Quels moyens pour quelle justice
Charles Jolibois et Pierre Fauchon
Mission d'information de la commission des Lois chargée d'évaluer les moyens de la justice - Rapport 49 - 1996 / 1997
Table des matières
-
LES CONCLUSIONS DE LA MISSION D'INFORMATION
CHARGÉE D'ÉVALUER LES MOYENS DE LA JUSTICE - LES 36 PROPOSITIONS DE LA MISSION
- INTRODUCTION
-
PREMIÈRE PARTIE
LE CONSTAT : UNE JUSTICE ASPHYXIÉE-
I. LA DEMANDE DE JUSTICE S'EST PROFONDÉMENT MODIFIÉE DANS SA NATURE ET SON
VOLUME
- A. AU CIVIL
-
B. AU PÉNAL
- 1. Les flux
-
2. Les explications, outre le taux des classements sans suite
- a) La modification du traitement de certains types de délinquance
- b) La prolifération d'une délinquance de masse indifférenciée
- c) Des affaires complexes à l'instruction
- d) La législation et la magistrature poursuivent des types de délinquance moins recherchés antérieurement
- e) La stabilité des appels et des recours en cassation
- f) Le développement des plaintes avec constitution de partie civile
-
II. LE SYSTÈME JUDICIAIRE NE S'EST QUE TRÈS PARTIELLEMENT ADAPTÉ
-
1. Les moyens humains n'ont pas répondu aux besoins
- a) Des effectifs de magistrats et de greffiers insuffisants malgré leur lente progression globale, notamment en raison des nombreuses vacances de postes
- b) Des tentatives limitées d'assouplissement de la gestion des effectifs
- c) Un recours accru à des procédures plus rapides permettant d'économiser du " temps magistrat "
- 2. Les améliorations encore possibles des moyens matériels ne permettront plus beaucoup de gains de productivité
- 3. La répartition de ces moyens, surtout en hommes, correspond très mal à l'évolution de l'activité judiciaire
-
1. Les moyens humains n'ont pas répondu aux besoins
- III. UNE JUSTICE DÉBORDÉE ET PARALYSÉE
-
I. LA DEMANDE DE JUSTICE S'EST PROFONDÉMENT MODIFIÉE DANS SA NATURE ET SON
VOLUME
-
DEUXIÈME PARTIE
LE CARACTÈRE MESURÉ DES SUGGESTIONS
FAITES A LA MISSION MONTRE UNE CONSCIENCE RÉELLE DES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES- I. RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE : UNE RATIONALISATION SOUHAITÉE MAIS LE SCEPTICISME DOMINE SUR SA MISE EN OEUVRE.
-
II. MIEUX EMPLOYER LES MOYENS HUMAINS ET MATÉRIELS
- A. L'UNANIMITÉ SUR LA DEMANDE DE GESTION PRÉVISIONNELLE DES EFFECTIFS DE MAGISTRATS ET DE FONCTIONNAIRES, LE CAS ÉCHÉANT, SUR LEUR REDÉPLOIEMENT OU LEUR AUGMENTATION
- B. LE MAINTIEN DE LA QUALITÉ DE LA DÉCISION
- C. LES MOYENS MATÉRIELS
-
III. NOUVELLES RÉFORMES DE PROCÉDURE : OUI POUR AJUSTER L'EXISTANT, NON POUR
LES INNOVATIONS SANS MOYENS
- A. L'UNANIMITÉ CONTRE DE NOUVELLES RÉFORMES SANS MOYENS ADEQUATS
- B. FACILITER LE TRAITEMENT DES AFFAIRES
-
C. LE RECENTRAGE DES MISSIONS DU JUGE OU LA RÉGULATION DU FLUX
- 1. La poursuite des transferts de compétence
- 2. Le développement de la médiation et de la conciliation
-
3. La régulation de l'accès au juge
- a) L'instauration d'un filtre pour les pourvois en Cassation
- b) Le caractère exécutoire des décisions de première instance
- c) L'élévation du taux de compétence en dernier ressort
- d) Interdire clairement les demandes nouvelles en appel
- e) La sanction des recours abusifs
- f) L'accès à l'aide juridictionnelle
-
TROISIÈME PARTIE
QUE FAIRE ?-
I. UNE CARTE JUDICIAIRE RÉALISTE
- A. RÉVISER LA CARTE JUDICIAIRE
- B. REDÉPLOYER LES EFFECTIFS BUDGÉTAIRES
-
C. MODERNISER LA GESTION DES EFFECTIFS
- 1. Faire coïncider les départs et les arrivées dans les juridictions
- 2. Compenser intégralement les temps partiels
- 3. Accroître notablement le nombre de magistrats et de greffiers placés
- 4. Mettre en place les magistrats à titre temporaire et les conseillers de cours d'appel en service extraordinaire
- II. AMÉLIORER LE FONCTIONNEMENT ACTUEL DE LA JUSTICE
- III. LA MODERNISATION DES PROCÉDURES
-
I. UNE CARTE JUDICIAIRE RÉALISTE
- ANNEXES
-
ANNEXE 1 -
LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES 2626 Dans l'ordre chronologique des auditions. Les fonctions indiquées sont celles au titre desquelles l'audition a été organisée. -
ANNEXE 2 -
PROGRAMME DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION -
ANNEXE 3 -
LETTRE ADRESSÉE PAR LA MISSION D'INFORMATION
AUX CHEFS DE COURS ET DE JURIDICTIONS -
ANNEXE 4 -
EXTRAITS DE L'AUDITION DE M. JACQUES TOUBON, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, PAR LA MISSION D'INFORMATION
LE 1ER OCTOBRE 1996 -
ANNEXE 5 -
COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE LA MISSION D'INFORMATION DU 3 OCTOBRE 1996 -
ANNEXE 6 -
COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE LA MISSION DU 23 OCTOBRE 1996
|
|
Mardi 13 février 1996 |
Constitution du Bureau |
Mardi 20 février 1996 |
Organisation des travaux et adoption de la lettre adressée aux chefs de juridiction 1( * ) |
Mardi 19 mars 1996 |
Auditions 2( * ) |
Mardi 26 mars 1996 |
Auditions |
Vendredi 29 mars 1996 |
Déplacement d'une délégation de la mission à NANTES 3( * ) |
Mardi 16 avril 1996 |
Auditions de la mission |
Vendredi 19 avril 1996 |
DéDéplacement d'une délégation de la mission à BOBIGNY |
Vendredi 26 avril 1996 |
Déplacement d'une délégation de la mission à STRASBOURG |
Mardi 7 mai 1996 |
Auditions de la mission |
Lundi 20 mai 1996 |
Déplacement d'une délégation de la mission à LYON |
Vendredi 24 mai 1996 |
Déplacement d'une délégation de la mission à BORDEAUX |
Vendredi 31 mai 1996 |
Déplacement d'une délégation de la mission à BASTIA |
Jeudi 6 juin 1996 |
Réunion de la mission sur les orientations du rapport |
Lundi 17 juin 1996 |
Déplacement d'une
délégation de la
mission à DOUAI
|
Vendredi 21 juin 1996 |
Déplacement d'une délégation de la mission à MEAUX |
Mardi 1er octobre 1996 |
Audition du Garde des Sceaux 4( * ) |
Jeudi 3 octobre 1996 |
Réunion sur les orientations générales du rapport |
Mercredi 23 octobre 1996 |
Adoption du rapport d'information par la mission |
Mercredi 30 octobre 1996 |
Présentation du rapport à la commission des Lois |
LES CONCLUSIONS DE LA MISSION D'INFORMATION
CHARGÉE D'ÉVALUER LES MOYENS DE LA JUSTICE
Réunie le 23 octobre 1996, sous la présidence de
M. Charles Jolibois, président, la mission d'information de la
commission des Lois du Sénat chargée d'évaluer les moyens
de la justice a adopté le rapport de M. Pierre Fauchon.
Constituée à l'initiative de M. Jacques Larché,
président de la commission des Lois, la mission d'information a
centré ses travaux sur l'adéquation des moyens des juridictions
civiles et pénales pour répondre à l'afflux des
contentieux.
Au terme de six mois d'auditions, de déplacements dans les cours et
tribunaux de l'hexagone, de dépouillement des observations des 230 chefs
de juridictions représentatifs de plus de 80 % des ressorts de Cour
d'appel et de 60 % des TGI, la mission pose en préalable à sa
réflexion l'exigence d'exclure toute réforme nouvelle sans moyens
adéquats.
Elle a en effet constaté l'asphyxie des juridictions qui ne survivent
qu'au prix de taux moyen de classement sans suite des affaires
élucidées proches de 50 % (jusqu'à 80 % dans certains
tribunaux visités) et de délais de jugement moyens croissants au
civil (jusqu'à 4 ans pour la Chambre sociale d'une Cour d'appel du Nord).
Ces moyennes s'expliquent, quantitativement, par la croissance connue du nombre
des affaires (triplement en vingt ans au civil alors que l'effectif des
magistrats n'a augmenté que de 20 %) et, qualitativement, par
l'émergence d'un contentieux de masse très peu juridique
notamment au travers de procédures nouvelles peu formalisées
(juge de l'exécution par exemple) mises en place sans moyens
supplémentaires.
Pire, ces moyennes masquent des disparités de délai de traitement
des affaires civiles allant du simple au triple dans les cours d'appel, du
simple au quintuple dans les TGI et de 1 à 7 dans les tribunaux
d'instance.
Ce sont les magistrats et les auxiliaires de justice eux-mêmes qui, forts
de leur expérience quotidienne et armés de statistiques encore
insuffisamment fiables mais largement diffusées, dressent cet
autoportrait sans concession. Cependant, conscients des contraintes
budgétaires, ils proposent également un grand nombre de voies
d'amélioration de leur fonctionnement pour traiter
l'" embolie " qui caractérise d'ores et déjà le
système judiciaire. La mission s'en fait l'écho et n'a exclu
l'examen d'aucune.
Ses propositions reposent sur trois axes :
· l'élaboration
d'une carte judiciaire réaliste
permettant d'orienter dans la transparence les redéploiements de
ressorts et d'effectifs, les recrutements nouveaux et diversifiés ainsi
que la modernisation de la gestion prévisionnelle (propositions n°s
1 à 17) ;
·
l'amélioration du fonctionnement interne
en
dégageant le juge des tâches non proprement juridictionnelles :
généralisation des assistants de justice, création de
postes de gestion sous l'autorité du chef de juridiction, poursuite de
l'informatisation et développement de la documentation, assouplissement
des transferts (propositions n°s 18 à 24) ;
·
la modernisation des procédures classiques
sans
extension de la compétence du juge unique (sauf simples ajustements de
cohérence), avec un effort de simplification et d'harmonisation des
procédures et le souci d'éviter les abus de recours à la
justice, notamment par une meilleure information du justiciable sur la
réalité de ses droits au travers des auxiliaires de justice
(propositions n°s 26 à 35).
Enfin, la principale proposition adoptée par la mission (n° 36)
repose sur son diagnostic de la nécessité d'une
approche
radicalement différente pour le traitement du contentieux de masse
qui, tout en étant abondant et peu juridique, nécessite un examen
personnalisé.
Elle propose en conséquence que soit étudiée une
réforme des tribunaux d'instance et des tribunaux de police pour les
adapter aux " contentieux de masse " suivant des modalités
s'inspirant des actuelles " maisons de justice ", de
la
conception originelle des juges de paix et des spécificités de ce
type de contentieux.
Le cadre du tribunal d'instance lui apparaît en effet le plus
approprié pour conserver un traitement judiciaire tout en adaptant ses
modalités : les magistrats seraient recrutés largement parmi les
magistrats à titre temporaire créés par le
législateur en 1995 et dont la mise en place n'a que trop tardé ;
ils statueraient au fond, à défaut d'aboutissement de la
conciliation généralisée à laquelle ils
procéderaient préalablement.
La réflexion à mener devrait porter également sur les
fondements de leur décision (équité ou droit) ainsi que
sur la nature et le seuil de l'appel.
* *
*
Ces 36 propositions constituent pour la mission d'information des priorités à mettre en oeuvre avant que puisse être engagée toute réforme exigeant des moyens nouveaux non justifiés par la volonté d'améliorer le fonctionnement des juridictions.
LES 36 PROPOSITIONS DE LA MISSION
Une carte judiciaire réaliste
1) Réviser la carte judiciaire
Proposition n° 1
: Elaborer une nouvelle carte judiciaire qui prenne
acte des évolutions durables du flux en supprimant au moins la centaine
de juridictions identifiées par le rapport Carrez comme "
ne
répondant plus à un réel besoin "
et en
créant des chambres et des juridictions nouvelles là où
les besoins sont évidents
.
Il s'agit dans l'immédiat d'un exercice théorique mais qui
paraît nécessaire pour mettre en évidence le
caractère inadapté de la carte actuelle.
Proposition n° 2 :
Intégrer dans la réflexion sur la
carte judiciaire les regroupements permettant ultérieurement une
spécialisation effective au sein des TGI.
Proposition n° 3 :
Etablir un plan de transition sur dix ans ou
même davantage, de la carte actuelle à la nouvelle
.
Proposition n° 4 :
Prévoir des chambres détachées
et tenir des audiences foraines lorsque la présence physique du juge
parait indispensable.
2) Redéployer les effectifs budgétaires
Proposition n° 5 :
Redéployer les effectifs en fonction des
besoins objectivement constatés.
Proposition n° 6
: Etudier la possibilité d'instaurer une
durée maximale d'affectation pour les chefs de juridiction, voire pour
les présidents de chambre et les magistrats.
Proposition n° 7
: Favoriser par des aides appropriées la
mobilité des magistrats.
Proposition n° 8 :
Développer le télétravail.
Proposition n° 9
: Assurer les recrutements de magistrats
programmés en 1995, à l'exclusion de tout
prélèvement pour une nouvelle réforme.
Proposition n° 10
: Renforcer les effectifs des greffes
au-delà de la programmation.
Proposition n° 11
: Réguler le concours d'accès
à l'ENM grâce à une gestion prospective des effectifs de
magistrats.
Proposition n° 12
: Activer la diversification du recrutement des
magistrats.
3) Moderniser la gestion des effectifs
Proposition n° 13
: Organiser un mouvement unique annuel.
Proposition n° 14
: Compenser intégralement les temps
partiels.
Proposition n° 15
: Accroître le nombre des magistrats et
greffiers placés.
Proposition n° 16
: Etendre aux autres catégories de
fonctionnaires le mécanisme du " placement ".
Proposition n° 17
: Mettre en place les magistrats à titre
temporaire et conseillers de cours d'appel en service extraordinaire
créés en 1995, d'abord à titre expérimental puis si
cette expérience le justifie d'une manière systématique en
fonction des besoins.
Améliorer le fonctionnement actuel de la justice
1) L'aide à la décision
Proposition n° 18
: Généraliser les assistants de
justice.
2) L'aide à la gestion
Proposition n°
19
: Créer progressivement des postes de
gestion au sein des juridictions pourvus par l'affectation d'un administrateur
qualifié placé sous l'autorité du chef de juridiction.
3) Améliorer les méthodes de travail : informatique et
documentation
Proposition n° 20
: Rendre plus homogène l'informatisation des
juridictions.
Proposition n° 21
: Développer la maintenance locale.
Proposition n° 22
: Rendre aux juridictions du premier degré
l'autonomie de gestion de leurs crédits informatiques au sein de leur
budget de fonctionnement pour le renouvellement des matériels.
Proposition n° 23
: Développer l'assistance documentaire.
4) Les transferts de compétence
Proposition n° 24
: Etendre aux greffiers les transferts
effectués vers les greffiers en chef par la loi du 8 février 1995.
Proposition n° 25
: Repenser la participation des magistrats
à des commissions extrajuridictionnelles.
La modernisation des procédures
1) Améliorer les procédures classiques
Proposition n° 26
: Rendre plus cohérent le domaine du juge
unique.
Proposition n° 27
: Maintenir une véritable
collégialité en tout état de cause en appel.
Proposition n° 28 :
Normaliser en concertation avec les auxiliaires
de justice les formalités de saisine des juridictions et la
présentation des conclusions écrites.
Proposition n° 29 :
Généraliser le traitement direct
en coordonnant la tenue des audiences.
Proposition n° 30 :
Automatiser l'exécution des jugements
pour qu'elle devienne effective.
Proposition n° 31 :
Etendre la représentation obligatoire
par un avocat.
Proposition n° 32
: Améliorer l'information des
justiciables, notamment demandeurs de l'aide juridictionnelle, sur les
conséquences d'un rejet de leur demande.
Proposition n° 33 :
Assurer un meilleur contrôle des demandes
d'aide juridictionnelle afin d'éviter les abus par rapport aux motifs
prévus par la loi.
Proposition n° 34 :
Interdire les demandes nouvelles en appel sauf
actualisation des demandes présentées en première instance.
Proposition n° 35
: Créer un mécanisme d'admission
des pourvois en cassation .
2) Le traitement spécifique du contentieux de masse
Proposition n° 36 :
Etudier une réforme des tribunaux
d'instance et des tribunaux de police en vue de les adapter aux
" contentieux de masse " suivant des modalités s'inspirant
de
la conception originelle des juges de paix, de l'expérience des
actuelles " Maisons de Justice " et des spécificités de
ces contentieux :
- magistrats recrutés largement parmi les magistrats à titre
temporaire ;
- généralisation et valorisation des tentatives de conciliation
au civil comme au pénal ;
- à défaut de conciliation, le litige est tranché au fond
par le même juge ;
- redéfinition des compétences à partir du concept de
" petit contentieux ".
*
* *
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
A l'initiative de son Président, M. Jacques Larché, la commission
des Lois du Sénat a désigné en son sein une mission
d'information chargée d'évaluer les moyens de la justice.
Sous la présidence de M. Charles Jolibois, la mission a entendu,
à partir de mars 1996, magistrats et auxiliaires de justice,
représentants syndicaux et personnalités
qualifiées
5(
*
)
. Elle a
clôturé ses auditions par celle du Garde des Sceaux à
l'occasion de laquelle le Président Jacques Larché a exactement
caractérisé l'esprit de ses travaux : "
Notre
problème actuel n'est plus tellement d'aider le citoyen à
accéder à la justice, mais peut-être de lui donner les
moyens d'en sortir, c'est à dire de lui permettre de recevoir (...) une
réponse de la justice dans des délais
raisonnables "
6(
*
)
.
Allant au devant des juridictions, au cours de déplacements
significatifs dans les cours et tribunaux
7(
*
)
,
la mission d'information a également consulté l'ensemble des
chefs de juridictions : Premier Président et Procureur
général de la Cour de cassation, Premiers Présidents et
procureurs généraux des cours d'appel, Présidents et
procureurs de la République des tribunaux de grande instance. Ceux-ci
ont très largement répondu à cet appel (62 % des TGI et 81
% des cours d'appel sont représentés) malgré un
découragement très répandu devant les effets
limités de leur contribution à de précédentes
consultations
8(
*
)
.
Le constat fait dans la première partie du présent rapport et,
plus encore, l'inventaire des solutions qui ont été
proposées à la mission, dressé dans sa deuxième
partie, sont le fruit de l'ensemble de ces échanges volontairement
centrés sur le fonctionnement très concret des juridictions de
l'ordre judiciaire. Chaque détail, chaque incident cité
reflète la lettre ou l'esprit de témoignages ou de constatations
répétés, pour le réalisme desquels nous remercions
très particulièrement nos interlocuteurs.
Le tableau d'ensemble qui se dégage de l'addition de ces
réflexions montre que l'alarme des professionnels et des parlementaires
9(
*
)
, partiellement prise en compte par les
Gardes des Sceaux successifs, encore très récemment au travers de
la loi de programme de 1995, n'a pas suffi à répondre à
l'afflux du contentieux.
Pire, certains envisagent encore, contre l'avis unanime des magistrats
partagé par l'ensemble de la mission d'information, de mettre en oeuvre
des réformes exigeant de nouveaux moyens dont l'objet ne serait pas
d'améliorer l'adéquation des modes de traitement à
l'évolution du contentieux.
Le budget annoncé pour 1997, sur fond d'étalement de la
programmation sur une année supplémentaire, bien
qu'épargné par le contexte de rigueur budgétaire, ne
progressera que de 1,8 % en francs courants.
Seul l'établissement d'une priorité drastique en faveur de la
mission régalienne de la justice permettrait de résoudre
l'équation en des termes purement budgétaires. Cette
priorité n'est pas à l'ordre du jour.
En des temps plus fastes, elle trouverait pourtant quelques fondements dans
certains indicateurs compréhensibles de tous :
- en vingt ans, tandis que le nombre des affaires civiles nouvelles a presque
triplé, le nombre des magistrats n'a crû que de 20 % ;
- près de la moitié des infractions pénales dont l'auteur
est connu fait aujourd'hui l'objet d'un classement sans suite ; certains
tribunaux débordés avoisinent un taux de 80 % ;
- les délais de traitement moyens au civil, maîtrisés pour
une brève période, augmentent à nouveau atteignant 15 mois
devant les cours d'Appel et la Cour de cassation, 9 mois devant les TGI et 5,3
mois devant les TI.
- les retards se traduisent pendant la même période, malgré
de considérables progrès de productivité dus à
l'informatisation et à la mobilisation des magistrats et fonctionnaires
de justice, par un accroissement moyen de 235 % des stocks d'affaires à
juger (civil et pénal confondus, première instance, appel et
cassation) ;
- en dix ans, le rapport entre le nombre des magistrats et celui des avocats
est passé de 1 pour 2,8 à 1 pour 5 ; en 1994 pour un magistrat
recruté 30 nouveaux avocats ont prêté serment ; en 1984 ce
ratio était de 1 pour 18 ;
- enfin, le " trou noir " de l'exécution des décisions
reste masqué par l'indigence des statistiques en la matière.
Au-delà de ces moyennes, la mission partage les analyses comparatives
effectuées sur le terrain au sein des juridictions grâce à
la large diffusion des statistiques d'activité.
Quelles que soient les indispensables précautions à prendre pour
l'examen de ces chiffres, dont une meilleure fiabilité exigerait une
harmonisation des matériels et modes de saisie informatiques, les
écarts de moyens humains et matériels entre ressorts en charge de
volumes d'affaires comparables sont trop importants pour perdurer sans
démobilisation des juridictions les moins bien loties.
Ainsi les délais moyens au civil masquent-ils des disparités
allant du simple au triple dans les Cours d'appel, du simple au quintuple dans
les TGI et de 1 à 7 dans les tribunaux d'instance !
En conséquence, la mission a tout d'abord estimé
qu'au-delà des indispensables redéploiements et
améliorations de la gestion prévisionnelle, au-delà des
augmentations mesurées des effectifs réels, l'examen de la carte
judiciaire ne pouvait être purement et simplement écarté.
Il s'agit autant de l'implantation géographique, mesurée en
fonction de la traduction des évolutions démographiques, sociales
et économiques en nombre d'affaires nouvelles, que de l'architecture
judiciaire à l'aune des transports rapides. Dans ces deux domaines des
orientations à long terme doivent être tracées qui
permettent localement de préparer, concertations à l'appui,
l'adaptation à une carte réaliste (troisième partie, I).
Elle a ensuite souhaité que, à procédures
inchangées, les magistrats puissent consacrer l'essentiel de leur temps
à la mission judiciaire, pour laquelle ils ont été
recrutés et formés et qui rend indispensable leur statut. Ceci
suppose d'actualiser les moyens et les modalités de gestion des
juridictions (troisième partie, II).
Enfin, ne négligeant pas les effets des modifications
procédurales pour améliorer le traitement du flux et
s'étant prononcée contre de nouvelles extensions du domaine du
juge unique, elle a fait siennes plusieurs propositions de la conférence
des premiers présidents de Cour d'appel pour simplifier la
procédure civile et la procédure pénale. Elle a
également souhaité apaiser la multiplication des recours à
la justice dans les cas où le justiciable, mal informé, croit
à tort que les difficultés qu'ils rencontre peuvent
connaître une issue judiciaire favorable.
Consciente cependant du fait qu'aucune de ces mesures ne saurait
remédier substantiellement à la situation actuelle
caractérisée par l'envahissement du contentieux de masse, elle
souhaite la mise à l'étude d'une réforme des tribunaux
d'instance et des tribunaux de police pour les adapter au traitement rapide
mais personnalisé des contentieux les plus abondants, dits
" contentieux de masse " (Troisième partie, III).
L'ensemble de ces propositions, adoptées le 23 octobre
1996,
10(
*
)
est orienté vers
l'amélioration concrète du fonctionnement des juridictions, le
rétablissement de l'égalité de traitement des justiciables
en quelque point du territoire qu'ils se trouvent, l'adaptation des
procédures à l'évolution de la nature du contentieux.
Ces choix constituent pour la mission d'information des priorités
à mettre en oeuvre avant que ne puisse être envisagée toute
réforme exigeant des moyens nouveaux non justifiés par ces
objectifs.
*
* *
PREMIÈRE PARTIE
LE CONSTAT : UNE JUSTICE
ASPHYXIÉE
Quelques années après les rapports de nos collègues Hubert Haenel et Jean Arthuis qui faisaient le constat d'une " justice sinistrée " et malgré des efforts budgétaires et humains constants, l'institution judiciaire dresse un autoportrait peu complaisant de son encombrement.
I. LA DEMANDE DE JUSTICE S'EST PROFONDÉMENT MODIFIÉE DANS SA NATURE ET SON VOLUME
C'est au civil que l'évolution des flux est la plus significative car au pénal le nombre des classements sans suite, outre son effet direct sur les statistiques, dissuade de nombreux plaignants de déclarer l'infraction et interdit d'apprécier correctement le niveau réel de répression de la délinquance.
A. AU CIVIL
1. Les flux
En prenant pour référence, d'une part,
l'année 1974 utilisée par la conférence des premiers
présidents et, d'autre part, les dernières statistiques connues,
c'est-à-dire celles de l'année 1994
11(
*
)
, le
tableau suivant montre qu'
au
cours des
vingt dernières années le flux des affaires civiles a plus que
triplé en première instance et en appel conduisant, malgré
le triplement simultané des décisions rendues, au
quasi-triplement des stocks en première instance et à leur
quadruplement en appel.
Si bien qu'en appel, en 1994, le stock
représentait en moyenne une année et demie d'activité.
|
|
|
||||
|
Année 1974 |
Année 1994 |
Evolution |
Année 1974 |
Année 1994 |
Evolution |
Affaires civiles nouvelles |
203 343 |
647 492 |
+ 218 % |
63 257 |
214 555 |
+ 239 % |
Décisions rendues |
196 846 |
601 991 |
+ 206 % |
58 318 |
186 426 |
+ 220 % |
Affaires en stock au 31 décembre |
189 281 |
526 725 |
+ 178 % |
60 931 |
271 979 |
+ 346 % |
Source: Mission moyens de la justice - Sénat
-Données Chancellerie
Les réponses au questionnaire de la mission ainsi que les données
qu'elle a recueillies lors de ses auditions et déplacements permettent
en outre de confirmer qu'au cours des seules cinq dernières
années ce flux a crû d'environ 35 % dans les TGI et les cours
d'appel. Ces moyennes cachent cependant de fortes disparités.
En 1995, certains ont connu une stabilisation ou une croissance
modérée tandis que d'autres signalent des poussées
supérieures à 10 % dans l'année. La comparaison des
"
Chiffres clés de la justice
" pour les
années 1994 et 1995 traduit une progression moyenne de 2,7 % devant
les cours d'appel et de 0,42 % devant les TGI.
Les tribunaux d'instance bénéficient en revanche d'une
décrue depuis 1993-1994, année de mise en oeuvre du juge aux
affaires familiales (J.A.F.) qui a entraîné le regroupement au
tribunal de grande instance du contentieux familial qui représente
désormais plus de 50 % des affaires civiles traitées par les TGI.
2. Les explications
La montée du flux s'est faite en dépit de
l'effacement de certains contentieux : par exemple, les accidents de la
circulation qui représentaient environ 6 % du contentieux civil des TGI
avant la loi du 5 juillet 1985 n'en constituent plus aujourd'hui que 2,5 %. La
crise économique fait baisser pour certains tribunaux le contentieux de
la construction et celui de la consommation.
L'évolution globale procède d'une croissance massive d'un
contentieux peu technique et d'une tendance à épuiser toutes les
voies de recours. A cette progression quantitative s'ajoute la
complexité croissante d'un contentieux plus classique.
Les facteurs de cette " inflation " sont nombreux :
a) L'envahissement de contentieux nouveaux, abondants et peu différenciés
1.- Résultant de la mutation sociale, économique et culturelle
La carence des médiations sociales traditionnelles
(familiales, religieuses, syndicales ou politiques) fait apparaître le
juge de plus en plus souvent non plus comme l'ultime recours dans un
contentieux exigeant de trancher en droit, mais comme celui vers lequel le
citoyen, qui se perçoit comme un individu titulaire de droits plus que
comme la partie d'une collectivité solidaire, se tourne pour obtenir
arbitrages ou délais, régler des différents familiaux ou
de voisinage, faire reconnaître son identité, son territoire, son
existence.
Le président et le procureur de la République d'un TGI indiquent
à la mission : "
Il n'est aujourd'hui pratiquement plus
demandé au juge de dire le droit. Le juge est le plus souvent
travailleur social ou agent de recouvrement, auxiliaire d'intérêts
privés non dévoilés
. "
Tandis que le président d'un autre TGI observe que "
le juge
tranche de plus en plus en fait, en l'état, et non en droit
"
alors que "
le procès ne doit pas être un produit de
consommation courante
".
·
Les conflits familiaux
représentent en 1994, 56,5 % des
affaires nouvelles devant les TGI soit une proportion relativement stable (55,2
% en 1991) malgré la perception d'afflux liée à la
création du juge aux affaires familiales et à la montée en
volume (doublement en 13 ans). Le nombre des divorces prononcés est
passé de 82 449 en 1981, dont 52 % par consentement mutuel, à 114
995 en 1994 dont 54 % environ par consentement mutuel.
Durant la même période, les demandes postérieures au
divorce ou à la séparation de corps (autorité parentale,
pension alimentaire, droit de visite) qui représentaient un
cinquième de ces procédures génèrent
désormais un volume égal environ à leur tiers.
· Le
surendettement
des familles, avant la loi de 1995, a
représenté jusqu'à 4,5 % des affaires nouvelles.
· Les contentieux en matière de
droit du travail
se
multiplient et se prolongent jusqu'à l'épuisement des voies de
recours provoquant l'asphyxie de certaines cours d'appel (délais de 4
ans à la chambre sociale de la cour d'appel de Douai par exemple).
2.- Résultant de l'ouverture de l'accès à la justice
· La loi n° 91-650 du 10 juillet 1991 relative
à
l'aide juridique
est entrée en application le 1er
janvier 1992. Ainsi que le rappelle le premier bilan remis au Parlement en
juillet 1995
12(
*
)
, ses objectifs principaux
étaient au nombre de trois : améliorer l'aide permettant
l'accès à la justice et au droit, favoriser une défense de
qualité et maîtriser l'évolution du dispositif.
Avant son entrée en vigueur, le nombre des admissions stagnaient depuis
1991. En trois ans, elles ont crû de 66 % avec un léger
ralentissement au civil en 1994 (+ 13,5 % contre + 17 % en moyenne sur les deux
premières années). Dans le même temps, le volume des
affaires civiles ne croissait que de 3,5 % l'an en moyenne.
On voit ainsi que la montée du flux général n'est
responsable que pour 20 % de l'accroissement de l'accès à
l'aide juridictionnelle.
Un tiers de l'augmentation découlerait mécaniquement du
relèvement des plafonds de ressources : en janvier 1992, le plafond pour
l'aide juridictionnelle totale a été porté de 3.465 F
à 4.400 F par mois et pour l'aide partielle de 5.250 F à 6.600 F
par mois.
Une faible part, non chiffrée par le bilan, résulterait de
l'extension du champ (assistance éducative, autorité parentale,
tribunal de police).
Resterait environ 40 % de l'augmentation à mettre sur le compte, d'une
part, de la paupérisation des justiciables, d'autre part, de leur
meilleure information sur l'existence de l'aide juridictionnelle tant par les
services sociaux et les associations que par les avocats dont le comportement a
été sensiblement modifié par la revalorisation de leur
rétribution issue de la réforme de 1991. Il convient de rappeler
à cet égard que moins de 1 % des demandes sont rejetées
pour irrecevabilité manifeste ou absence de fondement.
