L'avenir de l'audiovisuel à l'ère du numérique
Jean CLUZEL
Rapport d'information 456 (1997 / 1998) - Commission des Finances
Table des matières
-
PREMIÈRE PARTIE : LA COMMUNICATION EN MUTATION
- I. LES ENJEUX DU NUMÉRIQUE
- II. LA NOUVELLE DONNE PUBLICITAIRE
- III. LA RÉGULATION FACE AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES
- IV. L'A.M.I. ET L'OFFENSIVE LIBÉRALE
-
DEUXIÈME PARTIE : L'ADAPTATION DU SECTEUR PUBLIC
- I. L'ÉVOLUTION DE L'ORGANISATION DU TRAVAIL
- II. LA TENTATION COMMERCIALE
- III. L'OUVERTURE SUR L'EXTÉRIEUR
- TROISIÈME PARTIE : LE SECTEUR PUBLIC ET LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
- CONCLUSION
- COMPTE RENDU DU DÉBAT EN COMMISSION DES FINANCES
N°
456
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 27 mai 1998
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur l'avenir de l'audiovisuel à l'ère du numérique ,
Par M.
Jean CLUZEL
Sénateur.
TOME I
(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, René Régnault, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Henri Torre, René Trégouët.
Audiovisuel.
En février 1997 - lors du débat sur le projet de loi
audiovisuelle présentée par le Gouvernement de
l'époque -, le Sénat a fait un travail en profondeur. Mais
la dissolution de l'Assemblée nationale l'a rendu caduc avant même
que le texte ait pu être amélioré en seconde lecture. Nous
sommes donc restés sur notre faim et les problèmes du secteur
public de l'audiovisuel en l'état.
Dans un souci de dialogue avec le Gouvernement, il est apparu
nécessaire, au moment où celui-ci s'apprête à
déposer un nouveau projet de loi audiovisuelle, que la commission des
finances du Sénat fasse connaître ses analyses en accomplissant
une mission d'expertise sur laquelle elle n'a jamais été prise en
défaut.
De plus, étant donné la rapidité avec laquelle les choses
évoluent dans le domaine de la communication, il faut nous savoir
également ce qui se passe aux États-Unis, à Bruxelles et
ailleurs.
L'unique souci de la commission des finances est d'apporter au Gouvernement
des éléments de réflexion et des suggestions de
décision,
compte tenu des changements qui vont s'amplifier avec
l'arrivée des technologies numériques.
Dans cette perspective, votre rapporteur s'est efforcé :
1/
d'identifier
les facteurs qui vont provoquer une mutation du
paysage audiovisuel mondial
pour, en particulier, attirer l'attention sur
les
transformations en cours du marché publicitaire
, telles
qu'elles résultent de l'étude que M. le Président de
la commission des finances a commandée au Conseil Supérieur de
l'audiovisuel ;
2/
de
suggérer les adaptations que le secteur public
devrait entreprendre, s'il veut remplir correctement ses missions
dans
un environnement de plus en plus concurrentiel
.
*
* *
I - MONDIALISATION ET GLOBALISATION
Deux phénomènes caractérisent, aujourd'hui, le secteur de
la communication : mondialisation et globalisation.
Contrairement à ce que l'on dit souvent, le fait nouveau n'est pas que
l'économie soit mondiale. Elle l'est depuis le XVIème
siècle. Fernand Braudel en a fait la brillante démonstration dans
" Civilisation matérielle et capitalisme ", en s'appuyant sur
le concept " d'économie monde ".
La véritable nouveauté est que cette
mondialisation
est
devenue totalement perceptible pour tous, aussi bien producteurs que
consommateurs dans leurs activités quotidiennes. Aujourd'hui, chacun -
à condition d'être " branché " - peut entrer en
contact à faible coût, en " temps réel ", avec le
reste du monde.
Il s'agit d'un phénomène fondamental dans une économie
tertiaire, dont la principale force productive est le savoir et où les
consommateurs - ceux dont la demande est prise en compte par les
marchés - se nourrissent autant de signes que de biens matériels.
La communication est donc au coeur de notre système actuel de production
et de consommation. Elle n'est plus une simple superstructure mais une
véritable infrastructure : c'est la logique du réseau qui
envahit et structure notre univers.
Dans son ouvrage " La société en Réseau ",
Manuel Castells, professeur à Berkeley, montre que cette nouvelle
économie informationnelle qui émerge depuis deux décennies
à l'échelle planétaire est étroitement liée
à un processus de
globalisation
:
"
Je l'appelle informationnelle et globale pour indiquer ses traits
fondamentaux et souligner leur interpénétration. Elle est
informationnelle parce que la productivité et la
compétitivité des unités ou des agents de cette
économie (qu'il s'agisse d'entreprises, de régions ou de nations)
dépend essentiellement de leur capacité à
générer, traiter et appliquer une information efficace
fondée sur la connaissance. Elle est globale parce que les
activités clés de production, consommation et distribution, ainsi
que leurs composants (capital, travail, matières premières,
gestion, information, technologie, marchés) sont organisés
à l'échelle planétaire, soit directement ou à
travers un réseau de liens entre les agents économiques. Elle est
informationnelle et globale, parce que, dans les conditions historiques
nouvelles, la productivité naît et la concurrence s'exprime dans
un réseau global d'interaction. Et elle a émergé dans le
dernier quart du XXème siècle, parce que la révolution de
la technologie de l'information offre la base matérielle indispensable
à une économie nouvelle de ce type. C'est le lien historique
entre le savoir et l'information, à la base, de l'économie, la
dimension planétaire de celle-ci et la révolution de la
technologie de l'information qui génère un système
économique et nouveau.
1(
*
)
"
Un des aspects de cette globalisation, est sur le plan technique, une
évolution qui fait converger l'informatique, les
télécommunications et la télévision
:
une même technologie, le numérique, peut être
utilisée pour des usages multiples
- télévision,
téléphone , ordinateurs - ,
un même signal peut
être émis à partir de plates-formes différentes,
réseau hertzien, réseaux filaires ou diffusion satellite
.
La numérisation de signal tend non seulement à multiplier,
grâce aux techniques de compression, le nombre de canaux disponibles -
entraînant le passage de la pénurie à l'abondance -
mais permet aussi d'abolir les frontières entre les secteurs.
Cette "
convergence
" se traduit par la perspective de
nouveaux services
le plus souvent interactifs. Elle devrait aboutir
à terme
au mariage d'Internet et de la télévision
.
Le processus est en cours aux États-Unis - et le présent rapport
en rend compte - sous l'impulsion des câblo-opérateurs et de
Microsoft.
Pour les uns, il s'agit d'un phénomène positif , le
résultat naturel du progrès des techniques et du jeu des
marchés qu'il convient de laisser fonctionner sans entraves ; pour
d'autres, et c'est plutôt la position de votre rapporteur,
c'est
une
menace, car elle
ouvre le secteur de la communication
à des opérateurs industriels
, dont la puissance
financière est bien supérieure à celle des acteurs
habituels de l'audiovisuel.
Il ne faudrait pas que cette évolution permette à certaines
entreprises des secteurs de l'informatique ou des
télécommunications
de s'introduire massivement dans le secteur
audiovisuel
et de lui appliquer leur logique libérale totalement
insensible aux " contenus ".
Les États peuvent-ils laisser faire et rester inertes face à
ce
changement radical des règles du jeu de la communication, face
également aux risques évidents d'abus de position dominante qui
en résultent ?
*
* *
II -
LA RÉGULATION
Dans une économie mondiale devenue en cette fin de XXème
siècle quasi totalement libérale, on a des raisons de douter que
les États puissent continuer à jouer un rôle dominant comme
ils l'ont fait durant les années d'après-guerre.
En privatisant des chaînes du secteur public ou en autorisant la
création puis la multiplication de chaînes privées - mais
pouvait-on faire autrement ? - on a " ouvert l'outre des
vents " et déchaîné les forces du marché. A
partir du moment où l'on a accepté cette logique, il faut en
admettre les conséquences et reconnaître que le centre de
gravité du marché s'est déplacé et, surtout, que le
rapport des forces entre les acteurs a évolué dans un ensemble
devenu mondial et global.
Dorénavant, les États restent toujours des arbitres, mais
à un niveau simplement local. A l'échelle réelle du
marché ils ne sont que des opérateurs parmi d'autres,
plutôt moins bien armés pour affronter la concurrence, dès
lors qu'ils ne se contentent pas d'occuper le " créneau " de
la défense d'une culture élitiste.
Un des objectifs essentiels de ce rapport est de
faire
réfléchir sur ce que peut et sur ce que doit faire l'État
dans un
monde où les enjeux industriels et financiers
deviennent si considérables
que seuls des poids lourds peuvent monter
sur le ring.
Une certitude existe :
la bataille de France est
commencée ; mais, pour l'essentiel, elle se joue à
l'extérieur de nos frontières
; d'ailleurs, peut-on
toujours parler de frontières lorsque l'espace audiovisuel
européen devient une réalité ?
Le premier
enjeu est culturel
. Comment, en effet, ne pas
s'inquiéter de
ces flots d'images qui
, dans une logique purement
commerciale, flattent ou
stimulent les instincts les plus primaires des
téléspectateurs
? Comment ne pas craindre que
l'américanisation - dans ce qu'elle a de brutal et de
vulgaire - des modèles proposés aux jeunes, ne dissolve les
valeurs humanistes et, finalement, nos traditions et la culture
française elle-même ? Lévi-Strauss l'a parfaitement
analysé lorsqu'il a dénoncé les dangers de
l'uniformité.
S'il fallait concevoir l'avenir sous la forme d'un combat à mort entre
culture et mondialisation, alors l'issue ne ferait guère de doute, car
on ne saurait aller durablement contre le mouvement des techniques et les
forces du développement.
Mais, à condition d'en avoir la volonté et le courage, les effets
du progrès matériel peuvent être contrôlés,
aménagés, dirigés. Il ne faut pas croire à la
fatalité du pire. Nous devons nous-mêmes construire l'avenir de
notre société et de notre culture, en encadrant les applications
des nouvelles technologies que nous voulons privilégier.
C'est-à-dire accompagner de progrès humain le progrès
matériel ; Bergson l'a dit avant nous et avec une autre
autorité !
III - NOTRE COMBAT
Il est vrai que le combat le plus important se livre sur le plan
économique.
Votre rapporteur a la conviction que l'on peut et
même que l'on doit s'appuyer sur les mécanismes du marché
pour défendre notre identité. On le fera du reste plus
efficacement que si l'on se contentait de barrières juridiques,
vouées par la force des choses à être
démantelées ou contournées.
A moins que notre pays ne
souhaite devenir
une sorte de camp retranché en marge du
système médiatique mondial,
une sorte de
" réserve "
- entretenue par le contribuable
français
- tolérée par le complexe
médiatico-financier international, parce que fondamentalement
inoffensive
...
En dépit de certains succès diplomatiques comme l'ajournement de
la négociation sur l'Accord Multilatéral sur l'Investissement, il
est évident que le compte à rebours a commencé
.
Dans un monde en mutation, l'alternative pour l'audiovisuel français est
claire : s'adapter ou dépérir.
Telle est la thèse
centrale de l'analyse faite par votre rapporteur et qui justifie l'articulation
entre la première et la seconde partie de ce rapport.
D'abord, le secteur audiovisuel français ne peut espérer pouvoir
se tenir à l'écart des évolutions en cours. Des
bouleversements technologiques, et surtout, un changement des règles du
jeu publicitaire se préparent. Ils ne manqueront pas d'avoir des
répercussions sur les ressources des chaînes,
qu'elles
soient publiques ou privées.
Les perspectives du marché publicitaire à moyen terme que votre
rapporteur a dressées sur la base, notamment, de l'étude du
Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, peuvent faire craindre une
dilution de la manne publicitaire
.
Les recettes qui ont permis, d'une part, l'expansion du secteur privé
et, d'autre part, le bouclage des budgets des chaînes publiques,
pourraient rapidement se révéler moins dynamiques et donc obliger
les uns et les autres à réviser leurs stratégies.
En particulier, il faudra bien, dans un tel contexte,
redéfinir la
vocation des chaînes publiques, dont il faut reconnaître que, bien
souvent, elles ne se distinguent plus nettement du secteur privé.
Le débat, qui va s'ouvrir lors de la discussion du projet de loi sur la
communication audiovisuelle, doit être l'occasion d'une réflexion
sur les missions et les moyens du secteur public. Il faut, à cet
égard, garantir à celui-ci une
prépondérance des
financements publics
sans laquelle, fatalement, il en oublie sa vocation et
perd sa légitimité.
L'indispensable baisse des recettes publicitaires suppose, à
l'évidence, l'augmentation de l'effort de l'État. Celui-ci passe,
selon votre rapporteur, par le renforcement des ressources tirées de la
redevance, qui demeure le mode de financement naturel du secteur public.
Mais un apport budgétaire supplémentaire doit avoir pour
contrepartie une rigueur de gestion accrue
2(
*
)
-
et un effort d'adaptation des structures
.
Un problème essentiel, exposé dans la deuxième partie du
rapport, concerne
la convention collective des personnels de
l'audiovisuel
. Une opportunité juridique existe jusqu'en septembre
1998, pour la faire, elle aussi, évoluer. Il est important que le
Gouvernement la saisisse.
EN APPEL ...
La
survie de notre culture ne repose pas seulement sur un secteur public fort
,
qui puisse servir de référence et éviter toutes les
dérives - violence et abaissement du niveau culturel - analysées
dans la troisième partie du présent rapport.
Elle suppose également un secteur privé dynamique, car notre
indépendance
, notamment dans le domaine de la production,
a des
bases industrielles et commerciales
.
De ce point de vue, la politique de l'audiovisuel doit tendre vers un objectif
essentiel :
permettre aux entreprises du secteur d'atteindre
, par
voie de croissance externe ou d'alliance,
une taille critique sur le plan
mondial
.
Pour adapter les structures, il est impératif de faire évoluer
les esprits. Ce n'est pas le plus facile. Il y faut de la lucidité, de
la volonté et du courage.
Puisse ce rapport contribuer à faire prendre conscience des changements
que nous risquerions de subir si nous n'étions pas capables de les
comprendre d'abord, de les dominer ensuite.
PREMIÈRE PARTIE : LA COMMUNICATION EN MUTATION
En une dizaine d'années, le paysage audiovisuel s'est complètement transformé ; avec la fin du monopole, les acteurs se sont multipliés, tandis que leur horizon est devenu mondial. En dépit des incertitudes qui l'accompagnent, la révolution des technologies numériques aura pour conséquence d'accélérer le changement des règles du jeu.
I. LES ENJEUX DU NUMÉRIQUE
La
généralisation des technologies numériques au niveau de la
production, d'abord, puis des moyens de diffusion ensuite, s'est traduite par
une explosion du nombre de chaînes ; il existait quatre
chaînes nationales numériques, il y a dix ans en France ;
aujourd'hui, on en compte plus de quatre-vingt en sus des chaînes
hertziennes.
Mais ce bond quantitatif est également un bond qualitatif. Nous sommes
entrés pleinement dans la société de l'information, une
société faite de réseaux interconnectés. Nous
bénéficions d'une certitude, celle d'assister à un
phénomène de convergence en déplorant toutefois
beaucoup d'incertitudes sur les modalités de l'évolution.
En lançant une conférence audiovisuelle sur " Les
défis et opportunités à l'ère
numérique ", la Commission européenne et la Grande-Bretagne
- profitant de sa présidence de l'Union européenne -
ont mis l'accent sur le thème de la convergence dans l'espoir, à
peine dissimulé, de relancer le processus de
déréglementation.
Cette
conférence, qui s'est tenue du 6 au 8 avril 1998 à
Birmingham
, sous le patronage notamment de BT et Cable & Wireless, deux
géants des télécommunications britanniques, a
été l'occasion d'une intervention remarquée du magnat
australo-britannique, Rupert Murdoch : "
Nous sommes pour le changement
et le progrès, pas pour le protectionnisme. Nous sommes pour la libre
circulation des ressources, l'un des buts de Jacques Santer, pas pour
protéger les monopoles locaux. Nous sommes pour une compétition
vigoureuse, pas pour des distorsions de marché.
"
Les propos échangés lors de la conférence de Birmingham
apparaissent comme les premières retombées du Livre Vert sur
" La convergence des secteurs des télécommunications, des
médias et des technologies de l'information ",
élaboré sous l'autorité de Martin Bangemann, commissaire
européen chargé des télécommunications et
adopté en décembre 1997.
Les discussions de Birmingham ont montré qu'il n'y avait pas
" convergence sur la convergence ". En effet, ce terme, qui se veut
fédérateur s'applique à des évolutions dont on peut
penser qu'elles ne seront pas nécessairement convergentes :
-
• La première est d'ordre technique. Elle résulte du
développement des technologies numériques qui permettent à
des supports différents de transporter des signaux et des services
analogues ou du moins concurrents ;
• La seconde est de type capitalistique. L'ampleur des investissements nécessaires dans les modes de transport - on dit couramment les " tuyaux " -, les incertitudes sur les choix qui seront faits par le marché - et donc les risques encourus - encouragent les opérateurs à se regrouper et à s'adosser à de grands groupes de télécommunication ou d'informatique ;
• La troisième est de nature commerciale. Les techniques mises en service et les regroupements entre opérateurs permettent d'envisager un système d'accès commun - " guichet unique de facturation " -, pour des services tels que téléphone, Internet ou télévision, même si ceux-ci sont reçus par des terminaux techniquement différents.
A. LA CONVERGENCE ET SES DANGERS
Le terme de convergence a été utilisé par le Livre Vert de la Commission du 3 décembre 1997 (Com 97/623 final) pour qualifier une situation caractérisée :
-
• soit par " la capacité des différentes plates-formes
à transporter des services essentiellement similaires " ;
• soit par " le regroupement des équipements grand public comme le téléphone, la télévision et les ordinateurs personnels. "
La bataille est mondiale. Au-delà des mouvements en cours en Europe, - dont il a été largement rendu compte dans le rapport de la commission de finances du Sénat sur les crédits de la communication audiovisuelle pour 1998 - , il convient - pour comprendre la situation - de se tourner vers les États-Unis, le plus vaste marché du monde, sur lequel viennent de commencer de grandes manoeuvres mettant aux prises des géants hors de proportion avec les entreprises européennes.
1. Les nouveaux services
La
diffusion numérique, qui améliore considérablement la
qualité de l'image télévisée, tire parti des
techniques de compression pour multiplier les programmes disponibles, tout en
offrant une véritable interactivité au
téléspectateur.
Mais la notion de " nouveaux services " reste, comme l'admet le Livre
Vert de la Commission, assez floue. En réalité, ce sont moins les
services eux-mêmes qui sont nouveaux, que la façon, globale et
massive, selon laquelle ils sont fournis.
De nouvelles possibilités techniques
La Commission fait référence à la notion de
" nouveaux services " sans chercher à lui donner une
" quelconque définition juridique précise ". A
l'origine de la révolution numérique, se trouvent les techniques
de compression d'images. La première conséquence en est
l'augmentation de capacité en terme de nombres de chaînes.
Corrélativement, l'augmentation des performances des logiciels permet de
banaliser les équipements des consommateurs grâce aux
décodeurs.
Le progrès technique permet d'atteindre un haut niveau de
qualité des signaux audio et vidéo sur un ensemble
d'infrastructures de réseaux différents. En fait, les nouveaux
services, notamment pour la télévision, résultent soit de
phénomènes nouveaux en eux-mêmes, soit d'inflexions
importantes des possibilités antérieures :
-
• apparition de bouquets de programmes qui comportent un nombre croissant
de chaînes thématiques. Ils vont atteindre des niveaux de
segmentation de l'audience encore plus petits, en même temps qu'ils
permettent la transmission de combinaisons de données d'images fixes ou
mobiles ;
• développement de " quasi-vidéo à la demande " et de " paiement à la séance ", (diffusion de films ou retransmission d'événements) ;
• diffusion de données multimédias permettant le transfert de programmes informatiques, jeux vidéos, fichiers de données et accès direct à Internet.
Mais, Internet est surtout symbolique, parce qu'il renvoie à un mode de consommation et à une offre diversifiée et globale qui témoigne d'une conception universelle de la satisfaction des besoins de communication.
Une offre globale
Si un certain nombre d'alliances, de joint ventures , et de fusions sont horizontales (entre entreprises situées au même niveau de la chaîne de production et de diffusion), les acteurs les plus importants de la convergence des marchés pratiquent l'intégration verticale. Pour la Commission, la fusion verticale doit être considérée " comme l'indicateur le plus significatif d'un changement des structures de l'industrie en réponse au phénomène de convergence ".
La France n'échappe pas à ce phénomène, ainsi qu'en témoigne la restructuration de groupe Générale des Eaux.
L'opération d'absorption d'Havas par la Compagnie Générale des Eaux (CGE) peut se justifier au nom de la convergence entre les télécommunications, l'audiovisuel, l'édition et le multimédia. " Les tuyaux sans contenu, ça sonne creux ", a déclaré M. Jean-Marie Messier.
De ce point de vue, le principe de l'opération est simple : proposer aux 4,3 millions d'abonnés à Canal + et aux clients de l'opérateur du câble, Numéricâble, des abonnements au téléphone fixe (Cegetel) ou mobile (SFR). Le président-directeur général de la CGE souhaiterait également alimenter les futurs services en ligne par la presse gratuite, les fonds éditoriaux d'Havas Publications Édition, qui contrôle notamment Larousse, Nathan, Le Robert, Plon, Julliard et Laffont. L'avenir est, pour le président de la CGE, " à la maîtrise des accès, aujourd'hui le téléphone, le câble et le satellite, demain le Web TV ", tout en développant " des services ciblés à valeur ajoutée ".
Dans la foulée de la libéralisation des télécommunications, des tests sont en cours, notamment à Annecy, pour vérifier si une duplication des abonnements serait possible. Si l'idée de convergence est bien dans l'air du temps, son efficacité commerciale doit encore être prouvée. Il est trop tôt pour savoir si cette idée de convergence peut se concrétiser rapidement, selon quel processus, pour quel coût et selon quels profits.
2. Les nouveaux vecteurs, les nouveaux acteurs
Pratiquement, pour le grand public, cette convergence se
traduit par
deux phénomènes ; d'une part, l'arrivée d'Internet
comme fournisseur potentiel de services universels ; d'autre part, et plus
concrètement, par la perspective de mise en place de matériels
polyvalents de type télévision-ordinateur, même si cette
convergence des matériels est en fait moins avancée que celle des
réseaux ; il ne faut pas oublier qu'actuellement, les normes des
écrans diffèrent sensiblement entre le monde de l'informatique et
celui de l'audiovisuel, dans la mesure où les caractéristiques
des uns favorisent les textes et, pour les autres, l'image.
Alors que la convergence permet aux acteurs traditionnels dans les secteurs de
la radiodiffusion et des télécommunications d'étendre
leurs activités, elle se traduit également par l'arrivée
de nouveaux acteurs puissants venant des industries de l'édition, du
téléphone et de l'informatique.
Pour des fournisseurs d'informations, comme les éditeurs, les
opérateurs de bases de données et les services d'informations
financières, lnternet constitue une extension stratégique de leur
savoir-faire traditionnel dans la production, la fourniture et le transfert
d'informations.
Selon le Livre Vert, l'un des indicateurs de la convergence est la
volonté des acteurs du marché d'exploiter les possibilités
offertes par les nouvelles plates-formes, en particulier lnternet, pour aller
au-delà des limites de leurs marchés traditionnels de base, en
termes de marché géographique, mais aussi de produit.
La régénération des réseaux
téléphoniques traditionnels
Aux États-Unis, certains opérateurs de
télécommunication offrent déjà des programmes
audiovisuels sur leur réseaux - à titre encore
expérimental, il est vrai - en devenant des fournisseurs importants
d'accès à Internet. Des diffuseurs fournissent des services de
données sur leur réseau et leurs services devraient
rapidement devenir interactifs.
La technologie ADSL
3(
*
)
permet à ces
entreprises d'offrir aux possesseurs d'une ligne téléphonique la
vitesse de transmission aujourd'hui réservée aux réseaux
professionnels. Ainsi, le câblo-opérateur Pacific Bell a
installé plusieurs lignes chez des clients particuliers habitant
à San Francisco et dans les environs.
L'avantage de cette technologie, par rapport à celles qui sont
déjà en service en Californie, de type RNIS, tient à une
vitesse deux fois plus élevée et surtout à la
possibilité d'utiliser sa ligne de téléphone, sans aucune
modification physique du réseau téléphonique.
L'abonné doit seulement posséder un modem spécial, que
Pacific Bell compte vendre aux alentours de 500 dollars.
Mais les usages de cette technologie restent limités tout en comportant
des contraintes.
Les premiers utilisateurs professionnels de ces lignes seront, selon la
compagnie californienne de téléphone, les milliers de
salariés qui travaillent déjà chez eux plusieurs jours par
semaine ou qui attendent la baisse des coûts de connexion rapide pour se
lancer plus aisément dans le télétravail.
En outre, la qualité physique des lignes téléphoniques
existantes doit être irréprochable ; à l'autre bout,
doit également se trouver un utilisateur possédant la technologie
ADSL. C'est pourquoi ce service est d'abord destiné à des clients
souhaitant de préférence se connecter à leur entreprise ou
à un fournisseur de services Internet utilisant cette technologie.
En tout état de cause, ces performances restent éloignées
de celles que promettent d'offrir les modems-câble, qui utilisent, eux,
le réseau de télévision par câble
numérisé en fibres optiques, toujours dans la même
région de Californie.
Ainsi, TCI, le numéro un du secteur audiovisuel américain, dont
l'une des filiales propose des services Internet à haut débit
envisage de généraliser le service Internet auprès des
Américains abonnés à la télévision par
câble.
Aux États-Unis, le câble tient la corde pour Internet
Les opérateurs de télévision par câble, hier encore
critiqués pour leurs difficultés à fournir - en
dépit de leurs promesses - de la vidéo à la demande,
sont désormais courtisés par les géants de l'informatique
et du téléphone. Ces sociétés y voient la solution
pour apporter Internet à la majorité des cent millions de foyers
américains, dont un cinquième seulement est équipé
d'ordinateurs avec accès à Internet. Le câble en touche
déjà 65 millions, et la télévision
96 millions.
Le passage à la télévision interactive et l'accès,
à haut débit, à Internet a longtemps semblé du
ressort des groupes informatiques et des compagnies de téléphone.
Aujourd'hui, cette révolution pourrait bien passer par le câble.
"
D'ici septembre, plus de 100 000 abonnés au
câble surferont sur le Web avec leurs
téléviseurs
", affirmait à New York, au
début 1998, le président de l'Association pour les médias
interactifs. Nous "
en attendons deux millions fin 1999. Et
des millions et des millions de plus à la fin de
l'an 2000
".
Avec une vitesse de transmission cinquante fois plus rapide que celle d'un
modem téléphonique, le modem-câble offre, outre les
services de télévision interactive, un accès ultra rapide
à Internet grâce par exemple à une filiale de TCI @Home,
une société dont TCI est actionnaire.
@Home et TCI ont conclu un accord avec le fournisseur de logiciels de finances
personnelles Intuit et la troisième banque américaine,
BankAmerica, pour offrir dès 1999 aux clients de la banque la
possibilité de gérer leur compte à distance et de
régler leurs factures depuis leur écran de
télévision.
@Home ne comptait fin 1997 que 50 000 abonnés. Mais, avec les
quelque 25 millions d'abonnés dépendant des sept compagnies
de câble qui en sont actionnaires, elle attire la convoitise de
sociétés telles que Microsoft et AT and T.
Microsoft prend position
En 1997, Microsoft a acquis WebTV, une société offrant un
accès à Internet sur la télévision par le biais
d'un simple modem téléphonique. La compagnie de Bill Gates a, du
reste, pris position en investissant un milliard de dollars dans ComCast, un
câblo-opérateur participant au programme de @Home.
Les câblo-opérateurs sont, quant à eux,
décidés à ne laisser aucun " outsider " mettre
la main sur leurs abonnés. Ils ont adopté un type de
décodeur à architecture "ouverte", capable de fonctionner avec
n'importe quelle plate-forme technologique.
Misant sur une globalisation du marché de l'information, qui fait
converger l'informatique, les télécommunications et la
télévision, Microsoft a pris le contrôle ou pris des
participations dans les entreprises les plus variées de l'ensemble du
secteur.
Avec la société californienne WebTV Networks, rachetée en
1997, Microsoft propose l'accès à Internet via un
téléviseur. Parmi la palette de ses activités figurent les
services en ligne, depuis le commerce électronique jusqu'aux
informations en continu. En 1997, le Groupe a pris des participations dans
Comcast et TCI, deux grands de la télévision par câble aux
États-Unis ; il veut accéder aux réseaux
câblés pour assurer, à terme, un débit plus puissant
à Internet.
Derrière le projet de réseau mondial de communications par
satellites Teledesic, qui prévoit, pour 2001, la mise en orbite de
près de 300 satellites pour un investissement de 9 milliards
de dollars, on retrouve encore Microsoft.
La marche forcée des télévisions américaines vers
le numérique
La télévision numérique aux États-Unis divise les
réseaux télévisés américains quant au format
à adopter.
Le passage à la technique numérique promet non seulement au
spectateur une image et un son de grande qualité, mais aussi un
accès à l'interactivité et à Internet.
Les autorités américaines ont établi un
plan de
transition
concernant cette technique. En principe, elle s'échelonne
jusqu'en 2006 pour les quelque 1 500 stations de
télévision. Il s'agit d'une révolution encore plus
importante que fut celle du passage du noir et blanc à la couleur.
La Commission Fédérale des Communications (FCC) impose aux
principaux réseaux une marche forcée vers le numérique.
Mais, comme elle leur a laissé les mains libres pour l'adoption d'un
format de transmission, les diffuseurs partent en ordre dispersé.
Des chances de développement pour les PME
A titre d'exemple des opportunités offertes par Internet, on peut citer
le cas d'une jeune société française, World-Net Phone, qui
a mis en vente au printemps 1998 des boîtiers permettant de basculer
automatiquement ses communications sur Internet sans posséder un
ordinateur.
Cette société a présenté à l'automne 1997
son dispositif, qui permet de se passer du micro-ordinateur pour profiter des
tarifs d'Internet.
Le boîtier, branché sur le téléphone, bascule la
communication sur le réseau mondial. C'est ainsi qu'une communication
avec les États-Unis, par exemple, revient au prix d'un appel local,
pourvu que l'on ait contracté un abonnement auprès d'un
fournisseur d'accès.
Les boîtiers seront en vente pour 2 000 francs chez quelques
grands distributeurs. La société a également
organisé des partenariats avec des fournisseurs d'accès à
Internet, qui proposeront le dispositif en location.
La qualité du téléphone sur Internet reste
médiocre, avec un décalage du type "talkie walkie" dû au
temps de transmission et des hachures lorsque le réseau perd des
"paquets" de données en route ; cela arrive !
Dans un premier temps, la téléphonie sur Internet devrait donc
surtout intéresser des publics spécifiques (étudiants,
familles éclatées entre plusieurs pays, grands voyageurs) avides
de communications à bas prix et peu regardants sur la qualité.
Le jeune fondateur de l'entreprise - il est âgé de 29 ans - estime
que "
le World-Net Phone n'est qu'une petite étape dans le vaste
réseau de communication mondial et standard Internet, qui concerne
déjà les ordinateurs, les téléphones mobiles, les
calculatrices, les modems, et englobera bientôt la
télévision, les radios, la domotique
."
Paradoxalement, ce produit, qui ramène la communication nationale et
internationale au coût d'une communication locale, intéresse
également France Télécom, qui lui a décerné
le prix de l'innovation en 1997, et le proposera en option avec Wanadoo, son
fournisseur d'accès à Internet.
L'avenir de cet appareil dépendra à la fois de la qualité
des communications offertes par un réseau Internet parfois très
encombré et des économies qu'il permettra de réaliser.
Cet exemple montre qu'Internet est porteur d'usages multiples susceptibles de
faire concurrence à beaucoup d'autres moyens de communication. On n'est
pas encore en mesure d'apprécier l'ampleur du phénomène,
pas davantage que son impact sur les services traditionnels.
A priori, on peut douter qu'Internet se substituera à l'offre
audiovisuelle traditionnelle : est-ce parce que l'ordinateur permettra
d'écouter la radio que l'on n'aura plus besoin de transistors ?
Même si Internet permet un jour de recevoir les programmes de
télévision sur ordinateur, il est évident que l'usage n'en
sera pas identique, d'autant plus que le confort d'utilisation des appareils et
liaisons spécialisées aura toutes les chances de progresser
.
A cette inconnue fondamentale pour le long terme s'ajoute une série
d'incertitudes à court et moyen terme.
3. Les risques non négligeables
L'analyse de la convergence résultant du Livre Vert de la Commission de Bruxelles tend à occulter les risques non négligeables que comporte ce phénomène, tant sur le plan économique que culturel :
-
• D'abord, la Commission pourrait se préoccuper, sur un plan
économique - du point de vue libéral qui est le sien -
des risques de position dominante induits par une évolution mal
maîtrisée ; quelques acteurs risquent de concentrer un
pouvoir excessif leur permettant de régler les modalités
d'accès aux plates-formes de distribution et de peser sur le choix des
services diffusés. Dans la phase actuelle, il existe, certes, une forte
concurrence entre les opérateurs, mais il est possible que, lorsque le
marché arrivera à maturité, on assiste à des
ententes sur les conditions de vente aux consommateurs ;
• Ensuite, sur le plan culturel, la logique libérale qui caractérise le développement des nouveaux services et l'absence d'autorité internationale de régulation des contenus pourraient entraîner certains opérateurs à se livrer à une démagogie de programmation contraire à l'intérêt public. Rien, aujourd'hui, n'empêche les opérateurs de satellites de relayer des programmes de télévision inacceptables, qu'il s'agisse de contenu à caractère pornographique ou incitant à la violence, à la haine raciale ou à l'intolérance religieuse ou politique.
Les offres nationales de programmes de télévision sont, aujourd'hui, suffisamment importantes et variées pour que l'absence de réglementation des chaînes diffusées par satellite ait un impact limité en matière de pluralisme.
Si l'on veut garantir la diversité des contenus et des opinions, si l'on veut assurer le respect des identités culturelles et, notamment, des spécificités régionales, il serait préférable de fixer, dès aujourd'hui, de nouvelles règles du jeu et, notamment, de prévoir des mécanismes de régulation des contenus.
Le Livre Vert a lancé une phase de consultations qui permettra aux États de faire connaître leur sentiment sur les analyses de la Commission. La réponse de la France n'est pas encore complètement élaborée, mais il est probable qu'elle se rapproche de la position très réservée qu'a prise le Conseil supérieur de l'audiovisuel sur la démarche entreprise à Bruxelles.
A cet égard, il est primordial de résister aux prétentions des tenants d'un libéralisme sans frein et de s'opposer à un discours sur la convergence qui ne distinguerait pas nettement le cas du téléphone et d'Internet comme communications privées, de celui de la télévision, comme mode de diffusion collectif relevant de ce que l'on appelle en anglais le broadcast .
B. DES INCERTITUDES MULTIPLES
L'intégration des entreprises du secteur audiovisuel ne
permettra pas seulement la constitution d'un certain nombre de groupes
géants. Ce sera également l'apparition de nouveaux métiers
intégrés, du contenu au contenant, des programmes aux moyens de
communication et, corrélativement, de l'émergence d'un nouveau
mode de consommation audiovisuelle.
Mais la forme de ce mode de consommation reste encore largement
indéterminée. Si elle dépend de la stratégie des
nouveaux acteurs industriels et commerciaux, le verdict final appartient au
consommateur.
Le résultat pourrait toutefois dépendre également de
facteurs institutionnels. Le développement de ces nouveaux produits
pourrait
" être freiné par une certaine
insécurité juridique " :
-
•
d'abord, comme le fait remarquer le Livre Vert de la Commission
- d'une façon non dénuée
d'arrière-pensées
- " les règles
existantes ont été définies pour un environnement
national, analogique et monomédia " ;
• ensuite, la configuration technologique qui s'imposera, sera d'une certaine manière, la conséquence des choix opérés par les autorités de régulation que ce soit aux États-Unis ou en Europe.
La
course au contenu
, à laquelle on a assisté depuis le
milieu des années 80, et qui a donné lieu à des
surenchères ruineuses entre bouquets européens pour l'acquisition
de droits audiovisuels,
va peut-être laisser la place à une
concurrence au niveau
, plus technique,
des moyens d'accès
au
contenu. Seuls, de grands groupes très performants sur le plan
technologique auront les moyens de la soutenir.
Vers une guerre des boîtiers d'accès TV-Internet aux
États-Unis ?
L'enjeu consiste à s'emparer sur le marché américain de
quelque 60 millions d'appareils.
Microsoft, qui a annoncé avoir reçu la commande, de la part du
numéro un américain des câblo-opérateurs
- TCI - de 5 millions de boîtiers dotés du
système d'exploitation Windows CE, a remporté la première
manche. C'est une victoire que certains considèrent avec prudence dans
la mesure où Windows CE, le système d'exploitation
simplifié - donc moins cher - dérivé de Windows, n'est pas
capable de supporter des applications de télévision
interactive ; l'intégration avec la technologie de WebTV,
entreprise que Microsoft a achetée en 1997 pour plus de 2 milliards
de francs, demanderait encore de longs mois.
Par ailleurs, le décodeur lui-même de TCI, équipé ou
pas de Windows CE, n'est pas encore entièrement au point. Ainsi,
même si Intel semble le mieux placé, les fournisseurs des
microprocesseurs installés dans les décodeurs ne sont pas encore
officiellement sélectionnés. De plus, le
câblo-opérateur a défini des spécifications
très complexes qui donneront à ses terminaux une puissance
supérieure à la plupart des PC aujourd'hui sur le marché,
sans pour autant financer lui-même l'achat de ces équipements. Or,
à 300 dollars pièce au minimum, les 12 millions
d'exemplaires potentiellement vendables représentent un investissement
de près de 4 milliards de dollars sur quatre ans, trop lourd
à autofinancer. TCI négocie avec plusieurs partenaires, en
particulier des sociétés qui offriront des programmes et des
applications relatifs à ces décodeurs, afin de partager la charge
de l'investissement.
Enfin, et surtout, la solution Windows CE présenterait une faiblesse
technique. Le cahier des charges défini par l'association Open
Cable - à laquelle appartient TCI - stipule que la solution
doit être ouverte et pouvoir supporter les technologies de plusieurs
fournisseurs. Or une application Windows CE, même définie pour la
télévision interactive, ne peut fonctionner qu'à partir
d'un microprocesseur bien spécifique. Si rien n'empêche de
réécrire l'application pour différents types de puces, il
n'est pas certain de pouvoir faire fonctionner la même version
simultanément sur un réseau comprenant des millions de
décodeurs dotés de puces différentes.
L'un des rivaux les plus acharnés de Microsoft, Scott McNealy, le patron
de Sun Microsystems, est lui aussi dans la course et recevra également
des commandes de décodeurs, afin que les États-Unis puissent
disposer d'au moins deux fournisseurs. Pour autant, l'offre de Sun, Personal
Java, n'est pas très différente de l'approche de Microsoft
puisqu'il s'agit, là aussi, d'une version " allégée " du
fameux langage Java, inventé par Sun. Open TV, une filiale commune de
Sun Microsystems et de Thomson Multimedia, dont le logiciel pour
décodeur numérique de télévision équipe
déjà les 400 000 boîtiers des abonnés de
TPS, bouquet numérique français, fait cependant valoir que sa
technologie s'intégrera beaucoup plus vite.
L'enjeu est clair : pour faire jouer ses propres synergies, Microsoft a
un besoin impératif que l'architecture de la télévision
numérique rejoigne celle des PC, où cette firme règne sans
partage. La solution Java a pour elle sa capacité à fonctionner
de façon réellement indépendante de l'architecture
matérielle des décodeurs numériques.
Les entreprises européennes et, en particulier, plusieurs PME
françaises se lancent également dans la course. Il en est ainsi
de Com One et Netgem, qui se sont aventurées dans la commercialisation
de ces boîtiers. Netgem, créée par trois polytechniciens,
prévoit de commercialiser 200 000 boîtiers, en 1998,
dont 70 % à l'export, contre 3 000 unités vendues
fin 1997. "
Nous avons signé plusieurs contrats à
l'étranger notamment avec Gründig, qui le distribuera en Allemagne
sous sa marque au prix de 299 deutsche mark, et avec l'espagnol
Telefonica
", indique le chargé du développement
international de Netgem. La firme a confié la fabrication de ses
consoles à l'usine de Bull Electronics d'Angers.
En France, le produit est vendu à moins de 2 000 francs la console
ou loué en option avec un abonnement Internet (65 francs par mois).
Cette stratégie est calquée sur celle de WebTV, la filiale de
Microsoft, qui consent une réduction de 100 dollars sur le prix de son
boîtier (vendu 299 dollars), dès lors que l'acquéreur prend
un abonnement à WebTV Network (environ 20 dollars).
Com One est également bien placé puisque son produit est
actuellement testé par France Télécom et TFI à Metz.
Manoeuvres autour du futur standard de la télévision
numérique
Dix-huit formats ont été admis par la Federal Communication
Commission (FCC) pour la télévision numérique. Ils
combinent des critères de fréquence, de nombre de lignes
remplissant l'écran et de mode de lecture de l'image
4(
*
)
.
Les grands réseaux nationaux américains, CBS et NBC, ont
annoncé récemment qu'ils se rangeaient au format de
1 080 lignes entrelacé. En revanche, ABC choisirait
720 lignes en progressif et Fox un format progressif mais en
définition standard de 480 lignes.
Ces divisions ne sont pas limitées au camp des réseaux
télévisés mais aussi à celui des compagnies
d'informatique et d'électronique.
Intel, qui avait annoncé la création d'une alliance avec
Microsoft ainsi qu'avec le fabricant d'ordinateurs Compaq pour les convaincre
d'adopter le format " progressif ", a renoncé à cette
alliance en décembre 1997 pour se plier d'avance à la
décision des diffuseurs. Intel joue désormais la carte d'un
projet de décodeur universel proposé par Hitachi.
Le débat se complique avec l'arrivée du
câblo-opérateur TCI qui favoriserait le format de 720 lignes
progressif. Un tel choix aura son poids dans l'avenir, car TCI annonce
l'installation d'ici la fin de 1998 d'un million de boîtiers
numériques chez ses abonnés.
Or, dans le même temps les fabricants de téléviseurs auront
à peine lancé sur le marché des appareils destinés
avant tout à une clientèle haut de gamme, à un prix allant
de 3 000 à 10 000 dollars.
Les câblo-opérateurs, qui envisagent l'installation de dix
à quinze millions de boîtiers numériques chez leurs
abonnés dans les quatre ans à venir, pourraient ainsi dicter le
standard à adopter.
De même, dans le domaine des programmes, ce sont les chaînes
câblées comme HBO, ou spécialisées comme PBS, qui
semblent montrer l'exemple en passant rapidement au tout numérique,
alors que les grands réseaux n'envisagent cette transition qu'avec
réticence.
Dans les huit ans à venir, les 1 500 stations de
télévision américaines sont censées diffuser leurs
programmes en numérique et 230 millions de postes de TV devront
être remplacés ou adaptés pour les recevoir.
Plusieurs accords de coopération ont été passés
à la date de mars 1998, notamment entre les poids lourds de
l'informatique et de l'électronique que sont Microsoft et Sony.
Sony assurera la compatibilité des décodeurs de
télévision numérique avec le système
opérateur de Microsoft, Windows CE. Les boîtiers Sony-Microsoft
permettront de recevoir des bouquets de programmes numériques, de
consulter son compte en banque ou de naviguer sur Internet à partir
d'une télévision.
Le groupe d'électronique grand public japonais ne met toutefois pas tous
ses oeufs dans le même panier. Il utilisera sous licence le langage de
communication de Sun, Personnal Java, qui favorise l'interactivité.
Microsoft prend pied dans les produits de grande consommation
Windows CE est la tête de pont de Microsoft dans le domaine des produits
de grande consommation. Bill Gates a une stratégie et ne s'en cache
pas : imposer son système d'exploitation comme standard mondial de
l'informatique embarquée, bien au-delà du domaine des ordinateurs.
L'accord de principe avec Siemens, qui adopterait le système
d'exploitation Windows CE (version allégée des systèmes
équipant les ordinateurs) pour ses différents produits, pourrait
bien constituer le début d'une véritable percée en Europe.
En outre, la spécificité des systèmes et produits
informatiques fait qu'il est bien difficile pour une entreprise d'en changer
constamment, ce qui constitue une solide garantie de fidélité
pour le fournisseur, en l'occurrence Microsoft.
Windows CE pourrait équiper aussi bien des décodeurs de
télévision que des téléphones, des systèmes
de communication dans les automobiles ou des appareils ménagers.
Microsoft, qui a donc déjà signé des contrats avec Siemens
pour des décodeurs de télévision, a contracté avec
d'autres grands fournisseurs de produits de grande consommation comme Philips
pour un assistant personnel et Ericsson pour des téléphones
portables. "
Dans le domaine de l'ordinateur miniature sous forme
d'assistant personnel, plus de 90 sociétés ont
annoncé des produits utilisant Windows CE.
" Microsoft a
consacré près de quatre années de recherches à la
mise au point de Windows CE.
Les décodeurs satellite restent un enjeu stratégique en
Europe
A la différence du contrat de simulcrypt, précédemment
conclu entre Canal Satellite et AB Sat, le nouvel accord avec TPS sera
techniquement beaucoup plus simple à mettre en oeuvre. Les deux
opérateurs émettent via la flotte de satellites Eutelsat et
utilisent l'un et l'autre les décodeurs numériques Viaccess
développés par France Télécom.
Une seule question reste encore sans réponse : qui gérera les
abonnés séduits par l'offre complémentaire d'AB Sat ?
Cette nouvelle alliance illustre un peu plus encore la mutation
opérée par AB Sat, qui renonce à s'imposer comme un
opérateur de bouquet numérique à part entière en
abandonnant la gestion en direct de son parc d'abonnés et la vente de
ses boîtiers numériques.
Depuis l'accord avec Canal Satellite et la reprise de l'ensemble de programmes
sur les réseaux câblés de Numéricâble et de
Lyonnaise câble, ainsi que la reprise de RTL 9, AB Sat semble
relancé. Cet opérateur pouvait revendiquer fin mars 1998 :
65 000 souscripteurs auxquels s'ajoutent 12 000 abonnés du
câble.
La société britannique de télévision par satellite
BSkyB, contrôlée par Rupert Murdoch, a porté plainte, en
avril 1998, contre son rival dans la télévision numérique,
British Digital Broadcasting (BDB), pour avoir choisi le décodeur de la
société Seca (Canal +/Bertelsmann).
BSkyB accuse BDB d'avoir violé un accord passé prévoyant
que leurs décodeurs respectifs devraient être compatibles.
Les deux opérateurs sont sur le point de se lancer dans des
opérations de grande envergure : BDB prévoit de lancer
à l'automne 1998 une quinzaine de chaînes numériques par
voie hertzienne et BSkyB, au sein du consortium British Interactive
Broadcasting (BIB), va lancer en juin 1998 un bouquet satellitaire d'environ
200 canaux.
BDB, filiale commune de Carlton et Granada, a annoncé en
février 1998 son choix pour la technologie de Seca de
préférence au décodeur de News Datacom, filiale de News
Corporation, qui sera utilisé par BIB.
BSkyB faisait également partie de BDB initialement, mais avait dû
s'en retirer à la demande des autorités de contrôle pour
des raisons de concurrence. Un accord avait alors été conclu
prévoyant la fourniture de programmes par BSkyB à BDB et la
compatibilité des décodeurs.
BDB a rejeté les accusations de BSkyB, estimant que les deux
décodeurs étaient compatibles, à condition que BSkyB
accepte de coopérer pour en finaliser les modalités techniques.
BDB a d'ores et déjà commandé ses décodeurs
auprès du fabricant finlandais Nokia.
Le problème de la diffusion hertzienne terrestre
Alors que la Grande-Bretagne avec le Broadcasting Act de 1996, que les
États-Unis se sont engagés sur l'élimination totale de la
diffusion analogique pour 2006 et que d'autres pays, en Scandinavie notamment,
suivent d'ores et déjà la même voie, il conviendrait que la
France prenne position sur l'évolution de la diffusion hertzienne
terrestre
.
Pour les tenants de la diffusion numérique terrestre, l'avantage
essentiel de cette technologie est la possibilité pour le consommateur
d'avoir accès à une trentaine de chaînes sans achats de
nouvel équipement de réception (son antenne n'a pas à
être modifiée, seul un décodeur est nécessaire).
De plus, à la différence du câble et du satellite, la
diffusion hertzienne numérique permettra la portabilité (la
télévision sans fil) et, dans certaines conditions, la
mobilité.
Plusieurs pays se sont d'ores et déjà engagés dans la
diffusion numérique de terre ; les États-Unis ont
prévu un lancement commercial avant mai 1999, tandis que le
Royaume-Uni ouvrira les nouveaux services le 1er novembre 1998.
En Espagne et en Italie, le cadre réglementaire est entré dans la
phase de discussion parlementaire.
Leurs motivations sont de natures différentes et reposent sur des
considérations d'ordre culturel - l'hertzien permet de
maintenir une régulation nationale, - d'ordre industriel la
diffusion hertzienne touche tous les foyers et constitue un moteur pour le
renouvellement des équipements et enfin d'ordre politique ;
accessible sur tout le territoire, la diffusion hertzienne met en place, dans
une logique d'aménagement du territoire, le service universel de la
distribution d'images. Dans tous les cas apparaît un souci d'optimisation
de l'usage du spectre des fréquences.
En France, la réflexion est encore limitée. Elle a
commencé à se formaliser avec le rapport de M. Philippe
Lévrier, remis au ministre de la Culture et au ministre
délégué à la Poste, aux
Télécommunications et à l'Espace en mai 1996.
