Rapport n° 57 - Cinquième programme de recherche
M. James BORDAS, Sénateur
Délégation du Sénateur pour l'Union européenne - Rapport d'information n° 57 - 1997/1998
Table des matières
-
INTRODUCTION
- I. UNE POLITIQUE PRIORITAIRE, MAIS CRITIQUÉE
- II. UNE VOLONTÉ SALUTAIRE DE CHANGEMENT
- III. LA PERSISTANCE DE NOMBREUSES INTERROGATIONS
- CONCLUSION
- ENTRETIENS DU RAPPORTEUR
- EXAMEN DU RAPPORT
N° 57
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès verbal de la séance du 29 octobre 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne (1),
sur
le cinquième Programme-cadre de recherche
(proposition d'acte communautaire E 847),
Par M. James BORDAS,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de
: MM. Jacques Genton,
président
; James Bordas, Michel
Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon,
vice-présidents
; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant,
secrétaires
; MM. Robert Badinter, Denis Badré,
Michel Barnier, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Gérard Delfau,
Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Ambroise
Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean
François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre Lagourgue,
Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson,
Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle
Pourtaud, MM. Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques Rocca Serra,
André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal,
Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
INTRODUCTION
Dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, le
Sénat a été saisi de la proposition de cinquième
Programme-cadre de recherche et de développement technologique de la
Communauté européenne.
Votre rapporteur a souhaité d'une part que le Sénat soit
pleinement informé des enjeux de cette proposition, d'autre part qu'il
puisse se prononcer par une résolution sur un certain nombre de
principes destinés à améliorer le fonctionnement d'une
politique dont l'utilité s'avère incontestable.
I. UNE POLITIQUE PRIORITAIRE, MAIS CRITIQUÉE
A. L'ÉMERGENCE PROGRESSIVE DE LA DIMENSION EUROPÉENNE DE LA RECHERCHE
1. Une politique récente
La recherche est une politique récente de la Communauté européenne. Le traité de Rome ne reconnaissait pas de compétence à la Communauté dans ce domaine et il a fallu attendre l'acte unique en 1985 pour qu'un titre du traité soit consacré à la recherche et au développement technologique. Les dispositions relatives à la recherche ont ensuite été étoffées par le traité de Maastricht, qui a en particulier élargi les objectifs de cette politique. L'article 130 F du traité sur l'Union européenne décrit les missions de la Communauté dans cette matière.
Article 130 F
du traité sur l'Union européenne
1. La Communauté a pour objectif de renforcer les bases
scientifiques et technologiques de l'industrie de la Communauté et de
favoriser le développement de sa compétitivité
internationale, ainsi que de promouvoir les actions de recherche jugées
nécessaires au titre d'autres chapitres du présent traité.
2. A ces fins, elle encourage dans l'ensemble de la Communauté les
entreprises, y compris les petites et moyennes entreprises, les centres de
recherche et les universités dans leurs efforts de recherche et de
développement technologique de haute qualité : elle soutient
leurs efforts de coopération, en visant tout particulièrement
à permettre aux entreprises d'exploiter pleinement les
potentialités du marché intérieur à la faveur,
notamment, de l'ouverture des marchés publics nationaux, de la
définition de normes communes et de l'élimination des obstacles
juridiques et fiscaux à cette coopération.
3. Toutes les actions de la communauté au titre du présent
traité, y compris les actions de démonstrations, dans le domaine
de la recherche et du développement technologique sont
décidées et mises en oeuvre conformément aux dispositions
du présent titre.
En vertu du traité, le renforcement des bases scientifiques et
technologiques de l'industrie de la Communauté et le
développement de sa compétitivité internationale sont les
missions essentielles de la politique communautaire.
Pour réaliser ces objectifs, la Communauté met en oeuvre des
programmes-cadres pluriannuels. Le premier a été lancé en
1987. Le quatrième Programme-cadre, portant sur la période
1994-1998, est en cours de réalisation. La politique de la recherche a
progressivement pris de l'ampleur, en particulier en termes budgétaires
puisqu'elle est désormais l'une des trois politiques les plus
importantes de l'Union européenne, certes loin derrière la
Politique agricole commune et les actions structurelles.
Elle
représente environ 4 % du budget communautaire et environ
3,5 % du total des dépenses de recherche dans l'Union
européenne.
2. Une politique utile
La politique communautaire de la recherche a une
utilité incontestable.
Dans certains domaines, l'action individuelle
de chaque Etat est désormais insuffisante ; l'Europe a besoin d'une mise
en commun de ses ressources humaines et financières pour faire face
à la concurrence mondiale dans les secteurs des hautes technologies
.
Le budget alloué à cette politique, qui représente
3,5 % du budget total de la recherche en Europe, est insignifiant s'il est
utilisé pour prolonger ou remplacer l'action de chaque Etat membre. Il
est au contraire conséquent si l'Union n'intervient, conformément
au principe de subsidiarité
, " que si et dans la mesure
où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être
réalisés de manière suffisante par les Etats membres et
peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action
envisagée, être mieux réalisés au niveau
communautaire "
(Art. 3 B du Traité sur l'Union
européenne).
Par ailleurs, cette politique est également utile, compte tenu du
contexte de concurrence renforcée entre l'Union européenne et ses
principaux partenaires commerciaux.
L'Union européenne connaît aujourd'hui un certain retard dans le
domaine de la recherche, par rapport à ses concurrents les plus directs
que sont les Etats-Unis et le Japon. Or, la recherche est de plus en plus un
élément essentiel de compétitivité. Lors de son
audition devant la Délégation de l'Assemblée nationale
pour l'Union européenne, Mme Edith Cresson, commissaire
européen chargé de la recherche, a souligné
" qu'aux Etats-Unis, un tiers de la croissance du PNB a pu être
attribué en 1996 aux industries de haute technologie, secteur dans
lequel l'emploi a progressé, la même année, près de
dix fois et demi plus vite que dans le reste de l'économie
américaine "
. L'Union européenne, contrairement aux
Etats-Unis ou au Japon, souffre d'un déficit de sa balance commerciale
pour les produits de haute technologie d'environ 10 à 15 milliards
d'Ecus chaque année. Le budget consacré aux recherches dans le
secteur de la société de l'information croît fortement
chaque année aux Etats-Unis et au Japon alors qu'il a diminué
cette année en Europe, si l'on prend en compte l'ensemble des
instruments existants. Le tableau suivant donne la mesure du retard actuel de
l'Union européenne par rapport à ses principaux concurrents.
UE 15 |
Etats-Unis |
Japon |
|
Dépenses totales de R&D (MECUS) 1994 |
121 882 |
142 047 |
104 069 |
Dépenses totales de R&D en % du PIB 1995 |
1,91 |
2,45 |
2,95 |
Dépenses totales de R&D par habitant (ECUS) 1994 |
329 |
545 |
833 |
Pourcentage des dépenses totales de R&D financées par l'état 1993 |
39,6 |
39,2 |
19,7 |
Pourcentage des dépenses totales de R&D financées par l'industrie 1993 |
53,5 |
58,7 |
73,4 |
Nombre de chercheurs 1993 |
774 071 |
962 700 |
526 501 |
Nombre de chercheurs par millier d'actifs 1993 |
4,7 |
7,4 |
8,0 |
Nombre de chercheurs dans les entreprises 1993 |
376 000 |
765 000 |
367 000 |
Nombre de chercheurs dans les entreprises par millier d'actifs 1993 |
2 |
6 |
6 |
Source : Commission européenne, DG XII à partir de données de l'OCDE |
3. Des instruments complémentaires
Les programmes-cadres de la Communauté ne sont pas le
seul instrument d'action au niveau européen en matière de
recherche.
Dès 1969, en l'absence de toute politique de la recherche au niveau
communautaire, de nombreux Etats européens, appartenant ou non à
la Communauté européenne, ont lancé la
Coopération scientifique et Technique (COST)
, qui groupe
désormais 28 Etats européens. Aujourd'hui, les actions de
coordination lancées dans le cadre de la COST permettent à des
pays n'appartenant pas à la Communauté européenne
d'intégrer un programme communautaire en versant une quote-part.
D'autres actions sont menées en dehors des programmes communautaires
à l'initiative des Etats membres de la COST ou de la Commission
européenne.
Par ailleurs, en 1985, 17 Etats européens ont lancé
l'initiative Eurêka
, à laquelle se sont joints d'autres
pays depuis lors. Les programmes lancés dans le cadre d'Eurêka se
différencient des programmes communautaires de recherche, d'une part
parce qu'ils se situent à un stade plus proche du marché, d'autre
part parce que les entreprises et centres de recherche qui souhaitent
participer proposent leur propre projet, en dehors de tout cadre
préalablement déterminé.
Il convient enfin de signaler que les programmes de la Communauté
européenne eux-mêmes sont dans certains cas ouverts à des
pays n'appartenant pas à la Communauté. Il s'agit naturellement
des Pays d'Europe Centrale et Orientale, mais aussi d'autres pays tels
qu'Israël, l'Australie, la Suisse, l'Afrique du Sud avec lesquels la
Communauté a signé des accords de coopération scientifique
et technique. Ces accords posent cependant quelques difficultés sur
lesquelles votre rapporteur reviendra.
