IX. LA CONTRACTUALISATION ETAT-RÉGION : CLARIFICATION DES COMPÉTENCES OU DILUTION DES RESPONSABILITÉS ?

A. L'ÉLABORATION DES CONTRATS DE PLAN POURRAIT DESSINER PEU À PEU UNE RÉPARTITION DES RESPONSABILITÉS ET DES COMPÉTENCES ENTRE COLLECTIVITÉS PUBLIQUES

• Les développements précédents ont montré que la procédure de contrat de plan Etat-Région ne contribuait guère à la lisibilité des dépenses publiques.

Qu'en est-il des compétences respectives des collectivités publiques ?

Sur ce point, deux thèses s'affrontent.

Les ministères estiment que la procédure de contrat de plan Etat-Région constitue une occasion de réflexion sur les compétences respectives des collectivités publiques, que les lois de décentralisation n'ont pas toujours clairement partagées, et, de facto , un outil de répartition évolutive de ces compétences.

A l'inverse, la majorité des Régions considèrent que la procédure des contrats de plan Etat-Région contribue plutôt à brouiller et à diluer les responsabilités , d'une part, ; à empêcher un véritable débat de fond sur la décentralisation, d'autre part.

• Selon la plupart des ministères concernés par la contractualisation, les contrats de plan Etat-Région contribuent à clarifier les compétences respectives des différentes collectivités publiques et à organiser leur complémentarité 137( * ) .

Ainsi, selon le ministère de l'Intérieur, " pour établir le document de base, une concertation, étalée sur plusieurs mois, a été prévue. Elle est l'occasion de clarifier le rôle et les compétences de chacun. Par ailleurs, le contrat de plan n'est pas seulement un document recensant des actions à engager, c'est aussi le support par lequel chaque collectivité publique s'engage financièrement sur un certain nombre d'actions. La mise en oeuvre d'actions conjointes suppose que chaque partenaire ait une vision très claire de chacune de ses prérogatives ".

De même, le ministère de la Défense indique que " la contractualisation oblige, avant de déterminer les futurs partenaires et contributeurs d'une action donnée du contrat de plan, à se poser plusieurs types de questions : qui a reçu attribution pour conduire cette action ? qui siège à telle instance chargée de gérer le secteur, de piloter telle opération ? Qui supporte la charge de telle activité ? Qui répond éventuellement de ses conséquences ? ".

Le ministère de l'Environnement estime ainsi que " la contractualisation permet une bonne identification des engagements environnementaux partagés par la Région et le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement ".

En outre, le Commissariat général du Plan souligne que la signature des contrats de plan favorise l'identification et la responsabilisation de l'action publique : " les relations entre les partenaires et les engagements qu'ils prennent pour conduire ensemble les politiques et les programmes de développement régional sont officialisés solennellement par la signature du contrat de plan Etat-Région qu'apposent le Préfet de région, au nom de l'Etat, et le Président du Conseil régional, au nom de son assemblée. Par ailleurs, des conventions ou des contrats particuliers concernant des actions ou des programmes sont établis pour consigner les engagements et les obligations des partenaires publics et privés concernés. Les promoteurs de l'action publique sont précisément identifiés dans l'acte officiel qu'est le contrat de plan Etat-Région ".

Par ailleurs, selon le ministère de l'Equipement, le financement des compétences de l'Etat par les collectivités locales n'est pas facteur d'opacité, puisque si " la politique du cofinancement inhérente aux contrats de plan entraîne une coresponsabilité sur la programmation des investissements ; par contre, les compétences juridiques liées à la maîtrise d'ouvrage des opérations ne prêtent pas à ambiguïté ".

Au total, même si le secrétariat d'Etat à l'industrie estime que " la procédure de contrat de plan ne paraît avoir aucun rôle dans l'identification et la clarification des compétences entre collectivités publiques ", le ministère de l'Agriculture conclut, pour sa part, que " sans que l'on puisse en assurer précisément l'effet, il est clair que la discussion entre l'Etat et la Région, d'une part, entre la Région et les autres collectivités locales, d'autre part, permet périodiquement de redéfinir les limites parfois floues entre leurs compétences respectives dans le champ d'intervention du ministère ".

De même, après avoir rappelé que " les lois de décentralisation ont peu concerné le domaine culturel ", le ministère de la Culture indique : " en conséquence, les contrats de plan Etat-Région organisent et dessinent peu à peu une répartition des responsabilités entre chaque niveau de collectivités territoriales " et " toutes les procédures contractuelles et plus particulièrement celles du contrat de plan apportent de la cohérence dans les modalités de financements croisés qui caractérisent spécifiquement le domaine culturel ".

