouvernement n'ayant pas clarifié les choses sur ce point
-même si le parti national a renoncé à plafonner à
un milliard de dollars les indemnisations à verser aux tribus maories et
si des commissions ont été créées pour examiner les
principaux problèmes de la communauté- la question reste
posée ; c'est en particulier un enjeu majeur pour " New Zealand
First " pour éviter qu'une plus grande frustration n'apparaisse
chez les Maoris si les mesures prises n'étaient pas, comme il est
probable, à la hauteur des espoirs suscités durant la campagne
électorale par le parti de M. Peters.
c) La question des flux migratoires
Il en va largement de même de la question de
l'immigration dont M. Peters avait fait un de ses chevaux de bataille
favori en s'élevant notamment contre les proportions prises par
l'immigration d'origine asiatique
. Est ainsi apparue l'existence dans
l'opinion d'un terreau hostile, à tout le moins, à un
développement de l'immigration sur une grande échelle. Des
réactions de rejet sporadiques en résultent, y compris d'ailleurs
au sein de la communauté maorie dont une partie voit dans l'immigration
extra-océanienne une menace supplémentaire contre les garanties
résultant du traité de Waitangi.
La
question
est naturellement délicate -parce qu'elle touche
fondamentalement à celle
de l'identité
néo-zélandaise-
dans un pays d'à peine 3,5 millions
d'habitants, où la densité de la population est l'une des plus
faibles du monde mais où les équilibres ethniques sont
intrinsèquement fragiles.
New Zealand First a dû, sur ce point, abandonner certains des ses
engagements de campagne visant à réduire une immigration
jugée incontrôlée et destructrice de l'identité
nationale. L'accord de gouvernement ne prévoit à cet égard
que de maintenir les flux migratoires actuels et d'organiser au printemps 1997
une " conférence sur la population ".
d) L'éventualité du passage à la République
Le débat sur l'éventualité du passage
à la Répulique revêt enfin en Nouvelle-Zélande une
acuité moins grande qu'enAustralie.
Le Premier ministre, M. Bolger, l'a toutefois relancé il y a deux ans en
évoquant la possibilité pour la Nouvelle-Zélande de se
doter d'un régime républicain à l'horizon de l'an 2000. Le
débat ne fait sans doute que commencer et ne revêt pas une grande
actualité.
Néanmoins, une telle éventualité ne saurait être
écartée compte tenu de l'évolution des
rapports, de
facto distendus, entre Wellington et Londres
au cours des dernières
années en raison du désintérêt croissant du
Royaume-Uni pour le Pacifique sud. Un certain consensus est ainsi apparu en
faveur de la suppression du recours au Conseil privé de Londres en tant
que Cour suprême de justice ou de la suppression du système des
honneurs ou décorations qui exige encore aujourd'hui l'approbation
favorable de la couronne britannique.
Un détachement progressif vis-à-vis du Royaume-Uni, surtout si
l'Australie allait dans le même sens, n'est donc pas à exclure
même s'il ne paraît pas revêtir une actualité
immédiate.
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