B. UNE POLITIQUE CRITIQUÉE
La politique communautaire de la recherche fait aujourd'hui l'objet de critiques multiples qui portent en particulier sur le " saupoudrage " de crédits auquel elle conduirait et sur l'efficacité de sa gestion.
1. La dispersion des actions
·
Le vote à l'unanimité en question
En vue de la préparation du cinquième Programme-cadre de
recherche, un groupe d'experts, présidé par M. Etienne
Davignon, a été chargé de formuler des propositions en
tenant compte de l'expérience acquise. Le rapport publié par ce
groupe
(1(
*
))
contient des appréciations
très critiques sur la manière dont ont été
conçus les programmes jusqu'à présent.
Le principal
reproche formulé est celui du " saupoudrage " des actions et
des crédits, critique souvent adressée aux programmes
communautaires, mais qui prend ici une acuité particulière,
compte tenu de l'importance de cette politique
.
Pour le groupe d'experts, la cause de ce problème est claire :
" La méthode de consultation des Etats membres conduit à
une négociation entre des intérêts nationaux et sectoriels.
Le programme devient alors une liste de priorités nationales, qui manque
souvent de cohérence et de valeur ajoutée
européenne "
.
De fait, les programmes-cadres ont jusqu'à présent
été adoptés à l'unanimité en vertu de
l'article 130 I du traité instituant la Communauté
européenne. En outre, les Etats membres, après avoir
adopté le programme-cadre lui-même, sont appelés à
adopter les programmes spécifiques prévus dans ce
programme-cadre. L'adoption des programmes spécifiques se fait à
la majorité qualifiée, mais le grand nombre de décisions
à prendre donne une lourdeur incontestable à la procédure.
Au cours des négociations sur le programme-cadre, chaque Etat essaie
d'imposer les priorités qui lui sont propres, d'inclure dans le
programme des actions qui vont lui permettre de bénéficier de
fonds communautaires pour financer ses recherches, même si manifestement
certaines actions ne relèvent pas du niveau communautaire, mais bien
davantage du niveau national.
Dans ces conditions, les négociations relatives aux programmes-cadres
sont en général âpres et longues. Les discussions sur le
quatrième Programme-cadre, actuellement en cours de réalisation,
se sont achevées au niveau du Conseil européen, en particulier
pour déterminer l'enveloppe financière attribuée au
programme. Pas moins de dix-huit programmes spécifiques ont
été mis en place (applications télématiques,
transports, biomédecine et santé, agriculture et pêche,
environnement et climat...), ce qui implique une forte dispersion des
crédits consacrés à la politique de recherche. En outre,
vingt-cinq décisions du Conseil ont été nécessaires
pour que les différentes actions prévues dans le programme-cadre
puissent être mises en oeuvre.
Par ailleurs, l'adaptation du programme en cours de réalisation ou la
modification de son enveloppe financière sont des exercices
extrêmement difficiles. Les négociations qui se sont
récemment déroulées en vue de l'attribution d'un
complément financier au quatrième Programme-cadre ont
démontré une nouvelle fois les graves défauts du
système actuel.
Le complément financier au quatrième
Programme-cadre :
illustration des faiblesses de la procédure de décision
en matière de recherche
Lorsqu'ils ont adopté le quatrième
Programme-cadre en 1994, les Etats membres ont décidé de laisser
ouverte la possibilité d'une augmentation des crédits de ce
programme au cours de sa réalisation. Le Conseil européen
s'était en effet accordé sur un budget de 12,3 milliards
d'écus, susceptible d'être porté à 13 milliards
pendant la mise en oeuvre du programme.
En janvier 1996, la Commission européenne a proposé un
complément financier de 700 millions d'écus. Compte tenu des
procédures de décision appliquées -unanimité au
sein du Conseil et co-décision avec le Parlement européen, il a
fallu près de deux ans pour que les institutions parviennent, le
23 septembre 1997, à un accord sur une somme de ...
115 millions d'écus, répartie dans sept domaines d'action
différents : encéphalopathies spongiformes (35 millions
d'écus), aéronautique (20 millions d'écus),
multimédias éducatifs (12 millions d'écus), transport
intermodal (12 millions d'écus), environnement-eau
(12 millions d'écus), mines antipersonnel (15 millions
d'écus) et énergies renouvelables (9 millions d'écus).
Lourdeur du processus décisionnel, éparpillement des
crédits attribués : les conditions dans lesquelles a
été adopté le complément financier au
quatrième Programme-cadre illustrent parfaitement les faiblesses de la
politique communautaire de la recherche.
·
La politique de recherche détournée de son objet
Le problème qui se pose en définitive est celui d'une Union
composée d'Etats dont les niveaux de développement sont de plus
en plus hétérogènes. Le tableau suivant illustre
l'importance accordée par chaque Etat membre aux activités de
recherche et développement.
Dans tous les Etats membres, les budgets de la recherche ont tendance à
décroître, compte tenu des impératifs de rigueur
budgétaire. Dans ces conditions, les programmes communautaires sont de
plus en plus sollicités et le sont souvent pour des actions qui ne
relèvent manifestement pas du niveau communautaire. Si votre rapporteur
a insisté sur l'objectif de renforcement de la
compétitivité industrielle assigné à la politique
de recherche de la Communauté, c'est parce que cet objectif semble
aujourd'hui souvent perdu de vue.
Certains Etats membres, dont le niveau de développement
économique est encore insuffisant, tentent de faire financer dans le
cadre du programme-cadre des actions qui relèvent davantage de la
cohésion économique et sociale.
Mme Edith Cresson soulignait, dans un entretien accordé à une
revue spécialisée, que
" la politique de recherche
n'est (...) pas une politique de " redistribution ".
Politique
d'excellence, elle est aussi, par vocation et par son mode de fonctionnement,
une politique " d'intégration " " (2(
*
)).
On ne peut que constater que cette vision n'a pas toujours prévalu et
que l'éparpillement des ressources nuit à l'efficacité de
cette politique. Représentant moins de 4 % de l'ensemble des
dépenses de recherche dans l'Union européenne, la politique
communautaire doit se concentrer sur un nombre d'objectifs limités pour
lesquels la Communauté est pleinement à même d'apporter une
valeur ajoutée par rapport à l'action des Etats membres.
Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre dernier, stipule que le
programme-cadre de recherche de la Communauté européenne sera
désormais adopté à la majorité qualifiée. Il
s'agit d'une évaluation tout à fait positive, qui devrait limiter
à l'avenir les errements constatés jusqu'à présent.
Une difficulté doit cependant être mentionnée. Les
négociations sur le cinquième Programme-cadre de recherche ont
d'ores et déjà commencé et doivent s'achever en 1998,
alors que la date d'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam,
compte tenu des ratifications nécessaires, est encore très
incertaine. Votre rapporteur reviendra sur cette question.
2. Les lourdeurs de gestion
La gestion des programmes de recherche fait également
l'objet de critiques sérieuses. Les bénéficiaires des
programmes insistent sur les
pesanteurs
qui caractérisent les
procédures communautaires. Le groupe d'experts chargé de formuler
des propositions pour le cinquième Programme-cadre note aussi que
presque tous les groupes d'évaluation des programmes spécifiques
"
ont constaté de forts mécontentements quant à
la
longueur des délais
qui s'écoulent entre la
clôture des appels de propositions et le premier versement. D'une
manière générale, le délai est de plus d'un an. Les
intéressés souhaitent manifestement qu'il ne dépasse pas
six mois. L'étape qui semble la moins satisfaisante est celle de la
conclusion et de la signature des contrats, et un changement d'attitude des
services juridiques et financiers de la Commission sont
nécessaires
".
Le rapport considère également que la
transparence des
procédures
est insuffisante et que les rejets de dossiers ne sont
pas expliqués de manière suffisante par les services de la
Commission européenne. Il souligne la nécessité
d'améliorer les retours d'information vers les candidats à des
programmes, notamment en cas de retards et de rejets de projets bien
notés.
Enfin, le groupe souligne que
les effectifs de la Commission sont
insuffisants
dans certains secteurs, et que cette situation contribue aux
retards et à la perte d'efficacité. Dans son rapport relatif
à l'exercice 1994, la Cour des comptes européenne avait
dressé un constat similaire en se penchant sur le programme
" capital humain et mobilité " lancé dans le cadre du
troisième Programme-cadre de recherche. Elle avait estimé que
" les personnes chargées du suivi des contrats étaient en
nombre insuffisant, puisque, entre autres tâches, chaque responsable dans
les services de la Commission devait traiter plusieurs centaines de
contrats "
(3(
*
)).
La gestion des programmes peut donc être améliorée.
Votre rapporteur doit cependant souligner que les représentants des
entreprises utilisatrices du programme-cadre qu'il a rencontrés ont
souligné la qualité du travail accompli par la Commission
européenne en matière de recherche. Ils ont en particulier
insisté sur l'effort d'information effectué par celle-ci au
moment des appels d'offres qu'elle lance régulièrement pour la
mise en oeuvre des programmes spécifiques. Les représentants des
entreprises souhaiteraient cependant que ces dernières soient davantage
associées à la gestion d'une politique à laquelle elles
participent activement.
