10. Priorité à la lutte contre l'exploitation du travail des enfants - Intervention de MM. Jean-Claude MIGNON, député (RPR) et Nicolas ABOUT, sénateur (ap. RI) (Jeudi 26 juin)
Le
Conseil de l'Europe s'est engagé à lutter contre le travail des
enfants, et sa Charte sociale européenne interdit le travail des enfants
de moins de quinze ans.
La presse a révélé dernièrement que dans les pays
en voie de développement, il y a 250 millions d'enfants qui
travaillent. Mais le travail des enfants n'a pas pour autant disparu d'Europe.
Souvent approuvé par la société, il correspond à un
phénomène social souvent invisible dont la réalité
est difficile à prouver, mais il comporte des dangers :
exploitation sexuelle à des fins commerciales, cruautés
infligées aux travailleurs domestiques, trafic d'enfants, risques pour
la santé et conditions d'existence précaires des enfants se
trouvant à la rue.
Le rapport met en lumière les faits suivants :
Au Royaume-Uni, la moitié environ des enfants de treize à quinze
ans occupent un emploi à temps partiel, et beaucoup ont au moins deux
emplois. Il y a de plus en plus d'enfants à la rue, et la prostitution
enfantine pose un énorme problème.
L'Italie est le pays d'Europe occidentale qui a la plus nombreuse population
d'enfants au travail (un million et demi). C'est dans le sud que la situation
est la plus grave : une enquête réalisée à
Naples sur les enfants qui travaillent a révélé que la
plupart sont occupés plus de six heures par jour à des
tâches qui leur rapportent moins du tiers du salaire correspondant d'un
adulte et ne leur ouvrent droit à aucune prestation sociale.
En Espagne et au Portugal, environ un million et demi d'enfants sont
employés illégalement, souvent dans le commerce ou l'exploitation
agricole de leur parents. Le travail saisonnier des moissons leur fait manquer
l'école pendant des mois. Il y a aussi des enfants vendeurs de rue,
cireurs de souliers, mendiants et ramasseurs d'ordures.
En Bulgarie, la police et les "
skinheads
" s'en prennent aux
enfants des rues qui mendient, se livrent à des " petits
boulots ", ramassent des ordures, volent ou se prostituent.
Des enquêtes conduites récemment en Roumanie ont
révélé que 6 % des enfants de sept à quinze
ans y travaillent plus de six heures par jour.
La vulnérabilité des enfants rom (tsiganes) s'est répandue
dans toute l'Europe. Etant donné la structure de la famille rom,
beaucoup d'entre eux travaillent à temps plein - après
l'âge de douze ans - dans la métallurgie, la ferraille, le
commerce des chevaux, le spectacle, l'agriculture et la mendicité.
Certains s'organisent en bandes.
La Turquie a fait l'objet d'une étude du Bureau International du Travail
(BIT) qui a révélé que près de deux millions
d'enfants - dont plus de 800.000 âgés de moins de seize ans y
travaillent comme salariés dans leur famille.
Le rapport invite les gouvernements à :
- mettre en oeuvre un plan d'action pour lutter contre l'exploitation
économique des enfants ;
- rassembler des données afin de mettre les problèmes en
lumière ;
- aligner tours législations nationales sur les normes
européennes et internationales ;
- promouvoir l'inspection scolaire et l'inspection du travail ;
- consulter les partenaires sociaux, les ONG, les enfants et les
parents ;
- favoriser la lutte contre le travail des enfants dans les pays en voie
de développement en appliquant, non pas des sanctions risquant de nuire
aux économies locales, mais des programmes spéciaux visant
à contenir les pires excès.
Il préconise aussi une évaluation de la situation régnant
dans les quarante pays membres du Conseil et l'adoption, en la matière,
d'une politique européenne exhaustive inspirée des normes
sociales du Conseil de l'Europe.
La question doit faire l'objet d'une convention du BIT. Michel Hansenne,
Directeur général du BIT, exposera des idées à cet
égard lors du débat.
M. Jean-Claude MIGNON, député (RPR),
intervient dans le
débat en ces termes :
" Madame la Présidente, mes chers Collègues, je tiens
tout d'abord à féliciter Mme Irena Belohorská, pour
la qualité de son rapport. Elle attire l'attention sur un
problème souvent nié et longtemps négligé en Europe
bien qu'il soit beaucoup plus grave dans nombre de pays d'Asie, d'Afrique et
d'Amérique du Sud .
Le rapporteur a tout à fait raison quand elle écrit qu'il faut
d'abord donner la priorité à la lutte contre les modes les plus
intolérables du travail des enfants, à la lutte contre les causes
principales qui sont la pauvreté et l'exclusion sociale. Je souhaiterais
faire quelques remarques concernant le rapport, la situation des enfants et les
mesures en cours ou envisagées.