Deux groupes de travail furent mis en place au début de 1997 ; le
premier
5(
*
)
piloté par l'Agence nationale
des Fréquences a traité des fréquences et le
second
6(
*
)
, piloté par le ministère
de l'Industrie, a traité du futur téléviseur
numérique.
Le groupe de travail de l'ANF a évalué que la ressource
disponible permettrait de constituer six réseaux de diffusion en plus
des six réseaux actuels de télévision analogique. Les
six réseaux numériques offriront entre 25 et
30 chaînes et desserviraient 75 à 85 % de la population
en s'appuyant sur les infrastructures existantes.
Le groupe de travail conduit par le ministère de l'Industrie a conclu
à la parfaite maturité de la technologie de la diffusion
terrestre de télévision numérique. Il a confirmé la
compatibilité immédiate avec les installations d'antennes
individuelles et collectives. Ce groupe de travail a reconnu que les
industriels " grand public " pourraient mettre sur le marché
des téléviseurs numériques à l'horizon 2000.
Le plan " Préparer la France à l'entrée de la
société d'information " présenté en janvier
1988 par le Premier Ministre, affirme la volonté d'expérimenter
la télévision numérique de terre au cours de
l'année 1998.
Par contre, la troisième recommandation du rapport de M. Philippe
Lévrier sur la nécessité de préparer un cadre
juridique adapté, devra attendre la future loi sur l'audiovisuel.
Pourtant, dans les pays européens les plus avancés comme le
Royaume-Uni ou la Suède, c'est bien la publication des règles
d'organisation de ce nouveau média qui a déclenché les
engagements des opérateurs. Elles ont été adoptées
en juillet 1996 pour le Royaume-Uni, en avril 1997 pour la Suède ;
ils le seront cette année en Espagne.
Les enjeux
Les enjeux de la diffusion numérique de terre sont politiques,
industriels, économique. Ainsi l'ont, du reste, compris la
Grande-Bretagne et la Suède.
L'enjeu politique
porte sur le renforcement de l'offre de programmes, la
maîtrise de leur contenu, l'amélioration de la gestion des
fréquences et l'aménagement du territoire.
Un renforcement de l'offre de programmes est permis par la puissance des
traitements numériques qui autorisent quatre à
cinq programmes sur un même canal.
En outre, l'amélioration de la gestion des fréquences par la
numérisation tient au fait qu'il sera possible de
récupérer certaines bandes de fréquences actuellement
utilisées par la radiodiffusion pour les affecter à des
applications de télécommunications
civiles. Cette ressource
apparaîtra avec l'arrêt des diffusions analogiques actuelles. Les
premières réaffectations pourraient avoir lieu vers 2010. Ce
souci de valorisation du patrimoine public a été l'un des
ressorts essentiels des décisions prises par le Gouvernement en
Grande-Bretagne et par la Federal Communication Commission aux USA.
C'est un enjeu économique important, non seulement dans la
capacité de l'État à vendre le droit d'usage de ces
fréquences, mais aussi par l'activité économique qui
découlera des nouveaux services de télécommunications.
Si l'on considère que la diffusion terrestre reste le vecteur
majoritaire de distribution de programmes audiovisuels, il n'est pas imaginable
que la majorité des foyers ne puisse rapidement disposer de la
principale évolution technologique depuis l'introduction de la couleur,
il y a plus de 30 ans.
L'enjeu industriel
porte sur la conquête du marché de masse
des téléviseurs et des magnétoscopes, bien au-delà
des marchés de niche des terminaux des réceptions satellite ou
des réseaux câblés.
En intégrant quelques programmes en clair, avec la
propriété d'être immédiatement distribuée
dans tous les foyers sans pré-équipement, la
télévision numérique de terre pousse au
renouvellement
des récepteurs des 22 millions de foyers français.
Le projet britannique manifeste la même volonté et les industriels
scandinaves s'associent de façon identique pour cette conquête du
marché européen.
L'enjeu économique
porte sur la réduction des coûts
des réseaux de diffusion obtenue par le regroupement de plusieurs
programmes dans un même réseau d'émetteurs ; c'est une
économie d'échelle comparable à celle attendue de la
numérisation des diffusions satellitaires.
Cette possibilité de réduction des charges de diffusion ne sera
effective qu'à moyen terme. En effet, compte tenu de l'importance du
parc des récepteurs uniquement analogiques, un délai de l'ordre
de 10 à 15 ans sera nécessaire. Parce qu'il reste à
trouver les conditions économiques qui favoriseraient cette transition,
ce rôle pourrait revenir en partie à la puissance publique.
Il faudra cependant mettre en balance les avantages et les inconvénients
d'une telle aventure. Mais, pour une fois, la France ne partira pas la
première et n'aura pas à " essuyer les plâtres ".
D'une part, il sera nécessaire de renouveler le matériel, alors
que les opérateurs devront procéder à des investissements
venant en compétition avec la diffusion par satellite. De l'autre
, le
numérique terrestre permettra d'organiser une sorte de service universel
de radiodiffusion
, permettant à chacun, sans moyens de
réception particulier, d'accéder à la richesse des
programmations numériques.
Concentration et rationalisation du marché de l'accès Internet
en France
Le marché de l'accès à Internet passe rapidement sous la
coupe des grands opérateurs de télécommunications. Au
premier trimestre 1998, les concentrations se multiplient : Oléane,
spécialisé dans les connexions professionnelles, s'allie avec
France Télécom. Eunet, une fédération
européenne de fournisseurs (97 millions de dollars), est
désormais contrôlé par Qwest.
L'accord, qui devrait être finalisé avant l'été
1998, entre AOL-Bertelsmann et Cegetel, déjà présent sur
le marché avec Havas On Line (HOL), permet à l'opérateur
français d'être le leader du marché de l'accès
à Internet avec près de 250 000 abonnés.
Un certain nombre d'observateurs estiment que France Télécom a
retardé son engagement dans le secteur pour tenter de préserver
la rente du Minitel. Mais l'opérateur national cherche à
rattraper son retard. Il a ainsi passé, fin 1997, un accord avec
Microsoft pour reprendre la fourniture d'accès pour les abonnés
de MSN, le service Internet du géant américain qui demeure les
marchés de niche axés autour d'une profession ou d'une
communauté.
Les incidences d'Internet sur la presse écrite
La révolution numérique a permis aux journaux d'abaisser leurs
coûts, qu'il s'agisse de leurs frais de transmission ou de leurs
coûts de saisie. Internet, ce sont à la fois de nouveaux
marchés, mais c'est aussi une concurrence redoutable. Cette analyse est
surtout pertinente pour la France où la presse est financièrement
fragile, parce qu'elle se trouve prise en tenaille entre une forte
érosion de son lectorat et la baisse constante de ses parts de
marché publicitaire.
Il faut cependant prendre en compte toutes les opportunités que la
convergence offre à la presse :
-
• les journaux créent de l'information en s`appuyant sur un
réseau dense d'antennes de toute nature qui leur donne des avantages
particuliers dans la collecte d'informations locales. Cette compétence
éditoriale - cette capacité à structurer l'information sur
des thématiques ou des espaces géographiques
déterminés - est un atout qui permet à la presse quand
elle a comme aux États-Unis de solides bases financières de se
lancer sur Internet pour valoriser ce savoir-faire ;
• les journaux vendent de l'audience et ont accumulé, grâce à la réputation de qualité attachée à leur titre, une notoriété, ainsi qu'une connaissance des marchés, qui constituent un capital qu'Internet devrait leur permettre de faire fructifier.
La possibilité, pour un coût modéré, de mettre en ligne des informations spécialisées, par nature moins périssables que des informations générales, ou des petites annonces élargit le marché potentiel de la presse et vient confirmer la chance que constitue pour elle la révolution numérique.
Mais les risques ne sont pas négligeables, comme l'ont souligné les discussions qui viennent d'avoir lieu à l'occasion du 51ème congrès de l'Association mondiale des journaux (AMJ) qui s'est déroulé du 31 mai au 3 juin à Kobé au Japon.
L'une des sessions de travail a été consacrée au thème: "Visions des marchés futurs" avec, notamment, l'intervention d'un représentant de Forrester Research, une société américaine, spécialisée dans l'étude de l'impact des nouvelles technologies sur les consommateurs.
Celui-ci s'est montré très pessimiste quant aux chances qu'auraient les journaux de gagner de l'argent sur Internet dans la mesure où le jeu de la concurrence a abouti à la diminution drastique des prix sur Internet :
• le prix d'accès aux cotations boursières: de l'ordre de 400 dollars US par mois en 1989; est aujourd'hui gratuit;
• l'achat de l'Encyclopédie Britannica qui coûtait 1 600 dollars US en 1989 ne revient plus qu'à 80 dollars US en 1998, à la suite de l'arrivée sur le marché de l'encyclopédie de Microsoft, Encarta.
Le représentant de Forrester Research est sceptique sur la possibilité de développer les abonnements aux journaux sur Internet, rappelant qu'aucun quotidien américain n'est aujourd'hui payant sur Internet, à l'exception du "Wall Street Journal" qu'il place dans une catégorie à part.
En outre, il a estimé qu'avec la multiplication des sites d'annonceurs sur Internet, de nouveaux arbitrages en matière d'investissements publicitaires pourraient s'exercer au détriment des journaux. Les annonceurs sont en effet enclins à développer parallèlement les contacts avec leurs clients potentiels via la messagerie électronique. Ainsi, American Airlines a un million d'abonnés auxquels elle communique chaque semaine le détail de ses offres promotionnelles. Dans la même perspective, il est envisagé de multiplier le co-parrainage entre différents sites d'annonceurs, lorsqu'il s'agit d'entreprises commercialisant des produits complémentaires.
Mais, l'information la plus significative à été l'annonce pour les États-Unis d'une perspective de baisse de l'ordre de 30 % des revenus tirés des petites annonces :
• plusieurs sociétés mettent désormais en ligne leurs offres d'emploi sans passer par les journaux, qui ne sont plus alors un intermédiaire incontournable. Selon l'Electronic Recruiting Index 1998, on constate aux États-Unis une évolution importante des offres et demandes d'emploi sur Internet. Ainsi, les sites consacrés à l'emploi sont passés de 500 en 1995 à 3 512 en 1996 et 3 893 en 1997; la mise en ligne de curriculum vitae de 100 000 en 1995 à 500 000 en 1996 et 1 200 000 en 1997 alors que le nombre d'entreprises ayant un site "emploi" est passé de 62 en 1995 à 1 499 en 1996 et 15 765 en 1997.
• Une autre enquête a montré que :
- en matière d'immobilier, 90 % des agences immobilières vont sur Internet et 65 % sur les médias traditionnels ;
- interrogés sur leurs prévisions de dépenses publicitaires, 55 % des concessionnaires automobiles ont déclaré vouloir transférer leur budget de publicité par petites annonces des médias vers le développement de leur site. Cette intention serait également celle de 65 % des "employeurs" et 45 % des agences immobilières.
On voit donc se créer des difficultés pour la presse américaine, pourtant puissante. Elle devra trouver sa voie dans un monde caractérisé par l'information de plus en plus abondante que les consommateurs seront sans doute de plus en plus réticents à payer.
En France, la presse va devoir affronter les mêmes menaces que la presse américaine, mais sans en avoir l'assise financière. Faute d'une aide adéquate des pouvoirs publics mais aussi d'un véritable effort de rationalisation au sein de la profession, on doit craindre que la presse d'information générale, qui a su accumuler depuis des décennies un capital de savoir faire et d'expérience tout à fait remarquable, ne soit obligée, faute de moyens, de renoncer à un rôle d'acteur dans le processus de convergence des trois galaxies médias, informatique et télécoms. De ce point de vue, le Fonds de modernisation, que s'efforce de mettre en place Mme la ministre de la Culture et de la Communication, constitue sans doute une chance importante pour la presse de montrer qu'elle a la volonté de faire face aux défis de la révolution du numérique.
-
En réponse à votre rapporteur, Mme la ministre de la
Culture et de la Communication a fait le point, dans une note en date du
15 juin 1998, de la mise en oeuvre de ce dispositif : "
La
création du Fonds de modernisation de la presse quotidienne
découle de l'instauration d'une taxe sur la publicité hors
média, en application de l'article 23 de la loi de Finances. Ce
dernier a été adopté à la suite d'un amendement du
député Jean-Marie Le Guen.
La mise en recouvrement de la taxe doit démarrer le 18 juillet , les déclarations à partir desquelles seront arrêtés les montants à payer étant adressées aux entreprises en même temps que les déclarations de TVA.
Dans cette perspective, le Service de la Législation Fiscale devait arrêter avant la mi-juin l'instruction fiscale qui sera adressée aux services de la DGI, et qui les guidera dans la conduite du recouvrement .
Un premier état du produit de la taxe devrait pouvoir être effectué au début de l'automne. En tout état de cause, les difficultés inévitables d'initialisation de la procédure de recouvrement par voie déclarative, mais aussi un certain nombre d'exemptions décidées par le Parlement (catalogues de vente par correspondance, annuaires...) donnent à prévoir pour 1998 un total avoisinant 100 à 150 millions de francs, et en tout cas très éloigné des 300 millions de francs retenus en LFI 1998.
La détermination des dépenses éligibles a fait l'objet, au cours du premier quadrimestre 1998, des travaux de groupes de travail associant le SJTIC et les représentants des Fédérations d'éditeurs de publications quotidiennes ou assimilées (SPP, SPQR, SPQD, SPHR). Sur la base de ces réflexions, cinq domaines d'intervention ont pu être identifiés pour le Fonds de modernisation :
- Fabrication (prépresse, modernisation des rotatives, formation professionnelle),
- Distribution (tests de vente à la criée, diffusion électronique, diffusion par automate...),
- Modernisation des rédactions (études de faisabilité et réalisation de prototypes en vue de la diversification multimédia, numérisation des archives, utilisation d'Internet comme source documentaire, formation des journalistes...),
- Presse à l'école,
- Etudes de connaissance du lectorat.
Un comité de sélection sera constitué pour arrêter la liste des projets qui pourront être retenus.
Les gains de productivité obtenus grâce à ces projets doivent permettre, à moyen terme, de diminuer le niveau des soutiens budgétaires. En revanche, déporter dès maintenant certains dispositifs d'aides budgétaires vers le Compte d'affectation spéciale limiterait les montants consacrés au soutien à des projets de modernisation, et nuirait donc à cette logique vertueuse. "
2. Incertitudes sur les règles du jeu
Le
résultat de la compétition entre plates-formes et entre standards
comme le développement du marché en général,
dépendront aussi largement des attitudes des pouvoirs publics et, en
particulier, des autorités de régulation, qu'elles soient
américaines ou européennes, qu'il s'agisse d'autorité
antitrust ou d'organes de régulation propres aux médias, FCC,
Commission de Bruxelles...
Microsoft sous étroite surveillance
Accusé, depuis l'automne 1997, d'abus de position dominante par le
ministère américain de la justice, Microsoft s'est employé
à minimiser la portée de cette procédure.
M. Bill Gates relativise la portée de l'accord du 23 janvier
1998, aux termes duquel Microsoft a accepté, temporairement, de ne plus
lier la vente - aux fabricants d'ordinateurs personnels (PC) - de son
logiciel d'accès à Internet, Explorer, avec celle de son
système d'exploitation Windows.
Au départ de l'affaire, il y eut la plainte de la société
Netscape, auteur du système Navigator, accusant Microsoft d'abuser d'une
position dominante pour imposer son logiciel de navigation Explorer au
détriment de son propre produit Navigator.
Pour se conformer à l'exigence de la justice, Explorer n'a pas
été "
sorti, ce qui aurait risqué de casser le
système ; mais seulement caché
". Les fabricants de
PC ont "
temporairement le choix de prendre une licence de Windows avec
l'accès à Internet caché. Personne n'a fait ce
choix
". En d'autres termes, Explorer ne peut être
supprimé de Windows 98, mais simplement masqué. La
commercialisation de Windows 98 est maintenue jusqu'à mi-1998, annoncent
les responsables de Microsoft.
La
question centrale
de ce procès dépasse cependant le
simple problème de l'accès à Internet. Il s'agit de
savoir si, du fait de la domination commerciale de son système
d'exploitation, Microsoft ne dispose pas en fait de moyens
privilégiés pour développer
- avant tous ses
concurrents -
de nouveaux logiciels
. Sa puissance commerciale
est telle que cette entreprise est en mesure de capter à son profit
toute innovation soit en la copiant, soit en la rachetant pour
l'intégrer à son système d'exploitation.
C'est ce qu'affirme, sans toutefois citer Microsoft, l'Association des
éditeurs de logiciels américains (SPA) dans un document
publié le 3 février 1998, qui se propose de "
guider
les responsables de l'exécutif, de la justice et du législatif
dans la mise au point d'une politique de lutte antimonopole
. "
Cette association préconise une "
mise à disposition non
discriminatoire
" auprès des autres éditeurs des
détails techniques leur permettant de mettre au point des logiciels qui
s'articulent correctement avec le système d'exploitation. Elle souhaite
que celui-ci ne puisse être "
utilisé pour favoriser les
propres produits et services de son éditeur, ou de quelques partenaires
privilégiés.
"
Le groupement dénonce aussi les pratiques visant à "
lier
le prix du système d'exploitation à celui de logiciels
applicatifs
", ainsi qu'à inclure dans le système
d'exploitation "
ses propres services ou produits ",
sauf
à
" permettre à des concurrents d'en faire de
même.
"
La SPA dénonce enfin
" l'accès discriminatoire au contenu
d'Internet
". Les détenteurs du logiciel de Netscape ne peuvent
accéder à certains sites développés pour Explorer,
ou n'en reçoivent qu'une version dégradée.
Microsoft, par la voix de M. Bill Gates, proteste de sa bonne foi en
dénonçant, implicitement, un procès d'intention et,
ouvertement, la volonté de ses concurrents de s'opposer aux
légitimes ambitions de Microsoft pour de nouveaux marchés.
Aux États-Unis, la culture de la lutte antitrust est aussi forte que
celle de la liberté d'entreprise. L'issue de ce conflit est donc
incertaine, même si l'histoire a prouvé, dans le domaine du
téléphone notamment, que les autorités américaines
étaient capables de prendre, au nom de la concurrence, des
décisions qui n'étaient pas toujours conformes à leur
intérêt national immédiat.
La restructuration d'Internet
De récentes propositions américaines ont soulevé une vague
considérable de critiques, venues d'Europe, de l'organisation mondiale
Internet Society, mais aussi des tenants d'un réseau
autogéré.
L'enjeu majeur de cette réforme est le système de gestion des
adresses Internet, composante vitale des communications sur le réseau.
Le contrôle du Net revient de facto à qui surveille
l'enregistrement des "noms de domaine" et leur attribue les codes informatiques
orientant les données en transit.
A la mi-février 1998, le Gouvernement américain a publié
une proposition de réforme, dans un " Livre Vert " qui
voudrait ouvrir le système à la concurrence, sous contrôle
d'un organisme international.
Toutefois, Washington entend imposer une période de transition de deux
ans et limiter les possibilités de nouvelles adresses, ce que ses
adversaires considèrent comme un maintien du contrôle
américain alors que l'internationalisation du réseau
s'accélère.
L'Internet Society, organisation non gouvernementale regroupant entreprises et
individus dans le monde entier, s'inquiète du fait que le Livre Vert
"
laisse la porte ouverte à un contrôle du Gouvernement
américain sur la régulation du réseau
. "
De son côté, Martin Bangemann, commissaire européen
chargé des télécommunications, estime que même si
" les États-Unis considèrent un peu Internet comme leur
enfant
", ce n'est pas une raison pour que ce pays décide seul
de son avenir. Les quinze États membres de l'Union Européenne
devaient formuler leurs propres propositions pour une approche
internationale
.
Washington préconise la création d'un nombre limité de
nouvelles classifications, ces " generic Top Level Domain Names "
(gTLD) qui permettent de savoir à quel type de site on a affaire (.com
pour les sites commerciaux, ou .org pour les organisations à but non
lucratif). Ceux-ci échapperaient au quasi-monopole dont
bénéficie aujourd'hui la société américaine
NSI, qui enregistre toutes les adresses sous les classifications les plus
répandues.
Il s'agit de remédier à la pénurie d'adresses, dont
souffre le Web, en ouvrant de nouvelles possibilités de noms. Mais ces
TDL appartiendraient à ces sociétés privées, ce que
dénonce l'Internet Society. "
Les TLD ne doivent pas être
la propriété de quiconque, et doivent être
considérés comme une ressource internationale, en laquelle le
public doit pouvoir faire confiance
", estime l'organisation
internationale.
De son côté, l'Internet Society, qui travaille étroitement
avec l'Union Internationale des Télécommunications, un organe de
standardisation dépendant des Nations Unies, avait mis au point sa
propre réforme après des mois de réflexion parmi ses
membres. Ce nouveau système mondial décentralisé
d'attribution et d'enregistrement, CORE, propose sept classifications
supplémentaires, dont l'enregistrement serait soumis à la
concurrence mais dont la gestion serait assurée par des banques de
données de service public, réparties dans le monde. CORE
réunit déjà 88 sociétés d'enregistrement
dans 23 pays, dont 35 en Europe. C'est déjà trop pour les tenants
d'un Internet autogéré considérant que CORE veut
établir " un gouvernement mondial " sur le réseau.
Quant à la proposition américaine, "
elle établit
une régulation même si elle prétend que le Gouvernement
veut faire le contraire
", estime une autre association d'inspiration
libertaire. Pour ces entrepreneurs d'un nouveau genre, très nombreux sur
Internet, seule l'initiative privée devra faire face à
l'évolution du réseau.
Et pourtant trop de liberté et pas assez de sécurité
pourraient bien entraver le développement d'Internet.
Le développement du commerce électronique sur Internet
M. Francis Lorentz, ancien président-directeur
général de Bull, a remis fin mars 1998 au ministre de
l'Économie et des Finances les conclusions du Forum de discussions sur
le commerce électronique qui s'est tenu sur Internet.
Le commerce électronique est un secteur en pleine expansion. En 1996,
aux États-Unis, il avait atteint 1 milliard de dollars, soit un chiffre
d'affaires égal à celui du Minitel. En 1997, ce chiffre a
été dépassé durant le seul mois de décembre.
Ainsi, dans le secteur automobile, Auto-By-Tel, qui a déjà vendu
1 million de voitures grâce à Internet, débarque en
Europe et Chrysler espère vendre 20 % de sa production sur le
réseau d'ici deux à trois ans.
En France, les chiffres sont nettement plus modestes : le commerce
électronique sur Internet aurait représenté
40 millions de francs en chiffre d'affaires pour 1997. Il devrait
atteindre 160 millions de francs pour 1998, selon l'étude d'un
institut d'études privé parue en avril 1998.
Même si les prévisions de chiffre d'affaires pour l'an 2000
varient de 1 à 10, il est certain que le potentiel du commerce
électronique est impressionnant. Pour la première fois dans
l'histoire on voit surgir un marché mondial intégré.
Toujours pour M. Francis Lorentz, "
l'apparition d'Internet
transforme radicalement l'organisation de l'entreprise ; jusqu'à
présent, les systèmes d'échanges informatiques
étaient complexes, et leur gestion était réservée
aux informaticiens. L'entreprise était organisée sur une
production standardisée. Avec Internet, ce qui devient capital pour une
entreprise, c'est le signal électronique émis par le client. Cela
signifie que c'est l'ensemble de la gestion qui doit s'adapter pour pouvoir
notamment assembler le produit au dernier instant en fonction de la demande.
C'est l'exemple de Dell Computer. Car si dans un premier temps, la concurrence
sur Internet va se faire sur les prix, elle se fera ensuite essentiellement sur
la personnalisation du produit et les services qui l'accompagnent.
"
Si les Américains, qui ont un moment souhaité faire d'Internet un
vaste " duty free ", semblent faire machine arrière à la demande
même des États américains soucieux de leurs recettes
fiscales, tous les problèmes ne sont pas réglés. Le
Gouvernement fédéral, par exemple, estime que, pour la protection
du consommateur, c'est la loi du pays du fournisseur qui doit s'appliquer, de
manière à ne pas paralyser l'entreprise dans un maquis de
réglementations différent d'un pays à l'autre. A
l'inverse, nous considérons, comme c'est le cas à l'heure
actuelle avec le commerce traditionnel, que c'est la réglementation du
pays où se trouve le consommateur qui doit s'appliquer. Ce type de
débat, dont est saisie l'OCDE, conditionne non seulement le
développement du commerce électronique mais celui du commerce
international en général.
Enfin, il est important de garantir la sécurité des transactions
sur Internet comme elle l'est actuellement sur Minitel. Le Gouvernement
français, qui n'a pas encore publié les décrets
d'application sur la législation concernant le cryptage, est
pratiquement mis en accusation par de nombreux de spécialistes du
commerce électronique pour lesquels ce retard handicape le
développement du secteur.
*
* *
Là comme ailleurs, le marché sera souverain,
sans que
le résultat de la compétition puisse être
prévu ; la sélection des produits ou des modes de
consommation sera déterminée, en amont, par les entreprises, mais
on peut penser que les réactions du consommateur, difficilement
prévisibles en l'état actuel des choses, joueront
également un rôle important.
La multiplication des chaînes, combinée avec la convergence des
réseaux, va sans doute entraîner une certaine
déstructuration du paysage audiovisuel. Certes, les chaînes
généralistes existeront encore et pour longtemps, mais leur part
d'audience va sans doute régresser peu à peu au profit des
chaînes thématiques et des programmes spécialisés
à la demande.
A plus long terme, il faudra savoir gérer l'interactivité
entre l'offre et la demande et, en particulier, la maîtrise des
instruments de " navigation ". Ceux-ci permettront soit de
repérer les programmes susceptibles de répondre aux exigences du
consommateur, soit, pour chaque téléspectateur, de constituer son
propre programme à partir des bouquets d'émission disponibles sur
réseau.
On a toutes les raisons de penser que c'est à ce
niveau que la concurrence entre les groupes sera la plus rude.
II. LA NOUVELLE DONNE PUBLICITAIRE
La
confiance règne. Dopés par une bonne conjoncture - qui confirme
la corrélation entre croissance réelle et croissance du
marché publicitaire - les professionnels affichent un réel
optimisme.
Au vu des résultats pour 1997 et des perspectives pour 1998, on ne peut
que partager ce sentiment. A moyen terme, il convient d'être plus
prudent, comme y invitent certains acteurs du marché, telle la
régie IP. Celle-ci, qui vient de passer sous le contrôle de
CLT-UFA, conclut ainsi une étude récente des marchés
occidentaux : "
la croissance du marché publicitaire n'est plus
forcément proportionnelle à la croissance économique... Il
faudra s'habituer à des taux de croissance plus modestes
".
On ne peut faire l'économie, si l'on veut analyser les perspectives des
entreprises audiovisuelles d'une analyse des tendances des marchés
publicitaires.
C'est pourquoi M. le Président de la commission des finances du
Sénat a commandé (fin 1997) au Conseil supérieur de
l'audiovisuel une étude sur " L'audiovisuel et la
publicité ".
S'agissant des perspectives à moyen terme, l'exercice est
délicat, mais tout laisse prévoir une possible mutation des
marchés publicitaires.
La révolution numérique apporte deux innovations,
l'interactivité et la possibilité de ciblage
. Elles seront de
nature à modifier profondément les relations entre annonceurs,
publicitaires, médias et consommateurs. La combinaison, sur une grande
échelle et non plus de façon expérimentale, de ces deux
éléments devrait changer les règles du jeu
publicitaire ; on sera désormais en mesure, à la fois,
de
procéder à des " frappes chirurgicales " ne portant que
sur des publics très ciblés, et d'en mesurer l'impact
commercial
avec précision, presque en temps réel. On a donc
toutes raisons de penser que l'annonceur aura les moyens de demander des
comptes et de juger l'efficacité d'une campagne, selon un constant souci
de rentabilité.
La télévision a été, avec le hors-médias, le
moteur de la prospérité du secteur de la publicité ces
dernières années ; réciproquement, la
publicité s'est révélée un élément
stratégique de l'équilibre d'exploitation, aussi bien des
chaînes privées que des chaînes publiques. Les ressources
publicitaires ont, en effet, servi - aux Gouvernements successifs -
de variables d'ajustement du budget des chaînes publiques. C'est
regrettable, mais c'est ainsi. Publicité et audiovisuel sont donc
liés de façon indissoluble.
Mais ce lien financier se double désormais d'une interdépendance
technologique. Parce qu'elle a introduit depuis longtemps la mesure des
audiences, parce qu'elle propose des versions thématiques, donc
personnalisées, et qu'elle évolue vers une interactivité
croissante, parce qu'elle se rapproche d'Internet, enfin, la
télévision est au coeur de cette mutation probable des
marchés publicitaires.
A. ÉVOLUTION DE LA PART DE MARCHÉ DE LA TÉLÉVISION
Si l'on s'accorde généralement pour constater la reprise de la croissance du marché publicitaire, en revanche, il n'existe pas de consensus sur l'ampleur des changements qui pourraient résulter des innovations technologiques et, en particulier, de l'arrivée d'Internet comme moyen de communication de masse.
1. La situation du marché de la publicité télévisée
La
publicité télévisée qui absorbait en 1987 moins
de 25 % des recettes publicitaires des grands médias, en
mobilise aujourd'hui plus du tiers, en dépit des multiples contraintes
réglementaires
7(
*
)
. Toutefois, cette
progression, du fait des fluctuations conjoncturelles, n'a été ni
régulière ni homogène.
La télévision a, plus que la presse ou la radio,
bénéficié de la forte expansion des années 80. Elle
a, moins que les autres médias, souffert du tassement du marché
publicitaire de 1991 à 1993. Elle a repris sa progression à
partir du second semestre 1993, en raison du redressement de l'ensemble du
marché publicitaire. L'infléchissement enregistré en 1996
est resté relatif. La progression observée en 1997, bien que
légèrement en retrait par rapport aux années
précédentes, est plus élevée que la moyenne des
grands médias.
On peut distinguer, dans l'évolution des rapports entre l'audiovisuel et
la publicité, au cours des dix dernières années, deux
périodes aux profils sensiblement différents.
1) La première période, (1987-1992) est celle qui s'ouvre avec la
création de La Cinq et de M6, et la privatisation de TF1 ; elle se
termine avec la disparition de La Cinq.
Elle se caractérise par une vive croissance de l'offre publicitaire
entraînant, dans un contexte économique favorable, l'ensemble du
marché publicitaire. Bien que cette rapide progression des
investissements publicitaires à la télévision ait surtout
bénéficié aux chaînes privées, elle s'est
avérée globalement insuffisante. Son infléchissement
à partir de 1990 a accentué les difficultés de La Cinq,
qui a cessé d'émettre début avril 1992.
2) La seconde période (1992-1997) a suivi la disparition de La Cinq,
avec l'arrivée d'ARTE, puis de La Cinquième. On est alors
passé de trois chaînes privées et deux chaînes
publiques, à deux chaînes privées et quatre chaînes
publiques (sur trois canaux) ; deux chaînes
généralistes publiques et deux chaînes
généralistes privées.
Cette période se caractérise par une croissance beaucoup plus
modérée des recettes publicitaires de la
télévision, en dépit d'une forte augmentation de la
durée des espaces publicitaires offerts, notamment sur les chaînes
publiques.
Le redéploiement des investissements des annonceurs sur quatre
chaînes généralistes au lieu de cinq a cependant permis
à chacune d'entre elles, prise isolément, de connaître une
forte progression de son chiffre d'affaires publicitaire, en dépit de la
morosité de l'environnement économique. " Cette embellie
technique " aurait été de courte durée, si elle n'avait
été relayée par la reprise des années 1992 à
1995
, qui furent particulièrement favorables sur le plan
économique pour les chaînes hertziennes. Le repli intervenu en
1996 n'en est apparu que plus significatif.
Un contexte favorable
Les annonceurs ont dépensé, en 1997, 158,3 milliards de
francs pour promouvoir leurs produits et faire connaître leurs marques,
soit 3,8 % de plus que l'année précédente, selon
l'étude " France Pub ", rendue publique, au début mars
1998, par Havas et sa filiale Havas Média Communication. Ces
spécialistes tablent sur une croissance du marché publicitaire de
4,5 % pour l'année 1998. Cette étude, dont c'est la
sixième édition, est fondée sur le recensement des
investissements réels de 2 500 entreprises, en distinguant la part
allouée aux médias (télévision, presse, radio,
affichage et cinéma) de celle affectée au hors-médias
(marketing direct, promotion, événementiel, multimédia,
annuaires).
On note que cette croissance globale de 3,8 %, en 1997, est
légèrement supérieure à celle observée en
1996, soit 2,9 %, tout en restant en dessous des taux de 4,4 % et
4,5 % observés en 1994 et 1995.
En 1997, le
hors-médias
a continué d'attirer les deux
tiers (64 %) des dépenses de communication, contre 63,8 % en
1996. Après avoir fortement progressé, ce secteur pourrait se
stabiliser : " En 1998, la croissance des investissements médias devrait
être similaire à la croissance du hors-médias ",
prévoit le directeur des études d'Havas, en ce qui concerne la
répartition médias/hors-médias.
Le marché français est similaire à celui de l'Italie,
où les médias représentent 34,3 % des
investissements, selon l'étude Europub (avril 1998), de la Belgique
(33,1 %) et de l'Allemagne (37,4 %). En revanche, au Royaume-Uni
(50,4 %) comme aux Pays-Bas (75,3 %), les médias attirent
encore la majorité des dépenses publicitaires.
Le
marketing direct
- ( mailing, éditions publicitaires,
prospectus et marketing téléphonique) qui représente la
plus grosse part du marché publicitaire, avec 49,5 milliards de
francs, soit 31,3 % - et la promotion des ventes (réductions
de prix, objets publicitaires, PLV et jeux-concours), ont augmenté
respectivement de 4,5 % et 4,1 % en 1997.
Parmi les
médias,
la presse a bien résisté en 1997.
Des progressions supérieures à la moyenne du marché ont
été enregistrées par la presse quotidienne nationale (+
9,6 % à 1,69 milliard de francs) et la télévision
(+ 5,8 % à 19,1 milliards de francs). Le succès de
la presse quotidienne s'explique en partie par l'introduction de la couleur et
le dynamisme commercial des supports. La presse quotidienne régionale
(PQR), en revanche, paraît se moins bien porter. Ses recettes
publicitaires ont fléchi de 8,8 % en 1996 pour tomber à
2,99 milliards de francs.
La situation n'est guère plus satisfaisante pour la radio, dont les
recettes publicitaires régressent pour la deuxième année
consécutive (1,4 %), du fait, notamment, de la diminution du nombre
des campagnes nationales. Selon la même étude de France pub, un
renversement de tendance (+ 2 %) pourrait cependant intervenir en
1998.
Les
médias
dits de
complément
continuent, de
leur côté, à améliorer leurs parts de marché.
L'affichage a progressé de 4,8 % (8,4 milliards de francs),
comme le cinéma, qui atteint presque le demi-milliard de francs
d'investissements, " un seuil symbolique ", selon les experts,
grâce à une croissance de 8 %. Enfin, en 1997,
40 millions de francs ont été consacrés à
l'achat d'espaces publicitaires sur Internet.
En dernier lieu, l'étude indique que le poste " multimédia ",
qui, selon France Pub, avait réalisé en 1996 un chiffre
d'affaires publicitaire de 405 millions de francs (coût de la
création du support,
on line
et
off line
inclus), s'est
accru en 1997 de près de 60 % pour atteindre 645 millions de
francs.
La concentration des annonceurs
La concentration des dépenses est très importante : en
1997, 3,3 % des annonceurs disposant d'un budget publicitaire
supérieur à 500 000 francs représentaient
70 % des dépenses. Les vingt premiers annonceurs en assuraient
près de 30 %, tandis que 5 groupes : PSA, Renault,
Nestlé l'Oréal et Danone en représentaient à eux
seuls 11,4 %.
38,2 % de ces dépenses étaient, toujours en 1997,
réalisés par les trois principaux secteurs concernés,
alimentation-boissons, transport et distribution.
2. Une évolution du marché publicitaire en perspective
Les
analyses divergent sur le sens et la portée des évolutions en
cours des médias audiovisuels. Entre ceux qui pourraient pêcher
par excès d'enthousiasme, notamment sur la révolution que
pourrait entraîner Internet, et ceux qui privilégient une certaine
stabilité du marché et des habitudes, il n'est pas facile de
trancher.
Si le déplacement des masses financières entre les
différents compartiments du marché pourrait être moins
rapide que certains ne le prévoient, on peut toutefois anticiper un
infléchissement des mécanismes du marché vers des
techniques plus personnalisées et un souci accru de la
rentabilité de l'investissement publicitaire. Il est peu vraisemblable
que cette tendance, si elle se confirmait, n'affecte pas le fonctionnement des
chaînes.
Vers des stratégies publicitaires plus diversifiées ?
On se dirige, semble-t-il, vers une diversification des campagnes
publicitaires. Ainsi, les analyses de Carat TV sur l'évolution des
investissements des 200 plus gros annonceurs de 1994 à 1997 montrent un
développement de stratégies plurimédias, par rapport au
" tout télé
". Ce phénomène, qui
s'explique largement par la multiplication de l'offre à laquelle on a
assisté ces dernières années, paraît cependant avoir
rencontré ses limites.
D'abord, selon certains publicitaires,
le média presse a,
aujourd'hui, retrouvé un regain d'intérêt de la part des
annonceurs
. La première raison de cette évolution est
le
souci croissant du ciblage
des messages publicitaires. Les entreprises ont
un marketing de plus en plus individualisé et segmenté. Or, la
presse magazine, notamment, est le média le plus fin pour l'approche
sociodémographique ou socioculturelle. De fait, cette évolution
rejoint la tendance à la fragmentation des audiences en raison de la
multiplication des chaînes numériques de télévision.
La deuxième raison pourrait s'appeler
l'impératif de
marque
. Face à
des consommateurs plus matures, ayant davantage
d'exigences, mais aussi de volatilité
, les entreprises ont compris
que la marque est un élément capital pour faire face à la
concurrence. Un média comme la presse permet de bien faire ressentir les
valeurs de la marque ; ce constat expliquerait que la presse pourrait
retrouver une place stratégique dans l'offre média.
Parallèlement,
le marketing relationnel, le " one to one ",
va prendre de plus en plus d'importance en raison des nouvelles
technologies
. La progression du hors-médias confirme cette
redistribution des investissements publicitaires des annonceurs, au profit
d'actions plus concentrées que celles que permettent les grands
médias nationaux :
on passe du marketing de masse au marketing
ciblé.
Une autre tendance de fond est la lassitude d'un consommateur saturé de
messages, spontanément infidèle, zappeur, de moins en moins
sensible à la publicité conventionnelle. Beaucoup de solutions
traditionnelles fondées sur l'utilisation des médias classiques
ne fonctionnent plus. Il apparaît de plus en plus nécessaire de
concevoir de nouvelles stratégies pour les marques, qui combinent
l'ensemble des moyens de communication.
Internet, un marché émergent aux États-Unis,
embryonnaire en France
Ce n'est pas encore la déferlante publicitaire espérée par
les créateurs de sites Web. Selon l'Internet Advertising Bureau (IAB),
association fondée pour promouvoir son développement, la
publicité sur Internet et les services en ligne a
représenté en 1997, aux États-Unis, un total de
907 millions de dollars, soit 5,5 milliards de francs. Cette
estimation, établie à partir d'une enquête menée par
la firme Coopers & Lybrand (auprès de 200 compagnies
gérant 1 000 sites Web représentatifs), est d'autant
plus intéressante que 90 % des investissements publicitaires
sur le Net proviennent aujourd'hui des États-Unis. Rappelons que le
marché publicitaire américain représente 47 % des
investissements publicitaires mondiaux contre 3,5 % pour le marché
français.
La publicité sur Internet a donc plus que triplé par rapport
à 1996, année où l'IAB avait situé le niveau de
cette " e-pub " à 266,9 millions de dollars.
Compilés par le conseil médias Carat, qui est membre de l'IAB,
les chiffres du marché français sont évidemment beaucoup
plus modestes. En 1997, 180 annonceurs français ont, selon cette
société de conseil médias, réellement investi
l'espace média Internet, en achetant des bandeaux ou via des actions de
sponsoring, pour un montant total de 25 millions de francs, contre
4,5 millions en 1996. On est loin de certaines estimations fantaisistes
qui prennent en compte la création de sites Web promotionnels par les
entreprises. Pour 1998, Carat Multimédia tablerait sur une fourchette de
50 à 70 millions de francs, mais en précisant que tout
dépendra du démarrage du commerce électronique en France
et de la réaction du secteur bancaire.
Par souci méthodologique, l'Internet Advertising Bureau se refuse
à livrer des prévisions mondiales pour 1998. De son
côté, un organisme d'études, Jupiter Communications,
évoque le montant de 2,3 milliards de dollars pour 1998,
près de 4 milliards en 1999 et presque 6 milliards en l'an
2000.
Dès aujourd'hui, le marché de la pub on line s'organise. Des
régies spécialisées comme Yahoo (premier site
français), Interdéco Multimédia (régie de tous les
sites du groupe Hachette), Realmedia (groupe américano-suisse axé
sur la presse quotidienne), Rol (régie spécialisée dans
les fournisseurs d'accès) ou bientôt Doubleclick. Cette
dernière entreprise très importante aux États-Unis,
rassemble chaque mois dans ce pays un milliard de bannières sur 75
supports différents.
L'effet Internet : mode ou tendance lourde ?
Au-delà d'un certain effet d'attraction culturelle, qui engendre une
sorte de mimétisme - au niveau de maquettes de journaux par exemple -,
Internet devrait apporter un changement radical.
Internet aurait pour conséquence d'abattre toutes les
frontières traditionnelles, celle du média et du
hors-médias, celle des mass media et des médias adressés,
celle, enfin, de la communication et de la distribution. Avec Internet, tous
ces domaines s'imbriquent : la publicité, le marketing se fondent
dans le commerce électronique. D'ores et déjà, on peut
parler, comme certains publicitaires, de métissage
.
Quel est l'avenir de la publicité en ligne ? Les avis divergent.
Pour Maurice Lévy, le président-directeur général
du groupe Publicis, elle devrait représenter 10 % du marché
à moyen terme. Pour Jacques Séguéla, au contraire, la
publicité interactive (mais l'expression inclut la publicité par
satellite) pourrait atteindre le niveau des investissements publicitaires
télévisés à l'horizon 2010. Une autre estimation,
sans doute plus réaliste, pour la seule publicité en ligne, celle
de Carat Multimédias, considère que son marché pourrait
égaler celui du Cinéma en 2001, soit 500 millions de francs.
Comme support publicitaire, Internet pourrait représenter une
véritable révolution culturelle. Il serait possible en effet de
mesurer quantitativement le lien existant exactement entre l'annonce
publicitaire et les ventes. Auparavant les annonceurs et les publicitaires ne
disposaient pas d'instruments de mesure directs et précis. En passant
une annonce électronique une " bannière ", selon
la terminologie en vigueur , l'annonceur va maintenant pouvoir en mesurer
l'efficacité simplement par le décompte des connexions nouvelles
sur son site commercial. Si la bannière ne donne aucun résultat,
les régies publicitaires sont en mesure de la changer en quelques
minutes. Mieux, certains logiciels seraient capables de sélectionner
automatiquement les bannières qui donnent les meilleurs scores. Enfin,
Internet permet de compiler des informations sur les utilisateurs, de les
suivre dans leur navigation pour leur proposer des annonces ciblées sur
leurs centres d'intérêt.
Ainsi, la filiale française d'America OnLine - AOL - se lance
dans l'aventure publicitaire en confiant la commercialisation de ses espaces
à Régie On Line, - ROL - une filiale du groupe
français ImagiNet-PlaNet. Cette entreprise, qui assure
déjà la régie publicitaire d'une quarantaine de sites
francophones, a mis au point un système de tarification simple ;
l'annonceur paie en fonction du nombre d'utilisateurs d'AOL qui auront
cliqué sa publicité. A titre indicatif, un bandeau publicitaire
pour une campagne d'un mois coûtera entre 12 000 et
16 000 francs, tandis qu'une icône en forme de logo de
l'annonceur, avec un lien direct au site de ce dernier par cliquage,
coûte environ 350 francs pour 1 000 connexions.
Régie On Line, comme la plupart des autres régies, a
également défini " des bouquets ciblés "
permettant de sélectionner les centres d'intérêts des sites
sur lesquels sont diffusées les publicités.
Même si, aux États-Unis, AOL a réalisé un chiffre
d'affaires publicitaire de l'ordre de 300 millions de dollars en 1996, ce
qui est loin d'être négligeable, le marché français
reste tout à fait balbutiant avec 5 à 6 millions de chiffre
d'affaires pour 1996 dont seulement 1,2 million de francs pour ROL.
A titre d'exemple, on peut mentionner qu'une campagne de 15 jours sur 8
à 10 sites coûte entre 150 et 200 000 francs.
Les annonceurs et leurs agences seront donc en mesure d'évaluer
exactement l'efficacité de leurs investissements publicitaires. La
concurrence ne peut donc qu'être plus rude, pour les agences comme pour
les médias.
De toute façon, l'avenir de la publicité dépend des
solutions techniques et commerciales qui finiront par s'imposer sur les
marchés. Si, d'ici une dizaine d'années, l'ordinateur et la
télévision se sont rejoints, et si les écrans diffusent
alternativement des programmes et des services, - comme cela semble devoir
être le cas aux États-Unis avec le branchement systématique
du câble sur Internet -, on a toutes les raisons de croire que le
marché de la publicité en ligne se développera et que la
segmentation des marchés publicitaires, telle qu'elle existe
aujourd'hui, aura disparu. Beaucoup d'annonceurs utiliseront dans une
même campagne les différents leviers offerts.
Deux lectures
sont
possibles
pour comprendre une telle
évolution : d'un côté, ceux pour qui
les
investissements publicitaires des annonceurs devraient être fortement
amplifiés par ces nouvelles opportunités
de communication et
l'ouverture de nouveaux marchés ; de l'autre, ceux qui, au
contraire, s'inquiètent de
l'accroissement des dépenses qui
pourraient résulter du recours à des techniques plus
sophistiquées
et de ce que " l'accès à des
marchés de masse à des coûts économiquement bas se
raréfie ".
Parallèlement, on peut interpréter le recours accru aux
possibilités de
communication " one to one ", soit comme un
progrès dans la mesure de l'efficacité des messages, soit comme
une cause d'intensification de la concurrence,
susceptible
d'entraîner des transferts de dépenses entre les supports et
éventuellement une diminution des marges.
En tout état de cause, les effets de substitution entre supports, qui
peuvent jouer entre les différents types (presse,
télévision ou radio, hors-médias ou Internet)
dépendront de l'évolution globale du marché et donc de la
croissance de l'économie. Plus celle-ci sera forte, plus le
développement d'Internet comme support publicitaire a des chances
d'être rapide et de s'effectuer sans nuire, directement ou indirectement
aux autres médias.
B. UN DÉFI POUR LES CHAÎNES GÉNÉRALISTES
La
montée en puissance des nouvelles chaînes du câble et du
satellite, appelées à attirer une part de plus en plus importante
de l'audience, et des recettes publicitaires, pourrait bien s'effectuer au
détriment des chaînes généralistes hertziennes.
En outre, il faut tenir compte des fuites qui pourraient résulter de la
tendance pour certains annonceurs à déplacer, dans un espace
audiovisuel sans frontières, leurs campagnes vers des chaînes
où la publicité à la télévision est moins
encadrée.
Il faut également tenir compte de l'émergence de nouveaux
supports et de nouvelles formes de publicité, issus de la convergence
PC/TV/Internet, qui ont d'ores et déjà attiré une part
importante des budgets publicitaires.
"
La diminution de l'audience des chaînes
généralistes remet en question l'atout "mass" des
médias
" affirme, en septembre 1997, Michel Granjean,
responsable de Médiapolis.
Par contre, les responsables des chaînes généralistes
considèrent, au contraire, que la télévision demeure un
" grand média très porteur en dépit de la
fragmentation de l'audience ".
L'impact de cette évolution sur les ressources publicitaires des
chaînes hertziennes reste pour l'instant limité ; il est
vraisemblable que la reprise de la consommation diminuera les tensions du
marché publicitaire qui ont pu affecter les chaînes
généralistes.
1. Les limites au bourrage des écrans
L'augmentation continue de la durée des espaces
publicitaires
La stratégie commerciale de TF1 Publicité s'était
longtemps démarquée de celles des autres régies par une
limitation volontaire de la durée de ses écrans à
4 minutes 20 secondes. Sa position incontournable de leader sur
le marché lui permettait de maintenir des tarifs relativement
élevés, sur des écrans d'autant plus efficaces qu'ils
étaient plus courts, et qu'ils bénéficiaient d'une
audience importante auprès des publics cibles des annonceurs.
Compte tenu de l'évolution générale du marché
publicitaire, l'érosion progressive de son audience a réduit cet
avantage. La déclaration faite par TF1 au Conseil supérieur de
l'audiovisuel, en 1996, à l'occasion du renouvellement des autorisations
des chaînes privées, abandonnant son engagement d'auto-limitation
dans les oeuvres de fiction, et de s'aligner sur le régime
général prévu par la loi, est conforme au changement de
stratégie intervenu. En 1994, 43 % des écrans de TF1
duraient plus de 3 minutes; en 1996, ils représentaient 60 %.
La durée globale de la publicité à la
télévision sur les chaînes en clair (sans compter La
Cinquième) a progressé de 10 % par an en moyenne entre 1992
et 1997.
La concurrence entre les régies, dans un contexte où la
durée des espaces publicitaires augmente plus vite que les
dépenses des annonceurs, se traduit par une agressivité accrue
dans les politiques tarifaires, et une
multiplication des " conditions
spéciales de vente ". Les taux moyens de remises sont passés
de 32 % en moyenne pour l'ensemble des chaînes en 1994, à
36,4 % en 1996.
