D. QUATRIÈME PARTIE DE LA SESSION DE 1996 (23-26 SEPTEMBRE)

1. Discours de M. Jorge SAMPAIO, Président de la République portugaise (Lundi 23 septembre)

M. SAMPAIO remercie vivement la Présidente pour les paroles aimables qu'elle a eues à son endroit et à celui de son pays, ainsi que pour son invitation aux cérémonies commémorant l'adhésion du Portugal au Conseil de l'Europe. Il ne se retrouve pas sans émotion à Strasbourg, où il a eu la chance d'être le premier membre portugais de la Commission des Droits de l'Homme. Cette expérience a laissé en lui une empreinte indélébile : le défi, mais aussi les satisfactions étaient considérables pour un juriste qui entendait se consacrer à la défense de la dignité humaine et de la justice. C'est avec fierté qu'il se souvient de ses années de travail au service de la Convention des Droits de l'Homme, et avec plaisir qu'il reconnaît des lieux et des visages familiers.

Le Conseil de l'Europe a toujours été présent dans les périodes de crise. Dès sa fondation, il est apparu comme le premier jalon institutionnel de la construction européenne sur un continent ébranlé et désorienté. Aux guerres fratricides du passé, il a opposé le modèle d'une union démocratique et, pour les opposants portugais à la dictature, il a eu le mérite d'exclure fermement tous les régimes despotiques. Une fois la démocratie pluraliste restaurée dans le pays, celui-ci a pu reprendre en Europe la place qui lui revenait de droit. Dès lors, le Conseil a joué un rôle déterminant dans la consolidation des nouvelles institutions, notamment grâce à son expérience dans le domaine des droits de l'homme et de la coopération juridique. A son tour, le Portugal s'est attaché à moderniser et à conforter le système de la Convention des Droits de l'Homme, comme en fait foi son adhésion au Protocole 11. La coopération s'est renforcée et diversifiée, et devrait se manifester encore en 1998 à l'occasion de l'exposition universelle consacrée aux océans, "héritages naturels pour l'avenir".

Personne ne peut nier le rôle particulièrement actif que joue le Portugal au sein du Conseil : il est à la mesure de l'importance que le pays attache à ce bastion des valeurs démocratiques, à ce forum essentiel où se dessine l'avenir commun du continent. Les autorités portugaises se sont notamment attachées à protéger les droits des étrangers : une campagne est en cours pour légaliser ceux d'entre eux qui sont en situation irrégulière et les immigrés disposent du droit de vote aux élections locales. Ainsi le veulent la solidarité et l'universalisme européens ; il est indispensable de lutter contre les inégalités qui se creusent dans le monde.

C'est dans le même esprit qu'a été créé le Centre européen pour l'interdépendance et la solidarité mondiales, ouvert à Lisbonne et auquel M. Sampaio souhaite que de nouveaux pays adhèrent bientôt. Les valeurs qui font l'identité européenne exigent d'ailleurs que toutes les situations soient appréciées sur des critères identiques et, à ce propos, l'orateur exprime sa préoccupation à propos du sort fait par l'Indonésie aux habitants de Timor oriental, pour lesquels il demande le droit à l'autodétermination.

Le Conseil de l'Europe a contribué activement au processus de redémocratisation de l'Europe. Après l'effondrement du communisme, il a pu accueillir les pays de l'Est et du Centre du continent, qu'il a soutenus dans leur difficile transition. C'est grâce à cette fermeté et à cette ouverture qu'il est devenu le forum naturel où débattre de l'avenir commun. La transition est à l'évidence complexe tant la Révolution de 1989 et la réunification allemande ont modifié la carte du continent. Du jour au lendemain, tout a semblé possible : le meilleur comme le pire. Quelques années après, les attentes les plus optimistes comme les prévisions les plus pessimistes ont été déçues. L'illusion d'un triomphe complet de la démocratie accompagné d'une unification de l'Europe a été remise en cause par le drame yougoslave, mais les scénarios catastrophistes ne se sont pas non plus réalisés. On se trouve à un carrefour, où il convient de se concentrer sur trois priorités.

En premier lieu, il faut associer la Russie aux institutions et aux processus de coopération multilatérale. Dans ce pays, la transition sera longue et son cours dépendra avant tout de l'évolution interne : il ne faut pas entretenir de faux espoirs sur l'influence que peut y avoir l'Europe. Pour autant, la Fédération ne peut être tenue à l'écart. Membre fondateur de l'OSCE, admise au Conseil de l'Europe, elle est liée à l'OTAN dans le cadre du partenariat pour la paix et par sa participation aux forces de la paix en Bosnie. On ne pourra éviter des fractures dans le continent que si on l'associe à la définition des équilibres régionaux.

La deuxième priorité est l'intégration graduelle des Etats de l'Europe centrale et orientale dans les institutions européennes et occidentales. Il y va de la consolidation de la démocratie sur leur territoire et de la sécurité européenne. Leur intégration à l'Union européenne et à l'Alliance atlantique sera sûrement difficile, mais il ne faut pas laisser passer une occasion rare de réaliser l'unité, au service de la paix et de la sécurité.

Enfin, il faut renforcer les institutions multilatérales régionales reposant sur une société ouverte. La stagnation ou la paralysie dans ce domaine marqueraient un déclin de la construction européenne face aux risques de fragmentation.

Il serait irresponsable de laisser proliférer des tendances susceptibles de mettre en cause la stabilité de la démocratie. C'est pourquoi, il est indispensable de mettre sur pied des institutions multilatérales chargées de représenter l'idéal européen.

En tant que symbole des principes démocratiques européens, le Conseil de l'Europe a un rôle primordial à jouer dans l'établissement de la sécurité sur le continent. Il doit agir en collaboration étroite avec l'Union européenne et l'OSCE. L'idée européenne ne peut être enfermée dans une vision étroite. Le Conseil de l'Europe tient une place éminente en vue d'un approfondissement, en ce qu'il reflète la richesse de l'Europe et est le mieux placé pour définir les grandes orientations de l'Europe future.

La démocratie a besoin des sciences afin de promouvoir l'esprit critique. Pour maintenir la légitimité de l'ordre démocratique, les associations de citoyens jouent un rôle essentiel. Il faut dès lors mobiliser ceux-ci dans la défense des idéaux du Conseil de l'Europe et répondre à leurs aspirations légitimes.

Le Conseil de l'Europe a entrepris des efforts sérieux pour coordonner les actions des différentes organisations européennes. Il faut aller encore plus loin, pour répondre aux grands défis posés par l'exclusion sociale, ce revers de la compétitivité économique, et éviter que ne s'installe une société dualiste et affaiblie. A cet égard, il est important de revaloriser les notions d'associations et de services publics, afin de défendre les valeurs de toujours, avec les moyens technologiques de notre époque.

Aucune démocratie n'est parfaite. Il existera toujours un écart entre le droit et son application. C'est pourquoi il est important de manifester en permanence une extrême rigueur.

Le respect de la personne humaine amène le Président Sampaio à lancer un appel solennel en faveur de l'abolition complète de la peine de mort sur le continent européen.

Il y a vingt ans, le Portugal est devenu le 19ème membre du Conseil de l'Europe. Face à l'élargissement de celui-ci, M. Sampaio réitère aujourd'hui sa confiance dans l'avenir de l'Europe.

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