CONCLUSION
Quelles conclusions peut-on tirer de l'analyse de la
situation
présente du Cameroun et du Congo pour la politique de la France en
Afrique ? Votre délégation présentera ici les principaux
enseignements que lui inspire son séjour, bref mais dense, dans ces deux
pays.
Ces derniers, malgré des différences évidentes
liées à la démographie (14 millions d'habitants au
Cameroun et 2,5 millions d'habitants au Congo) et à leur
évolution récente demeurent confrontés à des
difficultés communes que d'autres pays du continent, à coup
sûr, connaissent également. A cet égard, la situation du
Cameroun et du Congo a certainement valeur exemplaire.
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Un contexte social très difficile
Le Congo comme le Cameroun constituent des mosaïques ethniques. Au
Cameroun, cette diversité est encore redoublée par le
bilinguisme. Les solidarités ethniques ignorent d'ailleurs les
frontières héritées des découpages territoriaux de
l'époque coloniale. Dans ces conditions, la construction de
l'identité nationale constitue une gageure.
Au défi encore d'actualité d'une construction identitaire
s'ajoute aujourd'hui de façon encore plus aiguë la
nécessité
d'intégrer une jeunesse nombreuse.
Les
taux de croissance démographique du Cameroun et du Congo figurent parmi
les plus élevés du continent (respectivement 2,9 % et 3,3 %) et
dans les deux pays, près de la moitié de la population a moins de
quinze ans. Or, les conditions d'intégration de la jeunesse africaine
ont profondément changé. D'une part, le jeune africain est de
plus en plus un citadin (40 % de la population camerounaise résident
dans les villes, soit un doublement en 20 ans) ; il grandit ainsi dans un
environnement où les réseaux de solidarité familiale
tendent à se distendre. En outre, les perspectives de réussite ou
d'ascension sociale se sont fortement réduites depuis la fin des
années 70 en raison de la crise économique. Comment
s'étonner dès lors que de nombreux adolescents se laissent
enrôler dans des guerres dont les enjeux les dépassent et dont ils
sont aussi les premières victimes ?
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Une transition démocratique difficile
Face à un contexte social aussi difficile, la tâche des
autorités politiques apparaît très délicate. Le
régime du parti unique a longtemps paru comme une formule assurée
pour unifier autour d'un chef incontesté une population unanime. Ce
régime, toutefois, n'a pas suffit à prémunir l'Afrique
contre les coups d'Etat sanglants. L'histoire du Congo le montre. Le souci des
équilibres ethniques apparaît un gage plus assuré de
stabilité. Et dans ce domaine, le Cameroun a réussi là
où le Congo échouait. Toutefois, l'évolution du contexte
international, mais aussi la pression d'une opinion publique plus soucieuse que
dans le passé de faire entendre sa voix, impose aujourd'hui à ces
Etats de s'engager sur les voies de la démocratie. Comment, tout en
organisant la transition démocratique, préserver, pour le
Cameroun, les équilibres savamment élaborés au temps
confortable du parti unique et, pour le Congo, mettre en place ces
équilibres qui ont toujours fait défaut, tel est sans doute l'un
des principaux défis de l'avenir. Si le régime
démocratique représente sans doute à long terme l'une des
meilleures garanties de stabilité politique, il doit se mettre en place
par étapes et se construire sur les bases durables que seul un Etat
consolidé peut procurer. L'effort doit donc porter sur la mise en place
d'un
Etat impartial et efficace
. En outre, dans ce processus, l'Afrique
peut emprunter des voies qui lui soient propres, sans suivre
nécessairement le modèle occidental.
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Les conditions d'une croissance plus durable
Le Cameroun comme le Congo disposent l'un et l'autre de richesses
considérables et, au premier chef, du pétrole qui assure
l'essentiel des ressources à l'exportation. Cet atout peut aussi
être une faiblesse dans la mesure où il entretient une
dépendance excessive à l'égard d'un nombre limité
de produits et habitue également aux facilités d'une
économie de rente. L'échec successif de plusieurs programmes
d'ajustement négociés avec le FMI montre dans les deux pays les
difficultés de l'apprentissage de la rigueur.
Les moyens d'une croissance plus durable passent sans doute par une
diversification du tissu économique et, partant, par un
développement de
l'investissement privé
aujourd'hui
freiné par la corruption et les failles du système judiciaire. La
mise en oeuvre de l'Etat de droit constitue ici encore une priorité. Au
Cameroun, les autorités paraissent conscientes des difficultés
des entreprises mais les bonnes intentions ne trouvent pas dans une
administration souvent démobilisée et parfois même
compromise le relais nécessaire.
Au Congo, l'effort se concentre dans l'immédiat sur la reconstruction.
M. Sassou-Nguesso a incontestablement la stature d'un chef d'Etat ; il a la
volonté de relever son pays mais il peut paraître isolé
alors même que le chantier est immense. C'est pourquoi il compte sur
l'appui de la France.
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La nécessité d'un lien privilégié mais
renouvelé avec la France
Quelle doit être la position de la France à l'égard du
Cameroun et du Congo ? Plus généralement, quel rôle notre
pays peut-il jouer sur le continent ?
La France, en vertu des liens tissés par l'histoire, du trésor
commun d'une langue partagée et enfin, d'un soutien continu à
travers les années, dispose d'une influence considérable en
Afrique centrale. Elle possède aussi des intérêts
économiques importants dans la région à travers le
contrôle exercé par Elf sur l'exploitation et la distribution
d'une partie des ressources pétrolières du Golfe de
Guinée.
