M. JEAN-MICHEL GALABERT, CHARGE D'UNE MISSION SUR LE SUIVI DES REGULARISATIONS, JEUDI 7 MAI 1998
M. LE PRÉSIDENT.- Nous devons vous entendre sous la foi du serment.
(M. le Président donne lecture des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; M. Jean-Michel Galabert prête serment).
M. LE PRÉSIDENT.- À la veille de la clôture de notre rapport, nous vous entendons, Monsieur Galabert, et pour nous permettre d'ajuster nos chiffres et nos impressions, le Rapporteur va vous poser quelques questions complémentaires.
M. LE RAPPORTEUR.- Nous savons la tâche importante que vous avez assumée pour la régularisation des immigrés en situation irrégulière dans le cadre de la circulaire du 24 juin 1997.
Nous avons, avec notre Commission et le Président, visité neuf préfectures représentant à peu près 75 % des régularisations de sans papiers. Et partout nous avons posé la question indiscrète, veuillez m'en excuser, de savoir si elles avaient eu des contacts avec vous. Toutes nous ont dit que vous aviez effectué deux visites dans chaque département. Ceci nous amène donc à vous poser les questions suivantes :
Pouvez-vous exposer les principales difficultés qui vous ont été exprimées quant au déroulement de l'opération :
Quelle est l'origine des observations présentées (préfectures, demandeurs, associations) ?
Ces observations concernent-elles plus spécifiquement certaines catégories de demandeurs ? Ce sont principalement des célibataires d'après ce qui nous a été dit.
Quel a été l'objet des observations (moyens mis en place, procédure, conditions de fond) ?
M. GALABERT.- J'ai visité 25 préfectures, dont une quinzaine où je suis allé deux fois, essentiellement dans la région parisienne et les grandes villes du midi.
Concernant les principales difficultés, au début -et c'était un peu l'objet même de mes déplacements en préfecture- il y a eu le problème d'assurer l'interprétation uniforme d'un point de vue juridique de la circulaire.
J'anticipe sur les célibataires auxquels vous avez fait allusion. Tout à fait au début de l'opération, la notion de célibataire a été comprise, essentiellement à la Préfecture de police, de cette manière : lorsque le Malien disait « je vis seul en France mais j'ai ma femme au Mali », il était considéré comme n'étant pas célibataire. Très tôt le ministère de l'Intérieur a tranché et a fait prévaloir l'interprétation « sans charge de famille en France ».
Là où c'est plus difficile, c'est lorsque la décision du préfet dépend d'un certain nombre d'appréciations de faits : les documents que vous avez remis pour prouver votre séjour sont-ils considérés comme probants ou pas ?
Nous le disons souvent, que ce soit avec les préfets ou avec des personnes comme M. Delarue, si on nous donnait trois ou dix dossiers, nous serions d'accord sur huit, nous nous mettrions d'accord sur le neuvième et sans doute sur le dixième.
On peut essayer d'expliquer dans quel esprit on pense que cela doit être fait, avec que degré d'exigence et de souplesse, mais on ne peut pas garantir que sur un dossier il n'y aura pas de nuances d'appréciation.
C'est ainsi que ce qui a été monté en exergue par les associations, tel dossier dont on dit qu'il aurait reçu un avis favorable à Paris et défavorable en Seine-Saint-Denis, fait désordre, mais ce n'est pas ahurissant.
Au départ, il y a eu des difficultés classiques, notamment savoir quelle était la portée d'un acte de divorce dans un pays du Maghreb, également lorsque la famille de l'enfant est restée dans le pays d'origine alors que celui-ci est venu en France.
Certaines de ces difficultés tiennent à la taille de la préfecture. La Préfecture de police ou celle de la Seine-Saint-Denis rencontrent des difficultés qui ne touchent pas au fond du droit et qui ne mettent pas en cause la bonne volonté des agents. Souvent quand on nous demandait d'intervenir, avec une lettre de l'intéressé ou des personnes qui s'intéressent à lui, le fait d'identifier un dossier à la Préfecture de police n'est pas toujours facile.
