10. La demande d'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe - Interventions de MM. Jacques BAUMEL, député (RPR), Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), Jean de LIPKOWSKI, député (RPR), Nicolas ABOUT, sénateur (Ap. RI), Jean BRIANE, député (UDF), et Jean SEITLINGER, député (UDF) (Jeudi 25 janvier)
Compte tenu de la poursuite des réformes juridiques,
politiques et économiques en Russie, selon le rapporteur, les assurances
données par les autorités russes -notamment pour la recherche
d'une solution politique du conflit en Tchétchénie- et des
engagements auxquels elles ont souscrit, la Commission politique recommande
à l'Assemblée de voter en faveur d'une invitation de la Russie
à devenir membre du Conseil de l'Europe.
Parallèlement, elle suggère que l'Assemblée renforce ses
procédures et moyens de contrôle du respect des obligations et
engagements. Une liste des engagements contractés par la Russie figure
dans le projet d'avis.
Enfin, la Commission politique recommande que dix-huit sièges soient
attribués à la Russie. Elle propose également que le
Comité des ministres adapte les moyens et les capacités de
l'Organisation aux conséquences de cette adhésion.
M. Jacques BAUMEL, député
(RPR)
, intervient
dans le débat en ces termes :
" Monsieur le Président, mes chers collègues, avant de
commencer mon exposé, je veux remercier notre rapporteur M.
Muehlemann, pour l'inlassable travail qu'il poursuit depuis de longues
années, parfois dans des circonstances très difficiles. Il est
juste de lui rendre hommage quelles que soient les opinions que nous puissions
avoir sur ce sujet historique. J'associe à ces remerciements notre
collègue, M. Seitlinger, mon compatriote, car il a fait preuve
également de beaucoup de sérieux et de dévouement.
" Qui se rend compte dans cet hémicycle que nous sommes devant une
décision historique ? Que ce débat risque d'entraîner
des conséquences, quelles que soient les réponses que nous
donnerons ce soir ?
" Je dégagerai d'abord une idée générale. En
dehors peut-être de quelques rares milieux politiques européens,
il est évident que tout le monde est d'accord pour que la Russie ait sa
place, toute sa place, en Europe. Quand on est un homme d'Etat tourné
vers l'avenir, on ne peut pas imaginer une architecture politique,
économique ou stratégique de l'Europe sans une place pour la
Russie. Ce serait un très mauvais calcul que de la repousser d'où
elle vient à cause de certains aspects de son histoire, et de la rendre
plus asiatique qu'européenne.
" Déjà, trop de peuples russes, trop de citoyens,
considèrent que ce pays est isolé, qu'il n'est pas pris
suffisamment en compte, ce qui alimente l'anti-occidentalisme qui a parcouru
toute l'histoire de la Russie, depuis ses origines, et qui tend à faire
de Moscou la troisième Rome après Byzance.
" Aujourd'hui, nous sommes devant un choix extrêmement dramatique.
Nous voulons affirmer notre solidarité avec le peuple russe qui a subi
des épreuves tragiques tout au long de son histoire. C'est
Le malheur
russe
selon le titre d'un livre de politologie. Mais, en même temps,
nous devons faire respecter l'honneur de notre Assemblée, les droits
imprescriptibles que sont les droits de l'homme, le rôle de la
démocratie. Il faut bien dire que les événements
récents ne facilitent pas ce choix particulièrement dramatique.
Il est évident que, devant la lourde succession de faits que l'on
dénonce depuis des jours et des semaines, le choix devient de plus en
plus difficile.
" Finalement, si on veut écarter les passions malsaines, les partis
pris systématiques de certains, si on entend rester fidèle
à une conception très élevée de notre devoir,
deux questions se posent.
" Première question : l'adhésion de ce grand pays
qu'est la Russie au Conseil de l'Europe peut elle renforcer, de façon
très forte, les aspects démocratiques et favoriser la
démocratisation, alors que la Russie n'est pas encore totalement un Etat
de droit ?
" Si nous avions la conviction que cette décision peut jouer un
rôle essentiel dans cette démocratisation, tous les doutes
seraient balayés. Malheureusement, nous n'en sommes pas sûrs.
C'est un peu ce que nous appelons en France le "pari pascalien", du
nom du
grand philosophe chrétien. C'est un grand pari que nous prenons et dans
ce pari tout le monde a raison et certains ont peut-être tort. Nous ne
pouvons pas savoir quels seront les effets de cette adhésion dans la
grande masse de la Russie profonde -et pas dans les cercles d'intellectuels, de
journalistes ou de politiques des deux ou trois grandes villes.