Les handicaps du secteur public
"
Il est important de noter que,
selon l'étude du Conseil
supérieur de l'audiovisuel
, si minimes qu'elles paraissent, les
restrictions appliquées aux chaînes publiques en matière
d'accès au marché publicitaire (
interdiction de couper les
oeuvres
par des écrans publicitaires ;
exclusion du
télé-achat
) leur créent
un handicap
qui ira
croissant
;
un gain d'un point d'audience rapporte, en part de
marché publicitaire, environ deux fois plus à une chaîne
privée qu'à une chaîne publique.
Entre 1992 et 1996, les recettes publicitaires de TF1 et de France 2 ont
augmenté respectivement de 1,2 milliard et de 0,75 milliard. Il a
suffi à TF1, qui avait pourtant perdu 6 points d'audience, d'augmenter
la durée de ses écrans de 30 minutes par jour. Par contre,
il a fallu à France 2, malgré une légère
progression de son audience, accroître la durée de ses
écrans de 40 minutes. "
L'étude du Conseil supérieur de l'audiovisuel donne des chiffres
qui justifient cette appréciation.
"
En 1996, le montant global des recettes publicitaires brutes
facturées par les régies, pour le compte des chaînes
nationales hertziennes, s'élevait à 14,2 milliards dont
97 % concernaient 4 chaînes : TF1, France 2,
France 3 et M6.
Les recettes publicitaires de Canal +, avec 400 millions de francs
(4,5 % de son chiffre d'affaires), et même de La Cinquième
avec 17 millions de francs, sont loin d'être négligeables,
mais elles ne constituent pas pour ces chaînes un enjeu aussi vital que
celui qu'elles représentent pour les autres chaînes nationales
hertziennes.
Les recettes publicitaires se répartissaient inégalement entre
les quatre chaînes concernées : 68 % environ aux
chaînes privées, 32 % aux chaînes publiques.
A l'intérieur de ces deux groupes, les montants sont à peu
près proportionnels à l'audience, avec
pour TF1 une
" prime au leader ",
qui tend peu à peu à se
réduire.
La relation entre l'audience et les recettes publicitaires n'est d'ailleurs pas
automatique, et comme le faisait remarquer Corinne Bouygues pour expliquer les
performances de TF1, qui, avec 35 % de parts d'audience, draine plus de
50 % des recettes publicitaires,
" ce qui importe ce n'est pas
tant l'audience des programmes, que l'audience des écrans publicitaires
auprès des publics cibles des annonceurs ".
Il n'en reste pas moins que les fluctuations de l'audience se retrouvent plus
ou moins accentuées, dans l'évolution des recettes publicitaires.
Ainsi, TF1, dont la part d'audience est passée de 41 % en 1992
à 35,3 % en 1996, a vu sa part de marché publicitaire (en
pourcentage du montant total facturé par les régies) passer de
58,2 % à 52,4 %. Dans le même temps, France 3, dont
l'audience augmentait de 13,7 % à 17,7 %, voyait sa part de
marché publicitaire progresser de 9,4 % à 12,4 %.
L'effort commercial nécessaire à une chaîne et à sa
régie pour accroître ou maintenir une part de marché n'est
donc pas moins important pour le secteur public que pour le secteur
privé, mais la liberté pour adapter le contenu de la grille de
programmes aux exigences des annonceurs ou aux rigueurs financières du
moment est beaucoup plus grande pour le second que pour le premier.
Cette différence d'adaptabilité à la concurrence fait que,
paradoxalement, les chaînes publiques apparaissent plus
vulnérables que les chaînes privées aux fluctuations du
marché publicitaire.
"
2. Des pratiques commerciales plus agressives et plus diversifiées
Dans sa
note de conjoncture de 1997, la régie IP relevait "
une nouvelle
donne dans l'évolution des marchés publicitaires occidentaux,
avec le tassement de la croissance médias télévision,
lié pour une large part à la multiplication des chaînes
commerciales et à la profusion de l'offre publicitaire. Les
négociations se font désormais plus âpres sur les
tarifs
".
L'organisation du marché
Les régies qui commercialisent les espaces publicitaires des services de
communication audiovisuelle et cinématographique au sens large et les
centrales d'achat, intermédiaires directement en relation avec les
régies, jouent chacune un rôle particulier
8(
*
)
.
1- Les régies
" La plupart des régies publicitaires sont monomédia
à l'exception de Information & Publicité qui assure la
régie de chaînes de télévision et de radios. En
général, il existe des régies spécialisées
dans la radio, la télévision, le cinéma. En
réalité, le plus souvent elles commercialisent l'espace
publicitaire des médias qui sont leurs actionnaires ou des médias
que leurs actionnaires ont créés !
Trois principales formes de structure apparaissent :
-
•
Les régies intégrées au média sont
assimilées à un département de vente du support comme la
régie de Canal + ou celle de Radio France. Cette architecture reste
plutôt l'exception.
• Les régies filialisées, donc filiales directes des médias, sont les structures les plus communément utilisées par les supports, c'est le cas de TF1, France 2, France 3, M6, NRJ, ou Europe 1.
• Les régies externes n'ont aucun lien capitalistique direct avec les médias qu'elles commercialisent ; ce sont des régies comme Médiavision l'est pour le cinéma.
Si les recettes publicitaires sont des recettes marginales dans l'activité du média, la régie est alors intégrée afin de maximiser les économies d'échelle et donc les frais liés au fonctionnement d'une régie ; c'est le cas, par exemple, pour Radio France ou Canal +.
En revanche, lorsque les recettes publicitaires représentent la principale source de financement du média, il ne peut être exclu que les charges liées à l'activité de régisseur doivent être maximisées afin de réduire, soit le volume des engagements de production issus du décret n° 90-67 du 17 janvier 1990 fixant les principes généraux concernant la contribution au développement de la production cinématographique et audiovisuelle, soit la taxe au compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels et cinématographiques. Les chaînes de télévision cherchent ainsi à minorer l'assiette de calcul de leurs obligations en filialisant leur régie publicitaire et en imputant certaines activités d'études d'audience ou de prestations sur leurs régies. Dans le cadre de la réforme du Compte de soutien, l'assiette de calcul de la taxe COSIP est désormais assise sur les recettes publicitaires brutes. Toutefois, il n'est pas question pour ces chaînes de télévision de confier à une régie externe la vente de leur espace publicitaire, compte tenu du caractère stratégique de cette activité.
Enfin, lorsque le positionnement du média est centré sur des marchés de niche et que son audience est limitée, la stratégie de la régie publicitaire est le plus souvent confiée à un partenaire extérieur qui, lui, sera en mesure de fédérer des audiences. Le plus souvent, ces médias n'ont pas les moyens ou le savoir faire pour commercialiser leurs espaces publicitaires. Tel est le cas des chaînes thématiques du câble et du satellite, de La Cinquième, des radios locales et de la plupart des exploitants de salles de cinéma.
Généralement, les régies déclarent en chiffre d'affaires le montant de l'espace facturé aux annonceurs et, en dépenses, les versements aux chaînes. Parfois, la facturation s'effectue directement de la chaîne à l'annonceur et celle-ci verse ensuite sa commission à la régie qui la comptabilisera, alors que cette dernière en chiffre d'affaires.
En matière de télévision nationale hertzienne, c'est la régie publicitaire de TF1 qui domine le marché. Il convient toutefois de signaler que Thématiques Régie, filiale de Canal + occupe une place importante sur le marché publicitaire des chaînes thématiques françaises, même si Information & Publicité est la première régie publicitaire sur le câble grâce à RTL 9, chaîne leader avec une part d'audience de 5,9 % (4 ans et + - Audicâble janvier 1997). Toutefois, la répartition des recettes publicitaires de RTL 9 entre hertzien local et câble n'étant pas connue, le poids d'IP est probablement légèrement surestimé 9( * ) . "
PARTS DE MARCHÉ DES RÉGIES PUBLICITAIRES EN 1996
|
TV |
CHAÎNES |
|
NATIONALES |
THÉMATIQUES |
TF1 Publicité |
52 % |
10 % |
France Espace |
29 % |
2 % |
M6 Publicité |
17 % |
15 % |
Canal + |
2 % |
0 % |
Thématiques Régie |
0 % |
35 % |
IP |
0 % |
38 % |
Ainsi,
France Espace Développement, filiale de la régie publicitaire de
France 2 et France 3, a décidé d'investir ce
marché en devenir grâce à la toute nouvelle
société
Web Sat Pub
. Cette régie publicitaire
commence avec quatre actionnaires : à France Espace Développement
(35 %) sont associés la Compagnie Financière de Rothschild
(45 %), Porte du Bois Investissement (10 %), - la
société de Pascal Josèphe, ancien directeur des programmes
de France Télévision, et Marc Lavédrine
(10 %) -, qui a quitté la présidence de France Espace.
L'objectif affiché par les promoteurs de cette société est
ambitieux : 150 millions de francs de chiffre d'affaires en trois ans,
dont 40 à 50 millions de francs apportés par Internet.
Aujourd'hui, Web Sat peut compter sur un peu plus de 20 chaînes
thématiques, celles du bouquet AB Sat et les thématiques de
France Télévision, dont les ressources publicitaires sont
minimes. Quant à Internet, la régie publicitaire a pour ambition
de commercialiser les sites de France 2 et France 3.
IP, la régie publicitaire qui vient de quitter Havas pour CLT-UFA, a
déjà réalisé des études sur le marché
des programmes thématiques. Les prévisions pour 1997 tablent sur
un chiffre d'affaires publicitaire global de 120 millions de francs,
186 millions en 1998 et 280 millions en 1999.
IP commercialise actuellement sur la France, les programmes de RTL 9, MTV
et de la toute nouvelle chaîne Fox Kids. Selon le directeur du marketing
et du développement d'IP, il s'agit d'un petit marché difficile
à rentabiliser. Actuellement, outre IP et Web Sat Pub en phase de
lancement, trois autres intervenants prennent des positions : Thématique
Régie, le plus important, qui commercialise les thématiques de
Canal +, M6 Publicité et TF1 Publicité, qui ont chacune
leurs programmes thématiques.
L'objectif des chaînes généralistes est de
récupérer une partie du chiffre d'affaires publicitaire qu'elles
pourraient perdre à terme, comme ce fut le cas des grands réseaux
américains.
La multiplication des remises
Dans son étude, le Conseil supérieur de l'audiovisuel attire
l'attention sur ce phénomène :
"
Les stratégies commerciales des régies reposent sur une
panoplie impressionnante d'abattements par rapport aux prix affichés,
destinés tout à la fois à préserver les acquis et
à séduire de nouveaux annonceurs.
La complexité du système est parfaitement illustrée par
ces commentaires de Médiapolis sur les conditions de vente des espaces
publicitaires présentés par les régies en octobre
1997 :
«
En période creuse, TF1 offre des dégressifs
incitatifs de volume (prime accessible aux annonceurs réalisant au moins
600 000 francs bruts facturés). Elle propose, d'autre part,
des primes de progression et de bonification soumises à des conditions
liées au volume, à l'équilibre entre les périodes
et à la part de marché comparée à celle du secteur
de l'annonceur : TF1 affiche une politique volontariste par rapport aux
périodes d'investissements, mais multiplie les conditions et met en
place des mécanismes complexes pour préserver ses acquis. Les
remises sont plafonnées à 18 % hors remise de
références. Concernant la période encombrée, on
remarquera un dégressif de volume stable et une prime d'accompagnement
dépendante de l'évolution du volume et/ou de la part de
marché sectorielle... La chaîne abandonne la remise des 50 %
de part de marché pour les secteurs lourds (alimentaire, entretien,
transport...) applicable sur la référence du secteur ( de
- 3 à + 7 points). Enfin, elle introduit une bonification pour
limiter le " surbooking " sur les périodes
encombrées.
" Le service public adopte une position offensive en imposant la part de
marché comme levier prioritaire de l'optimisation financière, et
propose un dégressif de volume qui combine remises sur tranches et
montants forfaitaires. Ses conditions sont, d'autre part,
systématiquement liées aux parts de marché,
réévaluées sur tous les secteurs et sur la grille de
progression. La part de marché remplace l'accélérateur de
volume sur les périodes creuses (prime de progression de part de
marché saisonnalisée). Les nouveaux annonceurs
bénéficieront de 10 % d'espace gracieux.
" M6 maintient la remise mandataire, fonction de la part de marché
mandataire ou annonceur (avec un plancher toujours à 17 %). Le
barème de volume est plus souple et plus attractif, notamment pour les
petits annonceurs. Les remises de parts de marché sont, en revanche,
moins incitatives (paliers à la hausse et taux à la baisse). La
prime de saisonnalité, elle, est en hausse mais toujours
verrouillée par des parts de marché élevées.
" Canal + a mis en place un système novateur pour
séduire les annonceurs de la grande consommation. Ces derniers pourront
profiter d'un abaissement des tarifs de 10 %, pris en compte dans le
calcul des parts de marché Secodip. La grille de volume est unique,
simplifiée et plus attractive pour les budgets moyens. Canal +
incite d'autre part à la progression avec l'introduction d'une remise
spécifique.»"
La diversification forcée
Un autre phénomène est également souligné par le
Conseil supérieur de l'audiovisuel :
" Les chaînes généralistes hertziennes ne
constituent plus l'unique pôle de profit des groupes, auxquels elles
appartiennent. Les produits de la diversification progressent beaucoup plus
vite que les recettes publicitaires.
Le cas de TF1 est de ce point de vue exemplaire : la diversification
représentait 16,3 % du chiffre d'affaires consolidé du
groupe en 1994 ; il en représentait 24,4 % en 1997. Les
recettes de la publicité ont augmenté de 9 % en trois ans,
celles de la diversification de 80 %.
En 1997, les chiffres d'affaires générés par
l'édition musicale, le télé-achat ou la chaîne
Eurosport, ont enregistré " des croissances à deux
chiffres " ; ceux de LCI et d'Eurosport ont progressé de
20 %, alors que les recettes publicitaires n'ont augmenté que de
3,6 %.
L'importance de l'enjeu est illustrée par la place accordée par
les chaînes privées sur leurs écrans à la
publicité pour leurs activités de diversification. On ne sera pas
surpris de constater que TPS aura été en 1997 le premier
annonceur de TF1 et de M6
. "
3. Les atouts des chaînes hertziennes
Les
évolutions observées sur le marché publicitaire ne sont
pas propres à la France. On constate dans la plupart des pays
occidentaux une érosion de l'audience des chaînes traditionnelles
et un ralentissement dans la progression de leurs recettes publicitaires. Ces
mouvements s'accompagnent de recompositions plus ou moins profondes des
paysages audiovisuels, avec l'arrivée de nouveaux acteurs industriels ou
financiers.
Les grands annonceurs qui ont fait les beaux jours de la publicité
à la télévision comme l'alimentation, les produits
d'hygiène-beauté et, d'une manière générale,
les produits de grande consommation, stabilisent ou réorientent leurs
investissements. La crise a incité la grande distribution à se
tourner, pour stimuler la consommation, vers des actions à
retombées rapides, comme la promotion, le marketing direct.
D'autres annonceurs ont cependant pris le relais, comme les services, la
banque, les assurances, auparavant cantonnées aux supports magazines, et
surtout les télécommunications, du fait de la concurrence
acharnée dans les téléphones mobiles.
L'exemple américain
"
Aucune acrobatie de programmation, aucun contrat de retransmission
sportive ne semblent capables de contenir l'exode constant des
téléspectateurs des networks vers le câble
",
lit-on dans le bulletin d'un bureau d'études américain.
"
Ainsi va le monde
, avoue, apparemment résigné,
Leslie Moonves, le président de CBS Télévision ;
nous allons devoir nous habituer à vivre dans un univers à
100 chaînes, puis dans un univers à
500 chaînes.
" Il y a vingt ans, il existait cinq chaînes
aux États-Unis, dont ABC, CBS et NBC, qui représentaient
90 % du marché. Aujourd'hui, avec leurs
télécommandes, les Américains ont accès à
une cinquantaine de chaînes, voire soixante-dix pour 12 % de la
population.
Malgré ces programmes vedettes, les grands réseaux
américains doivent faire face à l'érosion continue de leur
audience. En juillet 1997, ils seraient même passés sous la barre
des 50 % d'audience. Mais ce résultat n'est que la somme de quatre
des six networks. L'institut Nielsen, qui mesure les audiences de la
quasi-totalité des émissions diffusées sur les
chaînes américaines, souligne le fait que, "
pour la
première fois au cours de la saison 1996-1997, les " Big 3 "
CBS, ABC et NBC sont tombés sous le seuil des 50 %."
En dépit de ces difficultés, les réseaux hertziens se
multiplient : après Fox, UPN et WB, un septième
réseau, Pax, contrôlé par Lowell Paxon, s'est lancé
dans la compétition. D'autres pourraient bientôt voir le jour.
Pour certains observateurs américains, la raison de cette floraison est
simple :
" Grâce à leur diffusion hertzienne, les networks
touchent l'ensemble de la population, tandis que les réseaux
câblés desservent seulement de 70 % à 75 % des
foyers ".
Nul doute que le processus de numérisation des
réseaux programmée en principe pour 2006 ne contrarie pas cette
tendance à l'atomisation du paysage audiovisuel américain.
La confiance des chaînes généralistes
françaises
Paradoxalement, les responsables des chaînes hertziennes continuent
à afficher un optimisme sans faille. Pour Philippe Santini, directeur
général de France Espace - régie publicitaire de
France Télévision - la baisse des chaînes hertziennes
(TF 1, France 2, France 3, Canal +, M6 et La
Cinquième-Arte) est "
la tarte à la crème des autres
médias contre la télévision
". Selon lui,
"
les chaînes généralistes sont les seules à
pouvoir financer des événements consensuels et
fédérateurs qui génèrent de l'audience, donc des
recettes publicitaires et donc permettent de financer la diffusion d'autres
événements de même importance
". En effet,
estime-t-il, "
ces événements nécessitent une mise de
fonds importante, que les chaînes thématiques ne peuvent se
payer
" .
Pour Marc Lavédrine, son prédécesseur à France
Espace, aujourd'hui fondateur de Web Sat Pub (WSP), cette suprématie des
télévisions hertziennes est une conséquence de la logique
du " marché de la puissance " : "
les
chaînes généralistes se consacrent au
marketing de
masse
en permettant aux annonceurs de toucher le plus de gens possible dans
le moins de temps possible
"
.
Certes, constate-t-il " un
marketing de niche "
se développe
depuis deux ou trois ans, et les chaînes thématiques correspondent
à cette nouvelle approche : "
10 % du marché
publicitaire (14 milliards de francs parrainage compris) de la
télévision pour les chaînes thématiques seraient
déjà très bien
."
Pour pallier la dispersion de ses canaux et donc de son audience, WSP propose
des modules de 105 spots facturés entre 15 000 et
50 000 francs selon les chaînes. On n'est pas dans le
même ordre de grandeur que sur le réseau hertzien classique
où TF 1, par exemple, peut facturer certains de ses spots plus de
500 000 francs.
Nicolas de Tavernost, directeur général de M6, est
également confiant : "
les réseaux
généralistes garderont la préférence du
public
", donc des annonceurs... "
le seul problème de
la télévision généraliste sera son prix de revient
et non pas ses recettes
".
Selon les données annuelles du panel Audicâble, la part d'audience
des chaînes thématiques dans les foyers disposant d'au moins
20 programmes ne dépasse pas 20 à 25 % ; on peut
donc espérer que les chaînes hertziennes conserveront encore
longtemps une audience de 75 à 80 % sur l'ensemble du pays.
Il reste cependant à savoir qui va " faire les frais de la
montée d'Internet ". Aux États-Unis, où se trouve le
plus grand nombre d'utilisateurs d'Internet, la télévision est la
plus touchée par le phénomène, avant l'édition et
la presse. En France, en 1996, les transferts de consommation médias
sont similaires, mais dans de moindres proportions : selon
Médiangles, seuls 52 % des utilisateurs français d'Internet
déclarent moins regarder la télévision, 18 % lisent
moins de livres et 15 % seulement consacrent moins de temps à leurs
journaux contre respectivement 77 % , 69 % et 51 % aux
États-Unis.
L'institut Médiamétrie a fait paraître, au début du
mois de mai 98, les résultats de sa première étude
Audicabsat réalisée en janvier auprès de personnes de
quatre ans ou plus, abonnées au service de base du câble
(c'est-à-dire recevant au moins quinze chaînes ou recevant un
bouquet numérique).
Selon cette étude, la part d'audience des chaînes du câble
et/ou des bouquets numériques est de 28,9 %. Celle des
chaînes câblées est de 24,9 %, en progression de
1,1 % par rapport à janvier 1997. Le poids des chaînes de
complément, ainsi que leur répartition presque équivalente
sur le satellite sont, en revanche, plus importants : 33,7 % sur
CanalSatellite et 34,5 % sur TPS.
Ces chiffres, bien qu'en progression, doivent être relativisés
dans la mesure où la part d'audience du câble et du satellite est
de seulement 4,06 % parmi la population âgée de 4 ans ou
plus.
Il y a deux façons de lire ces résultats. Certains observateurs
s'attachent au nombre absolu de personnes touchées par les chaînes
thématiques et considèrent que "
l'utilisation des
chaînes de complément va rester complémentaire, comme la
presse à centre d'intérêt
" ; d'autres
analystes pourront s'appuyer sur la part relativement importante de l'audience
captée par les chaînes thématiques auprès des foyers
abonnés au câble ou au satellite ; cette observation est surtout
fondée lorsque l'on considère l'audience des chaînes pour
enfants. Mais elle est confirmée également par des études
plus ponctuelles sur l'audience des chaînes thématiques,
comparée à celle des chaînes généralistes
chez les abonnés aux bouquets numériques.
C'est ainsi que, à la demande de Web Sat Pub, Médiamétrie
a réalisé une étude sur les abonnés au bouquet
numérique AbSat à partir d'un échantillon de
721 individus âgés de 4 ans et plus. Cette étude
a été effectuée avec la même méthodologie et
sur la même période (du 17 janvier au 6 février
1998) que l'étude Audicabsat.
Durée d'écoute par individu et part d'audience par agrégat
|
Part
d'audience
|
Part
d'audience
|
Durée totale |
Abonnés au câble âgés de 4 ans et + |
75,1 % |
24,9 % |
230 mn |
Abonnés au bouquet numérique CanalSatellite âgés de 4 ans et + |
66,3 % |
33,7 % |
250 mn |
Abonnés au bouquet TPS âgés de 4 ans et + |
65,5 % |
34,5 % |
261 mn |
Abonnés au bouquet AbSat âgés de 4 ans et + |
63,2 % |
36,8 % |
258 mn |
Source : Médiamétrie études Audicabsat
et
AbSat/janvier 1998/lundi-dimanche/4 ans et plus
* TF1, France 2, France 3, Canal +, ARTE, La Cinquième et
M6 quel que soit le mode de fission
A long terme, il est probable que le mode de consommation audiovisuelle va se
trouver modifié par la généralisation des signaux
numériques. Les télévisions hertziennes
pourraient
alors se trouver en concurrence avec des chaînes ou des sites qui se
comporteront comme des banques de données capables de transférer
à la demande des programmes de stock ou des jeux vidéo.
Le téléspectateur pourrait s'affranchir des grilles
horaires
avec son cortège d'écrans publicitaires
imposés. Il serait même en mesure d'élaborer lui-même
sa programmation en fonction des offres des différents sites, sans avoir
à absorber nécessairement écrans et coupures publicitaires.
Certains experts, tel Bernard Stiegler, directeur général adjoint
de l'Institut National de l'Audiovisuel, annonce des changements profonds :
"
les programmes de flux ne seront plus, alors, que les
bandes-annonces, la vitrine, ou encore les produits d'appel des chaînes
livrant à domicile des émissions de stock (...) L'une des
conséquences est que les annonceurs vont devoir apprendre à faire
de la publicité autrement et à se décliner selon des
nouvelles offres
". Cet expert, qui est responsable pour l'innovation
de l'INA, conclut : "
qu'une telle mutation va poser un certain nombre
de problèmes, comme celui des droits d'auteurs et l'élaboration
d'un nouveau système économique qui constitue un véritable
challenge pour les producteurs audiovisuels
. "
L'importance du financement des chaînes, alors que le secteur doit
faire un effort d'investissement sans précédent, empêche de
faire l'économie d'un débat sur l'équilibre
économique des chaînes dans un contexte d'internationalisation du
paysage audiovisuel.
Compte tenu de sa place dans le financement des chaînes publiques et
privées, la question de la publicité ne pourra pas être
absente des débats qui marqueront la présentation au Parlement
d'une loi sur l'audiovisuel.
La généralisation des
technologies numériques, tout comme l'avènement de l'espace
audiovisuel européen, vont obliger la France à revoir le
financement du développement de l'audiovisuel, alors même que les
besoins liés à ces bouleversements est considérable. Telle
est la conclusion de l'étude du Conseil supérieur de
l'audiovisuel à laquelle adhère totalement le rapporteur de
la commission des finances :
" Du côté des opérateurs privés, des
interventions sont prévisibles pour obtenir l'alignement de la
réglementation française sur la réglementation
européenne plus libérale ; durée de la
publicité plafonnée à 15 % de temps d'antenne au lieu
de 10 % ; possibilité de couper les oeuvres deux fois au lieu
d'une ; autorisation de la publicité pour la distribution, le
cinéma et l'édition, aujourd'hui interdite.
Du côté des chaînes publiques, la concurrence avec les
chaînes privées sur le marché publicitaire, en
s'exacerbant, posera, de manière encore plus aiguë, la question de
leur spécificité.
Le législateur risquera d'avoir à choisir entre deux
options :
-
•
soit réduire la part de la publicité dans les
ressources des chaînes, en compensant le manque à gagner par un
financement public ou par l'augmentation de la redevance ;
• soit, dans le cas contraire, imposer - de fait - aux chaînes publiques de s'engager plus encore dans la logique commerciale.
Le dilemme, auquel le législateur est confronté, peut être illustré par quelques ordres de grandeur :
• Revenir à la situation antérieure, sachant que la durée de la publicité sur France 2 et France 3, entre 19 heures et 22 heures, a doublé en cinq ans, ferait perdre à ces chaînes, aux conditions actuelles du marché publicitaire, environ 1,4 milliard de francs de recettes publicitaires.
• Réserver, comme cela est parfois suggéré, l'accès à la redevance uniquement à France 3, La Cinq et ARTE, et obliger France 2 à se financer exclusivement sur la publicité, les ressources globales de France 2, TF1 et M6, et donc les budgets disponibles pour les programmes, se réduiraient brutalement de 1 milliard de francs.
III. LA RÉGULATION FACE AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES
En
France, l'audiovisuel s'est développé dans le cadre d'un monopole
d'État.
Ce mode d'organisation et le paysage audiovisuel qui lui correspondait ont
brutalement évolué au début des années 80 sous la
pression de facteurs politique, économique et technologique, le premier
ayant été déterminant.
Rappelons-nous, en 1976, la première radio MF indépendante
émettait. Elle était qualifiée de pirate par les uns et de
libre par les autres. Une guérilla politique et juridique
commençait, qui, cinq ans plus tard, allait aboutir à
l'éclatement du monopole.
C'est de cet éclatement que date l'apparition, si ce n'est du mot, au
moins de l'idée de régulation
10(
*
)
.
La France, pays de tradition de service public et de
réglementation
, a mis des années pour adapter le mode selon
lequel allait intervenir la puissance publique. En réalité, elle
a importé un mode de gestion originaire des pays de culture politique
et économique anglo-saxonne.
En fait, la régulation est nécessaire à la fois pour des
raisons politiques et technologiques, mais elle reste difficile à mettre
en oeuvre dans un pays de tradition colbertiste qui veut, coûte que
coûte, entrer dans l'univers de la communication désormais
mondiale.
A. UN MODE D'INTERVENTION NÉCESSAIRE
Le
dictionnaire Robert donne au mot régulation les sens suivants :
" 1/ (vieilli) action de régler, de mettre au point ; 2
/ le
fait de maintenir en équilibre, d'assurer le fonctionnement correct
.
Il donne trois exemples : régulation et trafic autoroutier,
régulation des naissances et régulation thermique ".
Quelques lignes plus loin, au verbe " réguler ", le
dictionnaire apporte une précision intéressante dans un
encadré : "
ce verbe
apporte une nuance spéciale
(idée d'équilibre)
par rapport à régler et
régulariser
". On aurait pu ajouter :
par rapport à
réglementer
.
Car, et c'est ce qui importe
, régulation s'oppose essentiellement
à réglementation
. Dans l'espace audiovisuel de l'ère
du monopole, l'État réglementait et gérait directement.
Bref, il s'efforçait de contrôler un mode de communication
jugé, à l'époque, partie intégrante de son pouvoir
et de ses prérogatives : la télévision, c'était
" la voix de la France ", ainsi qu'aimait à le rappeler le
Président Georges Pompidou.
L'essentiel était et demeure de maintenir l'équilibre du
système audiovisuel, de façon à sauvegarder la
liberté d'expression et le pluralisme politique, mais aussi culturel.
Comme le souligne M. Hervé Bourges, Président du Conseil
supérieur de l'audiovisuel
: " Sur des marchés en
évolution, les règles à appliquer ne peuvent pas
être entièrement définies par des lois et des
décrets. Il faut qu'elles soient adaptées au plus juste, en
tenant compte de la réalité des marchés, des
possibilités des différents opérateurs et de
l'intérêt des utilisateurs, auditeurs et
téléspectateurs. Cette adaptation au cas par cas des principes
fixés par la loi, c'est la régulation ".
Pour bien comprendre le sens de la notion de régulation, il convient de
présenter les facteurs qui ont rendu inévitable
l'évolution du mode d'intervention de la puissance publique dans le
domaine audiovisuel, et de rappeler les raisons pour lesquelles cette
intervention reste indispensable.
1. La libéralisation du secteur de l'audiovisuel impose une régulation économique
L'espace
audiovisuel est désormais sans frontières. Le nombre des acteurs
s'est multiplié. Il leur faut des règles du jeu et donc un
arbitre. Le cadre législatif et réglementaire est, quant à
lui, souvent dépassé.
Plus un marché est concurrentiel, plus il faut veiller à
maintenir l'équilibre des forces entre les différents acteurs
tout en tenant compte de l'intérêt des
téléspectateurs, plus il faut accorder de place à la
régulation économique : surveillance des concentrations,
élimination des abus de position dominante.
On doit noter que cette
régulation économique
a
également un volet dynamique : " favoriser la diversité
des opérateurs et des producteurs ". Le maintien de cette
diversité ne peut résulter que d'une politique volontariste, qui
évite difficilement la critique.
La pression des forces économiques a constamment tendu à
favoriser un fonctionnement de type libéral le plus souvent en avance
sur des textes devenus bien souvent inapplicables.
La tâche de l'arbitre, en l'occurrence le Conseil supérieur de
l'audiovisuel, est devenue délicate, l'obligeant à
" naviguer à vue ".
Pour s'en convaincre, il suffit de prendre deux exemples, qui illustrent la
complexité de l'art de la régulation économique, afin :
-
- de trouver un équilibre entre forces économiques et
intérêts contraires, voire contradictoires,
- de comprendre la nécessité dans laquelle le législateur s'est trouvé dans certains cas de s'adapter à la réalité du marché.
• Le cas de la radio
Face à la montée en puissance des radios commerciales en réseau, le législateur est intervenu en modifiant sensiblement la régulation du paysage radiophonique. Il a assoupli le dispositif anti-concentration 11( * ) ; il s'est efforcé de mettre en place un dispositif de financement public des radios privées non commerciales 12( * ) ; enfin, il a instauré des quotas de chansons françaises 13( * ) .
Mais la volonté des opérateurs à poursuivre le mouvement de concentration a rendu plus importantes les difficultés d'application de la loi de 1994, puisque le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait, à cette époque, déjà attribué la quasi-totalité des fréquences disponibles.
Les réseaux se trouvaient donc confrontés à une situation paradoxale : ils pouvaient juridiquement se développer mais au prix de quelques accommodements avec le droit ou avec la politique radiophonique de l'instance de régulation.
Dans ce contexte, la prise de conscience d'une relative pénurie de fréquences a exacerbé les conflits. Cette situation a entraîné un véritable marché noir des fréquences radiophoniques , que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne fut pas en mesure d'empêcher 14( * ) .
Une autorisation d'émettre, délivrée gratuitement à l'origine, pouvait, paraît-il, se négocier en sous-main entre 500 000 francs et 5 millions de francs, le " prix de marché " étant de 6 francs environ par auditeur.
Dans ces conditions, une remise en ordre apparaissait indispensable ; elle est en cours à la suite du lancement par le Conseil supérieur de l'audiovisuel d'une procédure d'audit de la bande MF.
• Le cas de la télévision
Sous la pression des faits, la réglementation classique constituée de règles stables a eu tendance à se transformer en régulation, gestion souple sur la base de principes simples, tenant compte des cas d'espèce au risque, il est vrai, de susciter quelques contestations.
Prenons un exemple des difficultés d'arbitrage qui incombe au Conseil supérieur de l'audiovisuel.
En 1987, le groupe acquéreur de TF1 s'était - au titre du mieux disant culturel - engagé à limiter à 4 minutes la durée moyenne de coupure publicitaire au milieu des films, la directive Télévision Sans Frontières imposant seulement un plafond de 9 minutes en moyenne. Pour sa part, M6 avait choisi de porter cette coupure à 6 minutes.
La délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 31 juillet 1996 a validé la décision de TF1 d'abandonner son engagement initialement pris en 1987. Cette chaîne a pu alors s'aligner sur M6, ce qui fut vivement critiqué par la presse.
En effet, même si cet aménagement du régime publicitaire n'affecte ni le volume global, ni la durée quotidienne, ni la durée totale, ni la durée maximum, ni le nombre de coupures qui sont fixés par la loi et des décrets en Conseil d'État, les ressources publicitaires de TF1 ont augmenté. Mais un autre projet du Conseil supérieur de l'audiovisuel, relatif au régime de diffusion des films, risque de provoquer des remous.
L'autorité de régulation a, en effet, décidé le 29 janvier 1998 (communiqué n° 357) de donner une réponse favorable à Canal +, qui demandait un réaménagement de son régime de diffusion le vendredi soir. Cette autorisation fait suite à l'accord passé par cette chaîne avec un organisme professionnel, le BLIC (Bureau de Liaison des Industries Cinématographiques), aux termes duquel la chaîne pourrait diffuser, le vendredi à partir de 21 heures, des films n'ayant pas réalisé plus d'un million d'entrées.
En définitive, il est clair que, désormais, les réglementations deviennent rapidement obsolètes par suite de l'évolution soit du marché, soit des technologies. Les opérateurs concernés sont trop peu nombreux, les cas particuliers trop présents et trop proches des décideurs pour que la notion même de réglementation, c'est-à-dire de règles impersonnelles indépendantes des personnes et des circonstances, soit véritablement possible.
Pour M. Hervé Bourges, Président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, " il faut substituer la régulation souple et rapide, à la réglementation, par nature plus rigide, moins évolutive . "
2. L'intervention de l'État reste indispensable notamment pour les contenus
Ce n'est
pas parce que l'on admet le caractère irréversible et
inéluctable du processus en cours d'internationalisation
entraînant la déréglementation, ce n'est pas parce l'on
dénonce les interventions intempestives de l'État, que l'on nie
toute légitimité à l'intervention de l'État.
Celle-ci reste nécessaire pour une série de raisons de nature
économique et culturelle.
La régulation économique - au travers notamment de la gestion
de l'attribution des fréquences - se double d'une régulation non
moins nécessaire des contenus.
-
•
La rareté des fréquences demeure
L'évolution du numérique ne remet fondamentalement en cause ni la rareté des fréquences, ni celle des canaux disponibles. Par conséquent, demeure la nécessité d'une répartition de cette ressource rare autrement qu'en fonction des seules lois du marché :
- d'une part, le spectre hertzien terrestre connaît des limites physiques,
- d'autre part, le spectre hertzien satellitaire, à l'évidence plus vaste, n'en repose pas moins sur des positions orbitales, dont le nombre n'est pas illimité ;
- s'agissant enfin des réseaux filaires, les réseaux câblés audiovisuels ne peuvent transporter un nombre infini de programmes, et, comme l'on sait, Internet connaît d'ores et déjà un début de saturation.
-
•
Les équilibres économiques sont incertains
Lorsque, en janvier 1996, la commission des finances du Sénat demandait au Conseil supérieur de l'audiovisuel d'évaluer les risques de position dominante consécutifs à l'apparition de la télévision à péage par satellite, elle pressentait que l'émergence de ce marché allait effectivement poser des problèmes du point de vue de la garantie de la concurrence et du pluralisme.
De fait, la succession d'importantes opérations de concentration auxquelles on a assisté de part et d'autres de l'Atlantique, comme la multiplication des rapprochements en Europe, où l'on a vu se faire et se défaire les alliances, ont démontré la vitalité du secteur de la communication mais aussi les menaces que pouvait comporter le développement de la télévision par satellite.
Comme le montre cette étude du Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'environnement mondial est incertain. Les rapports de force entre les différents acteurs économiques ne sont pas stabilisés. En outre, on ne sait laquelle des technologies en concurrence et lequel des modes de distribution des images et des sons vont finalement s'imposer ni pour quelle durée ! Dans un tel contexte, il est nécessaire de s'avancer avec précaution, en prenant en considération le caractère international des évolutions en cours.
Telle est bien l'attitude de M. Hervé Bourges dans un article publié dans Le Monde le 26 août 1997. Il éclaire ce dossier des leçons de l'expérience de la Haute Autorité 15( * ) .
Au-delà des propositions très pragmatiques qu'elle contient, cette analyse est de nature à orienter la réflexion sur l'évolution du système français de régulation de l'audiovisuel.
En effet, par son titre même " Pour une régulation économique de l'audiovisuel ", il incite le législateur à considérer le rôle des mécanismes économiques dans la garantie de nos libertés politiques, même si l'on peut toujours s'interroger sur l'opportunité d'introduire des garde-fous spécifiques. Il est indispensable d'assurer à côté de principes d'équilibre économique le respect des règles concernant le contenu.
• Le secteur public reste une référence
Dans les pays développés, on a besoin d'un État fort et stable qui serve de garant :
- à l'action des arbitres mis en place pour réguler les opérations des agents,
- à l'activité du secteur public, véritable " secteur témoin " de l'intérêt général.
A tout moment, les instances publiques de la communication audiovisuelle doivent être en mesure de riposter à la menace résultant de l'internationalisation (en réalité, de l'américanisation) et de la déréglementation du paysage audiovisuel.
En France, les produits américains continuent de dominer les marchés des produits audiovisuels.
La France, si l'on compare sa situation à celle des autres pays européens, ferait plutôt de la résistance et certaines données peuvent paraître favorables. Mais, derrière les apparences, la vérité est dramatique. Pour le cinéma, la part de marché - en termes de nombres d'entrées - des films américains est passée, en quinze ans, de 31 à 54 %, tandis que celle des films français baissait de 50 à 37,5 %.
La domination américaine est également très nette sur le petit écran, même si la tendance semble à l'amélioration. En 1992, plus de 55 % des oeuvres de fiction télévisuelles diffusées sur les chaînes nationales étaient d'origine américaine. En 1996, cette proportion a baissé pour atteindre néanmoins 46,5 %.
De plus, les résultats de notre commerce extérieur sont toujours aussi médiocres, malgré les efforts accomplis. Il suffit de remarquer que les quelque 490 millions de francs de programmes que la France a réussi à exporter en 1996 dans le monde entier, ne représentent que la centième partie de ce que les Américains ont vendu, la même année, à la seule Europe comme produits audiovisuels.
La seule solution consisterait à favoriser le développement d'une industrie française de programmes audiovisuels exportables .
La France peut y parvenir, si elle en a la volonté et si elle s'en donne les moyens opérationnels et financiers.
B. UN MODE DE GESTION COMPLEXE À METTRE EN OEUVRE
Même dans la jungle, il faut des lois ou, du moins, des
règles du jeu. Et les États ne sont pas dépourvus de
moyens d'action. On peut donc - c'est une question de volonté
politique - envisager de renforcer les pouvoirs de l'autorité de
régulation, dès lors qu'il est entendu que l'on saura trouver un
équilibre entre négociation et coercition. Cependant, compte tenu
de nos traditions juridiques, cela peut demander un certain temps...
Dans un monde audiovisuel en mutation, la régulation, pour reprendre les
formules exprimées par M. Hervé Bourges est "
la
forme moderne de l'intervention de l'Etat dans un secteur économique.
C'est une intervention qui, préservant un certain nombre de principes
intangibles, qui ne doivent pas pouvoir être remis en cause par les lois
du marché, permet néanmoins de laisser la plus grande
liberté et la plus grande autonomie aux acteurs professionnels. C'est en
cela que la régulation est un choix moderne, libéral,
raisonnable. Développer la régulation, c'est se donner un cadre
dans lequel il est possible, progressivement, d'abandonner des
réglementations trop contraignantes ".
Le principe est simple,
effectivement raisonnable, mais la réalité est plus
compliquée
..
.
1. Une technique difficile à acclimater en fonction de la tradition d'intervention administrative
-
•
Indépendance :
La régulation ne peut être correctement gérée que si l'autorité responsable présente toutes les caractéristiques d'indépendance, tant vis-à-vis du pouvoir politique que du pouvoir économique.
La question revient alors à s'efforcer non de se réfugier dans les réglementations ou les lois, mais de choisir des hommes qui - dans toutes les situations - feront en toute indépendance des choix conformes à l'intérêt public.
En définitive, la solution pour faire évoluer le système français semble être de nature structurelle. Comment passer du modèle juridique français où tout doit être défini dans les textes, où, d'un côté, existe le règlement et, de l'autre, les autorités chargées de l'appliquer, à un mode de régulation souple à l'anglo-saxonne, où le magistrat a plus de latitude pour adapter le droit à chaque cas d'espèce et rechercher, à partir d'éléments de fait, une solution en équité sinon en opportunité.
• Partage et clarification des responsabilités :
-
- le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui fixe les règles du
jeu mais choisit aussi certains " pilotes ",
- l'État, qui, quoi qu'on en dise, conserve à côté de son pouvoir d'actionnaire celui de déterminer directement ou indirectement des choix techniques et économiques,
- les entreprises privées, enfin, qu'il faut accompagner dans leur développement sans les entraver par des modifications incessantes de déréglementation ou de stratégie.
Or, les dispositions de la loi du 30 septembre 1986 ne fixent aucune condition pour révoquer un président d'une société nationale de programme.
L'État, unique actionnaire, se trouve dans la situation paradoxale de devoir contrôler la gestion d'un président d'une entreprise publique qu'il ne peut ni nommer ni révoquer, tandis que l'instance qui le nomme et peut le révoquer, ne peut contrôler sa gestion.
L'État fixe déjà les statuts, approuve les comptes, joue un rôle prépondérant au sein du conseil d'administration de France 2 et de France 3, et contrôle étroitement, via le contrôleur d'État et la direction du Budget, la gestion de ces deux entreprises. Il détermine le montant des ressources publiques, approuvées par le Parlement, et établit les charges et les missions de chaque chaîne.
En définitive, le choix économique devrait revenir à l'État actionnaire, et seule la sanction déontologique incomberait dans cette perspective à l'autorité de régulation.
2. L'autorité de régulation face à l'internationalisation du paysage audiovisuel
La France s'est fait une spécialité de l'accumulation des réglementations :
-
- fixation de seuils de concentration,
- définition de quotas,
- cahiers des charges.
-
•
L'affaire de TNT Cartoon est à cet égard
exemplaire...
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a longtemps refusé à la chaîne pour enfants du groupe Turner d'être diffusée sur le territoire français sans passer une convention lui imposant un certain nombre d'obligations, notamment de production française. En fait, cette position s'est révélée juridiquement impossible, compte tenu de la directive Télévision Sans Frontières .
Désormais les services de télévision, établis dans un autre État de l'Union européenne que la France, peuvent être repris sur les réseaux câblés français sans convention avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel ; ils sont soumis à une simple déclaration.
Le Conseil a tiré les conséquences de la jurisprudence européenne à la suite d'un arrêt du 10 septembre 1996 (aff. C-11/95, Commission contre Royaume de Belgique). Par cette décision, la Cour de justice des Communautés européennes a condamné le principe de conventionnement préalable des chaînes européennes sur les réseaux câblés belges . Aux termes de cet arrêt, le contrôle du respect des dispositions de la directive n'incombe qu'à l'État dont les émissions émanent. Quant à l'État de réception, il n'est pas autorisé à exercer son propre contrôle...
Un État membre ne saurait s'autoriser à prendre unilatéralement des mesures correctives ou des mesures de défense destinées à faire obstacle à une méconnaissance éventuelle, par un autre État membre, des règles du droit communautaire. Seul un motif tiré de la violation des dispositions relatives à la protection des mineurs (article 22 de la directive Télévision Sans Frontières du 3 octobre 1989 modifiée) peut permettre à un État d'entraver la réception ou la redistribution d'un programme ne relevant pas de sa compétence.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait - d'ailleurs sans résultat - attiré l'attention du Gouvernement à deux reprises, en 1997, sur les conséquences de cette jurisprudence. Le système conventionnel belge étant, dans son principe, identique au régime de l'article 34-1 de la loi de 1986, le Conseil est en effet juridiquement tenu d'écarter de cet article son application aux chaînes européennes, dans l'attente d'une modification formelle de la loi de 1986.
Aussi, dans la mesure où le projet de loi sur la communication audiovisuelle du Gouvernement Juppé n'est pas arrivé à terme et celui du Gouvernement Jospin pas encore présenté au Parlement, le Conseil a-t-il décidé de mettre en place à titre transitoire un simple régime déclaratif.
• Le contrôle des concentrations se pose dans un contexte de concurrence mondiale
Prolongeant cette analyse, il semble que l'on puisse s'inspirer des méthodes de régulation de la concurrence économique pour assurer de façon efficace et réaliste la garantie du pluralisme politique.
Dans cette perspective, pour faire évoluer le système français, on pourrait réaffirmer les principes qui doivent présider à l'action des instances de régulation et tenter de rendre dynamiques les objectifs assignés.
La loi, comme la jurisprudence, fournit déjà les éléments de nature à guider les décisions de l'instance de régulation. Deux exemples peuvent en être présentés.
Le principe général affirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 septembre 1986 reste plus que jamais à la base de notre système de régulation : " l'objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs, qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix, sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire les objets d'un marché. "
De même, sur le plan économique, la notion de position dominante pourrait servir de référence. Car cette position comporte des risques du point de vue économique qui la rendent, indépendamment de toute question d'abus, potentiellement préjudiciable au pluralisme 16( * ) . L'organisation d'un marché pluraliste suppose donc l'existence d'un corpus de règles, notamment en matière de concentration.
Si les principes fondamentaux, tels qu'ils résultent de la loi ou de la jurisprudence, doivent rester stables, il est souhaitable de laisser aux autorités compétentes une plus grande liberté d'appréciation pour les appliquer . Sans doute parce qu'il semble que l'on a désormais moins besoin de règles précises que de principes.
Fixer des limites déterminées pour la part qu'une même personne peut détenir dans une société audiovisuelle en termes de capital ou de droits de vote est un garde-fou nécessaire mais certainement insuffisant. D'abord parce que ce type de limite est, en l'état de la législation, assez facile à contourner. Ensuite, parce que des plafonds ont un effet relatif qui dépend de la structure de l'actionnariat, mais surtout parce que les vrais problèmes sont ailleurs. Une situation abusive du point de vue de la liberté d'expression doit s'apprécier en effet in concreto , tout comme une position dominante en ne tenant pas seulement compte de la répartition de propriété, mais du mode de fonctionnement de la société et surtout du marché de référence.
De ce point de vue, la prise en considération du marché international est de nature à relativiser la menace pour le pluralisme. Ainsi, la structure de l'actionnariat de TF1 doit-elle être examinée dans son contexte non seulement européen - les entreprises françaises sont de taille bien modeste à l'échelle internationale - mais aussi temporel. La première chaîne française va sans doute voir sa part d'audience se réduire en pourcentage si l'Europe connaît la même évolution que les États-Unis, où les chaînes hertziennes généralistes ont tendance à perdre des parts de marché au profit des chaînes thématiques. En définitive, la question ne se pose pas tant en termes de propriété qu'en termes de marché. C'est pourquoi la suggestion de définir pour l'audiovisuel un seuil de concentration en termes de parts de marché , suivant en cela l'orientation prise par une directive européenne en préparation sur la transparence en matière de médias, semble intéressante.
La capacité d'une structure à préserver le pluralisme doit être appréciée de façon dynamique et globale.
D'une part, il est nécessaire, qu'il s'agisse de concurrence ou de pluralisme, d'apprécier les phénomènes sur le plan mondial . A cet égard, la décision du 20 février 1997 autorisant la prise de contrôle par Canal + de Nethold BV est exemplaire, car elle rappelle que toute concentration, atteignant les seuils de l'ordonnance de 1986 et susceptible d'avoir des effets sur le marché français, est soumise à contrôle ministériel, même en l'absence de toute activité sur le territoire national de l'une des entreprises concernées.
D'autre part, il est fondamental de maintenir une concurrence ouverte et, en particulier, d'offrir la possibilité pour de nouvelles entreprises d'apparaître sur le marché . Il semble plus efficace d'encourager la concurrence que de revenir de façon autoritaire et rétroactive sur la structure d'un actionnariat.
Le maintien d'une concurrence ouverte est-il suffisant pour préserver le pluralisme ? Tandis que les uns, tenants d'un libéralisme à l'anglo-saxonne, auront tendance à se satisfaire des mécanismes du marché, d'autres, et en particulier les Allemands, seront portés à considérer que la notion de pluralisme est autonome par rapport à l'État et à l'économie. Pour eux, les Allemands, des règles spécifiques doivent se surajouter à celles qui régissent la concurrence et les abus de position dominante. C'est ainsi que, pour assurer la présence d'une expression pluraliste dans les programmes, il a été décidé, en Allemagne, d'exiger, pour les chaînes privées dépassant 10 % d'audience, qu'elles prévoient des décrochages, des " fenêtres ", confiés à des opérateurs locaux indépendants pour une durée totale de 260 minutes par semaine.