En sens inverse, en ce qui concerne des préfectures que je ne suis pas allé voir, nous avons eu quelques inquiétudes dans les toutes petites préfectures qui ont peut-être soixante demandes, mais dont les personnels, à l'opposé de ceux de la Préfecture de Police ou de la Seine-Saint-Denis qui sont des professionnels, manquent d'habitude ; dans l'Ardèche, par exemple, la population étrangère possède surtout des résidences secondaires, aussi la préfecture manque de références pour régulariser soixante ou quatre-vingt personnes.
Dans certains petits chefs-lieux de départements, on a l'impression que cela s'envenime : si sur les trois avocats de la ville l'un est brouillé avec le directeur et l'autre avec le bureau des étrangers, il y a parfois des difficultés.
M. LE RAPPORTEUR.- Avez-vous le sentiment d'avoir été saisi de toutes les difficultés rencontrées ?
M. GALABERT.- Nous avons été saisis par des intéressés, par tous les canaux, par l'irrégulier « lambda » qui a trouvé le numéro de téléphone ou qui écrit. En tout, nous devons en être à 300 ou 350 saisines, ce qui au regard de 150 000 demandes est dérisoire, mais cela finit par faire une typologie d'un bon nombre des difficultés que nous pouvons rencontrer.
À chaque visite que nous effectuons dans une préfecture, même maintenant, les intéressés et les associations nous saisissent.
M. LE RAPPORTEUR.- Avez-vous systématiquement transmis toutes les interrogations à la Direction des libertés publiques ou est-ce vous-même qui avez décidé ?
M. GALABERT.- Ma mission ne me donne pas pouvoir de décision. Tous les quinze jours, nous prenons contact avec le Directeur de Cabinet du ministre, M. Duport, avec mon collègue M. Quinqueton, chargé des dossiers au Cabinet et avec M. Delarue nous nous téléphonons et nous nous voyons.
M. LE RAPPORTEUR.- Avez-vous établi un rapport à la suite de votre déplacement dans les préfectures ?
M. GALABERT.- J'ai fait un compte rendu qui m'a amené à dire, par exemple, à M. Delarue que dans certaines préfectures il fallait qu'il aille voir comment cela fonctionnait, d'un point de vue administratif. J'ai établi un rapport d'étape que j'ai remis au ministre.
M. LE RAPPORTEUR.- Nous demanderons au ministre de nous transmettre votre rapport.
Concernant vos propositions, lesquelles ont été suivies d'effet ?
M. GALABERT.- Celles concernant l'interprétation de la circulaire ont été suivies d'effet. La pratique était d'apposer la mention « salarié » sur les cartes délivrées, la pratique générale a été de le faire sans que cela soit demandé.
J'ai rencontré une préfecture qui avait une pratique inverse, dans ce cas, nous lui avons donné des instructions.
M. LE RAPPORTEUR.- Ont-elles été suivies d'effet ?
M. GALABERT.- En général, oui.
M. LE RAPPORTEUR.- Y a-t-il eu des suites quand la préfecture n'a pas suivi vos propositions ?
M. GALABERT.- En ce qui concerne la qualité d'accueil, beaucoup de préfectures ont eu à coeur d'aménager un local avec une table pour les entretiens avec les personnes. Dans certaines préfectures cela continuait à se passer au guichet et ce compte tenu de possibilités matérielles.
M. LE PRÉSIDENT.- Si vous allez à Foix ou dans d'autres lieux, les locaux sont rares.
M. GALABERT.- L'Ariège a eu dix-sept demandes.
M. LE PRÉSIDENT.- Deux rapports d'inspection ont été établis.
Est-ce à votre demande ?
M. GALABERT.- Non, c'était parallèle. Nous nous sommes entendus pour ne pas nous rencontrer. L'optique d'inspection générale de l'administration est plutôt faite pour porter des jugements.