" Deuxième question : devons-nous vraiment prendre une
décision immédiatement, après des élections
législatives que certains ont examinées de près et qui se
sont déroulées, il faut le dire, dans de parfaites conditions
démocratiques - cela est d'autant plus inquiétant qu'elles
ont révélé une profonde poussée nationaliste et
néocommuniste qui pèse aujourd'hui sur le pays et dont on ne sait
pas ce qu'elle deviendra, et avant une élection présidentielle
dont nul aujourd'hui ne peut présager du résultat ?
" C'est une question posée par des gens de bonne volonté,
qui ne sont nullement des partisans, mais qui s'interrogent. Le malaise qui
pèse sur nous depuis quelques jours, en dehors des pressions excessives
et, par certains côtés, scandaleuses, venant de
l'extérieur, nous place vraiment devant un choix important.
" Je crois, par conséquent, que le problème reste entier. Il
faudra examiner très attentivement les amendements et s'assurer, de
toute façon, des garanties, des assurances formelles, afin de pas donner
un chèque en blanc à un Etat, quel qu'il soit.
" C'est la raison pour laquelle je considère qu'au-delà du
débat politique c'est une question de conscience personnelle, une
question de conscience morale, pour chacun d'entre nous. Ainsi, nous pourrons
mieux répondre à la tragique interrogation qui nous est
posée aujourd'hui ".
M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur
(Soc.)
, intervenant
dans le débat, fait les observations suivantes :
" Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, au moment de nous
prononcer sur la demande d'adhésion de la Russie, nous devons nous poser
deux questions. Où est l'intérêt de l'Europe ? Quel
est l'intérêt de la démocratie ?
" Pour ce qui est de l'intérêt de l'Europe, il faut ici se
rappeler que notre projet politique est de rassembler, dans un espace
démocratique commun, ouvert à l'ensemble des pays du continent
européen. Or, la Russie fait partie de l'Europe.
" Notre projet politique est de promouvoir un modèle
démocratique apportant le progrès économique, le
progrès social, la paix et la sécurité. Cependant, pour
être au niveau de ces enjeux que le monde lui fixe, que nous nous fixons
à nous-mêmes, encore faut-il que l'Europe soit
rassemblée !
" Si bien qu'aujourd'hui refuser l'adhésion de la Russie, c'est
diviser l'Europe. Refuser l'adhésion de la Russie, c'est constituer une
nouvelle barrière -certains ont parlé ce matin d'un nouveau mur.
Refuser l'adhésion de la Russie, c'est la pousser à se
détourner de l'Europe, à se détourner de notre
Organisation démocratique et à chercher d'autres réponses
en dehors de cette enceinte de la démocratie. Refuser l'adhésion
de la Russie, c'est renouveler les erreurs du traité de Versailles.
" Face à l'intérêt de l'Europe, que chacun aura
compris, examinons la situation de la démocratie en Russie. Il est vrai
que des questions se posent.
" L'affaire de Tchétchénie est une réalité que
l'on ne peut nier. Il faut que nous travaillions ensemble à y apporter
des réponses politiques, des réponses pacifiques. Les
insuffisances de la démocratie en Russie sont une réalité.
Le développement des zones grises en sont une autre.
" En regard de ces points noirs, ne méconnaissons pas les
progrès qui ont été réalisés dans des
domaines qui sont de notre compétence. Des élections libres sont
intervenues plusieurs fois depuis quatre ans, date de la première
demande d'adhésion déposée par la Russie. Le pluralisme
politique existe. Un Etat de droit s'édifie pierre après pierre.
Les libertés fondamentales émergent et irriguent l'ensemble de la
société, sans doute trop lentement, mais réellement.
" Il faut, mes chers collègues, que nous soyons exigeants. Il faut
que nous soyons vigilants. Il faut également que nous soyons justes.
Nous ne pouvons pas, dans le domaine de la démocratie, exiger de la
Russie un comportement à l'égal de nos propres comportements,
notamment en Europe occidentale, dans une société
démocratique que nous avons mis plusieurs siècles à
élaborer. Si bien que, malgré nos interrogations, il faut que
nous ayons confiance en nous-mêmes. Notre Assemblée est la mieux
placée pour permettre à la Russie de gagner la bataille de la
démocratie.