Quelques données sur l'aide juridictionnelle en 1994 |
|
|
|
|
|
TOTAL DES DEMANDES |
645 363 |
|
REJETS
(le taux varie: cours suprêmes: 80 %; au pénal: 3,3 %) Motif du rejet : - dépassement du plafond: 60 % - absence de pièces justificatives: 20 % - irrecevabilité manifeste ou action dénuée de fondement: 15 % - désistement: 4 % |
9,8 %
|
|
ADMISSIONS |
90,2 % |
|
Répartition des bénéficiaires
au sein des juridictions
judiciaires
CIVIL Appel: 10,7 % TGI: 65 % (dont la moitié JAF) TI: 13,5 % PENAL Juridiction de jugement: 69,7 % (dont 70 % tribunal correctionnel) Instruction: 17,5 % Partie civile: 12,8 % |
61,9 %
|
|
Moyenne d'âge des demandeurs
Part des chômeurs Part des inactifs Part des femmes |
37 ans
|
|
(Source: Bilan des trois premières années d'application de la loi relative à l'aide juridique - Ministère de la justice IGSJ - Juillet 1995) |
|
Au total, le bilan estime, grâce à un sondage
effectué sur 4 000 bénéficiaires, qu'un tiers des nouveaux
bénéficiaires de l'aide juridictionnelle auraient pu renoncer
à faire valoir leurs droits s'ils n'avaient pu en
bénéficier, soit environ 16 000 affaires civiles dont les
juridictions n'auraient pas eu à connaître.
· L'évolution de la place de l'
avocat
: pour un magistrat
recruté, ce sont 30 nouveaux avocats qui ont prêté serment
en 1994. En 1984, ce ratio était de 1 pour 18.
Il y a actuellement 32.064 avocats, soit environ 4,5 avocats pour un magistrat
contre 2,8 pour 1 il y a dix ans. Cette croissance s'accompagne d'une
spécialisation accrue et de la constitution de cabinets pouvant
regrouper plusieurs dizaines d'avocats. Ils bénéficient d'une
formation subventionnée à hauteur de 12 millions de francs par an
par le ministère de la justice.
Dans le même temps se sont multipliées les procédures
destinées à faciliter l'accès à la justice, ne
requérant plus l'assistance d'un avocat, par exemple, le recours au juge
de l'exécution.
Devant le tribunal d'instance où la représentation n'est pas
obligatoire (article 877 du nouveau code de procédure civile), selon une
étude récente
13(
*
)
, sept demandes
sur dix ont été introduites sous forme simplifiée en 1991
dont 72 % sont des injonctions de payer.
A la Cour de cassation, 40 % des affaires en stock ne relèvent pas de la
représentation obligatoire.
Ces évolutions parallèles appellent, dans les réponses
parvenues à la mission, deux séries d'observations parmi les
chefs de juridiction, peu nombreux, qui évoquent
précisément cette question :
- certains soulignent la baisse de qualité des dossiers qui leur sont
soumis soit par les avocats qui n'articulent pas suffisamment leur demande,
soit surtout par les demandeurs non conseillés qui encombrent le greffe
de demandes d'assistance ; certaines juridictions en sont venues à
travailler conjointement avec le barreau pour élaborer des conclusions
types ;
- plus souvent, et bien qu'ils indiquent que la présence de l'avocat va
de pair avec l'allongement des délais, les magistrats considèrent
leur intervention comme positive soit qu'ils puissent exercer un premier
filtrage, soit qu'ils effectuent une meilleure présentation juridique du
dossier, soit qu'ils puissent tenter une conciliation
préjuridictionnelle ;
- marginalement, l'accroissement de leur nombre est cité comme facteur
de gonflement des flux, voire d'encouragement des procédures
abusives ;
- seules deux réponses évoquent l'opportunité de
l'instauration d'un numerus clausus.
· Les actions collectives ou encouragées au travers du mouvement
associatif
sont citées par la conférence des premiers
présidents comme l'un des facteurs d'explication de l'accroissement des
flux, encore que la mission ne dispose pas de statistiques sur l'ampleur de
cette évolution et qu'aucune des réponses qui lui ont
été adressées ne semble s'en préoccuper
particulièrement.
3.- Résultant de procédures nouvelles
Certaines procédures nouvelles, mises en oeuvre le plus
souvent sans moyens d'accompagnement, ont eu pour conséquence soit le
développement d'un contentieux nouveau et abondant, soit des transferts
de flux par attribution à une autre catégorie de juridiction,
à un juge spécialisé ou à d'autres intervenants que
des magistrats.
· Exemple de contentieux ressenti comme nouveau et abondant : le
juge
de l'exécution
(JEX)
Plus de la moitié des réponses au questionnaire cite le JEX comme
exemple de réforme ayant généré un contentieux
nouveau et abondant sans moyens nouveaux : avec 80 035 saisines (hors
surendettement), il représentait en moyenne près de 7 % des
affaires nouvelles introduites en 1994 devant les TGI et TI, avec une
croissance de 81,4 % par rapport à 1993, année de mise en oeuvre
de la réforme. Ainsi que l'ont indiqué à la mission les
représentants des juges d'instance, ce contentieux n'est toutefois pas
entièrement nouveau car il a remplacé des procédures
jusqu'alors très partielles.
Pour certains tribunaux cet afflux semble stabilisé, pour d'autres, en
revanche, en 1995, la croissance s'est poursuivie et il représente
jusqu'à 20 % des affaires nouvelles, à tel point qu'un premier
président et un procureur général le qualifient de
"
Tchernobyl judiciaire
".
L'utilité de la réforme pour traiter un contentieux mal pris en
compte jusqu'alors est rarement mise en cause ; en revanche, il est
fréquemment souligné que l'encombrement est accru par
l'accès direct, sans ministère d'avocat obligatoire, qui fait
reposer sur le greffe convocations, notifications, délivrances de
certificat...
Enfin, dans un contexte économique difficile, le JEX est souvent
décrit comme utilisé abusivement : nouveau degré de
juridiction, voire "
pure chicane "
.
· Exemple de transfert à une autre juridiction et d'attribution
à un juge spécialisé: le
juge aux affaires
familiales
(JAF)
Le regroupement des affaires familiales au TGI avec la création du JAF a
induit le transfert au 1er janvier 1994 de l'activité du juge aux
affaires matrimoniales (JAM) relevant précédemment du tribunal
d'instance (autorité parentale, contentieux financier, nom et
prénom). Le transfert s'est traduit par un accroissement de 61,2 % des
affaires familiales (hors divorce) traitées au TGI.
· Exemple de transfert à des auxiliaires non magistrats : les
transferts aux greffiers en chef
et la réforme du
surendettement
.
Ces deux réformes très récentes (loi n° 95-125 du 8
février 1995 relative à l'organisation des juridictions et
à la procédure civile, pénale et administrative) ne font
pas encore l'objet de statistiques globales.
Les réponses faites à la mission (questionnaire,
déplacements, auditions) indiquent que les transferts aux greffiers en
chef n'ayant pas été accompagnés d'un accroissement des
effectifs, ils n'ont pas toujours été mis en oeuvre. Elles
soulignent également que le greffier spécialisé dans les
matières transférées aurait été mieux
placé pour bénéficier du transfert que certains greffiers
en chef.
Pour le surendettement, la réforme entrée en vigueur en
août 1995 s'est traduite par le transfert aux commissions de
surendettement de 35 000 dossiers de surendettement sur lesquels elles pourront
émettre en cas d'échec du règlement amiable des
recommandations auxquelles le juge de l'exécution conférera force
exécutoire.
Ce transfert a entraîné instantanément un allégement
mécanique des juridictions sans qu'il soit possible de mesurer encore la
charge du travail qui leur reviendra à l'issue du traitement par les
commissions.
4.- Résultant de l'inflation des normes
La conférence nationale des premiers présidents
inscrit au nombre des facteurs avancés pour expliquer la progression du
contentieux, la prolifération des textes législatifs et
réglementaires et, élément sans doute plus
déterminant, "
la mauvaise qualité de leur
rédaction
". Un premier président dans son audience de
rentrée rappelait que la loi, par l'article 4 du code civil, fait
néanmoins obligation au juge de statuer en dépit "
du
silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi
".
Il devient de plus en plus difficile de connaître la norme qu'il
s'agisse de la loi, du règlement ou des textes européens, y
compris pour le juge lorsqu'il n'est pas spécialisé. Ce peut
être une cause d'allongement des délais de traitement des affaires
et d'altération de la qualité des décisions donnant des
motifs d'appel ou de cassation.
b) Le contentieux classique pose des problèmes de plus en plus complexes
Même les contentieux anciens du droit des
sociétés, de la construction, de la copropriété, de
la responsabilité médicale posent des problèmes d'une
technicité accrue soit par l'internationalisation de l'économie,
soit par l'exigence croissante en matière de sécurité,
soit par les tensions générées par la crise
immobilière d'une part, et les difficultés des locataires,
d'autre part.
Pour la responsabilité médicale, par exemple, cela se traduit par
des délais moyens et des taux d'appel supérieurs à la
moyenne de l'ensemble des contentieux.
c) L'augmentation des appels et des pourvois en cassation
Il est très difficile de disposer de statistiques sur
le taux d'appel car il faudrait pour cela que les statistiques suivent les
affaires de bout en bout ce qui n'est pas le cas actuellement. Il faudrait
également que les statistiques sur les décisions rendues en
première instance séparent celles qui sont susceptibles de faire
l'objet d'un appel de celles qui sont rendues en dernier ressort
(jusqu'à 13 000 francs dans les TGI, TI et tribunaux de commerce,
jusqu'à 20 500 francs dans les conseils de prud'hommes). Cette
distinction serait également nécessaire pour calculer un
réel taux de pourvoi en cassation.
On peut en revanche calculer un rapport entre les décisions rendues en
première instance et les affaires nouvelles enregistrées en appel
d'une part et, d'autre part, les décisions des cours d'appel et les
affaires nouvelles de la Cour de cassation.
Ce rapport, peu significatif pour une année isolée, donne une
indication sur l'évolution générale.
Evolution de
l'activité Appel et
Cassation
|
||||
Ratio |
1974 |
1984 |
1994 |
|
Affaires nouvelles Cour de cassation/Affaires terminées Cour d'appel |
|
|
|
|
Affaires nouvelles Cour d'appel/Affaires terminées première instance |
8,2 % |
10,6 % |
14,2 % |
|
Source : Mission moyens de la justice - Sénat. |
Ces chiffres indiquent sur vingt ans un accroissement du
recours à l'appel proportionnellement supérieur à
l'augmentation du flux en première instance tandis que les recours en
cassation croissent proportionnellement moins que les appels et les
premières instances, ce que traduit également le graphique
suivant qui exprime en base 100 la progression des affaires civiles nouvelles.
Il permet de constater que ce sont les cours d'appel qui ont été
les plus frappées par l'afflux des affaires nouvelles.
Source : Mission moyens de
la justice -
Sénat
B. AU PÉNAL
Le degré d'informatisation de la chaîne pénale et les fluctuations dans les séries statistiques obligent à la plus grande circonspection sur les données en matière de flux pénaux. Seul le " produit fini " que constitue le casier judiciaire permet de développer des études sur les condamnations mais il ne permet pas d'analyser le traitement des affaires, l'encombrement des tribunaux ou les délais puisqu'il gomme notamment les classements sans suite.
1. Les flux
Le tableau suivant donne néanmoins quelques points de
repère
14(
*
)
:
La hausse du nombre des procès-verbaux est sans doute contenue par le
découragement d'un certain nombre de plaignants qui renoncent à
porter plainte, voire même à déclarer le délit. Le
taux d'élucidation a baissé, ce qui explique que le taux de
classement sans suite avoisine désormais 80 % pour l'ensemble, tandis
que le
taux de classement sans suite auteur connu
reste proche de 50 %,
en légère baisse, sans doute grâce au développement
du traitement direct qui concerne désormais 40 % des affaires soumises
au tribunal correctionnel.
ACTIVITÉ DES PARQUETS DES TRIBUNAUX DE GRANDE
INSTANCE
|
1987 |
1990 |
1994 |
1995 |
Procès-verbaux
reçus
|
5 352 624
|
5 244 233
|
5 399 740
|
5 191 255
|
Classement sans suite :
|
3 724 147
|
3 748 145
|
4 264 117
|
4 161 926
|
Taux de classement sans
suite :
|
69, 58 %
|
71, 47 %
|
78,97 %
|
80,00%
|
Affaires poursuivies :
- devant le juge d'instruction - devant le juge des enfants - devant le tribunal correctionnel dont : |
742 398
|
703 831
|
612 674
|
|
- Comparution immédiate
- Convocation sur PV (traitement direct) - Citation directe |
29 979
|
38 872
|
43 490
|
|
- devant le tribunal de police |
164 505
|
157 969
|
130 786
|
|
En outre, si la part des classements sans aucune suite judiciaire (poursuites ou alternative aux poursuites) parmi les affaires dont l'auteur est connu est en moyenne de 44,8 % en 1995, certains tribunaux visités par la mission atteignent des taux proches de 80 %.
2. Les explications, outre le taux des classements sans suite
L'évolution purement quantitative rend mal compte de certains glissements qualitatifs liés à l'évolution du code pénal, de la délinquance et des méthodes des policiers et des magistrats.
a) La modification du traitement de certains types de délinquance
La dépénalisation de l'émission des
chèques sans provision entrée en vigueur en 1992 a réduit
de 10 % le volume des affaires poursuivies devant les tribunaux correctionnels
en 1992 et 1993, après une période de stabilité de ce
volume jusqu'en 1991. En 1994, les chiffres remontent de plus de 2 % en raison
du développement d'autres types de délinquance.
La mise en place de modes de traitement rapide (parquet travaillant en direct,
convocation par l'OPJ, comparution immédiate) permet de mettre en
état plus rapidement et en plus grand nombre les infractions pouvant
relever de ces procédures. Mais on augmente ainsi le rendement de la
machine à poursuivre, non celui de la machine à juger.
b) La prolifération d'une délinquance de masse indifférenciée
Si l'on se réfère aux condamnations inscrites au
casier judiciaire, les crimes ne représentent qu'une très faible
part de la délinquance : 10,48 % ; les délits correspondent
à 81,66 % ; les contraventions de 5e classe constituant le surplus.
Au sens statistique d'une étude parue en 1995
15(
*
)
sur les condamnations prononcées par les
tribunaux correctionnels, sont considérées comme contentieux de
masse les 21 catégories d'infractions représentant ensemble plus
des ¾ (78 %) de l'activité des juridictions, chacune de ces
catégories couvrant au moins 1 % de l'ensemble. Ceci ne tient
évidemment pas compte des affaires classées sans suite qui
relèvent, pour la plupart, du contentieux de masse.
Viennent largement en tête la conduite sous l'empire d'un état
alcoolique ou en état d'ivresse (24 % de l'ensemble) et le vol simple
(19 %).
En matière de stupéfiants, seuls l'usage et la
détention/acquisition de stupéfiants passent la barre du
contentieux de " masse " (1,5 % chacun). En regroupant
l'ensemble des
infractions à la législation sur les stupéfiants, on
atteint 4,5 % de l'ensemble.
c) Des affaires complexes à l'instruction
Sur l'ensemble des affaires poursuivies, celles
renvoyées à l'instruction représentent 8,1 % en 1994 (en
croissance de 3,5 % par rapport à 1993). Ce taux reste inférieur
aux chiffres du rapport Tailhades qui constatait qu'il était
passé de 18,6 % en 1968 à 13,7 % en 1974 et 10,9 % en 1983.
L'évolution de la délinquance organisée, la poursuite
accrue des affaires financières, la spécialisation en
matière de terrorisme et les garanties renforcées
accordées à la défense conduisent à des
durées moyennes d'instruction de 14,6 mois en moyenne (12,4 en 1993,
10,5 mois en 1983, 6,5 mois en 1970).
d) La législation et la magistrature poursuivent des types de délinquance moins recherchés antérieurement
Sans nécessaire corrélation avec l'évolution des infractions commises, législation et jurisprudence se sont conjuguées pour poursuivre davantage certaines infractions : on a assisté à l'instauration de sanctions pénales plus nombreuses en matière économique, à la soumission des personnes morales à la condamnation pénale (la première inscription au casier judiciaire vient d'être effectuée), à la spécialisation accrue de certains juges sur certaines matières financières.
e) La stabilité des appels et des recours en cassation
Il est encore plus délicat d'avancer des données
pour l'appel et la cassation en matière pénale. En effet, les
statistiques des Cours d'appel (dernier annuaire statistique 1990-1994) ne font
état que des arrêts prononcés, lesquels fluctuent
faiblement à la hausse ou à la baisse au cours des
dernières années. A la Chambre criminelle de la Cour de
Cassation, les affaires nouvelles sont plus nombreuses depuis 1994 mais encore
en dessous du niveau de 1985 et éloignées des pics des
années 1987-1990.
NB : L'étude d'impact concernant le projet de loi créant un
tribunal départemental d'assises est cependant basée sur
l'hypothèse d'un taux d'appel de 30 %.
f) Le développement des plaintes avec constitution de partie civile
Le rapport de la mission de l'IGSJ et de l'inspection des
finances sur l'évolution des frais de justice
16(
*
)
indique que les dispositions des articles 800-1 du
code de procédure pénale (frais à la charge de l'Etat sous
réserve d'un droit fixe) et 88-1 du même code (la consignation ne
garantit plus que l'amende civile) favorisent le dépôt des
plaintes avec partie civile.
Celles-ci représentent par exemple 75 % de l'activité de la
section financière du TGI de Paris contre 25 % il y a dix ans. Elles
engendrent des frais de justice importants, les parties ayant tendance à
porter un litige devant la juridiction pénale lorsque la nature des
faits le permet (au civil, les frais resteraient à leur charge hors aide
juridictionnelle).
* *
*
La montée régulière des flux, patente au civil où l'opportunité des poursuites ne joue pas, est globale et repose sur des facteurs multiples auxquels la justice a tenté de répondre. Elle se caractérise essentiellement par le développement, au civil comme au pénal, de " contentieux de masse ".
II. LE SYSTÈME JUDICIAIRE NE S'EST QUE TRÈS PARTIELLEMENT ADAPTÉ
Face à cette profonde transformation de la demande de justice, les efforts d'adaptation du système judiciaire n'ont pas été à la hauteur des besoins, tant en ce qui concerne l'importance des moyens humains ou matériels que leur répartition.
1. Les moyens humains n'ont pas répondu aux besoins
L'évolution des moyens humains n'a pas été en proportion de celle du contentieux, en dépit de la progression globale des effectifs, de tentatives d'assouplissement de leur gestion et d'un recours accru à des procédures plus rapides.
a) Des effectifs de magistrats et de greffiers insuffisants malgré leur lente progression globale, notamment en raison des nombreuses vacances de postes
La période récente a certes été
marquée par un effort budgétaire appréciable en faveur du
renforcement des effectifs
des services judiciaires.
En effet, la loi de programme quinquennale du 6 janvier 1995 relative à
la justice a prévu la création de 300 postes
supplémentaires de magistrats professionnels, ainsi que de 835 emplois
de greffe (auxquels il convient d'ajouter la levée de mise en
réserve de 185 emplois),
soit une augmentation de l'ordre de 5 %
des effectifs sur cinq ans, alors que 118 emplois de magistrats et 403 emplois
de greffe avaient été créés de 1989 à
1993.
Le début d'application de cette loi de programme a ainsi
été caractérisé, en 1995, par la création de
60 emplois de magistrats et de 23 emplois de fonctionnaires, ainsi que par
le " dégel " de 185 postes de fonctionnaires. La loi de
finances pour 1996 a en outre prévu la création de
60 nouveaux emplois de magistrats et de 190 nouveaux emplois d'agents des
greffes. En revanche, le projet de loi de finances pour 1997 annonce
l'étalement sur une année supplémentaire du plan
quinquennal qui s'achèverait en 2001 au lieu de l'an 2000.
S'agissant des seuls magistrats, ce sont au total six à sept cents
postes qui ont été créés au cours des quinze
dernières années en tenant compte des deux premières
années du plan, selon les déclarations de M. Marc Moinard,
à l'époque directeur des services judiciaires, lors de son
audition devant la mission d'information, soit environ + 10 % des effectifs,
chiffre à rapprocher de l'augmentation des contentieux allant
jusqu'à son triplement (cf graphique ci-dessous) pendant la même
période.
Source : Mission Moyens de
la justice Sénat
On comprend dès lors que la quasi-totalité des responsables de
juridictions ayant répondu à l'enquête de la mission ait
fait état d'une insuffisance de leurs effectifs, tant en magistrats
qu'en fonctionnaires.
Si le niveau global des effectifs budgétaires est mis en cause, c'est
plus encore le
nombre élevé de vacances de postes
qui est
essentiellement déploré par les chefs de juridictions.
Il s'agit tout d'abord des vacances de postes
" officielles ",
résultant du décalage (de plusieurs mois au minimum),
régulièrement constaté entre les départs et les
arrivées lors des mutations, de difficultés à pourvoir
certains postes de magistrats
17(
*
)
, des
délais de formation des personnels recrutés pour les postes
nouvellement créés, des détachements, mises à
disposition ou disponibilités....
De fait, les statistiques de la Chancellerie elles-mêmes font
apparaître un important décalage entre effectifs
budgétaires et effectifs réels :
|
|||
|
Effectif budgétaire |
Effectif réel |
Taux de vacance |
Magistrats |
6.029 |
5.807 |
3,7 % |
Fonctionnaires |
18.639 |
18.358 |
1,5 % |
A ces vacances de postes au sens strict viennent s'ajouter de
fréquentes vacances temporaires causées par le non-remplacement
des magistrats ou des fonctionnaires lorsqu'ils sont momentanément
absents (par exemple au cours d'un congé de maternité, d'un
congé de maladie ou d'un stage de formation...).
En particulier, la féminisation croissante des corps (qui atteint
globalement 46 % chez les magistrats et, chez les fonctionnaires,
47 % pour la catégorie A, 68 % pour la catégorie B et
42 % pour la catégorie C et peut aller, dans certaines
juridictions, jusqu'à 70 % chez les magistrats et 95 % chez
les fonctionnaires) a entraîné une multiplication des
congés de maternité, source de fréquentes vacances
temporaires mal anticipées.
En outre, les magistrats formés par l'Ecole nationale de la magistrature
n'exercent pas tous dans les juridictions. Actuellement, 213 sont en
détachement, 73 en disponibilité et 171 en administration
centrale.
Enfin, les difficultés liées aux vacances de postes sont accrues,
dans les greffes, par l'absence de compensation intégrale du
travail
à temps partiel
, particulièrement développé
parmi les fonctionnaires judiciaires (le temps partiel concerne, dans certaines
juridictions, jusqu'à 80 % des effectifs des greffes). Ce
problème a été très fréquemment
dénoncé par les responsables de juridictions dans leurs
réponses à l'enquête de la mission.
Au total, les greffes se trouvent fréquemment en situation de
sous-effectif critique. A titre d'exemple, dans un tribunal de grande instance
d'une grande ville de province, avec un effectif budgétaire de 112
fonctionnaires, "
l'effectif utile s'est situé au cours des
trois dernières années entre 75 et
90 fonctionnaires
" ; dans un autre tribunal de grande
instance,
c'est un tiers de l'effectif du greffe qui manque sur le terrain.
La situation n'est pas toujours plus satisfaisante pour les magistrats, les
effectifs n'étant que très rarement au complet. Ainsi, un
président de tribunal de grande instance fait état d'un effectif
de magistrats complet pendant neuf mois seulement en huit ans...
b) Des tentatives limitées d'assouplissement de la gestion des effectifs
Au-delà des créations de postes
déjà mentionnées, des tentatives diverses
d'assouplissement de la gestion des effectifs ont été faites en
vue de remédier aux difficultés qui viennent d'être
évoquées ; elles n'ont cependant pas encore donné tous les
résultats escomptés.
Les
magistrats " placés "
auprès des chefs de
cour d'appel, institués par la loi organique du 29 octobre 1980, peuvent
être envoyés en renfort dans une juridiction de première
instance souffrant d'un sous-effectif temporaire. Les conditions d'affectation
de ces magistrats " volants " ont été assouplies par la
loi organique du 19 janvier 1995 : ils sont appelés à remplacer
temporairement des magistrats du second grade absents pour cause de
congé maladie ou maternité, de stage de formation ou de
congé annuel, ou à être affectés temporairement
(pour une durée ne pouvant excéder quatre mois) dans une
juridiction pour combler une vacance de poste ou renforcer l'effectif
"
afin d'assurer le traitement du contentieux dans un délai
raisonnable
". Leur nombre est limité au quinzième des
emplois des tribunaux de première instance.
Ce système, dont l'équivalent existe
également pour les
greffiers
(mais pas pour les greffiers en chefs et les fonctionnaires de
catégorie C), donne toute satisfaction. Cependant, le nombre de
magistrats " placés " (un peu plus d'une centaine au total
actuellement alors qu'ils pourraient être 303 soit jusqu'à 4,7 %
du corps) est manifestement jugé insuffisant, comme d'ailleurs celui des
greffiers " placés " (75 actuellement dont un au minimum par
cour d'appel).
En dehors des magistrats " placés ", certaines juridictions
bénéficient également de la présence de magistrats
honoraires maintenus en fonctions en surnombre.
La loi organique du 19 janvier 1995 a par ailleurs autorisé le
recrutement de "
magistrats exerçant à titre
temporaire
" (pour une durée de sept ans non renouvelable), non
professionnels et chargés d'exercer des fonctions soit de juge
d'instance, soit d'assesseur dans les formations collégiales des
tribunaux de grande instance, ainsi que le recrutement de trente
"
conseillers de cours d'appel en service
extraordinaire
"
(pour une durée de cinq ans non renouvelable et jusqu'au 31
décembre 1999 seulement).
Toutefois, près de deux ans après la promulgation de la loi, ces
dispositions n'ont pas encore reçu d'application concrète, en
l'absence de publication du décret d'application appelé à
préciser notamment les conditions d'indemnisation et le régime de
protection sociale des magistrats exerçant à titre
temporaire.
18(
*
)
En revanche, le recrutement
d'assistants de justice
, prévu par la
loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions
afin de permettre aux magistrats de bénéficier d'une " aide
à la décision ", fait actuellement l'objet d'une
expérimentation qui, d'après les premières informations
recueillies par la mission, semble donner des résultats tout à
fait satisfaisants et répondre à une forte attente des
magistrats, notamment du Parquet. En effet, 1.000 demandes ont
été enregistrées à la Chancellerie. 194 assistants
ont été recrutés, en général des
étudiants de troisième cycle qui sont chargés de travaux
de recherche de documentation, d'analyse et de mise en forme des
décisions....
Le statut des assistants de justice, nommés pour une durée de
deux ans renouvelable une fois et rémunérés à la
vacation, a été précisé par le décret
n° 96-123 du 7 juin 1996. Ils travaillent à mi-temps et sont
rémunérés en moyenne environ 3165 francs par mois. En
1997, il est prévu de recruter 100 nouveaux assistants. A terme
l'objectif est 500 assistants à mi-temps en 1999.
Enfin, des
vacataires
sont fréquemment recrutés afin de
pallier les déficits de fonctionnaires d'exécution dans les
greffes. Il ne s'agit toutefois que d'un pis-aller peu satisfaisant et
appelé à disparaître en raison de la politique de
résorption des emplois précaires dans la fonction publique. A cet
égard, l'interdiction du recours à des personnels employés
sur des contrats emploi-solidarité (CES) pose aujourd'hui
problème à nombre de juridictions dans lesquelles les CES avaient
constitué un appoint appréciable, notamment pour la
dactylographie des jugements...
c) Un recours accru à des procédures plus rapides permettant d'économiser du " temps magistrat "
Parallèlement aux efforts d'adaptation des moyens en
personnel, des gains de productivité ont été
recherchés par l'utilisation de procédures plus rapides dont on
se bornera ici à rappeler quelques exemples.
Ainsi, tout d'abord, le recours au
juge unique
a été
largement développé en première instance.
Très fréquemment utilisé en matière civile (juge
d'instance, juge aux affaires familiales, juge de l'exécution, et d'une
manière générale au tribunal de grande instance sur
décision du président, sauf demande contraire des parties), il a
été étendu en matière correctionnelle, par la loi
du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions,
pour un certain nombre de délits (sauf si le prévenu est en
état de détention provisoire ou est poursuivi selon la
procédure de comparution immédiate). Toutefois, le passage de la
collégialité au juge unique n'entraîne pas une
multiplication par trois des audiences si les effectifs du Parquet et du
greffe, ainsi que le nombre des salles d'audience restent inchangés.
D'autre part, le
traitement direct des affaires pénales
,
procédure permettant aux magistrats du Parquet, grâce à une
liaison téléphonique permanente avec les services de police et de
gendarmerie, de traiter immédiatement les affaires
élucidées, est en voie de généralisation à
l'ensemble des Parquets des tribunaux de grande instance ; cette
procédure mobilise des effectifs mais autorise de sensibles gains de
temps et d'efficacité pour la poursuite mais non pour le jugement.
Par ailleurs, les magistrats ont été déchargés d'un
certain nombre de missions par la loi du 8 février 1995 relative
à l'organisation des juridictions qui a prévu le
transfert aux
greffiers en chef de certaines compétences
telles que
l'établissement des certificats de nationalité, la
réception du consentement à l'adoption, la réception des
déclarations conjointes de changement de nom d'un enfant naturel ou aux
fins de l'exercice en commun de l'autorité parentale, ou encore la
vérification des comptes de tutelle.
*
Cependant, ni les mesures relatives aux personnels ni celles
concernant les procédures n'ont jusqu'ici pu pallier
l'insuffisance
des effectifs face à l'inflation du contentieux
, quelles qu'aient pu
être les améliorations obtenues.
A cet égard, il est frappant de constater que le nombre des
magistrats (6 029) n'est pas sensiblement plus élevé aujourd'hui
qu'il ne l'était avant la première guerre mondiale et que la
France ne dispose que d'un magistrat pour 9.000 habitants, alors que ce rapport
est de 1 pour 3.000 habitants dans un pays européen voisin :
l'Allemagne.
2. Les améliorations encore possibles des moyens matériels ne permettront plus beaucoup de gains de productivité
En ce qui concerne les moyens matériels, la situation apparaît moins préoccupante qu'au niveau des effectifs. En effet, l'informatisation est en voie d'achèvement, malgré beaucoup d'erreurs, difficilement explicables, et de retards ; les locaux ont bénéficié d'améliorations notables, même si quelques insuffisances persistent çà et là ; et des efforts ont été faits pour rationaliser la gestion des crédits budgétaires grâce à la déconcentration.
a) Une informatisation chaotique mais en voie d'achèvement
Le processus d'informatisation des juridictions a
été marqué par maints retards et péripéties
sur lesquelles il est inutile de s'attarder ici. On rappellera seulement, pour
mémoire, l'échec des grands projets d'applications nationales de
la Chancellerie et l'abandon, fin 1992, du schéma directeur informatique
pour 1990-1994, suivi d'une réorganisation, en 1993, de la
sous-direction de l'informatique.
Mises à part les juridictions de la région parisienne, dans
lesquelles a été mise en place la " nouvelle chaîne
pénale " gérée par la Chancellerie,
l'informatique
est désormais totalement
déconcentrée auprès des cours d'appel
, auxquelles
la " charte de l'informatique judiciaire ", adoptée en
septembre 1994 par le Garde des Sceaux, a confié la
responsabilité des choix informatiques locaux dans leur ressort.
Le développement des initiatives locales a permis la
généralisation de
l'informatisation des cours d'appel et des
tribunaux de grande instance, aujourd'hui en voie d'achèvement
(avec
un ratio moyen de deux agents par poste de travail).
Il présente cependant l'inconvénient d'une certaine
incohérence des matériels et des logiciels
utilisés
, souvent incompatibles entre eux, en dépit des
efforts de rationalisation qui ont pu être faits par la Chancellerie et
les cours d'appel. En outre, des difficultés subsistent en
matière de
formation
des fonctionnaires, pas toujours suffisante,
et de
maintenance
des matériels, voire de renouvellement des
équipements les plus anciens déjà obsolètes,
auxquelles s'ajoute le problème de la dépendance des juridictions
à l'égard de quelques grandes sociétés
d'informatique privées.