Ce genre de projet soulève une question fondamentale : les entreprises audiovisuelles sont-elles des entreprises comme les autres ? Doit-on, au nom de la liberté d'entreprise respecter leur autonomie de gestion ou faut-il leur imposer des contraintes - comme l'obligation de décrochage, pas forcément compatible avec la cohérence de l'image de la chaîne - du fait de leur responsabilité pour le respect du pluralisme ?
Les " nouveaux services ", un prétexte pour les partisans de la dérégulation
La renégociation de la directive Télévision Sans Frontières ne concernait pas seulement les quotas de diffusion, mais également le régime envisageable pour les nouveaux services audiovisuels. Or, si leur statut en droit communautaire reste encore incertain, on s'aperçoit déjà qu'il tend à s'écarter des positions juridiques défendues par la France.
La doctrine en cours d'élaboration à Bruxelles sur la base d'un Livre Vert sur la convergence laisse craindre que les nouveaux services - chaînes de télévision numérique ou services de vidéo à la demande - soient englobés dans le régime des télécommunications et échappent ainsi à toute préoccupation culturelle.
Dans la conception française - comme l'a montré la loi du 10 avril 1996 relative aux expérimentations - ces nouveaux services relèvent de la communication audiovisuelle. Or, ceux-ci sont plutôt qualifiés de services de télécommunications par Bruxelles.
Pour la Commission, mais aussi pour la plupart des États membres, l'ensemble des services fournis sur appel individuel, tels le paiement à la séance et la vidéo à la demande, échappent au champ d'application de la directive Télévision Sans Frontières . Ils peuvent donc être juridiquement assimilés aux services disponibles sur Internet ou aux services télématiques soumis à simple déclaration 17( * ) .
Du point de vue français, les services audiovisuels mixtes, qui ont une dimension d'ordre économique et culturel, ne peuvent être assimilés à Internet dont le régime ne soulève que des questions liées au droit pénal international et à la protection du droit d'auteur. Pour la Commission européenne, en revanche, la préoccupation majeure demeure la libéralisation des structures et des services de télécommunication . Mais on doit remarquer que l'utilisateur d'Internet peut accéder à des services audiovisuels traditionnels, radio et télévision ; il pourra donc vite paraître paradoxal que des règles de contenu distinctes s'appliquent à des services identiques.
Deux problèmes se posent alors :
- Les services seront-ils réellement les mêmes ? Il est trop tôt pour en juger. Le " consommateur " regardera-t-il indifféremment un match de football à la télévision ou sur son ordinateur ? La qualité du service offert sur le Web et le mode de consommation, individuel ou collectif, seront-ils les mêmes ?
- Dans quel sens se fera l'évolution réglementaire ? Le jour où l'impact des services audiovisuels offerts par le Web sera comparable à celui des autres supports de diffusion, réseaux hertziens, câbles ou satellites, il est possible que des règles de contenu plus importantes s'imposent également à lui.
A quelques exceptions près, très peu d'États se sont dotés d'instances de régulation uniques dans les secteurs audiovisuels et de télécommunications. Ils suivent des logiques et des objectifs historiquement différents et fonctionnellement : l'un met en place un système décentralisé de communication, l'autre organise un mode de diffusion plus ou moins décentralisé où l'idée de contenu l'emporte sur celle de transport, car la composition du fluide importe plus que le " tuyau ".
Comment concilier une réglementation essentiellement économique, et technique, pour les réseaux de télécommunications, et une réglementation liée à la liberté d'expression pour les réseaux audiovisuels ? Ce sont en effet deux types de régulation très différents, et qui peuvent même apparaître parfois antinomiques. Il faut prendre garde à un abus de langage, qui conduirait à mélanger, sous le terme unique de " régulation ", les spécificités de la régulation des contenus... qui ne saurait se faire sur la base de critères indépendants de toute considération économique.
En tout état de cause, pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, la distinction entre télécommunications au sens de communication et communication audiovisuelle, entendue comme diffusion publique reste essentielle " lorsque la communication est publique : des règles s'imposent à son contenu à commencer par le droit d'auteur. Lorsqu'elle est privée, aucune règle ne s'impose et elle est libre de droits. Ces deux statuts ne peuvent être confondus. "
Il serait paradoxal qu'il existe des règles de contenu différentes pour la diffusion satellite et pour la diffusion par Internet dans le cas où ces deux modes de communication seraient équivalents : pourquoi la publicité sur le tabac serait-elle interdite pour l'un et autorisée pour l'autre ? Serait-il normal d'organiser un droit de réponse sur une chaîne du câble et non sur un site Web fournissant le même type de service ?
Ce qui est essentiel, c'est de résister aux prétentions de tous ceux qui par idéologie ultra-libérale voudraient exciper de la liberté existant sur la toile pour aligner le niveau du contrôle sur celui du moins régulé. Ce n'est pas parce que tout est permis sur Internet qu'il faut que tout soit permis partout !
*
* *
L'intervention du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel est
souvent critiquée, à tort, à la fois par ceux qui
regrettent l'âge d'or de la réglementation, où il suffisait
de voter une loi ou de définir une règle, et par ceux qui ne
comprennent pas qu'il est désormais difficile de prendre des
décisions indépendamment des cas d'espèce.
L'équilibre entre coercition et concertation est déjà
difficile à trouver en matière de sanctions individuelles
. En
tout état de cause, le dispositif actuel, tel qu'il résulte de la
procédure prévue à l'article 42-7, aboutit, pour les
infractions mineures, à un délai trop long entre les faits
visés et la sanction, au risque de créer un sentiment
d'impunité qui peut porter atteinte à l'autorité de
l'État
18(
*
)
.
D'une façon générale, la politique de l'instance de
régulation doit trouver un compromis entre deux
préoccupations : ne pas être trop souple au risque de
méconnaître les principes posés par le
législateur ; ne pas être trop rigide au risque d'entraver le
développement des opérateurs et, notamment, des nouveaux services.
Il est toutefois utile de souligner qu'il ne faut pas multiplier les
interventions législatives. Au fil des alternances, trop de lois, trop
de règlements ont été édictés ces
dernières années, privant les opérateurs de la
stabilité des règles du jeu dont ils ont besoin pour se
développer et pour s'adapter à une demande dont il est
pratiquement impossible de savoir quelle forme elle va prendre. La
régulation est le mode d'intervention de l'État le plus
raisonnable pour accompagner de façon souple une évolution
essentielle. L'avenir de notre culture et de notre civilisation en
dépendent. Aux pouvoirs publics la responsabilité de choisir les
personnes en charge de sa mise en oeuvre ; au Parlement, celle de
définir les principes qui s'imposeront à tous, au Conseil
supérieur de l'audiovisuel d'appliquer les sanctions définies par
la loi.
IV. L'A.M.I. ET L'OFFENSIVE LIBÉRALE
La
France fait un effort, sans doute sans équivalent dans le monde, pour la
défense et la promotion de sa langue et de sa culture.
Mais, en dépit des actions engagées par tous les Gouvernements,
les succès obtenus paraissent bien insuffisants.
Hier, c'était le renouvellement de la directive dite
Télévision Sans Frontières
. Et, par
conséquent, la possibilité pour un opérateur
d'émettre librement dans l'espace audiovisuel européen, à
la seule condition qu'il soit autorisé dans un pays, aussi peu regardant
que soit celui-ci quant à l'application des obligations résultant
de la directive.
Aujourd'hui, il faut faire face au projet d'A.M.I. (l'Accord
Multilatéral sur l'Investissement) qui a pour objectif de renforcer la
protection des investisseurs et d'encourager la libéralisation des
régimes d'investissements.
Demain, il faudra résister au régime trop libéral issu du
Livre Vert sur la convergence de la commission de Bruxelles applicable aux
nouveaux services. Simultanément, il a fallu batailler et il le faudra
peut-être encore contre les effets pernicieux sur le plan culturel du
projet de Nouveau Marché Commun Transatlantique, même si les
résultats des assises de l'audiovisuel, tenues à Birmingham du 6
au 8 avril sur le thème " défis et opportunités du
numérique ", paraissent avoir finalement conforté
l'idée d'exception culturelle.
L'émotion suscitée par le projet d'Accord Multilatéral sur
l'Investissement est compréhensible car il s'inscrit dans le cadre d'une
offensive d'ensemble des milieux libre-échangistes, en prévoyant
des mesures qui pourraient ruiner des années d'efforts tendant à
préserver notre identité culturelle.
A. UNE MENACE POUR LE SECTEUR AUDIOVISUEL ?
Le projet d'Accord Multilatéral sur l'Investissement, de portée très générale et qui englobe tous les secteurs, fait des produits des industries culturelles des produits comme les autres. De fait, cette assimilation, qui avait pu être écartée lors des négociations de l'Uruguay Round, présente de sérieux dangers pour les secteurs de l'audiovisuel et les industries culturelles.
1. Le contenu du projet
A
l'initiative des États-Unis, les pays de l'O.C.D.E.
19(
*
)
ont entamé, en mai 1995, une
négociation en vue de la conclusion d'un accord multilatéral sur
l'investissement.
Ce texte a pour but de favoriser le développement des investissements
étrangers dans les pays de l'O.C.D.E. et de créer une zone
où régnerait une libre circulation des investissements, sans que
ceux-ci soient entravés par des mesures de protection nationale.
On doit noter le champ d'application très étendu de cet accord,
comme en témoigne l'acception très large de la notion
" d'investissement ". Est considéré comme un
investissement, en l'état actuel du projet, "
tout type d'actif
détenu ou contrôlé directement ou indirectement par un
investisseur
", qu'il s'agisse de biens corporels ou incorporels, de
titres, de droits de propriété intellectuelle ou de droits
conférés par la loi.
Le projet d'accord comporte des dispositions tendant à :
-
• la libéralisation du régime des investissements ;
• l'amélioration de la protection des investissements ;
• la création d'un mécanisme de règlement des conflits.
En vertu
du projet et selon les principes libéraux classiques en matière
de commerce international, le projet de traité tend à interdire
toute discrimination dans le traitement accordé par les pays membres de
l'O.C.D.E. aux investisseurs originaires d'autres pays de la zone. C'est la
stricte application du principe du traitement national.
Les seules exceptions concernent les mesures nécessaires à la
sauvegarde de certains intérêts nationaux essentiels en
matière de sécurité interne et internationale. La question
des restrictions éventuellement imposées au titre de la
protection de l'environnement a fait l'objet d'âpres discussions.
Le projet soumis aux délégations nationales prévoit que
"
chaque partie contractante accorde aux investisseurs d'une autre
partie contractante et à leurs investissements un traitement non moins
favorable que le traitement qu'elle accorde à ses propres investisseurs
et à leurs investissements en ce qui concerne l'établissement,
l'acquisition, l'expansion, l'exploitation, la gestion, l'entretien,
l'utilisation, la jouissance et la vente ou toute autre aliénation
d'investissements
. "
Des règles, comme celles qui ont pu exister ou existent encore dans
certains pays en matière de nationalité des cadres
supérieurs ou des membres de conseil d'administration, ou encore celles
prévoyant l'obligation pour l'entreprise étrangère
d'exporter un pourcentage donné de biens ou d'atteindre un niveau ou un
pourcentage donné de contenu national, seraient interdites. De la
même façon, serait prohibé - et la question est
importante en matière audiovisuelle - tout " niveau minimum de
participation nationale au capital ".
Enfin, le principe de traitement national est également applicable aux
méthodes de privatisation qui ne devraient pas faire de discrimination
entre investisseurs nationaux, quel que soit le pays de la zone dont ils sont
originaires.
b) L'amélioration de la protection des investissements
Le
projet d'A.M.I. prévoit une série de mesures visant à
protéger les investissements. Ainsi, "
chaque partie
contractante accorde aux investissements qui sont réalisés sur
son territoire par des investisseurs d'une autre partie contractante un
traitement loyal et équitable ainsi qu'une protection et une
sécurité complète et constante. Chacune des parties
contractantes n'entrave pas, par des mesures déraisonnables ou
discriminatoires, l'exploitation, la gestion, l'entretien, l'utilisation, la
jouissance ou l'aliénation de ces investissements
. "
Ce genre de dispositif vise notamment les cas d'expropriation et
d'indemnisation en prévoyant que ces opérations ne peuvent avoir
lieu que pour des motifs d'intérêt public et dans des conditions
non discriminatoires, tout en s'accompagnant du prompt versement d'une
indemnité adéquate. A un autre niveau, ce type de dispositif de
protection devrait garantir aux investisseurs le libre transfert des fonds
liés à leur investissement.
c) La création d'un mécanisme de règlement des conflits
Le projet d'A.M.I. innove pour le règlement des différends. A côté des procédures classiques de règlement des conflits entre États, le projet crée la possibilité d'un recours direct d'un investisseur contre un État signataire sur la base d'une violation des dispositions de l'Accord. Contrairement à ce qui est actuellement prévu par l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), où seul un État peut engager une procédure à l'encontre d'un autre État, un investisseur privé aurait alors la possibilité de recourir contre un État à la procédure d'arbitrage international.
d) Le report des discussions
Il ne
s'agit cependant que d'un projet d'accord dont la négociation pourrait
se révéler beaucoup plus longue que prévue. En fait, il
s'agit d'une opération complexe intéressant les 29 pays
membres de l'O.C.D.E. Les sujets de discussion sont nombreux, qu'il s'agisse de
la culture, de l'environnement, de l'application extra-territoriales des lois
américaines d'embargo ou de l'articulation fonctionnelle du
traité avec l'Organisation Mondiale du Commerce.
Comme on pouvait s'y attendre, la date limite pour la fin des
négociations, initialement fixée aux 27 et 28 avril 1998,
n'a pu être respectée. Le texte du communiqué
clôturant la réunion du 27 avril est, en langage diplomatique,
néanmoins explicite : en décidant
" d'ouvrir une
période d'évaluation et de nouvelles consultations entre les
parties "
et en précisant que la prochaine réunion du groupe
de négociations
" se tiendra en octobre 1998 ".
En
fait
,
l'O.C.D.E. admet l'impasse dans laquelle les négociateurs
s'étaient engagés
.
En dépit de ce report qui constitue un succès non
négligeable pour la diplomatie française, il faut rester
vigilant, compte tenu des risques que pourrait faire peser une application
mécanique des dispositions de l'A.M.I. sur toute la politique
française de soutien au secteur audiovisuel.
2. Les risques pour la création et la politique de soutien à l'audiovisuel
Parce qu'il est de nature fondamentalement économique, le projet d'A.M.I. méconnaît les spécificités des produits et industries culturels. Sa mise en oeuvre non réfléchie pourrait remettre en cause notre droit de la propriété littéraire et artistique et nos politiques de soutien au secteur audiovisuel.
a) Une remise en cause possible du droit de la propriété littéraire et artistique
L'accord
général sur le commerce et les services " General Agreement
on Trade and Services ", ne comporte aucun engagement de traitement
national ou d'accès au marché en matière audiovisuelle de
la part des pays européens. Ceux-ci restent libres de maintenir et de
renforcer leur politique audiovisuelle en vue de garantir une certaine
diversité culturelle.
Cette " exception culturelle " n'est pas prise en compte dans le
projet d'A.M.I., au point de
remettre en cause
éventuellement
l'ensemble de l'édifice juridique international constitué
autour de l'Organisation Mondiale de la Propriété
Intellectuelle
- OMPI - et en particulier de la convention de Berne,
conclue en 1886, et dont la dernière modification date de 1971.
Cette convention prévoit certaines limites à l'application du
principe de traitement national :
-
• la durée de la protection des droits d'auteur est fixée
par référence à celle du pays où elle est la plus
courte ;
• le droit de suite est subordonné au principe de réciprocité. Une telle exigence se retrouve dans un certain nombre de textes nationaux ou communautaires et, en particulier, dans la directive 93/98/CEE du 29 octobre 1993 relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins.
De même, le projet d'A.M.I. aurait pour conséquence de modifier le régime applicable à la rémunération pour copie privée . A l'heure actuelle, les protecteurs de vidéogrammes, dont l'oeuvre n'a pas été, pour la première fois, fixée dans la Communauté, ne perçoivent pas de rémunération pour copie privée. La Convention de Rome, applicable en la matière, réserve pour l'instant aux seuls artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes le bénéfice du traitement national. Le projet d'A.M.I. permettrait aux producteurs de vidéogrammes de prétendre également au bénéfice de cette rémunération, ce qui affectera l'équilibre du secteur.
En l'état actuel des choses, le projet A.M.I. ne fait aucune référence aux conventions internationales existantes , ce qui pourrait remettre en cause tout l'édifice juridique régissant la propriété intellectuelle, tel qu'il résulte des traités constituants l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) et l'Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.). Or, en droit international, un traité antérieur ne s'applique, sauf précision contraire, que dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec celles du traité postérieur.
Enfin, la préservation du droit moral de l'auteur sur son oeuvre, préservé en France mais non aux États-Unis, pourrait être compromise dans la mesure où les détenteurs des droits économiques de l'autre côté de l'Atlantique pourraient vouloir les exercer aussi en Europe, en dépit des droits des auteurs ou de l'artiste.
Il est donc essentiel que soient respectés, en y faisant référence, les traités propres à la propriété intellectuelle et, en particulier, l'accord régissant les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Trade in Relation with Intellectual Property Right in relation with services).
b) La politique d'aide au secteur audiovisuel
Le
projet d'A.M.I. devrait sinon interdire, du moins
rendre difficiles
ce
qu'il est convenu d'appeler
les discriminations " positives ".
Le problème des "
incitations à
l'investissement
" fait l'objet d'un débat entre les parties
contractantes.
Les discussions portent sur le principe même des incitations, leur
caractère non discriminatoire et l'éventualité de la mise
en place de " disciplines supplémentaires " dans un
délai rapproché à compter de la signature de l'accord.
Tous ces principes pourraient affecter le système actuel sur lequel
repose notre politique d'aide à l'audiovisuel. On peut citer :
-
• les obligations de diffusion et d'investissement dans la production
imposées aux diffuseurs, qu'il s'agisse des quotas d'oeuvres
européennes (60 %) ou d'oeuvres d'expression originale
française (40 %) ;
• les aides à la production audiovisuelle fondées sur les ressources du COSIP, qui sont actuellement réservées aux entreprises établies en France, dont le capital est détenu majoritairement par des Français ou des ressortissants de la Communauté ;
• d'autres aides enfin concernant aussi bien la distribution et l'exploitation de réseaux de cinéma, les laboratoires ou l'exportation.
Il faut
replacer la négociation dans son contexte. Il faut reconnaître
que, globalement, la négociation répond à un besoin ou du
moins, s'inscrit dans la lignée d'un processus économique, dont
il est maintenant admis qu'il est à l'origine de la
prospérité que le monde des pays développés
connaît depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La France
elle-même a intérêt à la poursuite - sous
conditions - de ce processus.
Les forces qui poussent à l'internationalisation des économies,
qu'elles soient économiques ou politiques, sont donc
particulièrement fortes. Il faut en tenir compte et chercher le dialogue
plutôt qu'un affrontement qui empêcherait notre pays de trouver les
alliances dont il a besoin pour la sauvegarde du pluralisme culturel.
1. Les possibilités techniques
En
dépit du soutien que la France a pu trouver chez certains de ses
partenaires à l'occasion de la conférence qui s'est tenue sous
l'égide de l'Union européenne du 6 au 8 avril 1998
à Birmingham, la France reste relativement isolée dans sa
défense de l'exception culturelle. Les soutiens dont elle peut faire
état sont peu nombreux : le Canada, l'Italie, la Belgique, la
Grèce et l'Australie. En revanche, un certain nombre de pays y sont
farouchement opposés, à commencer par les États-Unis, le
Japon et le Danemark.
La marge de manoeuvre de la France est donc étroite. Sur le plan
technique, le ministre de la Culture et de la Communication a fait savoir qu'il
existait trois possibilités pour faire prendre en considération
la spécificité des produits et industries culturels.
"
La première possibilité est l'inscription dans l'Accord
d'une réserve simple : cette réserve dite
" réserve liste A " est soumise au principe de statu quo.
C'est pourquoi nous la refusons absolument puisqu'elle remettrait
fondamentalement en cause notre marge de manoeuvre future dans la
définition des priorités et des objectifs d'une politique
culturelle gouvernementale. En effet, la réserve simple ne permet pas
d'aggraver ou de créer de nouvelles mesures discriminatoires. Or, nous
devons absolument conserver notre capacité à adapter nos
politiques culturelles aux évolutions de la société, aux
progrès technologiques, à tout ce qui peut surgir de nouveau et
que nous ne pouvons pas anticiper à ce jour.
" La deuxième possibilité est celle d'une réserve
élargie, dite " réserve liste B ". Là
encore, je ne suis pas favorable à cette solution puisqu'elle exige,
pour être efficiente, que l'ensemble des pays membres de l'Union, ainsi
que les PECO s'accordent sur ce qu'ils souhaitent inscrire en matière
culturelle dans cette réserve. Or, le plus petit dénominateur
commun européen en matière culturelle est loin d'approcher la
vision de la France.
" La troisième option, celle d'une exception
générale, est celle que la France a demandé pour la mise
en oeuvre de l'exception culturelle. L'exception générale est
inscrite dans le corps du texte et non en annexe. Elle permet la violation du
statu quo et, surtout, s'applique à l'ensemble des signataires,
contrairement aux réserves qui n'exonèrent que les seules parties
contractantes les ayant introduites. Par ailleurs, l'exception
générale n'est pas susceptible d'être remise en cause,
alors que les réserves devront être
réévaluées régulièrement dans le cadre d'une
procédure de roll back."
2. Un cap à maintenir en dépit du report des négociations
Compte
tenu de l'attachement de l'ensemble de la communauté occidentale aux
principes du libéralisme, il n'est pas étonnant que la France se
retrouve relativement isolée dans sa position en faveur de l'exception
culturelle.
On ne saurait donc se contenter des incantations habituelles. Alors que faut-il
faire ? Réponses :
- il faut d'abord nous mobiliser nous-mêmes,
- chercher à l'extérieur des appuis auprès de nos
partenaires, sur une base modérée, en trouvant la bonne solution
entre une " bunkerisation " irréaliste et la soumission
complaisante au complexe médiatico-financier international.
- 1? Face à la déferlante américaine, le maintien de notre culture suppose une réelle mobilisation de nos forces . Et d'abord de la lucidité et du courage mis au service de ces forces. " A nous de faire préférer la culture française ", pourrait-on dire en plagiant la formule sans complexe d'une récente campagne de publicité.
- 2? Car , il est parfaitement possible - à certaines conditions - d'accepter le jeu du marché sans se plier à la dérégulation à outrance voulue par les grands groupes américains, qui s'avancent masqués derrière les idéaux de liberté et de créativité, pour imposer leur pouvoir. A nous d'aider nos partenaires européens à ouvrir les yeux.
La France et ses partenaires européens ont le droit et le devoir de l'exiger. Du reste, les États-Unis ont eux-mêmes déposé une liste de réserves dérogatoires, dite " liste B ". Cette liste permettrait de maintenir des discriminations en faveur de leurs ressortissants, notamment dans le domaine des subventions des marchés publics et des télécommunications.
Mais la défense de l'exception culturelle ne doit pas être transformée en un protectionnisme culturel, doublé d'un anti-américanisme de mauvais aloi. Deux aspects doivent être soulignés :
-
•
Les méthodes américaines
, leur évidente
efficacité à condition de les adapter à nos
mentalités, seraient de nature à dynamiser la production
audiovisuelle européenne. Le malthusianisme est un risque. L'exemple de
la création des multiplexes et la revitalisation du cinéma qui en
est, semble-t-il, résultée, prouvent les effets
bénéfiques de la concurrence organisée.
• Il faut donc convaincre nos compatriotes des bienfaits du dynamisme et les inciter à ne pas confondre les intérêts d'un certain microcosme médiatico-culturel avec ceux de l'économie et de la culture française. Le protectionnisme n'est pas forcément la seule et unique réponse à apporter à tous les problèmes.
En dépit de toutes les aides, le déficit audiovisuel de l'Europe vis-à-vis des États-Unis a pratiquement doublé en cinq ans pour atteindre 5,6 milliards de dollars. Ce déséquilibre n'est pas nouveau, mais il intervient dans un contexte qui en accentue les enjeux : l'audiovisuel représente aujourd'hui pour les États-Unis le plus gros poste à l'exportation, avant l'aéronautique et la chimie, tandis que le marché européen, en très forte croissance (+ 9 % par an de 1994 à 1997, contre 6,4 % par an seulement pour le marché américain) est sa principale zone de développement.
Tous ces chiffres nous démontrent, une fois de plus, que les batailles économiques se gagnent non à coups de règlements ou de crédits budgétaires, mais en rendant plus attractif à l'internationalisation son appareil de production. Les industries culturelles et audiovisuelles ne font pas exception à la règle.
Nous devons savoir que, dans le domaine audiovisuel, aujourd'hui global et mondial, il est vain de vouloir imposer ses propres règles du jeu aux autres. Croire trop facilement qu'on peut y parvenir, c'est s'exposer à la marginalisation économique et culturelle, et, tôt ou tard, au dépérissement.
*
* *
Avec le
report des négociations à la rentrée 1998, si la France a
gagné une bataille, elle n'a pas gagné la guerre.
Sans doute ce succès temporaire est-il aussi dû à une
certaine convergence d'intérêts avec les États-Unis
eux-mêmes. Tout au long des négociations, on a vu aux
États-Unis même grandir une hostilité, ou du moins une
certaine méfiance, vis-à-vis de l'A.M.I., alimentées par
un vieux fond de protectionnisme américain certains
démocrates de gauche, proches des syndicats, certains
républicains, des États eux-mêmes ont fini par s'apercevoir
qu'ils avaient peut-être plus à perdre qu'à gagner dans ce
démantèlement de toutes les barrières à
l'investissement international. Washington n'avait, en outre, aucune envie d'un
choc frontal avec les Européens sur les lois D'Amato et Helms-Burton,
par lesquelles les États-Unis s'autorisent à sanctionner les
entreprises qui investissent à Cuba, en Libye et en Iran. Et comme une
bonne nouvelle n'arrive jamais seule, le projet de nouveau marché commun
transatlantique - NTM - proposé par le commissaire Leon Brittan a
été abandonné, là encore sans doute à cause
du manque d'enthousiasme des États-Unis pour un projet qui ne leur
apportait guère d'avantages : renforcer le libre échange de
part et d'autres de l'Atlantique sans y intégrer, à cause de
l'opposition de la France, l'agriculture et la culture n'offrait guère
d'intérêt pour les Américains.
En tout état de cause, notre intérêt est de nous faire
comprendre des Américains et de tenter de les comprendre.
Certes, dans le domaine audiovisuel, sous nos yeux, les États-Unis
passent de la position de suprématie, où ils étaient les
meilleurs, à une situation pratiquement hégémonique,
où ils vont pratiquement dominer le marché mondial.
Nous savons que le nombre d'Américains qui s'intéressent vraiment
à la France est relativement faible. Ils ne comprennent donc pas notre
protectionnisme et pas davantage pourquoi nous sommes opposés à
une libéralisation du commerce dans des secteurs aussi sensibles que
l'agriculture, la défense, aussi bien que pour la culture, le
cinéma et l'audiovisuel.
Les Américains vont naturellement voir dans cette attitude
française une nouvelle manifestation d'anti-américanisme
viscéral. Il est important de leur faire comprendre que tel n'est pas le
cas.
Dans un entretien récemment paru dans un grand magazine, M. Lionel
Jospin explique que la France n'a nullement l'intention de renoncer à
son identité nationale pas plus qu'à sa vision des relations
internationales, et de conclure : "
que si les Français ne
sont pas d'accord avec la façon de penser des Américains, ce
n'est pas pour autant que l'on est anti-américain
".
En fait, les Américains ont besoin d'entendre un discours franc et
clair ; car depuis de nombreuses années, les préjugés
qui se sont accumulés sur la France ne vont pas disparaître du
jour au lendemain. Il nous faut donc agir de façon à
améliorer l'image de la France aux États-Unis, de telle sorte que
si nous faisons un effort pour comprendre les Américains, ils en fassent
un pour nous comprendre. Afin de leur faire admettre que nous n'accepterons
jamais d'immoler notre culture sur l'autel du libre échangisme
culturel.
DEUXIÈME PARTIE : L'ADAPTATION DU SECTEUR PUBLIC
L'environnement a changé et va continuer à
changer
sous l'effet du développement des technologies numériques. Les
sociétés audiovisuelles sont confrontées à une
concurrence qu'elles sont mal préparées à affronter du
fait de la persistance d'habitudes sans doute héritées de
l'ère du monopole, comme en témoignent les difficultés
rencontrées pour moderniser l'organisation du travail.
A cela, s'ajoute une assez " mauvaise gestion ", que les
décisions "
chaotiques
"
20(
*
)
des
pouvoirs publics depuis tant et tant d'années expliquent à
défaut de la justifier, dénoncée
régulièrement par la commission des finances du Sénat.
Elle rend ces organismes plus vulnérables que des entreprises
privées à certaines dérives des coûts - on a
pris l'exemple significatif dans la seconde partie du rapport des
dépenses immobilières - ou à certains
dérapages dans les programmes qui les font céder plus facilement
à la tentation commerciale.
Enfin, les esprits n'évoluent que lentement et l'on n'a pas encore pris
pleinement conscience de ce que la survie de notre appareil de production
audiovisuel et donc, à certains égards, de notre culture,
dépend de notre capacité à produire pour le marché
mondial.
I. L'ÉVOLUTION DE L'ORGANISATION DU TRAVAIL
La modernisation de l'organisation du travail et des rapports sociaux dans les entreprises de l'audiovisuel public conditionne leur adaptation au nouvel environnement technologique et économique.
A. RISQUES DE BLOCAGE DANS UN ENVIRONNEMENT EN MUTATION
Le paysage audiovisuel évolue rapidement. Les chaînes du secteur public doivent s'adapter, mais deux facteurs entravent cette évolution : une convention collective manifestement dépassée, une politique restrictive qui, empêchant de faire des choix, crispe les rapports sociaux et n'imprime pas le mouvement nécessaire pour que le changement puisse s'effectuer dans des conditions acceptables par tous.
1. La convention collective nationale et unique de la communication et de la production audiovisuelles
Le
maintien en l'état de la convention collective actuelle,
dépassée par l'évolution technologique, défavorise
le secteur public dans sa compétition avec le secteur privé et
aboutit à encourager une attitude de repli face à la concurrence.
Les rigidités structurelles
La convention collective de la communication et de la production audiovisuelles
(CCCPA), signée le 31 mars 1984, est applicable aux personnels
techniques et administratifs (PTA) dans les sociétés et
organismes membres de l'Association des employeurs du secteur public
audiovisuel, qui regroupe la plupart d'entre eux
21(
*
)
.
Conclue à une époque où les entreprises publiques du
secteur audiovisuel jouissaient d'une position dominante, voire d'un monopole
de droit ou de fait dans la plupart des activités du secteur, la CCCPA
présente un ensemble de caractéristiques qui font que le
régime applicable aux PTA est très éloigné du
régime conventionnel de droit commun : les conventions collectives
de branches fixent des garanties minimales (ce qui s'entend comme égales
ou supérieures au " plancher " que constituent les
dispositions légales), complétées ou
améliorées dans les accords d'entreprises.
Il est inadapté dans un contexte devenu hautement concurrentiel, pour
des entreprises dont les situations se sont différenciées. Dans
ces conditions, la convention fait obstacle à une gestion
véritablement moderne et véritablement sociale des ressources
humaines, fondée sur la reconnaissance et le développement de la
performance individuelle et collective.
Sans entrer dans une revue exhaustive de ces caractéristiques, cette
analyse peut être illustrée par l'exemple du système
salarial, élément central de tout dispositif conventionnel.
Ce système salarial
22(
*
)
se
présente de la façon suivante :
- 1? Une classification générale des emplois détaillée à l'extrême.
- 2? Un mode uniforme de fixation des salaires.
Contrairement à la pratique observée dans les autres branches, les salaires ainsi déterminés ne constituent pas des minima, mais des salaires réels, ce qui revient à vider de sa substance la négociation annuelle sur ce thème dans les entreprises. La seule marge de manoeuvre réside dans la date d'entrée en vigueur de cette augmentation générale, qui peut être fractionnée sur l'année, mais cette latitude se paye l'année suivante d'un effet report équivalent au décalage pratiqué.
- 3? Une large part d'automatismes au détriment de la promotion individuelle
Plus précisément, la convention collective prévoit deux sortes d'avancement, automatique et au choix, ainsi qu'une prime d'ancienneté.
L'avancement automatique d'échelon s'effectue selon l'ancienneté. Il est échelonné sur 30 ans. Le passage d'échelon est annuel durant les trois premières années ; le troisième échelon dure trois ans, puis les échelons suivants quatre ans.
Une prime d'ancienneté est versée automatiquement aux salariés. Elle est proportionnelle au salaire de base de l'échelle et à l'ancienneté dans la société ; elle est fixée à 0,8 % jusqu'à 20 ans, puis à 0,5 % de 21 à 30 ans d'ancienneté.
Ces deux mesures avaient à l'origine pour objet de traduire une reconnaissance de qualification acquise par l'ancienneté. Or, elles sont aujourd'hui ressenties comme normales et faisant partie intégrante de la rémunération plus que comme une reconnaissance de la qualification.
La promotion dans l'échelle supérieure rend possible une augmentation plus sensible. Celle-ci peut atteindre 7,5 % de l'indice de qualification, calculée après conversion du temps parcouru dans le niveau indiciaire de départ, selon une méthode de triangulation, le salarié repart alors dans des échelons inférieurs de la nouvelle échelle, ce qui lui promet un avancement plus rapide que dans l'ancien échelon.
Toutefois les promotions individuelles sont peu nombreuses et leur impact financier faiblement ressenti.
En outre, les commissions paritaires instituées dans les entreprises en application de la convention collective doivent être consultées pour toute promotion, mobilité ou avancement au choix. Ce mécanisme, analogue à celui en vigueur dans l'ensemble de la fonction publique, ralentit les procédures, et institutionnalise les choix individuels.
En ce qui concerne les journalistes, employés dans les sociétés nationales de programme de radio et de télévision, ceux-ci sont régis par des textes distincts : la convention collective nationale de travail des journalistes, applicable à tous les journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, complétée par un "avenant audiovisuel", propre à l'audiovisuel public, conclue en 1985 par l'association des employeurs.
Si, au départ, cet avenant audiovisuel se présentait comme un texte a minima, l'égalitarisme de règle chez les PTA s'est étendu à cette catégorie et depuis 1989, le thème de l'élimination des disparités, notamment salariales, entre sociétés pour les journalistes a entraîné plusieurs conflits importants.
Les intermittents
Une source de conflit est constituée par le recours croissant, pour des raisons techniques et économiques, à des personnels temporaires : occasionnels, cachetiers, pigistes, intermittents ou intérimaires.
Les occasionnels se définissent par leur fonction de remplacement de personnes titulaires de contrats de travail à durée indéterminée, en congés maladie, maternité, ou pour convenances personnelles.
Les cachetiers recouvrent plusieurs catégories de spécialistes : réalisateurs TV, musiciens remplaçants, artistes, illustrateurs sonores, collaborateurs de productions de divertissement, animateurs notamment à la radio.
Les pigistes sont des personnes affectées à la rédaction des chaînes ; ils sont rémunérés à la tâche.
Les emplois temporaires représentent 540 emplois à France 2, 1 438 emplois à France 3 (équivalents temps plein, calculés avec certaines hypothèses simplificatrices). A titre de comparaison, ils atteignent 962 emplois à Radio France.
Les cachetiers relèvent du statut des intermittents du spectacle. De ce fait, pèse sur les sociétés un double risque :
-
• D'une part, celui de voir des employés recrutés au titre
de contrats temporaires qui occupent de façon récurrente des
emplois permanents, requalifiés en contrat à durée
indéterminée (les cachetiers de Radio France ont demandé
au tribunal de faire requalifier leur emploi en contrat à durée
indéterminée).
• D'autre part, celui de voir les annexes 8 et 10 de la convention de l'UNEDIC 23( * ) , sur lesquelles reposent le faible niveau des cotisations et le fort niveau des indemnités de chômage des cachetiers, dénoncées en raison du déficit considérable de ce secteur.
Les heures supplémentaires des personnels techniques et administratifs (en fait, essentiellement les personnels techniques, puisque les personnels administratifs en effectuent peu) bénéficient d'un régime relativement laxiste lié à l'application de la convention collective : sur un total d'heures constatées au cours d'une semaine donnée, les heures réputées normales sont celles qui auraient donné lieu au plus faible tarif (+ 25 %) si elles avaient été supplémentaires, et les premières heures supplémentaires sont celles qui bénéficient de la rémunération la plus élevée (+ 125 %). On voit la déviation possible du système à l'aide d'un exemple : les techniciens liés à l'actualité ont une pointe de charge le dimanche. Le dimanche est donc un jour normalement travaillé dans ce métier. Mais, malgré tout, ce sont les heures du dimanche qui seront comptées comme heures supplémentaires (dès lors que les 39 heures sont dépassées dans la semaine, évidemment). Or, les heures supplémentaires du dimanche sont mieux payées que celles de semaine... Si l'on ajoute qu'une équipe en tournage hors Paris est réputée travailler dix heures par jour, il est clair que le mécanisme est inflationniste en termes d'heures supplémentaires.
Le total du système a représenté 167 heures supplémentaires par agent en 1993, 180 en 1994 et 171 en 1995. On rappelle que le contingent réglementaire est de 130 heures supplémentaires par an pour un salarié. A France 2, 30 % des agents ayant accompli des heures supplémentaires en ont effectué plus de 260 et une vingtaine d'agents plus de 450 (qui est le contingent maximal de la convention collective, lui-même déjà contraire au code du travail). Il existe donc là un manque de conformité avec la législation du travail.
Or, les compléments de rémunération que constituent les heures supplémentaires, sont devenus des éléments essentiels de la rémunération de nombre de techniciens, ce qui rend le problème difficile à traiter au plan social. C'était d'ailleurs un frein au passage des techniciens au statut de cadres, promotion nécessaire pour permettre le dégagement des effectifs vers le haut et le recrutement de jeunes techniciens (la convention collective rend difficile le recrutement de techniciens expérimentés ; le recrutement n'est donc possible que par l'avancement, la promotion et les départs en retraite. Un blocage des promotions entraînerait un blocage du système). On a dû créer une catégorie de " Cadre spécialisé " (B21-1) dans la convention collective pour permettre à ces techniciens expérimentés de quitter les échelles de techniciens et de devenir cadres sans pour autant perdre le bénéfice du système des heures supplémentaires. La nouvelle législation en préparation, qui limitera encore plus radicalement le recours aux heures supplémentaires, rend l'avenir plein d'incertitudes.
Ces problèmes sont directement liés à la convention collective de l'audiovisuel public. Outre son caractère inflationniste (en raison de l'importance du " V " du GVT qui est de près de 40 % supérieur à celui de la fonction publique), le fait qu'elle fasse une référence à ce quota de 450 heures supplémentaires par an n'est pas pour faciliter le dialogue social et, en ce domaine, il n'est pas certain que la meilleure des solutions soit d'attendre la condamnation par un tribunal. La convention collective, qui fixe le contingent de 450 heures supplémentaires par an, a été signée en mars 1984 et c'est en juillet 1984 que la loi a fixé un contingent de 130 heures qui ne peut être modifié que par voie d'accord étendu. Or, la convention collective de l'audiovisuel public n'a pas le caractère d'un accord étendu et n'a pas vocation à l'avoir. Ainsi la base juridique d'une part importante de la rémunération des agents se révèle à l'analyse relativement fragile.
2. Le temps de l'évolution
Les
limites budgétaires imposées au secteur public, sans doute
fondées dans leur principe, ont pour effet de rendre plus paralysantes
les rigidités résultant des dispositifs automatiques de la
convention elle-même.
Le tableau ci-après témoigne de ces rigidités.
Le poids de la masse salariale, sensiblement plus important pour le secteur
public que pour le secteur privé - il atteint à peine 8 %
à TF1 contre 60 % à l'INA, 40 % à RFI, 31 %
à France 3 et moins de 15 % à France 2 - constitue
un facteur de rigidité.
Paradoxalement, le fait d'appliquer certaines mesures au nom de la rigueur, est
une source de tensions qui ne facilite pas les mutations structurelles.
Faute de s'appuyer sur les structures adéquates, en l'occurrence une
convention rénovée, les économies que l'on impose aux
sociétés de l'audiovisuel public, se révèlent
finalement peu productives, voire contre-productives. Ce
développement contraint
a tendance à figer non seulement
les structures mais les stratégies. La tutelle - c'est-à-dire en
fait le ministère de l'économie et des finances - sait faire
faire des économies pas des arbitrages.
En outre, le fait d'imposer aux sociétés un carcan
budgétaire est un frein à l'adaptation de la convention. Il est
évident que, s'agissant d'un domaine socialement sensible, le fait de ne
disposer d'aucune marge de manoeuvre budgétaire n'ouvre aucun espace
à la négociation sociale et en l'occurrence à la
réforme de la convention.
Dans ces conditions, chacune des parties campe naturellement sur ses positions,
au moment où les évolutions technologiques et sociales
imposeraient de vrais changements.
Récapitulatif effectifs/Masse salariale
|
Equivalents-emplois |
Dont permanents |
Masse
salariale comptable
|
|||||||||||||
|
1990 |
1995 |
1996 |
1997 |
1990 |
1995 |
1996 |
1997 |
1990 |
1995 |
1996 |
1997 |
||||
INA |
1 021 |
1 085 |
1 080 |
1097 |
884 |
952 |
970 |
991 |
280,6 |
349,9 |
359,6 |
n.c. |
||||
France 2 |
1 934 |
1 874 |
1 915 |
1 923 |
1 359 |
1 327 |
1 360 |
1 369 |
695,0 |
748,1 |
830,3 |
n.c. |
||||
France 3 |
4 497 |
4 866 |
4 986 |
4 984 |
3 291 |
3 428 |
3 568 |
3 646 |
1 291,3 |
1 667,0 |
1 764,4 |
n.c. |
||||
Sept-Arte |
158 |
197 |
204 |
202 |
100 |
155 |
156 |
151 |
50,6 |
70,0 |
74,9 |
n.c. |
||||
La Cinquième |
|
159 |
183 |
180 |
. |
113 |
132 |
140 |
|
58,7 |
74,3 |
n.c. |
||||
RFO |
1 342 |
1 644 |
1 626 |
1 665 |
888 |
1 124 |
1 165 |
1 174 |
413,7 |
616,7 |
665,1 |
n.c. |
||||
Radio France |
4 460 |
4 441 |
4 493 |
4 554 |
3 052 |
3 009 |
3 016 |
3 029 |
1 115,8 |
1 357,2 |
1 420,0 |
n.c. |
||||
RFI |
692 |
878 |
897 |
923 |
476 |
619 |
648 |
669 |
165,2 |
261,3 |
286,3 |
n.c. |
||||
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
||||
Total |
14 104 |
15 144 |
15 384 |
15 528 |
10 050 |
10 727 |
11 015 |
11 169 |
4 012,2 |
5 128,9 |
5 474,9 |
n.c. |
Source : SJTIC, d'après les documents budgétaires
3. Le problème de la révision de la convention et des modalités d'application de la diminution du temps de travail
Les
techniques numériques révolutionnent les métiers de
l'audiovisuel. Chacun en est conscient. A l'ancienne distinction entre le
journaliste et les techniciens, se substitue désormais la profession de
journaliste-reporter, qui filme et monte, après avoir conduit
l'entretien.
En outre, les structures nouvelles, La Cinquième, Arte, ainsi que les
opérateurs de l'audiovisuel extérieur, sont en-dehors du champ
d'application de la convention collective de la communication et de la
production audiovisuelle (CCCPA).
Une renégociation très difficile
Cette convention a été conclue par période de trois ans
renouvelable. Le terme de la période triennale d'application en cours
est le 31 mars 1999.
Les formes prévues pour renégocier la convention sont si
contraignantes qu'il est en fait impossible aux partenaires sociaux de discuter
sereinement.
Une demande remettant en cause tout ou partie de la convention ne peut
être déposée qu'au cours des six mois qui
précèdent l'échéance triennale et des six mois qui
suivent : une telle demande devrait donc être faite avant la fin du
mois de septembre 1998 au plus tard.
Au surplus, la négociation doit être close dans les trois mois au
plus à compter de la demande.
On voit donc qu'il existe une " fenêtre de tir " d'une
durée d'un an tous les trois ans, au cours de laquelle les rapports
entre partenaires sociaux ont naturellement tendance à se crisper.
Résultat : tout mouvement pouvant alors être
interprété comme un acte d'hostilité, les
sociétés et la tutelle on jusqu'à présent renoncer
à remettre en question la convention.
En outre, le changement de régime conventionnel ne pourrait pas
intervenir à court terme puisque en l'état actuel des choses, il
faudrait attendre non seulement l'expiration de la convention en cours depuis
mars dernier mais encore laisser s'appliquer celle qui lui succéderait.
Il faudrait donc attendre 6 ans pour que le nouveau régime entre en
vigueur !
EMPLOIS
MASSE SALARIALE
MASSE SALARIALE PAR EMPLOI
Vers une adaptation progressive ?
En accord avec les tutelles, l'Association des employeurs du service public de
l'audiovisuel, signataire de la CCCPA a dans un premier temps cherché
non à dénoncer la convention, mais à engager des
négociations en vue de transformer ce texte en convention collective
à durée indéterminée.
L'idée initiale était de faire en sorte que les procédures
de dénonciation et de révision puissent à l'avenir
être engagées à tout moment, conformément au droit
commun. Renégocier les modalités d'adaptation de la convention,
de façon à pouvoir aborder dans la sérénité,
sans date-butoir les problèmes de fond, tel était le principe
retenu par l'association des employeurs du service public de l'audiovisuel.
Cependant, faute de l'accord de tous les syndicats signataires, il semble que
l'association s'engage actuellement sur une voie moins ambitieuse certes mais
qui reste nécessaire :
la révision des modalités
de révision.
En effet, tandis que la révision des modalités de
renégociation d'une convention collective exige l'accord de tous les
signataires, il n'en est pas de même des modalités de
révision partielle. Dès lors qu'il n'est pas question de remettre
en cause l'ensemble du dispositif conventionnel, la révision des
modalités de révision suffirait pour engager un processus qui ne
peut être que progressif.
Dans cette approche graduelle, des négociations pourraient alors
être engagées sur le système de classifications et le
système salarial qui lui est lié, ainsi que sur les questions
relatives à la durée et à l'aménagement du temps de
travail, permettant que les négociations d'entreprises puissent enfin
occuper l'espace qui leur revient normalement en ces matières, gage de
l'adaptation du dispositif conventionnel aux spécificités de
chacune des sociétés et de chaque catégorie de personnels.
Le plus urgent serait sans doute, d'une part, de réviser les
classifications professionnelles et le mode de fixation des
rémunérations, et, d'autre part, d'adapter les règles en
matière de durée du travail en tenant comte des perspectives
ouvertes par la loi sur les 35 heures.
Le système actuel des classifications professionnelles n'est
adapté ni dans les métiers ou les emplois qu'il distingue, ni
surtout dans sa méthodologie. Il est constitué par une liste
très détaillée d'emplois, alors qu'il devrait plutôt
se présenter comme un schéma plus souple, précisant pour
chaque catégorie des critères classant de niveaux
hiérarchiques et de responsabilité, laissant le soin aux accords
d'entreprises le soin de fixer en fonction des principes ainsi
dégagés, la liste effective des emplois.
Corrélativement, il faudrait aboutir à ce que
la convention
collective
ne
détermine
, comme dans les autres secteurs, que
les salaires minimaux et renvoie aux accords d'entreprises la fixation des
salaires réels.
Ce n'est sans doute que dans un deuxième
temps que l'on devrait aborder la question de l'avancement et en particulier la
façon dont il pourrait être fait une place accrue à la
promotion individuelle par rapport aux " automatismes ".
L'autre question urgente est relative à la durée du travail et
à l'application de la loi sur les 35 heures. La situation actuelle,
à certains égards encore incertaine sur le plan
réglementaire, ne facilite pas les choses.
De plus, la nouvelle loi souligne la non-conformité à la loi d'un
certain nombre de dispositions conventionnelles.
La convention collective de
l'audiovisuel n'est pas une convention étendue dans la mesure où
elle ne couvre pas l'ensemble du secteur.
Les dispositions
dérogatoires qu'elle prévoit en matière d'heures
supplémentaires, manquent donc, de fait, d'une base légale
solide. A cette incertitude de fond, s'ajoutent celles sur la mise en oeuvre de
la loi : quel sera le nouveau contingent maximal des heures
supplémentaires actuellement fixé à 130 ? Quel taux
de majoration sera applicable aux heures travaillées entre 35 et 39
heures ? Nul doute qu'il ne sera pas facile de négocier en
l'absence, de référence réglementaire en la matière.
Indépendamment de ces questions encore non résolues, la
réduction de la durée du travail hebdomadaire place
les
sociétés de l'audiovisuel public
dans une situation
délicate :
-
• d'une part, elles
ne peuvent bénéficier comme leurs
concurrentes du secteur privé d'aides à la mise en oeuvre des 35
heures.
Interrogée à ce sujet par votre rapporteur lors de
son audition le jeudi 28 mai 1998 par la commission des finances,
Mme Martine Aubry, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité, a
indiqué que " les sociétés audiovisuelles avaient
été exclues de l'aide à la réduction du temps de
travail parce que cette question doit être traitée dans le cadre
de la subvention globale qui leur est apportée par l'État ".
S'agira-t-il alors de moyens supplémentaires alloués aux
entreprises de l'audiovisuel public et d'où proviendront-ils ?
• d'autre part, bien qu'aucune étude précise n'ait encore été réalisée sur les conséquences de la réduction de la durée du travail dans l'audiovisuel public, on peut craindre qu'elle ne s'accompagne d'un alourdissement de la masse salariale, dont on a vu qu'elle était déjà élevée.