" Pensons, mes chers collègues, au peuple russe. Craignons les
forces nationalistes qui se nourriront de l'isolement de la Russie. L'isolement
de la Russie sera source de danger pour la sécurité de l'Europe
tout entière.
" Refuser l'adhésion de la Russie aujourd'hui, c'est favoriser les
forces nationalistes, asseoir l'isolement de la Russie, c'est donc faire peser
une menace sur notre sécurité commune.
" Pour ces raisons, brièvement exposées, Monsieur le
Président, je me prononce en faveur de l'adhésion de la Russie au
Conseil de l'Europe. "
M. Jean de LIPKOWSKI, député
(RPR)
, a
pris à son tour la parole en ces termes :
"
Pour prendre notre décision, sans doute la plus importante
depuis que notre Organisation existe, je pense qu'il faut nous poser
trois questions.
" Premièrement, l'entrée de la Russie constitue-t-elle un
élément positif pour l'Europe, sa sécurité et sa
stabilité ?
" Certains de nos collègues sont réticents pour des raisons
émotionnelles qui tiennent au passé. Les vieilles peurs
resurgissent et je peux parfaitement les comprendre. Mais la question que je
leur pose est la suivante : se sentiraient-ils davantage en
sécurité si nous fermions notre porte à la Russie ?
" Nous encouragerions les tendances ou les dérives
inquiétantes qui se manifestent depuis quelque temps dans la politique
russe. Les éléments ultra-conservateurs exploitent un certain
nombre de frustrations, que, naturellement, je ne prends pas à mon
compte, mais que je constate.
" Après l'effondrement de l'URSS, la diplomatie russe a choisi
résolument d'abandonner la confrontation pour une coopération
confiante avec l'Occident, en espérant entrer dans nos organisations.
Espoirs déçus : pas question de la faire entrer dans l'Union
européenne ; elle attend toujours que soit ratifié l'accord
de partenariat que nous avons signé avec elle ; elle voit avec
inquiétude l'élargissement de l'OTAN, car elle considère
que nous ne lui avons pas trouvé une place satisfaisante dans
l'architecture de sécurité européenne ; elle n'est
toujours pas admise au G7, ni à l'OCDE, ni chez nous.
" Elle a l'impression -humiliation suprême- de faire antichambre
tandis qu'elle voit d'anciens sujets admis avant elle au Conseil de l'Europe,
lesquels n'ont pourtant pas fait autant de chemin vers la démocratie.
Deux poids, deux mesures. Elle a l'impression de ne pas être
traitée selon son rang de grande puissance, que ce soit dans le
processus de paix au Moyen-Orient ou dans les Balkans.
" Ces frustrations permettent d'alimenter la campagne des
ultra-conservateurs à partir de la vieille notion de l'ennemi
extérieur, ce qui conduit à l'affrontement et non plus à
la coopération avec l'Occident.
" Naturellement, je ne prends pas à mon compte cette analyse d'une
Russie systématiquement isolée, ignorée ou même
méprisée par nous. Je dis uniquement que c'est un thème
commode pour les nostalgiques de l'ancien régime qui veulent
reconstituer l'URSS. Malheureusement, les dernières élections en
Russie prouvent qu'ils ne sont pas restés inertes. L'élimination
de M. Kozirev est d'ailleurs un signe inquiétant du durcissement de
la politique soviétique.
" Alors, prenons garde ! Un vote négatif encouragerait les
ultra-conservateurs à mobiliser l'opinion russe contre nous. On en
reviendrait à la "guerre froide" et à la coupure de l'Europe en
deux. Par contre, accueillir la Russie parmi nous nous permettrait de
créer des liens de partenariat et de confiance qui donneront un
encouragement puissant à tous les réformateurs qui
répudient la reconstitution des blocs.
" Deuxième question : l'entrée de la Russie
constituerait-elle ou non une victoire pour la démocratie ? A
l'évidence, oui.
" Notre Organisation est la seule qui puisse encourager, conduire et
guider la Russie vers l'établissement d'une démocratie
complète. Or, certains signes montrent qu'elle n'est pas à l'abri
d'un retour en arrière vers un régime fascisant qui exploiterait
l'échec économique et l'humiliation nationale. Des forces
rétrogrades travaillent dans ce sens. En lui fermant la porte, quelle
prise aurions-nous sur la Russie pour éviter cette détestable
dérive et encourager l'évolution démocratique ?