Dans leurs réponses à l'enquête de la mission, de nombreux
chefs de juridiction se plaignent également d'une autonomie insuffisante
dans ce domaine, du fait de la centralisation de la gestion des crédits
auprès de la cour d'appel et de la suppression récente de la
possibilité de financer des projets d'informatisation locale sur les
budgets de fonctionnement des juridictions : nécessité d'appeler
la cour d'appel pour faire venir le technicien, le plus souvent unique pour
tout le ressort, en cas de panne ; longs mois d'attente avant l'autorisation de
la cour pour l'achat d'un logiciel...
A titre d'exemple, tel responsable de tribunal de grande instance se plaint de
ne pas avoir obtenu, au bout de quatre mois, l'autorisation d'acheter un
logiciel de remplacement d'un coût de 1500 francs. Certaines juridictions
en viennent même à recourir à l'achat de machines à
écrire traditionnelles, qu'elles peuvent financer de façon
autonome sur leur budget de fonctionnement, contrairement à l'achat de
terminaux informatiques qui nécessite l'accord de la cour d'appel.
Par ailleurs, l'équipement en micro-ordinateurs des magistrats,
souhaité par nombre d'entre eux, reste très insuffisant.
Cependant,
l'informatisation des juridictions a d'ores et déjà
permis de réaliser des gains de productivité très
importants
. Il serait illusoire d'espérer que les progrès qui
restent à réaliser dans ce domaine permettent de résorber
l'engorgement croissant des juridictions.
b) Des locaux en cours de modernisation
Le
patrimoine immobilier
des juridictions fait
l'objet,
depuis quelques années, d'un
effort sensible de modernisation
. En
particulier, la loi de programme du 6 janvier 1995 relative à la justice
alloue 4,5 milliards de francs d'autorisations de programme sur cinq ans aux
équipements judiciaires.
Ces crédits sont consacrés principalement à la poursuite
du
programme pluriannuel d'équipement
lancé en 1991, en
assurant le financement des opérations les plus prioritaires parmi
celles recensées par les schémas directeurs. Dans ce cadre, 450
millions de francs d'autorisations de programme ont déjà
été affectés, en 1995, à de grosses
opérations concernant notamment les juridictions de Béthune,
Grasse, Melun, Nantes et Nice (marchés de travaux) ainsi que d'Avignon,
Besançon et Fort de France (marchés d'études). La
construction d'un certain nombre de nouveaux Palais de justice est en outre
prévue, en particulier sur les sites suivants : Avesnes-sur-Helpe,
Pontoise, Thonon-les-Bains, Montpellier, Versailles et Moulins.
La loi de programme réserve également des crédits pour des
opérations petites et moyennes (à hauteur de 590 millions de
francs) ainsi que pour des opérations de remise à niveau
technique et de gros entretien du patrimoine existant (à hauteur de 420
millions de francs).
L'effort financier consacré à l'équipement immobilier au
cours des dernières années a déjà porté ses
fruits, permettant la rénovation d'un certain nombre de juridictions et
même la construction de nouveaux Palais de Justice, comme celui de Lyon
qu'une délégation de la mission a pu visiter et apprécier
au cours de l'un de ses déplacements.
Les réponses à l'enquête de la mission ne font d'ailleurs
pas état, dans la très grande majorité des cas, de
problèmes majeurs concernant le patrimoine immobilier.
Toutefois, certains responsables de juridiction ont fait part à la
mission de difficultés liées à l'exiguïté des
locaux, à leur manque de fonctionnalité parfois à leur
vétusté.
La question de la
sécurité
a en particulier
été fréquemment évoquée, de nombreux chefs
de juridiction soulignant l'absence de conformité des locaux aux normes
de sécurité et le coût élevé d'une remise aux
normes.
Plus ponctuellement, faute de dispositifs de sécurité
adaptés, certains magistrats ont fait allusion à un sentiment
d'insécurité au cours de certaines audiences se déroulant
dans une ambiance particulièrement tendue.
c) Des efforts faits pour rationaliser la gestion des crédits de fonctionnement grâce à la déconcentration
Le transfert à l'État, à compter du 1er
janvier 1987, de la charge de la gestion des crédits de fonctionnement
et d'équipement des juridictions du premier degré
précédemment assumée par les départements, s'est
accompagné d'un
effort de déconcentration
budgétaire.
En effet, les juridictions disposent depuis cette date d'un budget de
fonctionnement global et de crédits déconcentrés pour
certaines dépenses d'équipement, la cour d'appel constituant le
niveau d'arbitrage des demandes, de répartition des enveloppes
budgétaires entre les juridictions et d'évaluation de leur
gestion, selon les règles posées par une circulaire du 17
décembre 1986.
De plus, une
expérience de départementalisation
de la
gestion des moyens a été mise en oeuvre en 1992 dans dix
départements, puis étendue à trente cinq
départements (correspondant aux ressorts de onze cours d'appel). Cette
expérience, qui consistait à confier à l'un des tribunaux
de grande instance du département la gestion centralisée des
crédits de l'ensemble des juridictions du premier degré, a
toutefois été abandonnée à la suite d'un rapport
établi en novembre 1993 par la sous-direction des greffes, qui faisait
ressortir un bilan mitigé. "
Globalement bien vécue dans
les départements ne disposant que d'un seul TGI
", selon la
formule de M. Jean-François Carrez, la départementalisation
était en revanche source de difficultés dans les
départements où coexistent deux ou plusieurs tribunaux de grande
instance.
La
déconcentration
a donc été recentrée et
renforcée
au niveau de la cour d'appel
. En particulier, a
été prévue, dans le cadre d'une circulaire du
30 janvier 1996, la mise en place, au niveau de chaque cour d'appel, d'une
cellule de gestion
placée sous la direction d'un greffier en
chef, ainsi que d'un magistrat délégué à
l'équipement, d'un magistrat délégué à la
formation, d'un greffier en chef formateur régional et d'un greffier en
chef délégué à la formation informatique.
L'affectation d'un secrétaire général auprès de
chaque chef de cour d'appel est également prévue.
Le bilan des cellules de gestion, là où elles existent
déjà, semble satisfaisant ; cependant, le dispositif prévu
peut être considéré comme excessivement lourd pour une
petite cour d'appel.
Par ailleurs, le regroupement à l'échelon de la cour d'appel de
l'organisation de la fonction de gestion financière des personnels
(paiement des traitements, notamment) est en cours et une structure de
contrôle de la gestion financière et budgétaire des
juridictions vient d'être créée à la direction des
services judiciaires de la Chancellerie.
A la lumière des réponses à l'enquête de la mission,
la déconcentration mise en oeuvre depuis 1987 appelle un jugement dans
l'ensemble positif. Beaucoup de responsables déplorent cependant qu'elle
ait été mise en oeuvre sans moyens supplémentaires, alors
qu'elle a entraîné un important surcroît de travail,
notamment pour les greffiers en chef. D'autre part, certains regrettent
l'abandon de la départementalisation ou craignent que la
déconcentration n'aboutisse en fait à une
"
reconcentration inutile au niveau des cours et à une simple
exécution pour les juridictions
".
Les mêmes remarques semblent pouvoir être transposées
à l'égard des services administratifs régionaux (S.A.R.)
de la circulaire du 8 juillet 1996.
En outre, la déconcentration ne résout pas tous les
problèmes de gestion des crédits de fonctionnement.
A cet égard, de nombreuses réponses adressées à la
mission dénoncent le
caractère tardif des
délégations de crédits
et indiquent que le montant
définitif des dotations n'est le plus souvent connu qu'en fin
d'année, au détriment d'une gestion financière
rationnelle. La diminution, ou l'insuffisance, des crédits
eux-mêmes sont parfois évoquées.
*
Cependant, outre l'insuffisance globale des moyens humains et les améliorations encore possibles des moyens matériels -relativement limitées en termes de productivité-, se pose la question de la répartition de ces moyens.
3. La répartition de ces moyens, surtout en hommes, correspond très mal à l'évolution de l'activité judiciaire
Le dispositif judiciaire actuel, hérité du
XIXème siècle, ne correspond plus aux réalités de
la fin du XXème siècle. Cette
inadaptation de la carte
judiciaire
a été mise en évidence par le rapport
présenté en février 1994 par M. Jean-François
Carrez, au nom du comité de réorganisation et de
déconcentration du ministère de la Justice, ainsi que par le
rapport sur la carte judiciaire établi par les services de la
Chancellerie en application de l'article 5 de la loi de programme du 6 janvier
1995 relative à la justice. Elle a également été
confirmée par les réponses des responsables de juridictions
à l'enquête de la mission.
Ils décrivent d'importantes inégalités dans la
répartition géographique des moyens, sources de graves
déséquilibres dans la charge de travail des juridictions comme
des magistrats et fonctionnaires.
Cette situation est en outre aggravée par une certaine paralysie de la
gestion des effectifs, à laquelle conduit une conception stricte du
principe de l'inamovibilité des magistrats.
a) Une carte judiciaire héritée de l'histoire
Produit d'une "
stratification
"
historique,
selon l'expression de M. Jean-François Carrez, à l'origine
très ancienne, la
carte judiciaire française
est
très largement le reflet de réalités
démographiques, économiques et sociales aujourd'hui disparues. La
densité géographique
des juridictions,
très
variable suivant les zones
, traduit encore l'héritage de l'Ancien
Régime et du premier développement industriel. De plus,
l'organisation judiciaire apparaît aujourd'hui largement figée
dans ses archaïsmes ; en effet, elle n'a quasiment pas
évolué depuis 1958.
Sous des appellations uniformes, les caractéristiques des
juridictions sont en réalité extrêmement diverses.
Ainsi, on constate, pour une même catégorie de juridictions, des
écarts énormes dans l'importance de la population desservie, le
volume de l'activité, les effectifs de magistrats.
Certaines juridictions se situent, de fait, en dessous du seuil
d'activité critique nécessaire à un fonctionnement
efficace. Le rapport établi par M. Jean-François Carrez
dénombre par exemple 37 tribunaux d'instance traitant moins de 250
affaires par an, 71 tribunaux de commerce traitant moins de 200 affaires
nouvelles de contentieux général et moins de 100
procédures collectives par an, 93 conseils de prud'hommes traitant moins
de 200 affaires par an... De tels niveaux d'activité ne permettent ni
l'amortissement des équipements, ni l'organisation rationalisée
du travail, ni la spécialisation des juges si nécessaire compte
tenu de la complexité croissante des normes et de la montée
générale des flux.
b) De graves inégalités dans la répartition des moyens entre les juridictions
Ces inégalités de volume d'activité entre
les juridictions s'accompagnent
d'incohérences dans la
répartition des moyens humains entre juridictions d'activité
comparable
, fréquemment dénoncées dans les
réponses à l'enquête de la mission.
Ainsi, les
inégalités en matière de charge de
travail
par magistrat ou par fonctionnaire apparaissent
considérables. D'après le rapport établi par
M. Jean-François Carrez, l'écart moyen de charge de travail
par magistrat serait de l'ordre
19(
*
)
:
- de 1 à 2 entre les cours d'appel les plus chargées et les cours
les moins chargées ;
- de 1 à 3 entre les tribunaux de grande instance les plus
chargés et les tribunaux de grande instance les moins chargés ;
- de 1 à 5 entre les juges d'instance.
Les
déséquilibres
sont très marqués.
En effet, on constate que les juridictions parisiennes, d'une part, et les plus
petites juridictions de province, d'autre part, sont beaucoup plus largement
pourvues que la moyenne en magistrats et en fonctionnaires, eu égard
à leur charge de travail.
A l'inverse, certaines cours d'appel de grandes villes de province, ainsi que
beaucoup de tribunaux de grande instance dans les zones urbaines ou en voie
d'urbanisation, sont manifestement sous-dotés en magistrats et en
fonctionnaires.
A titre d'exemple, le tribunal de grande instance de Meaux, juridiction
à trois chambres, a un volume d'activité comparable à
celui du tribunal de grande instance de Nancy qui est pourvu de quatre chambres.
A Lyon, il faudrait augmenter les effectifs de plus de 10 % pour atteindre
un niveau de moyens comparable à ceux dont disposent les juridictions
parisiennes.
Ces déséquilibres atteignent des records dans les ressorts des
cours d'appel d'Aix-en-Provence et de Douai, avec des niveaux de charge de
travail extrêmement élevés.
Dès lors, force est de constater que la justice n'est pas rendue dans
des conditions égales sur l'ensemble du territoire français.
c) Des distorsions accrues par les difficultés particulières inhérentes à la gestion du corps des magistrats
Les incohérences de la répartition
géographique des postes de magistrats entre les juridictions se trouvent
accentuées par le fait que le corps de la magistrature ne peut
être géré comme un corps de fonctionnaires ordinaire.
En effet, en application du principe de
l'inamovibilité
, il est
impossible de contraindre un magistrat du siège à quitter le
poste qu'il occupe ou à combler une vacance.
Ce principe a pour conséquence de " geler " les postes de
magistrats. Ainsi, selon les propos mêmes de M. Jacques Toubon, Garde des
Sceaux, tenus le 8 juin 1996 dans le cadre d'un entretien accordé
à un hebdomadaire : "
quand un poste budgétaire est
créé quelque part, il perdure
"
20(
*
)
.
D'autre part, alors même que la mobilité peut être
considérée comme insuffisante dans les postes les plus
recherchés, elle est à l'inverse, probablement trop rapide dans
des régions peu attractives.
Faute de candidats, certains postes restent longtemps vacants et ne peuvent en
définitive être pourvus que par des magistrats débutants
issus de l'École nationale de la magistrature. C'est par exemple le cas
en Corse.
Pour des postes qui, compte tenu de leur niveau hiérarchique, ne peuvent
être attribués à des débutants, les
difficultés pour combler les vacances de postes sont encore accrues. A
cet égard, le
repyramidage
de nombreux
postes
, intervenu
au cours des dernières années, s'il a permis une
amélioration globale des perspectives de carrière des magistrats,
a également eu des effets pervers.
En effet, on constate une insuffisance de candidatures pour ces postes
" repyramidés ", dans la mesure où ils ne permettent
pas toujours d'accéder à une réelle promotion dans
l'exercice des responsabilités. Ainsi, un certain nombre de postes
repyramidés sont actuellement " structurellement " vacants,
notamment dans les régions du Nord et de l'Est.
D'une manière générale, la
mobilité
géographique des magistrats tend aujourd'hui à se réduire,
ce qui ne facilite pas la résorption des vacances de postes. Nombreux
sont ceux qui, en raison des frais de déménagement ou de leur
ancrage familial, souhaitent effectuer l'essentiel de leur carrière dans
une seule région ; certains acceptent pour un temps une nomination
éloignée mais conservent leur domicile et effectuent des navettes
qui ne facilitent pas l'organisation de la tenue des audiences et des
permanences et affectent la capacité de concentration qu'on est en droit
d'attendre d'un magistrat.
Au terme de ce bilan, l'insuffisance globale et l'inadéquation de la
répartition des moyens humains face à l'évolution de la
demande de justice apparaissent donc patents.
III. UNE JUSTICE DÉBORDÉE ET PARALYSÉE
1. L'impossibilité physique de répondre à la demande de justice
Elle se traduit par l'accroissement du nombre des affaires en cours en fin d'année (les " stocks "), malgré les gains de productivité qui ont permis de faire face en grande partie à l'accroissement du flux.
a) Le gonflement des stocks en fin d'année malgré les classements sans suite
Le tableau ci-dessous rend compte du gonflement de ces
stocks.
|
|||||
|
1974 |
1994 * |
Evolution |
||
Ensemble |
395 044 |
1 322 997 |
+ 235 % |
||
Civil |
310 551 |
1 112 996 |
+ 258 % |
||
Pénal |
84 493 |
210 001 |
+ 149 % |
||
Cour de cassation |
10 198 |
36 208 |
+ 255 % |
||
Civil |
8 177 |
31 949 |
+ 291 % |
||
Pénal |
2 021 |
4 259 |
+ 111 % |
||
Cours d'appel |
70 037 |
286 069 |
+ 308 % |
||
Civil |
60 931 |
271 979 |
+ 346% |
||
Pénal |
9 106 |
14 090 |
+ 55 % |
||
Tribunaux de grande instance |
262 565 |
718 377 |
+ 174 % |
||
Civil |
189 199 |
526 725 |
+ 178 % |
||
Pénal (correctionnel et instruction) |
73 366 |
191 652 |
+ 161 % |
||
Tribunaux d'instance (civil) |
52 244 |
282 343 |
+ 440% |
||
*
Année 1995 pour la
Cour de cassation
Données compilées à partir des statistiques de la Chancellerie |
Les données de ce tableau doivent être
rapportées à la capacité de jugement annuel, laquelle a
crû entre-temps. On peut ainsi constater dans le tableau suivant
qu'
au
civil
le stock, qui représentait en 1974 en moyenne
7,5 mois de travail, atteint en 1994 l'équivalent d'une
année de jugement (une année et demie pour la Cour de cassation
et les Cours d'appel).
|
|||
|
Stock en mois
|
Stock en mois
|
|
Cour de cassation |
12,2 |
17,83 |
|
Cours d'appel |
12,5 |
17,43 |
|
Tribunaux de grande instance |
11,5 |
14,13 |
|
Tribunaux d'instance |
2,6 |
6,65 |
|
Ensemble |
7,4 |
11,79 |
Source : Mission Moyens de la justice - Sénat
Au pénal, faute de statistiques anciennes comparables, il est difficile
de retracer l'évolution. Au demeurant, l'importance des classements sans
suite fausse les données. A l'heure actuelle, le rapport entre le stock
et la capacité de traitement s'établit ainsi :
Rapport stock pénal au 31 décembre et
capacité de jugement
|
Affaires traitées en 1994 |
Stocks 1994 |
Stocks exprimés en temps de traitement |
Cassation |
6 344 |
4 259 |
8 mois |
Appel |
81 143 |
14 090 |
2 mois |
Assises |
2 127 |
956 |
5 mois |
TGI |
465 550 |
191 652 |
5 mois |
Ensemble |
555 164 |
210 957 |
4,5 mois |
Source : Mission Moyens de la justice - Sénat
b) Des délais moyens qui croissent à nouveau
·
Au civil
, les statistiques sont
regroupées par type de juridiction.
|
||||||||||||||
|
1982 |
1983 |
1984 |
1985 |
1986 |
1987 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
Cours d'appel |
14,8 |
16,2 |
17,2 |
17,7 |
17,6 |
17,8 |
16,9 |
16,0 |
14,7 |
14,0 |
13,5 |
13,3 |
13,7 |
15 |
TGI |
10,4 |
11,3 |
11,8 |
11,8 |
11,3 |
11,0 |
10,5 |
9,7 |
9,5 |
9,3 |
9,5 |
9,3 |
8,9 |
9 |
Tribunaux d'instance |
4,1 |
4,3 |
4,8 |
4,8 |
3,9 |
4,2 |
4,1 |
4,3 |
4,2 |
4,4 |
4,5 |
4,8 |
5,1 |
5,3 |
Données Chancellerie |
Les référés sont traités dans des
délais variant entre un mois et un mois et demi. Les prud'hommes
connaissent une durée moyenne de 10,3 mois, en progression. Le premier
président de la Cour de cassation évalue à 15 à 18
mois le délai de traitement de la Cour.
La prolongation des chiffres publiés par la commission de contrôle
Haenel-Arthuis (1982-1989) est marquée jusqu'à 1994 par :
- la remontée de la durée moyenne de traitement des affaires par
les Cours d'appel à partir de 1994 ;
- la baisse de la durée moyenne dans les TGI et la hausse dans les TI :
ces évolutions concomitantes sont interprétées par la
Chancellerie comme résultant de la mise en oeuvre du JAF et du JEX qui
ont transféré ou généré un contentieux
abondant mais dont la durée moyenne de traitement (calculée par
définition sur les affaires terminées) serait plus courte que la
moyenne des autres affaires. On note pourtant que les divorces sont
prononcés dans un délai supérieur à un an, ceux par
consentement mutuel présentés par requête conjointe prenant
en moyenne 8,9 mois.
Mais les derniers chiffres publiés montrent en 1995 une aggravation
de ces délais moyens pour l'ensemble des juridictions dont il est
à prévoir qu'elle se poursuivra dans les années suivantes,
toutes choses égales par ailleurs.
En outre, la durée moyenne est calculée par l'intervalle entre la
date de saisine et la date de jugement. Elle ne tient pas compte du
délai entre le jugement et sa remise liée à la
capacité de dactylographie du greffe, pour laquelle certaines
juridictions ont des retards de plusieurs mois. Les barreaux ont parfois mis
des dactylographes à la disposition des juridictions pour
accélérer la remise des décisions.
·
Au pénal
, les statistiques nationales sont
établies par type d'affaires.
Activité des juridictions pénales :
durée des procédures en mois
Evolution 1990 - 1993 -
Métropole
|
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
Crimes |
36,4 |
38,7 |
39,0 |
39,1 |
Délits
|
11,2 |
11,6 |
11,6 |
11,8 |
vol, recel |
9,3 |
10,2 |
10,8 |
11,0 |
circulation
|
6,0 |
5,7 |
5,6 |
4,9 |
chèques |
17,8 |
20,5 |
22,5 |
22,3 |
stupéfiants |
16,3 |
16,6 |
16,9 |
17,5 |
étrangers |
6,0 |
5,8 |
5,8 |
5,9 |
5e classe
|
9,0 |
9,6 |
9,8 |
9,5 |
circulation routière |
7,7 |
8,1 |
8,2 |
7,8 |
environnement |
9,3 |
9,9 |
10,0 |
9,9 |
coups et blessures involontaires |
9,1 |
9,9 |
10,1 |
9,9 |
Ensemble |
10,9 |
11,3 |
11,4 |
11,5 |
Données Chancellerie
En outre, la durée moyenne des instructions est en hausse : elle est en
1995 de 14,6 mois (16,1 mois pour les crimes, 14,5 mois pour les délits).
Enfin, il n'existe pas de statistiques sur
l'exécution
des
peines, laquelle est très souvent sous-informatisée, voire
sous-administrée : ainsi les condamnations définitives ne
sont-elles pas systématiquement suivies d'effet.
2. Les moyennes nationales cachent des données locales parfois assimilables au déni de justice
L'analyse de ces chiffres d'ensemble doit être nuancée à la lumière des données locales ainsi que des réponses adressées à la mission et des constatations qu'elle a effectuées dans plusieurs juridictions. L'apparente rigueur des chiffres masque mal en effet la difficulté de maîtriser les modalités de saisie des dossiers dont la pratique peut varier d'une juridiction à l'autre.
a) Les données statistiques locales
Avant de citer quelques exemples, il peut être utile de
garder à l'esprit la recommandation d'interprétation
placée en exergue des " Statistiques sur les données locales
1994 ", compilation la plus récente établie par la
sous-direction de la statistique du ministère de la justice :
"
La statistique sur la durée moyenne des affaires
terminées fournit une indication utile sur l'encombrement de chaque
juridiction. Elle ne saurait permettre, au vu des différences
constatées entre juridictions, de se prononcer à elle seule sur
la gestion des unes et des autres.
" Une durée moyenne plus élevée pour une juridiction
peut traduire non seulement une situation d'encombrement, mais encore une
proportion importante d'affaires complexes (relevant par exemple du droit de la
responsabilité), un recours important à des expertises, une
efficacité moindre des auxiliaires de justice, une proportion moindre de
dessaisissements (leur durée est généralement plus courte
que celle des affaires jugées au fond), voire une volonté
d'évacuer en 1994 les affaires les plus anciennes du stock de
début d'année. "
Ce même document permet en effet de constater pour le traitement des
affaires civiles :
-
pour les cours d'appel,
des délais allant pratiquement du
simple au triple : de 7,6 mois à Riom à 20,9 mois à
Aix-en-Provence ;
-
pour les tribunaux de grande instance
, ces délais vont du
simple au quintuple : de 4 mois à Chaumont à 21,2 mois à
Pointe-à-Pitre ;
-
pour les tribunaux d'instance
, la fourchette est comprise entre
1,7 mois à Arles et 12,3 mois à Pontarlier ; elle varie donc
de 1 à 7.
b) Les observations de la mission
Première observation
: le débit
dépend largement du " robinet pénal " dont il a
été indiqué à maintes reprises à la mission
qu'au travers du classement sans suite il contribuait à la
régulation du flux des affaires à juger.
Car le traitement direct et le juge unique ne permettent pas les gains de temps
qu'une mathématique élémentaire suggérerait ; en
effet :
- juge unique et comparution immédiate ne peuvent être
combinés ;
- une audience à juge unique " économise " deux juges
du siège mais si le nombre de greffiers, de magistrats du parquet et de
salles n'augmente pas, les audiences ne peuvent être multipliées
par trois.
Pour certains, la maîtrise des flux assurée par le Parquet est
devenue la "
doctrine officielle
".
Deuxième observation
: les moyennes masquent l'instauration au
sein d'une même juridiction de cycles de traitement à
" braquets " bien différents. Ainsi que l'indique le
président d'un TGI dont la durée moyenne de traitement est
très inférieure à la moyenne nationale : le traitement de
masse nuit au délai raisonnable pour "
les dossiers à
forte valeur juridique ajoutée
".
Troisième observation
: soit parce qu'il est décalé
de deux ans, soit parce que la moyenne des affaires terminées n'a pas de
sens, cet indicateur est très trompeur :
· Une Cour d'appel comme celle de Douai a une durée moyenne de
traitement des affaires terminées de 13,3 mois, donc inférieure
à la moyenne nationale (13,7) mais une affaire relevant de sa chambre
sociale pour laquelle il serait fait appel en 1996 ne serait audiencée
que dans quatre ans...
· A Nîmes, les chefs de Cour estiment aujourd'hui à deux ans
leur délai moyen de jugement alors que la durée moyenne des
affaires terminées en 1994 était de 13,5 mois (le stock y a
crû de 28 % entre 94 et 95).
· Le TGI de Bordeaux a également une moyenne inférieure
à la moyenne nationale (8,7 mois contre 8,9) pourtant l'encombrement de
la dactylographie y est tel qu'en février 1996, malgré la
délégation de 10 vacataires, 1 126 jugement civils
étaient en attente de frappe. Dans le même temps au pénal
l'engorgement de l'exécution des peines annihile tous les gains
générés par le traitement en temps réel.
Pour mettre en lumière cette situation, le président du TGI a
décidé la suppression des audiences d'une chambre civile en
mai-juin 1996 (sauf une par mois pour les urgences).
· Le premier président d'une Cour d'appel qui constate
qu'après la période d'optimisation des moyens internes
(1988-1991), le stock a repris sa progression depuis 1992 résume
lapidairement la situation : "
Trompés parfois eux-mêmes
par la longueur incroyable des délais, les avocats se présentent
parfois pour plaider avec un an d'avance "...
Quatrième observation
: la durée des audiences (8 h 30
à 17 h, 14 h à 21 h par exemple) et le nombre des dossiers qui y
sont traités sont tels que le justiciable, lorsqu'il est
mécontent du sens du jugement, ne peut avoir la conviction que son
affaire a fait l'objet d'un examen attentif.
Or, ainsi que le rappelle un procureur de la République, "
les
nécessités d'évacuation des procédures ne doivent
pas prendre le pas sur un traitement qualitatif du contentieux
".
Cinquième observation
: Ainsi que l'indique un procureur de la
République, "
le retard dans le traitement des procédures
est lui-même générateur de contentieux
" :
détérioration de la situation de fait, impossibilité
d'exécution, détournement de procédures.
Le président d'un TGI situé dans un autre ressort dit encore que
le dysfonctionnement s'autoalimente car les affaires anciennes sont plus
difficiles à juger : "
nous sommes un peu comme ces soldats
obligés de manger le reste du pain de la veille avant d'entamer le pain
frais, et qui en conclusion ne s'alimentent qu'avec du pain
rassis
".
3. Les digues sont rompues
Tandis que les délais moyens de 1994, dernières
données générales disponibles, polarisent l'attention sur
les efforts à poursuivre dans ce domaine pour éviter les
condamnations pour franchissement des " délais
raisonnables ",
une part importante des juridictions constate une aggravation de la situation
face à laquelle l'institution, les magistrats, les greffiers en chefs,
les greffiers, les fonctionnaires et vacataires se sentent démunis car
pour eux les gains de productivité ont tous été
exploités.
· Ils peuvent être préoccupés à juste titre
du
déni de justice
lorsque les délais s'allongent ou ne
sont maîtrisés qu'au prix d'une baisse de la qualité des
jugements.
· Plus encore, il faut s'inquiéter de
l'inégalité
de traitement
entre les justiciables lorsque la mise à niveau des
capacités de traitement des affaires n'est pas réalisée.
Certains interlocuteurs de la mission et des plus autorisés ont ainsi
estimé que la justice allait "
se fracasser
",
d'autres
qu'elle était "
à demi-paralysée
".
Le Garde des Sceaux lui-même a prédit "
une embolie pure
et simple de la justice
" au début du troisième
millénaire
21(
*
)
. Ce n'est
évidemment pas le plan quinquennal, encore allongé d'un an, qui
évitera cette embolie qu'il convient donc de diagnostiquer dès
maintenant.
*
Malgré les moyens déployés au cours des
dernières années et ceux programmés pour les quatre
années à venir, la paupérisation de la justice au regard
de sa tâche oblige à la considérer d'ores et
déjà comme hémiplégique malgré l'excellente
mobilisation, la passion parfois, qui anime les hommes du terrain que nous
avons rencontrés.
Ayant porté le diagnostic, ceux-ci proposent également des
solutions, marquées par l'idéal qui les anime dans l'exercice de
leur mission, mais empreintes de réalisme budgétaire.
DEUXIÈME PARTIE
LE CARACTÈRE
MESURÉ DES SUGGESTIONS
FAITES A LA MISSION MONTRE UNE CONSCIENCE
RÉELLE DES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES
I. RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE : UNE RATIONALISATION SOUHAITÉE MAIS LE SCEPTICISME DOMINE SUR SA MISE EN OEUVRE.
L'amélioration des statistiques et leur diffusion
élargie conduit les chefs de cours et de juridictions à effectuer
de nombreuses comparaisons entre les moyens dont ils disposent et ceux de
juridictions à structure théorique comparable, en prenant en
compte les évolutions démographiques locales et le volume du
contentieux.
Leurs observations les amènent inévitablement à conclure
au manque de rationalité de la répartition des moyens.
Toutefois si le résultat de ces démonstrations implique de
s'interroger sur la carte judiciaire au sens étroit ou large,
très peu nombreux sont ceux qui, comme ce président de TGI,
disent que "
l'archaïsme
" de la carte judiciaire
est une
des difficultés majeures -ou qui, comme ce procureur de la
République parlent de l' "
inéluctable
départementalisation de la justice
".
Un président et un procureur de la République écrivent, au
risque d'un hara-kiri en l'espèce: "
la multiplicité des
juridictions dans un même département (...) est une entrave
à une bonne administration de la justice (...). Une certaine
rationalisation de la carte judiciaire nous apparaît donc
nécessaire
".
La tendance très majoritaire parmi les interlocuteurs de la mission
pourrait être résumée par les propos de ce procureur de la
République : "
la situation ne sera améliorée que
par une réforme de la carte judiciaire, mais celle-ci se heurte aux
oppositions conjuguées de corporatismes internes et de pressions locales
fortes.
".
Ce qui implique, comme le suggère ce procureur général,
"
de ne pas attendre de miracle d'une hypothétique
réforme de la carte judiciaire
".
On trouve néanmoins nombre de références au rapport de la
commission présidée par M. Carrez et de suggestions rattachables
à l'idée d'amélioration de la couverture
géographique du territoire judiciaire pour tenir compte de
l'évolution inégale des flux.
A. MODIFIER L'IMPLANTATION GÉOGRAPHIQUE DES JURIDICTIONS
1. Le rapport Carrez
Le rapport établi en 1994 par le comité de
réorganisation et de déconcentration du ministère de la
justice, présidé par M. Jean-François Carrez, estimait
possible de stabiliser une partie de la carte judiciaire puisque 39
départements ont déjà un unique TGI, 12 en ont à
bon escient 2 et que l'échelon des cours d'appel, à défaut
d'être régional, "
offre une bonne base
d'organisation
".
Il suggérait en revanche "
la suppression ou le regroupement de
10 à 12 très petits TGI à chambre unique se situant
nettement en dessous d'un seuil d'activité minimum
".