Compte tenu du contexte budgétaire déjà fragile, il est peu probable que les sociétés aient les moyens de passer à la nouvelle durée hebdomadaire de travail, sans une aide de l'État.
En définitive, on ne voit pas comment l'État ne serait pas mis à contribution, qu'il s'agisse de la question des 35 heures ou de l'adaptation de la convention collective. Pour votre rapporteur, les deux dossiers sont historiquement liés.
B. FRANCE 3 : EN CRISE DE CROISSANCE
France 3 vit en fait une crise de croissance. Comme
beaucoup
l'ont souligné, la crise actuelle de France 3 traduit,
au-delà de revendications salariales ou techniques, le " passage
à la maturité " d'une chaîne qui s'est
développée, en une vingtaine d'années, par strates
successives.
A cette préoccupation, viennent s'ajouter des
inquiétudes
liées à l'arrivée du numérique qui risque
d'affecter la grille des qualifications, d'avoir des conséquences sur
les emplois, les métiers, voire sur la fabrication des émissions
et leur mode de diffusion. En outre, les personnels ont le légitime
souci de conserver dans l'entreprise les gains de productivité
dégagés grâce aux nouvelles technologies.
La grève et le service minimum : un vide juridique
La loi du 30 septembre 1986, en son article 57, paragraphe II, a prévu
un service minimum limité à la continuité de la diffusion,
au sens technique, à la charge des sociétés nationales de
programmes et de TDF. Le projet de décret préparé à
l'époque n'a jamais été pris... douze ans
après !
La question a néanmoins été reprise en 1990, à
l'issue de conflits difficiles dans le secteur public audiovisuel. Les contacts
préliminaires avec certaines organisations syndicales ayant
montré qu'elles partageaient dans l'ensemble la préoccupation des
directions des sociétés de pouvoir se référer
à une " règle du jeu ", un nouveau projet de
décret a été élaboré, sur la base du
programme minimum prévu par le décret de 1986, en se fondant
juridiquement sur une acception extensive de la notion de
" création de signaux ". Ce projet n'a pu aboutir en 1991, le
ministre à l'époque s'étant rangé à l'avis
de la Présidence commune A2-FR3, qui estimait que le
" télescopage " serait inopportun en raison de
l'opération de restructuration qu'elle préparait.
Aujourd'hui, on semble tenir pour un fait acquis l'absence de
réglementation spécifique de l'exercice du droit de grève
dans le service public audiovisuel.
Toutefois, on pourrait estimer que les directions des sociétés
concernées pourraient procéder à la désignation des
personnels nécessaires à l'exécution des missions de
service public que la loi leur fixe précisément et qui
correspondent à des " besoins essentiels du pays ",
catégorie que distingue nettement le Conseil Constitutionnel.
1. La grève du 2 au 12 décembre 1997
La crise
a trouvé son origine dans la suspension, par suite du retrait des
représentants du personnel, des travaux du comité central
d'entreprise du 27 octobre 1997, au cours duquel devait être
discutée la question de
l'organisation des expérimentations en
matière de télévision numérique.
En 1995,
un observatoire des métiers du futur
à
France 3 avait été mis en place. A la suite de cette
initiative, la direction avait réuni les organisations syndicales, le 5
mai, pour leur proposer d'organiser des expérimentations sur des sites
pilotes afin de vérifier, par la pratique, les conclusions de
l'observatoire.
Le comité central d'entreprise du 27 octobre 1997 devait dresser le
bilan des discussions menées avec les organisations syndicales depuis le
mois de mai et permettre d'organiser la phase expérimentale des sites
pilotes.
La CGT a déposé un préavis appelant à la
grève le 5 novembre. Ce préavis de grève a
été levé à la suite d'une lettre adressée au
secrétaire général de la CGT, expliquant la conduite de
l'opération d'expérimentation des nouvelles technologies dans les
sites pilotes.
Dès le 4 novembre, la direction affirmait que les gains de
productivité potentiels procurés par ces technologies seraient
utilisés pour le développement de l'entreprise.
Le 6 novembre, un nouveau préavis de grève était
déposé par l'intersyndicale. Ce préavis comportait une
liste de revendications relatives à la définition de la
stratégie de la chaîne, à la durée du travail,
à l'emploi, aux salaires.
Dès le début des discussions, il est apparu que l'intersyndicale
entendait faire une analyse approfondie de l'ensemble des questions
stratégiques, en souhaitant disposer de documents écrits.
La direction s'est trouvée dans l'obligation d'apporter des
réponses à des questions stratégiques dans un délai
bref, alors que son intention était de commencer les études
approfondies à l'occasion d'une réunion des principaux cadres de
la société, fixée au 2 décembre.
Les discussions sur la stratégie ont permis d'identifier les trois
problèmes que les représentants syndicaux considéraient
comme étant les plus importants, à savoir:
-
• les programmes régionaux,
• la redistribution des gains de productivité,
• le projet de chaîne des régions.
Dans ces conditions, il n'a pas été possible de traiter l'ensemble des points du préavis, avant la date prévue pour le début de la grève. Celle-ci a donc été déclenchée. C'est seulement à partir de là que les discussions ont pu s'engager sur l'ensemble des points du préavis avec la difficulté résultant des exigences de l'intersyndicale qui a demandé à la direction de ne pas diffuser de programme pendant le déroulement des négociations.
Les discussions portèrent sur les points suivants :
- 1? La stratégie, donc les programmes régionaux, les gains de productivité, la chaîne des régions
- 2? L'emploi et notamment la requalification des contrats temporaires
- 3? La durée du travail
- 4? Les rémunérations
-
• La prime d'intéressement, due au titre de 1996, mais
distribuée en 1997, se situe à une moyenne de l'ordre de
600 francs, alors que la précédente avait été
de 3 500 francs. Cette situation s'explique par le fait que l'accord
d'intéressement de France 3 repose sur des critères qui
donnent à la prime d'intéressement, un caractère plus
aléatoire que dans d'autres entreprises audiovisuelles du secteur
public. Face à cette situation, et sans pour autant
méconnaître l'accord, France 3 a proposé une prime
exceptionnelle, d'abord de 600 francs, puis de 900 francs.
• A la suite de l'annonce à l'Assemblée nationale, par Madame Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, d'un plan de rapprochement des rémunérations de France 2 et France 3, la direction a présenté, devant les grandes organisations syndicales, les orientations d'un plan pluriannuel. France 3 a annoncé qu'elle était prête à engager des discussions de manière à ce que le plan puisse être établi fin mars 1998.
Cette
crise a eu des motifs affichés, mais aussi des causes plus profondes.
Cette inquiétude diffuse s'est traduite, dès le début de
la grève, déclenchée le 2 décembre 1997, par la
revendication d'un plan stratégique à cinq ans, ce qui
était une façon de demander des assurances. A l'ère du
multimédia, la question de l'avenir de France 3 ne se résume
plus, en effet, à un développement de type extensif et
géographique, générateur d'un emploi continûment
croissant.
Les revendications affichées :
Si la grève révèle une évidente crise de
croissance, on ne peut pas vraiment parler de crise d'identité tant les
inquiétudes exprimées par les personnels de France 3
témoignent d'une culture d'entreprise particulièrement vivace.
Lorsque l'on analyse ces revendications, on trouve un certain nombre de points
forts, qui tous traduisent un profond attachement à la vocation de la
chaîne - son " image de marque " avec sa " dimension de
proximité géographique et donc affective " - et la
volonté de voir son développement se poursuivre, sans remise en
cause de son identité régionale :
-
1? La réaffirmation de l'identité régionale de la
chaîne par l'accroissement, dans la grille, de la place
réservée à des programmes conçus et
fabriqués dans les régions pour des publics
régionaux : "
il faut recentrer la stratégie de
France 3 sur les régions, dans toutes leurs diversités,
grâce au maillage du pays par l'information locale mais aussi grâce
à ses programmes régionaux
", était-il
réclamé ;
2? L'évolution des métiers de journaliste et de technicien, rendue nécessaire par l'implantation des technologies numériques, mais difficile à gérer dans le respect des conventions. Pour les syndicats, le gain de productivité attendu avec de nouvelles formes d'organisation du travail et de nouveaux profils professionnels ne pourra être obtenu qu'après expérimentations concertées et négociées.
3? Le souci d'intégrer un nombre important de salariés à contrat précaire, dans un contexte national marqué par la préoccupation du chômage.
4? La volonté d'obtenir la fixation d'objectifs chiffrés et d'un calendrier précis pour le rapprochement des rémunérations de France 3 par rapport à celles de France 2, dans le cadre de France Télévision.
5? La déception de constater que l'excellente image et les bons résultats d'audience de la chaîne ont abouti en 1997 à un plan d'économies imposé par les pouvoirs publics et à une prime moyenne d'intéressement divisée par 6, par rapport à celle versée l'année précédente.
6? Ce dernier point est parfaitement symptomatique du malaise exprimé au cours de la grève dans la mesure où le personnel a eu le sentiment d'assister à la reprise par l'État - seul actionnaire - des excédents de recettes résultant des bonnes performances de la chaîne et de ses gains de productivité .
Un certain nombre d'éléments ont, par delà ces revendications immédiates, contribué à alourdir le climat ou à entretenir le soupçon :
-
1? Il y eut d'abord une question de méthode. Les salariés ont eu
l'impression que la mise en place du plan stratégique se
préparait dans le secret, alors qu'ils avaient des idées à
faire valoir.
2? L'arrivée des nouvelles technologies a été source d'inquiétude dans la mesure où France 3 aurait à affronter la concurrence du secteur privé, aux méthodes productivistes, inquiétantes, tant au regard de l'évolution des métiers qu'à celui des contenus de programmes. A cet égard, un fait a été mal interprété lorsque la direction technique a fait circuler dans les régies des matériels numériques de nature à montrer des possibilités d'évolution des fonctions.
On a vu se développer une inquiétude croissante et diffuse, alimentée par les mutations en cours du " paysage audiovisuel ", caractérisée :
-
• par l'apparition probable de la concurrence dans le secteur, jusqu'ici
protégé, de l'information régionale et locale,
• par l'usure manifeste de certaines structures de la chaîne (les bureaux régionaux d'information), dont les habitudes d'organisation sont remises en question par d'autres modes de fonctionnement (TV locales, journalistes à compétence complémentaire, par exemple).
• par les interrogations sur l'utilité à terme de certains métiers traditionnels (opérateurs de prises de son et de prises de vues notamment) encore nombreux dans les effectifs de la chaîne.
4. Les craintes d'une restructuration, consécutive au rapprochement de France 2, rendent les personnels encore plus attachés à leur autonomie et plus sensibles à toute tentative ou tout projet de rationalisation, tandis que le regroupement sur un même site de deux rédactions nationales aux histoires différentes, n'améliore pas le climat.
5. Enfin, la lassitude face à une politique de restructuration que les personnels ont tendance à percevoir comme la continuation d'une politique de rigueur démotivante : des syndicalistes ont souligné que " ce que vit France 3 aujourd'hui, est une conséquence logique du " Budget ", tel qu'il est voté par le Parlement :
-
•
un budget, dont les ressources propres sont inscrites en constante
progression, (la publicité représente plus de 30 % du
budget)
24(
*
)
,
• un budget, dans lequel la diversification demandée par l'État doit être financée grâce aux ressources propres de la chaîne,
• un budget qui oblige la chaîne, pour garantir ses ressources, à assurer un taux d'audience fort, et donc un investissement fort dans la grille nationale, et ce, au détriment des régions ; (nous l'avons vu également dans la politique suivie par la chaîne en matière d'achats de droits sportifs). "
3. L'accord de sortie de grève
Présentation du protocole du 12 décembre 1997
mettant fin au mouvement de grève
Ce protocole, constitué de douze points, a le contenu suivant :
1°) Stratégie de l'entreprise
:
La Direction a confirmé sa volonté de se doter d'un plan
stratégique qui sera élaboré dans le cadre du groupe
France Télévision en complémentarité avec celui de
France 2. Ce plan stratégique a été soumis à
l'avis du Comité Central d'Entreprise à partir du 15 avril 1998.
2°) Programmes régionaux :
La stratégie de l'entreprise prévoira dès 1998 un
développement pluriannuel quantitatif et qualitatif des programmes
régionaux impliquant :
-
1? L'achèvement du programme de diffusion locale et régionale du
créneau de 6 minutes de la tranche d'information du
19-20 heures ;
2? La recherche de nouveaux projets innovants et création dès septembre 1998 d'une nouvelle case hebdomadaire régionale de 26 minutes ;
3? Un premier plan de mesures budgétaires nouvelles affectées aux Régions de 150 millions de francs au moins sur 3 ans dont 35 millions dès 1998 avec 10 millions de francs d'investissement.
La ligne éditoriale de la chaîne ne sera pas remise en cause à l'occasion du transfert de France 3 dans le siège commun et les personnels resteront couverts par les conventions collectives sans perte d'emploi.
4°) Nouvelles technologies :
L'introduction des nouvelles technologies pour lesquelles il est prévu de faire des expérimentations a été soumise à négociation dès janvier 1998 dans le respect des cadres conventionnels existants. Elle impliquera des programmes spécifiques de formation.
5°) Gains de productivité :
Ils n'affecteront ni l'emploi, ni la qualité des programmes et seront réinvestis dans l'entreprise. La direction s'est engagée à ce que l'effectif normal d'une équipe de reportage d'actualité comporte deux journalistes, l'équipe pouvant être complétée par un technicien ou plus, en fonction des contraintes des reportages.
6°) Chaîne des Régions :
Ses programmes seront majoritairement composés des émissions de source régionale déjà diffusées par France 3, qui sera son seul fournisseur et exercera la responsabilité éditoriale. Des partenariats sont recherchés pour porter à 70 % la part détenue par le secteur public dans le capital de la Chaîne des Régions.
7°) Production - Fabrication :
L'objectif des unités régionales de production de France 3 est le suivant: maintien du volume d'activité, plein emploi des moyens de fabrication et modernisation de l'outil.
8°) Transfert en interne des émissions de la grille nationale et régionale :
Il a été établi une liste non exhaustive des émissions dont la production ou la finition sont confiées à des prestataires externes et qui vont faire l'objet d'un transfert de fabrication en interne :
La Marche du Siècle, France Europe Express, Saga Cités, Zazie, Thalassa, Faut pas Rêver, et C'est Pas Sorcier.
Plus généralement, la fabrication en interne des émissions régionales et nationales sera privilégiée.
9°) Requalifications :
Confirmant sa volonté de réduire l'emploi précaire, la direction procédera à un examen, site par site, de la situation de l'emploi à France 3 d'ici au 15 février afin de régulariser les situations individuelles anormales.
Les collaborations de journalistes, techniciens et administratifs occasionnels ou pigistes comptant au moins 420 jours travaillés seront recensés.
Les postes requalifiés en Contrats à Durée Indéterminée seront mis en consultation avant le 30 juin 1998.
Les négociations déjà engagées sur la situation propre aux cachetiers seront poursuivies.
10°) Durée du travail :
-
1? Pour le respect de la durée légale du travail, des
négociations se sont ouvertes à compter du 1er janvier 1998
pour les journalistes et, du 1er janvier 1988, pour les autres
métiers sur les modalités d'application des durées
légales. Un bilan sera dressé le 30 avril 1998.
2? En ce qui concerne les perspectives de réduction du travail à 35 heures : France 3 mettra la loi en oeuvre, dès que ses modalités d'application seront connues. Dans ce but, un travail d'identification des problèmes soulevés sera conduit entre janvier et mars pour les journalistes et entre avril et juin pour les autres métiers. Il sera procédé à des simulations des solutions envisageables et à un bilan, au plus tard, le 30 septembre 1998.
3? La mise en oeuvre de la semaine de 4 jours pour les journalistes sera rendue possible par une nouvelle organisation du travail dans le cadre des projets éditoriaux. Le passage à la semaine de 4 jours sera précédé d'une phase expérimentale impliquant :
• du 15 janvier 1998 au 31 mars 1998 : élaboration de projets par toutes les rédactions sur la base d'un cahier des charges établi le 10 janvier 1998 ;
• du 1er avril 1998 au 30 juillet 1998 : phase d'expérience pour 5 projets sélectionnés ; au plus tard le 30 septembre 1998 : conclusions de ces expériences ;
• au 1er novembre 1998 : début d'application dans la perspective d'une généralisation.
11°) Salaires:
-
1? Une prime de résultat au titre de 1996, de 2 000 francs,
sera versée aux collaborateurs de la chaîne.
2? Un plan pluriannuel de rapprochement salarial entre France 2 et France 3 sera élaboré avant le 31 décembre 1998. Il sera doté d'une première enveloppe de 10 millions de francs en 1998, dont 3 millions de francs seront utilisables dès 1997. Ce plan inclura le traitement des disparités internes en particulier pour les bas salaires, un aménagement de la progression des carrières et une remise à plat du régime indemnitaire. La méthode de répartition de l'enveloppe globale et le calendrier des opérations feront l'objet de négociations dès le 8 janvier 1998.
La Direction s'est engagée à traiter ultérieurement de sujets tels que l'emploi et les qualifications dans les télévisions locales, la formation professionnelle, les évolutions de carrière, la mobilité, le décloisonnement des moyens de fabrication et les droits d'auteurs des journalistes.
Chiffrage des surcoûts du protocole d'accord de sortie de grève
Les surcoûts consécutifs au protocole de sortie de grève du 12 décembre 1997 sont les suivants :
1. Programmes régionaux: 150 millions de francs sur trois ans dont 35 millions de francs en 1998
Un budget supplémentaire de 35 millions de francs est affecté aux régions dès 1998, accompagné d'un budget d'investissement de 10 millions de francs. Sur trois ans, ce sont 150 millions de francs de "mesures budgétaires nouvelles" pour les programmes régionaux qui ont été actées dans le protocole.
2. Rapprochement salarial France 2 - France 3 : 14 millions de francs en 1998
Une enveloppe supplémentaire de 14 millions de francs (charges comprises) sera utilisée en 1998 pour procéder au rapprochement salarial entre France 3 et France 2.
3. Autres dispositions du protocole
Les autres dispositions mentionnées au protocole peuvent être classées en deux catégories :
-
• les dispositions ne générant pas de surcoût ou dont
le financement était d'ores et déjà assuré :
il s'agit en particulier des formations spécifiques destinées
à faciliter la mise en oeuvre des nouvelles technologies, du transfert
en fabrication interne de certaines prestations précédemment
confiées à des fournisseurs externes, de la requalification en
CDI de postes tenus par des CDD.
• les dispositions, dont le coût ne peut être évalué, car leurs conditions de mise en oeuvre seront négociées dans le courant de l'année 1998. Il s'agit de la réduction de la durée du travail à 35 heures et la mise en place de la semaine de 4 jours pour les journalistes.
L'impact sur 1998 des surcoûts consécutifs au protocole de sortie de grève du 12 décembre 1997 s'élève donc à 49 millions de francs (35 millions de francs pour les programmes régionaux, 14 millions de francs pour le rapprochement salarial).
Le budget approuvé par le Conseil d'Administration de France 3 du 26 janvier 1998 prend en compte le financement de 24 millions de francs de ces surcoûts par redéploiement interne au sein des grands secteurs de la société.
Pour ce qui est des 25 millions de francs restants, un budget modificatif sera présenté courant 1998. Il prendra en compte la réflexion sur les orientations stratégiques engagées en janvier et pourra conduire à un redéploiement supplémentaire de moyens financiers et opérationnels pour une dizaine de millions de francs.
Les événements sportifs prévus en 1998 (Coupe du Monde de Football, nouvelle programmation en matière de football) pourraient conforter le niveau d'audience de France 3. Une recette complémentaire d'une quinzaine de millions de francs pourrait être dégagée.
* * *
C'est un
conflit emblématique, significatif d'une crise d'adaptation du secteur
public.
En l'occurrence, une entreprise qui a fait preuve de son dynamisme, craint
d'être privée des fruits de ses efforts par une politique de
rigueur si ce n'est à courte vue, du moins trop brutale
.
Les entreprises du secteur public sont des organismes complexes et
fragiles ; à trop leur demander et trop vite, on crée des
risques de blocages psychologiques face à des changements pourtant
inévitables.
Autant on peut comprendre un certain découragement quand on ne leur
offre, au nom de contraintes générales, pour tout horizon que
toujours plus de rationalisation, autant - dans l'intérêt
général - tous les acteurs du secteur public, à
quelque niveau qu'ils se trouvent, doivent se montrer déterminé
à moderniser les conditions de fonctionnement du secteur.
A l'heure du numérique, le secteur public doit prendre conscience
qu'il est désormais en compétition avec les diffuseurs, publics
et privés, du monde entier
. Si le secteur public français ne
veut pas se trouver en situation difficile dans les prochaines années,
les chaînes publiques doivent s'adapter et moderniser leurs relations de
travail, ce qui, à l'évidence, suppose l'adaptation des
règles contractuelles du travail en respectant les droits des
personnels, mais en tenant compte de l'intérêt public qui, en ce
domaine, se confond avec l'existence de chaînes publiques fortes et
assurées de la confiance des téléspectateurs.
II. LA TENTATION COMMERCIALE
L'importance croissante des recettes publicitaires dans le
budget
des chaînes publiques en concurrence avec TF1, M6 et Canal + affecte
leur mode de fonctionnement. Elle les place
à cheval entre deux
logiques, celle du service public et celle de l'entreprise commerciale
.
Paradoxalement, la logique publique, parfois perdue de vue dans la gestion
quotidienne du secteur public, est souvent invoquée, mais elle a pour
seul effet de déstabiliser les chaînes en brouillant une image
déjà floue tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur.
Il existe, en effet, une éthique du service public. Elle est bien
vivante, dans l'esprit du personnel pour lequel elle tient lieu à la
fois de référence et de motivation.
Mais, cette éthique peine à s'affirmer sous la pression
conjuguée de la contrainte financière et des forces du
marché. C'est ce qui explique la persistance d'un certain nombre
d'errements dénoncés régulièrement par la
commission des finances du Sénat, mais aussi bien par la Cour des
comptes et le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
A plus long terme, avec le développement du numérique, la
tentation sera forte, pour trouver les compléments nécessaires,
d'entretenir des liaisons dangereuses avec la publicité.
A. PERSISTANCE DU RISQUE DE DÉRIVES
Le mode de financement des chaînes n'est pas neutre. A des degrés divers, les abus bien souvent dénoncés par la commission des finances du Sénat participent tous d'une certaine " commercialisation " des rapports dans le fonctionnement interne des chaînes. Les marchands sont dans le temple du secteur public. Il serait naïf de croire qu'on pourrait les en chasser. Mais on ne doit pas se dissimuler que cet état de fait suppose une vigilance particulière de la part des responsables de ces chaînes, qui, à l'expérience, se révèlent plus vulnérables aux dérives de toutes sortes que celles du secteur privé.
1. Les cicatrices de l'affaire des animateurs-producteurs
Le rapport de la Cour des comptes sur la gestion de France Télévision entre 1993 et 1996 a confirmé que la plupart des sociétés d'animateurs-producteurs n'ont pu être créées que grâce à l'argent public dont elles ont bénéficié, en produisant essentiellement pour la commande publique. La Cour a également attiré l'attention des pouvoirs publics sur certains avantages anormaux :
-
• avances de trésorerie, alors que la trésorerie de
France 2 étant généralement négative, la
chaîne a dû emprunter pour tenir ses engagements ;
• les rémunérations concédées aux animateurs et à certains proches étaient considérables.
Au-delà de cas d'espèce, on est tenté de remettre en cause la structure même d'une gestion fondée sur l'achat de droits par opposition au système traditionnel du cachet . Non seulement l'utilisation d'une société de production permet d'obtenir des avantages directs et indirects, mais encore elle permet de faire monter les enchères en menaçant de partir avec armes et bagages chez le concurrent. Le suspense des " transferts ", préalables à la présentation des grilles de rentrée, ne serait pas possible sans la généralisation de ces sociétés de production indépendantes.
Sans doute le retour aux principes d'origine du service public est-il difficile à envisager. Mais il convient d'attirer l'attention sur le fait que les chaînes publiques ont un mode de fonctionnement et des structures juridiques qui les mettent en situation de faiblesse dans la négociation, aboutissant à une surenchère qui pousse les prix à la hausse sans gains véritables pour le téléspectateur.
2. La publicité clandestine
La
tentation est grande et en tous cas ancienne, comme en témoignent les
commissions d'enquête décidées par le Sénat en 1972,
de troquer quelques commodités matérielles en échange
d'une citation appuyée de l'entreprise qui les fournit.
Ce genre d'opération est strictement interdit par la
réglementation, dont le Conseil supérieur de l'audiovisuel
surveille strictement l'application.
C'est ainsi que, par une décision prise le 6 novembre 1996 et
publiée au journal officiel du mardi 26 novembre, il a infligé
une sanction pécuniaire d'un montant de 802 000 francs
à France 2 pour " publicité clandestine ". Deux
émissions de Nagui de la série " N'oubliez pas votre brosse
à dents " étaient en cause. La première,
diffusée le 1
er
avril 1995, avait fait une promotion
appuyée de la compagnie Tunisair, de l'Office du tourisme tunisien et
des hôtels Palm Beach et Abu Nawas, pendant plus de trois minutes.
La seconde en date du 30 septembre de la même année avait
fait une promotion excessive de " l'attraction Space Mountain du parc
Disneyland-Paris ", durant quarante secondes. La première a
été considérée comme passible d'une amende de
722 000 francs, la seconde de 80 000 francs.
France 2 a donc été condamnée à verser la
totalité de cette somme au Trésor (Compte d'affectation
spéciale du soutien financier de l'industrie cinématographique et
de l'industrie des programmes audiovisuels).
En 1997, le Conseil supérieur de l'audiovisuel est intervenu à
plusieurs reprises pour faire cesser et, le cas échéant,
sanctionner des cas de publicité clandestine, tout
particulièrement sur les chaînes du secteur public.
Face à la persistance de telles pratiques et en dépit d'efforts
de concertation, une procédure de sanction a dû être
engagée à l'encontre de France 3. Ainsi, le Conseil a
dû demander en avril 1997 l'arrêt de la diffusion de messages
publicitaires dans l'émission
Lignes de mire
, en contravention
avec les articles 9 et 14 du décret du 27 mars 1997. En outre,
plusieurs cas de publicité clandestine pour un journal de la
région parisienne ont été relevés. Enfin, au cours
de l'été 1997, plusieurs numéros des émissions
Grands gourmands
et
Le ticket de l'été
ont
été l'occasion d'assurer la promotion d'enseignes
d'activités ou de lieux commerciaux. Constatant enfin que
l'émission
Autour du Tour,
diffusée depuis Disneyland
Paris, a été l'occasion d'une promotion appuyée de ce parc
d'attractions, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a
décidé, le 23 septembre, d'engager une procédure de
sanction à l'égard de France 3 et a attiré
vigoureusement l'attention du président de France
Télévision sur les dérives publicitaires multiples
relevées jusqu'à cette date.
Il faut être d'autant plus attentif à cette question que se
développent actuellement, pour le cinéma, de
nouveaux types de
partenariat
qu'il sera peut-être tentant de transposer dans
l'audiovisuel. Des agences de publicité et, notamment, DBB Needham
tentent de créer des agences spécialisées dans le
"
Tie-in
" et le "
product Placement
". Dans
le premier cas, on permet à l'annonceur d'associer sa marque et sa
communication aux valeurs d'un film, de son titre et de ses stars pour mettre
en valeur son image ; dans le second, on utilise de façon
délibérée des produits de grande consommation ou de
services dans les films pour que les produits de la marque soient clairement
identifiés par le spectateur.
3. La déontologie
Il faut admettre, et des exemples récents le prouvent, que des journalistes ont pour le moins fait preuve d'une imprudence critiquable.
-
• La diffusion dans l'émission " Culture pub " de M6
d'un faux journal télévisé de France 3,
présenté par une ex-présentatrice de ce journal,
tourné au bénéfice d'un laboratoire pharmaceutique par
l'un des réalisateurs titulaires avec les décors originaux, a
brutalement attiré l'attention sur les problèmes posés par
la participation
des journalistes de sociétés du
secteur public à des manifestations commerciales.
• Un autre exemple, concernant également un laboratoire pharmaceutique, peut être donné avec le tournage - même à l'insu du présentateur-vedette - d'une " Marche du siècle " sur le plateau et par la société de production de l'émission.
Des représentants de deux syndicats de journalistes de France 3 ont été entendus, au début de mars 1998, par le juge en charge de l'instruction. Les deux syndicats, qui avaient déposé une plainte contre X..., en mars 1997, pour " contrefaçon, complicité et recel " auprès du tribunal de grande instance de Paris, ont vu leur demande jugée recevable.
Alors que le syndicat avait déclenché son action pour que soient révélées les " circonstances qui ont permis l'utilisation des décors et de la charte des émissions d'information, interdite par les lois, la réglementation, les conventions collectives et les règlements intérieurs " à des fins publicitaires, un rapport interne fut commandé à M. Jean-Charles Paracuellos, directeur de l'audit à France Télévision.
Il ne s'agit pourtant pas d'une première. Ce faux " 19/20 " avait eu un certain nombre de prédécesseurs : neuf films promotionnels auraient été tournés sur le même modèle entre octobre 1992 et mars 1997, au profit de laboratoires pharmaceutiques, sans d'ailleurs que personne ne s'en émeuve.
Les résultats des investigations du juge devraient permettre d'en savoir plus sur l'aspect financier du dossier et, en particulier, sur le rôle d'une société de production déjà citée dans un rapport confidentiel datant de 1996, à propos d'une affaire de publicité clandestine.
A ce stade de l'information, la direction générale de France 3 a également porté l'affaire devant les tribunaux en déposant une plainte pour " contrefaçon, vol et recel ".
4. Le non-respect de la réglementation
Le
décret n° 92-280 du 27 mars 1992
édicte un
ensemble de règles pour encadrer la publicité et le parrainage
à la télévision. Ces règles sont applicables
à Canal + en vertu d'une convention signée avec le Conseil
supérieur de l'audiovisuel le 1er juin 1995 ; elles ont
été étendues par le décret n° 95-77 du
24 janvier 1995 aux chaînes du câble.
Les articles n° 3 à 6 de ce décret régissent le
contenu des messages publicitaires. Sont ainsi protégés la
véracité du contenu des messages, l'usage de la langue
française, ainsi que toute une série d'atteintes aux
libertés publiques, à l'ordre public, aux bonnes moeurs et aux
droits de la personne, avec une attention particulière pour la
protection des mineurs.
Sur le plan technique, l'article 14 dispose que le volume sonore des
écrans publicitaires
" ne doit pas excéder le volume
sonore moyen du reste du programme
". Des dépassements ont
été constatés pour un certain nombre de chaînes et,
notamment, pour TF1 et M6. Une concertation est en cours pour trouver une
solution à ce problème.
Le régime d'insertion des messages publicitaires dans les programmes
dépend du statut de la chaîne :
- - pour les chaînes privées, le décret transpose les dispositions de la directive Télévision Sans Frontières . L'article 73 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, relatif au régime d'interruption des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles continue de s'appliquer et prévoit une coupure unique, sauf dérogation accordée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel. L'interruption unique est limitée à six minutes.
En outre, conformément à la directive européenne, le décret interdit toute interruption publicitaire dans les journaux télévisés, les magazines d'actualité, les émissions religieuses et les émissions pour enfants, lorsque leur durée est inférieure à trente minutes.
- - Pour les chaînes publiques, les règles résultent des cahiers des charges. Ceux-ci réaffirment le principe suivant lequel les messages publicitaires ne peuvent être insérés qu'entre les émissions, avec une possibilité de dérogation, soit pour les retransmissions de compétitions sportives comportant des intervalles - dans la limite desdits intervalles -, soit, après autorisation, lorsque les émissions sont diffusées avant 20 heures et sont composées de parties autonomes identifiées et séparées par des éléments visuels et sonores.
En dernier lieu, un dépassement de la durée maximale de la publicité de 12 minutes par heure a été constaté sur France 2, lors de la diffusion d'une soirée électorale. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a accepté de considérer ce dépassement comme exceptionnel, mais a rappelé la chaîne à ces obligations.
*
* *
Dans
tous les cas évoqués ci-dessus, il semble que les
dérapages soient plus fréquents à France
Télévision que chez leurs concurrents du secteur privé
faute, sans doute, de procédures internes de contrôle suffisamment
rigoureuses.
En définitive, tout se passe comme si le recours accru aux ressources
publicitaires avait conduit France 2, dans sa concurrence frontale avec
TF1, à fonctionner comme une entreprise privée, mais sans subir
ni les contraintes et les sanctions du marché, ni les contrôles
qui résultent du droit des sociétés.
B. DÉRAPAGES
Pour des
raisons aussi bien financières que techniques, on voit se
développer de nouvelles pratiques, qui pourraient mettre en cause le
pluralisme et les principes élémentaires de la déontologie
des diffuseurs, qu'ils soient publics ou privés.
D'une part la multiplication des chaînes crée un besoin de
financement que les caractéristiques des audiences pour les
chaînes thématiques ou les contraintes réglementaires pour
les chaînes hertziennes ne permettent pas de satisfaire facilement. Il
est tentant pour les différents opérateurs de rechercher d'autres
modalités de participation des annonceurs ; tel est le sens d'une
nouvelle forme d'action publicitaire, qualifiée du mot anglais de
" programming ".
D'autre part, le développement massif d'Internet avec toutes les
possibilités de messages personnalisés qu'il implique ouvre de
nouveaux horizons à la publicité et au marketing, qui pourraient
à terme sinon poser des problèmes déontologiques, du moins
faire craindre certaines atteintes à la vie privée.
1. Le développement de nouvelles formes de parrainage
Le
marché publicitaire cherche d'autres modes de communication, de nouveaux
territoires, ne serait-ce que parce que la longueur des écrans finit par
émousser l'efficacité des messages.
La vogue de cette nouvelle forme de partenariat entre diffuseurs et annonceurs
est facile à comprendre. D'un côté, l'entreprise a pris
conscience des limites de la publicité et cherche à s'adresser
" autrement " à ses clients ou à ses actionnaires. De
l'autre, la multiplication des chaînes thématiques, mais pas des
budgets, interdit aux diffuseurs de financer sur leurs seules ressources tous
les programmes de leur grille.
Le parrainage
En 1997, la place du parrainage sur les écrans semble avoir
progressé, d'après Secodip, à un rythme encore plus rapide
que celui des espaces consacrés à la publicité
traditionnelle.
A l'origine de cet engouement, il faudrait certainement citer les
conséquences des aspects réglementaires : la loi n'autorise
pas certains secteurs, tels la
distribution, l'édition et les
médias
, à faire de la publicité classique à la
télévision. Or, ceux-ci pourraient
représenter plus de
la moitié des investissements de parrainage
. Cependant, selon la
revue Carat Expert, l'année 1996 aurait été marquée
par l'émergence de la téléphonie, de la
photo-vidéo, de l'équipement et matériel de sport et du
secteur toilette-beauté. Autre indice de ce rééquilibrage,
le secteur des services aurait augmenté de 30 % entre 1994 et 1996,
tandis que les
investissements liés aux annonceurs interdits de
publicité classique
n'avaient augmenté que de 6,9 %.
Bien que TF1 absorbe la moitié des investissements publicitaires,
l'augmentation la plus importante en 1996 aurait surtout profité
à France 2 (+ 29 %) et France 3 (+ 34 %).
Canal + est un cas un peu à part, puisque ses parrains sont
exclusifs (une grande marque de chaussures de sport pour les J.O.) et que la
durée des " billboards " (apparition de la marque avant et
après la diffusion d'une émission) est deux fois plus longue
(20 secondes) que sur les autres chaînes.
Le dynamisme du parrainage tient sans doute aussi à son
statut
privilégié qui l'exempte de la taxe perçue au profit du
Cosip
. C'est là une anomalie sur laquelle il conviendrait sans doute
de réfléchir, s'agissant de dépenses qui se substituent de
plus en plus à des spots publicitaires classiques.
Dans certains cas, l'émission n'existe que grâce au parrainage.
Ainsi l'émission ultracourte (2 minutes) apparue sur M6
"
Questions de métiers
" ne doit son existence qu'au
sponsor, une entreprise de travail temporaire. Dans ce cas précis, le
programme est élaboré sur mesure par l'annonceur et son agence.
L'accueil de l'émission est payé à M6. Dans le cas
contraire, il s'agirait de
bartering
(échange d'espace contre
financement de programmes). Mais le
bartering
est, en France,
parfaitement interdit, la loi l'assimilant à de la publicité
déguisée.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel reste vigilant. Constatant,
à plusieurs reprises, le manque de clarté des mentions de
parrainage de certaines émissions, et, notamment, d'émissions de
jeux à France 3, il a mis en garde la chaîne contre de telles
pratiques et lui a rappelé, en particulier, que les produits remis
à titre de lots dans les émissions de jeux ne pouvaient
émaner que des parrains de ces émissions.
Le
programming
Le
programming
est apparu pour contourner cette interdiction. L'objectif
est toujours de financer des programmes de télévision sur mesure,
mais ceux-ci sont coupés d'écrans publicitaires exclusivement
dédiés au parrain.
Un certain nombre d'entreprises spécialisées dans cette forme de
communication ont été créées récemment.
C'est dans cet esprit que le groupe Publicis a créé, en juillet,
avec Christophe Dechavanne, une société ad hoc, Étoile TV,
dans laquelle le groupe publicitaire est majoritaire. Le groupe concurrent
Havas Advertising a passé un accord commercial avec Case Productions, la
société de l'animateur Arthur. Le groupe Carat est très
actif à travers sa filiale TVMI, détenue à parité
avec la société de production Expand.
Un dernier exemple de cette vogue du " programming " est l'union de
l'éditeur de presse gratuite Comareg (Havas Média Communication)
et de la chaîne " Demain " sur Canal Satellite qui lancent en
coproduction, à partir de novembre, une émission " Bonjour
l'emploi ".
L'objectif affiché par ces publicitaires est d'abord de rapprocher les
annonceurs des émissions qui correspondent le mieux à leur image
pour les aider à optimiser leur message, et dans un second temps,
d'amener les annonceurs à devenir producteurs de programmes, ce qui leur
permettrait éventuellement de se réserver les écrans de
publicité accompagnant ledit programme.
Le " programming " suscite un réel intérêt chez
les directeurs de communication des grandes banques, des sociétés
d'assurance ou des entreprises de service public, qui y voient
une
façon de donner du " sens " à leur communication
.
Le " programming " porte souvent sur des documentaires mettant en
scène une aventure humaine, culturelle, scientifique ou
écologique issue de l'entreprise ou de son environnement. Le
documentaire va raconter une histoire, avec son héros et sa trame
dramatique. Mais sans parler de produit ou de marque.
L'entreprise y trouve un
intérêt d'image
. "
C'est
pour elle le moyen d'être citoyenne, crédible et de donner du sens
à ce qu'elle fait
", explique le directeur de la communication
d'un grand groupe d'assurance. En coproduisant la mise au jour des vestiges du
phare d'Alexandrie (Égypte) par des archéologues, Elf Aquitaine
met en valeur son mécénat ; en racontant l'histoire de
l'électricité, EDF explique l'évolution de son
métier.
Chaque partenaire finance une partie du budget. Et l'entreprise peut mettre son
nom au générique, organiser des avant-premières et
dupliquer des cassettes vidéo pour les offrir, au titre de ses relations
publiques. Le risque est qu'au-delà d'un certain seuil de participation,
l'entreprise commanditaire puisse être tentée d'intervenir.
Mais des freins existent. D'une part, le " programming " n'est pas
toujours bien perçu, ni par les régies des chaînes qui
préféreraient vendre de l'espace publicitaire, ni par les agences
de publicité qui ne savent comment se faire rémunérer.
D'autre part, il pose à l'évidence des problèmes
déontologiques aux médias : entre le besoin d'argent et la
peur de voir les entreprises s'ingérer dans le contenu éditorial,
les chaînes sont parfois embarrassées. Tel est le cas, par
exemple, de la responsable des programmes " emploi-économie "
à La Cinquième qui se dit " ouverte aux propositions des
entreprises ", tout en " souhaitant garder ses distances ",
alors même que la chaîne éducative, qu'a
présidée M. Jean-Marie Cavada, également producteur
de films audiovisuels d'entreprises (CCV Productions), est la chaîne
hertzienne française la plus réceptive au partenariat
privé. C'est ainsi qu'elle diffusera une série de quinze films de
treize minutes, " Innova ", coproduite avec la Fondation de la
Villette, qui réunit une vingtaine de grandes entreprises
françaises, dont chacune a son film. Si le projet a pu finalement voir
le jour, c'est qu'après de multiples allers et retours, les entreprises
auraient accepté de ne pas intervenir.
Certes, la relation entreprise-télévision a toujours
été délicate. La dérive des années 80,
qui a vu des régies (comme la Régie française d'espace,
RFE) vendre comme " espaces publicitaires " des émissions
matinales accueillant des patrons d'entreprise venus y faire leur promotion,
montre qu'il n'est pas toujours facile de ne pas dépasser les bornes.
En définitive, le besoin d'argent sur le marché des
télévisions est considérable. De ce point de vue, le
" programming " s'apparente à un troc, le moyen
d'accroître la contribution des annonceurs au financement des
télévisions contre un accès privilégié
à l'antenne. En France, en dépit des obstacles
réglementaires et commerciaux, on a des raisons de croire que, dans un
espace audiovisuel européen sans frontières, le
" programming " aura tendance à se développer, au
risque de rendre encore plus difficile la tâche de surveillance des
autorités de régulation.
2. Le rapprochement avec le marketing direct
Ce
besoin de redéfinition d'une stratégie de communication, qui a
d'abord profité aux techniques de parrainage TV et, en particulier, au
" programming ", s'est aussi manifesté par l'utilisation des
nouvelles techniques permettant une interactivité et une
personnalisation du message entre l'entreprise et son client.
Cette tendance qui a débouché sur des concepts nouveaux
procède également du développement d'Internet. Celui-ci,
longtemps pénalisé par la faiblesse du taux d'équipements
des foyers en micro-ordinateurs avec modem intégré, devient un
support média à part entière, maintenant que les
ordinateurs arrivent dans les foyers et que l'on s'achemine vers une
réception sur les écrans de télévision.
" L'Infomercial "
Ce nouveau format publicitaire, qui tend à organiser une
possibilité de retour et permet donc de mesurer l'efficacité du
message, n'a que deux ans d'existence en France. Il peut associer un message
assez long et un numéro vert. Cette nouvelle technique baptisée
" l'infomercial " n'a pas encore, en France, tenu ses promesses, en
dépit de quelques réussites spectaculaires : c'est ainsi
qu'un constructeur de téléviseurs ou encore l'organisation
caritative Médecins du monde ont pu générer de la
création de trafic sur réseaux de vente (+ 30 % des
ventes, 10 000 appels) ou collecter des dons grâce à un
message publicitaire télévisé ! A l'inverse du
message publicitaire traditionnel, " l'infomercial " permet un
retour, ce que les Anglo-Saxons appellent le " direct response TV ".
Le développement de ce type de communication commerciale se heurte
à deux obstacles : d'une part, sans doute, une certaine
appréhension des agences peu portées à ce qu'un annonceur
puisse vérifier aussi précisément la valeur d'une
création ; d'autre part, des contraintes dues à la longueur
du message qui alourdit le coût et se heurte aux limitations de la
durée des écrans.
Aux États-Unis, " l'infomercial " aurait engendré
3 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 1994. Le chiffre
avancé pour l'an 2000 est de 10 milliards de dollars. En
Europe, à cette même date, le volume correspondant serait de
3,5 milliards de dollars.
Ainsi, à l'origine média de masse et anonyme, la
télévision est en train de devenir relationnelle et interactive.
Selon certains publicitaires, elle permettrait, enfin, un face-à-face de
la marque avec le consommateur, la communication " one to one ",
rêve absolu de tout annonceur, rejoignant ainsi les possibilités
offertes par Internet.
L'ascension d'Internet
On le sait, le marché de la publicité sur Internet est en plein
développement. Selon l'Internet Advertising Bureau, il aurait atteint en
1997 un total de 907 millions de dollars, soit 5,5 milliards de
francs.
En France, 120 sites vendaient déjà des espaces
publicitaires en juin 1997 sur Internet contre 46 en juin 1996. Au
total, le marché français du premier trimestre de cette
année s'élevait à 5,2 millions de francs, soit
3 fois l'année 1996. Carat Multimédia estime que le
marché de l'" e. pub " atteindra 25 millions de francs
à la fin de 1998, soit une croissance de 500 % par rapport à
1997. Pourquoi passer des annonces sur le réseau des
réseaux ? Parce qu'avec un simple clic on peut accéder
à beaucoup plus d'informations qu'avec une publicité
traditionnelle. Et surtout, le consommateur peut laisser son adresse
e. mail pour bénéficier par exemple d'un essai gratuit ou
encore recevoir un échantillon. A tel point que l'audience s'y mesure
notamment en " taux de cliquage ". Cette interactivité fera,
dans les années à venir, la différence avec la
publicité traditionnelle.
En ce qui concerne l'avenir du marché publicitaire sur Internet, les
avis diffèrent. Pour les uns, tel Jacques Séguéla, la
publicité interactive représentera 50 % du marché
publicitaire en 2010 et, ajoute-t-il, " 2010, c'est demain ". Pour
les autres, et Maurice Lévy de Publicis en fait partie, Internet ne
devrait guère représenter plus de 10 % avant 2010.
Des risques pour la vie privée
D'abord, il faut être conscient que
l'envahissement des boîtes
aux lettres
, que l'on connaît aujourd'hui et qui a servi de
justification à la taxe sur le hors-médias votée dans la
loi de finances pour 1998,
pourrait bien se reproduire avec les boîtes
aux lettres électroniques
.
Aux États-Unis, le Congrès prépare deux projets de loi
visant à limiter la diffusion de certains types de publicité sur
Internet. Il souhaite enrayer la publicité sauvage que constitue l'envoi
en grand nombre de messages par courrier électronique.
Cette pratique est connue sous le nom de " spam ". Si l'origine de ce
mot issu du jargon de l'époque héroïque d'Internet reste
obscure, en revanche son sens actuel est clair : un spam est un texte sans
image, souvent accompagné d'un bon de commande, adressé à
des milliers, voire des millions de boîtes aux lettres
électroniques par une entreprise de marketing direct.
Les pionniers du " spam " n'étaient pas des marchands, mais
souvent des militants politiques. Les premiers " spammers
commerciaux " furent des concepteurs de logiciels ou des marchands de
cassettes. Mais, à partir de 1996, le phénomène prend une
toute autre dimension. De nombreuses petites entreprises décident
d'utiliser ce nouvel outil de marketing, tandis qu'apparaissent un grand nombre
d'intermédiaires et de consultants, dont l'apport consiste à
vendre des systèmes de repérage des adresses laissées par
les utilisateurs d'Internet, parfois à leur insu. Des fichiers
géants sont ainsi constitués et mis en vente sur le réseau
à des tarifs modérés.
Des utilisateurs de tous bords s'insurgent contre cet envahissement qui noie le
courrier utile sous des masses de prospectus. On y trouve aussi bien des
libertaires qui s'opposent à cette utilisation commerciale d'Internet,
des hommes d'affaires très désireux de commercer sur Internet,
mais qui craignent que le " spam " bas de gamme et les violations de
la vie privée n'effraient les consommateurs, mais aussi que les
fournisseurs d'accès craignant que les " spammers " ne
saturent leurs systèmes et ne provoquent le mécontentement des
abonnés.
Alors commence
la course de vitesse
classique
entre la lance et le
bouclier
. Certains opérateurs tentent de protéger leurs bases
de données et de tenter un filtrage des courriers
indésirables ; d'autres ont créé des sites à
partir desquels on peut naviguer sur l'ensemble du Web anonymement, sans
laisser de trace. Mais, l'inventivité des " spammers " s'est
exercée avec la mise au point des " suceurs d'adresses " de
plus en plus performants ainsi que des systèmes de routage
" furtifs " capables de brouiller les pistes, de cacher le point de
départ réel de leurs messages, de déjouer les filtres et
même d'utiliser des routeurs comme relais à l'insu de leurs
propriétaires.
Sous l'effet de la concurrence, le spam se vulgarise. Les logiciels et listes
d'adresses sont désormais à la portée de tous ou presque.
Cyberpromotions, leader sur le marché, propose à ses clients un
service complet baptisé " Cyberbomber " (cyberbombardier)
permettant d'envoyer plus de cinquante mille " spams " à
l'heure et à jet continu, à partir d'un simple PC. Et, ô
paradoxe, les concepteurs de logiciels anti spam eux-mêmes ont recours
à ce type de promotion électronique !
Les grands fournisseurs d'accès comme CompuServe, AOL et Prodigy ont
fini par attaquer Cyberpromotions en justice. Les juges américains sont
toutefois partagés entre le constat de la gêne causée aux
usagers et la sauvegarde de la liberté d'expression, fût-elle
commerciale. Ainsi, AOL, qui pourrait être suivi de Compuserve, a obtenu
le droit de ne pas héberger de " spammers " visant ses
abonnés à partir de son propre service, mais Cyberpromotions
reste libre de les bombarder en utilisant un autre fournisseur.
Mais le " spam " trouve aussi des défenseurs. Certains
craignent que la mise en place de systèmes de filtrage trop
sévères empêchent toute forme d'envois en nombre,
même s'ils émanaient d'associations caritatives ou de
défenseurs d'une noble cause.
On a aussi pensé à responsabiliser les entreprises en quête
d'honorabilité. Des " listes de suppression " ont ainsi
été mises en place, sorte de listes " rouges " sur
lesquelles tout usager peut s'inscrire, pour ne plus recevoir de messages non
désirés.
Le débat est loin d'être clos. Il a toutes les chances de prendre
une dimension planétaire, lorsque certains spammers seront imités
ou décideront de valoriser leur savoir-faire sur les secteurs
non-anglophones d'Internet.