Aucune. Tout ce que la Russie a accompli sur le chemin de la démocratie,
c'est à nous qu'elle le doit.
" Pour satisfaire à toutes nos exigences, elle a instauré la
liberté d'expression, s'est donnée une Constitution, a
procédé à des élections libres. Naturellement -et
nos rapporteurs l'ont justement souligné-, bien du chemin reste à
faire, mais elle est en transition vers un Etat démocratique ; elle
s'y achemine pas à pas. De surcroît, elle prend des engagements
comme son adhésion à la Convention européenne des Droits
de l'Homme, avec droit de recours individuel.
" N'oublions pas qu'en cas de manquement grave ou de retour en
arrière nous avons toujours la possibilité d'une sanction,
c'est-à-dire la mise en congé, comme on le fit jadis pour la
Grèce des colonels et pour la Yougoslavie.
" Troisième et dernière question : l'entrée de
la Russie est-elle un élément positif pour notre
Organisation ?
" La réponse est claire : un vote négatif
réduirait considérablement le rôle du Conseil de l'Europe.
Beaucoup de ses membres sont candidats à l'entrée dans l'Union
européenne, si bien que le Conseil de l'Europe risque d'en devenir une
succursale ou un musée des droits de l'homme.
" Dans ce cas, Moscou a une politique de rechange. Elle se tournera
vers
l'OSCE où elle jouera activement son rôle dans la
sécurité européenne. Elle tâchera notamment d'y
développer un mini-conseil de sécurité pour l'Europe,
où un siège permanent lui sera garanti.
" En revanche, l'entrée de la Russie donnera à notre
Organisation un nouvel élan et une grande autorité. Nous serons
la seule organisation paneuropéenne, puisque l'OSCE comprend les
Etats-Unis et le Canada. Nous serons le seul forum de dialogue incluant tous
les pays d'un continent européen que nous aurons enfin
réconcilié avec lui-même grâce à
l'émergence d'une Russie démocratique qui, pour la
première fois depuis soixante-quinze ans, pourra jouer pleinement
son rôle dans la grande famille démocratique européenne.
" Ce vote est historique. Chacun comprendra que de nous dépend
aujourd'hui l'avenir de la stabilité et de la paix en Europe. Faisons
confiance à nos rapporteurs qui l'ont dit.
" Je voterai pour l'entrée de la Russie au Conseil de
l'Europe. "
M. Nicolas ABOUT, sénateur
(Ap. RI)
, intervient dans
le débat en ces termes :
" Madame la Présidente, mes chers collègues, notre
Assemblée, en se prononçant sur l'adhésion de la Russie,
doit être consciente de ses responsabilités et de l'enjeu que
représente cette nouvelle étape dans l'histoire du Conseil de
l'Europe.
" L'histoire de l'Europe et celle de la Russie se confondent depuis
plusieurs siècles. Il serait anormal que le Conseil de l'Europe laisse
sur le bord de la route une grande nation européenne. La Russie a besoin
de l'Europe pour supporter la difficile transition économique qui
s'opère depuis la chute de l'URSS.
" La libéralisation économique a entraîné son
lot de misères et d'exclus qui deviennent nostalgiques de
l'époque soviétique ou qui se mettent à croire en un
nationalisme extrémiste qui porte en son idéologie les dangers
passés.
" Les Européens doivent participer au redressement de
l'économie russe, car il s'agit de l'avenir d'un pays plein de
potentialités, le plus peuplé d'Europe.
" Sur les plans politique et culturel, la pratique de la démocratie
a fait défaut jusqu'à ces dernières années, bien
que des progrès indéniables aient été accomplis
dans la voie des réformes, dans un pays, ne l'oublions pas, sans
tradition démocratique. La corruption au sein de l'Etat et les multiples
activités des mafias mettent en péril la toute jeune
démocratie russe. Il est à craindre que si l'on abandonne la
Russie à son triste sort ces dérives prennent des proportions
préjudiciables pour l'avenir du pays.
" Forte de son expérience en la matière, l'Europe
occidentale peut contribuer au renforcement de la démocratie en Russie.
Intégrée aux structures du Conseil de l'Europe, la Russie sera
conduite à améliorer les conditions de la détention
pénitentiaire et à régler ses problèmes de
minorités, nombreuses au sein de la Fédération de Russie,
par des voies pacifiques.