D'abord, force est de constater que le nombre d'organismes qui s'occupent de ce
dossier est important. De même, il convient de noter qu'il existe
déjà un certain nombre de chartes, recommandations, conventions
ou programmes oeuvrant pour un bon encadrement législatif ainsi que
social des enfants et contre les pratiques abusives de travail des enfants.
En effet, il est impressionnant de constater, combien d'interlocuteurs sont en
charge du problème : l'ONU dont dépendent l'UNESCO et
l'Organisation internationale du travail, le programme IPEC pour l'abolition du
travail des enfants, le Bureau international du Travail, le Conseil de
l'Europe, l'Organisation mondiale du commerce, l'Union européenne ainsi
que nombre d'ONG et de syndicats. Cela étant, il est frappant et
paradoxal de constater qu'il n'existe presque pas de données
précises sur la situation des enfants ni dans les pays membres du
Conseil de l'Europe, ni dans d'autres pays.
Malheureusement on voit que les Etats adaptent souvent leur discours en
fonction des circonstances des organisations internationales diverses luttant
contre le travail des enfants.
L'idée de compléter par exemple la Convention n° 29 de
l'Organisation internationale du travail me semble raisonnable. De
manière plus générale, l'exploitation des structures
déjà existantes et la coopération étroite avec et
entre les organismes cités est vivement souhaitable. Je vous le rappelle
afin d'éviter la prolifération des systèmes qui rend la
coordination et la coopération encore plus difficile.
Il faudrait également distinguer davantage la situation en Europe de
celle d'autres continents et prendre en considération les
spécificités européennes de ce phénomène
scandaleux. Au niveau européen, nous devons profiter de la structure du
Conseil de l'Europe pour nous mettre d'accord le plus rapidement possible sur
une stratégie permettant de lutter contre les causes de ce type
d'exploitation.
En tout cas, nous devons faire preuve de plus de coordination entre les
politiques nationales et d'une volonté ferme pour entamer des recherches
et des inspections afin d'évaluer ensemble les situations pour pouvoir
élaborer à long terme une stratégie concrète,
adaptée et cohérente de lutte contre les abus.
Une priorité doit être accordée à la lutte contre
les formes les plus inacceptables de l'exploitation du travail des enfants
comme vous le constatez au point 6 du projet de recommandation.
En ce qui concerne la consultation des enfants, il sera très difficile
de trouver ou de créer des instances représentatives pertinentes.
Dans ce contexte, je tiens à souligner que les enfants eux-mêmes
sont tout à fait conscients du problème ; ils prennent des
initiatives pour y répondre comme, par exemple, samedi dernier à
l'Assemblée nationale à Paris où, dans le cadre du
Parlement des enfants, les élèves d'une académie ont
déposé une proposition de loi donnant la possibilité aux
fabricants ou aux importateurs de faire figurer un logo sur les
étiquettes ou les emballages de produits afin d'assurer les
consommateurs français qu'aucun enfant n'a travaillé à
leur fabrication. J'irai même encore plus loin en proposant - et je
rejoins par cette proposition l'initiative citée dans votre rapport -
l'instauration d'un label européen, facultatif dans un premier temps,
afin de réveiller la conscience des consommateurs et du public. Cela
s'inscrit dans la logique du point 13 VI du projet de recommandation.
Nous devons tous ensemble oeuvrer pour que l'opinion publique et les
consommateurs prennent conscience du problème, qu'ils aient la
possibilité de faire un choix actif et de l'exprimer à travers
leur comportement d'achat. Cela montrera aux producteurs que l'exploitation du
travail des enfants n'est pas acceptée, et surtout plus
tolérée, d'une manière plus subtile que par le biais de
simples sanctions commerciales qui - on le sait - sanctionnent avant
tout les enfants.
Nous avons besoin d'un changement profond de mentalité qui ne sera
possible que si l'on arrive à sensibiliser la société dans
son ensemble. Nous devons continuer à agir dans ce sens. "
M. Nicolas ABOUT, sénateur (ap. RI),
prend alors la parole dans
les termes suivants :
" Je veux d'abord féliciter notre collègue, notre rapporteur
le Dr Belohorská, pour son important rapport. Elle a mis dans son
travail sa compétence professionnelle et sa valeur personnelle. Elle
sait mieux que quiconque, que si le Conseil de l'Europe est la maison des
droits de l'homme, il nous faut toujours rester très attentifs au
développement de ces droits.
La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des
Libertés fondamentales, l'acte fondateur en la matière,
adoptée dès sa première année d'existence par le
Conseil de l'Europe, était tout entier un texte de liberté,
presque libertaire, une véritable machine de guerre contre le carcan
soviétique alors triomphant. Cependant nous savons, et ce de
façon constante, qu'entre le fort et le faible, c'est paradoxalement la
liberté qui opprime et la loi qui protège. Tout l'effort de notre
civilisation européenne est de substituer à la liberté du
plus fort d'exploiter les plus faibles, la protection légale des plus
vulnérables et, d'abord, des enfants.