En France aussi la menace existe que l'on utilise Internet soit pour inonder
le pays de messages publicitaires électroniques, soit pour constituer
des méga-bases de données sur la consommation et les habitudes
des Français. Déjà, plus de 2,5 millions de foyers
français figurent dans la base Consodata, tandis que sa concurrente
Claritas possède des données sur 3,5 millions de foyers. On
estime à plus de 20 %, la population mise en fiches, taux
considérable mais bien inférieur encore aux quelque 90 %
avancés pour les États-Unis.
L'existence de ces bases pose le problème du respect de la vie
privée, tout comme le déroulement d'opérations associant
télévision et marketing, qui, bien que fondées sur le
volontariat, peuvent inquiéter par les synergies qu'elles
développent entre télévision et distribution.
Une société spécialisée en marketing direct se sert
de la télévision : depuis le 19 janvier,
les foyers
abonnés à CanalSatellite numérique découvrent la
publicité interactive
. Sur l'écran passe une pub.
L'abonné veut-il recevoir une documentation ou tester ? Il clique sur sa
télécommande. Le souhait du téléspectateur remonte
alors, via la prise de téléphone, l'annonceur, qui, par
l'intermédiaire de CanalSatellite, reçoit les coordonnées
de son abonné.
Dans d'autres cas on cherche à évaluer l'efficacité des
publicités et les comportements d'achat en constituant dans une ville
test un panel de consommateurs - tous volontaires - dotés de
cartes à puces permettant de suivre leurs achats dans tous les
supermarchés de la région.
La technique est rodée : la société de marketing
coupe le panel en deux parties, puis fait varier les paramètres. On
évalue ainsi l'impact de tel ou tel prospectus, de telle ou telle
affiche ou de tel ou tel message publicitaire à la
télévision. La chaîne - en l'occurrence TF1 -
fournit son conducteur (séquence minutée des émissions,
détail des spots compris). Une régie mise en place par la
société de marketing va chercher dans les spots prévus par
TF1 celui de même longueur qui va être remplacé sur les
écrans de l'agglomération test par le spot à
évaluer. Ensuite, on analyse les achats à la caisse pour
déterminer l'impact du spot sur les comportements d'achat.
*
* *
Libéralisation, mondialisation riment naturellement
avec
commercialisation. A cet égard, les évolutions en cours semblent
largement irréversibles.
Toutefois, ce n'est pas parce que la tentation sera forte de faire au sein des
programmes une place croissante aux moyens commerciaux qu'il faut, même
dans un paysage audiovisuel complètement mondialisé, renoncer
à encadrer des pratiques d'autant plus dangereuses pour le pluralisme et
les libertés individuelles qu'elles sont le plus souvent occultes.
Il incombe, par conséquent, aux autorités de régulation de
définir des règles. Deux principes doivent être
retenus : transparence des liens entre le monde de l'entreprise et celui
des médias ; liberté de choix du consommateur, qui doit
être informé et protégé d'incursions
indiscrètes. Un écran est une lucarne sur le monde non un
mouchard par lequel on ne sait trop quel Big Brother serait en train de vous
observer...
III. L'OUVERTURE SUR L'EXTÉRIEUR
Par la puissance de leurs entreprises et l'omniprésence de leurs produits " made in Hollywood ", les États-Unis dominent le marché mondial de la communication et de l'imaginaire. Mais la France a pris la tête d'une croisade culturelle au nom de la diversité des langues et des civilisations, sans vraiment mesurer le poids des facteurs économiques et l'inégalité du rapport des forces. Heureusement, peu à peu, les mentalités évoluent et l'on voit apparaître des entreprises françaises qui fondent leur développement sur leurs participations au marché international et non uniquement sur l'espoir vain d'une transformation du marché européen en bunker.
A. LE CONTEXTE INTERNATIONAL
Avec l'internationalisation du processus de diffusion tant pour la télévision que pour le cinéma, la position dominante des États-Unis se renforce : ce qui n'était qu'une suprématie s'est aujourd'hui transformée en une véritable hégémonie, même et surtout sur le vieux continent où les Américains sont les seuls à tirer parti de l'importance du marché européen. Tel est l'enseignement principal du dossier préparé par le service des études du Conseil supérieur de l'audiovisuel, dont sont tirées, pour l'essentiel, les analyses présentées dans ce rapport.
1. L'hégémonie américaine
Un
chiffre explique tout : le déficit de la balance commerciale pour
les programmes audiovisuels entre l'Europe et les États-Unis
était de 6,3 milliards de dollars en 1995, en progression de
14,5 % par rapport à 1994.
Ce déséquilibre - qui a doublé depuis 1990 -
n'est pas nouveau, mais il se situe dans un contexte qui en amplifie les enjeux.
L'audiovisuel représente désormais pour les États-Unis le
plus gros poste à l'exportation, avant l'aéronautique ou la
chimie.
Le marché européen est devenu le principal moteur de
développement de l'industrie américaine de programmes :
tandis que le marché audiovisuel américain n'a progressé
que de 4,8 % en 1995, les exportations de programmes américains en
Europe ont augmenté de 13,2 %.
Le centre de gravité du marché de l'industrie américaine
de programmes s'est déplacé : en dix ans, cette industrie
est passée d'une situation où sa production pouvait s'amortir
intégralement sur son marché national à une situation
où, dans un contexte de coûts croissants, le marché
international est devenu indispensable à sa rentabilité :
46 % des recettes des majors provenaient de l'international en 1995,
contre 35 % en 1986.
La Communauté européenne représentait, en 1995,
déjà plus de la moitié des ventes de programmes
américains à l'étranger. Développer la part de
marché dans une zone, dont la demande est en forte croissance, est donc
vital pour les entreprises américaines.
La taille du marché américain, une réglementation qui a
longtemps imposé une stricte séparation producteurs/diffuseurs,
l'existence d'un second marché national dynamique, avaient
- jusqu'aux toutes dernières années - permis le
développement d'un secteur de producteurs indépendants forts.
Leur puissance financière jointe au prestige d'Hollywood leur permettent
de profiter pleinement de la demande européenne. L'espace audiovisuel
européen ne serait-il une réalité que pour les industries
américaines de programmes ?
2. Un marché européen qui n'existe que pour les Américains
Certes,
la production européenne garde, dans la plupart des pays, une position
forte sur son propre marché national. Mais, lorsque l'on examine
l'origine des programmes diffusés on constate que seules les entreprises
américaines profitent véritablement du marché
européen : selon les derniers travaux de l'Observatoire
européen de l'audiovisuel, en 1995, 70 % des fictions
importées par 92 chaînes européennes étaient
américaines, contre 5,8 % d'origine britannique et 2,7 % pour
les programmes français, - la part des coproductions européennes
s'élevant à 2,9 %, et celle des coproductions Europe/reste
du monde à 2,7 %. La circulation des oeuvres européennes
reste donc, en tout état de cause, très faible.
La politique mise en place au niveau européen, tant avec la directive
Télévision Sans Frontières
et les quotas qu'avec le
plan média, a heureusement permis de protéger les positions
acquises par les producteurs nationaux sur leur propre marché. Mais on
ne peut pas dire qu'elle soit parvenue à renforcer l'industrie
européenne de programmes.
En effet, comme le montrent les bilans établis par l'Idate et
l'Observatoire européen de l'audiovisuel, cette politique a abouti
paradoxalement à renforcer le poids des entreprises américaines,
faute de groupes européens suffisamment puissants, organisés au
niveau européen.
Longtemps, la production européenne a été
protégée par la forte intégration verticale du secteur de
la télévision. Celle-ci s'est progressivement réduite,
mais sans que les producteurs réussissent à trouver - et
à prouver - leur indépendance économique,
c'est-à-dire sans que le désengagement financier des diffuseurs
soit compensé par le développement d'un second marché, ou
l'augmentation des ventes à l'étranger.
De ce point de vue, les initiatives françaises qui pourraient être
prises pour limiter les positions dominantes arrivent à contre-courant.
Dans un marché européen fragmenté par la diversité
des cultures et des langues, l'absence de réglementation sur les
positions dominantes a permis, de surcroît, aux entreprises
nord-américaines d'accompagner la commercialisation de leurs programmes
par la mise en place de structures de distribution pan-européennes, et
le contrôle de réseaux de diffusion.
Le cinéma constitue le parfait exemple de cette stratégie. Les
films produits par les majors américaines ne sont que très
rarement vendus à des distributeurs nationaux. Ils sont
distribués par des filiales qui peuvent prendre plusieurs formes, soit
elles appartiennent à 100 % aux majors, soit elles résultent
du rapprochement de plusieurs majors entre elles (exemple UIP, qui regroupe les
films de MGM, Universel et Paramount), soit elles ont été
constituées conjointement avec de gros distributeurs nationaux, afin de
pouvoir bénéficier de leur savoir-faire et de leurs
réseaux de salles, (exemple Buena Vista, créant une structure
commune avec Gaumont, ou Fox, et se rapprochant d'UGC). Les majors
contrôlent les plans de diffusion et la politique marketing des films,
dont les principaux arbitrages se font à l'échelle
européenne depuis Hollywood.
Les entreprises américaines ont investi massivement dans l'acquisition
de réseaux de salles dans la plupart des pays d'Europe, et plus
récemment, dans la construction de multiplexes assurant de façon
privilégiée la diffusion de leur production. La France reste
encore largement à l'écart de cette évolution.
A l'inverse, la production européenne n'est mise en valeur que de
façon très exceptionnelle. Les majors préfèrent le
plus souvent faire venir à Hollywood les talents européens, ou
acheter les droits des films qui les intéressent.
En matière de télévision également, les
Américains sont maîtres du jeu. D'abord parce qu'ils
détiennent les droits de films de cinéma ou de séries
susceptibles d'attirer le plus large public. Les nouvelles chaînes
thématiques cinéma ont dû en passer par leurs conditions et
se sont même livrées à une concurrence ruineuse. Pour
alimenter ses chaînes cinéma, TPS a signé des contrats avec
Paramount, MGM, Regency, MCA - Universal, Disney et Columbia - Tristar ;
CanalSatellite a conclu des alliances avec Miramax, Warner, Disney, 21th
Century Fox, Columbia et MCA.
Ensuite, parce que les Américains peuvent désormais
accéder directement au marché européen, dans la mesure
où les majors tendent, aujourd'hui, à vendre des bouquets
numériques et plus seulement des programmes et des catalogues de films,
mais des chaînes clé en mains qu'elles continuent à
exploiter. CanalSatellite compte ainsi 7 chaînes à capitaux
américains (CON, Bloomberg, Disney Channel, Cartoon Network, Fox Kids,
MTV, et 13ème rue).
M. Gilles Fontaine, responsable des études à l'ldate,
prévoit que, "
à terme, nous pourrions assister à
une américanisation du tour de table des chaînes
thématiques françaises. Les opérateurs de bouquets
risquent d'être confrontés à de réelles
contradictions. Comment continuer à alimenter leurs chaînes
cinéma, si les studios diffusent déjà leurs propres
chaînes dans leurs bouquets ?
"
Mais, plus fondamentalement, on doit constater que l'explosion du nombre de
chaînes résultant des technologies numériques
débouche sur une course au contenu qui pourrait bien ne pas profiter
à la production européenne.
Ainsi, pour l'Idate, "
ce sont les chaînes
généralistes anciennes qui sont le véritable moteur du
marché de la production audiovisuelle en Europe. Certaines chaînes
thématiques sur le câble ou le satellite, peuvent venir enrichir
un peu le marché, mais, si on considère le budget (infime) que
ces chaînes peuvent réserver au financement d'oeuvres originales,
on se rend compte que l'explosion attendue du secteur aura des effets
très limités sur les investissements dans la
production
".
Non seulement la plupart de ces nouvelles chaînes se développent
aujourd'hui à partir de catalogues, mais les programmes, qu'elles
passent, proviennent en général du groupe qui en est
l'actionnaire, ce qui a pour effet de réduire le bénéfice
que peut en attendre la production indépendante. De ce point de vue, a
pu faire remarquer l'Idate, le respect de l'obligation - faite par les
pouvoirs publics français - des 10 % pour les producteurs
indépendants est peu réaliste, car il va à l'encontre de
la stratégie qui a justifié la création de la
chaîne. Les limites d'une telle obligation sont encore plus
évidentes lorsqu'il s'agit de la reprise pure et simple d'un format
américain.
B. L'ADAPTATION DE LA PRODUCTION FRANÇAISE
On peut faire deux lectures des analyses sur la situation de l'industrie française des programmes. L'une, pessimiste, tend à considérer que l'accroissement considérable des besoins en programmes résultant du développement du câble et du satellite profite plus à la production américaine qu'à la production européenne ; l'autre, plutôt optimiste, souligne le début d'un changement de mentalité dans la façon dont les opérateurs français abordent la concurrence internationale.
1. Réveil des exportateurs
Pour
Olivier-René Veillon, délégué général
de TVFI
25(
*
)
, une mutation profonde, dont on n'a
pas encore pris l'exacte mesure, s'est opérée au début des
années quatre-vingt-dix dans la stratégie des entreprises
audiovisuelles françaises prenant enfin en compte les
possibilités du marché international.
Selon lui, plusieurs phénomènes ont contribué à
cette prise de conscience :
-
• Le financement insuffisant des radiodiffuseurs français dans le
cadre d'une demande en forte croissance en volume pour des programmes
ambitieux, alors que l'on a assisté à un resserrement relatif des
apports des chaînes consacrés à la production audiovisuelle
du fait notamment de l'augmentation des coûts de programmes de flux
(sports, émissions des animateurs vedettes) ;
• Le marché international, peut-être saturé par une offre surabondante en productions américaines, s'est ouvert à de nouveaux acteurs dont la multiplication a suscité une offre alternative que les Américains n'ont pu complètement dominer ;
Les producteurs français se sont donc trouvés contraints de se présenter sur le marché international pour combler le déficit structurel de financement que leur imposaient les chaînes françaises. Ils ont alors découvert que ce marché était beaucoup moins fermé qu'il ne paraissait a priori, pour autant que leurs projets aient une véritable dimension internationale.
L'animation est aujourd'hui le secteur où la réussite des producteurs français est la plus évidente, et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un genre de programmes le plus mal financé par les chaînes françaises car non diffusé en début de soirée. Leur réussite doit être soulignée : 90 % des programmes d'animation produits en France le sont avec un financement international, par le jeu de coproductions ou de ventes. Aujourd'hui, il n'est pas une programmation de dessins animés ou une chaîne spécialisée dans le monde qui ne diffuse des programmes coproduits avec la France.
Cette performance a été acquise grâce, notamment, à une grande stratégie d'alliance avec un pays clé sur le marché international : le Canada.
Votre rapporteur a maintes fois attiré l'attention sur le caractère exemplaire de la politique menée par le Canada. Ce pays, avec Téléfilm Canada et plus spécialement, au Québec, avec la SODEC, apporte un soutien équivalent à celui mis en oeuvre par le Centre National de la Cinématographie en France. Au-delà de la solidarité linguistique avec le Québec, cette identité de stratégie a permis de mettre sur pied un accord de coproduction entre la France et le Canada à l'origine de nombreuses initiatives conjointes.
Des résultats à l'exportation plutôt encourageants
Une étude récente de l'INA, du Centre National de la Cinématographie et de TVFI évalue le montant des ventes à l'étranger d'oeuvres audiovisuelles françaises, en 1996, à 494 millions de francs.
Si l'on ajoute à ce chiffre les préventes et les coproductions avec des partenaires étrangers qui se traduisent systématiquement par des cessions différées de droits exprimées en termes de territoires et ou de supports, ainsi que les ventes en France à des structures de diffusion internationale, telles que TV5 ou CFI, on aboutit à un chiffre d'affaires global de 1,29 milliard.
Ce chiffre ne comprend pas les " autres cessions d'images " (informations, sports, et autres " émissions de flux "). Compte tenu de l'opacité du marché, on ne dispose sur les produits correspondant que d'estimations approximatives. Les montants n'en apparaissent pas moins importants : ainsi, les exportations de programmes sportifs dépasseraient la centaine de millions de francs.
Enfin, pour être tout à fait complète, l'évaluation du chiffre d'affaires à l'exportation devrait, comme cela est le cas dans d'autres pays comme la Grande-Bretagne, prendre en compte la réexportation de programmes étrangers réalisés par des sociétés de distribution nationales, estimée pour la France, en 1996, à 228 millions de francs.
En définitive, le chiffre d'affaires à l'international des systèmes de production/distribution français aurait pu représenter, en 1996, plus de 1,6 milliard de francs.
On note que le chiffre de 1,29 milliard de francs, évoqué pour 1996, est à rapprocher de ceux de 1995 et de 1994, de l'ordre de 1 milliard de francs. La performance en terme de croissance, est à la fois beaucoup et peu : beaucoup, si l'on se réfère à l'accroissement relatif, 30 % en un an ; peu, si l'on tient compte de l'accroissement, plus important encore, des déficits français et européen vis-à-vis de la production américaine dans ces domaines.
Il est donc nécessaire de lever le masque des performances inégales selon les secteurs et selon les pays.
L'essentiel des ventes à l'étranger des programmes français concerne trois genres : la fiction (35 %), 1'animation (35 %), et le documentaire (19 %).
La répartition géographique confirme la prédominance de l'Europe occidentale qui concentre environ 70 % de la valeur globale des exportations. Si l'on ajoute la part des pays de l'Est, la part européenne s'élève à 76 % .
Sur ce marché européen, l'Allemagne s'impose comme le client privilégié avec 27 % des exportations. Les trois autres grands pays : la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne représentent respectivement 6 %, 19 % et 11 % des exportations françaises, alors que les deux principaux marchés francophones européens représentent 18 % : la Belgique (13 %) et la Suisse (5 %).
L'Amérique du Nord - le plus important marché mondial - fournit seulement 7 % des débouchés à la France, légèrement moins que l'Asie-Océanie, une zone géographique à forte perspective de croissance. L'Amérique latine ne représente que 5 % des exportations françaises, pour un continent de près de 500 millions d'habitants.
On peut souligner également la disparité des ventes de programmes français de télévision par genre et par zone. La fiction, en régression (40 à 35 %), trouve plus facilement ses acheteurs en Europe ; ce genre s'exporte plus difficilement dans les autres zones géographiques. L'animation, qui progresse de 11 à 35 %, trouve ses clients en Europe, mais apparaît aussi appréciée en Asie-Océanie, et au Canada. Le documentaire est le genre qui s'exporte " le plus équitablement " entre les grands marchés audiovisuels : l'Europe occidentale ne représente que 55 % des débouchés étrangers, contre 70 % en moyenne pour l'ensemble des programmes de télévision.
Les tendances observées indiquent que la production française s'exporte d'autant mieux qu'elle s'est alignée sur les standards internationaux : contenus universels et durée standard. La mise en chantier depuis 1996 par les diffuseurs français de séries de fiction au format 52 minutes (notamment dans le genre policier) devrait encore renforcer le développement futur des ventes internationales de programmes français de fiction, puisque ce format représente la plus forte demande internationale.
Le documentaire français paraît aujourd'hui suivre la même évolution, avec une forte croissance de ses ventes sur le marché mondial et l'émergence de coproductions internationales ambitieuses, qui associent à des projets originaux les principales chaînes européennes et américaines. Comme pour l'animation, les producteurs documentaires ne trouvent pas, en France, les moyens de leur ambition, mais ils disposent de la part des chaînes d'un contexte éditorial favorable. En effet, de nombreuses cases documentaires se sont imposées dans les grilles depuis dix ans, de Thalassa sur France 3, à la place donnée à ce genre dans les programmations de La Cinquième et d'ARTE.
Contrairement aux programmes d'animation et de documentaire qui sont, par nature, internationaux, la fiction est essentiellement nationale puisqu'elle s'alimente des représentations et des valeurs d'une collectivité.
M. Olivier-René Veillon souligne à cet égard le paradoxe du succès actuel des fictions télévisées : " plus se renforce et s'affirme la qualité de ses productions de fiction, sanctionnée par des succès d'audience croissants, au détriment du cinéma notamment, et par un renforcement de sa place dans les grilles, plus les thèmes traités, la nature des personnages et les contextes, dans lesquels ils évoluent, apparaissent franco-français. Le mouvement a eu pour conséquence de rendre quelque peu obsolète un modèle de coproduction, développé dans les années soixante-dix - quatre-vingt, entre les grandes chaînes européennes, principalement de service public, qui visait à susciter des références communes en partageant situations, acteurs et lieux de tournage ". Le délégué de TVFI ne regrette guère " la disparition de ces grandes machines où plus qu'un véritable projet de coproduction fondé sur la qualité intrinsèque d'un projet régnait le souci d'une répartition des coûts au détriment de la cohérence du résultat... car, si, dans les chiffres, la tendance à la disparition de ce type de projet marque le recul des coproductions dans le domaine de la fiction en 1996, ce mouvement s'accompagne d'un succès croissant de la fiction française sur le marché international, lisible dans l'évolution de ses ventes qui viennent compenser le recul des coproductions). "
Cette orientation de la production vers les standards internationaux suppose une adaptation des formats à deux niveaux :
• Le premier est bien connu, il s'agit du format, le 90 minutes qui n'est produit et diffusé qu'en France, seul pays où la durée télévisuelle en matière de fiction est alignée sur la durée des films de cinéma ;
• Le second, également lié à la référence au modèle cinématographique, a trait à la préférence pour les films unitaires, au détriment des collections : les succès inattendus dans leur ampleur de " Derrick " sur France 3, d'" Urgences ", sur France 2 et de " X Files " sur M6 ont contribué à accélérer la prise de conscience des responsables des chaînes françaises.
La
France consacre dans le cadre du Compte de soutien aux industries de programmes
près de 1 milliard de francs en 1997. Le reflux, que l'on a pu
constater récemment, apparaît sans conséquences graves,
mais on peut douter de la pérennité du système mis en
place en 1992.
Recul de la production audiovisuelle en 1997
Après publication par le Centre National de la Cinématographie
d'un premier bilan de la production audiovisuelle pour 1997, la presse s'est
peut-être un peu rapidement fait l'écho d'un chiffre
brut marquant une baisse de la production de 19 %.
Cette affirmation masque une réalité qui doit être
expliquée avec rigueur.
Tout d'abord, on constate qu'après la réforme du Compte de
soutien de 1995, le volume de la production audiovisuelle aidée par le
Centre National de la Cinématographie a augmenté de
manière importante. Si ce volume apparaît en baisse en 1997, il
reste cependant à un niveau supérieur à ce qu'il
était au début des années 1990 :
2 144 heures aidées en 1997, contre 1 411 heures en
1993, 1 270 heures en 1994, mais 2 153 heures en 1995,
année de la réforme du Cosip.
De plus, les apports financiers des diffuseurs sont restés quasi
équivalents en 1996 et 1997, à plus de 2,6 milliards de
francs.
Or, l'année 1997 a été manifestement une année de
transition dans la production d'émissions de fiction. Ce sont
essentiellement les commandes de sitcoms et de fictions légères
de fin d'après-midi qui ont été fortement réduites,
notamment sur TF1, diffuseur traditionnellement le plus engagé en faveur
de ce format.
En réalité, les chaînes commandent toujours autant de
fictions lourdes pour le " prime time ", le total de leurs
investissements est équivalent à celui des autres années,
voire supérieur pour certaines d'entre elles. En 1997, 44,5 % des
oeuvres de fiction commandées par TF1 avaient un coût horaire
moyen supérieur à 4,5 millions de francs/heure contre
18 % en 1996. La proportion correspondante est pour France 2 et
France 3 de 86 % (73 % en 1996), et pour Canal + de
80 % (55 % en 1996). Au total, 264 téléfilms de
90 minutes ont été tournés en 1997, contre 226 en
1996.
Parallèlement, on voit se manifester les premiers signes de l'adaptation
de l'appareil de production français au marché
international : les chaînes de télévision
réorganisent leurs grilles de programmes pour 1998, et de grosses
commandes de fiction sont en cours pour France 2, TF1 et Canal +,
après appels d'offres. Ces commandes sont destinées à
mettre à l'antenne des séries aux formats internationaux de 52 et
26 minutes pour le prime time.
En 1998, le volume des fictions commandées par les chaînes devrait
donc fortement augmenter, en raison de cette nouvelle orientation et retrouver,
sinon dépasser, le niveau de 1996 en volume.
On a pu remarquer également que, bien qu'encore insuffisants, les
investissements étrangers sont cependant en hausse par rapport à
1996 : 169 heures ont été coproduites
internationalement, et les apports correspondant s'élèvent
à 311 millions de francs, soit 8 % de plus qu'en 1996 et
concernent les séries aux formats internationaux de 52 minutes pour
"Highlander", ou 26 minutes pour "Robin des Bois", par exemple, produites
par Gaumont et Dune.
Toutefois, les volumes de production de fiction des chaînes
françaises restent inférieurs à ceux de leurs homologues
anglaises, et surtout allemandes, qui, depuis de nombreuses années, ont
adopté sur les standards internationaux les formats des séries en
soirée.
Une adaptation souhaitable
Le système français de soutien à la production
audiovisuelle va devoir s'adapter à un environnement, à la fois
plus libéral et sans doute moins favorable sur le plan financier. Telle
est la conviction de votre rapporteur au regard des évolutions
technologiques et commerciales en cours :
-
1?
Un virage libéral
va devoir être
" négocié ", qui devra faire une place accrue aux
mécanismes classiques de financement au détriment des
méthodes administratives : sans doute devra-t-on s'orienter vers
une autre définition des critères de répartition du compte
automatique pour favoriser les entreprises qui visent d'emblée le
marché international et mettre en place une " ingénierie
financière " appropriée, comportant tout un ensemble de
procédures faisant intervenir des prêts bonifiés, des
mécanismes de garantie et surtout de capital risque.
2? Les ressources pourraient évoluer moins favorablement, pour toute une série de raisons :
• D'abord, on ne peut exclure une certaine régression de la part de marché des producteurs sur leur marché domestique . Si cette faiblesse est encore masquée en France par l'application d'une réglementation plus contraignante que la directive Télévision Sans Frontières , l'abandon récent, par anticipation sur l'évolution législative, du conventionnement des chaînes pour la diffusion par câble et satellite, montre la fragilité technique et politique des protections réglementaires ;
• Ensuite, les flux, sur lesquels sont assises les ressources du Cosip et, en particulier, les dépenses publicitaires, pourraient évoluer moins favorablement soit du fait de la montée de dépenses comme celles de parrainage actuellement non soumises à la taxe, soit en raison de l'émiettement de la manne publicitaire entre des supports multiples comme Internet, sortant du champ d'application du système d'aide.
-
• Enfin, on ne peut exclure, à long terme, qu'en dépit de
l'ajournement de la négociation sur l'A.M.I., l'exception culturelle et
la préférence communautaire, qu'elle justifie, ne soient battues
en brèche et que cela n'augmente le nombre d'ayants droit au
mécanisme de soutien.
Le plan de soutien à la production audiovisuelle
Le système français de soutien à la production audiovisuelle présente trois avantages :
• Il est déclenché par les investissements des diffuseurs, ce qui évite le financement de programmes sans débouchés ;
• Les divers paramètres retenus pour le calcul des aides prennent prioritairement en compte les dépenses effectivement réalisées en France, qu'elles soient techniques (personnel, prestataires) ou artistiques (auteurs, comédiens).
• Sa distribution est essentiellement automatique (plus de 80 %), mettant ainsi les entreprises de production à même de prévoir leurs financements, de négocier avec leurs clients et leurs partenaires coproducteurs sur des bases claires.
D'autre part, par le jeu des coefficients pondérateurs dans le calcul du financement, il a été possible d'encourager particulièrement le secteur de l'animation, devenu premier en Europe avec 40 % de la production, et celui du documentaire. Le bilan est donc largement positif.
Les faiblesses du système d'aide français concernent les points suivants :
-
• L'automaticité du soutien ne permet pas toujours de l'adapter
aux situations particulières, notamment pour tenir compte des
différences entre diffuseurs. C'est pourquoi une réforme est
à l'étude. Elle permettra aux producteurs travaillant pour les
chaînes thématiques d'accéder à un soutien
majoré dès lors que les capacités d'investissement de
celles-ci sont moindres.
Les genres d'oeuvres éligibles, fiction, animation, documentaire sont parfois trop limités au regard de l'évolution des nombreuses chaînes thématiques, dont l'essentiel de la programmation est orienté vers les magazines ou le spectacle vivant. Des aménagements du soutien sélectif devraient pouvoir répondre à ce problème. Un plan de soutien à la production audiovisuelle avait, du reste, été annoncé par Madame la Ministre à la fin du mois de septembre 1997 à Cannes.
Ainsi, plusieurs mesures avaient été annoncées en faveur des entreprises ; leur mise en oeuvre est aujourd'hui réalisée ou sur le point de l'être :
• Les comptes automatiques traditionnellement mis à disposition des producteurs en mai ont été notifiés fin février, améliorant ainsi de plusieurs mois la trésorerie des sociétés, la valeur du point servant de base aux prévisions financières ayant, quant à elle, été annoncée aux professionnels mi-janvier ;
• Les mesures d'encouragement à la production pour les chaînes du câble et du satellite, dont le régime de taxation a été normalisé pour le 1er janvier 1998, ont fait l'objet d'un décret modifiant le compte de soutien et permettront aux producteurs de bénéficier à la fois d'aides plus importantes et d'y accéder avec des contraintes de financement par les diffuseurs moins lourdes. En outre, les subventions aux programmes audiovisuels consacrés au spectacle vivant seront encouragées.
On note cependant que l'aide mise en place en 1995, par le Centre National de la Cinématographie, aidant les producteurs et les distributeurs à commercialiser leurs programmes à l'étranger ne connaît encore qu'un développement bien modeste.
Cette aide est destinée à financer en partie le doublage, le sous-titrage et éventuellement le reformatage des oeuvres ainsi que la fabrication d'instruments de promotion (plaquettes, bandes de démonstration...).
En 1995 et 1996, 50 % des aides ont été attribuées à des oeuvres de fiction et 45 % aux documentaires. Le doublage représentait 39 % des aides et les documents promotionnels, 20 %. En 1997, 2 millions de francs ont été attribués pour 80 programmes.
La faible utilisation de ce mécanisme a conduit le Centre National de la Cinématographie à réagir ; à l'aide d'une campagne d'information importante à la fin de l'année 1997, et d'un aménagement des modalités d'attribution de ce soutien, 140 dossiers ont été déposés dès la première commission de 1998, et 1 million de francs a ainsi pu déjà être attribué, sur un budget global de 6 millions de francs. Le Centre National de la Cinématographie travaille à la définition de critères permettant d'améliorer ce système, notamment au titre des aides au reformatage des fictions et des documentaires, pour mieux répondre aux besoins du marché international.
Ces adaptations viennent en complément des actions présentées dans le cadre d'un plan ambitieux de réforme de l'action audiovisuelle extérieure, qui se propose notamment de renforcer les moyens de TFI dans le cadre d'une redéfinition des rôles des différents acteurs de la présence extérieure de la France.
C. LA RÉFORME DE L'ACTION AUDIOVISUELLE EXTÉRIEURE
Le
ministère des Affaires étrangères a présenté
à la fin d'avril 1998, en liaison avec le ministère de la Culture
et de la Communication, une réforme de l'action audiovisuelle
extérieure, clôturant, au moins en principe, un processus de
réflexion commencé en février 1996 avec le rapport
Balle, et qui a donné lieu à la publication de quatre autres
rapports en deux ans
26(
*
)
s'ajoutant aux
analyses régulièrement présentées par la commission
des finances du Sénat.
La nouvelle politique s'articule, essentiellement autour de trois axes :
-
- aide financière accrue aux exportateurs de programmes,
- encouragement à la présence française sur les bouquets satellites internationaux,
- clarification des missions des opérateurs publics.
Il a
été décidé d'augmenter la contribution à
TVFI, dès 1998, et de poursuivre cet effort, en 1999, dès lors
que les entreprises exportatrices membres de TVFI accepteraient
d'accroître leurs propres investissements.
Une réflexion a été engagée entre la profession et
les pouvoirs publics sur un certain nombre de points :
-
• Les modifications et améliorations qu'il convient d'apporter aux
aides à l'exportation et notamment à celles émanant de la
COFACE, pour les rendre plus efficaces et mieux adaptées à la
nature des contrats audiovisuels ;
• La mise sur pied d'éventuels mécanismes innovants de soutien à l'exportation ;
• L'adaptation de notre fiscalité (par exemple la TVA, sur les abonnements vendus à l'étranger) rendue nécessaire par l'internationalisation des opérateurs français ;
• Ainsi que le renforcement des dispositifs d'aide au sous-titrage et au doublage.
2. Encouragement à la présence française sur les bouquets satellites internationaux
Actuellement, le développement des chaînes
nationales
dans le cadre des bouquets numériques français ne s'est pas
traduit sur le plan international. Les conséquences favorables de
l'introduction du numérique, à savoir la baisse des coûts
de transport et la détermination exacte du nombre de foyers
touchés (ce qui facilite les négociations avec les ayants droit),
ne sont pas encore sensibles.
Le ministère part du constat suivant : la diffusion internationale
d'une chaîne française constitue un investissement risqué,
tout particulièrement si la langue utilisée est exclusivement ou
majoritairement le français. Les entreprises de communication nationales
hésitent à se lancer dans de tels projets.
Dès lors, les pouvoirs publics estiment justifié d'inciter les
opérateurs, tant privés que publics, à être
davantage présents sur les principaux marchés étrangers au
moyen, notamment, de la diffusion satellitaire.
L'État pourrait ainsi prendre à sa charge, plus largement que par
le passé, une partie des frais de diffusion de certaines chaînes
françaises désireuses de conquérir une audience
internationale, à charge pour les entreprises intéressées
d'acquérir les droits de diffusion. Cette aide pourrait, dans les cas
où le transport satellitaire est d'ores et déjà
assuré, prendre la forme d'une contribution au paiement des droits.
L'aide serait naturellement dégressive.
Les modalités de constitution des bouquets doivent faire l'objet d'une
appréciation pragmatique.
Dans certains cas, les bouquets français
1(
*
)
ont, par nature, une diffusion internationale du fait
des zones couvertes par les satellites utilisés. Il serait naturellement
souhaitable que tout ou partie de ces bouquets soient commercialisés en
dehors du territoire national, soit en Europe, soit au Maghreb.
A défaut, des bouquets spécifiques peuvent être mis sur
pied. C'est le cas du premier bouquet francophone sur l'Afrique, lancé
en avril 1997. Des expériences identiques pourraient être
tentées sur le Maghreb dans un premier temps, au Moyen-Orient et en
Amérique latine dans un second.
3. Renforcement de TV5 et clarification des missions des opérateurs publics
L'articulation de CFI et de TV5 a fait l'objet de nombreux travaux depuis le dernier Conseil de l'Action Extérieure de la France (CAEF) du 23 novembre 1995. Leurs conclusions sont largement convergentes :
- 1? Le Conseil audiovisuel extérieur de la France du 23 novembre 1995
- 2? Le rapport Balle remis au Ministre des Affaires étrangères en février 1996
- 3? Le rapport d'audit de TV5 et CFI, rédigé par l'Inspection Générale des Finances (M. Bloch-Laîné) en mai 1997
- 4? Le rapport de M. Jean-Paul Cluzel : pour l'Action télévisuelle extérieure de la France (mars 1997)
- 5? Le rapport Imhaus sur le renforcement de la présence audiovisuelle de la France (octobre 1997)
- 6? Le rapport d'audit de la Direction générale des Relations culturelles, scientifiques et techniques du Ministère des Affaires Étrangères, par l'Inspection des Finances et l'Inspection du Ministère des Affaires étrangères (I5 janvier I998 ).
TV5 serait la chaîne généraliste francophone, alors que CFI se recentrerait sur sa fonction banque, tout en restant un outil de coopération. La diffusion directe pourrait subsister en Afrique. Par ailleurs, le rôle de conseil et d'expertise de CFI devrait se développer. La communication du Conseil des Ministres du 30 avril tire les conclusions logiques de ces travaux en distinguant très clairement les missions de TV5, chaîne généraliste de diffusion directe, et CFI, banque de programmes et outil de coopération, ayant en parallèle des activités de conseil et d'ingénierie.
Sur le plan institutionnel, après que l'hypothèse de coiffer les deux sociétés par une holding ait été longuement étudiée, le Gouvernement a jugé préférable de prévoir que les présidences des deux sociétés soient confiées à une même personne, qui assurera ainsi en permanence la cohérence des actions menées et l'optimisation des moyens employés. Une telle solution a l'avantage de la simplicité et permet d'éviter la mise en place d'une structure, qui pourrait provoquer un alourdissement des processus de décision et une augmentation des dépenses de fonctionnement.
En définitive, il est important de souligner le changement de mentalité résultant de ce plan, qui affirme explicitement : " La réception effective de programmes français par le public sur les chaînes, qu'il regarde le plus souvent, dans sa langue, doit donc être considérée désormais comme un objectif culturel et économique majeur ". Il était temps que l'on prenne conscience de ce que ce sont les chaînes nationales et locales qui offrent aux programmes français la plus large audience potentielle et que c'est à ce niveau et grâce à elles qu'il faut assurer le rayonnement culturel de la France.
TROISIÈME PARTIE : LE SECTEUR PUBLIC ET LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
La
télévision est à l'image de la société. Elle
est cette " lucarne ", " étrange " a-t-on pu dire,
par laquelle nous percevons, au-delà de notre expérience directe,
la réalité du monde. La télévision est à la
fois un miroir et un filtre, car le reflet qu'elle nous renvoie est à
l'évidence déformé et en tout cas sélectif, du fait
de la logique propre au fonctionnement de ce média.
Plus encore, comme le montre le cas de la violence, il existe une interaction
entre médias et réalité, qui peut faire douter de la
neutralité de la vision du monde que propose la télévision.
Le secteur public a un rôle à jouer pour permettre de
maîtriser ces évolutions. Il constitue par sa vitalité
l'une des conditions essentielles pour que la télévision continue
à être un facteur de notre identité
nationale.
I. VIOLENCE : LA DIALECTIQUE DU RÉEL ET DU VIRTUEL
L'actualité, les faits divers, qu'ils soient bruts ou
élevés au statut de " faits de société ",
posent toujours avec acuité le problème de la violence dans une
société hypermédiatisée.
Le meurtre, au printemps 1998, dans la banlieue de Rouen, d'une
épicière par deux adolescents a donné l'occasion au
ministre de l'Intérieur de mettre en cause la télévision,
pour dénoncer au-delà de la crise de l'éducation et de la
famille ces petits "
sauvageons qui vivent entre le réel et le
virtuel
".
La formule, largement reprise par la presse, a fait mouche. Selon le ministre,
beaucoup de jeunes
" passent plus de temps à regarder la
télévision que devant leur maître d'école
"
et vivent pour ainsi dire
" dans un sentiment de
virtualité
: ils ne savent pas que, quand on tire avec
un pistolet, à la télévision, cela ne fait pas mal. Dans
la réalité, vous pouvez tuer "
. D'où la tendance
du ministre à mettre en cause la responsabilité
" des médias de masse
" et en particulier de la
télévision qui programme des films "
d'une violence
extrême ".
La responsabilité des médias est, au-delà de telle ou
telle affaire, à l'évidence engagée, même si celle
de la société, qu'on disait autrefois de consommation avec son
cortège d'abondance exhibée et donc de frustrations pour ceux que
l'on nomme aujourd'hui les exclus, est difficilement contestable, dès
lors que l'on examine, sur le terrain, la façon dont la
réalité rejoint la fiction.
Le débat reste, certes, ouvert entre les tenants d'une violence des
images qui défoule, et ceux qui pensent, au contraire, qu'elle tend
à répandre un mode de comportement de plus en plus dangereux pour
la société.
Aujourd'hui, il est clair que la violence réelle, que ce soit celle des
pays lointains en guerre ou celle plus proche, omniprésente de la rue, a
tendance à devenir virtuelle et que la violence virtuelle qui envahit
nos écrans, paraît de plus en plus à l'origine d'actes de
violence.
A. LA VIOLENCE IRRÉELLE
L'époque actuelle n'a pas le monopole de la violence. Il
suffit d'ouvrir les livres d'histoire ou, simplement, de consulter les
écrits de bons chroniqueurs pour s'apercevoir que la barbarie n'est pas
propre au vingtième siècle.
Quant à cette montée devenue angoissante de la violence dans la
France d'aujourd'hui, force est de constater que l'on s'en émeut depuis
de nombreuses années. En témoignent les travaux toujours
d'actualité du
Comité d'études sur la violence
présidé par M. Alain Peyrefitte, publiés en 1977 sous
le titre "
Réponses à la violence
".
Parce qu'elle doit informer, elle donne chaque jour le spectacle des drames
et des cruautés qui se déchaînent à travers le
monde, et l'on ne peut pas dire qu'elle le fasse toujours avec
sobriété. Mais, parce qu'elle doit distraire, elle y ajoute, avec
plus d'abondance encore, les spectacles de la violence imaginaire, qui est le
sujet favori des films et des oeuvres de fiction. Or, elle touche tous les
publics : enfants, adolescents, adultes et les fascine tous. C'est surtout
par elle que nous avons l'impression de vivre dans un climat changé et
d'assister à une dégradation irrésistible de la
civilisation. Une telle vision du monde peut-elle, à la longue, rester
sans effet ?
Si la question a été soulevée plus tôt aux
États-Unis qu'en France, cela peut s'expliquer par les
différences dans les systèmes médiatiques des deux pays.
Aux États-Unis, l'industrie audiovisuelle est ancienne et
puissante ; son statut juridique et commercial lui permet de jouir d'une
grande liberté d'action, mais en même temps elle connaît une
compétition intense. Au contraire, la France n'a compté que trois
chaînes de télévision jusqu'en 1984, qui étaient de
surcroît contrôlées par les pouvoirs publics.
On peut
avancer que c'est la libéralisation des ondes qui, en entraînant
une course à l'audience entre les chaînes, a provoqué une
montée de la violence à la télévision.
En second lieu, le débat américain s'est, depuis l'origine,
nourri des travaux effectués par la recherche en sciences sociales.
Enfin, les États-Unis ont un rapport particulier avec la violence car
elle fait partie des valeurs collectives plus ou moins conscientes sur
lesquelles le pays s'est construit. En effet, les États-Unis sont un
pays jeune, composé d'immigrés, qui ont dû combattre sans
arrêt pendant des siècles avant de devenir la première
puissance mondiale. A l'intérieur même du pays, c'est au prix de
la plus grande violence que s'est faite la conquête de l'Ouest et que
naquit le mythe de la frontière. C'est pourquoi il est permis de penser
que la présentation de la violence au cinéma et à la
télévision remplit une fonction de la société
américaine encore proche de ses origines. Que cette violence primitive,
mais fondatrice et positive, qui accompagne tout début d'organisation
sociale, ait pu se muer, lors des deux dernières décennies, en
une violence gratuite, destructrice et purement jubilatoire semble offrir le
signe d'une société dont les valeurs sont perverties et où
pourrait bien l'emporter l'instinct de mort.
1. Le climat d'insécurité
Ce qui est certain, c'est que le sentiment d'insécurité, de " victimisation " s'accroît ; moins du fait de l'augmentation de cette forme de criminalité que l'on nomme petite délinquance, que de l'écho systématique, que lui donne l'ensemble des médias.
a) Violence et quotidien
Cette
médiatisation de toutes les formes de violence, qu'elles soient
ponctuelles ou massives, dans la nébuleuse des faits divers, est pour
certains sociologues, tels Jean Baudrillard ou Pierre Bourdieu, un aspect
essentiel de nos sociétés d'abondance.
"
Ce qui caractérise la société de consommation,
selon Jean Baudrillard
, c'est l'universalité du fait divers dans
la communication de masse. Toute l'information politique, historique,
culturelle est reçue sous la même forme à la fois anodine
et miraculeuse, du fait divers. Elle est tout entière actualisée,
c'est-à-dire dramatisée sur le mode spectaculaire - et
toute entière inactualisée, c'est-à-dire distancée
par le médium de la communication et réduite à des signes.
Le fait divers n'est donc pas une catégorie parmi d'autres mais la
catégorie cardinale de notre pensée magique, de notre mythologie.
Cette mythologie s'arc-boute sur l'exigence d'autant plus vorace de
réalité, de vérité, d'objectivité. Partout
c'est le cinéma-vérité, le reportage en direct, le flash,
la photo-choc, le témoignage-document, etc. Partout, ce qui est
recherché, c'est " le coeur de l'événement ",
" le coeur de la bagarre ", le in vivo, le " face à
face " - le vertige d'une présence totale à
l'événement, le Grand Frisson du Vécu -
c'est-à-dire encore une fois le MIRACLE, puisque la vérité
de la chose vue, télévisée, magnétisée sur
bande, c'est précisément que je n'y étais pas...
Ce que nous donnent les communications de masse, ce n'est pas la
réalité, c'est le vertige de la réalité... Nous
vivons ainsi à l'abri des signes et dans la dénégation du
réel. Sécurité miraculeuse : quand nous regardons les
images du monde qui distinguera cette brève irruption de la
réalité du plaisir profond de n'y être pas ? L'image,
le signe, le message, tout ceci que nous " consommons ", c'est notre
quiétude scellée par la distance au monde et que berce, plus
qu'elle ne la compromet, l'allusion même violente au
réel ".
27(
*
)
C'est la violence et même le réel tout entier, qui, pour
reprendre une formule de Jean Cazeneuve, devient spectacle.
Dans cette perspective, il existe une certaine complémentarité
entre la violence du monde complaisamment relatée, mais aussi
banalisée par les médias et la vie quotidienne, sans cesse
menacée par la violence urbaine.
Il faut, poursuit Jean Baudrillard, que cette quiétude
"
apparaisse comme valeur arrachée constamment menacée
par un destin de catastrophe. Il faut la violence et l'inhumanité du
monde extérieur pour que non seulement la sécurité
s'éprouve plus profondément comme telle... mais aussi pour
qu'elle se sente à chaque instant justifiée de se choisir comme
telle. Il faut que fleurisse autour de la zone préservée les
signes du destin, de la passion, de la fatalité, pour que cette
quotidienneté récupère la grandeur, le sublime dont elle
est justement le revers. "
28(
*
)
b) Une violence aseptisée et banalisée
C'est
une analyse analogue que développe le sociologue Pierre Bourdieu en
soulignant que la violence réelle, celle relatée par les journaux
télévisés, est lointaine, comme aseptisée et en
tous cas banalisée par la façon dont elle est traitée
à l'écran : "
l'image que donnent du monde les
actualités télévisées, succession d'histoires, en
apparence absurdes, qui finissent toutes par se ressembler,
défilés ininterrompus de peuples misérables, suite
d'événements qui, apparus sans explication, disparaîtront
sans solution, aujourd'hui le Zaïre, hier le Biafra, et demain le Congo,
et qui ainsi dépouillés de toute nécessité
politique, ne peuvent, au mieux, susciter qu'un vague intérêt
humanitaire. Ces tragédies sans lien, qui se succèdent sans mise
en perspective historique, ne se distinguent pas vraiment des catastrophes
naturelles, tornades, incendies de forêt, inondations, qui sont, elles
aussi, très présentes dans " l'actualité " parce
que journalistiquement traditionnelles, pour ne pas dire rituelles, et surtout
spectaculaires et peu coûteuses à couvrir, et dont les victimes ne
sont pas mieux faites pour susciter la solidarité ou la révolte
proprement politiques que les déraillements de trains et autres
accidents.
Ainsi, les contraintes de la concurrence se conjuguent avec les routines
professionnelles pour conduire les télévisions à produire
l'image d'un monde plein de violences et de crimes, de guerres ethniques et de
haines racistes, et à proposer à la contemplation quotidienne un
environnement de menaces, incompréhensible et inquiétant, dont il
faut avant tout se retirer et se protéger, une succession absurde de
désastres auxquels on ne comprend rien et sur lesquels on ne peut rien.
Ainsi s'insinue peu à peu une philosophie pessimiste de l'histoire qui
encourage à la retraite et à la résignation plus
qu'à la révolte et à l'indignation, qui, loin de mobiliser
et de politiser, ne peut que contribuer à élever les craintes
xénophobes, de même que l'illusion que le crime et la violence ne
cessent de croître favorise les anxiétés et les phobies de
la vision sécuritaire. "
29(
*
)
Ces deux textes, écrits à plus de vingt-cinq ans de distance,
montrent toute l'ambiguïté des médias et, en particulier, de
la télévision dans le traitement de la violence.
Incontestablement cette violence ne peut être présentée sur
le même plan que celle qui envahit les émissions de fiction. Dans
les deux cas, il y a banalisation de la violence ; mais, tandis que les
actualités ont tendance à générer une certaine
forme d'insensibilité doublée d'une angoisse sécuritaire
diffuse, les émissions de fiction sont plus pernicieuses dans la mesure
où la violence est associée à des valeurs positives de
normalité, voire d'accomplissement de soi.
2. La violence idéalisée
Dans les émissions de fiction, la violence est de plus en plus idéalisée ; elle n'est pas insérée dans la réalité et participe d'une certaine forme d'imaginaire avec ses héros invincibles sortant victorieux de combats souvent, surtout lorsqu'il s'agit de Kung Fu, mis en scène comme de véritables ballets.
a) Un modèle social et esthétique
On note
qu'avec la surenchère commerciale dont elle fait l'objet - car elle
fait vendre - la violence s'exhibe de plus en plus : dans les
années quarante, en général on mourait d'une seule balle,
la chemise à peine tachée de sang ; dans les années
cinquante et soixante le filet de sang se fait de plus en plus voyant ; il
a fallu attendre les années 70 pour voir arriver ces films presque
hyperréalistes - dont le tout premier,
La horde sauvage
, fait
date dans l'histoire du cinéma - où l'hémoglobine envahit
véritablement l'écran.
Mais, plus grave, la violence est idéalisée car elle est
perçue sinon comme récompensée - heureusement, les
méchants sont généralement punis - du moins comme un mode
normal de règlement des conflits, la véritable loi fondamentale
de nos sociétés modernes.