En particulier, la procédure de contrat de plan concourrait à la construction d'un champ de compétence régional en matière culturelle : " la politique culturelle des Conseils régionaux s'est élaborée depuis peu, dans un contexte juridique où la Région n'a pas de compétence propre. Par conséquent, les Conseils régionaux étaient enclins, il y a une quinzaine d'années à privilégier les projets d'image ou les grands événements régionaux, au détriment de projets structurants, fussent-ils régionaux ou émanant des territoires ou des autres collectivités territoriales. Aujourd'hui, il s'avère que la majorité des Conseils régionaux met en oeuvre une politique culturelle qui prend en considération les projets, les territoires et le fonctionnement des structures, confortant ainsi et à travers le contrat de plan , leur rôle de chef de file dans un certain nombre de domaines participant à l'aménagement du territoire : la mise en valeur touristique du patrimoine monumental, la mise en réseau des équipements par le moyen des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les enseignements et les formations à rayonnement régional, les cultures et les langues régionales... ".

Dans certains cas, la procédure de contrat de plan Etat-Région pourrait ainsi favoriser une redéfinition concertée des responsabilités et des compétences.

• Cette configuration assez idyllique suppose toutefois que la négociation soit équilibrée, sinon certains partenaires pourraient être contraints d'intervenir en dehors de leurs compétences. Or les éléments rassemblés au chapitre II montrent que les négociations sont particulièrement déséquilibrées et que l'Etat profite de ce déséquilibre pour faire financer certaines de ses compétences par les Régions.

Certains ministères, comme le ministère du Tourisme, préfèrent d'ailleurs souligner que les contrats de plan ne sont source de cohérence et de clarté que parce qu'ils permettent à l'Etat d'exercer son " rôle de régulation ", c'est à dire d'imposer ses priorités.

En effet, selon le ministère du Tourisme, " le principal mérite de la contractualisation dans le domaine du tourisme est de permettre une mise en cohérence des interventions publiques, sachant que l'ensemble des collectivités locales sont conduites à agir dans ce secteur. L'ouverture d'une concertation régionale et infrarégionale (Départements et Communes) permet de s'accorder sur de grandes orientations et les priorités communes à poursuivre, fondées sur une approche économique, faisant ainsi coïncider les logiques des collectivités locales entre elles. L'Etat peut ainsi faire prendre en compte les priorités de la politique nationale du tourisme et assurer son rôle de régulation des aides publiques au tourisme ".

Cette " posture régulatrice ", vigoureusement dénoncée par les collectivités locales, contraste toutefois avec le manque de moyens de l'Etat.

En effet, comme le soulignait le rapport CHÉRÈQUE, les SGAR sont dépourvus des moyens humains, tant quantitatifs que qualitatifs, qui seraient nécessaires à leur mission. En outre, votre rapporteur a montré au chapitre III que les moyens budgétaires alloués par l'Etat à la contractualisation représentaient une part décroissante et désormais minoritaire des montants financiers mobilisés par les contrats de plan. Enfin, les services déconcentrés de l'Etat sont enserrés par des procédures budgétaires très centralisées : contrairement aux préconisations du Conseil économique et social 138( * ) , comme du rapport CHÉRÈQUE 139( * ) , les préfets n'ont pas à leur disposition une enveloppe leur permettant une décision rapide pour les petits projets.

Ainsi, comme le concluait M. Christian PONCELET, Président du Sénat, dans une lettre ouverte au Premier ministre à l'occasion du 69 ème congrès de l'Assemblée des Départements de France 140( * ) , " moins l'Etat a de moyens financiers, plus il réglemente, plus il encadre l'action des collectivités locales, et plus il tend la main en continuant à vouloir tout régenter ".

La volonté de régulation de l'Etat se heurte d'ailleurs à une résistance croissante de la part de collectivités territoriales qui détiennent parfois des moyens d'expertise et des capacités d'intervention financière bien supérieurs, et qui ne voient dans la posture régulatrice des administrations d'Etat qu'une tentative de conserver leur ancien pouvoir .

Dans certains secteurs, comme le Tourisme, où les moyens de l'Etat sont faibles par rapport à ceux des autres collectivités, les services de l'Etat parviennent ainsi de moins en moins à faire prévaloir leurs choix : les politiques des collectivités locales se superposent, sinon s'imposent, sur celles de l'Etat.

Cela ne participe guère d'une identification des compétences et des responsabilités.

Plus généralement, la plupart des Régions, comme des observateurs extérieurs, sont d'ailleurs pour le moins sceptiques quant au rôle des contrats de plan en matière de clarification des compétences respectives des collectivités publiques.

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