M. LE PRÉSIDENT.- Ce n'est pas vous qui avez provoqué les rapports d'inspection auprès du ministre ?
M. GALABERT.- Non.
M. LE RAPPORTEUR.- Une autre question :
Avez-vous formulé des propositions particulières concernant le traitement des étrangers non régularisés ?
Considérez-vous le départ du territoire comme la conséquence normale de la non régularisation ?
Quels moyens doivent, selon vous, être utilisés pour exécuter les mesures d'éloignement du territoire ?
M. GALABERT.- D'abord cela se situe au-delà du champ de ma mission qui était de participer à l'opération de régularisation. Selon ma lettre de mission, cela devait prendre fin à la parution du nouveau dispositif législatif. La loi a été publiée à la suite de la décision du Conseil constitutionnel. On a donné jusqu'au 30 mai aux préfectures pour statuer. Il y aura des recours gracieux, je pense donc que le ministre prolongera ma mission quelques semaines.
Après, je peux vous donner une opinion plus personnelle et de citoyen. Bien sûr, la suite logique est le retour au pays. Cela dit, il est tout à fait évident que des aides au retour ont été proposées, il a été constaté qu'elles jouaient dans certains cas, mais pas d'une façon massive. Nous avons reçu l'autre jour encore une lettre d'un intéressé disant : j'ai reçu mon refus il y a trois mois, bien qu'ayant laissé passer le délai d'un mois, puis-je demander l'aide au retour ?
Il lui a été répondu favorablement, il y a un délai mais cela paraissait la solution la plus logique.
M. LE RAPPORTEUR.- Les services suivent-ils ?
M. GALABERT.- Oui. Selon les informations reçues, cela touche des familles arrivées depuis relativement peu de temps et dont l'intégration ne se fait pas. Tout va encore mieux si elles ont des enfants majeurs qui ont un droit propre aux 4 500 francs en plus.
M. LE RAPPORTEUR.- À ce moment-là, si c'est multiplié par trois ou quatre, cela représente une somme assez coquette.
Quels moyens doivent être utilisés pour exécuter les mesures d'éloignement du territoire ? En dehors de l'aide au retour.
M. GALABERT.- Il y a les retours par voie aérienne. Il faut considérer qu'il y a environ 150 000 demandes. Nous avons constaté un nombre important de demandes abandonnées.
Dans le Var, par exemple, cela s'expliquait par la présentation de demandes depuis l'Afrique du Nord, quitte à se domicilier chez un parent qui était dans le Var, ainsi beaucoup de personnes n'ont pas répondu à la convocation.
M. LE RAPPORTEUR.- C'est intéressant. Vous avez remarqué cela plus particulièrement dans le Var ?
M. GALABERT.- C'est la première fois que je l'ai remarqué et je l'ai signalé aussitôt au ministère. Mais quand je suis allé dans les Hauts-de-Seine, ils en étaient à 15 % de demandes abandonnées.
M. LE RAPPORTEUR.- Avez-vous l'impression que des personnes font une demande de régularisation alors qu'elles sont en Afrique du Nord ?
M. GALABERT.- Cela a dû arriver. Mais le traitement des dossiers prenait du temps et la convocation n'arrivait que trois mois après et il commençait à se savoir que ce serait moins automatique qu'on ne l'espérait. Aussi des personnes n'ont pas donné suite parce qu'elles ont senti entre temps que c'était plus aléatoire qu'elles ne le pensaient.
M. LE RAPPORTEUR.- Et elles n'avaient pas intérêt à se signaler.
Rendrez-vous un rapport sur votre mission ?
Sera-t-il rendu public ?
À défaut, pouvez-vous indiquer vos principales conclusions ?
M. GALABERT.- J'ai établi le rapport d'étape auquel j'ai fait allusion, je ne suis pas sûr que j'en ferai un autre. La publicité qui lui sera donnée dépend du ministre.