Comment les enfants noyés dans un bain d'images violentes ne
seraient-ils pas conduits à croire, comme leurs aînés, que
la violence est naturelle et digne d'admiration ? Les séries
américaines mettent en scène un monde où la règle
du jeu est la loi du plus fort. Dans la vie quotidienne, cela n'encourage pas
les enfants à résoudre autrement leurs problèmes. Mais ne
trouve-t-on pas dans cette analyse l'écho d'un propos tenu en mai 1998
par Madame Ségolène Royal, ministre délégué,
chargée de l'enseignement scolaire ?
b) L'enquête de l'UNESCO
Une
enquête menée en 1996 et 1997 sous l'égide de l'Unesco,
portant sur une population de plus 5 000 jeunes âgés de douze
ans issus de 23 pays a démontré la fascination
exercée sur les jeunes garçons par les héros
violents ; on trouvait parmi eux "
le personnage de Terminator
joué par l'acteur Arnold Schwartzenegger ; il est devenu une
véritable icône mondiale ; 88 % des enfants du monde le
connaissent ; 51 % des enfants des environnements de forte agression
(où la criminalité est importante) voudraient être ce
personnage, contre 37 % dans des environnements de faible agression. Les
enfants ont manifestement besoin des héros des médias et se
servent d'eux comme modèles pour faire face à des situations
difficiles.
"
Les productions hollywoodiennes à succès accumulent les
cadavres : 106 dans
Rambo III
, 264 dans
Die Hard
, films qui
tôt ou tard passent sur le petit écran.
En définitive, comment s'étonner que les enfants ne fassent plus
la distinction entre le monde réel et celui que montre la
télévision.
Notre société qui virtualise nos vies, s'efforce
d'évacuer mort, vieillesse ou souffrance ; finit par affaiblir la
frontière entre réalité et fiction : même les
documentaires et l'actualité sont ravalés au rang de films de
fiction ou de jeux vidéo...
*
* *
B. LA RÉALITÉ REJOINT LA FICTION
La corrélation entre violence télévisuelle et violence sociale est-elle suffisamment établie alors que d'autres facteurs entrent en jeu : l'urbanisation, le chômage et la drogue, ainsi que la destruction de la cellule familiale ?
- • Toujours plus
La question essentielle, celle du sens, est purement et simplement évacuée dans une approche quantitative : le film tend-il à légitimer, à banaliser la violence, à la condamner ou à l'exalter, tout cela n'est pas pris en compte par les indicateurs quantitatifs. On mélange allègrement la violence comique, voire burlesque, comme celle de Monty Pyton ou des Visiteurs avec celle des films d'action. Au nom de l'objectivité, on se livre à une comptabilité inutile de cadavres et de coups de feu dont l'utilité est douteuse et la signification incertaine.
1. Le risque de passage à l'acte
L'interprétation la plus optimiste élaborée dans les
années 70, issue d'ailleurs d'Aristote, est celle de la
libération émotionnelle. Or, la
catharsis
permise par le
spectacle de la violence à la télévision n'a pas
été confirmée dans les faits.
Au contraire, une série d'études incrimine directement la
télévision dans le développement de certaines attitudes
que ce soit celle de " victimisation " évoquée plus
haut ou de " mimétisme ", car les images créent un bain
culturel auquel il est difficile de résister.
D'autres études démontrent que la violence des images peut
accompagner et accentuer des pathologies collectives et individuelles surtout
dans les milieux où, l'exclusion aidant, la télévision est
surconsommée et constitue une référence quasi unique.
Mais, pour les tenants de la liberté d'expression et de création,
la violence à la télévision ne ferait que refléter
celle de la réalité. La limiter ou même l'interdire serait
liberticide.
Le risque, c'est d'encourager des comportements irresponsables où un
certain nombre de personnalités fragiles se verront encouragées
par des flots d'images et de comportements violents montrés en
exemple.
a) La violence dans la cité
Pour
André Itéanu, directeur de recherche au CNRS, il faut distinguer
deux types de violence physique.
L'une est " territoriale " : les jeunes défendent leur
groupe, leur cité, c'est un phénomène de bandes dont la
brutalité et la vengeance sont les principaux moteurs. Rien à
voir avec la télévision ou avec le cinéma.
En revanche, la question mérite d'être posée pour le
second type de violence que ce sociologue qualifie de " locale ",
celle où des jeunes adoptent un comportement violent avec des individus
de la même cité, voire de la même bande. Quand on leur
demande pourquoi ils ont agressé un camarade, ils se contentent souvent
de répondre "
on l'a fait pour s'amuser
". Pour ces
jeunes, ce type de violence n'a ni cause, ni conséquence. Ils ne se
soucient ni de la souffrance de la victime, ni des risques de sanction.
" Cela fonctionne comme une séquence de film,
explique
André Itéanu
. Ils n'ont pas l'air concerné, même
s'ils ont fait cinq ans de prison pour ça. Je ne dis pas que le
cinéma en est la cause. Simplement, il y a une similitude qu'on ne peut
pas ne pas remarquer ".
b) L'acte gratuit
On
retrouve ici une forme de violence très présente à la
télévision et au cinéma : pas de motif à
l'agression, désintérêt total pour la victime, qui sort
d'ailleurs très rapidement du champ de la caméra, pas de douleur,
pas de remords. C'est très exactement le cas mis en scène par un
film récent,
Funny Games
.
Et ce n'est pas l'un des moindres paradoxes que les films qui, sous
prétexte de dénoncer la violence, les sortent du contexte
irréel des productions hollywoodiennes pour les insérer dans
notre réalité, ne sont peut-être pas les moins dangereux.
Le prototype de cette apologie de la violence gratuite, c'est sans doute
Orange Mécanique
. Ce genre de film est d'autant plus dangereux
qu'il peut trouver aisément des justifications sociales dans une forme
de lutte des classes. Que penser du commentaire du film Funny Games que l'on
trouve dans un journal du matin ? : "
les victimes sont
évidemment à plaindre, et puisqu'il y a de surcroît un
enfant innocent et qui y (tré)passe, elles devraient être la
preuve de notre pitié, mais comment regarder avec sympathie ces
archétypes - la femme, l'homme, l'enfant, le chien - droit
échappés d'une publicité pour la normalité la plus
réglo et dont tous les signes sociaux de la maison au voilier en passant
par la Range-Rover, les voisins identiques, les compacts d'Haendel dans la
bonne version, hurlent qu'ils ne feraient jamais de mal à une mouche.
Voire... l'Autriche après tout est bien placée pour savoir de
quelles atrocités est capable cette bourgoisie-là trop
policée et vertueuse. D'un autre côté, les bourreaux,
citation d'Orange Mécanique, le maquillage en moins, apparaissent comme
des personnages totalement abstraits animés d'une haine sans violence,
ni limite... Résultat des courses : comme dans un jeu de ping-pong, le
spectateur est constamment ballotté entre la fascination, le
dégoût, une forme d'excitation et un sursaut moral."
30(
*
)
Ces réflexions démontrent le danger d'une dénonciation qui
bien qu'elle existe dans l'esprit de l'auteur du film ou de la série
télévisée, ne sera peut-être pas perçue comme
telle par certains spectateurs. On veut bien croire que certains
réalisateurs veulent en finir avec la
" déréalisation " de la violence à
l'écran. Sans doute, une partie du public sera-t-il pris au piège
de son voyeurisme et sortira comme supplicié. Mais cette terreur pure ne
risque-t-elle pas de manquer son objectif et de renforcer des pulsions sans
pour autant éliminer cette violence dont la télévision est
devenue le théâtre ?
Toute cette violence à l'écran, omniprésente et
permanente, presque 24 heures sur 24, n'est-ce pas une certaine forme de
martèlement publicitaire au profit de comportements qui non seulement
sont banalisés mais sont perçus comme nécessaires et
même gratifiants, ou en tout cas récompensés dans une
société dont la règle du jeu est la loi du plus fort.
Il existe évidemment un effet de prescription par les images, sinon, la
notion même de publicité n'aurait pas de sens. Certes, par sa
dimension tragique, la violence peut servir à purger les passions.
L'horreur gratuite, les images crues ou troubles, peuvent mettre le spectateur
dans un état analogue au cauchemar et lui permettent à petites
doses d'apprivoiser ou d'exorciser ses démons intérieurs. Mais,
même pour une personne équilibrée, l'important est de
savoir tourner le bouton à temps. Il y a un seuil de saturation
au-delà duquel on peut être durablement traumatisé, voire,
en cas de fragilité psychologique, entrer dans une relation de
dépendance.
Pour qu'un individu mette en pratique et réalise des scènes de
violence vues à la télévision, il faut qu'un certain
nombre de conditions soient réunies : que le ou les
intéressés aient vécu des expériences terribles
(d'autorité, de coercition), qu'ils soient en groupe et que ce groupe se
sente autorisé à franchir la barrière des interdits
sociaux.
Dans le cas du meurtre de l'épicière, il est évident qu'en
s'affublant de cagoule et en prenant un revolver, ces adolescents ont
joué. Mais au prix de la vie d'autrui.
c) L'expérimentation canadienne
Des
observations particulièrement sérieuses ont été
faites par une Commission d'enquête dans l'Ontario (Canada).
C'était en 1975-1976.
Le rapport, exposant le résultat des recherches de cette Commission,
aboutit à une déclaration sans ambages, valable au premier chef
pour la télévision : les médias peuvent collaborer
à la propagation de la violence sociale, et cela, de trois
façons :
-
1? Tout d'abord, ils peuvent contribuer à un climat favorable à
la violence non seulement en créant des frustrations et des besoins,
qu'en particulier les adolescents ne peuvent satisfaire que par la violence,
mais aussi en présentant la violence comme un moyen assez normal en
notre monde et, en tout cas, facile, efficace, payant et
généralement impuni.
2? Ils peuvent, en deuxième lieu, avec une influence causale en enseignant des techniques de crime et de violence ou en déclenchant les mécanismes de l'imitation.
3? Enfin, ils peuvent exagérer ou aggraver les effets de la violence, soit en augmentant la peur et le sentiment d'insécurité, soit en affaiblissant par l'accoutumance, la sensibilité à l'anomalie que la violence constitue.
Dans le cas qui nous occupe, les résultats insuffisants des expérimentations n'entament pas les indications certaines de l'observation. Or, c'est précisément sur des résultats d'observations que les enquêteurs de l'Ontario ont fondé leurs conclusions. Ils ont procédé à des enquêtes concrètes, sur la vie même, au jour le jour. Ils ont recueilli des dizaines de milliers de témoignages, rencontré des milliers de personnes. Ils ont enregistré, à partir de lignes téléphoniques spéciales, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les réactions " à chaud ", quelques instants après l'événement. Non seulement ils ont fait le point de la question, en étudiant plus de deux mille livres, thèses, rapports ou articles, mais ils se sont mis, pendant des mois, à l'écoute de la vie.
Devant de tels constats, ne devrait-on pas réfléchir au cri d'alarme poussé par le professeur Libert de l'Université de New-York : " étant donné que nous exportons largement nos programmes violents dans toute l'Europe, nous sommes en voie de préparer avant vingt ans la planète entière à la barbarie. "
d) L'étude de l'Association nationale des télévisions câblées
Une étude parue en 1998 menée par cette association dans quatre universités américaines montre que le problème de la violence est plus aigu que jamais :
-
1? les scènes de violence sont de plus en plus violentes aux heures de
grande écoute ;
2? les enfants sont particulièrement exposés à une violence souvent " désirable, nécessaire et sans douleur " ;
3? la violence continue d'être valorisée et aseptisée : 40 % des personnages agressifs sont des héros présentés de façon positive ; pire encore, les personnages " méchants " ne sont punis que dans 40 % des cas.
e) Un risque de désensibilisation
L'agressivité est la principale conséquence de
l'exposition répétée à la violence
télévisuelle ; elle est aussi la plus repérable, mais
elle n'est pas la seule. La désensibilisation pour être moins
visible n'en est pas moins grave. On parle de désensibilisation
lorsqu'une exposition prolongée à un stimulus engendre une
réaction émotionnelle réduite à ce stimulus et une
accoutumance. Dans son livre célèbre " Le viol des foules
par la propagande ", Serge Tchakhotine, disciple de Pavlov, l'a
parfaitement illustré en analysant les méthodes de propagande des
dictatures de l'entre-deux-guerres.
Dans le cas de la télévision, il est possible aussi qu'une
exposition coutumière à la violence diminue la sensibilité
de l'individu à la violence, le prive du sentiment de compassion et le
rende indifférent à son spectacle. La télévision et
le cinéma violents conduisent nos contemporains à accepter un
monde réel violent et à devenir indifférents aux violences
réelles dont ils sont témoins dans la rue ou dans le métro.
Le troisième effet de la violence dans les médias est la peur. La
télévision violente conduit le spectateur à faire
coïncider ses perceptions de la réalité avec celles du monde
irréel de l'image télévisée. Il s'agit ici aussi de
la peur de devenir victime de la violence. La répétition de
scènes violentes à la télévision entretient un
climat de peur et provoque le repli sur soi ou sur le " chez-soi ".
Il s'agit sans doute là de l'un des éléments du
" cocooning " apparu au cours des années 80. Des individus
acquièrent l'idée d'un monde peuplé de dragons à
visage humain et développent une véritable paranoïa. Les
jeunes téléspectateurs qui ont moins d'expérience de la
vie réelle y sont encore plus sensibles. Il est presque criminel de leur
présenter une image aussi dégradée du monde dans lequel
ils vont entrer et dans lequel ils aspirent à prendre place.
f) Signalétique et puce antiviolence
Devant
l'invasion des écrans par la violence, les pouvoirs publics ne peuvent
rester inertes. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, auquel la loi
confie parmi les premières missions la protection de l'enfance et de
l'adolescence, a publié en 1989 une directive rappelant la
responsabilité particulière des diffuseurs en ce domaine. La
directive du Conseil supérieur de l'audiovisuel impose en effet le
respect d'un espace de programmation familiale, situé entre
6 heures du matin et 22 heures 30, ainsi que l'avertissement
systématique des téléspectateurs lors de la programmation
d'émissions pouvant heurter certaines sensibilités notamment des
jeunes enfants. Ces règles ont servi de fondement à des sanctions.
La voie est plus étroite qu'il n'y paraît : pour
l'opinion, il y a trop de violence à la télévision. Mais,
toute restriction, tout contrôle est vite perçu comme une censure,
dont nos compatriotes, et, plus encore, les créateurs, ne veulent pas.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel s'est efforcé d'agir par la
persuasion en mettant en place une signalétique si ce n'est
" antiviolence " comme on dit un peu trop facilement, du moins
assurant un certain " étiquetage " des émissions
permettant aux parents de choisir en toute connaissance de cause les programmes
qu'ils laissent regarder à leurs enfants.
Le système repose sur la coopération des diffuseurs. La mise en
place de comités de visionnage dans les chaînes a permis de faire
progresser l'idée de responsabilité éditoriale, tandis que
l'existence au sein du Conseil supérieur de l'audiovisuel d'un
observatoire de la signalétique assure la cohérence de
l'ensemble.
Bien accueillie par les enfants, selon une étude commandée par le
Conseil supérieur de l'audiovisuel qui a permis d'en vérifier la
lisibilité, cette signalétique est la condition nécessaire
mais non suffisante de la régression de la violence sur les
écrans.
D'une part, on ne peut plus raisonner au niveau de l'Hexagone quand les
images viennent du ciel ou que, lorsqu'elles sont diffusées par
câble nos obligations européennes ne nous permettent qu'un
contrôle minimal. Cette généralisation de la
signalétique à l'échelle de l'Europe devrait d'ailleurs
avoir pour préalable son extension à Canal +
- semble-t-il en cours - et à ARTE, qui soit utilisent leur
propre code, soit se dispensent de toute signalétique.
D'autre part, force est de constater que les interdits, le fruit défendu
pour reprendre l'expression du président du Conseil supérieur de
l'audiovisuel, continuent d'attirer du public, comme on a pu le mesurer
récemment avec la victoire sans conteste en termes
" d'audimat " d'un film hollywoodien à scandale sur une
émission politique. Faire appel à l'autodiscipline, tant des
diffuseurs que des téléspectateurs, ne suffira pas à faire
diminuer le nombre d'actes de violence à la télévision. Le
laisser croire serait naïf ou hypocrite.
Une des pistes les plus prometteuses consisterait à utiliser
systématiquement la puce antiviolence qui commence à
apparaître aux États-Unis après le Canada. Son principe est
simple. Les programmes sont préalablement codés par le diffuseur
et assortis d'un signal électronique émis simultanément.
Une puce installée sur l'appareil reconnaît le signal et en
fonction des instructions reçues cryptent le type d'émission
qu'on ne veut pas laisser regarder par les enfants. Le système
fonctionne au Canada. L'autorité locale de régulation, le Conseil
de la radio et de la télévision canadienne, a obtenu l'accord des
différentes chaînes sur une sorte " d'échelle de
Richter " de la violence et de la pornographie. Une fois les programmes
cotés et la puce antiviolence installée, les
téléspectateurs ont la liberté de crypter ou non les
émissions en fonction de ce qu'ils souhaitent pour leurs enfants, mais
aussi ... pour eux-mêmes.
Aux États-Unis, la Federal Communication Commission vient, en mars 1998,
d'approuver le système de classification morale des programmes,
négocié en 1997 entre les compagnies de télévision,
les associations de parents et les studios de Hollywood. Depuis l'automne
dernier, les grandes chaînes de télévision, ABC, CBS et
Fox, ainsi que les grands câblo-opérateurs classent leurs
programmes selon le code suivant : " V " pour violence,
" S " pour sexe, " L " pour langage grossier et
" D " pour dialogue osé. Bien que le système,
obligatoire depuis 1996, puisse désormais fonctionner, il faudra
attendre environ un an et demi pour qu'il soit mis en service. C'est le
délai que les constructeurs demandent pour adapter leurs chaînes
de production. Selon la FCC, la totalité de la production devra en
être équipée d'ici à l'an 2000. Compte tenu du
rythme de renouvellement du parc, il faudra environ six ans pour que la
puce équipe la moitié du parc aux États-Unis.
Un tel système ne repose pas comme certains veulent le faire croire
sur la censure mais sur celui de la responsabilité :
responsabilité des diffuseurs en amont, responsabilité des
téléspectateurs de l'autre. Maintenant, il ne faut pas voir dans
cet artifice technique une panacée. D'une part, parce que le
système ne peut se mettre en place que lentement à mesure du
renouvellement du parc de téléviseurs ; d'autre part, parce
que ce système pourrait engendrer une déresponsabilisation des
diffuseurs comme des parents.
Il paraît difficile de faire l'économie d'une action en amont
auprès des producteurs, qui sans céder aux interdits du
" politiquement correct ", doivent résister à la
tentation qui les pousse pour des raisons commerciales à aller toujours
plus loin dans l'exhibition de la violence
.
Car là est la
véritable explication
.
Comme dans le cas des actualités télévisées mais
à un autre niveau, il existe bien un risque de désensibilisation
résultant de la multiplication des scènes d'horreur. Mais en
l'occurrence, la logique du marché vient renforcer le
phénomène : la violence fait vendre mais comme pour toute
drogue, avec l'accoutumance, il faut en augmenter les doses.
2. Les médias créent l'événement
Les médias ne se contentent pas seulement de faire leur métier de " reporter ", ils ne sont pas de simples " rapporteurs " d'événements, ils peuvent en être aussi les acteurs.
a) Un effet de mobilisation
Pierre
Bourdieu démontre sur le plan théorique cette interaction entre
médias et réalité. "
Les dangers politiques qui
sont inhérents à l'usage ordinaire de la
télévision, tiennent au fait que l'image a cette
particularité qu'elle peut produire ce que les critiques
littéraires appellent l'effet de réel, elle peut faire voir et
faire croire à ce qu'elle fait voir. Cette puissance d'évocation
a des effets de mobilisation. Elle peut faire exister des idées ou des
représentations, mais aussi des groupes.
Autre exemple [qu'il] emprunte à Patrick Champagne, celui de la
grève des lycéens de 1986, où l'on voit comment des
journalistes peuvent, en toute bonne foi, en toute naïveté, en se
laissant conduire par ce qui les intéresse, leurs
présupposés, leurs catégories de perception et
d'appréciation, leurs attentes inconscientes, produire des effets de
réels et des effets dans le réel, effets qui ne sont voulus par
personne et qui, en certains cas, peuvent être catastrophiques.
Les journalistes avaient en tête mai 1968 et la peur de rater un nouveau
68. On a affaire à des adolescents pas très politisés qui
ne savent pas trop quoi dire, alors on suscite des porte-parole (sans doute
parmi les plus politisés d'entre eux) et on les prend au sérieux
et les porte-parole se prennent au sérieux. Et, de fil en aiguille, la
télévision qui prétend être un instrument
d'enregistrement, devient instrument de création de
réalité. On va de plus en plus vers des univers où le
monde social est décrit-prescrit par la télévision. La
télévision devient l'arbitre de l'accès à
l'existence sociale et politique".
Les phénomènes de violence sont très
caractéristiques de ce type d'interaction. On ne peut pas dire que les
médias inventent mais ils amplifient. Dès lors que l'information
circule, elle génère des effets qu'on ne peut contrôler.
C'est un tout. On a pu soutenir que les manifestations de Mai 68 n'auraient
jamais pris une forme aussi virulente sans les transistors dont étaient
équipés les étudiants, et que les radios
périphériques, débordées, avaient fait couvrir
l'événement par des commentateurs sportifs, plus habitués
aux descentes de rugby qu'aux charges policières.
b) Un effet d'émulation
Dans le
cas hautement significatif des incidents de fin 1997 à Strasbourg, la
présence des médias fait qu'au lieu de quelques voitures
brûlées, il y en eut 250... La présence des médias
crée de l'émulation chez les jeunes. En présence des
médias, il existe une chance supplémentaire pour que
l'événement qu'ils sont venus couvrir, finisse par se
réaliser. En un mot, ils créent l'événement. Les
médias donnent aux jeunes la possibilité de devenir des
héros, de sortir de l'insignifiance, bref d'exister. En 1996, certains
d'entre eux n'avaient eu droit qu'à France 3. Avec TF1, ils ont eu
le sentiment d'être les meilleurs.
Il faut également souligner le caractère objectivement festif de
ce type d'événement. Mais, c'est une fête de transgression,
à la différence des fêtes communautaires, comme celles qui
marquent certaines fêtes religieuses. On fait le tour du quartier avec la
voiture, on la fait crisser, on la fait " suer ", le pied sur
l'accélérateur, on emmène les copains, on la brûle
et la voiture se transforme en bête sacrifiée.
Ces deux aspects, l'aspect de la fête et l'aspect du combat sont
importants : ceux qui habitent dans les autres cités sont jaloux parce
que les journaux télévisés ne parlent pas d'eux ; des
voitures brûlent dans la nuit, ce n'est pas un hasard. Le contraste est
flagrant entre le scintillement des quartiers centraux et la nuit de la zone
périphérique. A leur façon, les jeunes de ces quartiers
ont allumé leurs feux de Noël.
L'effet d'amplification est inévitable : "
une bagnole qui
crame,
commente un journaliste
; ça fait tout de suite
Beyrouth
". En voyant de telles séquences, on a l'impression
que la ville était à feu et à sang, ce qui n'était,
bien sûr, pas le cas.
*
* *
La jeunesse en danger, la démocratie menacée
Karl
Popper nous dit que l'enfant qui naît au monde ressent aussitôt un
" besoin de régularité ". On ne peut espérer
qu'il devienne un jour un citoyen avisé s'il ne bénéficie
pas d'un environnement stable qui lui fournisse des repères et lui
montre le chemin ;
d'où l'importance des
exemples
pour
toute éducation.
La télévision moderne - et c'est
là sa plus grande violence - ruine méthodiquement les cadres
traditionnels de l'expérience initiale ; ce faisant, elle incarne
une barbarie moderne au service d'un mouvement qui atteint les ressorts les
plus intimes de notre société démocratique, libre et
ouverte. Karl Popper n'hésite pas à affirmer aussi dans
La
leçon de ce Siècle
que l'étalage impudique de sang et
de haine affaiblit les résistances à la violence et érode
peu à peu, dans l'esprit des individus, les défenses immunitaires
que près de deux siècles de démocratie et plusieurs
siècles de civilisation y avaient précieusement greffées.
De plus, en absorbant tout le temps libre et en devenant le tuteur des jeunes
enfants, elle détruit tout sens critique et elle empêche la
formation d'esprits curieux et vigilants.
Une société démocratique a le devoir d'éduquer
sa jeunesse aux idéaux de liberté et de responsabilité.
Elle renonce à cette tâche quand elle accepte que les fonctions
qu'assument traditionnellement la famille, l'école ou le voisinage,
soient désormais abandonnées aux aléas de l'audimat.
Toute société constituée n'est jamais
définitivement cuirassée contre la barbarie et le
désordre, et, par conséquent, le devoir le plus ordinaire de
l'État de droit est de veiller quotidiennement à diminuer la
violence et l'injustice. Il est également du devoir de l'État
d'encourager les médias à participer à cette tâche
au lieu de se contenter de les laisser exercer, à côté
d'une indéniable fonction de pacification des protestations sociales,
une influence nocive à la démocratie.
II. CULTURE : LE MIROIR EN MIETTES
Comme
dans beaucoup d'autres domaines la France s'efforce en matière
audiovisuelle de cultiver sa différence. Elle a pris la tête d'une
croisade pour la défense de l'exception culturelle et contre l'invasion
des produits américains.
Si l'on en juge par la façon dont a été adoptée la
nouvelle directive
Télévision Sans Frontières
, le
moins que l'on puisse dire est que ces idées, belles et
généreuses ne séduisent pas facilement nos partenaires,
même si les résultats des assises de l'audiovisuel, qui se sont
tenues à Birmingham du 6 au 8 avril dernier sur le thème
" défis et opportunités du numérique ", ont
finalement conforté l'idée d'exception culturelle.
Le miroir de la télévision était à l'origine un
gage d'unité, la voix de la France pour les gouvernants des
années 70, une image des Français, aussi, qui, à
défaut sans doute d'être absolument fidèle, avait le
mérite de la simplicité. Le rendez-vous du journal
télévisé du soir, on ne disait pas encore, " le 20
heures ", les speakerines qui incarnaient un certain savoir-vivre,
c'était la France.
Aujourd'hui, l'éclatement du paysage audiovisuel, résultant de la
multiplication du nombre de chaînes, risque d'entraîner celui de la
culture, tant au sens humaniste de patrimoine intellectuel, que sociologique,
d'ensemble de pratiques propres à une société.
Le risque est bel et bien que la culture française disparaisse,
éclatée et en tout cas diluée dans les images que l'on
déverse à flots dans des millions de famille qui, au demeurant,
ne sauraient se passer de leurs 3 ou 4 heures de
télévision quotidiennes.
Face à cette culture en voie d'éclatement, les chaînes
publiques ont le devoir et les moyens, sinon de recoller les morceaux, du moins
de produire ce lien, ce ciment social sans lequel nos sociétés
individualistes de masse ne sauraient fonctionner de façon
démocratique.
A. LA RECHERCHE DU PLUS PETIT COMMUN DÉNOMINATEUR
La
télévision n'est pas neutre. Tel est l'un des sens essentiels
qu'il faut donner à la fameuse formule du sociologue Marshall Mc
Luhan : "
le médium est le message
".
Certes, dans le "
village global
" pour reprendre encore une
expression prophétique du célèbre canadien, le monde est
désormais omniprésent. Mais ce n'est pas une
" présence réelle " ; il s'agit d'images ou
plutôt de signes, dont les sociologues démontrent facilement
qu'ils présentent du fait de leur accumulation et de leur succession
sans continuité apparente, des points communs qui tendent à
gommer leurs différences de sens ou de contenus.
La télévision nous renvoie une image
" formatée " pour reprendre une expression informatique, et
donc plus ou moins déformée de notre société. Il
existe désormais une " écriture
télévisuelle ", un style de programmation qui tendent
à présenter la réalité sous forme de spectacle
comme une succession de faits divers, une suite de sketches le plus souvent
" sans transitions " véritables.
Cette discontinuité, qui caractérise, pour des raisons à
la fois techniques et commerciales, la programmation à la
télévision, tend à diffuser une culture
déstructurée, sans racines, qui pourrait bien constituer la base
de ce que les Français ont désormais en commun.
1. Un monde de faits divers
La notion de " faits divers " à laquelle renvoie cette discontinuité devient la catégorie essentielle pour comprendre le bouillon de culture dans lequel nous baignons grâce à la télévision, un bouillon soigneusement malaxé puis filtré pour que les germes d'esprit critique ou de non conformisme ne s'y développent pas facilement.
a) Le spectacle du monde
" La télévision (beaucoup plus que les
journaux),
écrit Pierre Bourdieu dans l'ouvrage
précité
, propose une vision de plus en plus
dépolitisée, aseptisée, incolore, du monde et elle
entraîne de plus en plus les journaux dans son glissement vers la
démagogie et la soumission aux contraintes commerciales...
" Les familles princières et royales de Monaco, d'Angleterre, et
d'ailleurs vont être conservées comme des sortes de
réservoirs inépuisables de sujets de soap operas et de
telenovelas. En tout cas, il est clair que le grand happening auquel la mort de
Lady Diana a donné lieu s'inscrit bien dans la série des
spectacles qui font l'enchantement de la petite bourgeoisie d'Angleterre et
d'ailleurs, grandes comédies musicales du type de Evita ou Jésus
Christ Superstar, nés du maigre du mélodrame et des effets
spéciaux de haute technologie, feuilletons
télévisés larmoyants, films sentimentaux, romans de gare
à grand tirage, musique pop un peu facile, divertissements dits
familiaux, bref tous ces produits de l'industrie culturelle que
déversent à longueur de journée des
télévisions et des radios conformistes et cyniques et qui
réunissent le moralisme larmoyant des Églises et le conservatisme
esthétique du divertissement bourgeois."
b) Le prisme du microcosme
Le monde
est filtré par le microcosme médiatique. Celui-ci a sa
façon de percevoir la réalité, de l'analyser, de la
découper en brèves séquences qui par leur succession
contribuent à cette impression de discontinuité mais finalement
aussi de nivellement dans la nébuleuse des faits divers. Là
encore Pierre Bourdieu démonte en sociologue, à la fois
universitaire et critique, la logique médiatique :
" Les journalistes ont des " lunettes " particulières
à partir desquelles ils voient certaines choses et pas d'autres, et
voient d'une certaine manière les choses qu'ils voient. Ils
opèrent une sélection et une construction de ce qui est
sélectionné.
c) L'obsession du scoop
Le
principe de sélection, c'est la recherche du sensationnel, du
spectaculaire. La télévision appelle à la dramatisation,
au double sens : elle met en scène, en images, un
événement et elle en exagère l'importance, la
gravité et le caractère dramatique, tragique.
Ils s'intéressent à l'extraordinaire, à ce qui rompt avec
l'ordinaire, à ce qui n'est pas quotidien - les quotidiens doivent
offrir quotidiennement de l'extra-quotidien - ce n'est pas facile...
D'où la place qu'ils accordent à l'extraordinaire ordinaire,
c'est-à-dire prévu par les attentes ordinaires, incendies,
inondations, assassinats, faits divers. Mais, l'extra-ordinaire, c'est aussi et
surtout ce qui n'est pas ordinaire par rapport aux autres journaux (...) C'est
une contrainte terrible : celle qu'impose la poursuite du scoop. Pour
être le premier à voir et à faire voir quelque chose, on
est prêt à peu près à n'importe quoi, et comme on se
copie mutuellement en vue de devancer les autres, de faire avant les autres, ou
de faire autrement que les autres, on finit par faire tous la même chose,
la recherche de l'exclusivité, qui, ailleurs, dans d'autres champs,
produit l'originalité, la singularité, aboutit ici à
l'uniformisation et à la banalisation."
Cette vision, sans doute quelque peu excessive - mais pour bien décrire
une logique il faut parfois forcer le trait - , a le mérite de montrer
que l'introduction de la concurrence, qui comporte beaucoup de
conséquences bénéfiques, a aussi des effets pervers ;
en France, paradoxalement, la libération des initiatives
consécutive à la privatisation de TF1, a entraîné
une forme de mimétisme, le règne implicite d'une sorte de
pensée unique de la programmation, tant dans le style que dans le
contenu des émissions.
Nul doute que la logique commerciale, désormais dominante même
dans l'essentiel de la programmation du secteur public, accentue cette tendance
à l'uniformité.
2. Des conséquences de la démagogie
Que
demande le peuple ? Au début de notre ère, du pain et des
jeux ; aujourd'hui, ce serait plutôt du travail et des images...
Mais quelles images ? Tout se passe comme si la concurrence avait abouti,
sous prétexte de répondre aux goûts du public, à
couronner le moins disant culturel.
La recherche incessante de nouvelles recettes de publicité, la course
à l'audience qui en a été la conséquence, bref,
cette dictature de la fameuse " ménagère de moins de
cinquante ans " sont pour beaucoup dans ce nivellement par le bas des
programmes.
On perçoit alors comme un âge d'or l'époque de la R.T.F.
avec ses dramatiques ambitieuses comme les Perses d'Eschyle ou ses
émissions phares comme " Cinq colonnes à la une ".
Pierre Bourdieu écrit justement que cette télévision,
qualifiée par lui de " pédagogico-paternaliste ",
" se servait en quelque sorte de son monopole pour imposer à tous
des produits à prétention culturelle (documentaires, adaptations
d'oeuvres classiques, débats culturels, etc.) et former les goûts
du grand public. "
Au contraire, selon lui,
" la télévision des
années 90 vise à exploiter et à flatter ces goûts
pour toucher l'audience la plus large en offrant aux
téléspectateurs des produits bruts, dont le paradigme est le
talk-show, tranches de vie, exhibitions sans voiles d'expériences
vécues, souvent extrêmes et propres à satisfaire une forme
de voyeurisme et d'exhibitionnisme (comme d'ailleurs les jeux
télévisés auxquels on brûle de participer,
même en simple spectateur, pour accéder à un instant de
visibilité)."
La suppression du monopole et l'avènement de l'économie de
marché ont fait de l'audience, symbolisée par l'audimat,
l'étalon de la valeur audiovisuelle, l'arbitre suprême de la
compétition entre les chaînes qu'elles soient privées ou
publiques.
La soumission aux exigences de cet instrument de marketing est l'exact
équivalent en matière de culture de ce qu'est la
démagogie, guidée par les sondages d'opinion en matière de
politique.
Bref, on a flatté le public au lieu de chercher à
l'éduquer, démagogie que l'on retrouve dans des domaines connexes
comme celui de la défense de la langue française.
B. A CHACUN SON BOUILLON DE CULTURE ?
Cette
analogie entre la politique et les médias se retrouve dans les
écrits d'un autre sociologue, spécialiste des médias,
Dominique Wolton. La thèse de celui-ci est que la
télévision hertzienne classique, dite généraliste,
est le média le plus adapté aux sociétés actuelles
éminemment individualistes.
Cette thèse s'articule autour du concept essentiel de " grand
public ". "
Il s'agit d'un concept et non d'une
réalité, de même type par exemple que celui de
" l'égalité " des citoyens devant le suffrage
universel. Dans la réalité, on sait qu'il n'y a pas
d'égalité devant le vote, mais du point de vue d'une
théorie de la démocratie cette égalité est
indispensable. Pour la télévision, la démarche est
identique. Chacun sait bien qu'elle n'est jamais complètement
généraliste, et qu'elle ne peut réellement satisfaire tous
les publics, mais l'essentiel est dans l'ambition de vouloir toucher tout le
monde
. "
1. Égalité et fraternité
La force
de la télévision généraliste est là : mettre
sur un pied d'égalité tous les programmes, et ne pas dire a
priori ceux qui sont destinés à tel ou tel public. Elle oblige
chacun à reconnaître l'existence de l'autre, processus
indispensable dans les sociétés contemporaines confrontées
aux multiculturalismes... C'est en cela que la télévision est
moins un instrument de massification de la culture qu'un moyen de relier les
hétérogénéités sociales et culturelles.
C'est précisément ce rôle d'intégration qui est
remis en question par le développement des médias
numériques et l'accentuation de la logique commerciale qui conduit
à évacuer la culture au sens de patrimoine aux marges de la
programmation ou dans le ghetto des chaînes thématiques.
Dans le système médiatique qui tend à se dessiner, la
culture n'est plus un facteur d'assimilation, la somme d'habitudes et de
références communes qui fondent une communauté
nationale.
2. Les chaînes généralistes : la culture en marge
La
télévision publique a un rôle à jouer pour enrayer
ce processus qui résulte de l'internationalisation du paysage
audiovisuel français. C'est à elle qu'il incombe de sauvegarder
l'esprit de la télévision généraliste qui contribue
au maintien de l'identité nationale.
"
Seule la télévision généraliste,
dit
encore Dominique Wolton
, est apte à offrir à la fois cette
égalité d'accès, fondement du modèle
démocratique, et cette palette de programmes qui peut refléter
l'hétérogénéité sociale et culturelle. La
grille des programmes permet de retrouver les éléments
indispensables à l' " être ensemble ". Elle constitue
une école de tolérance au sens où chacun est obligé
de reconnaître que les programmes qu'il n'aime pas ont autant de
légitimité que ceux qu'il aime, du seul fait que les uns
cohabitent avec les autres.
"
Mais force est de constater que la culture, au sens non de pratique collective
commune à une collectivité mais de patrimoine intellectuel
collectif, a tendance à être évacuée des
écrans des chaînes généralistes.
A l'exception d'ARTE et de La Cinquième, mais qui jouent à cet
égard le rôle de chaîne thématique, on constate que
les chaînes, surtout lorsqu'elles sont commerciales proposent
naturellement des programmes de divertissement ; en effet, des programmes
culturels plus difficiles d'accès n'attirent qu'un nombre limité
de téléspectateurs.
- • Culture et télévision : l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel
La notion même " d'émission culturelle " est ambiguë - car il faudrait savoir s'il faut se restreindre à la comptabilisation des émissions consacrées aux arts et spectacles vivants, théâtre, musique, ballet... ou si l'on peut prendre également en compte d'autres émissions, dès lors qu'elles apportent des connaissances -. Cette étude démontre l'effet limité des obligations actuellement imposées aux chaînes dans le domaine culturel.
En dépit, en 1994, du renforcement des obligations des chaînes en ce qui concerne la musique et les spectacles pour lesquels les seuils minima de diffusion ont été relevés, le dispositif réglementaire reste sinon peu contraignant du moins aisément contournable.
Les cahiers des charges de France 2 et France 3 prévoient l'obligation de diffuser au minimum 15 spectacles lyriques, chorégraphiques ou dramatiques, ainsi que 16 heures de musique classique interprétée par des orchestres français ou européens. Pour les chaînes privées, des obligations de même nature mais de niveau sensiblement moindre sont prévues : diffusion de douze spectacles et de 10 concerts pour TF1 ; programmation de magazines et de documentaires pour TF1 et M6, avec pour cette dernière la coproduction.
D'une façon générale, les cahiers des charges ne fixent pas d'objectifs quantitatifs mais énoncent de simples obligations de principe : diffuser des émissions régulières consacrées à l'évolution des sciences et des techniques, à l'expression littéraire, à l'histoire, au cinéma, aux arts plastiques...
Si l'on ne prend en compte que les programmes classés DISC - c'est à dire Documents/Information (hors journaux télévisés)/Services/Culture - mais en en extrayant certaines émissions sans véritable caractère culturel (campagnes électorales, débats parlementaires, cérémonies religieuses, ainsi que diverses émissions à caractère de service public), on constate que les chaînes hertziennes ne consacrent à la culture ainsi définie qu'une part voisine de 10 % de leur programmation.
Cette programmation culturelle déjà faible est aussi très largement nocturne, ce qui diminue encore son audience. Ainsi sur TF1, seuls 6,5% des émissions culturelles sont diffusées entre 6 heures 30 et minuit. La musique et les spectacles sont totalement absents des programmes de jour. En revanche Canal + programme près d'un tiers de ses émissions en journée. Les chaînes du secteur public font sensiblement mieux même si l'essentiel de la programmation culturelle reste encore nocturne : ainsi, sur France 2 on note que seulement 26,2 % de ces émissions sont programmés de jour, taux qui tombe à 16,2 % pour les magazines et documentaires sur les arts.
Rien d'étonnant à ce que dans l'ensemble, les émissions culturelles aient une audience des plus restreintes, en raison non seulement de leur passage à des heures tardives mais surtout parce qu'elles ne répondent guère aux attentes d'un public avide de distractions : si les programmes culturels représentent plus de 28 % du volume des programmes diffusés, ils ne captent même pas 14 % du temps passé par les téléspectateurs devant leur poste de télévision.
Il faut remarquer qu'une partie de ces résultats sont atteints surtout par TF1 et M6 au prix de rediffusions nocturnes. On note également que les arts du spectacle et les arts plastiques ne bénéficient que d'un service minimum : pas d'émissions spécifiques, mais de simples retransmissions, bref pas de programmation suivie. Même pour la littérature, domaine en général le mieux traité, le nombre d'émissions spécifiques a d'ailleurs tendance à diminuer. Ainsi France 2 ne diffuse plus que des émissions pluriculturelles telles Bouillon de culture ou Le Cercle de Minuit .
L'étude du Conseil supérieur de l'audiovisuel porte un jugement plutôt favorable sur France 3 qui " s'affirme des deux chaînes du secteur public comme la plus tournée vers les programmes culturels. Chaque soirée peut proposer, certes souvent tardivement, une émission de type culturel sur les arts ou de connaissance... En outre, les stations régionales de France 3 proposent chacune de nombreuses émissions culturelles."
Finalement seuls ARTE et La cinquième, conformément à leur vocation, présentent toujours selon le Conseil supérieur de l'audiovisuel, une offre abondante et diversifiée, performance qui tient au fait que ces chaînes n'ont pas " l'obligation de rassembler le plus grand nombre de téléspectateurs à chaque instant ". Et parce que leur budget n'est pratiquement pas lié aux ressources publicitaires.
Bref, à de rares exceptions près, la culture est reléguée en-dehors de la plage de programmation utile. Il faut toutefois remarquer que le nombre de personnes touchées est considérable, même si la culture classique n'occupe qu'une place marginale dans le bouillon de culture médiatique dans lequel nous baignons.
3. Les chaînes thématiques : la culture des différences
Tandis
que la télévision généraliste a pour objectif de
permettre aux membres d'une société individualiste de continuer
à avoir quelque chose en commun, les médias thématiques ne
font, "
au nom de la liberté de choix qu'épouser les
plis des inégalités sociales et culturelles
" pour
reprendre la formule de Dominique Wolton.
La technologie numérique devrait permettre à chacun, par le choix
des chaînes thématiques, de cultiver sa différence. A
l'extrême, avec Internet, chaque téléspectateur sera en
mesure de composer son propre programme.
La logique des chaînes thématiques est celle de la
spécialisation. A la limite, elle incitera le
téléspectateur à s'enfermer dans ce qu'il connaît ou
aime déjà. Non seulement, risquent de faire défaut, cette
référence commune, ce sujet de conversation qui contribuent
à entretenir le lien social, mais encore, cet élément de
surprise et donc d'ouverture, que comporte le fait de suivre une programmation
généraliste.
Si une grille de programmes est établie en fonction des spectateurs que
l'on suppose intéressés par telle tranche horaire de la
journée, l'analyse rétrospective démontre le
caractère en fait très divers du public réel :
certains ont effectivement regardé ce que l'on pensait bien qu'ils
regarderaient, mais d'autres, auxquels on n'avait pas songé, l'ont fait
également. L'étude des audiences réelles fait toujours
apparaître des publics inattendus.
On entre donc dans une logique de clubs, voire de chapelles, où des
individus rejoindront des petits groupes pour partager leurs passions, au
détriment de la sociabilité plus diffuse, du type de celle que
l'on entretient avec ses voisins.
Du fait de l'évolution des médias, la culture pourrait devenir
sinon quelque chose qui divise, du moins ce qui sépare ; elle ne
serait plus le lieu ou l'objet d'un partage ou d'un dialogue mais le moyen de
se distinguer, d'affirmer sa différence.
*
* *
En
matière culturelle la tendance naturelle de la France est de s'opposer
à l'hégémonie anglo-saxonne. Mais, si nous nous crispons
sur cette position hors de proportion avec le rapport des forces, il est
à craindre que le combat ne soit perdu d'avance.
La défense de la langue française se pose à peu
près dans les mêmes termes, comme l'a souligné
M. Michel Zink, professeur de littérature médiévale
au Collège de France, s'exprimant le 16 février 1998 devant
l'Académie des sciences morales et politiques :
"
Nous ne pouvons pas empêcher que l'anglais soit la langue de la
communauté scientifique et du monde économique. C'est un fait.
Notre fierté nationale en souffre comme en souffre la fierté des
autres pays francophones. Mais il ne tient qu'à nous que le
français n'en souffre pas.
Pour que le français n'en souffre pas, il faut peut-être cesser de
nous opposer à l'anglais. Certains pays, beaucoup moins peuplés
que la France et dont la langue n'est guère parlée hors de leurs
frontières, la défendent efficacement sur leur sol. Ils ne font
pas semblant que l'on peut vivre dans le monde actuel sans parler
convenablement l'anglais... Mais ils sont intransigeants dans leur souci
d'inculquer à leurs concitoyens le sentiment que leur langue est
dépositaire du trésor irremplaçable de leur culture et de
leur mémoire... Et comme l'apôtre, ils se font une force d'une
faiblesse. En Norvège, les séries américaines
diffusées à la télévision ne sont pas
doublées. C'est peut-être un avantage donné à
l'anglais, mais c'est surtout un avantage donné au norvégien.
Cela permet sans doute aux petits Norvégiens d'apprendre l'anglais sans
peine. Mais cela leur permet surtout de se rendre compte que la culture
américaine n'est pas la leur. "
Comme le souligne implicitement M. Michel Zink, la France est sans doute
plus vulnérable que d'autres pays au déferlement des
séries américaines. Il est de fait, sans doute à cause des
excès de la centralisation, que notre pays n'abrite pas de traditions
aussi vivaces que d'autres, dont l'attachement à leur particularisme est
beaucoup plus vif. Il pourrait, plus facilement que d'autres, subir l'influence
d'émissions fabriquées de l'autre côté de
l'Atlantique. A nous de faire que ces produits audiovisuels importés ne
constituent pas précisément ce commun dénominateur
culturel qui fera le " lien social " des Français du
XXIème siècle !
*
* *
La
violence est dans la vie, mais elle est plus encore sur les écrans.
Cette culture de la violence n'est pas seulement le produit d'une logique
commerciale ; elle résulte également d'une certaine
complaisance.
Pour beaucoup de créateurs, la télévision est violente,
parce que la société est violence. L'ordre social étant
perçu comme coercitif, les comportements violents sont alors
considérés comme une réponse, sinon légitime, du
moins explicable et donc normale, à la violence de la
société.
Quand un réalisateur prétend lutter contre la violence en la
rendant insupportable pour le spectateur, quand un autre estime que ce n'est
pas le cinéma ou la télévision qui sont violents mais la
société dont ils sont le reflet, on peut se demander s'ils ne
font pas de la violence l'alibi d'une volonté de défoulement ou
d'une agressivité toutes personnelles. Une telle attitude sans
conséquence lorsqu'elle se limite à des individus ou à des
cercles restreints devient dangereuse lorsqu'elle est amplifiée par les
moyens de communication de masse. La société n'est pas que
violence, contrairement à l'image que peut en donner parfois la
télévision. Un réalisateur qui raconte la cavale sanglante
de jeunes sans repères ou la vie désoeuvrée de gamins des
banlieues ne filme pas la réalité dans sa totalité. Il en
extrait une facette parmi bien d'autres.
Le réalisateur est un créateur. A ce titre, il doit être
conscient de ses responsabilités. A lui de choisir ce qu'il montre du
monde qui l'entoure. Il peut se concentrer sur la haine et l'agressivité
que fabriquent effectivement nos sociétés ; mais il peut
aussi raconter la vie de ceux qui luttent pour les autres et sont des artisans
de paix et d'harmonie... Pourquoi pas ?
CONCLUSION
Le vendredi 19 décembre 1997, votre rapporteur a présenté une série de propositions à Mme Catherine Trautmann, ministre de la Communication ; à ses yeux, plus que de dispositions prises au gré des alternances politiques, le secteur public de l'audiovisuel a besoin de quelques décisions appliquées avec détermination sur une longue période. Les voici résumées :
-
•
quant à la gestion :
- l'indépendance financière des organismes et sociétés du secteur public de l'audiovisuel devrait être totale sous les contrôles de droit commun, afin que le cordon ombilical avec le ministère des Finances soit définitivement coupé ;
- le conseil d'administration devrait être composé d'administrateurs et non de simples observateurs ;
- la nomination des présidents devrait revenir, en toute transparence et logique à l'Etat par décision prise en Conseil des ministres, et le mandat de ces présidents porté à cinq ans renouvelables, comme l'a voté le Sénat en novembre 1995 31( * ) . Mais, il n'y eut pas de suite !
- la convention nationale unique des personnels de l'audiovisuel devrait être adaptée en organisant la révision de la révision ;
• quant aux aspects financiers :
- les ressources publicitaires devraient être réduites en deux ou trois étapes à 35 % pour France 2 et 25 % pour France 3 ;
- le budget du secteur public devrait être garanti par périodes pluriannuelles dans le cadre de l'évolution souhaitable des procédures budgétaires.
Ces décisions, si elles étaient prises, pourraient permettre au secteur public de l'audiovisuel de faire efficacement face à ses missions. Ajoutons que des propositions identiques avaient été régulièrement présentées aux prédécesseurs de Mme Catherine Trautmann ; mais c'est une constante anomalie - véritable celle-ci - que les Gouvernements successifs - de droite et de gauche - n'accordent qu'une attention distraite à de telles propositions.