La présence de notre pays est-elle aujourd'hui menacée comme
certains l'ont craint -ou espéré- au moment où le
régime de Mobutu s'est effondré ? Notre influence pourrait-elle,
en particulier, être battue en brêche par les Etats-Unis ? Qu'il
existe un intérêt renouvelé des Etats-Unis pour le
continent, le fait est assuré -le récent périple du
président Clinton sur le continent en témoigne- et il convient
plutôt de s'en réjouir. Que cet intérêt soit, dans
les faits, circonscrit au domaine économique, voilà qui
paraît plus que probable. Rappelons-le, l'aide au développement
représente 0,12 % du PIB américain, contre 0,43 % pour
la France. En Afrique, la disparité de l'effort financier consenti par
la France et les Etats-Unis apparaît de façon encore plus nette.
Quant au modèle démocratique que les Etats-Unis souhaiteraient
promouvoir en Afrique, faut-il en voir des exemples dans les régimes de
l'Ouganda ou de la République démocratique du Congo, parfois
cités à Washington ? Dans cette hypothèse, la plupart
des pays d'Afrique francophone apparaissent irréprochables.
Le débat sur le rôle des Etats-Unis en Afrique, ainsi remis en
perspective, a toutefois pour mérite de rappeler que la présence
de la France en Afrique s'inscrit dans un contexte plus concurrentiel ; un
contexte également où la relève des
générations aux postes de responsabilité suscite de
nouvelles attentes auprès des élites africaines. Dans ces
conditions, quelles doivent être les priorités de la France ?
Il convient d'abord de préserver les acquis. La
zone franc
représente l'un des témoignages les plus forts de la
solidarité entre notre pays et ses partenaires africains. Or la
perspective de la monnaie unique suscite des inquiétudes.
D'aucuns craignent une nouvelle dévaluation et les mouvements de
capitaux entretiennent les rumeurs. Ces appréhensions ne sont pas
fondées : la situation apparaît bien différente de celle
qui prévalait en 1994. Les pays africains connaissent des taux de
croissance élevés et enregistrent des excédents
commerciaux. Le gouvernement a par ailleurs donné les assurances
nécessaires. Il convient de ne pas relâcher le travail
d'explication entrepris.
Par ailleurs, la France dispose dans la présence des
communautés françaises
d'un autre atout essentiel en
Afrique. Nos compatriotes sont en effet les meilleurs relais de notre
influence. Il convient donc de leur apporter le soutien nécessaire en
utilisant l'influence dont dispose la France auprès des pouvoirs publics
africains pour les inviter à mieux prendre en considération les
intérêts de nos ressortissants. La question des pensions dues aux
rapatriés français par les caisses de retraite africaines
représente un problème particulièrement douloureux. Au
Cameroun et au Congo, votre délégation a attiré
l'attention des autorités sur la nécessité d'une solution
rapide. Une aide budgétaire fournie par les Etats africains
apparaît indispensable dans l'attente de la restructuration,
inévitable, de l'ensemble du système de protection sociale de ces
pays. Votre délégation estime pour sa part qu'en l'absence d'une
initiative de nos partenaires africains dans ce domaine, la France devra
refuser de signer et de ratifier de nouveaux accords de
réciprocité en matière de droits sociaux.
S'il convient de préserver les acquis d'une relations
privilégiée, il importe aussi d'adapter notre politique africaine
aux évolutions du continent. A cet égard,
la réforme de
la coopération
ouvre peut-être l'âge d'un
véritable partenariat entre la France et ses anciennes colonies. Ses
effets ne pourront être appréciés qu'avec le recul du
temps. Toutes les incertitudes sont loin d'être levées : en
particulier, la fusion des administrations de la coopération et des
affaires étrangères ne doit pas entraîner une dilution des
moyens consacrés à l'aide au développement de l'Afrique.
La France doit, pour sa part, prolonger son action dans une double direction ;
d'une part, elle aura à porter l'accent sur
la formation des
nouvelles élites
appelées à prendre la relève
des anciens responsables politiques ou économiques. C'est là la
condition de cette proximité humaine qui constitue le meilleur ciment de
nos relations. A cet égard, il convient de favoriser l'accueil des
étudiants africains les plus prometteurs au sein des
établissements d'enseignement français.
D'autre part, la France n'aura plus les moyens de soutenir seule le
développement de ses partenaires africains. Certes, elle a réussi
à intéresser l'Europe à l'Afrique : la
convention de
Lomé
en est le meilleur témoignage. Mais, dans deux ans, ces
accords seront renouvelés et certains de nos partenaires,
attachés à d'autres priorités et en particulier à
l'intégration des pays d'Europe centrale et orientale, semblent
tentés par un désengagement. L'enjeu de la négociation qui
s'ouvrira bientôt apparaît crucial pour le développement des
pays africains comme pour l'influence de la France sur le continent.
Pour mobiliser nos partenaires européens, il importe toutefois de leur
donner confiance dans le destin de l'Afrique. La crise asiatique, à cet
égard, contribuera sans doute à renouveler l'intérêt
pour le continent. Cependant, c'est aux Africains eux-mêmes de contribuer
à changer l'image de l'Afrique. A eux de créer les conditions
favorables à la croissance et de construire l'Etat de droit.
C'est à cette aune que les politiques conduites au Cameroun et au Congo
seront jugées, même si dans leur tâche les dirigeants
africains peuvent compter sur l'appui et l'amitié de la France.