B/ Les dangers de la contamination interne par le tritium
Si, comme on l'a vu précédemment, la pénétration des rayonnements émis par le tritium ne peut atteindre que les cellules les plus superficielles de la peau, l'ingestion, à l'intérieur du corps, de ce radionucléide pourrait avoir des conséquences graves. En effet, à la suite d'absorption d'aliments ou d'eau contaminés par le tritium, une partie de cet élément peut passer dans le sang. Il en va de même en cas d'inhalation de gaz tritié.
A l'heure actuelle, on ne semble pas disposer de données très précises sur les conséquences sanitaires de l'ingestion ou de l'inhalation de tritium : "Il n'existe pas de données épidémiologiques humaines à partir desquelles il serait possible d'estimer, même approximativement, le risque de cancer chez l'homme dû à l'exposition au tritium seul." 17 ( * )
Certaines études ont toutefois montré de façon très nette que, chez des animaux, l'exposition ou l'injection de tritium entraînait une importante augmentation des cancers.
L'estimation du risque de cancer chez l'homme exposé au tritium repose donc, pour le moment, sur les résultats des expériences animales, ces expériences ayant été conduites avec des doses relativement faibles mais malgré tout très largement supérieures aux expositions professionnelles non accidentelles ou aux doses que pourraient recevoir les populations proches d'une installation rejetant du tritium.
Le résultat de ces expériences mais aussi la description 18 ( * ) de deux cas de décès attribués à une exposition au tritium, sans toutefois que ces décès soient dus à des cancers, nous imposent d'appliquer strictement le principe de précaution et de tout mettre en oeuvre pour réduire au maximum l'exposition au tritium des travailleurs et des populations.
La Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) a, dans ses recommandations, pris en compte les risques que pouvaient présenter l'ingestion, l'inhalation ou l'absorption par la peau de tritium. Au fur et à mesure que les connaissances sur les effets potentiels du tritium s'affinaient, ces recommandations ont été ajustées.
L'appréciation de la validité des normes préconisées par la CIPR est très difficile et même pratiquement impossible pour un profane. La radioprotection, qui intéresse pourtant l'ensemble des travailleurs du nucléaire et les populations concernées, ne peut malheureusement être comprise que par quelques spécialistes. La radioprotection fait en effet appel à "un ensemble unique et sophistiqué de concepts, de principes, de techniques de prévention et de maîtrise des risques radiologiques" 19 ( * ) qui ne cessent d'évoluer pour inclure des situations d'exposition aux rayonnements qui n'étaient pas assez prises en compte dans le passé.
Les facteurs qui influencent la fréquence des cancers sont liés aux caractéristiques de l'irradiation mais aussi à celles des personnes exposées. Il faut donc tenir compte de la dose de radiation, de la nature des rayonnements ionisants (alpha, gamma, bêta), du débit selon lequel la dose a été délivrée mais surtout de la partie du corps qui a été irradiée. A cela il faut ajouter que la radiosensibilité diffère également selon le sexe et l'âge, les jeunes enfants et les adolescents étant plus sensibles aux effets des rayonnements que les adultes dans la force de l'âge.
Quelle conclusion peut-on tirer de ces remarques sur la difficulté pour le grand public d'avoir accès aux règles et aux normes de radioprotection ?
A partir du moment où des installations civiles ou militaires manipulent et donc ne peuvent éviter de rejeter du tritium, ce radionucléide se retrouvera dans l'eau atmosphérique, dans les eaux de surface et dans les nappes phréatiques proches de ces installations à des concentrations supérieures à ce que l'on observe dans le reste du territoire.
Il convient donc, dans ces zones concernées, de mettre en place des dispositifs incontestables, pluralistes et publics, d'évaluation des doses susceptibles d'être délivrées aux personnes exposées.
Affirmer, comme le font les responsables des installations rejetant du tritium, que les rejets sont très inférieurs aux autorisations qui leur ont été accordées par décret ne suffit plus à rassurer les populations concernées. Si, comme ils le prétendent, il est impossible d'échapper aux rejets de tritium, toutes les précautions doivent être prises pour en limiter au maximum l'importance mais aussi pour en mesurer l'impact sur l'environnement et la santé humaine.
Les autorités responsables des installations nucléaires, qu'elles soient civiles ou militaires, doivent être conscientes que les rejets de tritium dans l'environnement risquent de devenir dans les années à venir un problème majeur et certainement un des principaux axes de la contestation antinucléaire.
L'étude radioécologique qui va être conduite à La Hague, sous la direction de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) mais qui comprendra également des experts étrangers et des représentants d'associations de protection de l'environnement, constitue un exemple qui devrait peu à peu être étendu à tous les sites, y compris ceux de la DAM, où des rejets de radioéléments peuvent légitimement inquiéter les populations avoisinantes, comme l'a d'ailleurs demandé le Haut Commissaire à l'énergie atomique.
Il convient en effet d'évaluer sereinement et en toute objectivité les doses de radioactivité reçues par les populations, qu'elles soient d'origine nucléaire, médicale ou naturelle, pour tenter d'instaurer un vrai débat sur des bases admises par tous et avant que des situations de crise puissent se développer.
* 17 Le tritium de l'environnement à l'homme, Op. déjà cité, page 137.
* 18 Two cases of tritium fatality, W. Seelentag, pages 267 à 280.
* 19 La radioprotection, aujourd'hui et demain, Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire, 1994.