" L'adhésion au Conseil de l'Europe doit être un signe
d'encouragement pour les autorités russes et le mouvement
réformateur, ainsi que le moyen pour les Européens de s'assurer
que la démocratisation se poursuivra.
" L'Europe a également besoin de la Russie, car le rendez-vous de
l'unité européenne est arrivé après des
siècles de déchirures et d'intrigues. Comment concevoir la
construction européenne sans prendre en compte la nation russe ?
Son histoire et sa culture se mêlent à nos histoires et à
nos cultures.
" Des défis aussi importants que la sécurité
européenne, l'avenir des centrales nucléaires à l'est,
l'environnement ou les droits de l'homme, des enfants ou des minorités
nationales ne peuvent trouver des solutions satisfaisantes sans la
participation de la Russie aux différentes institutions
européennes qui abordent ces questions.
" Cette adhésion permettra également à la Russie de
développer et d'améliorer ses relations avec certains Etats
voisins, membres du Conseil de l'Europe. C'est donc un facteur de
stabilité dans une région aux contentieux frontaliers multiples.
" Madame la Présidente, mes chers collègues, M. Jirinovsky
vient de nous refaire le numéro qu'il a fait ce matin devant la presse,
numéro, d'ailleurs, qu'il a complété par des
déclarations sur notre Conseil, estimant que nous n'étions ici
qu'une Assemblée de parlementaires en mal de discours et que les
étoiles européennes craignaient la Russie.
" Ne tombons pas dans la provocation. Ne jouons pas le jeu de
M. Jirinovsky. Nous ne construisons pas aujourd'hui l'Europe pour Eltsine
ou pour Jirinovsky. Notre rôle est de construire, par nous-mêmes,
pour nos enfants et nos petits-enfants, une Europe plus respectueuse de ses
enfants et plus paisible que celle du XX
e
siècle.
" C'est la raison pour laquelle je voterai tout à l'heure en faveur
de l'adhésion. "
M. Jean BRIANE, député
(UDF)
, s'exprime dans
le débat en ces termes :
" Madame la Présidente, mes chers collègues, c'est parce que
le Conseil de l'Europe a des exigences que l'admission de la
Fédération de Russie en son sein a fait l'objet d'un ajournement.
Aujourd'hui, nous sommes de nouveau appelés à nous prononcer. Il
convient en effet de dire très clairement si oui ou non nous sommes
favorables à son entrée.
" Les excellents rapports dont nous avons pris connaissance avec la
plus
grande attention nous éclairent sur la situation actuelle en Russie. Je
remercie les rapporteurs de la qualité de leurs travaux. Ce grand pays,
la Russie, remplit-il toutes les conditions pour son admission à part
entière et sans nouveau délai au Conseil de l'Europe ?
Objectivement, je dois répondre non.
" Il est bon de rappeler les exigences du Conseil de l'Europe
vis-à-vis des Etats membres, concernant le strict respect des droits de
l'homme et des libertés, et la pratique de la démocratie
pluraliste.
" Tous les Etats membres du Conseil de l'Europe, je dis bien tous,
ont les
mêmes droits et les mêmes devoirs. Le Conseil de l'Europe doit
être cohérent avec lui-même et avoir exactement les
mêmes exigences envers chaque Etat membre. Le Conseil de l'Europe n'est
pas une auberge espagnole où chacun peut entrer quand il l'entend et
comme il l'entend. C'est une communauté de pays qui a ses règles
et chacun doit s'y soumettre. Il lui appartient de les faire respecter avec
souplesse et compréhension, mais aussi avec détermination.
" Quelle est la situation actuelle de la Russie ? De graves
déficits ont été constatés dans les domaines
juridiques et dans ceux des droits de l'homme, dans le domaine
démocratique également. La Russie ne peut aujourd'hui être
considérée comme un "Etat de droit". De ce seul point de vue,
elle ne remplit donc pas les conditions d'admission.
" Toutefois, la démocratie ne naît pas de la
génération spontanée. La Russie n'a pas de passé
démocratique. Au régime des tsars a succédé le
régime totalitaire. Les changements récents, intervenus depuis la
disparition de l'Ex-Union Soviétique, n'ont pas, malgré les
évolutions positives constatées, permis l'émergence d'une
véritable démocratie telle que nous la concevons en Occident. De
graves dysfonctionnements existent dans l'exercice du pouvoir et sont
soulignés dans les rapports écrits. Le drame
tchétchène ne fait, hélas, que confirmer cette
réalité et disqualifie en quelque sorte ceux qui en sont
responsables.