M. LE RAPPORTEUR.- Quelles sont vos principales conclusions ?
M. LE PRÉSIDENT.- Ferez-vous un rapport ?
M. GALABERT.- Pour l'instant, il est fait et il est remis au ministre. J'avais pensé l'intituler « rapport d'étape », puis je me suis aperçu qu'à la fin avril il n'y aurait pas d'éléments nouveaux.
Je pense, mais à titre personnel, qu'il est difficile de savoir vers quel chiffre global nous allons nous orienter. Nous notons les pourcentages les plus variés selon les régions de France. La Préfecture de police, la Seine-Saint-Denis et Marseille doivent avoir la moitié des régularisations en France et avec la région parisienne et Nice, cela fait les trois-quarts, même si le Cantal fait l'objet d'un laxisme puisqu'il a régularisé à 100 % ses deux demandeurs.
Dans une interview du journal le Parisien Libéré, M. Chevènement avait évoqué la moitié et même un peu plus. En lisant l'article récent, nous voyons qu'il a dit : résultat probable, plutôt que : c'est notre objectif. Ces chiffres ont été lancés dans la nature.
Dans mon rapport, je dis ce que j'ai senti des dossiers. Je pense que nous aurions pu monter un peu plus haut perdre à l'opération le caractère sélectif qu'elle a.
M. LE RAPPORTEUR.- Une question un peu en dehors du sujet, mais qui est au coeur du système et qui intéresse la Commission. Ne pensez-vous pas que ce problème de l'immigration doit être traité au niveau de l'Europe et par une harmonisation des législations européennes ?
Ne pensez-vous qu'il faudrait rapidement se diriger vers cela ?
M. GALABERT.- Cela existe déjà d'une certaine façon.
Cela dit, il reste dans les pays des attitudes psychologiques. En Italie, les régularisations ont atteint 150 000, sans que cela ait provoqué le moindre débat national qui s'est polarisé sur l'Albanie.
M. LE RAPPORTEUR.- Je tiens à vous informer que l'Italie vient d'adopter une législation beaucoup plus draconienne. C'est un texte de mars 1998, je l'ai eu directement, étant Maire d'une commune frontalière, par le préfet de la province italienne voisine.
M. GALABERT.- On m'a dit que les tensions essentielles se polarisaient sur le problème de l'Albanie.
M. LE RAPPORTEUR.- Quel est votre sentiment sur ce point ?
M. GALABERT.- Il est évident que ce sont des problèmes européens.
M. LE RAPPORTEUR.- Ne faudrait-il pas arriver à l'harmonisation d'une réglementation européenne là-dessus ?
M. GALABERT.- Certainement.
M. LE RAPPORTEUR.- Quelles sont vos principales conclusions ?
M. GALABERT.- L'opération, dans le cadre où elle a été définie, s'est plutôt bien passée, notamment de la part des personnels des préfectures qui sont au coeur de l'opération. Ils ont eu à appliquer des réglementations d'esprit très différent, d'une période à l'autre.
J'ai raconté l'anecdote de ce directeur de préfecture à qui l'intéressé ayant à prouver sa présence en France a dit : j'étais là en 1994, voilà l'arrêté de reconduite à la frontière que vous m'avez signé alors. Cela demande une petite reconversion. De ce point de vue, cela a été satisfaisant.
Il y a des divergences. Une organisation ne peut jamais être parfaitement uniforme. Pour le reste, il y a eu un effort annoncé et indiscutablement légitime de résoudre d'abord des situations familiales, les conjoints, les couples, le rapprochement des enfants. Pour de nombreuses raisons, en partie techniques, les célibataires, surtout s'ils avaient leur famille dans leur pays d'origine, ont été un peu sacrifiés. Je pense que certaines préfectures ont été un peu rigoureuses.
M. LE PRÉSIDENT.- Je vous remercie.
Chers collègues, avez-vous des questions complémentaires ? Je n'en vois pas. Bien, Monsieur le Président, nous vous remercions de votre propos et de sa précision et nous allons vous libérer.