Le président et le procureur de l'un d'entre eux, répondant
conjointement à la mission, expliquent que la taille de leur juridiction
ne permet aucune spécialisation : "
cette compétence trop
généraliste nuit à la performance du travail
entraînant parfois une certaine confusion dans l'esprit du
justiciable
".
Pour les tribunaux d'instance pour lesquels "
le souci de
proximité et la préoccupation d'aménagement du territoire
sont les plus sensibles
", le rapport adoptait comme seul
critère
l'activité
, sans référence à
l'organisation administrative générale et préférait
"
l'unification du fonctionnement du réseau des juridictions
judiciaires à l'échelon du TGI, c'est-à-dire la mise en
commun des moyens dans le ressort du TGI "
plutôt que la
réduction en tant que telle du nombre des tribunaux d'instance.
Tout en suggérant que la responsabilité de l'aménagement
de la carte judiciaire du ressort soit déconcentrée au niveau de
la cour d'appel et en explorant des solutions pour assouplir le fonctionnement
de la justice et rationaliser la carte sans nécessairement supprimer des
juridictions, il étudiait trois hypothèses de réduction
des 1.200 juridictions actuelles :
a) la création
ex nihilo
d'un schéma théorique
" idéal " de 600 juridictions : une cour d'appel par
région, exceptionnellement 2 ou 3, un TGI, un tribunal de commerce et un
conseil de Prud'hommes par département et 300 TI au maximum ;
b) un optimum de 900 juridictions pour un seuil moyen d'activité
annuelle de 1.500 affaires civiles pour un TGI, 600 pour un TI, 500 pour un
tribunal de commerce, 250 pour un conseil de prud'hommes ;
c) une dernière hypothèse articulée autour d'une
priorité à l'aménagement du territoire qui conduirait
à un total de 1.100 juridictions et entraînerait donc la
suppression de 100 juridictions, "
qu'on ne peut défendre sur le
plan rationnel, même au nom de l'aménagement du territoire ou de
la proximité
".
2. Le rapport sur la carte judiciaire rédigé en application de la loi de programme de 1995
L'article 5 de la loi de programme n° 95-9 du 6 janvier
1995 relative à la justice avait prévu qu'avant la fin de 1995 le
gouvernement présenterait au Parlement "
ses orientations
relatives à la révision de la carte judiciaire
"
Outre que le Garde des Sceaux, M. Jacques Toubon, avait indiqué qu'il
n'envisageait pas une telle révision, l'orientation était
perceptible dans l'évolution des réponses ministérielles
aux questions posées par plusieurs parlementaires
22(
*
)
. La Chancellerie a élaboré, en
application de cet article, un rapport sur la carte judiciaire parvenu à
la commission des Lois du Sénat le 21 mars 1996.
Celui-ci dresse un panorama des disparités proche de celui du rapport
Carrez mais exclut une réforme globale. Il argue de la faiblesse des
économies budgétaires que générerait la suppression
des 100 plus petites juridictions (qu'il chiffre à 30 millions de
francs
23(
*
)
) ainsi que des difficultés
géopolitiques : aménagement du territoire et besoin de
proximité. Il opte en revanche pour des adaptations substantielles dont
une partie se retrouve dans le projet de réforme de l'État et le
plan présenté par le Garde des Sceaux à la presse le 27
juin 1996.
3. La réforme de l'État
Élaborée en mars 1996, une première
synthèse des orientations proposées par les ministères en
matière de réforme de l'État envisageait plusieurs
évolutions en rapport avec la carte judiciaire pour remédier aux
"
inégalités du service public de la justice entre les
tribunaux
" : une simplification de l'organisation des tribunaux
de
première instance qui fut interprétée comme une fusion
possible des TGI et des TI et "
dans le cadre des dispositions
prévues dans la loi de programme quinquennale (...) les adaptations
raisonnables à apporter à l'implantation de l'appareil
judiciaire, y compris les tribunaux de commerce et les conseils de
prud'hommes
".
La réforme de l'Etat présentée début juillet 1996
par M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme
de l'Etat et de la décentralisation, retient la mise à
l'étude de la première de ces orientations ainsi que la
création de guichets universels des greffes.
4. Le plan de modernisation du Garde des Sceaux du 27 juin 1996
Celui-ci n'envisage aucune réforme de la carte judiciaire au sens étroit du terme. Il comporte en revanche des orientations pour faire évoluer l'implantation géographique par d'autres moyens : guichet unique, audiences foraines, télétravail, par exemple. Lors de son audition par la mission d'information, le 1er octobre 1996, M. Jacques Toubon, ministre de la justice, a confirmé qu'il estimait qu'il fallait " mener (l') exercice d'accroissement des moyens et de modernisation de la justice dans une carte judiciaire pour l'essentiel inchangée ". 24( * )
5. Les auditions de la mission
M. Lallement, vice-président du Conseil national des
barreaux s'est prononcé clairement pour une réforme de la carte
judiciaire ; tandis que Mme Desjardins, vice-président de la
Conférence des bâtonniers a indiqué que les barreaux de
province étaient mitigés et que cette réforme ne lui
paraissait pas indispensable au redéploiement des moyens.
M. Jean-Marie Coulon, aujourd'hui président du TGI de Paris,
chargé par le Garde des Sceaux d'une mission sur les procédures
civiles, a jugé nécessaire la réforme de la carte
judiciaire afin de tenir compte des évolutions de la
société.
M. Jean Geronimi, inspecteur général des services judiciaires a
également évoqué le besoin de réformer la carte
judiciaire afin de redynamiser une justice qui a vieilli. Il a
précisé que des regroupements étaient possibles et que les
suppressions pouvaient concerner quelques dizaines de sites.
Entendu par la mission, M. Jean-François Carrez a souligné la
difficulté pour un gouvernement d'établir une liste de
juridictions à supprimer et mis l'accent sur l'utilité des
décloisonnements par les chambres détachées, les audiences
foraines, les greffes détachés.
M. Jean-Claude Bouvier, secrétaire général du Syndicat de
la magistrature a dressé le constat de l'inadéquation de la carte
judiciaire ; tandis que M. Valéry Turcey, Secrétaire
général de l'Union syndicale des magistrats s'est montré
sceptique sur le maintien d'une carte judiciaire archaïque.
M. Jean-Marie Paulot, directeur de l'administration générale et
de l'équipement au ministère de la Justice, a souhaité
voir dépassé le problème de la carte judiciaire au
bénéfice d'une approche en termes de " missions ".
B. MODERNISER LA NOTION DE JUSTICE DE PROXIMITÉ
Deux extraits des réponses des juridictions permettent
de comprendre le débat en cours parmi les interlocuteurs de la mission.
Le président et le procureur d'un TGI à une chambre disent que
"
le législateur est désormais devant un choix. Soit
faire disparaître les petits tribunaux, au prétexte que
l'insuffisance de leurs moyens est irrémédiable. Ce serait une
erreur, car ils remplissent par excellence la fonction de justice de
proximité. Soit les redynamiser en les dotant des effectifs et des
instruments de travail modernes. C'est à quoi nous concluons,
persuadés que nous sommes que la qualité de la justice qui y est
rendue n'a rien à envier à celle des grandes
juridictions
".
Tandis que, dans le ressort de la même cour d'appel, le président
et le procureur d'un TGI à deux chambres écrivent : "
la
vraie proximité, c'est la disponibilité du juge, l'écoute
du justiciable, la qualité et la rapidité de la décision
rendue (...) Bien souvent, cette vraie proximité impliquerait un
éloignement géographique
".
1. L'assouplissement des implantations géographiques
a) Les chambres détachées et les greffes détachés
Ils ne font pas l'objet d'une priorité
énoncée par le Garde des Sceaux bien que l'article 4 de la loi du
8 février 1995 ait inséré dans le code de l'organisation
judiciaire une section permettant la création de chambres
détachées dans les TGI dont le décret n° 96-157 du 27
février 1996 a fixé les modalités. Leur rôle est
limité au jugement des affaires, les fonctions
spécialisées (juge d'instruction, Parquet, application des
peines) restant au TGI.
Elles représentent une possibilité fréquemment
évoquée pour maintenir une proximité géographique
tout en permettant de regrouper et de gérer moyens et hommes sous une
même autorité.
De même les greffes détachés permettent de maintenir une
présence judiciaire et, sous réserve de leur donner ce
rôle, d'orienter le justiciable et de lui permettre de suivre son affaire.
b) Les maisons de la justice et du droit
Le rapport rendu en février 1995 par notre
collègue député, Gérard Vignoble, parlementaire
chargé par M. Pierre Méhaignerie, Garde des Sceaux, d'une mission
sur les maisons de la justice et du droit, rappelle que ces maisons sont
nées de l'initiative d'un procureur de la République en 1990.
Dépourvues de personnalité morale, elles s'inscrivent dans le
cadre de la politique judiciaire de la ville et résultent d'initiatives
locales cofinancées par le ministère de la justice, la
délégation interministérielle à la ville et les
municipalités.
Elles impliquent un partenariat étroit entre le Parquet, les juges dans
certains cas (JE, JI, JAP), des éducateurs de la PJJ, la
collectivité locale et les associations de médiation, d'aide aux
victimes ou de contrôle judiciaire qui peuvent être amenés
à y intervenir, selon les formules retenues.
Les visites effectuées par la mission dans celles de Bron et Tourcoing
ont montré que l'on pouvait y pratiquer avec succès, hors du
Palais de justice, mais sous le contrôle des magistrats, un traitement
très personnalisé de la délinquance " de
voisinage ".
Le rapport Vignoble estime que 80 % des affaires traitées par
les maisons de la justice et du droit auraient été, à
défaut, classées sans suite.
Il donne l'exemple d'un budget d'un million de francs par an pour 1.000
affaires traitées dans l'année dans les maisons les plus actives.
Leur nombre actuellement réduit s'explique par l'absence de statut
jusqu'à l'élaboration de la circulaire de la direction des
affaires criminelles et des grâces du 19 mars 1996.
Celle-ci pose un cadre contractuel avec intervention forte de la Chancellerie
en amont (concertation préalable et décision de création)
et précise que le secrétariat et l'accueil doivent être
assurés par un fonctionnaire de justice. Les collectivités
locales mettent à disposition un local adapté, assurent
l'investissement initial et le fonctionnement quotidien.
Il en existerait actuellement 32, le Garde des Sceaux se propose, sur la base
de ce dispositif, de doubler leur nombre d'ici à 1998 ; 10 nouvelles
devraient être créées dès 1996 et 10 autres chacune
des deux années suivantes.
La plupart des interlocuteurs de la mission qui les pratiquent souhaitent leur
développement, en revanche le président et le procureur de la
République d'un TGI parlent du fonctionnement problématique de
celle située dans leur ressort tandis que ceux d'un autre TGI estiment
que : "
les circuits de dérivation (maisons de justice,
médiation) ont un coût non négligeable et ne sont pas de
nature à faire face au besoin de justice et à la
lisibilité
".
M. Jean-Claude Bouvier, secrétaire général du Syndicat de
la magistrature, a souhaité que soit affirmé dans ces maisons le
contrôle par le judiciaire et le respect des droits de la défense.
2. La dématérialisation de la justice de proximité
a) Les audiences foraines
Consacrées par l'article 3 de la loi du 8
février 1995 qui les étend à toutes les juridictions de
l'ordre judiciaire et appuyées sur le décret du
27 février 1996 ces audiences sont organisées par le premier
président de la cour d'appel après avis du procureur
général. Le Garde des Sceaux a indiqué le 27 juin que la
Chancellerie les promouvrait par l'allocation de moyens supplémentaires
permettant une application progressive à compter du début 1997.
Elles sont jugées insuffisantes par un procureur, notamment pour le
tribunal pour enfants (perte de temps de trajet, absence de Parquet et de
service éducatif sur place).
Un autre au contraire indique qu'elles pourraient se substituer à deux
des cinq tribunaux d'instance de son ressort qui traitent moins de 200 affaires
civiles nouvelles par an et sont situés à moins de 200 km du TGI.
Deux magistrats et quatre fonctionnaires seraient ainsi libérés.
Plusieurs autres suggèrent des regroupements comparables.
Une circulaire est élaborée pour inciter les chefs de cour
à les utiliser largement.
b) Le télétravail
Expérimenté dans les ressorts des cours d'appel
de Rouen et d'Aix-en-Provence, il peut permettre, par exemple, de
répartir la charge de dactylographie entre plusieurs juridictions
connaissant des charges de travail inégales en
" mutualisant "
leurs moyens en personnel, sans pour autant modifier ni la structure des
juridictions, ni leur implantation, ni l'affectation des personnels.
Il fait partie des orientations annoncées par le Garde des Sceaux le
27 juin.
Il a été cité une fois dans les réponses faites
à la mission comme facteur de souplesse pour gérer les greffes
des petites juridictions.
C. FAIRE ÉVOLUER L'ARCHITECTURE JUDICIAIRE
Ainsi que l'indiquait une réponse citée
ci-dessus, la véritable proximité ne résulte pas toujours
pour les interlocuteurs de la mission de l'implantation géographique.
Ils envisagent plusieurs évolutions pour permettre au justiciable de
bénéficier uniformément sur l'ensemble du territoire d'un
juge
pertinent
à une distance compatible avec les moyens modernes
de déplacement. Leur analyse repose notamment sur le fait que même
l'implantation physique de la juridiction n'entraîne pas
nécessairement la domiciliation sur place des magistrats.
1. L'articulation des TGI et des TI
Au cours des dernières années, plusieurs évolutions ont été souhaitées : le rapport Haenel-Arthuis de 1994 encourageait la consécration des tribunaux d'instance comme juridiction de droit commun tandis que le législateur transférait au TGI les affaires familiales et le surendettement.
a) Modifier la répartition des compétences
M. Thierry Verheyde, président de l'association
nationale des juges d'instance, a indiqué à la mission lors de
son audition que les derniers transferts avaient permis un certain
rééquilibrage de la charge de travail entre TGI et TI. Il a
suggéré deux nouvelles modifications :
- regroupement du contentieux des baux commerciaux au niveau des tribunaux
d'instance ;
- traitement des injonctions de payer par le TGI pour les demandes
supérieures à 30.000 F ( somme qui détermine le seuil de
compétence des TI pour les affaires personnelles et mobilières).
b) Favoriser les synergies entre les magistrats de ces deux juridictions
Contrairement à M. Verheyde qui s'est
déclaré favorable à la restauration de l'autonomie des
tribunaux d'instance (compromise notamment par le retrait du pouvoir de
notation des fonctionnaires qui y sont affectés), nombreux sont les
chefs de cours ou de juridictions qui ont souhaité voir accentuée
la gestion par le TGI des magistrats des TI du ressort.
Celle-ci se traduit d'ores et déjà par la mise à
contribution fréquente des magistrats des TI pour le fonctionnement des
TGI, notamment en raison des vacances de postes qui perturbent la tenue des
audiences.
c) Fusionner la première instance
Certaines réponses faites au questionnaire de la
mission ainsi que les orientations de la réforme de l'État
envisageaient une simplification de l'organisation des tribunaux de
première instance pour remédier à la situation actuelle
dans laquelle "
les premiers (TI), juridictions à juge unique,
créés pour connaître des contentieux les plus simples, sont
aujourd'hui confrontés à des affaires complexes alors que les
seconds (TGI) statuent de plus en plus à juge unique et sur des
contentieux présentant un caractère de
proximité
".
Les représentants des juges d'instance ne sont en tout état de
cause pas favorables à une évolution des TI en juridictions
spécialisées des TGI, ni à l'inverse à la
restauration des juges de paix.
2. Accroître la spécialisation des instances de jugement
a) La spécialisation des juridictions
La spécialisation des juridictions est
déjà très développée si l'on
considère les multiples subdivisions de l'autorité judiciaire :
séparation du juge administratif et du juge judiciaire ; chambres
criminelles et civiles (elles mêmes subdivisées pour isoler le
social et le commercial) en appel et en cassation ; tribunaux de commerce,
prud'hommes, tribunaux des baux ruraux, tribunaux des affaires de
sécurité sociale, tribunal pour enfants, TI, TGI et assises (y
compris formation particulière en matière de terrorisme) en
première instance.
La spécialisation en matière économique et
financière (article 704 du CPP) d'un ou plusieurs TGI dans le ressort
d'une cour d'appel n'est en revanche pas encore très
opérationnelle faute de moyens pour la mettre en oeuvre. En outre, elle
ne peut fonctionner en cas d'engorgement.
Plusieurs propositions existent, tendant à accroître cette
spécialisation :
· M. Pierre Truche, aujourd'hui premier président de la Cour de
cassation a ainsi suggéré à la mission une
spécialisation des cours d'appel au sein d'une même région
pour améliorer la qualité des décisions : prenant
l'exemple de la région Rhône-Alpes, il a indiqué que l'une
des cours d'appel pourrait accueillir la chambre d'accusation, l'une se
spécialiser en matière pénale, une autre en matière
commerciale, sociale, etc...
· Le rapport Haenel-Arthuis de 1994, outre la création d'un
" juge des contentieux de proximité
" proposait une
répartition TGI/TI axée sur des blocs de compétence
renforçant le caractère spécialisé du TGI.
· Le Garde des Sceaux a également retenu cette piste de
réflexion.
b) La spécialisation des juges
Là encore, elle est relativement poussée au sein
du TGI avec le juge d'instruction (parfois spécialisé en outre en
matière de terrorisme ou d' affaires financières), le JAF, le
JEX, le JAP, le juge de l'expropriation, le juge du contentieux des accidents
de la circulation, le juge des enfants, le juge des
référés, le juge de l'expropriation. Dans certains petits
tribunaux et plus généralement en raison des vacances un
même magistrat peut toutefois être conduit à exercer
simultanément plusieurs fonctions.
Certains voient dans une spécialisation véritable une voie
d'avenir pour accélérer le traitement des dossiers les plus
complexes notamment en matière économique et financière.
Ainsi la mission de la sous-direction des affaires économiques et
financières de la direction des affaires criminelles et des grâces
a-t-elle fait en avril 1995 des propositions pour améliorer la formation
des magistrats en matière économique et financière et
créer des formations spécialisées d'instruction, de
jugement et du Parquet.
3. La création d'un tribunal d'assises départemental
Sans entrer dans le débat qui pourrait avoir lieu sur le projet de loi portant réforme de la procédure criminelle (Assemblée nationale n° 2938, 10ème législature), on rappellera pour mémoire qu'est soumise au Parlement la création d'un tribunal d'assises départemental composé d'un président, de deux assesseurs et de cinq jurés qui serait institué dans chaque juridiction où existe actuellement l'une des 102 cours d'assises. Le nombre de ces dernières serait réduit à celui des cours d'appel (35).
* *
*
Quoiqu'il advienne de ces réformes de structures, la modernisation de l'allocation des moyens humains et matériels apparaît primordiale à tous.
II. MIEUX EMPLOYER LES MOYENS HUMAINS ET MATÉRIELS
L'ensemble des interlocuteurs de la mission tient un discours
qui prend en compte les réalités budgétaires et
institutionnelles.
Ainsi que l'indique un président de TGI, les magistrats souhaiteraient
" travailler non pas moins mais mieux ".
M. Jean Géronimi, inspecteur général des services
judiciaires, a ainsi indiqué que, sans pouvoir se référer
à des " normes ", "
globalement on peut dire
que la
justice manque de moyens, (mais qu'on) ne peut indéfiniment
accroître le nombre de magistrats
".
Lui faisant écho, le procureur général d'une cour d'appel
estime que les moyens en personnel et en matériel sont insuffisants mais
qu'ils le seront toujours
" pour la bonne raison qu'augmenter le
personnel accroît toujours la tâche du service ".
Le président d'un TGI parle également de
" course
poursuite perdue d'avance "
entre la croissance de la demande de
justice et l'évolution des moyens.
C'est donc avant tout vers une meilleure gestion de l'existant que s'orientent
les propositions, puis vers une amélioration de la formation et de
l'aide à la décision, enfin vers une responsabilisation en
matière de gestion.
A. L'UNANIMITÉ SUR LA DEMANDE DE GESTION PRÉVISIONNELLE DES EFFECTIFS DE MAGISTRATS ET DE FONCTIONNAIRES, LE CAS ÉCHÉANT, SUR LEUR REDÉPLOIEMENT OU LEUR AUGMENTATION
1. La gestion prévisionnelle des ressources humaines
On peut regrouper sous cette rubrique une somme de mesures concrètes demandées pour atténuer le décalage quasi permanent entre les effectifs budgétaires annoncés aux juridictions et les effectifs réels dont elles disposent. Car chacun aspire à disposer au moins sur le terrain des effectifs théoriques qui lui sont alloués sur le papier.
a) La régulation des mutations
Deux suggestions sont faites principalement :
- assurer la
simultanéité
des mutations ou
détachements afin de faire coïncider les départs et les
arrivées, par exemple en ne prévoyant qu'un mouvement unique
annuel pendant l'été ; les magistrats n'évoquent pas
l'écueil de la " transparence " pour écarter cette
évolution ;
-
encadrer la durée
des affectations pour éviter les
rotations trop rapides ou trop lentes, par exemple en exigeant que la
première mutation ne puisse avoir lieu moins de trois ans après
l'affectation pour un magistrat (ou moins de deux ans après pour un
fonctionnaire) ou à l'inverse en imposant une mobilité à
intervalles réguliers pour les magistrats ; pour ceux qui avancent cette
proposition, elle ne paraît pas mettre en cause l'inamovibilité .
Ces mesures sont présentées comme susceptibles d'atténuer
les vacances " de friction " ainsi que les inégalités
entre régions. Elles supposeraient également une plus grande
anticipation des mouvements et une coordination accrue entre la Chancellerie,
le Conseil supérieur de la magistrature, l'Ecole nationale de la
magistrature et l'Ecole nationale des greffes.
Est également suggéré le développement du
recrutement local
pour les fonctionnaires.
b) La compensation des temps partiels
Mentionnée dans 20 % des réponses
adressées à la mission, la non-compensation intégrale des
temps partiels est la première des causes citées de
l'insuffisance des effectifs de fonctionnaires.
En effet, la compensation des temps partiels n'est à l'heure actuelle
effectuée qu'à partir du moment où l'équivalent
d'un temps plein dans une catégorie donnée est vacant.
Or, compte tenu de la multiplication des temps partiels, il est
suggéré
d'assouplir
de deux manières ce
système :
- en compensant sans attendre l'équivalent temps-plein ;
- en acceptant un certain décloisonnement des catégories pour le
calcul des vacances.
c) Le développement des mécanismes de remplacement temporaire
Pour répondre aux besoins de remplacement en cas de
congés maladie, maternité ou formation, deux améliorations
sont suggérées :
- lorsqu'il est pratiqué, le mécanisme des magistrats et
greffiers
placés
est bien accueilli ; son développement
ainsi que son extension aux autres catégories de fonctionnaires sont
vivement souhaités ;
- en outre, ou à défaut, l'accroissement du nombre des vacataires
est demandé pour faire face aux pics de dactylographie autrefois pris en
charge par les contrats emplois solidarité (jusqu'à
l'équivalent de 10 % de l'effectif), à condition toutefois qu'ils
soient recrutés pour une durée suffisamment longue pour pouvoir
rendre des services efficaces.
2. Le redéploiement des effectifs
A structure inchangée de la carte et de l'organisation judiciaires, nombreux sont les interlocuteurs de la mission qui, comparant les charges de travail de juridictions à structures comparables, suggèrent un redéploiement des effectifs.
a) Le redéploiement au sein d'une même catégorie en fonction des flux
La forme la plus simple du redéploiement consiste
à
actualiser le nombre
des postes attribués à
chaque juridiction en fonction de la variation des flux, à la hausse ou
à la baisse, puisqu'il est constaté que certaines juridictions
voient leur flux baisser malgré la hausse globale du contentieux.
Est également envisagé le
regroupement
des magistrats pour
permettre une organisation plus structurée, voire
spécialisée dans le traitement des affaires.
Nombreuses sont les réponses qui suggèrent, chiffres et exemples
concrets à l'appui, de tels redéploiements, et indiquent que l'on
pourrait ainsi éviter d'augmenter les effectifs totaux.
Cette solution avait également la faveur du rapport sur la carte
judiciaire qui rappelait toutefois, comme l'a fait récemment le Garde
des Sceaux, que le changement de localisation d'un emploi de magistrat se fait
par décret mais qu'une suppression ne peut avoir de conséquences
immédiates si le poste est occupé, en raison de
l'inamovibilité.
55 emplois de magistrats ont été redéployés entre
1987 et 1992 soit 1 % des emplois localisés. Lors de sa
conférence de presse du 27 juin, le Garde des Sceaux a annoncé 70
redéploiements de magistrats, dont 10 en 1996. Il a également
indiqué qu'il réfléchissait à l'assouplissement du
lien entre le grade et l'emploi, au développement de la mobilité
et à l'instauration de conditions d'ancienneté pour exercer
certaines fonctions de juge unique.
b) Le redéploiement en raison des tâches nouvelles
Les conséquences devraient être tirées des
tâches nouvelles résultant des réformes. Elles le sont, au
sein des juridictions qui ont dû faire face, sans moyens nouveaux,
à la déconcentration, qui impliquait que le greffe prenne en
charge budget, formation, informatique et tâches anciennement
départementales (traitements des personnels, frais des prud'hommes et
des conciliateurs), à la mise en place du JEX ou à
l'informatisation. Faute de moyens, ces nouvelles tâches ont
été assumées au détriment des autres.
En revanche, les tribunaux d'instance ont été
déchargés en matière de certificats de nationalité,
de famille ou de surendettement.
Le redéploiement de 14 postes de fonctionnaires a été
effectué au moment de l'unification des BAJ. D'autres sont à
l'étude.
c) Le redéploiement inter-catégoriel
Faute d'effectifs suffisants dans certaines catégories,
des " bricolages " sont effectués au sein des juridictions
pour assurer le fonctionnement quotidien. Ainsi une certaine confusion des
tâches peut-elle s'instaurer (notamment entre les différentes
catégories de fonctionnaires).
Un des aspects du redéploiement devrait également être une
certaine remise en ordre de la structure des catégories pour qu'un bon
ratio s'établisse entre magistrats et fonctionnaires d'une part et, au
sein des fonctionnaires, entre les différentes catégories.
3. L'augmentation des effectifs
a) Celle des magistrats est curieusement peu demandée
Dans l'ensemble, les réponses parvenues à la
mission, en dehors des besoins de comblement des effectifs réels pour
atteindre les effectifs budgétaires, ne demandent que des accroissement
modérés et très précisément ciblés de
leurs effectifs de magistrats. Quatre raisons qui ne répondent pas
à une même logique peuvent l'expliquer:
-
seule une augmentation massive
permettrait une véritable
réponse à l'inflation du contentieux en termes d'effectifs ;
- elle est jugée
budgétairement impossible
: certaines
juridictions demandent des augmentations de longue date et constatent que le
contexte budgétaire ne s'y prête pas ; elles perdent parfois
l'espoir d'être considérées comme prioritaires ;
- elle est
peu souhaitée pour la qualité du recrutement
:
certains interlocuteurs de la mission estiment que le vivier des candidats aux
trois types de recrutement (ENM interne et externe, recrutement
parallèle) n'est pas tel qu'il permette d'augmenter significativement le
rythme de recrutement sans baisse de la qualité ;
A contrario, d'autres font observer qu'il y a aujourd'hui un nombre accru de
candidats par poste mis au concours et que leur niveau de diplômes est
supérieur à celui exigé ;
- elle est crainte pour la
dignité de la fonction
: quelques uns
souhaitent le maintien d'un corps de magistrats peu nombreux pour éviter
de galvauder la fonction et le statut de la magistrature.
En revanche, l'augmentation du nombre des
magistrats placés
est
vivement souhaitée.
b) Celle des fonctionnaires est quasi-unanimement exigée
L'accroissement des tâches de gestion et le
développement de l' " accès direct " à la
justice sont quelques uns des facteurs qui expliquent que les insuffisances, y
compris des effectifs budgétaires, soient particulièrement
flagrante pour les fonctionnaires des greffes.
Les retards constatés dans la dactylographie des décisions
conduisent parfois à retarder le délibéré pour
éviter un trop grand décalage.
L'interdiction de continuer à utiliser les
contrats-emploi-solidarité a révélé l'ampleur des
manques que les vacations allouées par les cours d'appel ne comblent que
très partiellement.
Un président de TGI résume lapidairement cette situation
constatée ailleurs par la mission :
" Plus que de magistrats, le
tribunal manque de dactylos ".
B. LE MAINTIEN DE LA QUALITÉ DE LA DÉCISION
1. L'amélioration de la formation
Bien que les stages de formation continue soient cités
comme l'une des causes des vacances temporaires, leur contenu est rarement mis
en cause et la demande de formation est forte tant de la part des
intéressés que de l'encadrement.
Elle porte tant sur l'actualisation des connaissances à l'occasion des
réformes ou des changements d'affectation que sur la
spécialisation (cf. notamment les propositions de la mission de la
Chancellerie en matière économique et financière).
Un des aspects les plus fréquemment évoqués est la
formation à la gestion pour les chefs de cour et de juridiction, d'une
part, pour les greffiers en chef, d'autre part.
Ainsi, le premier président et le procureur général d'une
cour d'appel estiment-ils que : "
les tâches administratives
confiées aux chefs de cour en raison de la déconcentration ont
connu un développement inversement proportionnel à la
compétence et à la formation qu'ils avaient en ce
domaine
".
2. Le soutien logistique
La multiplication des tâches juridictionnelles et
administratives incombant désormais au magistrat conduit à
envisager plusieurs types d'assistance pour compléter les
catégories de fonctionnaires existantes.
Ainsi que l'indique un premier président de cour d'appel "
le
juge doit être de plus en plus l'animateur d'une équipe de
collaborateurs juristes ou administratifs
".
a) L'aide à la décision
La multiplication des textes de référence,
l'accroissement de la complexité des affaires et l'augmentation du flux
ont fait apparaître la carence des services de documentation ou d'aide
à la recherche des magistrats.
A la Cour de cassation, pourvue d'un service de documentation doté de 18
auditeurs, on envisage une réorganisation pour l'améliorer.
Dans les cours et tribunaux, l'ordinaire semble être une
bibliothèque pas toujours actualisée, une information
incomplète des magistrats et l'absence d'une catégorie de
personnel disponible pour effectuer des recherches préparatoires
à la décision.
La majorité des magistrats interrogés par la mission souhaitent,
les uns à défaut de magistrats, les autres en tout état de
cause, bénéficier du concours d'un tel personnel.
Les avis sont en revanche partagés sur la forme de recrutement à
adopter :
- certains, malgré les réticences des greffiers-en-chef,
souhaiteraient une nouvelle catégorie de fonctionnaires afin d'assurer
une continuité de la fonction et une rentabilisation de la formation,
impossible à trouver dans le cadre universitaire ;
- d'autres, (notamment parmi les magistrats du Parquet) au vu de
l'expérience en cours, approuvent les dispositions retenues par le
décret du 7 juin 1996 pour les
assistants de justice
. Le
Garde des Sceaux a confirmé qu'il souhaitait en recruter 500 à
mi-temps.
b) L'aide à la gestion
En raison de la concomitance de la montée des flux et
des transferts de gestion (département-Etat, Etat-juridiction,
déconcentration) un débat s'est ouvert sur le meilleur mode
d'organisation pour la gestion administrative des cours et tribunaux.
Le bicéphalisme, voire le tricéphalisme, des juridictions est
parfois ressenti comme un facteur d'alourdissement mais l'indépendance
de l'autorité judiciaire est le plus souvent mise en avant pour
sauvegarder le principe de la gestion par une articulation magistrats-greffiers
en chef.
Quelques intervenants estiment cependant comme ce président de TGI que
"
l'indépendance nécessaire dans la décision (est)
souvent confondue avec l'indépendance plus discutable dans
l'organisation
".
Ce qui conduit certains à évoquer la création d'emplois de
responsables administratifs, nommés au sein des juridictions par la
Chancellerie, qui pourraient être des magistrats ou des greffiers en
chef, voire des administrateurs civils, opérant en tout état de
cause sous l'autorité des chefs de cour ou de juridiction.