" Si nous ouvrons la porte de l'Europe à la
Fédération de Russie, peut-on obtenir de celle-ci que soient
effectivement tenus, dans des délais raisonnables à fixer, tous
les engagements pris par elle ? Aurons-nous les moyens d'en
contrôler l'exécution comme il convient ? La question est
posée, mais je n'en ai pas la réponse.
" Mes chers collègues, nous avons un défi à relever.
Le constat de la situation actuelle de la Fédération de Russie
plaide en faveur du prolongement de l'ajournement. Nous sommes convaincus
cependant de la nécessité d'arrimer la Russie à l'Europe.
Pouvons-nous le faire sans transgresser les règles et les exigences du
Conseil de l'Europe ?
" Il eût fallu pouvoir envisager une admission suspensive, ou, mieux
encore, initier une formule spéciale de partenariat et de
coopération entre le Conseil de l'Europe et la Fédération
de Russie, une formule prenant en compte sa spécificité et ses
particularités de nation de dimension intercontinentale avec des
composantes multiples et complexes. Notre désir d'arrimer la Russie
à l'Europe ne nous permet pas de signer un chèque en blanc en sa
faveur, mais nous ne pouvons pas lui fermer la porte.
" Il nous reste donc à tendre la main à nos amis
démocrates de la Fédération de Russie et à tous
ceux qui, là-bas, luttent pour les droits de l'homme et
l'avènement de la démocratie, pour les aider à se hisser
au niveau des exigences du Conseil de l'Europe et faire ainsi gagner la
Fédération de Russie et l'Europe.
" Ce défi, nous ne pourrons le relever qu'ensemble. C'est pourquoi
je voterai oui à l'adhésion de la Russie pour des raisons
politiques et géopolitiques, et pour la paix future en Europe, à
laquelle aspirent tous les peuples. "
M. Jean SEITLINGER, député
(UDF)
, a
formulé les observations suivantes :
" Madame la Présidente, mes chers collègues, nous arrivons
à l'issue de ce débat de très grande qualité, au
cours duquel de nombreux collègues ont pu intervenir.
" Il est vrai que la question posée nous interpelle et que la
simple analyse des faits ne peut pas toujours aboutir à une certitude,
d'où l'interrogation légitime de certains de nos collègues
que nous comprenons parfaitement.
" Il n'en reste pas moins vrai -je remercie tous les orateurs qui se
sont
exprimés- qu'une large majorité s'est prononcée en faveur
de l'adhésion et que, de ce fait, la question posée à
notre institution est celle de savoir si nous sommes fidèles à la
mission qui est la nôtre.
" Je le crois profondément pour une double raison, contenue dans
l'article 1
er
de notre Statut, qui précise que notre
Organisation a pour buts, d'une part, de réaliser une union plus
étroite entre ses membres, et, d'autre part, non seulement de
sauvegarder, ce qui est statique, mais aussi de promouvoir les idéaux et
les valeurs qui sont les nôtres. Cette mission spécifique du
Conseil de l'Europe a été rappelée à Vienne en 1993
lors du Sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement.
" Si nous voulons respecter cet objectif, si nous voulons promouvoir
nos
valeurs -en d'autres termes, exploiter les droits de l'homme-, ce n'est pas en
fermant la porte que nous y parviendrons. Ne faisons donc pas de cadeaux aux
nationalistes, mais, au contraire, aidons les forces qui font appel à
nous. En effet, non seulement les autorités du pays, non seulement nos
collègues, non seulement tous les partis politiques, à
l'exception d'un seul, mais encore et surtout les organisations non
gouvernementales, les refuzniks, la presse, les journalistes, les
communautés religieuses, les nationalités, tous les
interlocuteurs que les Commissions ont rencontrés sur le terrain nous
ont demandé avec insistance d'accepter l'adhésion de la Russie au
Conseil de l'Europe.
" Pour conclure je dirai que nous avons l'occasion de réunir les
deux tronçons opposés d'une Europe trop longtemps
divisée. Soyons, toujours nombreux, les artisans de ce chantier pour
bâtir un continent de stabilité et de paix. "
A l'issue du débat,
l'avis n° 193 contenu dans le rapport 7443
est adopté, modifié par des amendements
.
Puis,
la directive n° 516 figurant dans le rapport 7375 est
adopté à son tour
.