A chaque alternance politique, votre rapporteur a, du reste, transmis au nouveau ministre chargé de la Communication un rapport d'analyses et de propositions ; en 1993, cela s'appelait " Lettre à mes collègues représentants du peuple " ; en 1997, ce document avait pour titre " Manifeste pour le secteur public audiovisuel et l'industrie française de programmes ". Au-delà de ses positions et engagements personnels, votre rapporteur - sous l'autorité de M. le Président Christian Poncelet et avec l'accord de M. Alain Lambert, Rapporteur Général - a été constamment suivi par la commission des finances du Sénat. L'objectif de la commission a toujours été d'assurer au secteur public de l'audiovisuel les moyens humains, techniques et financiers qui lui sont nécessaires dans la durée.
1. Le plafonnement nécessaire des ressources publicitaires
Le
financement du secteur public donne lieu, depuis des années, à
des débats où l'hypocrisie le dispute à
l'incohérence.
D'un côté, on contraint le secteur public audiovisuel à
accroître ses ressources publicitaires en lui refusant les ressources
publiques qu'exigerait son développement. De l'autre, on déplore
une baisse de la qualité des programmes non sans se complaire bien
souvent dans une nostalgie des temps du monopole.
Ce que certains ont qualifié " d'injonction paradoxale " est
une contradiction partagée par tous les Gouvernements et toutes les
majorités ; on a délibérément limité
l'accroissement des ressources publiques tout en augmentant le nombre de
chaînes. Votre rapporteur, qui dénonce depuis longtemps cette
contradiction sans rencontrer d'écho favorable, connaît une
solution simple : l'augmentation des recettes de redevance et la
réduction corrélative des recettes publicitaires.
Seule la garantie de ressources stables permettra aux chaînes nationales
d'être fidèles à l'esprit du service public.
Expliquons-nous. Il ne s'agit pas de remettre en cause le principe d'un
financement mixte associant ressources publiques et recettes publicitaires.
La publicité est une ressource nécessaire. Elle est même
souhaitable lorsqu'elle constitue un complément de revenu qui n'affecte
pas la façon dont l'audiovisuel public accomplit ses missions. Il serait
dommage de se priver d'une ressource quand il s'agit simplement de se baisser
pour la cueillir. C'est même un bon indicateur de la capacité
d'une chaîne à trouver son public.
Mais la publicité reste une ressource dangereuse. Au-dessus d'un certain
niveau, au-delà d'une certaine dose, elle engendre des
phénomènes de dépendance qui affectent la façon
même dont est conçue la programmation. Où se situe le seuil
à ne pas dépasser ? Il est difficile de l'établir
avec une totale précision. Sachons toutefois qu'un niveau
supérieur à 50 % de recettes de publicité et de
parrainage est trop élevé. A partir de ce seuil, la
différence entre secteur privé et secteur public tend à
s'estomper, sapant dans le même temps la légitimité de la
redevance et alimentant l'argumentation de tous ceux qui présentent
l'audiovisuel public comme autant d'entreprises subventionnées.
Depuis l'exercice 1990, la durée des spots publicitaires a
été multipliée par deux pour France 2 et par trois
pour France 3. Une telle augmentation constitue un saut qualitatif qui
change la nature du système et affecte l'accomplissement des missions de
service public.
Il est impératif que les pouvoirs publics prennent conscience de la
nécessité de faire refluer la part des recettes publicitaires
dans les budgets de l'audiovisuel public à des niveaux compatibles avec
la nature de ses missions et qu'ils acceptent en conséquence de faire
l'effort financier correspondant.
Il faut donc inverser la tendance et votre rapporteur rejoint l'opinion
exprimée par M. Bernard Pivot dans son ouvrage
Remontrance
à la ménagère de moins de cinquante
ans
: "
Et qui a le front, le toupet, l'aplomb, le
culot, l'audace, l'hypocrisie, l'impudence (ne rayez aucune mention) de
regretter que la télévision ne soit pas plus culturelle, que les
meilleures émissions soient placées à des heures tardives,
que les chaînes généralistes n'aient pas plus d'ambition
civique, qu'elles sacrifient trop souvent à la violence, à
l'érotisme, à la grosse rigolade ? Qui tient ces discours
vertueux (...) ? Les mêmes qui ont contraint France 2 et
France 3 à vivre un peu plus chaque année de la
publicité (...). Actuel patron des chaînes publiques, Xavier
Gouyou Beauchamps, comme ses prédécesseurs, mais plus encore
puisqu'on lui a imposé, pendant sa première année de
présidence, d'engranger davantage de recettes publicitaires, doit se
frayer un chemin très étroit entre la nécessité de
cartonner dans l'audimat, de collectionner les juteuses parts de marché,
et l'obligation de conserver à la télévision, pour
laquelle les Français paient la redevance, un visage intelligent et
rayonnant.
"
Quoique l'écran du poste ait bien la forme d'un rectangle, il
ressemble à la quadrature du cercle. Xavier Gouyou Beauchamps
déclarait récemment : « Il est gênant qu'un
franc de publicité devienne vital pour la chaîne (France 2).
C'est à partir de ce moment que la mission de service public n'est plus
garantie »(...).
"
Il y a sûrement un seuil de publicité - 20 %,
30 %, 35 % - qui permettrait à France 2 de
présenter deux visages opposés, mais complémentaires et
satisfaisants. Au-delà de ce seuil, Janus est en danger de perdre son
identité.
"
On ne saurait mieux dire. Plaise aux Dieux que M. Bernard Pivot soit
mieux entendu qu'un rapporteur de la commission des finances du
Sénat
!
2. La redevance, ressource naturelle de l'audiovisuel public
Il est
de bon ton de critiquer la redevance, cette taxe - disent certains -
inefficace, injuste et archaïque. Il y a là une idée
reçue, qui méconnaît la réalité technique et
la signification politique de ce mode de financement.
La redevance serait d'abord coûteuse. Cela n'est pas exact puisque ses
frais de perception dépassent à peine 4 % du montant des
ressources collectées, soit une dépense de 23 francs par
compte. Ce résultat est d'autant plus remarquable qu'il a
été obtenu en dépit des contraintes de gestion
liées notamment à la gestion de près de 4 millions de
comptes exonérés. Un hommage doit être rendu aux efforts de
modernisation - informatisation, utilisation du titre interbancaire de
paiement - entrepris par ce service et ses personnels depuis une dizaine
d'années.
La redevance, dit-on également, serait une survivance des temps du
monopole. Certes, son sens a changé ; elle n'est plus cette taxe
pour service rendu, payée, légitimement, par tous ceux qui en
bénéficiaient à une époque où la
télévision était encore un luxe. Aujourd'hui, à
l'heure où tout le monde - ou presque - possède un poste,
certains se demandent si l'on ne ferait pas mieux de financer le secteur public
par des crédits du budget général et de supprimer en
conséquence la redevance. Or, ce serait une grave erreur que de couper
le lien qui s'établit, à travers cette taxe, entre les
Français et le secteur public. Celui-ci a un coût, les citoyens en
sont conscients, les contribuables le comprennent et les consommateurs le
savent.
Enfin, pour d'autres, la redevance serait injuste. Elle
méconnaîtrait les différences de capacités
contributives des Français, comme s'il fallait que le prix des biens que
nous consommons soit systématiquement modulé en fonction des
revenus. Comme pour les autres services publics, une telle modulation est
légitime, mais seulement pour un petit nombre de cas sociaux. La France,
avec près de 4 millions de foyers exonérés sur un
total de 20 millions, fait exception en Europe : le pourcentage
d'exonérations est trois fois inférieur en Allemagne (7 % en
moyenne, la proportion variant selon les Länder), en Belgique
(7,9 %). Ce taux n'est que de 0,6 % aux Pays-Bas, tandis que les
exonérations totales n'existent quasiment pas en Grande-Bretagne.
Le poids de ces exonérations, qui représentaient, en 1997, une
somme de l'ordre de deux milliards de francs pour le secteur public,
pèse en définitive sur les contribuables
- téléspectateurs-consommateurs -, soit qu'elles
fassent l'objet de compensation budgétaire, soit qu'elles obligent les
chaînes à trouver des ressources publicitaires
supplémentaires avec les conséquences que l'on connaît.
Cette taxe doit maintenant s'interpréter comme une participation
citoyenne au financement du secteur public audiovisuel. Elle est le prix de
l'indépendance tant vis-à-vis des impératifs commerciaux,
que vis-à-vis d'un flot d'images importées que le secteur
privé n'a aucun intérêt à endiguer.
La redevance, c'est l'occasion pour tous les citoyens de se mobiliser et de
participer à cette bataille de France, dont dépend la survie de
notre identité culturelle. Par conséquent, chaque foyer
français doit prendre sa part de cette bataille comme d'autres l'ont
fait avant eux pour la défense de nos libertés.
3. Restaurer l'esprit de service public
Un
rapport récemment remis à Mme la ministre de la Culture et de la
Communication, en décembre 1977, par M. Jean-Louis Missika, sur
" Les entreprises de télévision et les missions de service
public " pose à juste titre la question de la place des
chaînes publiques dans l'offre de télévision.
Force est de constater avec M. Jean-Louis Missika que
la conception
d'un marché équilibré fondé sur la concurrence
entre deux ensembles équivalents, privé et public, a
suscité un certain malaise au sein du secteur public.
Aux
problèmes d'identité de France 2 engagée dans une
épuisante course à l'audience, s'ajoute désormais la crise
de croissance de France 3 qui se sent, à tort ou à raison, mal
préparée au progrès technique et, surtout, mal
récompensée de ses succès d'audience.
La situation actuelle n'est pas claire. Au vu des contraintes pesant sur
l'ensemble des chaînes généralistes nationales
, on ne
distingue plus clairement le secteur privé du secteur public,
qui,
l'un et l'autre, peuvent se réclamer du triptyque " informer,
éduquer, distraire ".
Le secteur public n'a plus le monopole de l'information, et, de façon
bien plus évidente encore, celui de la distraction. Quant aux fonctions
éducatives et culturelles, elles ont disparu des écrans des
chaînes généralistes aux heures de grande écoute
pour être diffusées au plus profond de la nuit pour le seul
bénéfice des couche-tard, voire des insomniaques. La culture,
l'éducation existent mais pour les rencontrer, il faut aller sur un
cinquième canal, que son image encore austère ou élitiste
empêche d'aller à la rencontre de tous les publics.
France 2 et France 3 ne sont pas, en dépit de la bonne
volonté qui les anime, ces grandes chaînes
généralistes de référence qui seules peuvent donner
une dimension nationale populaire aux missions de service public : offrir
aux téléspectateurs des rendez-vous qui permettent
d'élargir leurs connaissances et de stimuler leur curiosité,
encourager la création, telles sont les vraies raisons d'être des
chaînes financées par la collectivité.
Aujourd'hui, le secteur public fait l'objet d'une sorte de culte officiel sans
rapport avec la réalité des programmes et de stratégies,
en fait entièrement dictées par la volonté de se livrer
à une concurrence frontale avec secteur privé, telle qu'elle est
imposée par la structure du budget.
Les pouvoirs publics sont pleinement responsables de cette dégradation.
D'abord, parce qu'ils ont eu tendance à perdre de vue l'idée de
culture pour tous qui caractérisait les temps héroïques des
années 50 et 60 ; ensuite, parce qu'ils ont refusé de donner
au secteur public le financement public nécessaire à son
développement et qui lui aurait évité de rechercher
frénétiquement des ressources publicitaires, au point de gommer
la différence entre les deux secteurs.
Personne n'est satisfait :
-
• le secteur public généraliste, qui ne sait plus
où il en est, et n'assure
en matière culturelle qu'un service
minimum
;
• le secteur privé, qui ne dissimule pas son mécontentement de voir son concurrent jouer sur tous les tableaux pour capter des recettes publicitaires ;
• le téléspectateur, enfin, qui ne voit plus bien la différence et finira peut-être par voter avec sa télécommande, diminuant l'audience des chaînes, minant ainsi la légitimité de la redevance. Il ne faut pas oublier que, en Europe, l'audience des chaînes publiques a fortement diminué, passant de plus de 80 % au début des années 80, à moins de 50 % depuis 1994.
En
fait, dans un paysage hertzien encombré, - trois réseaux et
quatre chaînes publiques ; trois chaînes privées dont
une à péage - et qui pourrait être profondément
remodelé par la montée des chaînes du câble et du
satellite, il est urgent de redéfinir les missions du service public et
de régler le problème de la division des tâches.
Une réflexion devrait être engagée sur le
périmètre et la place de l'audiovisuel public et sur la
répartition des rôles entre ses différentes composantes.
Trois pôles ont fini, plutôt laborieusement, par émerger
même si les structures et les missions sont encore floues :
-
• Le pôle de la demande avec France 2 et France 3 ;
• Le pôle de l'offre avec ARTE-La Cinquième en cours de regroupement sur le cinquième Canal ;
• Le pôle extérieur dont la restructuration vient d'être annoncée après des années d'atermoiements.
Il y a là un choix stratégique pour le service public, dont les implications, en termes de structures et de logique de développement, sont assez différentes :
-
• Soit le secteur public se recentre sur ses activités de
diffuseur au service de la culture du pays pour devenir une sorte de service
audiovisuel universel au risque de devenir un acteur parmi d'autres :
telle est la logique qui consiste à inciter le service public à
être présent sur tous les bouquets comme un complément
naturel - mais peut-être aussi marginal - des offres
commerciales ;
• Soit il se donne l'ambition d'être un opérateur à part entière, une véritable entreprise, capable d'innover, de créer des chaînes thématiques, au risque, cette fois-ci, de s'éloigner tôt ou tard de l'esprit de service public. Une telle stratégie, ambitieuse, évidemment plus motivante pour les personnels - c'est celle que semble avoir choisie France Télévision 32( * ) - est aussi plus risquée du fait des moyens financiers qui seront vite nécessaires.
En définitive, la mission du service public audiovisuel, c'est, en France, de contribuer au renforcement de ce lien social nécessaire à la cohésion nationale et, à l'étranger, de permettre à tous ceux qui le veulent de continuer à penser, agir et rêver en français. Quand moins de 2 % de la population du monde est encore francophone, un tel objectif justifie que les Français se mobilisent pour la sauvegarde du secteur public audiovisuel. Celui-ci doit être maintenu non comme un attribut régalien, mais comme l'expression de la volonté d'une nation qui entend défendre sa langue et sa culture.
L'image a cessé d'être une denrée rare monopolisée par l'État. Des opérateurs privés sont aujourd'hui des acteurs importants, pour ne pas dire déterminants, d'un paysage audiovisuel devenu mondial. Il faut en prendre acte. Maintenant, si l'on peut légitimement laisser les contenants à l'initiative privée, les contenus ne peuvent être confiés aux seuls pouvoirs des marchés.
Dès lors qu'il s'agit de culture et d'information, l'État ne peut laisser se développer une concurrence sauvage. Il doit veiller au bon fonctionnement des lois du marché, sans pour autant recourir à un excès de réglementation qui étouffe l'initiative et inhibe le sens des responsabilités. Cette présence de l'État qui fait autant de place à la concertation qu'à la coercition porte un nom, c'est la régulation.
Le secteur public est un élément fondamental de ce dispositif. Il doit à ce titre bénéficier des moyens de son développement. Celui-ci ne pourra se poursuivre de façon équilibrée que s'il repose sur la nette prépondérance de financement public au sein de son budget.
Espérons que les errements passés suffiront à convaincre Gouvernement et Parlement d'une telle nécessité.
COMPTE RENDU DU DÉBAT EN COMMISSION DES FINANCES
Le
mercredi 27 mai 1998
Présidence de M. Christian PONCELET, Président
QUESTIONS DE M. ALAIN LAMBERT, RAPPORTEUR GENERAL -
-
1? Ne pensez-vous pas que l'État doive se limiter aux règles
principales et ne pas trop intervenir ?
2? Que peut-on faire pour les télévisions locales?
3? L'exception culturelle française et européenne a-t-elle un véritable avenir ?
4? Les mariages entre groupes industriels et groupes de communication comportent-ils des risques ?
5? Pouvez-vous commenter la situation de Microsoft face à la justice américaine ?
En ce qui concerne la première question, je ne défends pas la création de réglementations nouvelles, j'estime par contre qu'il faut rendre plus efficaces celles qui existent. Dans ce domaine, les alternances politiques n'ont pas facilité les choses. Prenons un exemple : la Haute Autorité a été créée en 1982 ; en 1986, le Conseil national de la communication et des libertés lui succédait. Puis depuis 1989, ce fut le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) qui, je l'espère, aura une plus longue vie. Je me suis, du reste, toujours opposé à de telles conséquences des alternances politiques.
S'agissant de notre position très minoritaire dans le monde (programmes audiovisuels), la seule réponse tient dans l'amélioration de l'exportation. J'ai fait, au nom de la commission des finances des propositions constantes aux gouvernements successifs. Mais, l'influence des corporatismes n'a permis que des actions à courte vue.
Le problème des télévisions locales sera vraisemblablement étudié au cours des débats consacrés au projet de loi sur la communication audiovisuelle. Mais, d'ores et déjà, une solution pourrait être trouvée par le biais d'un accord entre la presse quotidienne régionale et les chaînes de télévision.
L'exception culturelle a ses limites. Les quotas sont indispensables mais ne règlent pas tout. Ils ne garantissent pas la victoire. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner les décisions du jury lors du récent festival de Cannes. Deux actrices françaises ont été distinguées, mais la France ne l'a pas été autrement. Il ne faut pas qu'une exception culturelle mal comprise nous place hors de l'évolution culturelle du monde.
S'agissant des démêlés entre Microsoft et la justice américaine, il semble que si Microsoft l'emportait, cette société aurait alors des chances d'envahir la planète.
QUESTIONS DE M. JEAN-PHILIPPE LACHENAUD -
-
1? Que devient la Société française de production (SFP)
et quel est son avenir ?
2? Qu'en est-il des dispositifs anticoncentration qui devaient s'inscrire dans le futur projet de loi sur la communication audiovisuelle ?
3? Avez-vous connaissance du contenu des lettres de cadrage sur l'audiovisuel pour le budget 1999 ?
Concernant la SFP, cette société a coûté plus de 2 milliards de francs au budget. Le principal responsable de cette situation est l'État. En effet - au départ, en 1975 - celui-ci n'a pas voulu ou n'a pas su capitaliser correctement cette société, ni lui assigner des missions claires et pas davantage lui imposer des méthodes satisfaisantes de gestion.
S'agissant de la loi anti-concentration, le Gouvernement actuel avait exprimé l'idée de revenir sur la loi du 1er février 1994. Personnellement, j'ai toujours été favorable à ce qu'une société puisse détenir au moins 49 % du capital d'une chaîne. Ceci afin que les sociétés françaises soient plus puissantes qu'elles ne le sont aujourd'hui. Sur ce point, Mme Trautmann semble avoir été sensible à notre argumentation.
Sur les lettres de cadrage pour le budget 1999, Mme Trautmann a bien voulu m'en faire connaître les grandes lignes ; elles me paraissent assez satisfaisantes.
QUESTION DE M. EMMANUEL HAMEL -
Existe-t-il une volonté de réglementer les programmes diffusés par la télévision ? On peut y voir régulièrement des scènes de violence affolantes. Financièrement, politiquement, est-il possible de réglementer ce qui est diffusé à la télévision ?
RÉPONSE DU RAPPORTEUR
Nous réfléchissons à cette question et depuis longtemps. Nous avons fait de nombreuses propositions qui, pour la plupart, sont restées sans suite. Pourquoi autant de violence à la télévision ? Réponse : parce que la violence attire les téléspectateurs ! Quels étaient les deux moteurs de la tragédie grecque ? Réponse : l'amour et la mort. Aujourd'hui, le sexe et la violence ; tels sont les ressorts de l'émotion humaine.
Quelles solutions trouver, réponses : avertir le téléspectateur et rendre possible la responsabilisation des familles, notamment par la mise en place de la "puce antiviolence". Ce système est déjà en vigueur au Canada. Il va être prochainement adopté par les États-Unis. Pourquoi ne pas le faire en France ? Il s'agit de donner à chacun le pouvoir d'assumer ses responsabilités.
QUESTION DE M. RENÉ TREGOUËT -
Actuellement, la télévision est un tout, mais cela va changer de nature. Vous aurez toujours un émetteur, mais un ordinateur traitera tous ces signaux. Ce sont ceux qui détiendront les "tuyaux" et les "terminaux", qui auront la capacité de définir les programmes. Dans ce contexte, notre télévision publique ne pourrait-elle pas se rapprocher de notre opérateur national, France Télécom, qui détient les tuyaux ?
RÉPONSE DU RAPPORTEUR
En ce qui concerne les évolutions technologiques que vous évoquez, on pourra bientôt tout espionner sur Internet ! Internet rendra tout possible : l'excellent et le pire.
Quant au rapprochement France Télécom/France Télévision, il s'exerce déjà au sein de TPS. A long terme, il faut se demander si France Télécom aura toujours l'argent disponible pour répondre aux sollicitations de l'Etat.
QUESTIONS DE M. MICHEL CHARASSE -
-
1? Vous avez réaffirmé la nécessité d'un
État fort en matière audiovisuelle. Cependant, je vous rappelle
que cet État, qui est tout, ne dirige rien, puisqu'il a
délégué son autorité au CSA (Conseil
supérieur de l'audiovisuel) et à l'ART (Autorité de
régulation des télécommunications). Il serait
intéressant pour le Sénat de pouvoir apprécier comment ces
délégataires du pouvoir public exercent leur fonction et,
notamment, la manière dont les sanctions sont appliquées.
2? Des dispositions dérogatoires ont été prévues pour le secteur public, notamment pour la publicité. La loi l'a voulu parce qu'elle considère que le service public audiovisuel ne doit pas être comme les autres. Pouvez-vous me dire actuellement quelle est la différence entre le secteur public et le secteur privé concernant les programmes télévisuels ? Le rapporteur spécial peut-il répondre à cette question : un service public se justifie-t-il encore ?
3? Je souhaiterais connaître le délai de la renégociation de la convention collective.
4? Serait-il possible d'avoir une comparaison au m² du coût de France Télévision par rapport à TF1.
5? Il me paraît injuste de dire qu'il y a défaillance de la tutelle pour la SFP. Il serait intéressant de dire que les actionnaires privés ont été défaillants aussi, notamment TF1.
6? Je voudrais également être éclairé sur le conflit ouvert entre le service public et les pratiques ruineuses de l'INA ?
7? L'Assemblée nationale aurait l'intention de lier la redevance télévision à la taxe d'habitation. En savez-vous plus sur ce point ? J'avais, pour ma part, tenté, il y a quelques années, un rapprochement du fichier Télévision avec le fichier des abonnés aux chaînes codées et aux abonnés du câble. Cette mesure avait été refusée comme cavalier budgétaire. Je vous rappelle qu'un milliard de francs sont en jeu dans cette affaire !
S'agissant de l'exercice par l'État de ses prérogatives, notamment lorsqu'il le fait par l'intermédiaire du CSA et de l'ART, il n'existe guère de sanctions mais c'est là un problème général dans notre pays ; on n'aime pas beaucoup sanctionner. Comme vous le souhaitez, je demanderai un bilan des décisions du CSA à son Président M. Hervé Bourges et je vous le ferai connaître dès réception.
INTERVENTION DE M. MICHEL CHARASSE -
Entre parenthèses, j'ai demandé au CSA une décision sur une radio locale dans mon département. Je n'ai pas obtenu de décision. J'ai donc brouillé moi-même la radio. A ce moment-là, le CSA est intervenu !
RÉPONSE DU RAPPORTEUR
Vous m'avez demandé si le service public audiovisuel n'était pas devenu le " clone " du secteur privé. Peut-être ! C'est parce que la publicité est devenue la seule variable d'ajustement du budget du service public de l'audiovisuel. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que le secteur public se trouve dans l'absolue nécessité de se mettre au niveau du secteur privé en utilisant les mêmes méthodes, puisqu'on lui impose les mêmes moyens. Les Gouvernements de droite et de gauche - depuis une quinzaine d'années - en sont responsables.
Il reste cependant des émissions spécifiques au service public : les émissions religieuses, l'expression syndicale et politique ; sur France 3, l'émission "Les petits bonheurs".
Quant au prix au m² de TF1, je vais le demander pour essayer de le mettre dans le rapport.
Concernant la redevance télévision, pourquoi M. Rousselet, dites-vous, n'a-t-il pas voulu du rapprochement avec le fichier des abonnés à Canal + ? Peut être, parce que des abonnés au câble étaient exonérés de la redevance : certes. Mais, plus sérieusement, parce qu'une telle mesure pouvait mettre en cause la confidentialité commerciale.
M. MICHEL CHARASSE - Ne pourrait-on pas tenter de reprendre cette mesure ?
M. LE PRÉSIDENT - Le rapport d'information pourrait évoquer cette question.
M. JEAN CLUZEL - J'ai toujours été partisan de la redevance. Ses enjeux économiques sont importants et ses enjeux culturels encore davantage. Acquitter une redevance, ce doit être le prix à payer pour maintenir notre capacité de production audiovisuelle.
QUESTION DE M. MAURICE BLIN -
Comment faire face à l'envahissement du marché européen par les produits américains ? Celui-ci a des conséquences sur le plan culturel. En effet, tant que le cinéma américain était un cinéma d'auteur, nous luttions avec les mêmes armes mais aujourd'hui, il y a une énorme différence entre le cinéma d'auteur et le cinéma "produit" fabriqué à partir d'une étude de marché. Dans ces conditions, je ne vois pas, et je le déplore, comment les Européens peuvent être à même de répondre à une telle concurrence.
RÉPONSE DU RAPPORTEUR -
Que fait-on contre l'envahissement des sous-produits américains ? Ma réponse est : pas assez. J'ajoute que, sous la présidence de M. Poncelet, nous avons commencé une étude sur les aides publiques au cinéma. Je pilote cette étude qui sera présentée prochainement à l'Office d'évaluation des politiques publiques.
Nous avons inventé, avec les Américains, le cinéma. Mais les Américains ont conservé les leçons de Molière : une histoire et du spectacle. Il semble que les enseignements de Molière aient été oubliés en France ! Le "Titanic" a battu en trois mois le record de "La grande vadrouille", parce qu'il présente une histoire et qu'il offre du spectacle.
QUESTIONS DE M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT -
-
1? Quels seront les effets sur la presse écrite de l'évolution
technologique et commerciale de l'audiovisuel et du marché publicitaire ?
2? Va-t-on réussir un jour à établir un code déontologique pour les professions de l'information ?
RÉPONSES DU RAPPORTEUR
Les craintes de M. Poncelet pour la presse écrite sont justifiées. Notre premier quotidien national français tire à 400 000 exemplaires (mais OUEST FRANCE à plus de 900 000). Le premier quotidien danois, à 600 000, ce qui représenterait plus de 5 000 000 d'exemplaires pour la France. Il existe un vrai problème de lecture de la presse dans notre pays. Concernant la déontologie de l'information, c'est avant tout une question de responsabilité personnelle et de respect de quelques grands principes.
M. LE PRÉSIDENT -
Merci, M. le Rapporteur spécial pour toutes ces précisions. Je demande à présent à la commission d'approuver cette communication.
Elle est adoptée à l'unanimité et sera publiée sous la forme d'un rapport d'information.
1
" La société en
réseau " Fayard 1998.
2
Votre rapporteur analyse dans le tome II du rapport le coût
de la politique immobilière du secteur public.
3
Asymetric Digital Suscriber Line
4
Le standard de télévision actuel est de
525 lignes en NTSC (standard américain), celui de la
télévision numérique sera au choix de 480, 720 ou
1 080 lignes. Seuls les deux derniers donnent une image haute
définition.
Le mode de " lecture " des signaux est tout aussi important que le
nombre de lignes. Il peut être " progressif " comme dans le cas
des écrans d'ordinateur, ou "entrelacé" comme dans celui des
téléviseurs actuels. Le premier est mieux adapté à
la transmission de texte que le second qui favorise l'image en mouvement.
5
Rapport du groupe de travail sur l'Ingénierie du spectre de
la télévision numérique ANF 1998.
6
Rapport du groupe de travail du ministère de l'industrie
sur la télévision numérique terrestre : potentiels de
la télévision numérique de terre et conception des
récepteurs numériques. Patricia Langrand et François
Moreau de Saint-Martin 1998.
7
Le décret n° 92-280 qui fixe le régime
applicable à la publicité par rapport notamment à la
directive " télévision sans frontières " du 3
octobre 1989, définit la publicité comme " toute forme de
message télévisé diffusé contre
rémunération ou autre contrepartie, en vue, soit de promouvoir la
fourniture de biens ou de services, y compris ceux qui sont
présentés sous leur appellation générique dans le
cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de
profession libérale, soit d'assurer la promotion commerciale d'une
entreprise publique ou privée. "
Outre des règles de fond portant sur le contenu même des messages
(véracité, usage de la langue française, bonnes moeurs et
ordre public), la publicité est soumise à des règles
techniques : limitation du volume sonore qui " ne doit pas
excéder le volume sonore moyen du reste du programme " coupure
unique sauf dérogation des films - en application de l'article 73
de la loi du 30 septembre 1986 -, durée minimale de 20 minutes entre
deux écrans publicitaires pour la même émission,
interdiction des coupures publicitaires pour certaines émissions
(actualités magazines retransmissions religieuses).
Enfin, l'article 8 du décret précise le dispositif
législatif qui exclut déjà la politique, les armes
à feu, le tabac et l'alcool - de plus de 1.2 degré -,
l'assistance juridique et les demandes d'emploi en y ajoutant :
l'édition littéraire le cinéma, la presse et sauf dans les
DOM-TOM la distribution.
8
Extraits de l'étude du Conseil supérieur de
l'audiovisuel.
9
Cf. note par 39.
10
La loi du 29 juillet 1982 disposait que " la communication
audiovisuelle est libre " et créait une Haute Autorité,
première instance de régulation de la communication
audiovisuelle, prédécesseur de l'actuel Conseil Supérieur
de l'Audiovisuel, créé par la loi du 17 janvier 1989, en
remplacement de la Commission Nationale de la Communication et des
Libertés, créée par la loi du 30 septembre 1986.
Mais, et cela s'explique par la véritable révolution que
constituait cette première tentative de mise à mal du monopole
d'État,
le mot de régulation lui-même n'est pas
introduit dans la loi de 1982, pas plus d'ailleurs que dans celle du
30 septembre 1986 qui lui a succédé
.
En fait, il a fallu attendre la loi du 27 juillet 1996 sur les
télécommunications pour que, dans un domaine connexe, le
législateur utilise le mot de régulation.
Entre ces deux dates, du temps avait passé, qui avait consacré la
montée d'une notion sans racines dans notre histoire juridique.
-
11
Dans sa version initiale, la loi du 30 septembre 1986
limitait à 15 millions d'habitants la desserte du deuxième
réseau d'un groupe radiophonique exploitant déjà un
réseau d'une couverture de 30 millions d'habitants. Un même
groupe ne pouvait donc exploiter deux réseaux à vocation
nationale.
L'article 15 de la loi du 1er février 1994 a modifié les règles de seuil posées aux articles 41 et 41-3 de la loi du 30 septembre 1986 en portant à 150 millions le nombre total d'habitants pouvant être desservis par un même groupe pour l'exploitation de plusieurs réseaux radiophoniques. Il a, par ailleurs, donné du réseau une définition fondée sur l'identité du programme diffusé (article 41-3) qui élimine une des voies de contournement utilisées antérieurement.
12 Un fonds de soutien à l'expression radiophonique locale a permis le financement public des radios non commerciales. Le principe d'une aide financière aux radios locales associatives non commerciales a été posé par les lois de 1982, puis 1986. Le fonds est alimenté par une taxe parafiscale assise sur les recettes publicitaires des services de radiotélévision.
Sont éligibles au fonds d'aide les services titulaires d'autorisation " dont les ressources commerciales provenant de messages diffusés à l'antenne et présentant le caractère de publicité de marque ou de parrainage sont inférieures à 20 % de leur chiffre d'affaires ".
13 La loi du 1er février 1994 impose, depuis le 1er janvier 1996, de diffuser " un minimum de 40 % de chansons d'expression française, la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions ".
Les quotas de chansons appliqués sans exception à toutes les stations ont été très controversés mais leur application s'est effectuée de manière relativement réussie, malgré la désapprobation de certains réseaux musicaux.
14 Selon Libération du 17 février 1997 : " La plupart du temps, le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'a d'autre choix que de régulariser ces situations de fait, ou condamner la station à mettre la clé sous la porte. Les sages de l'audiovisuel n'ignorent rien de ces " magouilles " ( le mot est d'Hervé Bourges ) (...) Le Conseil supérieur de l'audiovisuel disposerait d'une liste de 150 fréquences désirant changer de catégorie ".
15 Il est important d'en citer un long passage :
" C'est le Gouvernement constitué au lendemain des législatives de 1993 qui a accentué les phénomènes de concentration en faisant adopter une loi autorisant les groupes de tête des opérateurs de télévision à monter jusqu'à 49 % des parts sociales. La loi dite Carignon, portant également le plafond d'audience potentielle des groupes radiophoniques à 150 millions d'auditeurs, a favorisé les regroupements de réseaux autour des principaux acteurs du secteur (NRJ, Europe, CLT, RMC), tout en privant le Conseil supérieur de l'audiovisuel de l'exercice effectif de son contrôle sur les opérateurs à travers un système de reconduction automatique des autorisations dont on a pu mesurer les effets pervers.
" Faut-il désormais inverser le mouvement ? Peut-on le limiter ? Est-ce l'heure de le faire ? La concentration est un phénomène mondial. Les géants du disque, qui contrôlent 80 % de la production musicale mondiale sont des groupes multimédias et multinationaux : Sony Music, BMG (Bertelsmann Music Group), Polygram/Philips, Thorn-EMI... On les retrouve dans l'audiovisuel, comme constructeurs ou comme producteurs. Du côté des supports, l'administration américaine fait tout son possible pour favoriser les fusions entre câblo-distributeurs et opérateurs de télécoms en vue de doper la concurrence sur les autoroutes de l'information. Outre-Atlantique, à vrai dire, il y a belle lurette que certains tabous sont tombés. Ainsi, les règles de la Commission fédérale pour la communication (FCC) garantissant l'indépendance de la production audiovisuelle à l'égard des réseaux nationaux de télévision (networks), à laquelle se réfèrent en toute occasion les milieux français du cinéma et de la télévision, ont été rangées au rayon des affaires classées depuis qu'un juge a estimé qu'aucun réseau n'occupait désormais plus de position dominante, dans la mesure où ni ABC, ni CBS, ni NBC n'étaient en mesure de contrôler plus de 15 % du marché audiovisuel américain.
" La FCC a dû réviser les règles qu'elle avait précédemment fixées. D'ailleurs, aujourd'hui, ce sont les studios (les fabricants de contenus) qui contrôlent les diffuseurs. Est-ce à dire qu'il n'y a qu'à laisser faire les lois du marché et tout attendre des opérations de Bourse ? Assurément non. Mais il n'est plus ni possible, ni raisonnable de penser dans un cadre étroitement hexagonal en matière de communication.
" Il convient de prendre la juste mesure des choses. TF 1 continue de peser d'un poids particulier sur notre industrie de programmes. Idem pour Canal + dans l'univers de la télévision payante et, indirectement, du cinéma et du spectacle sportif. Sans les investissements de ces deux poids lourds du privé, l'industrie des programmes serait presque totalement dépendante des chaînes publiques.
" De pareilles influences ne peuvent s'exercer sans contrepoids. Certains ont suggéré l'instauration de plafonds d'audience, tous supports audiovisuels confondus, par groupe de communication, suivant un exemple allemand, pour prévenir le risque de position dominante... Tout dépend du seuil : on a évoqué le chiffre de 15 % de l'audience. L'idée serait irréaliste sur un marché aussi étroit que la France : à un tel niveau d'écoute (et par conséquent de recettes), La Cinq n'a pas survécu ; TF 1 ne s'en tirerait pas davantage ; une chaîne publique telle que France 2, non plus. En revanche, le chiffre de 35 % - 40 % pourrait constituer un objectif raisonnable.
" Il convient, en outre, de garantir davantage l'indépendance des médias vis-à-vis de leurs actionnaires, voire de leurs régies publicitaires. L'idée d'un dispositif anti-concentration peut y contribuer, et favoriser à terme l'entrée de nouveaux acteurs dans l'industrie audiovisuelle.
" Mais chacun doit être conscient qu'il s'agit là d'un choix prospectif et à longue échéance. Quel que soit le seuil de contrôle retenu, 25 % du capital par exemple, une loi anticoncentration adoptée aujourd'hui ne pourra vraisemblablement avoir d'effets que dans le futur : lors de l'attribution de nouvelles autorisations à de nouveaux opérateurs. C'est-à-dire en pratique dans quatre ou dans neuf ans. Le juge constitutionnel déjà appelé à se prononcer en octobre 1984 sur un texte anticoncentration, alors baptisé " loi Hersant ", l'avait privé d'efficacité, considérant que le législateur pouvait adopter pour l'avenir des règles plus rigoureuses concernant l'exercice d'une liberté publique, mais qu'il ne pouvait remettre en cause les situations acquises que dans deux hypothèses : si ces situations ont été obtenues illégalement ou s'il apparaît nécessaire de restaurer un pluralisme effectif.
" Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, les opérateurs ont été désignés à l'issue de procédures légales et la composition de leur capital a été approuvée, à l'époque. Quant au pluralisme, celui-ci n'est-il pas garanti au premier chef par la loi audiovisuelle ? On recherchera en vain dans les autres législations une règle imposant la répartition des temps de parole entre Gouvernement, majorité et opposition à l'ensemble des diffuseurs, y compris les opérateurs privés. Quoi qu'il en soit, il sera toujours bon de fixer des principes anti-concentration pour les temps, et les médias, à venir.
" Et dans l'immédiat ? Si l'on désire répondre aux inquiétudes légitimes des acteurs de l'industrie audiovisuelle, ne serait-il pas souhaitable d'accorder au Conseil supérieur de l'audiovisuel une plus importante marge d'intervention en matière de régulation économique ? Ne serait-il pas utile, par exemple, que le conseil soit en mesure de contrôler effectivement les risques de distorsion de la concurrence résultant de contrats de coproduction avec des diffuseurs, voire des interférences existant entre achat de droits de diffusion et distribution cinématographique ?
" Le droit français hésite à confier à une autorité indépendante le traitement de dossiers impliquant l'adoption de décisions de caractère réglementaire ; c'est même une doctrine constante du juge constitutionnel, là aussi. Dont acte. Mais ne pourrait-on définir des domaines de régulation économique pour lesquels le Conseil supérieur de l'audiovisuel serait compétent, au moins au stade de l'instruction et de la recommandation ?
" Il appartient au Gouvernement, et sans doute au législateur, d'ouvrir la voie à un tel aggiornamento de la régulation audiovisuelle. En même temps, n'oublions jamais que la véritable concentration se joue ailleurs. Les " géants " de l'audiovisuel français, TF 1 et Canal Plus se situent aux alentours du dixième rang européen... et du trentième rang mondial en termes de chiffre d'affaires. Ce qui pose un problème tout aussi sérieux, à la réflexion. "
16 On décèle dans la définition donnée par la Cour de Justice des Communautés européennes dans l'affaire United Brands des critères intéressants pour analyser une situation de fait : " une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement, des consommateurs. "
17 Cette catégorie intermédiaire regrouperait l'ensemble des services, nouveaux ou existants, caractérisés par le fait qu'ils sont fournis à distance par des moyens électroniques, sur demande individualisée d'un destinataire de services.
Au cours de l'année 1997, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a diligenté sept plaintes pour émission de radiodiffusion sonore sans autorisation et une plainte à l'encontre d'une radio ne respectant pas une décision de suspension. La liste de ces plaintes figure en annexe dans le tome II du présent rapport.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel dispose de toute une palette de sanctions administratives. Il peut , en application de l'article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986, après mise en demeure du titulaire suspendre l'autorisation ou une partie du programme, réduire la durée d'autorisation dans la limite d'une année ou prononcer une amende assortie éventuellement d'une suspension, sans préjudice pour les cas les plus graves du retrait de l'autorisation.
Observant que l'efficacité d'une sanction est nécessairement plus limitée lorsque celle-ci intervient dans un délai trop éloigné, le Conseil supérieur de l'audiovisuel souhaite que soit limitée pour les infractions les plus graves la procédure très protectrice de l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 prévoyant, notamment, la nomination d'un rapporteur désigné par le vice-président du Conseil d'État.
On doit noter que le recouvrement des sanctions pécuniaires n'est pas de la responsabilité du Conseil, mais du pouvoir exécutif. Il est indispensable que celles-ci soient rapidement recouvrées.
19 Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée, Danemark, États-Unis, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Irlande, Islande, Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Turquie ont entamé en mai 1995 la négociation d'un accord multilatéral sur l'investissement.
20 L'expression est de M. Jean-Louis Missika, mais votre rapporteur la reprend volontiers à son compte pour les avoir régulièrement énumérées sans autre réaction des Gouvernements successifs.
21 N'en font pas partie, Arte, La Cinquième et les organismes de l'audiovisuel extérieur.
22 Dans lequel il faut inclure des dépenses à caractère social, récapitulées dans le tableau ci-dessous :
Référence 1996 |
Participation (en francs) |
Effectif |
Participation par employé |
Radio France |
38 890 000 |
4 493 |
8 656 |
France 2 |
30 430 543 |
1 915 |
15 891 |
France 3 |
56 231 858 |
4 986 |
11 278 |
RFI |
6 246 434 |
897 |
6 964 |
RFO |
10 031 459 |
1 626 |
6 169 |
La 7-ARTE |
2 700 000 |
204 |
13 235 |
La Cinquième |
1 800 000 |
183 |
9 836 |
INA |
6 600 677 |
1 080 |
6 112 |
23
Les annexes 8 et 10 au règlement
général de l'assurance - chômage, applicables aux
intermittents et artistes des activités du spectacle, ont fait l'objet
le 29 avril 1997 d'une nouvelle prorogation, de sorte qu'elles expirent
à la fin de 1998, en même temps que la convention qui régit
l'assurance - chômage, le règlement qui lui est annexé et
les autres annexes au règlement général.
A l'initiative du ministre chargé du travail - conformément
aux recommandations de M. Pierre Cabanes - une commission mixte paritaire a
été mise en place en octobre dernier, présidée par
un membre de l'inspection générale des affaires sociales,
où sont représentées les organisations d'employeurs et de
salariés représentatives du spectacle vivant, de la production
cinématographique et de l'audiovisuel (production, prestations
techniques, diffusion).
Cette commission a pour objet de définir conventionnellement les
conditions de recours au contrat à durée déterminée
dit d'usage dans les activités du spectacle, qui est la forme d'emploi
spécifique des intermittents dans ces activités.
Elle devrait achever ses travaux à l'automne prochain, de façon
que ceux-ci puissent être pris en compte dans la renégociation des
annexes 8 et 10, qui relève, comme pour tous les autres textes qui
régissent l'assurance - chômage, du niveau national
interprofessionnel, dans le cadre de l'UNEDIC.
24
Progression dénoncée avec constance par la
commission des finances du Sénat
25
Cet organisme, créé en 1994, regroupe les
principaux producteurs et exportateurs de programmes audiovisuels. Il a pour
mission de favoriser l'exportation des programmes de télévision
et de promouvoir l'industrie française à travers des actions
collectives (stand France au NATPE, au MIP ASIA, missions en Amérique du
Sud, en Asie, site Web,...).
En 1998, le budget de TVFI est de 16 millions de francs contre
15 millions de francs en 1997. Le Centre National de la
Cinématographie a augmenté de 30 % sa participation qui
s'élève à 8 millions de francs en 1998, contre
6 millions de francs en 1997. Les autres principaux partenaires, qui sont
le Ministère des Affaires Étrangères et la Procirep,
financent TVFI à hauteur respectivement de 1,3 million de francs et
2 millions de francs. Les adhérents assument par leurs cotisations
l'intégralité des frais de structure, soit 3,7 millions de
francs, ce qui mérite d'être souligné.
26
Rapport d'audit de TV5 et CFI de l'inspection des finances - mai
1995
Rapport de M. Jean-Paul Cluzel et Philippe Meyer - juin 1997
Rapport de M. Patrick Imhaus - octobre 1997
" Pour une nouvelle dynamique de la présence française dans
le monde par les médias ", rapport de M. Jacques Pomonti,
inspecteur général au secrétariat d'État à
l'Industrie- décembre 1997
1
Présentation de l'état des bouquets par le
Ministère des Affaires étrangères à venir
27
La société de consommation, Le point de la question
1970
28
Ibidem
29
Sur la télévision Liber 1996
30
Libération, 14 janvier 1998.
- 31 Au scrutin public à l'unanimité moins une voix avec, du reste, le plein accord du Ministre de l'époque.
Grâce à une nouvelle offre de programmes thématiques, France Télévision se diversifie, innove et se ménage de nouvelles perspectives de croissance. Les chaînes thématiques continuent par d'autres moyens l'ambition de France 2 et France 3 : s'adresser à tous les publics. Elles élargissent les choix, en développant à l'écran des thèmes qui sont légitimement du ressort des chaînes de service public : l'histoire, l'information, la culture musicale classique par exemple.
L'investissement de départ de nos chaînes thématiques est consenti par France Télévision ainsi que par des partenaires associés à ses projets. Leur autonomie financière est ensuite complète. Le développement actuel du numérique, ainsi que la nature des thèmes privilégiés, nous autorisent à fonder de sérieux espoirs dans la rentabilité, à terme, de ces investissements.
Le financement de ces services, et avec lui le fonctionnement de ces chaînes, est assuré par le produit des abonnements. Ils sont proposés en sus du service assuré par France 2 et France 3, financé par la redevance et la publicité, et doivent trouver leurs propres ressources sur une base individuelle et choisie par le téléspectateur, sans risque de confusion entre les deux sources de financement.
Déjà largement impliquée dans le développement de chaînes thématiques comme la chaîne d'information Euronews, la chaîne de la fiction Festival, la chaîne Histoire, et aussi la chaîne des plus jeunes Télétoon, France Télévision édite trois nouvelles chaînes : Mezzo, la chaîne de la musique classique, de l'opéra et de la danse, lancée fin mars par France 2, la chaîne Régions, qui sera lancée par France 3 dans la première quinzaine de mai, articulée autour de la découverte, de l'information, de la proximité et des services, et Superfoot, la chaîne ad hoc de la coupe du monde de football. Elle sera entièrement consacrée au football et diffusée en 16/9 avec un son Dolby Surround, pendant la durée de l'événement.
Pour continuer à jouer leur rôle social et civique, les télévisions publiques doivent donc accompagner les téléspectateurs, et veiller à ce que leurs chaînes soient correctement distribuées par les nouveaux réseaux numériques et sur les bouquets satellites.
Notre participation à titre d'opérateur dans TPS correspond à cette volonté d'assurer à nos programmes thématiques un accès à la distribution par satellite, et nous donne un droit de regard sur l'ensemble des activités de gestion correspondantes.
Dans les domaines du sport, des magazines ou des documentaires, nous proposerons sur TPS des services interactifs qui viendront valoriser nos programmes. Roland-Garros, le Tour de France, la Coupe du Monde seront pour nous l'occasion de démontrer notre savoir-faire dans ce domaine.
Une autre de nos priorités est l'amélioration et la modernisation de l'offre télévisuelle traditionnelle.
La numérisation de nos produits audiovisuels apporte une souplesse d'utilisation et une augmentation des capacités de stockage dont France 2 et France 3 doivent profiter.
France 3 a mis en place le premier maillon d'un réseau d'échange d'informations numérique - Spider, dont le but est de tisser une toile d'araignée numérique permettant aux régions de faire circuler l'information d'un bureau à l'autre. L'accès plus rapide et plus aisé à l'information est un des avantages appréciables de cet outil numérique.
La diffusion en 16/9 de France 2 et France 3 sur TPS, mise en valeur par le son Dolby Surround, et l'extension de la diffusion hertzienne terrestre en stéréo du programme de France 2 conduisent à une telle amélioration de la qualité du son et de l'image, qu'elles créent les conditions d'une télévision qui soit un peu un "spectacle chez soi", accompagnant ainsi le fort développement de la vente des téléviseurs "grand écran".
France Télévision est également intéressée par le développement du numérique terrestre, qui permet de répondre à des besoins locaux en programmes et constitue le moyen d'accès le plus souple au numérique. France Télévision participe aux expérimentations en cours, et les décisions de généralisation seront fonction de leurs résultats, au moment où les capacités de distribution des téléviseurs numériques et le coût de la mise en service seront mieux évalués.
L'offre audiovisuelle passe également par l'Action audiovisuelle extérieure : celle-ci ne peut progresser en France qu'à la condition d'une participation active de France Télévision, qui est le premier fournisseur de programmes de TV 5. Tout récemment, et pour se tenir au plus près des préoccupations et des centres d'intérêt des Français de l'étranger et des francophones, France Télévision a décidé de lancer un journal international quotidien de 30 minutes sur TV5, réalisé plus particulièrement grâce aux moyens de France 2 appuyés par ceux de France 3.
Enfin, France 2 et France 3 ont souhaité prolonger leur travail d'antenne en proposant de nombreux services multimédia - Internet - accessibles aux francophones du monde entier. Leur succès est dû pour une grande part à la fréquentation du site par les étrangers. Avec plus de 1 700 000 pages vues par mois, les sites de France Télévision recueillent une des toutes premières audiences en France, et la première parmi les chaînes de télévision.
Cette offre Internet va s'enrichir prochainement d'un Canal Info., qui traitera de l'information nationale, régionale et locale, en associant les contenus des sites Internet de nos deux chaînes. L'interactivité avec notre public y sera privilégiée. Dans ce domaine de l'interactivité, l'expérience Télériviera menée à Nice sur le réseau câblé nous a donné de grandes satisfactions : le téléspectateur peut y jouir d'un accès par rubriques au journal régional.
La technologie numérique présente l'intérêt de pouvoir offrir une qualité d'image et de son ainsi qu'un souplesse d'utilisation exceptionnelles. Notre souhait est. qu'à travers elle : nous tirions le meilleur parti des évolutions technologiques récentes pour donner droit à la création, qui est le centre légitime de notre activité. "