Outre la faculté de nommer de " purs gestionnaires " cette
solution permettrait en tout état de cause d'isoler plus clairement la
charge de travail représentée par ces tâches dont la
lourdeur, à effectifs égaux, est signalée partout. Cela
contribuerait également à recentrer les missions du juge.
3. Les rémunérations
Certaines réponses adressées à la mission suggèrent de renforcer la motivation des magistrats et des fonctionnaires grâce à des incitations financières (amélioration de la rémunération des magistrats soumis à des sujétions particulières, institution d'un système de primes en faveur des fonctionnaires les plus efficaces).
C. LES MOYENS MATÉRIELS
1. Les crédits budgétaires
Une amélioration du calendrier des
délégations de crédits est fréquemment
souhaitée, voire dans certains cas l'augmentation de leur montant.
Les chefs de juridiction souhaiteraient également retrouver une certaine
autonomie en matière de dépenses informatiques.
Par ailleurs, la mise en place des cellules budgétaires apparaît
souvent compromise par le manque d'effectifs supplémentaires.
2. Les locaux
Bien qu'ils n'apparaissent pas au premier plan des préoccupations, plus du tiers des réponses au questionnaire qui abordent les moyens matériels évoquent la nécessité de remédier à l'insuffisance ou à la vétusté de leurs locaux, notamment pour assurer la sécurité de l'accueil du public.
3. L'informatisation
Un tiers des réponses sur les moyens matériels
estiment l'informatisation encore insuffisante.
Une amélioration de la compatibilité des matériels est
souhaitée, un renouvellement des matériels déjà
anciens et surtout le développement d'une maintenance rapide de
proximité.
En outre, de nombreux magistrats souhaiteraient être
équipés d'un micro-ordinateur individuel.
III. NOUVELLES RÉFORMES DE PROCÉDURE : OUI POUR AJUSTER L'EXISTANT, NON POUR LES INNOVATIONS SANS MOYENS
Au-delà des réponses concrètes à
la situation qu'ils gèrent quotidiennement, les professionnels
n'excluent pas que certaines améliorations de procédure, voire
une réflexion sur la mission du juge puissent permettre d'adapter la
justice aux attentes croissantes du justiciable et aux évolutions de la
nature et du volume du contentieux.
A titre d'exemple, le procureur de la République d'un TGI
particulièrement encombré, rappelle que la convocation par OPJ
(c'est-à-dire le traitement direct) dès "
la fin de
l'enquête a beaucoup plus fait pour réduire le sentiment
d'impunité et accélérer le traitement des affaires que
d'autres lois plus ambitieuses
".
Si l'unanimité se fait autour du refus de nouvelles réformes non
accompagnées des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre,
de nombreuses propositions tendent néanmoins à un traitement plus
efficace des affaires et à une meilleure régulation des flux.
A. L'UNANIMITÉ CONTRE DE NOUVELLES RÉFORMES SANS MOYENS ADEQUATS
1. Le principe général de l'évaluation préalable
Les magistrats ont parfaitement intégré
l'exigence d'évaluation ou d'étude d'impact préalable
à toute nouvelle réforme énoncée à plusieurs
reprises par le Premier ministre et rappelée dans les objectifs de la
réforme de l'Etat.
Echaudés par l'expérience, l'ensemble des interlocuteurs de la
mission s'en est fait l'écho.
Cependant, l'évaluation d'une réforme suppose au préalable
l'élaboration de statistiques fiables et exhaustives. La réforme
des statistiques de la justice est en cours mais reste en partie tributaire de
l'uniformisation de l'équipement informatique et de la saisie par les
juridictions.
2. Son application à quelques cas concrets : la " facture "
Outre les nombreux exemples de chiffrage des effectifs qu'il
a
fallu dégager pour mettre en oeuvre le JEX ou le JAF, ou
d'impossibilité de mise en place des cellules budgétaires, du
traitement direct, ou de la spécialisation économique et
financière sans accroissement préalable des moyens, quelques
chefs de juridiction contribuent à l'étude d'impact de certaines
réformes annoncées :
- tel procureur chiffre la mise en oeuvre dans son TGI de la
" transaction
pénale " (écartée par le Conseil Constitutionnel) :
création de deux postes de substitut et de quatre postes de
fonctionnaires ;
- telle cour d'appel évalue pour son ressort la " facture "
de
la création du tribunal d'assises départemental : quinze
magistrats (dont cinq au Parquet) et douze fonctionnaires ;
- tels présidents et procureurs de la République, saisis du
document préparatoire à la réforme de l'Etat, estimaient
que l'affirmation d'un objectif de réduction des délais d'un
tiers en trois ans "
relevait de la pure pétition de
principe
" (objectif au demeurant non intégré dans le
document de synthèse rendu public le 1er juillet 1996);
3. Des conséquences variées
Les conclusions tirées de ce principe sont
variées :
- certains souhaitent purement et simplement une pause dans les réformes
et la consolidation de l'existant avant toute nouveauté ;
- d'autres demandent que les nouvelles réformes ne se fassent pas au
détriment des moyens de consolidation (par exemple que l'on ne
ponctionne pas les cent magistrats et quarante fonctionnaires
éventuellement nécessaires à la création du
tribunal d'assises départemental sur les créations prévues
pour remettre à niveau les effectifs dans la loi de programme) ;
- d'autres, enfin, n'envisagent que des réformes orientées vers
une économie de moyens.
Le Président d'un TGI rappelle à la mission les préceptes
de Portalis et Vauvenargues:
" il faut laisser le bien si on est en
doute du mieux "
et être
" sobre de nouveautés en
matière de législation ".
B. FACILITER LE TRAITEMENT DES AFFAIRES
Un premier volet de propositions repose sur des mécanismes susceptibles d'accélérer le traitement des affaires à flux constant.
1. En matière de procédure civile
Dans l'attente du rapport que rendra M. Jean-Marie Coulon à l'issue de la mission sur les procédures civiles que lui a confiée le Garde des Sceaux, les propositions de la Conférence nationale des premiers présidents servent de référence à bon nombre de chefs de juridiction (on étudiera au C. celles qui tendraient à réguler le flux).
a) Faciliter l'examen du dossier par le juge
La Conférence des Premiers présidents propose
d'imposer aux parties une présentation de leurs conclusions et de leurs
dossiers plus opérationnelle, en modifiant les articles 815 et 961 du
nouveau code de procédure civile (NCPC), avec possibilité de
soulever d'office l'irrecevabilité et de systématiser les
conclusions récapitulatives si plus de deux jeux de conclusions sont
déposés.
Plus généralement, l'extension de la représentation
obligatoire par un avocat est souhaitée.
En outre, certains proposent d'uniformiser les modes de saisine des
juridictions (JAF, par exemple) afin de simplifier les procédures.
b) Simplifier la rédaction des décisions de justice
La Conférence propose de permettre au juge du fond de choisir d'exposer les faits et moyens ou de renvoyer aux écritures annexées des parties lorsque la représentation est obligatoire, et de confirmer par un arrêt réduit à un simple dispositif les décisions de première instance dont la Cour d'appel approuve sans réserve motifs et dispositif.
c) Permettre la rectification de la décision de première instance
La Conférence propose que les juges qui ont prononcé la décision faisant l'objet d'un appel puissent la rectifier jusqu'à ce que les débats soient ouverts devant la formation de jugement de la cour d'appel.
2. En matière de procédure pénale
Dans l'attente des résultats de la mission confiée à Mme Michèle-Laure Rassat, qui s'était d'ores et déjà prononcée contre le tribunal d'assises départemental, plusieurs orientations apparaissaient.
a) La généralisation du traitement direct
Annoncée par le Garde des Sceaux, la
généralisation du traitement direct, planifiée sur deux
ans, devrait être achevée fin 1998.
Elle est souhaitée, même si elle a un coût, parce que cette
réponse rapide diminue le sentiment d'impunité. Toutefois, les
magistrats constatent qu'elle ne permet pas à elle seule
d'accélérer le jugement, notamment dans les tribunaux où
il n'est pas possible d'organiser des audiences de comparution immédiate
quotidiennes : un président de TGI indique par exemple qu'elle permet de
multiplier par 3 ou 4 les comparutions immédiates et de réduire
le nombre des instructions mais qu'elle désorganise les audiences et
retarde l'audiencement des dossiers instruits.
Un président et un procureur confirment le risque de sacrifier les
affaires les plus importantes et les plus complexes. Tandis que certains
constatent un plafonnement des procédures rapides à 50 %,
d'autres traitant jusqu'à 90 % des affaires soumises au tribunal
correctionnel en procédures rapides.
b) Le retour de la transaction pénale
Sous réserve de certains aménagements pour répondre aux conditions posées par le Conseil constitutionnel, de nombreux parquetiers souhaiteraient voir reprise la transaction pénale rejetée par le Conseil constitutionnel pour des motifs qu'ils comprennent mal, dans la mesure où le classement sous conditions ou sans suite leur apparaît plus critiquable.
c) Le plaidé coupable
La possibilité de distinguer les procédures applicables selon que le prévenu reconnaît les faits ou les nie est également avancée comme mécanisme d'accélération du traitement.
d) L'enquête approfondie
Un avocat général relayé par un procureur général propose également une procédure intermédiaire entre l'enquête préliminaire, la flagrance, d'une part, et la saisine du juge d'instruction, d'autre part : cette " enquête approfondie " permettrait au procureur de poursuivre l'enquête dans des affaires simples avec un mécanisme allégé de garanties.
3. Les formations de jugement : juge unique et collégialité
Chacun constate l'avancée du juge unique au civil et au
pénal, en première instance et en appel.
La pertinence de cette évolution reste très débattue parmi
les interlocuteurs de la mission entre ceux qui y voient un facteur de
responsabilisation du juge et ceux qui redoutent l'arbitraire et la
personnalisation.
a) Le maintien de la collégialité en appel
Le plus petit commun dénominateur est le souhait d'un
maintien de la collégialité en appel.
De nombreux professionnels (magistrats et avocats) se disent
préoccupés de l'évolution de la pratique du
conseiller-rapporteur qu'ils considèrent comme un juge unique du fait.
Or ils ne souhaitent pas que le souci de traiter les flux de masse aboutisse
à la transposition en appel du juge unique considéré comme
offrant de moins bonnes garanties pour le justiciable. A tout prendre, ils
choisiraient une généralisation du juge unique en première
instance pour conforter la collégialité en appel.
b) Une meilleure cohérence du juge unique en première instance
·
Au civil
: à travers une
révision du partage des compétences entre TGI et TI, des
propositions sont avancées pour confier au juge unique d'instance le
droit commun et à la collégialité du TGI le contentieux
plus spécialisé.
·
Au pénal
: le juge unique en matière
correctionnelle, institué par la loi du 8 février 1995, reste
très discuté. En tout état de cause, une meilleure
cohérence du domaine qui lui est confié est souhaitée :
ainsi propose-t-on d'inclure dans sa compétence la rébellion et
le port d'arme de quatrième catégorie, l'escroquerie ou l'abus de
confiance simples ou certaines infractions au code du travail ou de la
consommation et de lui permettre de juger en comparution immédiate.
Par ailleurs, un renvoi à la collégialité est
proposé, par jugement motivé susceptible d'appel pour
éviter, pense-t-on, l'écueil constitutionnel.
c) L'extension du juge unique
Elle est rarement souhaitée au pénal au-delà d'ajustements de cohérence, encore que l'extension de l'ordonnance pénale en matière délictuelle soit proposée à défaut de transaction pénale.
C. LE RECENTRAGE DES MISSIONS DU JUGE OU LA RÉGULATION DU FLUX
Au-delà, et parfois en-deçà, des
solutions proposées pour répondre à la montée du
flux, nombreux sont ceux qui posent, in fine ou en prémisse, la question
du rôle du juge.
Le président d'un TGI constate que la justice passe "
d'un
statut d'autorité à un statut de proximité
" et
souhaite que la société définisse en préalable le
niveau optimal d'intervention du juge puis lui donne les moyens correspondant
à cette mission.
Le procureur d'un autre TGI rappelle que "
gérer les flux est
à ce jour évidemment indispensable mais pose la question de ce
que l'on veut faire juger par un magistrat professionnel
". Un
président et un procureur demandent si "
le recours au droit
signifie nécessairement le recours au juge
".
Un procureur général veut restreindre le champ d'action du juge
sur le plan civil, pour redéployer les potentialités au
pénal.
Un premier président estime que le juge ne peut être "
le
Maître Jacques de la démocratie (...). Ce qui caractérise
un Etat de droit ce n'est pas le recours nécessaire au juge mais
seulement le recours possible, sans précipitation mais sans lenteur non
plus, afin que chacun soit assuré de pouvoir faire reconnaître
facilement ses droits
".
Après avoir affirmé que " la voie du " tout
judiciaire " est déraisonnable et mène à des
impasses, la conférence des premiers présidents conclue ses
propositions ainsi : "
une priorité absolue doit être
donnée aux réformes qui sont de nature à rendre le juge
disponible pour traiter des situations et litiges relevant manifestement d'une
intervention judiciaire
".
Cette approche débouche sur des propositions concrètes relevant
de trois orientations : la poursuite des transferts de compétence ; le
développement des alternatives ; la régulation de l'accès
au juge.
1. La poursuite des transferts de compétence
Plusieurs contentieux de masse très répétitifs sont ressentis par les juges comme ne nécessitant pas leur intervention systématique. Certains proposent en conséquence de n'intervenir qu'en cas de contentieux déclaré.
a) A l'intérieur des juridictions ou vers des officiers publics ou ministériels : les affaires familiales principalement
Les homologations de changement de régime matrimonial
(sauf opposition d'un tiers), les adjudications (hors incidents sur saisies
immobilières), les divorces par consentement mutuel et les contentieux
nés de l'après-divorce sur les pensions alimentaires,
particulièrement pour des montants sur lesquels la marge de manoeuvre
est inexistante, sont particulièrement ciblés comme
transférables par exemple aux maires ou aux notaires. Le juge ne serait
saisi que lorsque les parties ne pourraient se mettre d'accord.
Les greffiers en chef suggèrent également que les transferts dont
ils ont bénéficié puissent être
délégués aux greffiers spécialisés dans ces
matières. Un avant-projet de loi en préparation reprendrait cette
suggestion.
Un Président et un procureur proposent de transférer au juge
administratif la prolongation de la rétention administrative des
étrangers.
b) Vers des structures administratives : les transports, la circulation routière
· A contrario de la proposition figurant dans le
document préparatoire sur la réforme de l'Etat proposant de
supprimer les commissions administratives de retrait du permis de conduire et
de conforter le principe du retrait par voie judiciaire, certains magistrats
auraient souhaité une unification en sens inverse : retrait ou
suspension administratifs, intervention du juge seulement en cas de recours.
· D'autres proposent de transférer aux administrations
compétentes les contentieux spécialisés relevant d'une
administration de référence : par exemple, la répression
des infractions à la coordination des transports.
c) Les commissions extra-juridictionnelles
La question du bien-fondé de la participation des
magistrats à des structures extra-juridictionnelles nombreuses en tant
que garants du respect des procédures, de spécialiste juridique
ou comme partie prenante d'une politique de coordination reste entière
alors qu'elle est posée depuis des années par les magistrats et
que de nombreux rapports, notamment parlementaires, s'en sont faits
l'écho.
Il n'est généralement pas proposé de solution de
remplacement sans doute parce que cette présence est ressentie comme
purement formelle.
Un magistrat propose de ne maintenir la participation à ces commissions
que lorsque les libertés publiques sont en cause.
2. Le développement de la médiation et de la conciliation
Le président et le procureur d'un TGI apparaissent
assez isolés lorsqu'ils écrivent : "
les circuits de
dérivation (maisons de justice, médiation) ont un coût non
négligeable et ne sont pas de nature à faire face au besoin de
justice et à sa lisibilité.
"
Le développement de la médiation civile et pénale est en
effet plutôt souhaité.
De même que celui de l'arbitrage et de la conciliation.
Pour la Conférence nationale des Premiers présidents, ...
"
les médecines douces que sont la conciliation, la
médiation ou l'arbitrage méritent d'être placées au
premier rang des modes de règlement des litiges
".
Au-delà des dispositions du décret n° 96-652 du 22 juillet
1996 relatif à la conciliation et à la médiation
judiciaires, pris en application de la loi du 8 février 1995,
plusieurs propositions sont faites.
a) La médiation-conciliation civile comme préalable obligatoire à l'instance
La Conférence des premiers présidents
suggère que la conciliation soit un préalable obligatoire avant
toute décision du juge d'instance en dehors des matières
déterminées par la loi. Elle serait conduite par un conciliateur
ou par un magistrat à titre temporaire (M.T.T. de la loi de 1995 dont le
décret d'application n'est pas encore paru). Les parties pourraient
être assistées d'un avocat.
Cette proposition est reprise par plusieurs réponses au questionnaire de
la mission.
b) La médiation pénale comme alternative au classement sans suite
Notamment dans le cadre du développement des maisons de
la justice et du droit, l'accroissement du nombre des médiations
pénales est présenté comme une alternative au classement
sans suite car si le traitement direct permet d'apporter une réponse
plus rapide, il ne débouche pas toujours en raison de l'engorgement des
audiences.
Toutefois, cette extension comporte un coût souligné par certaines
réponses. Ainsi le rapport sur les frais de justice, qui constate que
ceux-ci augmentent en moyenne de 11% par an (ils représentent
désormais 5,7% des crédits de fonctionnement du ministère)
permet d'établir que le poste " enquête, contrôle
judiciaire, médiations " a crû de 20% entre 1991 et 1992 et
de 80% l'année suivante, pour atteindre 42 millions de francs.
c) L'extension de l'aide juridictionnelle
Dans le cadre des médiations et conciliations, en
matière civile, pour accroître les chances de réussite, et
en matière pénale pour assurer le respect des droits de la
défense, il est souhaitable que les parties puissent
bénéficier de l'assistance d'un avocat motivé.
S'agissant de litiges de masse mettant en jeu des sommes faibles, les partisans
de l'extension de la médiation prônent l'extension de l'aide
juridictionnelle pour assurer son succès.
Un premier président et un procureur général estiment
souhaitable de rémunérer mieux la conciliation que le
procès.
3. La régulation de l'accès au juge
Une dernière série de propositions repose sur l'idée ainsi exprimée par un procureur: le " droit d'accès à la justice sans limite est un leurre et fabrique en réalité un système inégalitaire ".
a) L'instauration d'un filtre pour les pourvois en Cassation
Le Premier Président et le Procureur général de la Cour de cassation ont rappelé à la mission leur attachement à l'instauration d'une formation d'admission des pourvois au sein des chambres civiles de la Cour de cassation. Un tel dispositif a été voté par le Sénat (projet de loi n° 4 - Sénat 1994-1995) et retiré de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale laquelle a adopté récemment une proposition de loi de M. Pierre Mazeaud (n° 11 - Sénat 1996-1997) instituant des sous-sections au sein de l'ensemble des chambres.
b) Le caractère exécutoire des décisions de première instance
Prenant exemple sur l'article 1009-1 du code de
procédure pénale qui permet de retirer les pourvois du rôle
de la Cour de cassation en cas d'inexécution, ainsi que sur les
juridictions administratives, la Conférence des premiers
présidents propose d'instaurer l'exécution de droit de toutes les
décisions de première instance (sauf les décisions
relatives à l'état des personnes). Elle considère que
cette mesure
" est de nature à recrédibiliser les
décisions de première instance (et à...) responsabiliser
les justiciables et leurs conseils. ".
Elle priverait également
les plaideurs de mauvaise foi d'utiliser l'appel à des fins dilatoires.
Un sursis à l'exécution en cas de conséquences
manifestement excessives ou la mise en oeuvre des garanties prévues par
les articles 520 et suivants du nouveau code de procédure civile
pourraient être demandés.
c) L'élévation du taux de compétence en dernier ressort
Outre l'impossibilité d'interjeter appel du jugement rendu par le juge d'instance en cas de non comparution devant le conciliateur sans autorisation préalable du premier président, la conférence propose de relever à 30.000 F le taux de compétence en dernier ressort de toutes les juridictions, le taux de compétence du tribunal d'instance étant dans le même temps fixé à 60 000 francs.
d) Interdire clairement les demandes nouvelles en appel
Appliquée sauf autorisation du magistrat chargé
de la mise en état, cette disposition inciterait les justiciables
à ne présenter en première instance qu'un dossier complet
alors que les premiers présidents estiment qu'ils prennent trop souvent
le tribunal pour un " conseil juridique ", étoffant en appel
leurs prétentions de telle manière qu'ils présentent
pratiquement un nouveau litige à juger.
En conséquence, l'irrecevabilité d'une demande nouvelle devrait
pouvoir être soulevée d'office.
En revanche, la Conférence n'a pu conclure sur l'opportunité
d'étendre cette interdiction aux nouveaux moyens et aux nouvelles
pièces en appel ce qu'elle recommande en revanche pour les
procédures qui sont renvoyées à la Cour d'appel
après cassation.
La Conférence a en outre estimé opportune l'exigence d'une
motivation de l'acte d'appel.
e) La sanction des recours abusifs
Il a été proposé d'accroître la sanction des recours abusifs en appel et en cassation. M. Pierre Truche, alors procureur général de la Cour de cassation, avait suggéré dans ce cas que cette sanction ne soit décidée que sous réserve d'une procédure contradictoire pour respecter les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme.
f) L'accès à l'aide juridictionnelle
La Conférence des premiers présidents a souhaité que les demandeurs de l'aide juridictionnelle soient informés des conséquences financières d'un rejet de leurs demandes par la juridiction saisie (dépens exposés par l'adversaire susceptibles d'être mis à leur charge) et que les BAJ retrouvent et exercent un large pouvoir d'appréciation pour écarter les demandeurs dont l'action apparaît dépourvue de fondement.
* *
*
TROISIÈME PARTIE
QUE FAIRE ?
La mission a été profondément
impressionnée par le fait que le service public de la justice qui
constitue, avec la sécurité, l'une des plus essentielles missions
d'un Etat de droit, n'était plus assuré dans des conditions
satisfaisantes du fait soit de son incapacité à traiter plus de
la moitié de la délinquance, soit de son impuissance à
résoudre dans un délai convenable une partie non moindre des
litiges civils.
Le Garde des Sceaux annonce une embolie pure et simple de la justice pour le
début du troisième millénaire qui coïncidera avec la
fin du plan quinquennal dont on sait qu'il ne modifiera pas substantiellement
la situation actuelle. C'est dire que l'état d'embolie peut être
d'ores et déjà constaté.
La première conclusion qui s'impose est à coup sûr
qu'aucune mesure se traduisant par une augmentation des tâches
judiciaires ne saurait être envisagée sans création des
moyens correspondants.
La mission n'a pas été moins sensible au fait que
l'émergence dans plusieurs domaines d'un contentieux de masse peu
différencié
imposait de plus en plus aux magistrats des
tâches relevant davantage d'une gestion administrative que de la mise en
oeuvre des connaissances et des facultés d'analyse et de discernement
qui correspondent à leur vocation et à leur formation.
De ces constats résulte la pressante nécessité non
seulement d'envisager des améliorations ponctuelles mais de repenser
l'organisation de la justice de telle sorte qu'elle soit mise en mesure de
traiter les divers contentieux dans des conditions d'égalité, de
qualité et de rapidité convenable et de permettre aux magistrats
de réserver l'essentiel de leur activité à la fonction de
" jugement " au sens plein du terme.
Bien qu'il soit plus aisé de décrire les maux que de
préconiser les remèdes, la mission n'a pas voulu se
dérober à cet aspect de ses responsabilités, et ce
au-delà de la conclusion négative énoncée ci-dessus
et dont le caractère impératif ne saurait être
oublié.
La première idée qui vient à l'esprit est naturellement de
souhaiter une augmentation substantielle des moyens, surtout humains, de la
justice afin de rattraper en quelques années le retard accumulé
depuis plusieurs décennies au moins.
Si " grossier " que le rapprochement puisse paraître, le
seul
fait que, comme l'a rappelé notre collègue M. Christian
Bonnet
25(
*
)
, le nombre actuel des magistrats
(environ 6.000) est à peu près le même qu'en 1910 met en
lumière la trop longue méconnaissance par les Français des
impératifs de leur justice, par "
indifférence et
fatalisme
" selon la formule du Garde des Sceaux. Le rapprochement
avec des sociétés comparables telles que l'Allemagne et l'Italie
montre qu'il s'agit d'un mal spécifiquement français : 14
000 magistrats en Allemagne (ancienne R.F.A.) et 8 000 magistrats en Italie.
Cependant la mission ne peut ignorer le fait que dans le contexte
économique et financier actuel il serait utopique et irresponsable de sa
part de se borner à demander une revalorisation du budget de la justice
qui devrait être de l'ordre de 50% pour assurer les recrutements et les
formations, les équipements et les aménagements
nécessaires alors que le régime pénitentiaire
présente des carences encore plus affligeantes.
Aussi bien la seule augmentation quantitative des moyens ne saurait-elle
résoudre les aspects qualitatifs du problème, en particulier le
caractère spécifique des contentieux de masse qui posent un
problème non seulement de moyens mais tout autant de méthode et
de procédure.
La mission est ainsi conduite à recenser les mesures qui pourraient
restaurer le fonctionnement convenable de la justice sans se heurter à
des impossibilités financières absolues. Dans cet esprit, elle a
considéré qu'aucune des pistes d'amélioration
proposées ne devait être écartée a priori. Une
démarche pragmatique et expérimentale s'impose.
Les orientations retenues et traduites en propositions aussi concrètes
que possible peuvent être regroupées autour de trois
thèmes :
1) redéployer les moyens en fonction des charges actuelles, c'est, au
sens large, la question de la carte judiciaire ;
2) améliorer, partout où il paraît possible de le faire, le
fonctionnement de l'organisation actuelle ;
3) adapter la justice au contentieux de masse en créant des
procédures spécifiques et en réformant profondément
les tribunaux d'instance.
I. UNE CARTE JUDICIAIRE RÉALISTE
La mission ne croit pas possible d'éluder le problème de la carte judiciaire.
A. RÉVISER LA CARTE JUDICIAIRE
La " carte des juridictions " aussi bien
que celle
de leur dotation en moyens humains et matériels correspond plus aux
données du XIXème siècle qu'à celles de la fin du
XXème. C'est un lieu commun que de constater cette situation qui a fait
l'objet d'une analyse pertinente par une mission administrative
présidée par M. Carrez, dont le rapport est riche
d'enseignements et de sages propositions, jusqu'à présent
demeuré sans suite (cf. première et deuxième parties
du rapport).
Cette analyse fait apparaître non seulement de grandes disparités
géographiques (territoires, populations) entre les juridictions mais
aussi et surtout une répartition des moyens qui ne correspond plus -et
de loin- à la répartition des tâches.
Mis à part le nombre limité de juridictions dont le volume
d'activités paraît incompatible avec une saine gestion
puisqu'elles sont trop au-dessous ou trop au-dessus des seuils qui traduisent
cette notion, les disparités géographiques ne sont pas en
elles-mêmes scandaleuses.
La mission n'attache pas de vertus particulières à une
uniformisation, d'ailleurs utopique, dont les inconvénients seraient
plus assurés que les avantages.
La " différence " n'est pas un mal en soi. Elle est même
souvent un bien. Ce qui est un mal c'est l'insuffisant volume
d'activités de certaines juridictions et l'excès de certaines
autres. Ce qui est un mal encore plus évident et plus grave, c'est que
la charge de travail puisse varier considérablement, parfois de 1
à 5, entre les magistrats ou leurs auxiliaires. Cette disparité
là, lorsqu'elle atteint une telle proportion, est constitutive d'une
sorte d'injustice. Elle n'est évidemment pas de nature à
fortifier le moral des moins dotés. Et que dire du justiciable pour
lequel le délai d'attente de la décision peut varier de 1
à 7. Sans parler du délai entre le jugement et l'exécution.
La mission n'ignore pas le rôle d'animation sociale joué par une
juridiction traditionnellement implantée dans un secteur relevant par
ailleurs de préoccupations d'aménagement du territoire dont elle
est entièrement solidaire. Elle n'ignore pas davantage les
préoccupations de proximité qui doivent marquer tout service
public et qui ont été exprimées dans le rapport de
MM. Haenel et Arthuis. Elle constate cependant qu'en période de
pénurie il n'est pas possible de satisfaire toutes les
préoccupations légitimes et qu'il faut donc faire des choix si
l'on veut sérieusement remédier à l'état actuel des
choses.
Sur le premier point, elle observe que le rôle social des personnels
judiciaires n'est plus ce qu'il était au XIXème siècle, en
particulier du fait que nombre de magistrats et d'auxiliaires ne
résident pas dans leur ressort. Elle observe d'autre part que la mission
de la justice est par nature trop essentielle et trop
hétérogène aux questions de développement
économique pour que les préoccupations d'aménagement du
territoire puissent prendre indéfiniment le pas sur la
nécessité pressante de proportionner les moyens de la justice
à ses tâches.
Il reste, bien entendu, que toute mesure concrète modifiant
substantiellement les implantations actuelles devrait être
précédée d'une concertation avec toutes les instances
concernées.
S'agissant du souci de proximité, il lui est apparu que la
préoccupation de rapidité et de qualité l'emportait de
beaucoup sur celle de proximité géographique, ce qui suppose en
premier lieu l'optimisation de la répartition géographique des
moyens.
Or, pour que chaque citoyen (la mission ne pense pas que l'on puisse parler
d'usager de la justice) puisse accéder à un juge
compétent, susceptible de trancher dans un délai convenable sur
l'ensemble du territoire, il faut faire évoluer le critère de
proximité.
Contrairement au service public des transports ou de la poste, la justice n'est
pas consultée quotidiennement. Avoir affaire à la justice est une
démarche occasionnelle pour laquelle, à l'époque des
transports rapides et des télécommunications, la question de
l'éloignement n'apparaît primordiale ni sur le plan de l'urgence
(a contrario des hôpitaux) ni sur celui de la fréquence (a
contrario de la poste) ni sur celui de l'efficacité du
" service " (a contrario des transports en commun).
Il ne s'agit pas en revanche de renoncer aux efforts faits en matière
d'information et d'accueil, mais ceux-ci peuvent utiliser des canaux ne
requérant pas l'implantation d'une juridiction complète.
Enfin, le fait que les économies attendues de la suppression des
juridictions inadaptées seraient faibles ne suffit pas pour qu'on y
renonce, étant donné l'état de pénurie
. On
observera à cet égard que ces économies relevant du
fonctionnement se répètent chaque année et que si des
sommes annuelles peuvent paraître dérisoires au niveau d'un
gestionnaire général, leur répartition plus judicieuse
permettrait de résoudre maints problèmes locaux importants et
parfois insupportables pour ceux qui les vivent et n'ont pas le temps de se
livrer à des méditations macro-économiques.
Cette réflexion doit également prendre en compte la
nécessité de spécialiser les juges pour les contentieux
les plus techniques -ce qui suppose des tailles de juridiction permettant
l'affectation exclusive d'un juge à de telles tâches.
En conséquence, la mission a adopté les propositions suivantes :
Proposition n° 1
: Elaborer une nouvelle carte judiciaire qui
prenne acte des évolutions durables du flux en supprimant au moins la
centaine de juridictions identifiées par le rapport Carrez comme
"
ne répondant plus à un réel besoin "
et en créant des chambres et des juridictions nouvelles là
où les besoins sont évidents
.
Il s'agit dans l'immédiat d'un exercice théorique mais qui
paraît nécessaire pour mettre en évidence le
caractère inadapté de la carte actuelle.
Proposition n° 2 :
Intégrer dans la réflexion sur la
carte judiciaire les regroupements permettant ultérieurement une
spécialisation effective au sein des TGI.
Proposition n° 3 :
Etablir un plan de transition sur dix ans ou
même davantage, de la carte actuelle à la nouvelle
.
Proposition n° 4 :
Prévoir des chambres détachées
et tenir des audiences foraines lorsque la présence physique du juge
parait indispensable.
B. REDÉPLOYER LES EFFECTIFS BUDGÉTAIRES
Indépendamment de la révision de la carte judiciaire et même si celle-ci ne devait pas avoir lieu, un redéploiement des effectifs disponibles au sein des juridictions existantes s'avère indispensable. Un accroissement quantitatif de ces effectifs est également nécessaire, mais il se heurte aux contraintes budgétaires et à des obstacles d'ordre qualitatif. Il sera donc forcément limité.