II. UNE VOLONTÉ SALUTAIRE DE CHANGEMENT
A. DES PRINCIPES NOUVEAUX
Consciente des défauts que présente aujourd'hui la politique communautaire de la recherche, la Commission européenne a présenté le 30 avril 1997 une proposition pour le cinquième Programme-cadre qui vise à modifier radicalement la stratégie européenne. Comme la Commission le note dans son introduction " Pour l'Union européenne, le cinquième Programme-cadre de recherche et développement technologique doit être l'occasion de mettre en oeuvre une nouvelle approche de la politique de recherche menée au niveau communautaire, adaptée aux défis contemporains et aux aspirations des citoyens européens ".
1. Les objectifs
La Commission européenne propose que le nouveau
programme-cadre soit caractérisé par la concertation et la
flexibilité, afin de corriger les errements que votre rapporteur a
précédemment évoqués. Elle souhaite,
conformément aux recommandations du groupe d'experts chargé de
l'évaluation du quatrième Programme-cadre, que la politique
communautaire repose sur les trois principes suivants :
-
l'excellence scientifique et technologique
; la qualité de
la recherche accomplie dans le cadre des programmes communautaires n'a jamais
été mise en cause, mais la priorité absolue donnée
au critère de l'excellence doit permettre de ne sélectionner que
les meilleurs projets, sans souci de répartition
équilibrée de ces projets entre les Etats membres ;
-
la pertinence par rapport aux grandes politiques de l'Union
;
-
la " valeur ajoutée " européenne
; comme
l'a noté votre rapporteur, il s'agit d'un critère essentiel,
compte tenu de la modestie relative du budget communautaire, si on le rapporte
à l'ensemble des dépenses de recherche et de développement
dans l'Union européenne.
La conception du programme-cadre est entièrement revue. La Commission
européenne propose en effet de remplacer l'approche disciplinaire des
programmes spécifiques par une approche prenant en considération
des objectifs à atteindre. Cela la conduit à proposer une
réduction drastique du nombre des programmes communautaires.
Naturellement, la structure du projet est partiellement
déterminée par le Traité instituant la Communauté
européenne. Celui-ci prévoit en effet dans son article 130 G que
la Communauté mène quatre actions dans le domaine de la recherche
:
a) mise en oeuvre de programmes de recherche, de développement
technologique et de démonstration en promouvant la coopération
avec et entre les grandes entreprises, les centres de recherche et les
universités ;
b) promotion de la coopération en matière de recherche, de
développement technologique et de démonstration communautaires
avec les pays tiers et les organisations internationales ;
c) diffusion et valorisation des résultats des activités en
matière de recherche, de développement technologique et de
démonstration communautaires ;
d) stimulation de la formation et de la mobilité des chercheurs de la
Communauté.
Dans ces conditions, le programme-cadre présenté par la
Commission européenne est organisé en six programmes :
- trois programmes thématiques correspondant à la première
action prévue par le Traité ;
- trois programmes horizontaux correspondant à chacune des trois autres
actions prévues par le Traité.
Dans le même souci de concentrer et de rendre plus efficaces la politique
communautaire, les programmes thématiques seront organisés en
actions-clés
"
liées à des objectifs
économiques et sociaux que l'on peut aujourd'hui considérer comme
majeurs pour le futur prévisible de l'Union. Ces actions-clés
sont définies en fonction de problèmes à résoudre ;
ces actions doivent couvrir la gamme complète des activités
nécessaires à l'atteinte de leurs objectifs, de la recherche
fondamentale à la démonstration, en passant par le
développement ; elles auront en particulier pour objectif de faire
converger sur le thème qui est le leur les efforts publics et
privés menés en Europe
".
Outre ces actions-clés, les programmes thématiques comporteront
également des activités de recherche et de développement
de technologies génériques, dont la Commission européenne
affirme qu'elles seront conduites dans un nombre limité de domaines, et
des activités de soutien aux infrastructures de recherche.
La Commission européenne insiste également dans sa proposition
sur les objectifs de coordination et de flexibilité. Elle propose de
renforcer la coordination entre les différents programmes du
programme-cadre, mais également avec les autres politiques de l'Union,
en particulier les programmes d'assistance technique et économique, tels
que PHARE (aide aux Pays d'Europe centrale et orientale), TACIS (aide aux
nouveaux Etats indépendants de l'ancienne URSS) et MEDA (aide aux pays
méditerranéens). La coordination entre actions européennes
et actions nationales devrait être également renforcée
ainsi que la coordination entre le programme-cadre et les autres actions
européennes de recherche, en particulier EUREKA.
La volonté affirmée de flexibilité vise naturellement
à permettre à l'Union de faire face rapidement à
l'émergence éventuelle de nouveaux besoins en cours de
réalisation du programme-cadre. L'adaptation du quatrième
Programme-cadre pour faire face à l'épidémie
d'encéphalopathie spongiforme bovine s'est en effet avérée
très difficile. La Commission européenne propose donc de ne pas
programmer dès le départ l'affectation de la totalité des
moyens des programmes spécifiques afin qu'une marge de manoeuvre puisse
exister pendant la réalisation du programme. La Commission ajoute, mais
sans plus de précisions, que, "
réciproquement, il devra
pouvoir être mis fin à des actions qui se seraient
révélées de trop faible impact
".
2. Les instruments
En ce qui concerne les instruments qui seront utilisés
pour la mise en oeuvre du nouveau programme, les
actions indirectes
resteront les principales modalités d'intervention de la
Communauté, en particulier les actions à frais partagés
entre la Communauté et d'autres sources de financement.
Le principe des actions à frais partagés constitue une garantie
de la qualité de la recherche entreprise. Selon les cas, la
Communauté européenne prend en charge 35 % ou 50 % des
projets qui sont retenus. De sorte que, pour une entreprise, la participation
à un projet est de toute façon coûteuse. Cela permet
d'éviter que soient lancées des actions n'ayant pas de
véritable intérêt.
Toutefois, la Communauté mène également des
actions
directes de
recherche
, par l'intermédiaire du Centre Commun
de Recherche (CCR). Ce centre est composé de quatre instituts ayant des
compétences diverses et situés à Ispra, Karlsruhe, Petten
et Geeel. Les recherches de ce centre dans le cadre du cinquième
Programme-cadre devraient être axées sur le thème suivant :
" La recherche au service de l'individu et des citoyens " et
comporter des actions dans les domaines de la santé, la
sécurité, l'environnement, la protection des consommateurs, la
lutte contre la fraude.
Enfin, la Commission européenne affirme sa volonté de mettre en
oeuvre les articles 130 K, 130 L, 130 N du Traité instituant la
Communauté européenne, qui prévoient des
possibilités de coopération entre certains Etats membres
seulement avec l'aide de la Communauté et la création
d'entreprises communes ou de toute autre structure nécessaire à
la bonne exécution des programmes de recherche. Toutefois, les
modalités de mise en oeuvre de ces dispositions ne sont pas
évoquées. Il est vrai que l'application de ces articles
dépend avant tout de la volonté des Etats.
B. LES PRIORITÉS DU CINQUIÈME PROGRAMME-CADRE
La Commission européenne propose donc que trois
programmes thématiques soient mis en oeuvre :
- Découvrir les ressources du vivant et de
l'écosystème
Ce programme a pour objet d'améliorer la qualité de la vie et de
la santé et de mieux maîtriser les problèmes affectant
l'environnement.
Six actions-clés sont proposées pour mettre en oeuvre ce
programme :
· santé et alimentation ;
· maîtrise des maladies virales et autres maladies infectieuses ;
· l'" usine cellulaire " ;
· gestion et qualité de l'eau ;
· interaction santé / environnement ;
· développement intégré de l'espace rural et
côtier.
Chaque action-clé fait l'objet d'une définition destinée
à délimiter son champ d'application. Ainsi l'action-clé
" gestion et qualité de l'eau " est définie de la
manière suivante :
"
Cette action-clé a pour objectif de produire les connaissances
et les technologies nécessaires à la gestion rationnelle des
ressources en eau, destinées aux besoins domestiques, à ceux de
l'industrie et de l'agriculture. Parmi les activités concernées
en priorité :
* les technologies de traitement et d'assainissement,
* les technologies de contrôle de la qualité et de niveau des
nappes phréatiques et des eaux de surface,
* les systèmes de surveillance, d'alerte et de communication,
* les technologies de régulation des stocks et les technologies pour les
zones arides et semi-arides
".
Ce programme donnera en outre lieu à des activités de recherche
et de développement de technologies génériques, en
particulier dans les domaines de la lutte contre les maladies et les
problèmes de santé liés à l'âge, de
l'amélioration des systèmes de santé, de la lutte contre
les risques naturels et technologiques moyens...
- Développer une société de l'information conviviale
Ce programme a pour objet essentiel de développer les technologies de
l'information dans les domaines du commerce, du travail, des transports, de
l'environnement, de l'éducation et de la formation, de la santé
et de la culture.