Cette protection a pris notamment la forme d'une interdiction du travail des
enfants en deçà d'un âge qui s'est peu à peu
relevé. C'est là, désormais, une valeur partagée
par tout notre continent européen. Comment ne pas s'en
réjouir ? Sans doute subsiste-t-il, çà et là,
des disparités quant à cet âge minimum ou même des
lacunes qu'il convient bien entendu de combler.
J'approuve totalement la démarche proposée, subordonnée,
"
au principe de l'intérêt supérieur de
l'enfant
". Selon cette démarche, nous sommes invités,
en Europe, à éliminer sans délai " les modes
intolérables de travail des enfants " et à lutter plus
généralement contre toute forme d'exploitation du travail des
enfants.
Toujours selon cette démarche, les sanctions commerciales ou le
développement de labels certifiant que les produits n'incorporent pas de
travail d'enfant, peuvent être envisagés par l'Europe dans ses
relations économiques extérieures, mais seulement à titre
subsidiaire, en complément de programmes de réhabilitation et de
développement.
Je voudrais, pour ma part, insister sur le fait que les familles qui
tolèrent, voire encouragent, le travail de leurs enfants, ne le font
- cela a été souligné par plusieurs orateurs -
pas toujours par malignité ou goût du profit mais parce que c'est
souvent pour elles une question de survie. Le magazine de notre
Assemblée parlementaire Les Européens rappelle que c'est en
Afrique que l'on observe le taux le plus élevé d'enfants au
travail, jusqu'à 55 % au Mali, encore que ce chiffre ne
distingue pas entre les fillettes et les jeunes garçons : on
observerait sans doute que près de trois quarts des petites filles sont
astreintes à divers travaux et ne reçoivent aucune
éducation scolaire.
Notre Assemblée se doit de consacrer un rapport spécifique
à cette inégalité qui est non seulement choquante en
termes de respect des individus, mais absurde et dangereuse, puisqu'il est
désormais établi que l'éducation des filles est le seul
élément déterminant de la maîtrise de la
démographie et par conséquent du développement. Lutter
contre le travail des enfants, c'est d'abord s'attaquer aux conditions qui le
rendent indispensable dans des familles où chacun, et dès le plus
jeune âge doit gagner son pain.
C'est pourquoi, je félicite notre rapporteur de suggérer une
recommandation qui vise non seulement des mesures réglementaires
directes mais également une action plus générale de
réhabilitation subordonnée à l'intérêt
supérieur de l'enfant.
Je voterai donc pour la recommandation, tout en souhaitant interroger notre
rapporteur sur la formulation de la fin du paragraphe 4 dont une
phrase me semble superflue, voire contraire même au sens de l'ensemble du
rapport, car elle risquerait d'être interprétée comme un
consentement de notre part au travail des enfants. Il s'agirait en effet,
d'après le rapport, d'assurer aux enfants qui combinent l'école
et le travail "
une forme d'enseignement adéquate et
souple
". Si notre rapporteur et nos collègues en
étaient d'accord, peut-être vaudrait-il mieux renoncer à
cette formulation ".
Après lecture du projet de recommandation par le Président,
M. Nicolas ABOUT, sénateur (ap. RI),
reprend alors la
parole lors de la discussion des amendements pour soutenir l'amendement oral
suivant :
" Je veux simplement poser de nouveau la question formulée dans mon
intervention. Il s'agit de supprimer l'avant-dernière phrase du
paragraphe 4 du projet de recommandation : "
Il faut
assurer à ces enfants au travail une forme d'enseignement
adéquate et souple
. "
Même si ma proposition n'a pu faire l'objet d'un amendement écrit,
je crois qu'elle est importante. Car la phrase en cause équivaut
à admettre que l'on maintient la situation de l'enfant au travail,
puisqu'on lui reconnaît aussi la nécessité d'une forme
d'enseignement adéquate et souple.
Nous nous sommes battus toute la matinée contre le travail des enfants.
Si c'est pour simplement constater que les enfants vont rester au travail, et
qu'il s'agit de leur assurer un "
enseignement adéquat et
souple
", Nous allons en sens contraire de l'esprit du rapport.
La phrase dont je parle est supprimée, la phrase suivante explique le
souhait du rapporteur, à propos de ceux qui resteront quand même
au travail - car on ne peut pas tout régler :
" Tout enfant
doit bénéficier d'une éducation gratuite et
appropriée ...
". Voilà qui répond bien au souci
du rapporteur ! ".
Dans le débat qui a suivi, la proposition de
M. Nicolas ABOUT
,
présentée comme un amendement oral, n'a pas été
retenue par le rapporteur de la Commission des questions sociales, de la
santé et de la famille dans la mesure où cette proposition
apportait, selon lui, un changement de fond auquel il s'opposait. Il en a donc
repoussé l'examen.
A l'issue du débat, la recommandation 1336 contenue dans le rapport
7840 a été adoptée, amendée.