1. Un indispensable redéploiement
Pour remédier aux inégalités de charge de
travail souvent criantes et parvenir à une répartition des moyens
plus rationnelle, un important redéploiement des effectifs disponibles
doit impérativement être mis en oeuvre, tant au niveau des
magistrats qu'au niveau des fonctionnaires des greffes. Déjà
amorcé, il devra être poursuivi sur la base d'une
évaluation précise des flux dans chaque juridiction, l'objectif
étant d'équilibrer autant que possible la charge de travail de
chaque magistrat et de chaque fonctionnaire, quelle que soit son affectation.
En outre, le redéploiement des effectifs devrait favoriser une meilleure
spécialisation des personnels.
En ce qui concerne les magistrats du siège, les transferts qui peuvent
être envisagés par la Chancellerie se heurtent au principe de
l'inamovibilité. Les redéploiements nécessaires ne
pourront donc être menés à bien que s'ils sont
accompagnés de mesures d'incitation à la mobilité, qui
pourraient par exemple revêtir la forme d'une indemnité de
déménagement.
Est-il souhaitable, est-il possible d'envisager l'instauration d'une
mobilité obligatoire au terme de quelques années passées
dans un poste (tous les cinq ans, par exemple) ? Une telle obligation
permettrait notamment de donner plus rapidement un caractère effectif
à la suppression d'un poste et de pourvoir plus rapidement le poste
redéployé. Une telle mobilité pourrait ne pas être
contraire au principe de l'inamovibilité, dans la mesure où
celui-ci a pour objet de protéger l'indépendance morale des
magistrats en les mettant à l'abri contre des mesures arbitraires
individuelles. Il ne devrait pas conduire à les rendre en quelque sorte
propriétaires de leur poste. Aussi bien, l'institution du Conseil
supérieur de la magistrature et sa récente réforme ont-ils
fait cesser tout risque sérieux de cette nature. L'inamovibilité
ne saurait aboutir à faire renaître une forme nouvelle de
patrimonialité des charges.
La réflexion du Garde des Sceaux sur la fonction de chef de juridiction
dont la durée pourrait être limitée à 7 ans non
renouvelable va dans le sens d'une telle interprétation.
S'agissant des fonctionnaires, les intéressantes expériences de
télétravail actuellement menées méritent
d'être développées. Elles apparaissent en effet
susceptibles de remédier à certaines inégalités de
charge de travail entre les greffes, tout en préservant la
proximité d'accès à la justice souhaitable pour le citoyen.
Proposition n° 5 :
Redéployer les effectifs en fonction des
besoins objectivement constatés.
Proposition n° 6
: Etudier la possibilité d'instaurer une
durée maximale d'affectation pour les chefs de juridiction, voire pour
les présidents de chambre et les magistrats.
Proposition n° 7
: Favoriser par des aides appropriées la
mobilité des magistrats.
Proposition n° 8 :
Développer le télétravail.
2. Une augmentation mesurée des effectifs
Les effectifs de magistrats et de fonctionnaires sont
aujourd'hui quantitativement très insuffisants. Cependant, les
contraintes budgétaires sont telles qu'une augmentation massive, de
l'ordre de 20 ou 30 %, du nombre des magistrats et des greffiers n'est pas
envisageable à court terme.
Le respect des engagements pris dans le cadre de la loi de programme quant
à l'évolution des effectifs apparaît néanmoins comme
un minimum, sur lequel ne devrait en aucun cas être
prélevés les effectifs supplémentaires requis par de
nouvelles réformes qu'il faut exclure tant que cette mise à
niveau ne sera pas effective. Le rythme de la programmation doit absolument
être respecté.
Pour les fonctionnaires, notamment les fonctionnaires d'exécution
(catégorie C), les besoins criants des greffes constatés à
maintes reprises par la mission, notamment à travers le retard pris dans
la frappe des jugements, justifient que l'on dépasse sensiblement le
nombre de créations de postes prévu dans la loi de programme
au-delà du simple remplacement absolument nécessaire des contrats
emploi-solidarité (CES).
En ce qui concerne les magistrats, une augmentation mesurée des
effectifs doit être envisagée sans nuire à la
qualité grâce à une diversification du recrutement, par
exemple en développant le recours au recrutement latéral
aujourd'hui insuffisamment utilisé. A cet égard, la mission
regrette la sévérité de la commission d'intégration
qui tarit un recrutement qui pourrait être utile. Elle souhaite
également qu'une gestion prospective des effectifs permette une
régulation des postes offerts au concours d'accès à la
magistrature.
Proposition n° 9
: Assurer les recrutements de magistrats
programmés en 1995, à l'exclusion de tout
prélèvement pour une nouvelle réforme.
Proposition n° 10
: Renforcer les effectifs des greffes
au-delà de la programmation.
Proposition n° 11
: Réguler le concours d'accès
à l'ENM grâce à une gestion prospective des effectifs de
magistrats.
Proposition n° 12
: Activer la diversification du recrutement des
magistrats.
C. MODERNISER LA GESTION DES EFFECTIFS
Afin de mettre fin au véritable fléau constitué par les vacances de postes qui affectent de façon chronique la plupart des juridictions et entraînent une désorganisation constante du travail, il convient de mettre en place pour les juridictions une gestion prévisionnelle des ressources humaines qui n'existe pas aujourd'hui.
1. Faire coïncider les départs et les arrivées dans les juridictions
La recherche d'une simultanéité des mutations
(et des détachements), par exemple dans le cadre d'un mouvement unique
annuel au cours de l'été, permettrait d'éviter les
vacances de postes résultant du décalage de plusieurs mois au
minimum, régulièrement déploré entre le
départ du titulaire d'un poste et l'arrivée de son successeur.
Malgré les inconvénients que présente cette solution quant
à la " transparence " et aux vacances en cours d'année,
elle est considérée comme une simplification utile par les chefs
de juridiction.
Proposition n° 13
: Organiser un mouvement unique annuel.
2. Compenser intégralement les temps partiels
La non-compensation des temps partiels apparaît
aujourd'hui comme une cause majeure de désorganisation des greffes.
Compte tenu du développement croissant du travail à temps partiel
parmi les fonctionnaires des juridictions, il est indispensable de
prévoir une compensation intégrale des temps partiels, sans
attendre la vacance d'un emploi " équivalent temps plein ",
catégorie par catégorie.
Proposition n° 14
: Compenser intégralement les temps
partiels.
3. Accroître notablement le nombre de magistrats et de greffiers placés
Pour pallier les inévitables vacances temporaires de
poste résultant notamment des congés maladie ou maternité,
le recours à des magistrats ou à des greffiers
" placés " est une solution qui donne toute satisfaction. Il
importe cependant d'accroître substantiellement leur nombre aujourd'hui
insuffisant au regard des besoins, (ce nombre pourrait être
calculé par référence à la moyenne du nombre
cumulé de jours de congés comptabilisés au cours des
dernières années) ainsi que d'étendre ce système
à d'autres catégories de fonctionnaires de justice.
Proposition n° 15
: Accroître le nombre des magistrats et
greffiers placés.
Proposition n° 16
: Etendre aux autres catégories de
fonctionnaires le mécanisme du " placement ".
4. Mettre en place les magistrats à titre temporaire et les conseillers de cours d'appel en service extraordinaire
Afin de renforcer les effectifs de magistrats, la loi
organique du 19 janvier 1995 a prévu des recrutements latéraux
temporaires de magistrats non titulaires : magistrats exerçant
à titre temporaire et conseillers de cours d'appel en service
extraordinaire.
Près de deux ans après la promulgation de cette loi, il est
urgent de procéder effectivement à ces recrutements, qui
supposent une parution rapide du décret d'application relatif aux
magistrats à titre temporaire et l'affectation des moyens
budgétaires correspondants qui figurent déjà depuis deux
ans dans les projets de budget.
Proposition n° 17
: Mettre en place les magistrats à titre
temporaire et conseillers de cours d'appel en service extraordinaire
créés en 1995, d'abord à titre expérimental puis si
cette expérience le justifie d'une manière systématique en
fonction des besoins.
II. AMÉLIORER LE FONCTIONNEMENT ACTUEL DE LA JUSTICE
L'effort de redéploiement des effectifs de magistrats doit aussi s'accompagner d'une amélioration de l'aide qui leur est apportée dans l'accomplissement de leurs tâches, aujourd'hui le plus souvent faible voire inexistante : généralisation de l'aide à la décision, poursuite de la modernisation des méthodes de travail. La mise en place de cette logistique est la traduction concrète de la spécificité du rôle du juge.
A. L'AIDE À LA DÉCISION : GÉNÉRALISER LES ASSISTANTS DE JUSTICE
Lors de la discussion de la loi du 6 février 1995
relative à l'organisation des juridictions, votre rapporteur reprenant
une idée du projet de loi initial de M. Pierre Méhaignerie, Garde
des Sceaux, avait été à l'initiative de l'adoption d'une
disposition prévoyant le recrutement d'assistants de justice.
Les premiers résultats des expériences réalisées
pour l'application de cette disposition sont apparus tout à fait
satisfaisants à la mission. Aussi celle-ci préconise-t-elle
aujourd'hui la généralisation du recrutement des assistants de
justice, dans toutes les juridictions où les magistrats en ressentent le
besoin.
En effet, les assistants sont susceptibles d'apporter une aide efficace et
précieuse aux magistrats en les déchargeant par exemple, de
travaux de recherche de jurisprudence, de préparation et de mise en
forme des décisions, dégageant ainsi des gains de
productivité considérables.
Au surplus, il s'agit là d'une mesure conjuguant deux avantages
importants : une grande souplesse d'utilisation et un faible coût
budgétaire. Les assistants de justice pourraient en outre constituer un
utile " vivier " pour le recrutement de futurs magistrats.
Proposition n° 18
: Généraliser les assistants de
justice.
B. L'AIDE À LA GESTION : CRÉER DES POSTES DE GESTION
Constatant l'ampleur des tâches de gestion
administrative et budgétaire incombant désormais aux chefs de
cours et de tribunaux, la mission estime que la charge de travail induite ne
sera effectivement prise en compte dans les effectifs que par la
création progressive de postes de gestion placés sous
l'autorité des chefs de juridictions.
Il lui semble que cette évolution ne porterait pas atteinte à
l'indépendance de la magistrature et permettrait aux chefs de
juridictions de se consacrer davantage au juridictionnel, aspiration
exprimée par une majorité de ceux-ci dont la vocation
première n'est pas l'administration.
Cette solution apparaît également préférable
à la multiplication des responsables chargés en sus de leurs
fonctions juridictionnelles de suivre tel ou tel aspect de la gestion.
Les postes créés pourraient être pourvus par des
fonctionnaires non magistrats présentant les compétences voulues
et pouvant être prélevés sur d'autres administrations, en
particulier financières, où apparaissent des postes en surnombre.
Ils n'impliquent pas nécessairement de nouveaux recrutements,
plutôt une redistribution des moyens entre plusieurs départements
ministériels.
Proposition n°
19
: Créer progressivement des postes
de gestion au sein des juridictions pourvus par l'affectation d'un
administrateur qualifié placé sous l'autorité du chef de
juridiction.
C. AMÉLIORER LES MÉTHODES DE TRAVAIL : INFORMATIQUE ET DOCUMENTATION
La poursuite de la modernisation des méthodes de
travail peut encore permettre des gains de productivité. Elle doit
permettre de consacrer plus de temps au fond des dossiers en facilitant leur
traitement matériel.
Ainsi, l'informatisation des juridictions doit être poursuivie et
achevée en recherchant une plus grande homogénéité
et une meilleure compatibilité des matériels et des applications,
qui apparaît notamment comme une condition indispensable à la mise
au point de statistiques cohérentes et fiables, particulièrement
au pénal. L'harmonisation des matériels économiserait en
outre des temps et des coûts de formation lors des mutations.
Parallèlement, la maintenance doit être facilitée et
développée pour permettre l'utilisation des matériels
disponibles dans de bonnes conditions.
En outre, il paraît souhaitable que les juridictions du premier
degré retrouvent un minimum d'autonomie dans la gestion des
crédits informatiques, à l'intérieur de leur budget de
fonctionnement. Le système actuel de gestion regroupée au niveau
des cours d'appel se traduit semble-t-il par un formalisme, des retards ou des
refus décourageants et le plus souvent dérisoires quant aux
sommes concernées.
Il paraît donc souhaitable d'expérimenter un système plus
décentralisé reposant sur la confiance faite aux chefs de
juridiction pour l'appréciation de l'opportunité de ces
dépenses à l'intérieur de leur budget de fonctionnement.
Par ailleurs, l'efficacité du travail des magistrats requiert, au
minimum, l'équipement des juridictions en bibliothèques ou
centres de documentation disposant d'une information
régulièrement mise à jour, voire d'un accès
généralisé des magistrats aux bases de données
informatisées (législation et jurisprudence).
Dans les juridictions d'une certaine taille, elle pourrait être
améliorée par l'assistance de documentalistes qui permettrait un
accès plus facile et plus rapide à l'information disponible.
Proposition n° 20
: Rendre plus homogène l'informatisation
des juridictions.
Proposition n° 21
: Développer la maintenance locale.
Proposition n° 22
: Rendre aux juridictions du premier degré
l'autonomie de gestion de leurs crédits informatiques au sein de leur
budget de fonctionnement pour le renouvellement des matériels.
Proposition n° 23
: Développer l'assistance documentaire.
D. LES TRANSFERTS DE COMPÉTENCE
Face à la montée inexorable des flux, il importe
que les magistrats puissent concentrer leurs efforts sur les affaires dans
lesquelles leur intervention est réellement indispensable.
Il a ainsi été proposé de les décharger de certains
contentieux de masse très répétitifs pour lesquels leur
marge d'appréciation est quasi inexistante et leur valeur ajoutée
faible voire nulle.
En particulier, s'agissant des divorces par consentement mutuel ou des
homologations de changement de régime matrimonial, les juges ont souvent
l'impression que leur rôle se limite à une simple ratification. De
plus, il peut avoir pour inconvénient d'aboutir à une certaine
" dramatisation " de la situation. Au moins lorsque les
époux
n'ont pas ou plus d'enfants à charge et possèdent des patrimoines
équivalents, certains estiment que le divorce ou la séparation de
corps pourrait être constaté par un officier d'état civil,
le régime des biens étant le cas échéant
précisé par déclaration devant notaire. Le juge
n'interviendrait plus qu'en cas de désaccord entre les parties.
De même, certaines infractions au code de la route (conduite en
état d'ivresse, notamment), pour lesquelles la sanction revêt un
caractère quasi-systématique, pourraient relever de la seule
autorité administrative, sauf en cas de contestation.
La mission n'a pas partagé cette analyse qui conduirait à des
transferts importants. Elle souhaite que le traitement des contentieux de masse
fasse l'objet d'une procédure spécifique maintenue dans le cadre
judiciaire. (cf proposition n° 36).
Elle estime en revanche souhaitable d'assouplir le mécanisme des
transferts mis en place par la loi du 8 février 1995 pour permettre aux
greffiers d'exercer, dans certains cas les fonctions alors
transférées des magistrats aux greffiers en chef.
Enfin, l'activité proprement contentieuse est trop lourde pour que l'on
puisse exiger des magistrats qu'ils apportent en outre une sorte de garantie
morale au fonctionnement de divers organismes gérés par des
commissions dans la composition desquelles a été prise l'habitude
de prévoir un magistrat, (en général le président
du tribunal ou son représentant) sans prendre conscience que dans le
meilleur des cas, la présence effective des magistrats ne peut
être que formelle et n'apporte aucune garantie réelle.
Les juges doivent pouvoir être déchargés de la
participation à ces commissions extrajuridictionnelles. Dans la mesure
où les libertés publiques ne seraient pas en cause, ils
pourraient être remplacés au sein de ces commissions par des
magistrats honoraires, voire par des juristes recrutés au sein d'un
corps spécialisé.
Toutefois, leur présence pouvant être très
justifiée, par exemple au sein des commissions électorales ou des
comités de prévention de la délinquance et ces
participations leur permettant d'entretenir une connaissance concrète du
fonctionnement d'autres institutions, la réduction de ces interventions
doit être modulée.
Proposition n° 24
: Etendre aux greffiers les transferts
effectués vers les greffiers en chef par la loi du 8 février 1995.
Proposition n° 25
: Repenser la participation des magistrats
à des commissions extrajuridictionnelles.
III. LA MODERNISATION DES PROCÉDURES
Le redéploiement des moyens rendrait le dispositif plus
logique et plus équitable sans augmenter sensiblement sa capacité
globale. Une augmentation substantielle de celle-ci ne peut non plus être
attendue à moyen terme d'une meilleure assistance au travail du juge.
De telles mesures ne sauraient donc suffire à recréer les
conditions d'un traitement convenable en terme de quantité, de
rapidité et de qualité des divers contentieux, en particulier du
contentieux de masse qui ne cesse d'augmenter
(cf. première partie
du rapport).
Ce constat conduit inéluctablement à s'interroger sur la
possibilité d'une adaptation structurelle de l'appareil judiciaire. La
mission est ainsi conduite à examiner les questions
évoquées depuis longtemps dans les milieux judiciaires mais qui,
à l'exception de la collégialité, n'ont pas jusqu'à
présent donné lieu à des décisions
concrètes. Les questions les plus fréquemment posées sont
les suivantes :
1/ la collégialité doit-elle connaître de nouveaux reculs
en faveur du juge unique ?
2/ des simplifications de procédure sont-elles possibles ?
3/ l'abus du recours à la justice peut-il être évité
?
Enfin, quelles que soient les réponses données aux questions qui
précèdent, la seule réponse dont l'ampleur correspond
à celle du problème n'est-elle pas de s'interroger sur le point
de savoir si le processus judiciaire que nous connaissons est bien
adapté à certaines formes nouvelles de contentieux ou s'il ne
faut pas
imaginer -ou revivifier- des mécanismes différents,
éventuellement nouveaux, susceptibles de concilier l'efficacité
et la qualité de l'action judiciaire. C'est le problème de la
généralisation d'une procédure spécifique
adaptée au contentieux de masse
. On passerait ainsi du niveau des
améliorations tactiques à celui d'une révision de la
stratégie judiciaire.
A. AMÉLIORER LES PROCÉDURES CLASSIQUES
1. Le juge unique et la collégialité
Au-delà du débat de principe qui reste
très ouvert parmi les praticiens et au sein même de la mission, il
n'existe pas d'étude fiable permettant de mesurer l'impact du recul de
la collégialité sur la qualité des décisions.
Si les moyens existaient, la collégialité serait sans doute
préférable. A défaut, la concentration de la tâche
de juger sur un seul homme paraît acceptable, du moins en première
instance. La " solitude " qui en résulte, peut-être
excessive pour les affaires présentant un certain degré de
complexité, serait en partie compensée par l'intervention des
assistants du fait du " dialogue " qui en résultera, du
moins
pour les affaires " mises en délibéré ".
L'intervention de ces assistants pourraient trouver ici une utilité
supplémentaire.
Encore faut-il que la multiplication des audiences soit accompagnée au
pénal d'une réorganisation du Parquet, du greffe et des locaux.
Au civil, la multiplication des juges uniques spécialisés est une
bonne garantie de qualité et de célérité de la
décision lorsque chaque magistrat peut effectivement se consacrer
à un domaine. Elle suppose une taille de juridiction adéquate et
doit donc s'intégrer dans la démarche de regroupement.
Il serait souhaitable au pénal de pouvoir renvoyer à la
collégialité mais il n'est pas certain que même le renvoi
par jugement motivé susceptible d'appel suggéré par
certains lèverait l'obstacle constitutionnel.
En tout état de cause, si une certaine cohérence du domaine du
juge unique peut être opportune, son extension, notamment à la
comparution immédiate n'est pas apparue souhaitable à la mission.
Pourrait, tout au plus, être envisagée son extension à la
rébellion, au port d'armes de quatrième catégorie,
à l'escroquerie ou à l'abus de confiance simples, voire à
certaines infractions au code du travail ou de la consommation.
En revanche, les avantages de la collégialité n'étant pas
contestables, il apparaît à la mission que son abandon au niveau
de l'appel constituerait un fâcheux recul.
Proposition n° 26
: Rendre plus cohérent le domaine du
juge unique.
Proposition n° 27
: Maintenir une véritable
collégialité en tout état de cause en appel.
2. Un effort de simplification des procédures
a) Au civil
Outre le développement des liaisons
télématiques entre avocats ou avoués, d'une part, et
juridictions, d'autre part, qui pourrait contribuer à faciliter la mise
en état, la mission reprend l'idée de la Conférence des
Premiers présidents de faciliter le traitement du dossier en
élaborant un cadre imposant aux parties une présentation de leurs
conclusions et de leurs dossiers plus opérationnelle.
Proposition n° 28 :
Normaliser en concertation avec les
auxiliaires de justice les formalités de saisine des juridictions et la
présentation des conclusions écrites.
b) Au pénal
La mission se félicite de l'objectif de
généralisation du traitement direct qui contribue à une
réaction rapide à l'infraction et à un meilleur suivi de
l'activité de la police judiciaire mais souhaite qu'au-delà le
jugement et l'exécution suivent. Cela suppose que l'organisation des
juridictions permette la tenue d'audiences collégiales de comparution
immédiate en nombre approprié. Cela suppose surtout que
l'exécution cesse d'être le parent pauvre de l'organisation
judiciaire; l'informatisation devrait à tout le moins permettre un suivi
instantané de l'exécution pour faciliter le pointage des
décisions à exécuter.
Proposition n° 29:
Généraliser le traitement direct
en coordonnant la tenue des audiences.
Proposition n° 30:
Automatiser l'exécution des jugements
pour qu'elle devienne effective.
3. Eviter l'abus du recours en justice
La croissance du ratio d'appel (à défaut de
connaître le taux d'appel faute de statistiques suivant les dossiers d'un
bout à l'autre) et la perception qu'ont les magistrats de
l'émergence d'un " consumérisme " judiciaire conduisent
la mission à adopter plusieurs propositions tendant à
éviter que le recours à la justice traduise une sorte de
réflexe de fuite devant des échéances ou des
épreuves qui n'appellent en réalité aucun arbitrage
judiciaire. Si grand que puisse être son souci d'équité, la
justice ne doit pas être assimilée à un mécanisme
supplémentaire d'assistance.
La conférence des Premiers présidents de cour d'appel et plus
généralement de nombreux magistrats rencontrés par la
mission placent au coeur des difficultés la mauvaise information du
justiciable sur la réalité de ses droits. Ils souhaitent en
conséquence que les avocats puissent davantage jouer leur rôle
d'auxiliaire de la justice en amont. De même, le passage par l'aide
juridictionnelle leur paraît être l'occasion d'éclairer
mieux le justiciable sur la pertinence de ses prétentions. Plus
généralement, l'appel et la cassation ne devraient pas être
systématique.
La mission comprend ces préoccupations, particulièrement en ce
qui concerne l'accès direct au juge de l'exécution et la
procédure devant la chambre sociale de la cour de cassation. Elle a donc
adopté les propositions suivantes :
Proposition n° 31 :
Etendre la représentation obligatoire
par un avocat.
Cette proposition, conformément au souhait de la la Conférence
des Premiers présidents, a pour objet tant d'améliorer la mise en
forme des affaires (complément de la proposition n° 28) que de
permettre au justiciable d'être conseillé en amont sur les
aléas de son dossier (délais, frais, bien-fondé). Elle
devrait donc jouer un certain rôle de filtre et de clarification.
Proposition n° 32
: Améliorer l'information des
justiciables, notamment demandeurs de l'aide juridictionnelle, sur les
conséquences d'un rejet de leur demande.
Proposition n° 33 :
Assurer un meilleur contrôle des demandes
d'aide juridictionnelle afin d'éviter les abus par rapport aux motifs de
rejet prévus par la loi.
Proposition n° 34 :
Interdire les demandes nouvelles en appel sauf
actualisation des demandes présentées en première instance.
Proposition n° 35
: Créer un mécanisme d'admission
des pourvois en cassation .
B. LE TRAITEMENT SPÉCIFIQUE DU CONTENTIEUX DE MASSE
La première partie de ce rapport a souligné
l'importance prise par ce que l'on appellera faute de mieux " les
contentieux de masse " dont le caractère envahissant doit à
nouveau être souligné.
On désigne ainsi dans ce rapport les litiges qui offrent les
caractéristiques communes d'avoir un objet identique, d'être
nombreux et de ne présenter que des différenciations de fait,
sans doute importantes pour ceux qui les vivent mais que le juge ne peut
prendre en compte faute de temps.
Ainsi en va-t-il au pénal de la conduite en état d'ivresse, ou de
la petite délinquance qui bénéficie d'un taux de
classement sans suite beaucoup trop élevé et, d'une
manière générale, de toutes les affaires simples ne
donnant pas lieu à contestation sérieuse quant aux faits.
Ainsi en va-t-il au civil des litiges conjugaux et familiaux, qui
représentent la moitié du contentieux, des litiges locatifs ou
des litiges de la consommation.
C'est cet envahissement qui explique la situation actuelle et c'est donc
à lui qu'il faut apporter une réponse appropriée
.
On ne peut continuer indéfiniment d'ignorer le fait que le traitement
actuel de ces contentieux qui fait apparaître soit leur ignorance pure et
simple (classement sans suite), soit une approche de caractère quasi
mécanique avec des retards insupportables ne répond ni à
l'attente des justiciables ni à celle des magistrats ; les premiers se
sentent incompris et restent étrangers à la procédure qui
les concerne, comme le héros de Kafka, et les seconds s'interrogent
légitimement sur le point de savoir si le degré
élevé de compétence et de conscience qui correspond
à leur vocation peut être réellement mis en oeuvre dans ces
domaines qui tendent cependant à occuper le plus clair de leur temps.
Par contrecoup, les affaires complexes ne bénéficient pas
toujours de toute l'attention qu'elles requièrent.
A l'égard de tels contentieux, l'augmentation quantitative des moyens,
à la supposer possible au niveau convenable, n'apporterait sans doute
qu'une solution apparente. Le " traitement " serait plus
systématique et plus rapide. Il ne serait pas mieux adapté.
Or, la mission de la justice n'est pas seulement de résoudre
administrativement les conflits. Elle est aussi d'y remédier et de
prévenir leur répétition par la mise en oeuvre d'une
thérapeutique humanisée de telle sorte que le justiciable -qu'il
ait tort ou qu'il ait raison- se sente traité non comme un numéro
anonyme mais comme une personne prise en considération dans ses
caractéristiques et dans sa dignité propre.
Il est facile de comprendre que les procédures conçues pour des
conflits différenciés présentant de réels
problèmes de fait et de droit soient profondément
inadaptées dans leurs formes ou dans leur vocabulaire comme dans leurs
mécanismes intellectuels à ces litiges modestes et
stéréotypés. Ne convient-il pas dès lors d'imaginer
et à tout le moins d'expérimenter de nouvelles procédures
mieux adaptées ?
Les " maisons de justice ", dont la mission a pu apprécier
le
" climat " autant que les résultats ainsi que les diverses
expériences de médiation et de délégation
fournissent à cet égard d'utiles indications. On voit bien que
les magistrats comme leurs collaborateurs y sont conduits à une
connaissance plus concrète et plus réaliste des problèmes
de la vie quotidienne. Les justiciables, de leur côté, y trouvent
une " audience " beaucoup plus compréhensive et
compréhensible que celle des prétoires classiques où les
professionnels seuls sont " à l'aise ". Elles
préfigurent ainsi ce qui pourrait être une nouvelle voie de
traitement de contentieux de masse.
Un certain nombre d'expériences ponctuelles de conciliation ou de
médiation témoignent dans le même sens.
La Conférence Nationale des Premiers Présidents de Cours d'Appel,
peu suspecte de modernisme aventureux, a publié en 1995 un rapport qui
partant des mêmes constatations aboutit à la même
conclusion. Elle achève son exposé dans les termes suivants :
"
Tous les conflits nés ou en germe n'appellent pas
nécessairement une réponse judiciaire, voire juridique, (...) Les
" médecines douces " que sont la conciliation, la
médiation ou l'arbitrage, méritent d'être placées au
premier rang des modes de règlement des litiges .
" Le débat judiciaire, qui s'articule autour de la règle de
droit, dramatise les situations et prend souvent, en matière civile ou
pénale, un caractère " chirurgical ".
" Il conviendrait en conséquence de l'éviter dans la mesure
du possible.
" Il s'agirait, pour notre pays, d'une " révolution
culturelle ".
" Des corporatismes pourront croire leurs intérêts
lésés. Des habitudes de pensée devront être
modifiées.
" Mais c'est à ce prix que la justice pourra à la fois
redéployer ses forces sur le terrain pénal -où les
citoyens l'attendent et qu'elle déserte pourtant progressivement- et
offrir en matière civile, commerciale et sociale, pour les litiges
vraiment essentiels, une réponse effective en temps
utile. (...)
".
Leur rapport évoque le rôle de médiateur qui pourrait
être joué par un " nouveau juge de paix " ou un
conciliateur dans tous les domaines relevant du contentieux de masse.
La mission fait siennes les réflexions et l'esprit des propositions des
Premiers présidents à la condition de donner à ces
dernières leur pleine efficacité que l'on ne peut attendre d'un
préliminaire de conciliation pur et simple.
Elle demande donc que soit étudiée l'institution d'une telle
procédure dont la caractéristique essentielle devrait être
d'articuler étroitement la tentative de conciliation et, à
défaut, la décision prise par le même juge.
Est-il nécessaire, est-il concevable de créer de nouvelles
instances extérieures au système judiciaire pour satisfaire cette
orientation ?
Considérant le risque de compliquer encore notre système
judiciaire, donc inévitablement d'en alourdir le coût et d'en
aggraver " l'opacité " pour le justiciable, considérant
plus encore le danger de voir " les petits litiges "
échapper
aux garanties que seul un système judiciaire cohérent peut
apporter et dont le plus modeste des plaideurs ne saurait être
privé, la mission ne croit pas possible d'aller dans cette voie
très au-delà des expériences actuelles. Le rôle
précurseur très positif de celles-ci mérite d'être
retenu. Il ne suffit pas à justifier leur généralisation.
N'est-il pas plus simple et plus sûr de constater que les actuels
tribunaux d'instance sont le point de convergence naturel de ces
préoccupations et d'en déduire qu'une profonde réforme de
ces juridictions pourrait fournir la meilleure réponse aux
problèmes spécifiques des contentieux de masse ?
On redécouvrirait ainsi les raisons originelles de ce que furent,
jusqu'au milieu de notre siècle, les justices de paix instituées
précisément pour résoudre les petits conflits du
19ème siècle. La différence réside dans la nature
de ces conflits, dans leur milieu social (rural au 19ème, urbain
à notre époque) et dans leur nombre, considérablement
accru, évolution que n'avait pas prévu le législateur de
1958 dans une démarche qui tendait à réintégrer
progressivement les nouveaux tribunaux d'instance dans les tribunaux de grande
instance.
Il est de fait que le statut des magistrats des tribunaux d'instance, comme la
définition de leur compétence, en fait de plus en plus des
chambres détachées des tribunaux de grande instance (qui
eux-mêmes ne sont plus caractérisés par la
collégialité) plutôt que des juridictions autonomes, ce qui
explique les projets de fusion les concernant.
Il n'en demeure pas moins que les tribunaux d'instance ont conservé en
partie leurs caractéristiques originelles de juridictions du petit
contentieux et de la proximité et qu'ils offrent ainsi la base sur
laquelle il doit être possible de construire une juridiction capable
d'apporter une meilleure réponse à une grande partie des
contentieux de masse et d'alléger par contrecoup la tâche des
tribunaux de grande instance.
Pour atteindre ce résultat, la nouvelle juridiction devrait
répondre aux caractéristiques déjà
énoncées.
Il n'est pas douteux qu'un très important recrutement de magistrats et
de greffiers s'imposerait. En ce qui concerne les magistrats, c'est
évidemment là que les magistrats à titre temporaire
institués par la loi de 1995 trouveraient leur meilleure raison
d'être, qui correspond d'ailleurs très exactement à
l'ancienne tradition des juges de paix.
D'ores et déjà, sous des formes et des appellations diverses,
nombre d'anciens magistrats ou professionnels du domaine juridique jouent un
rôle précieux d'auxiliaires, apportant à leur tâche
non seulement leur compétence juridique mais en outre une
expérience et une disponibilité qui sont les premières
qualités attendues de ces nouvelles fonctions.