Quatre actions-clés sont proposées pour mettre en oeuvre ce
programme :
· les systèmes et services pour le citoyen ;
· les nouvelles méthodes de travail et le commerce
électronique ;
· le contenu multimédia ;
· les technologies et les infrastructures essentielles.
- Favoriser une croissance compétitive et durable
Ce programme a pour objet de développer et diffuser les connaissances et
les technologies pour concevoir, mettre au point des procédés et
fabriquer des produits " propres " et de qualité,
compétitifs sur le marché de demain. La réalisation de cet
objectif pose, en particulier pour le développement de systèmes
et services énergétiques performants ainsi que de systèmes
de transport économiques, sûrs, respectueux de l'environnement et
du cadre de vie.
Six actions-clés sont proposées pour mettre en oeuvre ce
programme :
- produits, procédés, organisation ;
- mobilité durable et intermodalité ;
- nouvelles perspectives pour l'aéronautique ;
- les technologies de la mer ;
- systèmes et services énergétiques avancés ;
- la ville de demain.
Les trois programmes horizontaux proposés par la Commission sont les
suivants :
- Affirmer le rôle international de la recherche communautaire
Il s'agit pour l'essentiel de mettre en place des actions de coopération
entre organismes et chercheurs des pays tiers et de la Communauté et de
développer des activités avec des pays avec lesquels l'Union
entretient des liens particuliers : pays d'Europe centrale et orientale, pays
tiers méditerranéens, nouveaux Etats indépendants, pays en
développement.
- Innover et faire participer les PME
Il s'agit notamment de permettre aux PME d'accéder plus facilement aux
possibilités offertes par le programme-cadre et d'améliorer
l'accès des PME aux instruments de financement, de l'innovation et de
soutien à la création d'entreprises innovantes (ingénierie
financière, capital-risque).
- Accroître le potentiel humain
Ce programme a pour objectif essentiel de renforcer le soutien à la
formation et à la mobilité des chercheurs.
Le programme-cadre de la Communauté européenne, si la proposition
de la Commission était adoptée, comporterait donc six programmes
spécifiques et seize actions-clés.
Cette proposition est complétée par une proposition de
programme-cadre de la Communauté européenne de l'énergie
atomique (EURATOM). Ce programme devrait porter sur la fusion
thermonucléaire contrôlée et les systèmes
énergétiques liés à la fission nucléaire.
La Commission a donc voulu tenir compte des recommandations formulées
par le groupe d'experts chargé d'évaluer le quatrième
Programme-cadre.
La proposition de cinquième Programme-cadre est
marquée par une réelle volonté de concentration des
actions, qui se manifeste dans la réduction forte du nombre de
programmes proposés.
Cette concentration aura pour corollaire une procédure d'adoption moins
lourde. Le quatrième Programme-cadre avait nécessité
vingt-cinq décisions du Conseil de l'Union européenne. Le
cinquième Programme-cadre, si la structure proposée est
conservée, nécessitera quant à lui treize décisions
(une décision pour l'adoption du programme-cadre lui-même et une
pour l'adoption du programme-cadre Euratom ; six décisions pour les
programmes thématiques et horizontaux ; deux décisions pour les
activités du Centre Commun de Recherche ; deux décisions pour les
règles de participation, enfin une décision spécifique
pour les activités du programme " Promouvoir une croissance
compétitive et durable " en matière d'énergie
nucléaire).
La proposition de programme-cadre est maintenant sur la table du Conseil de
l'Union européenne. Elle doit être adoptée selon la
procédure de co-décision entre le Conseil et le Parlement
européen.
III. LA PERSISTANCE DE NOMBREUSES INTERROGATIONS
Si la proposition de cinquième Programme-cadre est marquée par une salutaire volonté de changement par rapport aux précédents programmes, elle n'en soulève pas moins de nombreuses questions auxquelles le Sénat ne peut être indifférent.
A. EVITER LES ERREURS DU PASSÉ
1. Procédure et calendrier d'adoption
Le Traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997,
prévoit qu'à l'avenir le programme-cadre de recherche et de
développement technologique sera adopté à la
majorité qualifiée au sein du Conseil. Si le Traité
d'Amsterdam contient une disposition heureuse, c'est incontestablement
celle-ci. Votre rapporteur a évoqué précédemment
les effets désastreux de l'unanimité en matière de
recherche. Cependant, le Traité d'Amsterdam n'entrera pas en vigueur
avant de nombreux mois. Le Danemark a déjà annoncé son
intention d'organiser un référendum le 28 mai 1998.
Or, la Commission européenne, dans sa proposition, indique que
"
pour pouvoir commencer à assurer la mise en oeuvre du
cinquième Programme-cadre dès le début de 1999 (le
quatrième Programme-cadre s'achevant à la fin de 1998), ... un
calendrier très rigoureux doit être respecté. Le
cinquième Programme-cadre devrait ainsi être adopté par le
Conseil et le Parlement, en codécision, dans le cours du premier
trimestre de 1998, les programmes spécifiques l'étant par le
Conseil (sur avis simple du Parlement européen) dès
l'été 1998 ".
Cet objectif paraît d'ores et déjà hors d'atteinte, le
Parlement européen ayant décidé de se prononcer en
première lecture en décembre prochain. La question qui se pose
est celle de savoir s'il est préférable de tenter d'obtenir une
adoption rapide du programme à l'unanimité des Etats membres ou
d'attendre l'entrée en vigueur du nouveau traité afin d'appliquer
la procédure de la majorité qualifiée. Cette seconde
hypothèse risque de conduire à une rupture dans la mise en oeuvre
de la politique communautaire de la recherche.
Dans sa proposition, la Commission européenne évoque
l'hypothèse selon laquelle le Conseil pourrait décider
d'anticiper la ratification du traité d'Amsterdam et agir comme si la
règle de la majorité qualifiée était d'application.
Il existe en cette matière un précédent. Dans le domaine
du marché intérieur, le Conseil des ministres a commencé
à appliquer les procédures prévues par l'Acte unique
européen avant que celui-ci soit entré en vigueur. Toutefois,
cette acceptation tacite peut à tout moment être remise en cause
si un désaccord grave surgit entre certains Etats membres.
Quoi qu'il arrive, votre rapporteur estime qu'il est nécessaire
d'être ambitieux dans le domaine de la recherche communautaire et
souhaite que la recherche d'un compromis acceptable par tous ne soit pas un
prétexte pour revenir à des pratiques que la proposition de
cinquième Programme-cadre entend précisément abolir. La
crédibilité de la politique communautaire de la recherche
dépend largement de l'équilibre auquel parviendra le Conseil.
2. L'objectif de concentration menacé
La proposition de programme présentée par la
Commission européenne est caractérisée par un effort de
concentration des actions afin d'éviter le " saupoudrage "
qui
a marqué les précédents programmes. Cependant,
indépendamment de la procédure de décision
appliquée, il conviendra d'être très vigilant pour
éviter une dilution des actions. En effet, il ne suffit pas que le
nombre de programmes créés soit réduit pour
réaliser une réelle concentration des efforts. Le
" saupoudrage " risque en effet de réapparaître au
niveau du nombre des actions-clés. En outre, si ces actions-clés
sont définies de manière trop large, tout l'effort de
concentration réalisé au niveau des programmes sera réduit
à néant. Cette question est l'enjeu majeur des
négociations qui se sont ouvertes entre les Etats membres au printemps
dernier.
Votre rapporteur croit savoir qu'au cours des premières
négociations intervenues au sein du Conseil des ministres, tous les
Etats ont salué la volonté de concentration des actions
affirmée par la Commission européenne. Beaucoup d'entre eux ont
cependant estimé que d'autres actions seraient utiles, par exemple sur
les biens culturels, la forêt, la citoyenneté européenne,
l'économie sociale, le vieillissement, les nouveaux chercheurs ou la
bio-diversité... Il faut bien constater qu'il est difficile de chasser
le naturel.
Comme l'a noté la Commission européenne dans sa communication
"
Inventer demain
", "
A chaque
programme-cadre se
pose la question du " saupoudrage "
de projets et de
ressources. Il s'est également avéré difficile
d'intégrer des nouveautés surgies en cours d'exercice, sans
parler de l'aptitude réduite à mettre un terme à certaines
activités, qui, chacune, correspondent de facto à une audience
particulière ".
Cette réflexion vaut pour les Etats membres, tentés d'imposer
des sujets qui leur importent afin d'obtenir des financements communautaires.
Elle vaut également pour la Commission européenne
elle-même. Elle est en effet chargée de gérer l'ensemble
des actions prévues par le programme-cadre et les services
concernés n'acceptent pas aisément que les projets qu'ils
gèrent soient remis en cause.
Pour l'avenir, il conviendra donc d'être particulièrement vigilant
afin que la concentration des actions ne reste pas qu'un mot. Une politique
communautaire dans le domaine de la recherche n'a un sens que si les actions
entreprises se caractérisent par une réelle valeur ajoutée
européenne. Le principe de subsidiarité doit inspirer cette
politique de manière constante.
