B/ Le suivi sanitaire des populations polynésiennes
Si toutes les études actuellement disponibles semblent démontrer que les essais souterrains n'ont eu aucun impact sur la santé des populations du Pacifique Sud, il ne faut cependant pas oublier que les essais aériens d'avant 1974 ont entraîné des retombées radioactives qui, sans être préoccupantes, n'en sont pas moins significatives selon les termes du rapport Tazieff. Il ne faut pas oublier non plus que plusieurs milliers de travailleurs polynésiens ont séjourné à Mururoa et qu'ils doivent pouvoir bénéficier d'un suivi médical régulier et spécifique.
Bien que le problème de l'impact sanitaire des essais n'entre pas, au sens strict, dans le cadre du présent rapport essentiellement consacré à la gestion des déchets, on ne peut passer sous silence le malaise que cette question provoque dans la population polynésienne, qui ne sait plus très bien qui croire.
En effet, comme le note très bien la CRII-RAD : "Celui qui s'interroge sur l'impact sanitaire des essais est confronté à deux discours inconciliables :
- d'un côté des témoignages, souvent bouleversants, sur des cas de malformations, d'enfants mort-nés, sur des familles lourdement touchées par le cancer, sur des décès suspects, des cercueils plombés ...
- de l'autre les affirmations catégoriques des autorités militaires : toutes les précautions ont été prises, il n'y a pas de pollution et donc pas d'impact sanitaire." 93 ( * )
Il est certain que quelques groupuscules, pour des motifs pas toujours très clairs, cherchent à affoler la population en mettant toutes les maladies qui surviennent en Polynésie sur le compte des essais.
Mais, d'un autre côté, peut-on se satisfaire des déclarations officielles qui évacuent le problème d'un trait de plume : "Aucune augmentation de maladies pouvant être d'origine radiologique (cancers ...) n'a été observée parmi les populations polynésiennes ou parmi les personnels civils et militaires de la base" ? 94 ( * )
Actuellement, la situation radiologique de la Polynésie française, suivie régulièrement aussi bien par le SMSRB que par l'IPSN, est bonne : en 1995, la valeur de la radioactivité artificielle correspondait à moins de 1 % de l'exposition due à la radioactivité naturelle.
Mais en a-t-il été toujours ainsi dans le passé et n'a-t-on pas enregistré à certaines périodes des expositions significatives sur le plan sanitaire ?
Quelques exemples récents nous montrent que les études épidémiologiques, surtout quand elles portent sur les effets des faibles doses de radioactivité, sont très difficiles à conduire et que leurs résultats ne sont pas toujours très probants.
Il n'en demeure pas moins que pour mettre fin aux controverses qui continuent à se développer, comme nous avons pu le constater à Tahiti, il serait indiqué de lancer une étude sérieuse et indépendante sur la mortalité par cancer dans l'ensemble de la Polynésie.
Pour en finir avec les rumeurs et les craintes souvent injustifiées, il ne suffit pas d'affirmer péremptoirement qu'il n'y a pas de risque, il faut tenter d'en apporter la preuve et par des moyens qui seront considérés comme crédibles par les populations concernées. En 1982, le rapport Tazieff faisait déjà remarquer : "Bien que l'objet de cette mission soit essentiellement scientifique et technique, il faut noter que les participants de la mission ont pu retirer de leurs contacts avec les représentants de la population l'impression que le manque systématique d'informations où on les a laissés ne favorise pas l'établissement de relations confiantes avec les spécialistes qu'on leur demande ensuite de croire."
Sur la question de l'éventuel impact sanitaire des essais, il ne semble pas, malheureusement, que la situation ait beaucoup évolué depuis 1982.
Le rapport de l'AIEA va très certainement faire le point définitivement sur la situation radiologique des deux atolls. Si on veut tourner définitivement la page après l'arrêt des essais, il faut qu'une enquête du même type soit conduite sur l'état sanitaire des populations de la Polynésie française.
Si une telle enquête devait, par malheur, conclure qu'il y a eu dans certains cas une liaison entre les essais et l'état de santé de quelques personnes, il y aurait alors lieu de prévoir les réparations nécessaires.
Le coût de telles réparations ne serait de toute façon que tout à fait minime par rapport aux sommes dépensées pour les essais, et il faut également toujours se souvenir que les Polynésiens n'avaient pas demandé à accueillir ces essais, sur lesquels il n'ont d'ailleurs même pas été véritablement consultés.
* 93 Essais nucléaires - Le droit de savoir, Op. déjà cité, page 34.
* 94 In La paix nucléaire, SIRPA Ministère de la Défense, Op. déjà cité, page 144.