Les magistrats professionnels pourraient conserver leur fonction avec un
rôle directeur.
Cette profonde réforme pourrait s'appliquer au civil comme au
pénal suivant des modalités adaptées à ces deux
domaines prolongeant donc en les renouvelant les activités actuelles des
tribunaux d'instance et des tribunaux de police.
La mission n'ignore pas qu'en ouvrant une telle perspective elle court le
risque d'être accusée de s'écarter des concepts unitaires
qui ont inspiré l'organisation judiciaire depuis plusieurs
décennies.
Il lui paraît cependant que les mesures proposées par elle sont
seules à la hauteur des difficultés que connaît
actuellement l'appareil judiciaire. Les rejeter reviendrait soit à
ignorer purement et simplement l'étendue de ces difficultés, soit
à s'aveugler sur la possibilité d'attendre leur solution des
mesures ponctuelles qui caractérisent le cours actuel des choses, soit
enfin à espérer une augmentation massive et linéaire des
moyens, en elle-même parfaitement illusoire.
C'est pourquoi la mission est conduite à formuler d'une manière
volontairement schématique la proposition suivante qui constitue sa
conclusion essentielle.
Proposition n°36 :
Etudier une réforme des tribunaux
d'instance et des tribunaux de police en vue de les adapter aux
" contentieux de masse " suivant des modalités s'inspirant
de
la conception originelle des juges de paix, de l'expérience des
actuelles " Maisons de Justice " et des spécificités de
ces contentieux :
- magistrats recrutés largement parmi les magistrats à titre
temporaire ;
- généralisation et valorisation des tentatives de conciliation
au civil comme au pénal ;
- à défaut de conciliation, le litige est tranché au fond
par le même juge ;
- redéfinition des compétences à partir du concept de
" petit contentieux ".
*
* *
ANNEXES
_____
ANNEXE 1 -
LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES
26(
*
)
M. Jean GÉRONIMI
, Inspecteur
général des services judiciaires
M. Jean-François CARREZ,
Président du Comité de
réorganisation et de déconcentration du ministère de la
Justice
M. Jean-Claude BOUVIER,
Secrétaire
général du Syndicat de la Magistrature
M. Georges FENECH,
Président et
M. Jean-Louis VOIRAIN,
Secrétaire général de l'Association professionnelle
des magistrats
M. HOSSAERT,
porte-parole de l'Association des magistrats du
ministère public
M. Thierry VERHEYDE,
Président de l'Association nationale des
Juges d'instance et
Mme Claude FOURNIER,
juge d'instance
M. Claude PERNOLLET,
Président et
M. Valéry TURCEY,
Secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats.
M. Pierre DRAI,
Premier président de la Cour de Cassation
M. Marc MOINARD,
Directeur des Services judiciaires
M. Jean-Marie PAULOT,
Directeur de l'Administration
générale et de l'Equipement
M. Alain CORNEVAUX
, membre du Conseil de l'Ordre des avocats
M. LALLEMENT
, Vice-Président du Conseil national des barreaux
Mme DESJARDINS
, Vice-Présidente de la Conférence des
bâtonniers
M. Jean-Marie COULON,
Président du TGI de Nanterre et
chargé d'une mission de réflexion sur la procédure civile.
Mme PAULZE D'IVOY,
Présidente du Bureau d'aide juridictionnelle
de Paris
Mme NAWROSKI
, Greffier en chef et administrateur du B.A.J.,
M.
COHEN
, Greffier en chef et vice-président du B.A.J.
M. HEINTZ,
Directeur de l'Ecole des Greffes.
M. HERVE LENOBLE,
Secrétaire
général de l'Union syndicale Autonome de Justice
M. PATRICE LARDE,
Secrétaire général du Syndicat
national CGT des chancelleries et services judiciaires
M. PHILIPPE NEVEU
, Secrétaire général du Syndicat
des Greffiers de France
Mme LYDIE QUIRIE,
Secrétaire général du Syndicat
national C Justice
M. Pierre TRUCHE
, Procureur général près la Cour de
cassation
M. Jacques TOUBON
, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
ANNEXE 2 -
PROGRAMME DES DÉPLACEMENTS DE LA
MISSION
NANTES
, le vendredi 29 mars
Casier judiciaire national
M. Christian Elek, substitut
Centre d'exploitation statistique
Mme Brigitte Michel
Tribunal de Grande Instance
M. Marcel Martin, président du TGI
M. Pierre Foerst, Procureur de la République
Service du traitement direct
Rencontre avec les greffiers en chef
BOBIGNY
, le vendredi 19 avril
Tribunal de Grande Instance
M. Jean Guigue, président du TGI
M. Jean-Paul Simonnot, procureur de la République
Service du traitement direct
Parquet des mineurs
STRASBOURG
, le vendredi 26 avril
Tribunal de Grande Instance
M.Daeschler, président du TGI
M. Stenger, Procureur de la République
M. Christian Mangin, greffier en chef
Assistants de justice
Mme Monique Nadal, Bâtonnier
LYON
, le lundi 20 mai
Cour d'appel
M. Jean-Louis Nadal, procureur général
M. André Oriol, premier président
Tribunal de Grande Instance
M. Hubert Dalle, président du TGI
M. Lathoud, procureur de la République
Mme Bladenas, greffier en chef
M. André Boyer, bâtonnier
Maison de la justice et du droit de Bron
BORDEAUX,
le vendredi 24 mai
Ecole nationale de la magistrature
M. Main, directeur
Mme Vigneault, directeur de la formation initiale
Mme Paquin, sous-directeur de la formation continue,
M. Betoul, secrétaire général
Cour d'appel
M. Michel Vigneron, premier président
M. Henri Desclaux, procureur général
Tribunal de Grande Instance
Mme Marie-Françoise Petit, président du TGI
M. Patrice Davost, procureur de la République
M. Gérald Roubier, greffier en chef
Maître Pierre Kappelhoff-Lancon, bâtonnier
Maître Fournier, président de la chambre des avoués
BASTIA
, le vendredi 31 mai
Cour d'appel
M. Jean-Pierre Goudon, premier président
M. Jean-Pierre Couturier, procureur général
M. Marc Riolacci, président de chambre
M. Jean-Luc Moignard, président de chambre
M. Rusjan, greffier en chef
Tribunal de Grande Instance de Bastia
M. Pierre Gouzenne, président du TGI
M. Roland Mahy, procureur de la République
Mme Antoinette Lanfranchi, greffier en chef
M. Jean Filippi, Bâtonnier
Tribunal de Grande Instance d'Ajaccio
M. François Lemblée, président du TGI
M. Jean-Jacques Bosc, procureur de la République
M. C. Legay, greffier en chef
DOUAI
, le lundi 17 juin
Cour d'appel
M. Gérard Combès, Premier président
M. Roger Tacheau, procureur général
Tribunal de Grande Instance
M. Liénard, président du TGI
M. Descamps, Procureur de la République
Maître Bertrand Meignié, Bâtonnier
LILLE
, le lundi 17 juin
Tribunal de Grande Instance
M. Delzoide, président du TGI
M. Olivier Guérin, procureur de la République
Maître Christophe Desrumont, bâtonnier
Maison de la justice et du droit de Tourcoing
Mme Mesnil, centre juridique et médiations civiles et pénales
M. Jean-Pierre Balduyck, maire de Tourcoing
MEAUX
, le vendredi 21 juin
Tribunal de Grande Instance
M. Michel Gaget, président du TGI
M. Philippe Jeannin, procureur de la République
Mme Marie-Christine Zind, vice-président chargé des fonctions de
juge des enfants
ANNEXE 3 -
LETTRE ADRESSÉE PAR LA MISSION
D'INFORMATION
AUX CHEFS DE COURS ET DE JURIDICTIONS
COMMISSION
|
Paris, le 23 février 1996
|
|
|
M. ...................,
La commission des Lois du Sénat, présidée par M. Jacques
Larché, a désigné en son sein une mission d'information
chargée d'évaluer les moyens de la justice.
Pour mener à bien cette tâche, la mission d'information souhaite
prendre connaissance des réalités concrètes du
fonctionnement des juridictions et se tenir à l'écoute de
l'ensemble des responsables judiciaires. Elle ne pourra cependant pas
rencontrer chacun à l'occasion de ses auditions ou déplacements.
En revanche, elle souhaiterait recueillir, aussi rapidement que possible, vos
observations sur les difficultés de fonctionnement que vous rencontrez
au sein de votre juridiction, ainsi que les suggestions que vous pourriez
formuler en vue d'une meilleure adéquation des procédures et des
moyens, aux missions qui vous sont confiées.
La charge de travail pesant sur les différentes juridictions, les
délais de jugement, le volume des affaires traitées, le nombre
des classements sans suite, le rôle des auxiliaires de justice, les
effectifs réels, la mise en place des nouvelles institutions (juge aux
affaires familiales, juge de l'exécution, juge unique, assistants de
justice, magistrats placés, magistrats à titre temporaire...), le
rôle des référés et les effets de la
déconcentration constituent autant de sujets sur lesquels la mission
apprécierait de disposer d'éléments d'information concrets.
Il est important que votre réponse indique les priorités qui sont
les vôtres ou celles des magistrats de votre juridiction pour
améliorer le fonctionnement de celle-ci.
Dans la mesure où vous l'estimeriez possible, la mission souhaiterait
également être destinataire de votre dernier rapport annuel,
établi à l'occasion de l'audience solennelle de rentrée.
La contribution que vous êtes susceptible d'apporter à nos travaux
fera l'objet d'une synthèse respectant sa confidentialité. Elle
nous sera précieuse pour permettre à la mission d'apporter au
Sénat une information actualisée sur les moyens de la justice et
de préconiser les mesures susceptibles de faciliter le fonctionnement
des juridictions.
Nous avons informé M. le Garde des Sceaux de cette démarche.
Vous trouverez ci-joint, pour votre information, la liste des membres de la
mission, la composition de son bureau ainsi que les coordonnées de son
secrétariat qui se tient à votre disposition pour toute
précision complémentaire.
Ce courrier est adressé à M. le Premier Président de la
Cour de cassation, M. le Procureur général près la Cour de
cassation, aux premiers présidents et procureurs généraux
des cours d'appels, ainsi qu'aux présidents et procureurs de la
République des tribunaux de grande instance. Nous les prions d'inclure
dans leur réponse les observations des juridictions liées
à leur ressort. Nous nous permettons de vous indiquer que le calendrier
des travaux de la mission ne lui permettra pas de prendre en compte les
réponses parvenues après le 30 mars prochain.
En vous remerciant d'avance pour votre concours, nous vous prions de croire,
Monsieur le Président, à l'assurance de notre
considération distinguée.
Le Rapporteur, Le Président,
M. Pierre Fauchon M. Charles Jolibois
ANNEXE 4 -
EXTRAITS DE L'AUDITION DE M. JACQUES
TOUBON, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, PAR LA MISSION
D'INFORMATION
LE 1ER OCTOBRE 1996
M. le Garde des Sceaux
- Monsieur le
Président de la mission d'information, Mesdames et Messieurs les
sénateurs, Monsieur le Président de la commission des lois, je
suis très heureux de me retrouver une nouvelle fois ici ce matin, pour
participer aux travaux que le Sénat a engagés, suivant une longue
tradition, sur le fonctionnement de la justice et ses moyens.
Vous avez, depuis des années, sous diverses formes, beaucoup
travaillé sur ces sujets, et je rappellerai simplement le fameux rapport
Haenel-Arthuis. Je me suis beaucoup réjoui de la création de
cette mission au printemps.(...)
Pour ma part, alors que la presse ne traite que des réformes
législatives, la priorité de mon action porte sur le
fonctionnement de la justice et sur les moyens de l'améliorer.
Bien que j'aie beaucoup moins d'ancienneté professionnelle que vous,
Monsieur le Président, cela a été aussi pour moi une
révélation et un très grand encouragement que de voir
comment fonctionne notre système judiciaire et quel potentiel il
recèle.
Voilà pourquoi je vais essayer de tenir devant vous des propos
extrêmement concrets, sans me perdre dans des déclarations d'ordre
général et liminaire...
En premier lieu, sans bien entendu prétendre étudier le budget
1997, je voudrais donner rapidement ici quelques chiffres qui me paraissent
caractériser la situation.
La loi de finances 1996 a été saluée comme un budget de
progrès pour le ministère de la justice. S'agissant des services
judiciaires, nous avons inscrit 526 emplois supplémentaires au budget
1996, et 1,134 milliard de francs d'autorisations de programme. Ainsi, nous
avons décidé de consacrer plus de 11 millions de francs à
la mise en place des assistants de justice, des conciliateurs et des magistrats
recrutés à titre temporaire, toutes propositions qui viennent
d'ailleurs des travaux du Sénat depuis quelques années. De la
même façon, nous avons inscrit 14 millions de francs pour la
sécurité et l'entretien des bâtiments judiciaires. C'est un
sujet, lorsqu'on visite les cours d'appel et les tribunaux, dont on voit bien
l'urgence...
Par rapport aux engagements du programme prévisionnel de la justice,
nous avons inscrit sur les années 1995 et 1996, pour les seuls services
judiciaires, environ 2,4 milliards de francs. En ce qui concerne les effectifs,
nous arrivons en gros à la moitié de la réalisation du
PPJ. Je crois donc que nous avons déjà fait des efforts
considérables.
Bien entendu, il ne suffit pas de voter le budget : encore faut-il
l'exécuter... De ce point de vue, j'ai réussi à obtenir le
dégel de 109 millions de crédits gelés depuis le
printemps, soit environ le quart de ces derniers. J'ai également
réussi à obtenir le dégel de 150 emplois, ce qui
représente à peu près deux-cinquième des emplois
qui avaient été gelés.
C'est un effort considérable qui a été fait par le
Gouvernement en faveur de la justice, par rapport à d'autres
départements ministériels. En effet, vous le savez, le
Gouvernement, pour pouvoir tenir l'exécution du budget 1996, est
amené à des annulations et à un collectif de fin
d'année qui sera extrêmement important. (...) J'ai obtenu que le
budget de la justice soit en partie préservé.
Le budget 1997 se présente dans le même contexte, puisque la
progression de l'ensemble des dotations en francs courants est inexistante.
Trois départements ministériels échappent cependant
à cette absence de progression, dont le ministère de la justice.
Son budget progresse de 1,8 % en franc courant. Notre budget, dans une
politique de baisse des dépenses publiques, continue donc à
progresser, faiblement certes, mais continue à progresser.
Ceci donne, pour les services judiciaires et les juridictions, 96
créations nettes d'emplois, dont 147 emplois de catégorie C, qui
viennent ainsi renforcer les 491 créations nettes d'emplois de
fonctionnaires de greffe que j'ai obtenues entre 1995 et 1996. J'insiste sur ce
point, car je sais que le Sénat a toujours insisté sur le fait
que les personnels d'exécution sont absolument indispensables si l'on
veut que les tribunaux fonctionnent !
Je rappelle que j'ai obtenu au budget 1996 des créations d'emplois
considérables hors PPJ dans ce domaine. Au total, on comptera donc sur
les années 1995, 1996, 1997 plus de 600 emplois de catégorie
C, ce qui est à mon avis de nature à débloquer certaines
juridictions.
Cette progression continue. Je pourrai aussi recruter dans le budget 1997 cent
assistants de justice supplémentaires. Cela répond
également aux préoccupations du Sénat depuis l'origine.
Ces assistants de justice vont nous permettre d'aider notamment les magistrats
des cours d'appel...
J'aurai également, en équipement, 884 millions de francs
d'autorisations de programme et 897 millions de francs en crédits de
paiement, ce qui représente 22 % de plus et nous permettra de
continuer toute une série d'opérations ou d'en financer de
nouvelles.
Nous allons naturellement faire un effort considérable sur le
fonctionnement et essayer de mieux utiliser les moyens disponibles, comme
toutes les autres administrations. Je vais donner la priorité, d'une
part, aux crédits d'entretien et de fonctionnement des juridictions
-notamment pour essayer de continuer le travail de mise aux normes de
sécurité- d'autre part au développement de l'informatique
déconcentrée, une des clefs du meilleur fonctionnement des
juridictions.
Comment mesurer le respect des engagements pris dans le programme
prévisionnel de la justice à partir des budgets 1995, 1996 et
1997 ? Suivant une décision générale, l'application de la
loi de programme de 1995, dite loi Méhaignerie, est étalée
sur 6 ans au lieu de 5. C'est la règle posée par le Gouvernement,
pour réussir son opération de blocage de l'évolution des
dépenses publiques, pour l'ensemble des lois de programme, la plus
importante d'entre elle, qui fait l'objet de discussions spéciales,
étant bien entendu la loi de programmation militaire.
Pour 1995, 1996 et 1997, il aurait idéalement fallu -si je
défalque les emplois du programme pénitentiaire 4000- mettre en
place 1.852 emplois. Nous en mettrons en place 1.775, ce qui ne me paraît
pas une différence très importante. Globalement, on peut donc
dire que nous tenons nos engagements.
En ce qui concerne les juridictions, nous aurons mis en place 40 % des emplois
prévus au PPJ, mais créé hors PPJ 300 emplois de
catégorie C. Au total, nous sommes donc au-dessus, et je pense que
l'inflexion que j'ai donnée dans le budget 1996 était
indispensable par rapport au PPJ. Nous tenons donc les engagements qui ont
été pris. Il en est de même pour l'AP -53 %- et pour la PJJ
-49 %.
En équipements, nous sommes pour 1995, 1996 et 1997 à 44 % du
PPJ. C'est parfaitement normal, puisque, dans ce type d'exécution, c'est
toujours sur les dernières années que l'on met les crédits
les plus importants. En effet, ce n'est pas nécessairement à ce
moment que l'on a besoin de plus de crédits de paiement. Dans un PPJ
étalé sur 6 ans, nous tenons l'engagement d'avoir
exécuté en 1995, 1996 et 1997 la moitié du PPJ, en emplois
comme en équipements.
Dans quelle direction développer les moyens ? Tout d'abord, selon moi,
il faut continuer à se pencher sur le cas des fonctionnaires de
catégorie B et C chargés d'assister les magistrats et
d'éditer les décisions de justice. Il faudra recruter bien
entendu aussi des magistrats supplémentaires, mais en nombre
limité et, à mon sens, pour faire face aux réformes, dans
la mesure où je pense qu'il y aura lieu par ailleurs de décharger
les magistrats de certaines des tâches auxquelles ils se consacrent
aujourd'hui.
Il faudra en outre insister sur les moyens de fonctionnement des juridictions
: équipement informatique, télécommunications, parc
automobile. En 1997, chaque chef de cour ou de juridiction aura une voiture
à sa disposition.
Je veux par ailleurs mettre l'accent sur l'action sociale et les subventions
du budget pour l'aide sociale à nos agents et le logement.
La cinquième priorité est le développement de la
qualité et de la capacité du parc pénitentiaire, afin de
ne pas atteindre les nombres que l'on prédit dans la
démographique pénitentiaire.
Enfin, il convient de développer le milieu ouvert et les structures
éducatives spécialisées dans la protection judiciaire de
la jeunesse, dans le sens de la diversification des modes de prise en charge
que Michel Rufin propose dans son rapport.
Bien entendu, il n'est pas question de mener une réforme qui
créerait de nouvelles charges de travail pour les magistrats ou les
fonctionnaires de justice sans créer les moyens nouveaux correspondants.
Comme vous le constatez, je m'attache essentiellement à ce qui peut
avoir un effet réel sur le terrain, et notamment à la
création de postes correspondant à des tâches qui peuvent
réellement produire une accélération ou un
allégement du processus judiciaire. Les postes pour les postes ne sont
pas possibles ; même si c'était le cas, je crois que ce n'est pas
ce qu'il convient de promouvoir en priorité. Je sais d'ailleurs fort
bien que ce n'est pas ce que souhaite le Sénat !
Il faut donc mieux utiliser les moyens dont on dispose. C'est pourquoi j'ai
engagé un plan de modernisation de la justice, qui est un plan de
réforme interne, qui consiste, dans l'institution, à transformer
les états d'esprit, les méthodes, l'organisation.
Ce plan, je l'ai mis au point début 1996 et annoncé en juillet
(...). Je remettrai donc au Sénat -car je pense que cela peut être
utile à votre rapporteur- un document d'une trentaine de pages, dans
lequel vous trouverez ces mesures et leur calendrier d'application.(...)
Le meilleur emploi des moyens existants pour la justice s'inscrit
naturellement dans le plan général de réforme de l'Etat.
Même si la justice a bien sûr sa totale spécificité,
et notamment son indépendance statutaire, elle prend part aussi à
la réforme de l'Etat. Cette modernisation s'inscrit donc dans ce cadre.
Ceci me conduit à définir quatre directions principales d'action
: réorganiser les structures de l'administration centrale, faire
évoluer les méthodes de travail des juridictions, revaloriser la
situation des magistrats et des fonctionnaires des greffes et mieux
gérer et utiliser les moyens existants.
S'agissant de la réorganisation des structures de l'administration
centrale, (...) dans le cadre de la réforme de l'Etat, un magistrat de
la Cour des comptes a effectué un très intéressant
travail, dont nous sommes en train de tirer parti.
D'une manière générale, la constitution d'un service de
contrôle financier et budgétaire des juridictions nous a
amenés à affecter au sein des services judiciaires un certain
nombre de personnels venant d'autres services, de manière à ce
que le contrôle budgétaire et financier des juridictions soit
beaucoup plus important.
En outre, grâce à mes circulaires du 9 octobre 1995 et du 8
juillet 1996, nous mettons en place les services administratifs
régionaux qui, je pense, dans chaque cour d'appel, vont vraiment changer
beaucoup de choses. Ils comportent des fonctionnaires formés aux
problèmes de gestion, qui vont animer et encadrer, sous la
responsabilité des chefs de cour, tout le travail de gestion des cours
et des tribunaux du ressort. On peut en attendre beaucoup, et c'est pour moi
une véritable priorité, surtout quand il s'agit d'affecter les
personnels correspondants.
En second lieu, afin de faire évoluer les méthodes de travail,
je voudrais tout d'abord instaurer des contrats entre l'administration centrale
et les juridictions, que nous passerons à chaque fois que nous nommerons
un chef de juridiction. Ces contrats permettront de définir les
objectifs et les engagement réciproques pour la mise en oeuvre des
politiques judiciaires nationales -traitement en temps réel des
procédures pénales, réduction des délais de
traitement, politique judiciaire des mineurs et autres.
D'une certaine façon, c'est l'extension de ce que certains parquets ont
déjà commencé à faire. Il faut maintenant
établir cet esprit d'objectifs. Il ne s'agit pas de mener la justice au
jour le jour, comme viennent les affaires et comme le permettent les
procédures : il faut aussi se donner un certain nombre d'objectifs de
politique judiciaire, d'un commun accord entre l'échelon central, les
parquets et les juges qui, sur place, la mettent en oeuvre.
Il faut aussi faire évoluer les méthodes de travail en les
renouvelant, d'une part grâce aux assistants de justice et, d'autre part,
en recourant au télé-travail. Dans les deux cas, cela va
permettre de rationaliser la charge de travail de certaines juridictions, de
participer à l'aménagement du territoire et de faire en sorte que
les tâches soient exécutées là où elles
doivent l'être, afin que certains magistrats de cours d'appel
n'exécutent pas un travail qui n'est pas de leur ressort !
Je vais lancer, fin 1996-début 1997, une étude de
faisabilité relative au télé-travail. La réforme de
l'Etat a accepté de payer sur le fond une partie des dépenses.
Quelques expériences sont menées dans le ressort du tribunal de
grande instance du Havre. Il existe là une piste très riche pour
la répartition de la charge de travail entre juridictions. En outre, le
télé-travail peut permettre aux justiciables d'obtenir le
document qu'ils réclament sans se déplacer.
Faire évoluer les méthodes de travail ne concerne pas seulement
les contrats de juridictions, ni le renouvellement des méthodes de
travail. Cela consiste aussi à développer la justice de
proximité, selon les voeux que le Sénat a émis depuis
longtemps.
Je vais adresser une circulaire aux chefs de cour pour le développement
des audiences foraines. Nous allons créer sur trois ans trente nouvelles
maisons de justice. Neuf devraient voir le jour avant la fin de cette
année. La question s'était posée de savoir si on allait
arrêter les maisons de justice : au contraire, il faut les
développer !
Nous sommes en train de sortir deux décrets "conciliateurs", deux
textes relatifs aux magistrats recrutés à titre temporaire, en
application de la loi de 1995, ainsi que le texte sur la médiation
pénale. Lorsque je suis arrivé au ministère, les textes
d'application de la loi de 1995 n'était pas prêts. Nous avons donc
réalisé depuis l'automne dernier un très gros travail avec
le Conseil d'Etat, car la discussion de ce type de texte n'est pas toujours
extrêmement facile.
Quant à la justice de proximité, nous voulons mettre
progressivement en place un guichet universel de greffe. Cela rejoint ce que je
disais à propos du télé-travail.
La troisième orientation du plan de modernisation est la revalorisation
de la situation des magistrats et des fonctionnaires : rénovation de
leur statut, réaménagement de leur carrière, mais aussi,
pour les magistrats, assouplissement des règles de gestion de
carrière, diversification des modes de recrutement.
C'est pourquoi j'ai préparé une modification du statut de la
magistrature, qui comporte de nouvelles règles de mobilité, un
cadre beaucoup plus général et précis sur les recrutements
extérieurs à l'ENM, de manière à ce qu'on ne soit
pas obligé à chaque fois de faire une loi particulière. Je
précise les types de recrutement latéraux, les concours
exceptionnels ou temporaires, etc. En outre, un certain nombre de dispositions
prévoient des conditions d'ancienneté pour accéder
à certaines fonctions.
Nous travaillons aussi sur l'amélioration du statut des greffiers.
Certaines de leurs revendications sont tout à fait justifiées,
qu'il s'agisse des greffiers en chef ou des greffiers. J'ai encore
récemment reçu les syndicats, et nous commençons à
travailler sur ce sujet avec eux, tout en respectant scrupuleusement les
exigences du "protocole Durafour". Fin 1997, nous aurons intégralement
mis ce protocole en oeuvre (...). Le "protocole Durafour" a été
une grande avancée pour la fonction publique -et aussi pour le budget,
car cela coûte cher - et il est très important que l'on tienne nos
engagements sur ce point.
Enfin, la quatrième direction est une meilleure gestion et une
meilleure utilisation des moyens. Il est clair que cela passe par une politique
de redéploiement. Les postes de magistrats ou de fonctionnaires
commencent à être redéployés. Il faut que, sur deux
ou trois ans, on fasse bouger une proportion relativement importante de ces
postes. Dans un premier temps, cela se fait par des surnombres ; dans un second
temps, cela se fera par le changement d'affectation des postes
budgétaires eux-mêmes. C'est à mon avis la méthode
la plus efficace, bien plus que la carte judiciaire en tout cas !
La seconde façon de mieux utiliser les moyens est d'améliorer
les conditions de travail, d'attribuer aux juridictions des instruments
modernes de travail. J'ai parlé des véhicules, je peux
également parler de téléphones portables, de logement de
fonction, etc.
Le budget 1997 (...) va permettre à ce plan d'entrer dans la
réalité dès maintenant.
Je suis pour ma part en opposition avec les thèses qui
considèrent qu'on ne peut rien faire pour moderniser la justice si,
conformément au rapport Carrez, on ne supprime pas une centaine de
juridictions. Je n'y suis pas favorable pour deux raisons. En effet, c'est une
mécanique théoriquement impeccable mais qui, dans la
réalité, me paraît pour ma part assez
éloignée de ce qui se passe sur le terrain !
En second lieu, l'économie représente 74 millions de francs,
soit le montant approximatif des travaux qu'on ne fait pas dans les
juridictions. Le coût budgétaire du déménagement
représente 43 millions. L'économie nette est donc de 30 millions
: le résultat me semble bien fragile pour une telle somme !
Je ne tiens pas compte de considérations politiques, mais de
considérations historiques, culturelles, économiques,
professionnelles. Pour toutes ces raisons, je pense que, dans un premier temps,
il faut mener cet exercice d'accroissement des moyens et de modernisation de la
justice dans une carte judiciaire pour l'essentiel inchangée, même
si je n'hésite pas à opérer certaines fusions de tribunaux
de commerce, etc., de manière naturellement très limitée.
Par ailleurs, la modernisation de la justice et l'accroissement de ses moyens
ne peuvent être réalisés de manière
réellement efficace à long terme si l'on ne redéfinit pas
à froid ce que sont les missions, le périmètre du droit,
du juge et de la justice, d'où la mission que j'ai confiée
à Alain Lancelot, puis au professeur Jean-Claude Casanova, qui me
remettra en fin d'année son rapport à ce sujet.
Je pense que nous devrons, dans le cadre de la réforme de l'Etat,
à partir de ces réflexions de nature globale, étudier
comment enlever un certain nombre de charges indues de la justice et
déterminer exactement l'office du juge à l'intérieur d'un
système de droit où il est fait de plus en plus appel à
lui, le législateur lui ayant confié de plus en plus de
responsabilité, sans que, depuis trente ou quarante ans, il y ait
réellement eu une réflexion sur la cohérence de ce qu'on
lui faisait faire.
Je crois qu'on devrait, à terme, obtenir des résultats
intéressants. Cela me paraît en tout cas consubstantiel à
l'exercice d'accroissement des moyens et de modernisation du fonctionnement de
la justice.
Enfin, il faut que nous nous préoccupions d'améliorer
l'accès de tous nos concitoyens à la justice. Ceci n'est pas du
tout contradictoire avec ce que je viens de dire à propos d'une justice
recentrée et d'un juge remplissant son office essentiel. En effet,
contrairement à ce que proposent certains, réduire les charges de
la justice ne consiste pas à mettre de nouvelles barrières
à l'accès du justiciable à la justice ! Il faut que nous
sachions ce qu'est le périmètre de la justice et faire en sorte
que les citoyens puissent y accéder.
Bien entendu, lors de la réforme de la procédure civile dont
nous parlerons l'année prochaine, certaines aberrations seront à
corriger, mais l'exercice consistant à penser que c'est la demande de
justice qu'il faut réduire pour permettre au système de bien
fonctionner me paraît socialement injuste et totalement vain, car la
demande de justice triomphera de toutes les barrières que l'on voudra
placer devant elle !
Il faut d'autre part absolument reprendre l'aide juridique de la loi de 1992,
qui a échoué. Le Parlement est actuellement saisi du rapport
d'exécution de la loi sur l'aide juridictionnelle, et nous allons
réfléchir à ce que nous pouvons faire...
Par ailleurs, une information beaucoup plus large sur la justice est
nécessaire. En ce domaine, notre pouvoir est un peu limité, car
cela dépend très largement des médias. Je m'y efforce
à travers les journées de la justice.
Enfin, je suis en train de travailler l'idée d'un service central
d'accès au droit qui, utilisant les méthodes modernes de
télécommunications, permettrait de répondre à
toutes les questions que nos concitoyens peuvent se poser sur la manière
de cheminer à travers la justice, sans se retrouver dans la situation du
héros du procès de Kafka !
Je pense que, dans le contexte qui est le nôtre, à partir de
travaux comme les vôtres et de ce que je viens d'essayer d'expliquer,
à partir du formidable dévouement et de l'extraordinaire
compétence des gens qui travaillent dans la justice, nous pouvons
augmenter les moyens, moderniser le fonctionnement, changer les états
d'esprit et faire en sorte de ne pas atteindre l'embolie dont j'ai parlé
dans une déclaration publique mais, au contraire, au début du
troisième millénaire, marquer un net progrès dans le
service public que la justice rend à nos concitoyens.
J'y crois vraiment. C'est pour moi -et pour tous ceux qui me
succéderont- la tâche première. Beaucoup hésitent
toujours à considérer ou à traiter la justice comme un
service public comme les autres. Bien entendu, ses spécificités
sont réelles et doivent être préservées, ne
serait-ce que parce que cela fait partie de nos principes constitutionnels,
mais il faut concevoir la justice comme un service public rendu à nos
concitoyens et y appliquer les réformes que nous appliquerions si nous
étions à la tête d'un autre service public !
ANNEXE 5 -
COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE LA
MISSION D'INFORMATION DU 3 OCTOBRE 1996
M. Charles Jolibois, président,
a
rappelé que la réunion avait pour objet de débattre les
orientations générales du futur rapport de la mission
d'information.