Il s'agit là de l'objectif
essentiel que le Gouvernement français devrait défendre dans des
négociations en cours.
Parallèlement, il convient d'entamer une réflexion sur les liens
entre la politique de la recherche et la politique structurelle.
Votre
rapporteur estime que la mise à niveau des pays membres de l'Union
connaissant encore un retard de développement dans le domaine de la
recherche doit relever de la politique des fonds structurels
. Si ce type
d'actions est inscrit dans le programme-cadre de recherche, cela ne peut que
pénaliser le niveau global de la recherche dans la Communauté.
Les montants alloués aux fonds structurels sont environ dix fois plus
importants que les crédits accordés à la politique de
recherche, ce qui justifierait que certaines actions de recherche
destinées à renforcer la cohésion de l'Union soient
accomplies dans ce cadre.
D'ores et déjà, certaines des actions mises en oeuvre dans le
cadre des fonds structurels visent à favoriser l'innovation, notamment
l'article 10 du Fonds européen de développement
régional (FEDER). La Commission européenne estime à cet
égard qu'il convient "
d'encourager les Etats membres à
consacrer une plus large part des ressources structurelles à la
recherche, afin d'assurer les conditions propices à l'essor rapide de
leur potentiel d'excellence scientifique, et confirmer le rattrapage qui s'est
amorcé
"
(4(
*
))
. Des initiatives en
ce sens doivent maintenant être prises parallèlement au processus
d'adoption du cinquième Programme-cadre, afin d'éviter que
celui-ci serve à financer des actions qui relèvent de la
politique de cohésion.
3. La gestion du programme
La gestion des précédents programmes-cadres a
fait l'objet de critiques. La Commission européenne souhaite donc
modifier la situation et formule pour ce faire quelques propositions
destinées en particulier à améliorer les délais de
traitement des dossiers. La conclusion principale qu'elle tire est la
suivante : "
Pour obtenir des gains de temps substantiels
dans le
traitement des dossiers, et, plus largement, pour accroître
l'efficacité globale de la mise en oeuvre du programme-cadre, il ne peut
en définitive y avoir d'autre solution que de donner à la
Commission les moyens d'exercer pleinement le pouvoir d'exécution des
programmes qui lui est conféré ".
Cette affirmation peut susciter un légitime étonnement. La
Commission européenne dispose, d'ores et déjà, de
très larges pouvoirs en matière d'exécution des programmes
de recherche. Elle élabore pour chaque programme spécifique un
programme de travail, elle met en place les procédures d'appels d'offres
et établit la liste des projets sélectionnés ainsi qu'une
liste de réserve destinée à faire face à
d'éventuelles défections. Enfin, elle négocie l'ensemble
des contrats passés avec les organismes participant à des projets
retenus.
Pour chaque programme spécifique, un comité composé de
représentants des Etats membres est chargé d'assister et
d'encadrer la Commission. Ces comités sont des comités
réglementaires parfois qualifiés de comités IIIA
(5(
*
))
, c'est-à-dire qu'en cas de désaccord
entre la Commission et un comité, la décision est renvoyée
au Conseil de l'Union européenne. Ces comités rendent un avis sur
le programme de travail élaboré par la Commission, sur les appels
d'offres qu'elle s'apprête à lancer, enfin sur les listes de
projets retenus. En revanche, ils n'ont aucun droit de regard sur la
négociation des contrats. Il paraît difficile de qualifier ce
contrôle des activités de la Commission européenne
d'excessivement rigide.
En 1995, dans le rapport qu'elle a publié sur le fonctionnement du
Traité sur l'Union européenne, la Commission a
évoqué le fonctionnement de ces comités chargés de
l'assister dans ses tâches d'exécution et a indiqué
" ...
la Commission considère que les procédures
d'exécution fonctionnent et ne représentent pas d'obstacles
moyens à l'action d'exécuter comme le suggèrent les
chiffres suivants :
à Nombre de comités existants |
Environ 200 |
d'un type pouvant bloquer une décision |
30 |
Dans les toutes dernières années, sur plusieurs milliers d'avis : |
|
à Nombre de recours d'une décision devant le Conseil |
6 |
à Nombre de cas de blocage (absence de décision) |
0 |
Il est donc difficile d'attribuer à ces comités
la responsabilité des pesanteurs qui affectent le fonctionnement du
programme-cadre. Le groupe d'experts chargé d'évaluer le
quatrième Programme-cadre a d'ailleurs estimé que la phase la
plus problématique en termes de délais était celle de la
négociation des contrats, dans laquelle les comités n'ont aucun
rôle. Le nombre des comités existants devrait être
réduit, compte tenu de la réduction du nombre de programmes
proposée par la Commission européenne.
En revanche, il ne
paraît pas opportun de limiter le rôle de ces comités qui
constituent un instrument permettant au Conseil de l'Union européenne,
détenteur d'une forte légitimité démocratique,
d'exercer un contrôle souple sur l'action conduite par la Commission
européenne.
Autant le vote à l'unanimité du Conseil sur le programme-cadre
apparaît clairement comme un facteur de dilution et de paralysie de la
politique communautaire de la recherche, autant les comités qui
entourent la Commission dans ses tâches de gestion présentent une
véritable utilité et ne paraissent guère porter atteinte
à l'efficacité des politiques communes.
B. UNE PROPOSITION INDISSOCIABLE DE L'AGENDA 2000
1. La question budgétaire
La proposition de cinquième Programme-cadre soumise
à l'Assemblée nationale et au Sénat au titre de l'article
88-4 de la Constitution ne contient pas la proposition d'enveloppe
financière pour ce programme. Le programme-cadre devant fonctionner
jusqu'en 2003, la Commission européenne a estimé qu'elle ne
pourrait présenter une proposition qu'après la
présentation de l'Agenda 2000, qui concerne notamment les perspectives
financières de l'Union européenne à partir de l'an 2000.
Dans le document Agenda 2000, présenté en juillet 1997, la
Commission européenne affirme sa volonté de voir l'Union faire
des politiques liées à la connaissance une priorité
au-delà de l'an 2000 : "
Face aux enjeux du
développement technologique et de l'innovation et au moment où
les concurrents de l'Europe augmentent de façon significative leurs
efforts, il est vital de donner une nouvelle impulsion à l'effort
communautaire de recherche et de développement technologique. Celle-ci
doit apporter une réelle valeur ajoutée par rapport aux
programmes nationaux. C'est l'objectif principal du cinquième
Programme-cadre, qui devra bénéficier d'un renforcement de sa
dotation financière au-delà du programme en cours. L'Union doit
concentrer ses activités de recherche sur l'amélioration de la
compétitivité de l'économie européenne, favorisant
ainsi la création d'emplois nouveaux. Il est dès lors
particulièrement important que l'Europe soit capable de transformer les
percées scientifiques et technologiques en succès industriels et
commerciaux. Dans ce contexte, l'innovation par les PME est un facteur
particulièrement porteur. La création de sociétés
high-tech innovantes en Europe doit être encouragée. Par ailleurs,
l'Union doit surmonter ses retards dans la diffusion des technologies et la
propriété intellectuelle de ses découvertes
".
Tirant les conséquences de cette priorité reconnue à la
recherche, la Commission estime, dans les pages d'Agenda 2000 consacrées
au nouveau cadre financier de l'Union, que la dotation du programme-cadre
devrait progresser plus rapidement que le PNB des 15 Etats membres. A propos de
la dotation financière des politiques internes
(6(
*
))
de l'Union, la Commission tient en effet le
raisonnement suivant :
" Le développement des politiques internes au cours de la
prochaine période couverte par les perspectives financières
devrait répondre à une double préoccupation, concourant
à accroître l'efficacité des actions menées à
l'échelle communautaire. Il s'agit, en premier lieu, de concentrer les
moyens disponibles au sein des politiques internes, de manière à
éviter toute dispersion sur des actions qui ne seraient pas en mesure
d'atteindre un impact significatif. En même temps, un certain nombre de
programmes, prioritaires en raison de la valeur ajoutée
générée par une intervention à l'échelle
communautaire, notamment des points de vue de la croissance et de l'emploi
ainsi que du développement et de la diffusion de nouvelles technologies,
devraient voir leurs dotations progresser plus rapidement que le PNB. Il
s'agirait essentiellement des réseaux transeuropéens, de la
recherche et de l'innovation, de l'éducation, de la formation, de la
mise en oeuvre de technologies respectueuses de l'environnement, des actions en
faveur des PME.
Indépendamment de l'élargissement, une telle réorientation
des politiques internes pourrait se traduire, au total, par une progression du
plafond de la rubrique 3 légèrement supérieure à
celle du PNB des quinze Etats membres "
.
Compte tenu de cette orientation formulée dans l'Agenda 2000, la
Commission européenne a présenté le 11 août 1997,
une proposition d'enveloppe financière par le cinquième
Programme-cadre. Dans ce document, elle a estimé nécessaire que
l'enveloppe financière du programme-cadre connaisse une croissance
significative par rapport au simple maintien du pourcentage du PNB.
Elle a
donc proposé que cette progression soit de 3 % et que l'enveloppe
du programme-cadre soit en conséquence de 16,3 milliards d'Ecus,
sur la base des évaluations prévisionnelles du PNB.