M. Pierre Fauchon, rapporteur,
a tout d'abord fait le bilan des
auditions, des déplacements et des réponses reçues au
questionnaire envoyé aux juridictions. Il a indiqué que celles-ci
avaient marqué leur intérêt pour cette consultation, tant
par leur taux de réponse élevé (supérieur à
80 % pour les cours d'appel et à 60 % pour les TGI) que par la
qualité de leurs observations souvent accompagnées de riches
annexes.
Au terme de sept mois de travaux, il a dressé le constat d'une justice
semi-paralysée anticipant sur l'embolie prédite par le Garde des
Sceaux pour la fin du millénaire.
Au pénal, les juridictions débordées se protègent
en classant sans suite, au civil, on ne plaide plus que par observations ou
l'on audience à plusieurs années. Ainsi, certains chefs de
juridictions peuvent-ils estimer que "
la justice va se
fracasser
".
Le rapporteur a ensuite passé en revue les solutions soumises à
la mission par ses divers interlocuteurs. Celles-ci envisagent aussi bien
l'évolution de la carte judiciaire que le redéploiement des
moyens ou les réformes de procédure dès lors qu'elles
faciliteraient le traitement des affaires et recentreraient les missions du
juge sans exiger de nouveaux moyens.
Abordant les propositions qui pourraient être celles de la mission, il a
indiqué que celles-ci devraient dépasser non seulement le cadre
de l'exercice budgétaire 1997/1998, mais également celui de la
loi de programme. Trois thèmes lui ont paru devoir retenir l'attention
des membres de la mission : l'évolution de la carte judiciaire, la
réflexion sur le métier de juge et le traitement du contentieux
de masse.
Sur la carte judiciaire,
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a
indiqué qu'elle résultait d'un héritage ancien ne tenant
que faiblement compte de la démographie, de l'économie et des
déplacements de flux. Ainsi les adaptations limitées auxquelles
il a été procédé n'ont-elles pas permis
d'éviter l'apparition de disparités de taille importantes entre
juridictions du même type. Ces disparités n'ont pas
d'inconvénients dans l'absolu sauf lorsqu'elles conduisent au maintien
de juridictions recevant un volume d'affaires insuffisant pour permettre un
traitement approprié d'un contentieux devenu très
diversifié. A l'inverse, à l'autre bout du spectre, certaines
cours d'appel ne peuvent plus faire face à l'afflux du contentieux.
Dès lors qu'une politique de rigueur budgétaire implique de faire
des choix, la question de la suppression de certaines juridictions au
bénéfice du renforcement de certaines autres doit donc être
posée.
En réponse à une question de M. François Giacobbi,
M.
Pierre Fauchon, rapporteur,
a précisé que les audiences
foraines pouvaient permettre de maintenir une présence judiciaire
équivalente, d'autant que les magistrats résident de moins en
moins sur leur lieu d'affectation.
M. Michel Rufin
a attiré l'attention de la mission sur les
spécificités des juridictions pour enfants, pour lesquelles la
proximité apparaît primordiale aux maires. Il a estimé que
les audiences foraines étaient lourdes à organiser car elles
impliquaient le transport du dossier.
Après que
M. Pierre Fauchon
eût souligné que la
diffusion généralisée des statistiques conduit
désormais les juridictions à se comparer entre elles et que les
inégalités de charge de travail pouvaient être à
l'origine d'une démoralisation de certains magistrats,
M. Charles Jolibois, président
, a rappelé que lors
des déplacements de la mission plusieurs barreaux avaient indiqué
que la survie de certains tribunaux dépendait parfois du travail d'un
seul magistrat particulièrement motivé.
M. Guy Allouche
s'est déclaré frappé par la
faiblesse des économies à attendre, selon le Garde des sceaux,
d'une adaptation de la carte judiciaire et s'est inquiété de ses
conséquences en matière d'aménagement du territoire.
M. François Giacobbi
a estimé souhaitable de prendre en
compte l'évolution des modes de transport pour actualiser la notion de
proximité.
M. Pierre Fauchon
s'est prononcé pour l'établissement
d'une carte théorique répondant aux besoins actuels, laquelle
permettrait d'envisager un processus d'évolution pour les dix à
vingt ans à venir. Il a estimé qu'en période de
pénurie de moyens, il n'était pas souhaitable d'entretenir des
surnombres. Il a rappelé que le rapport Carrez avait fourni des
éléments de référence précis en la
matière mais que d'autres critères pouvaient être pris en
compte au besoin.
En réponse à
MM. Guy Allouche et Jean-Jacques Hyest
,
MM. Pierre Fauchon, François Giacobbi
et
Charles Jolibois
ont précisé que le nombre des avocats s'était
adapté localement aux variations du flux du contentieux.
M. Pierre Fauchon
a ensuite indiqué que, quelles que soient les
décisions prises en matière de carte judiciaire, des
redéploiements d'effectifs devraient être effectués et que
ceux-ci poseraient la question du principe de l'inamovibilité des
magistrats de siège. Il a indiqué qu'à ses yeux, les
modalités de mise en oeuvre de ce principe constitutionnel pouvaient
évoluer dès lors que le rôle joué désormais
par le Conseil supérieur de la magistrature apportait de nouvelles
garanties de respect de l'indépendance des magistrats. Dans la mesure
où des aides au déménagement pourraient être
envisagées, la mise en oeuvre d'un plafonnement de la durée
d'affectation des magistrats pourrait faciliter les redéploiements et
plus généralement réduire certains freins à la
mobilité qui entraînent des vacances de postes
" frictionnelles ".
MM. Jean-Jacques Hyest
et
François Giacobbi
se sont
déclarés réservés à l'égard des
mesures susceptibles d'affecter l'inamovibilité.
M. Michel Rufin,
soulignant la féminisation croissante du corps des magistrats, a
estimé que celle-ci accroissait l'immobilité, en raison des
contraintes professionnelles des conjoints.
M. Guy Allouche
a jugé que si l'analyse historique des flux
conduisait à une évolution de la carte, par cohérence, la
réflexion devrait également porter sur l'assouplissement de la
mobilité.
M. Charles Jolibois
a indiqué que des soupapes au
" dogme " de l'inamovibilité pourraient permettre
d'éviter la paralysie de certaines juridictions pour des motifs
personnels.
M. Guy Allouche
a approuvé cette conception dès lors que
le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature s'exercerait
et que la mobilité se ferait dans l'intérêt de la justice.
M. François Giacobbi
s'est prononcé pour le maintien du
principe de l'inamovibilité et pour des incitations matérielles
à la mobilité établies en concertation avec les magistrats.
M. Jean-Jacques Hyest
a estimé qu'il fallait éviter deux
écueils : l'intervention du pouvoir politique d'une part, le
corporatisme d'autre part.
Il a marqué sa préférence pour des changements de
fonction à l'intérieur d'une même juridiction et pour le
développement des magistrats placés plutôt que pour la
fixation d'une durée maximum d'affectation. Il a souhaité que le
Conseil supérieur de la magistrature prenne ses responsabilités
en matière de mobilité lorsque les circonstances de la vie ne
permettent plus à un magistrat d'exercer ses fonctions.
M. Charles Jolibois
a indiqué qu'il serait également
envisageable de distinguer le cas du chef de juridiction de celui des autres
magistrats.
M. Pierre Fauchon,
prenant acte de ces réflexions, a
estimé que la fixation d'une durée maximale ne porterait pas
atteinte à l'inamovibilité dans la mesure où elle aurait
le caractère d'une règle générale et non d'une
sanction particulière. Il a indiqué que pour lui la question ne
se limitait pas aux chefs de juridiction, dans l'ensemble bien recrutés,
mais qu'elle se posait davantage pour les présidents de chambre, voire
pour les magistrats ne " rendant " pas leurs dossiers.
M. François Giacobbi
s'est prononcé en faveur de
l'intervention du Conseil supérieur de la magistrature pour
résoudre ces situations.
M. Pierre Fauchon
a estimé que les encouragements à la
mobilité pouvaient être développés et que,
n'était le problème du recrutement et des limites liées
à l'inamovibilité, le nombre des magistrats placés devrait
être doublé ou triplé.
Il a ensuite indiqué que le télétravail pourrait
être développé, qu'une meilleure gestion des mouvements
était nécessaire, ainsi que la compensation intégrale des
temps partiels.
M. Jean-Jacques Hyest
a rappelé l'échec d'une tentative
d'aménagement de la " transparence ", laquelle impose un
délai de publication de la vacance avant que n'intervienne la nomination.
M. Pierre Fauchon
a ensuite abordé le volet des aides à
apporter aux magistrats. Il s'est prononcé pour la multiplication au
sein des cours d'appel et des TGI des assistants, dans leur statut actuel,
compte tenu des réactions favorables rencontrées lors des
déplacements dans les juridictions.
M. François Giacobbi
s'y est déclaré
très favorable. Il a toutefois estimé, avec
M. Guy
Allouche
, que leur rémunération actuelle était
insuffisante.
En matière de gestion, compte tenu de la pénurie de moyens et
malgré le souhait, rappelé par
M. François
Giacobbi,
des magistrats ou greffiers en chefs de conserver en propre cette
compétence,
M. Pierre Fauchon
s'est interrogé sur la
possibilité de confier la gestion administrative des juridictions
à des fonctionnaires non judiciaires placés sous
l'autorité des magistrats.
M. François Giacobbi
s'est rallié à cette
proposition.
En matière d'informatique,
M. Pierre Fauchon
a rappelé
que s'il ne fallait pas attendre d'importants gains de productivité de
la poursuite de l'informatisation, celle-ci devait être orientée
vers une harmonisation des matériels et des procédures et vers
l'amélioration des bases documentaires mises à la disposition des
magistrats. Il s'est prononcé pour le retour à une gestion du
petit matériel informatique déconcentrée au niveau des
juridictions.
A propos de réformes de structure,
M. Pierre Fauchon
a
rappelé que la question du domaine du juge unique restait très
débattue parmi les interlocuteurs de la mission, lesquels se prononcent
en tout état de cause pour le maintien de la collégialité
en appel. Après que
M. Guy Allouche
eut rappelé
l'opposition du groupe socialiste au développemement du juge unique,
M. Pierre Fauchon
a estimé peu souhaitable d'étendre son
domaine.
MM. François Giacobbi et Michel Rufin
se sont
prononcés pour le maintien de la collégialité en appel et
l'unicité du juge en première instance.
M. Guy Allouche
a estimé indispensable le maintien de la
collégialité en appel et a indiqué qu'à
l'expérience le juge unique était adapté pour certaines
affaires mais que certains magistrats souhaiteraient pouvoir consulter un
collègue et auraient constaté que le nombre des appels serait
plus important à l'égard des décisions prononcées
par un juge unique, lesquelles seraient moins bien acceptées par le
justiciable.
M. Charles Jolibois
a déclaré accepter le principe du
juge unique en première instance sauf exception.
M. Jean-Jacques Hyest
a rappelé qu'en première instance
au civil la moitié des affaires porte sur le contentieux familial
renvoyé au JAF.
Il s'est interrogé sur la possibilité d'élever le seuil
de compétences des tribunaux d'instance et s'est déclaré
réservé sur une distinction juge unique en première
instance/collégialité en appel, tant sur le principe qu'en raison
du risque de multiplication des appels. Au pénal, il a estimé
difficile d'aller plus loin.
A l'issue de ces interventions
M.
Pierre Fauchon
a conclu au
statu quo en la matière.
M. Pierre Fauchon
ayant fait part à la mission des propositions
de la conférence des premiers présidents de Cour d'appel pour
harmoniser les modes de saisine et la présentation des conclusions des
parties ainsi que pour simplifier la motivation des décisions en
permettant un renvoi à ces conclusions,
MM. Charles Jolibois
et
Jean-Jacques Hyest
se sont montrés réservés sur un
tel renvoi.
A la demande de
MM. Jean-Jacques Hyest
et
Michel Rufin
,
M. Pierre Fauchon
a indiqué que l'on pouvait espérer
des gains de productivité en simplifiant les procédures civiles,
notamment en matière de saisie immobilière. Au pénal, au
sujet du traitement direct des infractions, le rapporteur a rappelé que,
si cette méthode accélérait utilement la réponse
donnée à la délinquance, elle ne résolvait pas
l'engorgement des formations de jugement.
En matière de transfert de compétences,
MM. Pierre Fauchon,
François Giacobbi, Jean-Jacques Hyest, Michel Rufin
et
Charles
Jolibois
ne se sont pas montrés favorables aux propositions de
renvoi à un officier d'état civil ou à un notaire de
certains divorces.
M. Guy Allouche
a indiqué que dans ce cas
le renvoi à un juge unique était acceptable. De même sur la
conduite en état d'ivresse,
MM. Jean-Jacques Hyest, Pierre Fauchon et
François Giacobbi
ont estimé que dès lors que des
amendes pouvaient être prononcées le maintien de la
compétence du juge était préférable.
La mission a insisté pour que soit réduit le nombre des
participations de magistrats à des commissions extrajuridictionnelles.
S'agissant des mesures susceptibles de réduire les abus de recours
à la justice,
M. Pierre Fauchon
a soumis à la mission
plusieurs propositions.
MM. François Giacobbi, Jean-Jacques Hyest et Charles
Jolibois
se sont prononcés pour l'extension de la
représentation obligatoire par un avocat. La mission a estimé
souhaitable l'amélioration de l'information des justiciables, notamment
demandeurs de l'aide juridictionnelle, sur les conséquences d'un
échec de la procédure qu'ils intentent.
M. Charles Jolibois
s'est prononcé pour le renforcement des
motifs de rejet de l'aide juridictionnelle.
M. François Giacobbi
a souhaité voir renforcer les sanctions en cas de recours abusif,
M. Jean-Jacques Hyest
se prononçant pour l'application stricte du
texte existant.
La mission s'est prononcée pour l'interdiction des demandes nouvelles
en appel et la création d'un filtre des pourvois en cassation.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a souhaité que la mission fasse
des propositions pour le traitement du contentieux de masse, lequel est
à l'heure actuelle examiné dans de mauvaises conditions qui se
répercutent également sur le suivi des affaires complexes. Il a
estimé que la création d'un niveau préalable de
" médiation " permettrait de traiter une fraction importante
de ce contentieux sous le contrôle des magistrats.
Se référant aux propositions de la conférence des
premiers présidents de Cour d'appel, ainsi qu'à ses constatations
lors des déplacements de la mission, il a estimé que ces
médiations pourraient être effectuées par des personnes
correspondant au profil des magistrats à titre temporaire.
M. Michel Rufin
a rappelé que lors de l'examen d'un
précédent projet de loi, M. le président Jacques
Larché avait craint qu'un tel dispositif ne favorise la multiplication
de cabinets de médiateurs-conciliateurs ne donnant pas toutes les
garanties nécessaires en la matière.
M. Pierre Fauchon
a
indiqué qu'il ne souhaitait pas voir confier cette mission à des
éléments extérieurs aux juridictions et qu'il pensait
davantage aux juges de paix tels qu'ils fonctionnaient au début du
XIXème siècle et envisageait l'intervention des avocats dans
cette procédure avec une extension corrélative de l'aide
juridictionnelle pour en assurer le succès.
Sous ces conditions,
MM. François Giacobbi, Michel Rufin et
Jean-Jacques Hyest
ont accueilli favorablement cette proposition.
Concluant cette réunion,
M. Charles Jolibois, président
,
a rappelé le souci des magistrats de voir établie la
" facture " de toute nouvelle réforme et d'éviter la
mise en oeuvre sans moyens d'innovations qui ne permettraient pas
d'améliorer le traitement du flux.
ANNEXE 6 -
COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE LA
MISSION DU 23 OCTOBRE 1996
M. Charles Jolibois, président,
a rappelé
que la réunion avait pour objet l'adoption du rapport
présenté par
M. Pierre Fauchon, rapporteur
,
conformément aux orientations décidées lors de la
précédente réunion.
M. Pierre Fauchon, rapporteur,
a tout d'abord fait état des
conclusions de l'enquête menée par la Conférence des
bâtonniers auprès de l'ensemble des barreaux. Il a indiqué
que leur constat recoupait celui de la mission en faisant état d'un
manque de moyens caractérisé par l'insuffisance des effectifs de
magistrats, de greffiers et de fonctionnaires, quelques juridictions
étant qualifiées de " totalement sinistrées ".
Des délais très variables sont observés selon les
ressorts, le délibéré pouvant atteindre jusqu'à
sept ou huit mois, voire exceptionnellement un an. En revanche, le
mécanisme de la mise en état est jugé plutôt
efficace.
Les délais leur apparaissent particulièrement longs en appel avec
des conséquences irréversibles lorsque l'exécution
provisoire a été ordonnée. Enfin, l'exécution
connaît des dysfonctionnements généralisés pour
l'obtention de la copie de la décision (jusqu'à deux à
trois mois), ou la délivrance des jugements de divorce ou d'adjudication
-à tel point que certains barreaux ont dû mettre à
disposition des juridictions des dactylographes pour taper les jugements.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur
, a ensuite indiqué que ses
propositions pouvaient être regroupées en trois thèmes:
l'évolution nécessaire de la carte judiciaire, l'actualisation
des moyens et de la gestion des juridictions et la rénovation du
traitement du contentieux de masse.
Il a tout d'abord présenté sept propositions tendant à
l'élaboration d'une nouvelle carte judiciaire qui prenne acte des
évolutions durables du flux et permette d'établir un plan de
transition de la carte actuelle à une carte réaliste, en
intégrant d'éventuels regroupements susceptibles de permettre une
spécialisation effective au sein des TGI ainsi que des
redéploiements des effectifs favorisés par l'aide à la
mobilité des magistrats et l'instauration d'une durée maximale
d'affectation.
M. Charles Jolibois, président,
a indiqué qu'il lui
apparaissait nécessaire que soit rendu public le schéma
général qui permettrait sur plusieurs années de
prévoir l'évolution de la carte judiciaire et de
réfléchir localement en prévision de cette
évolution. Il s'est dit particulièrement préoccupé
du blocage de certaines juridictions en raison de l'immobilité de
quelques chefs de juridiction favorisée par l'inamovibilité et a
rappelé la proposition du Garde des Sceaux de plafonner à 7 ans
l'exercice de ces fonctions.
M. Robert Badinter
s'est félicité de cette première
orientation sur la carte judiciaire basée sur les nombreux travaux
permettant de la concrétiser rapidement mais a rappelé l'absence
de volonté politique constatée jusqu'alors pour la faire aboutir.
MM. Pierre Fauchon
et
Charles Jolibois
ont estimé
particulièrement utile dans ces conditions que la mission se prononce en
ce sens.
En réponse à
M. Guy Allouche
,
M. Pierre Fauchon
a
indiqué que la spécialisation des juges devrait également
être intégrée dans cette prévision.
Après s'être déclaré défavorable aux
audiences foraines,
M. Robert Badinter
s'est inquiété des
modalités de mise en oeuvre d'une durée maximale d'affectation
des magistrats, difficile à imaginer sans réforme
constitutionnelle en raison du principe d'inamovibilité des magistrats
du siège.
M. Pierre Fauchon
a partagé cette préoccupation et
indiqué qu'il s'agissait d'exprimer une orientation
générale, laquelle pourrait s'appliquer dans un premier temps aux
chefs de juridiction ou aux présidents de chambre, dans l'esprit du
dispositif proposé par le plan de modernisation du Garde des Sceaux.
S'agissant des mesures d'actualisation et d'amélioration de la gestion,
après l'adoption d'une proposition sur le développement du
télétravail,
M. Robert Badinter
a estimée
essentielle la proposition du rapporteur tendant à affirmer la
nécessité de procéder aux recutements de magistrats
programmés en 1995, à l'exclusion de tout
prélèvement pour une nouvelle réforme.
MM. Charles Jolibois, président
et
Pierre Fauchon
,
rapporteur
, ont confirmé leur attachement à ce principe
basé sur la volonté exprimée par les chefs de juridiction
de chiffrer l'incidence de toute nouvelle réforme sur leurs effectifs.
M. Germain Authié
, rapporteur pour avis des crédits des
services judiciaires, a confirmé l'expression de cette volonté
lors des entretiens préparatoires à l'examen du budget.
Sur l'augmentation des effectifs de greffe,
M. Pierre Fauchon,
rapporteur
, a rappelé, en accord avec
MM. Robert Badinter et
Germain Authié
qu'il s'agissait de faire face aux difficultés
d'obtention des décisions, ce dernier se préoccupant
particulièrement du respect des tâches respectives de chaque
catégorie.
Sur la diversification des modes de recrutement des magistrats,
MM. Pierre
Fauchon et Robert Badinter
ont regretté la
sévérité de la commission d'intégration laquelle
tarit une source utile de recrutement.
A suite d'une intervention de
M. Robert Badinter
, la mission a
adopté une proposition de
M. Jean-Jacques Hyest
sur la
nécessité de réguler le concours d'accès à
l'ENM en vue d'une gestion prospective des effectifs de magistrats.
La mission s'est prononcée pour un mouvement annuel unique de
magistrats, souhaité par les chefs de juridiction, après que
M. Jean-Jacques Hyest
se fut interrogé sur les difficultés
entrainées par les vacances imprévues en cours d'année.
Ont été ensuite adoptées plusieurs propositions tendant
à éviter ou faciliter la résorption des vacances:
compensation intégrale des temps partiels, accroissement du nombre des
magistrats et greffiers placés, extension du mécanisme du
placement aux autres catégories et mise en place effective des
magistrats à titre temporaire et des conseillers de cour d'appel en
service extraordinaire.
La mission a unanimement souhaité l'augmentation sensible du nombre des
assistants de justice au vu des expériences rencontrées sur le
terrain.
M. Germain Authié
a cependant rappelé les
réticences des greffiers en chef à l'égard de cette
extension tandis que
M. Robert Badinter
marquait l'intérêt
de ces fonctions pour les étudiants du troisième cycle.
A été ensuite adoptée la proposition du rapporteur
relative à la création de postes de gestion au sein des
juridictions, pourvus par l'affectation d'un administrateur placé sous
l'autorité du chef de juridiction, approuvée par
M. Robert
Badinter
.
En matière d'équipements informatiques, la mission a
souhaité que l'effort d'harmonisation des matériels soit
poursuivi, que la maintenance locale soit développée et que les
juridictions du premier degré retrouvent la faculté d'utiliser
des crédits de leur budget de fonctionnement pour remplacer les petits
équipements défaillants.
M. Germain Authié
a
confirmé le souhait des juridictions, relayé par
M. Pierre
Fauchon,
d'une plus grande décentralisation en la matière.
La mission a également adopté une proposition tendant à
l'amélioration de la documentation mise à la disposition des
magistrats (législation, réglementation, jurisprudence et
doctrine actualisées, le cas échéant sous forme de bases
documentaires informatisées).
Après que
M. Jean-Jacques Hyest
eut rappelé que dans les
grandes juridictions ou celles dispersées sur plusieurs sites les
greffiers en chef ne pouvaient prendre en charge directement les transferts
opérés par la loi du 8 février 1995, la mission a
adopté la proposition du rapporteur tendant à étendre ces
transferts aux greffiers.
Sur la participation des magistrats à des commissions
extrajuridictionnelles, après les interventions de
MM. Robert
Badinter
et
Jean-Jacques Hyest,
la mission a souhaité que
soit repensée cette participation, utile dans certains cas (commission
électorale, comité de prévention de la délinquance)
moins adaptée dans d'autres.
Sur la composition des formations de jugement, la mission a estimé que
la volonté de réduire les délais ne pouvait justifier une
extension du domaine du juge unique, au-delà de simples ajustements de
cohérence, et, qu'en tout état de cause, une véritable
collégialité devait être maintenue en appel.
Elle a ensuite souhaité qu'en concertation avec les auxiliaires de
justice et pour accélérer la lecture des dossiers, les
formalités de saisine et la présentation des conclusions
écrites puissent être normalisées.
La mission a ensuite adopté une proposition de
généralisation du traitement direct en insistant sur la
nécessité de coordonner celle-ci avec l'organisation des
audiences.
En réponse à
M. Michel Rufin
qui s'enquérait de la
possibilité de généraliser les
délégués des procureurs effectuant des médiations
pénales,
M. Pierre Fauchon
a indiqué que cette pratique,
mise en oeuvre sous des appellations variées par de nombreux parquets
notamment au sein des maisons de justice, trouverait sa traduction dans sa
dernière proposition relative au traitement des contentieux de masse.
La mission a ensuite prôné l'automatisation de l'exécution
pour réduire les délais constatés, au civil et au
pénal entre, d'une part, le prononcé du jugement et, d'autre
part, l'obtention des décisions et leur exécution.
Répondant au souhait des magistrats qui constatent l'encombrement des
greffes généré par l'accès direct (absence de
filtre et demandes de mise en forme) ainsi que le ralentissement notable de
l'examen des dossiers en raison de leur présentation
hétérogène, la mission a souhaité, comme la
conférence des Présidents de la Cour d'appel, l'extension de la
représentation obligatoire par un avocat.
M. Charles Jolibois,
président,
a indiqué qu'il la souhaitait
particulièrement pour la saisine du juge de l'exécution dont
l'instauration sans moyens nouveaux avait submergé les juridictions.
M. Robert Badinter
a souhaité que la Chambre sociale de la Cour
de cassation en bénéficie également.
La mission a également souhaité que soit améliorée
l'information des justiciables, notamment demandeurs de l'aide
juridictionnelle, sur les conséquences du rejet de leur demande et que
soit assuré un meilleur contrôle des demandes d'aide
juridictionnelle pour éviter les abus.
M. Robert Badinter
a
insisté sur l'importance de l'aide juridictionnelle en période de
crise économique et la nécessité de ne pas étendre
les motifs de rejet des demandes.
Après que
M. Robert Badinter
eut estimé que
l'exécution provisoire permettait de limiter l'abus de recours à
l'appel et à la cassation, la mission n'a pas adopté une
proposition du rapporteur tendant à l'application plus effective des
sanctions pour recours abusif.
La mission a ensuite adopté une proposition ayant pour objet, selon les
conclusions de la conférence des Premiers présidents de cour
d'appel, d'interdire les demandes nouvelles en appel, hors actualisation du
dossier.
M. Robert Badinter
a estimé que cette proposition
n'accélèrerait que peu le traitement des affaires et qu'il eut
pû être souhaitable de retenir l'exception prévue par les
premiers présidents pour la demande autorisée par le juge de la
mise en état.
Après l'intervention de
M. Charles Jolibois, président,
pour rappeler l'état d'avancement de la navette parlementaire sur le
projet de loi portant réforme de l'organisation de la cour de cassation,
adopté par le Sénat sur son rapport, ainsi que sur la proposition
de loi de M. Pierre Mazeaud portant sur le même sujet, la mission a
marqué sa volonté d'instauration d'un mécanisme
d'admission des pourvois en cassation.
M. Pierre Fauchon, rapporteur,
a enfin présenté sa
dernière proposition destinée à favoriser le traitement du
contentieux de masse par des procédures spécifiques
nécessitant la redéfinition des compétences des tribunaux
d'instance. Il a souhaité que soit mise à l'étude une
réforme des tribunaux d'instance et des tribunaux de police s'inspirant
de la conception originelle des juges de paix, des actuelles maisons de justice
et de la spécificité du contentieux de masse : abondant,
répétitif, peu juridique et appelant une approche
personnalisée. Il a souhaité que cette procédure s'appuie
largement sur les magistrats à titre temporaire et permette la
généralisation des tentatives de conciliation au civil et au
pénal; à défaut le litige serait tranché au fond
par le même juge, condition essentielle de l'efficacité du
dispositif. Il pourrait statuer en amiable compositeur; l'appel pouvant soit
être réservé au-delà d'un certain seuil, soit
être limité à l'appel-nullité, dans l'esprit des
propositions de la conférence des Premiers présidents.
M. Robert Badinter,
après avoir rejoint le diagnostic du
rapporteur sur la nécessité d'une approche radicalement
différente pour le traitement du contentieux de masse et sur l'impulsion
à donner à la conciliation, s'est séparé de sa
proposition en estimant que le " tout judiciaire " n'était
plus viable face à l'afflux du contentieux. Citant l'exemple des
Etats-Unis où sont multipliés les modes de traitement alternatifs
face à la " folie judiciarisante ", il s'est prononcé
pour des médiations extrajuridictionnelles.
M. Charles Jolibois, président
, se référant aux
propositions des Premiers présidents, a souhaité que ces
procédures demeurent sous l'égide d'un magistrat.
M. Robert Badinter
n'a envisagé cette hypothèse que dans
la mesure où des véritables équipes de conciliateurs
seraient constituées et confirmé qu'il lui apparaissait
préférable, en l'état de ses réflexions, de mettre
fin au " tout judiciaire ", par exemple en matière
d'assurance, de copropriété ou de consommation, compte tenu des
blocages de la voie juridictionnelle.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a précisé qu'il ne
s'agissait ni d'une procédure préalable ni d'une voie
parallèle mais bien d'un dispositif spécifique avec garantie des
droits des parties.
M. Robert Badinter
a estimé qu'en tout état de cause le
juge devrait pouvoir choisir lui-même ses conciliateurs sur une liste
préétablie et s'est interrogé sur la limitation de la
proposition au seul niveau du tribunal d'instance.
M. Jean-Jacques Hyest
, rejoignant le rapporteur sur la
nécessité d'adapter les procédures à la
civilisation urbaine, a estimé que l'échec relatif des
conciliateurs devait être attribué à leur absence
d'autorité sur les parties. Il a souhaité que la nouvelle
procédure prévoie une telle autorité, sans qu'il soit
indispensable de se prononcer immédiatement sur les conditions d'appel
ni sur les fondements de la décision au fond.
A l'issue de ces interventions et de celle de
M. Germain
Authié
,
approuvant M. Robert Badinter,
la mission
a adopté la proposition du rapporteur ainsi amendée par
M. Hyest, puis l'ensemble du rapport.
1
Cf. annexe 3.
2
Cf. annexe 1.
3
Cf. annexe 2.
4
Cf. annexe 4.
5
Cf. annexe 1.
6
Cf. annexe 4.
7
Cf. annexe 2.
8
Cf annexe 3.
9
cf. Les rapports techniques et parlementaires parus à
intervalles de plus en plus rapprochés depuis une vingtaine
d'années et ceux en cours d'élaboration à la demande de
l'actuel ministre de la justice.
10
Cf. annexes 5 et 6.
11
Tableau de bord de l'activité des juridictions.
Sous-direction de la statistique, des études et de la documentation du
ministère de la justice (Métropole + D.O.M.)
12
Ministère de la justice - Inspection des services
judiciaires. Bilan des trois premières années d'application de la
loi relative à l'aide juridique.
13
Infostat justice n° 32 - avril 1993. P. Bertrand - B.
Munoz-Perez - E. Serverin
14
Tableau réalisé à partir des données
des Annuaires statistiques de la justice et des " chiffres clés de
la justice " pour la dernière année.
15
Etudes et statistiques Justice 6. Ministère de la justice.
Physionomie des contentieux selon les tribunaux correctionnels. S. Lemerle - V.
Mariette - D. Timbart.
16
Rapport de synthèse de la mission d'enquête sur
l'évolution des frais de justice.IGSJ-IGF.
17
On reviendra plus loin sur cette question à propos des
problèmes de répartition des effectifs.
18
En ce qui concerne les conseillers de cour d'appel en service
extraordinaire, le décret d'application a été
publié le 21 mars 1996 mais les créations de postes n'ont pas
encore eu lieu.
19
A partir d'une évaluation statistique du nombre de
dossiers traités, en excluant la région parisienne, la Corse et
les DOM qui constituent des situations extrêmes.
20
LE POINT N° 1238 - 8 juin 1996
21
LE POINT N° 1238 - 8 juin 1996
22
cf. notamment JO Questions Sénat - 6 juillet 1995. p.
1349. n° 10097, a contrario JO Débats Assemblée nationale.
18 janvier 1996, p. 141.
23
Pour mémoire, les mesures nouvelles en faveur des
juridictions pour l'année 1996 s'élèvent à 38
millions de francs.
24
Cf. annexe 4.
25
Cf. JO Débats Sénat - Séance du 9 mai 1996,
p. 2457.
26
Dans l'ordre chronologique des auditions. Les fonctions
indiquées sont celles au titre desquelles l'audition a été
organisée.