Le tableau suivant retrace la manière dont serait répartie cette
enveloppe financière :
Cinquième
Programme-cadre (1998-2002)
|
|
Millions d'Ecus
|
|
· Première action (programmes de recherche, de développement technologique et de démonstration) |
11775 (1) |
· Deuxième action (coopération avec les pays tiers et les organisations internationales) |
491 (1) |
· Troisième action (diffusion et valorisation des résultats) |
350 (1) |
· Quatrième action (stimulation de la formation et de la mobilité des chercheurs) |
1402 (1) |
Montant global maximal |
14 833 (2) * |
Répartition indicative entre
les thèmes de la
première action (en millions d'écus) :
|
3 925 (1) |
- développer une société de l'information conviviale |
3 925 (1) |
- favoriser une croissance
compétitive
|
3 925 (1) |
11 775 (1) |
|
(1)
)Le
montant pour les actions du CCR exclu.
|
Les propositions de la Commission européenne pour le
budget du cinquième Programme-cadre appellent quelques remarques.
La Commission indique que la recherche doit être l'une des politiques
prioritaires de l'Union et qu'il conviendra d'éviter la dispersion des
crédits communautaires sur des actions qui ne seraient pas en mesure
d'atteindre un impact significatif. L'objectif est louable, mais l'examen des
propositions d'actes communautaires présentées au cours des
dernières années montre que dans ce domaine, beaucoup de chemin
reste à parcourir. La Délégation du Sénat pour
l'Union européenne a souvent dû constater que certains programmes
présentés par la Commission européenne ne paraissaient
guère susceptibles d'obtenir un effet quelconque, compte tenu de la
modestie des crédits affectés.
Cette remarque s'applique en particulier à certains programmes
lancés dans le domaine social (Pauvreté) ou dans le domaine de la
santé (programme relatif à la prévention des blessures,
programme relatif à la prévention des maladies liées
à la pollution...).
Le tableau ci-après retrace, à titre indicatif, la
répartition des crédits attribués en 1997 aux politiques
internes de l'Union européenne.
Le budget des politiques internes en 1997 (en millions d'écus) |
|||
Recherche |
3.500 |
Pêche et mer |
46 |
Réseaux Transeuropéens |
481,2 |
Energie |
38,1 |
Education, formation, jeunesse |
380,4 |
Informations/statistiques |
28,2 |
Marché intérieur |
237,0 |
Autres actions régionales |
22 |
Autres actions sociales |
188,9 |
Transports |
21,6 |
Autres actions agricoles |
171,9 |
Lutte contre la fraude et dépenses d'appui |
20,0 |
Environnement |
131,8 |
Protection des consommateurs |
19,1 |
Audiovisuel et culture |
112,9 |
Sécurité nucléaire Euratom |
15,8 |
Information et communication |
110,8 |
Politique de coopération, Justice et affaires intérieures |
13,1 |
Industrie |
84,3 |
Aides à la reconstruction |
3,9 |
Il est clair qu'un effort de concentration des actions de
l'Union sur les domaines dans lesquels elle peut apporteur une valeur
ajoutée réelle est désormais indispensable.
La recherche fait partie des politiques pour lesquelles une action
communautaire peut avoir des conséquences positives. On peut donc
approuver la volonté de la Commission européenne d'en faire une
priorité pour les années à venir, à condition que
des propositions précises soient faites pour mettre fin à des
actions beaucoup moins pertinentes. Ainsi, globalement, les crédits
affectés aux politiques internes de l'Union pourraient demeurer stables
en pourcentage du PNB dans le cadre des prochaines perspectives
financières. Cette orientation ne préjuge naturellement en rien
des positions que sera conduite à prendre la délégation du
Sénat pour l'Union européenne au cours des prochaines semaines
sur les perspectives financières.
Il semble en tout état de cause difficile de déterminer
l'enveloppe financière du programme-cadre avant que les discussions sur
les perspectives financières aient progressé. Il s'agit d'un
facteur susceptible de retarder l'adoption du programme-cadre, mais on
perçoit mal comment le budget du programme-cadre pourrait être
totalement disjoint des discussions sur les perspectives financières. Il
conviendra au minimum que le Conseil de l'Union ait dégagé des
orientations sur les futures perspectives avant que le programme-cadre soit
définitivement entériné.
2. La perspective de l'élargissement
A l'heure actuelle, les pays d'Europe centrale et orientale
sont associés au programme-cadre par l'intermédiaire du programme
spécifique INCO (Coopération avec les pays-tiers). L'avenir des
relations avec les pays appelés à adhérer à l'Union
européenne n'est pas évoqué dans l'exposé des
motifs de la proposition de cinquième Programme-cadre. En revanche, dans
la présentation de la deuxième action de ce programme-cadre,
intitulée : "
Affirmer le rôle international de la
recherche communautaire
", la Commission indique que l'un des
objectifs de cette action est "
de préparer l'adhésion
des Pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO) associés
". Pour
ces pays comme pour quelques autres, la Commission européenne propose
une "
pleine association au programme-cadre : participation et
financement par la Communauté des entités de pays tiers dans des
conditions similaires à celles des entités des Etats membres
(EEE, certains PECO, Israël, Suisse)
".
Le moins qu'on puisse dire est qu'une telle formulation laisse un grand nombre
de questions sans réponses. En effet, il est aujourd'hui difficile de
mesurer l'importance des problèmes que connaissent les pays d'Europe
centrale et orientale appelés à adhérer à l'Union
européenne dans le domaine de la recherche et du développement
technologique. Dans ses avis sur les demandes d'adhésion de ces pays
à l'Union européenne, la Commission ne consacre que quelques
lignes à ce sujet. Il apparaît cependant que les dépenses
consacrées à la recherche ont diminué de manière
importante au cours des dernières années pour atteindre par
exemple en 1995 1,21 % du PIB en République tchèque
(2,12 % en 1991), 0,8 % en Pologne et 0,78 % en Hongrie
(1,07 % en 1991). Il est pour l'heure difficile de savoir si ces pays sont
réellement en mesure de participer à de nombreux projets de
recherche au niveau communautaire.
On peut, de plus, se demander si les règles de propriété
intellectuelle sont suffisamment développées dans ces pays pour
éviter l'évasion d'informations sensibles.
Surtout, les modalités de cette " pleine association " de
certains pays d'Europe centrale et orientale au programme-cadre ne sont pas
précisées. Il paraît difficile de leur demander d'apporter
une contribution financière pleine et entière à la
conduite de cette politique. D'après les informations que votre
Rapporteur a pu recueillir, la Commission européenne envisagerait une
formule de financement dégressif, en vertu de laquelle l'Union
européenne prendrait en charge une partie substantielle de la
contribution des Pays d'Europe Centrale et Orientale en début de
période pour confier progressivement à ces pays le soin d'assurer
eux-mêmes cette contribution. On peut s'interroger sur la nature des
fonds qui seraient consacrés au financement de la contribution des Pays
d'Europe Centrale et Orientale. S'agit-il de prélever des crédits
attribués au programme PHARE ? D'autres sources de financement
sont-elles envisageables ?
Votre Rapporteur estime qu'une
réflexion approfondie doit encore être conduite sur ce sujet. On
peut en effet se demander si une association partielle - dans l'attente de
l'adhésion - n'est pas préférable à une
formule qui conduirait à retirer des fonds à d'autres actions
communautaires en direction des mêmes pays.
C. ÉVALUATION ET CONTRÔLE
La Commission européenne souhaite que les fonds
communautaires consacrés à la recherche augmentent
substantiellement au cours des prochaines années. Une telle perspective
conduit nécessairement à se poser la question du contrôle
et de l'évaluation des actions entreprises dans le cadre de cette
politique. En ce qui concerne l'évaluation du programme-cadre, la
Commission propose pour le cinquième Programme-cadre un examen annuel de
l'état de réalisation du programme. Cet examen serait
effectué par la Commission elle-même, assistée d'experts
indépendants. En outre, une évaluation complète du
programme serait réalisée par " des experts
indépendants de haut niveau " avant la présentation du
sixième Programme-cadre. Dans les deux cas, les experts seraient choisis
par la Commission en tenant compte "
de façon
équilibrée des différents acteurs de la
recherche
".
On peut se demander si ces modalités d'évaluation sont pleinement
satisfaisantes. L'évaluation du quatrième Programme-cadre
réalisée par le groupe d'experts présidée par M.
Etienne Davignon est incontestablement marquée par une grande
indépendance. Elle devait permettre d'améliorer substantiellement
les modalités de mise en oeuvre du prochain programme-cadre. Toutefois,
dans certains cas, il apparaît qu'une évaluation par des experts
désignés par la Commission européenne, n'est
peut-être pas le moyen le plus sûr de remettre en question des
actions qui s'avéreraient d'un intérêt limité. Une
évaluation plus indépendante paraîtrait
particulièrement utile pour le Centre Commun de Recherche (CCR),
c'est-à-dire pour l'action directe de la Communauté en
matière de recherche. Le CCR est un organisme qui a fait preuve de son
utilité en tant qu'instrument d'expertise neutre vis-à-vis des
Etats membres. Toutefois, il semble que ses activités présentent
un intérêt variable et que ses compétences soient parfois
utilisées pour la préparation de textes législatifs
communautaires, en particulier dans le domaine de l'environnement, ce qui n'est
pas la vocation d'un organisme de recherche.
Peut-être conviendrait-il de réfléchir à des
formules d'évaluation plus indépendantes de la Commission
européenne. La confusion entre les tâches de gestion et les
tâches d'évaluation risque toujours de faire peser un
soupçon de partialité sur ces évaluations, même si
l'évaluation du quatrième Programme-cadre vient démentir
cette affirmation.
En ce qui concerne le contrôle des dépenses effectuées dans
le cadre de cette politique, il semble là encore que des
améliorations puissent être apportées. Dans son rapport
relatif à l'exercice 1995, la Cour des Comptes des Communautés
européennes a estimé à propos de la politique de la
recherche : "
(...) il faut souligner que le nombre de
contrôles sur place entamés par la Commission reste insuffisant.
Ainsi, seulement 60 contrôles couvrant 144 contrats ont
été effectués sur les quelques 13 500 contrats en cours en
1995
"
(7(
*
))
. La Cour ajoutait que
certains
contractants faisaient l'objet de contrôles de la part d'organismes
mandatés par les Etats membres, mais que les informations relatives
à ces contrôles n'étaient pas toujours transmises à
la Commission européenne.
Dans la perspective du nouveau programme-cadre, dont chacun souhaite qu'il
marque un tournant dans la politique communautaire de la recherche, il serait
souhaitable à la fois de renforcer le contrôle des dépenses
effectuées dans ce cadre et d'améliorer la coopération
entre la Commission européenne et les autorités
compétentes des Etats membres en ce domaine.
D. LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE, TALON D'ACHILLE DE L'UNION EUROPÉENNE ?
Les questions relatives à la propriété
intellectuelle ne sont à aucun moment évoquées dans la
proposition de cinquième Programme-cadre présentée par la
Commission européenne. Il semble pourtant que cette question
préoccupe un grand nombre des participants aux programmes de recherche
de la Communauté.
Plusieurs phénomènes se conjuguent, qui conduisent certains
à qualifier la Communauté européenne de "
passoire
technologique
". En premier lieu, la logique des programmes
communautaires conduit souvent à faire travailler ensemble un grand
nombre de partenaires, situation propice à l'évasion des
informations.
En second lieu, la Communauté a signé des accords de
coopération scientifique et technique avec de nombreux pays (non
seulement les Pays d'Europe centrale et orientale, mais également
Israël, l'Australie, la Suisse, le Canada...). Il n'est pas certain que
ces accords offrent une réciprocité totale aux entreprises ou
organismes de recherche européens qui souhaiteraient participer à
des appels d'offres dans les pays partenaires.
La Communauté s'apprête à signer un tel accord avec les
Etats-Unis. Là encore, il n'est pas certain que toutes les
précautions aient été prises en termes de
réciprocité. En outre, les règles de dépôt
des brevets ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis et en Europe, ce qui
crée une certaine insécurité juridique. Enfin, certaines
filiales d'entreprises américaines installées en Europe
participent à des programmes communautaires. Ces sociétés
estiment que, dans la mesure où elles apportent des informations
provenant de leur maison-mère pour la réalisation de la
recherche, elle peuvent ensuite faire bénéficier cette
maison-mère des résultats de cette recherche.
L'ensemble de ces phénomènes entache la crédibilité
des programmes de recherche communautaires. Le problème est réel
car il risque de porter atteinte à l'excellence scientifique de la
recherche communautaire. Certaines entreprises ont en effet tendance à
privilégier, dans le cadre communautaire, des recherches très en
amont ou des recherches annexes à leurs véritables
priorités afin d'éviter la fuite d'informations. D'autres
entreprises scindent leurs recherches et utilisent à la fois le cadre
communautaire, Eurêka et les budgets nationaux de manière à
pouvoir être seules à reconstituer l'intégralité des
informations issues de ces travaux. Il existe un risque que certaines
recherches essentielles ne soient pas effectuées dans le cadre
communautaire si les participants ne sont pas convaincus que le contenu
scientifique et technologique de leurs propositions sera protégé.
Pour l'avenir, il paraît donc nécessaire de
réfléchir à l'amélioration des règles de
protection des recherches effectuées dans le cadre du Programme-cadre.
Il est en outre indispensable que les accords de coopération
scientifique et technique passés avec des pays tiers offrent une
véritable réciprocité aux organismes et entreprises de la
Communauté
.
Par ailleurs, les règles de dépôt des brevets sont beaucoup
plus contraignantes et coûteuses en Europe que chez les principaux
concurrents de l'Union. Les coûts supplémentaires s'expliquent en
particulier par les coûts de traduction pour le dépôt dans
tous les pays de l'Union européenne.
Un effort de simplification des
procédures et de réduction des coûts doit donc à
l'évidence être accompli.
E. LA FLEXIBILITÉ, CLÉ DU SUCCÈS DU FUTUR PROGRAMME-CADRE
Votre Rapporteur l'a déjà indiqué, la
politique communautaire de la recherche est handicapée par des
pesanteurs qui limitent fortement sa capacité d'adaptation à des
situations nouvelles, telles que l'épidémie
d'encéphalopathie spongiforme bovine. La Commission européenne
est parfaitement consciente de cette situation et estime, dans sa proposition
de cinquième Programme-cadre, que
" du fait des contraintes
pesant sur sa mécanique décisionnelle et son fonctionnement, il
est devenu un instrument lourd à mettre en oeuvre, parfois
inadapté aux réalités et à la rapidité des
évolutions sociales, économiques et scientifiques "
.
Pour introduire de la flexibilité dans la gestion du programme, la
Commission européenne propose que la totalité des moyens des
programmes spécifiques ne soit pas immédiatement affectée
à des actions particulières. Jusqu'aux 3/5 de la vie des
programmes spécifiques, des ressources resteraient disponibles, qui
pourraient être affectées à certains thèmes dont
l'importance apparaîtrait en cours de réalisation du
programme-cadre.
Cette proposition est intéressante, mais on peut se demander s'il ne
serait pas possible d'aller plus loin dans cette flexibilité en
conservant des ressources non affectées à un programme
spécifique, qui pourraient être utilisées en cours de
programme pour faire face à des besoins nouveaux, le cas
échéant en utilisant des formes d'intervention également
nouvelles. La souplesse serait plus grande encore puisque les autorités
communautaires ne seraient pas tenues de rester dans le cadre d'un programme
spécifique pour l'affectation de ces ressources.
Cette souplesse pourrait permettre de renforcer enfin les liens entre le
programme-cadre et Eurêka. La nécessité de rapprocher ces
deux instruments est mise en avant depuis longtemps, mais ce rapprochement ne
s'est que peu manifesté jusqu'à présent, même si un
financement communautaire a pu par exemple être attribué au
programme JESSI (micro-électronique) lancé dans le cadre
d'Eurêka.
Une ligne de crédits du programme-cadre pourrait permettre à la
Communauté de financer des projets lancés dans le cadre
d'Eurêka. Cette idée se heurte aux modes de fonctionnement
différents de ces programmes. Le programme-cadre de la Communauté
repose sur une logique qui est celle des marchés publics. La logique des
projets EURÊKA est davantage celle des aides d'Etat. Certains organismes
ou entreprises de plusieurs Etats décident, sur une base volontaire, de
s'allier pour conduire une recherche et reçoivent des financements de la
part des Etats auxquels ils appartiennent.
Cette différence de logique ne paraît toutefois pas
rédhibitoire. On pourrait en effet concevoir que la Commission
européenne, dans sa tâche de gestion du programme-cadre,
décide d'attribuer des financements à des projets
stratégiques impliquant quelques acteurs seulement lorsqu'un tel projet
entre dans le cadre des objectifs du programme-cadre.
La difficulté est que, lorsqu'un financement communautaire est
apporté, la Commission entend naturellement exercer un droit de regard
et un contrôle sur la mise en oeuvre du projet. Or, dans le cadre
Eurêka, les entreprises participantes sont très soucieuses de leur
indépendance.
Une autre solution consisterait à faire prendre en charge par la
Communauté l'intégralité de certaines actions
prévues dans des projets Eurêka. La Commission gérerait
ainsi ces actions sans chevauchement de responsabilités.
Quelle que soit la formule retenue, il est souhaitable de renforcer les
synergies entre le programme-cadre et Eurêka. Les modes de fonctionnement
différents rendent ces instruments complémentaires ; cette
complémentarité doit être pleinement valorisée.
Dans le même esprit, il convient d'envisager la manière de mettre
en oeuvre les articles
130 K, 130 L et 130 N
du traité sur
l'Union européenne. Ces articles, prévoient la possibilité
de mettre en oeuvre des programmes auxquels ne participent que certains Etats
membres, éventuellement avec une participation de la Communauté,
et la création d'entreprises communes ou de toute autre structure
nécessaire à la bonne exécution des programmes de
recherche.
Ces dispositions, issues du traité de Maastricht n'ont jusqu'à
présent fait l'objet d'aucune application. Le traité d'Amsterdam
vient d'officialiser la possibilité de " coopérations
renforcées " entre certains Etats membres, même si c'est dans
des conditions relativement restrictives. Le moment est donc venu de prendre
toutes les mesures pour faciliter ces initiatives ;
elles constituent
une nouvelle forme d'action qui s'inscrit dans le cadre de la
flexibilité nécessaire à la recherche communautaire.
CONCLUSION
Après avoir examiné le présent rapport, la Délégation a approuvé le dépôt, par votre rapporteur, d'une proposition de résolution dont le texte est le suivant :
PROPOSITION DE RESOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire E 847,
Approuve les orientations proposées par la Commission européenne
pour le cinquième Programme-cadre de recherche et de
développement technologique ;
Demande au Gouvernement :
- de faire en sorte que les objectifs de réduction du nombre de
programmes thématiques et de concentration des actions de la
Communauté européenne ne soient pas réduits à
néant au cours des négociations, et que le principe de
subsidiarité soit pleinement pris en compte dans ces
négociations ;
- d'inciter la Commission européenne à prendre des initiatives
afin que la mise à niveau en matière de recherche des Etats
membres connaissant encore un retard de développement soit
assurée par les politiques structurelles et non par le programme-cadre
de recherche ;
- de s'opposer à la réduction du rôle des comités
composés de représentants des Etats membres et assistant la
Commission européenne dans ses tâches de gestion, aucun
élément ne démontrant que ces comités constituent
une entrave à l'efficacité de la politique communautaire ;
- de veiller à ce qu'une éventuelle augmentation plus rapide que
la progression du PNB du budget alloué au programme-cadre soit
intégralement compensée par une réduction des
crédits alloués à d'autres rubriques des politiques
internes ;
- d'obtenir la réalisation d'une étude approfondie des
conséquences d'une ouverture immédiate et complète du
programme-cadre aux pays d'Europe centrale et orientale dont l'adhésion
à l'Union est proposée par la Commission européenne, en
particulier en ce qui concerne les règles de propriété
intellectuelle appliquées dans ces pays et les modalités de
financement de leur participation au programme-cadre ;
- de plaider pour des modalités d'évaluation du programme-cadre,
en cours de réalisation, plus indépendantes de la Commission
européenne, en particulier pour ce qui concerne les activités
directes de recherche de la Communauté menées à travers le
Centre commun de recherche ;
- de s'assurer que les recherches entreprises dans le cadre communautaire
feront l'objet de règles rigoureuses en ce qui concerne la
propriété intellectuelle, et que les accords de
coopération passés entre la Communauté et des Etats tiers
offrent aux entreprises et organismes communautaires une pleine
réciprocité pour accéder aux programmes de recherche de
ces pays ;
- de défendre un renforcement des synergies entre EURÊKA et le
programme-cadre et la mise en oeuvre des articles 130 K, 130 L et
130 N du traité sur l'Union européenne, l'ensemble de ces
mesures devant permettre de renforcer la flexibilité de la politique de
recherche conduite au sein de l'Union.
ENTRETIENS DU RAPPORTEUR
M. Pierre AMOUYEL |
Délégué général de l'Association nationale de la Recherche Technique (ANRT) |
M. Pierre de LA CHAPELLE |
Président du groupe de travail " recherche européenne " au sein de la commission de l'innovation et de la recherche du CNPF, directeur des coopérations européennes de Thomson-CSF |
M. André SYROTA |
Directeur des sciences du Vivant au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), membre du groupe d'experts chargés de l'évaluation du quatrième Programme-cadre de recherche. |
Le rapporteur a pu en outre participer à l'audition de M. Claude ALLÈGRE, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.
EXAMEN DU RAPPORT
M. James Bordas a présenté son rapport lors de
la réunion de la Délégation tenue le 28 octobre 1997.
Au cours du débat qui a suivi, M. Denis Badré a
déclaré être en accord avec le constat dressé par le
rapporteur sur les faiblesses actuelles de la politique communautaire de la
recherche. Il a souligné que cette politique avait aujourd'hui des
effets pervers. Au niveau français, les organismes de recherche
négocient en effet avec l'administration du ministère des
Finances pour l'obtention de crédits au niveau national et
préparent dans le même temps des dossiers pour obtenir des
crédits de la Commission européenne. Dans certains cas, ces
laboratoires se voient refuser des crédits nationaux parce qu'ils ont
obtenu des crédits communautaires. A l'inverse, ils se voient parfois
refuser les crédits nationaux parce qu'ils n'ont pas reçu de
crédits communautaires et que l'on estime que ce refus est la preuve du
manque d'intérêt de leur projet. Tout cela conduit à une
concurrence entre le niveau national et le niveau communautaire alors que des
synergies seraient nécessaires.
M. Denis Badré a plaidé pour la mise en place d'une
véritable politique européenne de la recherche ne consistant pas
à faire de la recherche européenne. Il s'agit de définir
au niveau communautaire un certain nombre de priorités et de retenir des
moyens incitatifs pour que les Etats membres soient sensibilisés
à ces priorités et les mettent en oeuvre. Dans ce contexte, il
est essentiel de favoriser toutes les actions permettant aux chercheurs de
travailler ensemble.
M. Michel Barnier a souligné l'importance du passage à la
majorité qualifiée, prévu par le traité
d'Amsterdam, pour l'adoption du programme-cadre. Il a proposé que la
Délégation entende Mme Edith Cresson, commissaire européen
chargé de la recherche, afin de compléter son information sur la
préparation du cinquième Programme-cadre.
A propos de la proposition de résolution présentée par le
rapporteur, Mme Marie-Madeleine Dieulangard a souhaité avoir des
précisions sur la proposition consistant à faire prendre en
charge la mise à niveau en matière de recherche des pays
connaissant un retard de développement par les fonds structurels
plutôt que par le programme-cadre. Elle a approuvé la demande
d'étude approfondie sur les conséquences de la participation des
pays d'Europe centrale et orientale au programme-cadre, en soulignant les
nombreuses différences qui pouvaient exister entre les règles de
droit de ces pays et celles de l'Union européenne. Elle a enfin
interrogé le rapporteur sur l'orientation qu'il proposait pour le budget
du cinquième Programme-cadre.
M. Denis Badré a estimé que la proposition de résolution
présentée par le rapporteur permettrait des progrès dans
la mise en oeuvre du prochain programme-cadre, mais il a souhaité qu'une
réflexion globale soit, à terme, entreprise sur la
définition d'une véritable politique européenne de
recherche. Il a souhaité que cette étude soit
précédée d'une évaluation globale de l'ensemble des
actions qui ont été jusqu'à présent conduites au
niveau communautaire.
M. Denis Badré a souligné que l'Union devait favoriser les
synergies et non la concurrence entre les laboratoires, les entreprises et les
Etats. Il a fait valoir que la Commission européenne devait s'attacher
à la définition de réelles priorités et à la
préparation de programmes d'actions pour mettre en oeuvre ces
priorités.
En réponse aux intervenants, le rapporteur a souligné que les
fonds structurels soutenaient d'ores et déjà des actions
d'innovation, par exemple à travers l'article 10 du FEDER, et qu'il
proposait que ces actions soient renforcées afin que certaines actions
qui n'intéressent que les pays connaissant un retard de
développement ne soient pas prises en charge par le programme-cadre. A
propos de la dotation budgétaire du programme-cadre, il a estimé
que, compte tenu de la situation budgétaire des Etats, il conviendrait
que l'enveloppe allouée aux politiques internes ne croisse pas plus vite
que le PNB. Il en a déduit qu'une éventuelle augmentation de
l'enveloppe du programme-cadre plus rapide que le PNB devrait être
compensée par des réductions de dépenses dans d'autres
domaines.
Répondant à M. Denis Badré, le rapporteur s'est
déclaré en accord avec ses propos et a proposé de
compléter l'exposé des motifs de sa proposition de
résolution afin de mentionner la nécessité d'une
réflexion globale sur la politique communautaire de la recherche.
La Délégation a alors adopté le présent rapport et
a approuvé le dépôt, par M. James Bordas, de sa proposition
de résolution ainsi modifiée sur la proposition d'acte
communautaire E 847.
(1) Evaluation quinquennale des programmes-cadres de RDT
de
la Communauté européenne, Commission des Communautés
européennes, COM (97) 151 final, 15 avril 1997
(2) Revue des Affaires européennes n° 3, décembre 1996, p.
201
(3) JOCE C 303, 14 novembre 1995
(4) Inventer demain, Orientations pour le cinquième Programme-cadre,
p. 41.
(5) Une décision de juillet 1987 définit les différents
types de comités qui peuvent entourer la Commission européenne
dans son activité d'exécution.
(6) Dans le budget communautaire, les dépenses de l'Union sont, pour
l'essentiel, réparties en quatre rubriques : la politique agricole
commune, les actions structurelles, les politiques internes et les actions
extérieures.
(7) JOCE 96/C 340, pp. 216 - 217